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Date : 20170302


Dossier : T-335-16

Référence : 2017 CF 258

Montréal (Québec), le 2 mars 2017

En présence de monsieur le juge Bell

ENTRE :

PIERRE GAGNON

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Survol

[1]               Le demandeur, Pierre Gagnon [M. Gagnon], porte en contrôle judiciaire la décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [Section d’appel], qui date du 26 janvier 2016. La Section d’appel a confirmé la décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [CLCC] et a refusé la libération conditionnelle totale [LCT] et la semi-liberté de M. Gagnon.

[2]               Pour les raisons qui suivent, je rejetterais la demande de contrôle judiciaire.

II.                Contexte

[3]               Le dossier criminel et carcéral de M. Gagnon remonte jusqu’à 1970. En 1973, M. Gagnon a été incarcéré pendant deux ans, suite à la perpétration d’un incendie criminel où il a mis le feu à la cabane à sucre des parents de sa conjointe. Environ deux mois après le début de son incarcération dans un établissement de sécurité minimale, M. Gagnon s’est évadé. Il a déchargé son arme à feu sur sa conjointe quelques jours plus tard et a été trouvé coupable d’homicide involontaire. Il a été condamné à perpétuité le 17 mars 1975.

[4]               M. Gagnon a obtenu une liberté conditionnelle de jour en 1980, et une LCT en 1981. Sa mise en liberté a été suspendue à trois reprises entre 1991 et 2000, en raison de récidives violentes contre son ex-conjointe.

[5]               En 2005, pendant que M. Gagnon était incarcéré à l’établissement Montée St-François, il s’est évadé pendant une permission de sortie de groupe ; il est resté en liberté illégale pendant environ 3 mois. Il a conséquemment été condamné à une peine carcérale de deux mois.

[6]               En 2008, pendant que M. Gagnon était incarcéré à l’établissement Ste-Anne-des-Plaines, il a profité d’une permission de sortie avec escorte pour encore s’évader. Il est demeuré en cavale pendant environ deux ans et, en septembre 2010, s’est volontairement rendu au pénitencier Archambault pour mettre fin à sa liberté illégale. Une peine de trois mois a été imposée pour cet incident.

III.             Décisions contestées

[7]               La CLCC a constaté que les facteurs portant sur le comportement criminel de M. Gagnon incluent une dépendance affective, des relations affectives instables, une dynamique de violence conjugale, l’agressivité, l’immaturité, la consommation de substances intoxicantes, une résolution lacunaire de problèmes, et l’oisiveté. L’évaluation psychologique la plus récente a révélé que M. Gagnon présentait des traits « borderline et histrioniques », et que son niveau de risque était lié au type d’encadrement et à ses relations intimes. La CLCC a reconnu que M. Gagnon a complété plusieurs programmes correctionnels, y inclus un programme de résolution de problèmes, et qu’il démontrait un intérêt sincère à vouloir s’investir à la gestion de son cas [EGC]. Toutefois, elle a conclu que M. Gagnon n’a pas « atteint l’ensemble des objectifs visés ». Par conséquent, la CLCC a suivi l’avis de son équipe de gestion de cas et a refusé sa LCT ou sa semi-liberté.

[8]               La Section d’appel a analysé les questions soumises par le demandeur, à savoir le manque d’intelligibilité, de justesse, et de précision de la décision de la CLCC. La Section d’appel a trouvé que la décision contenait des motifs suffisants pour comprendre sa conclusion. De plus, la Section d’appel a trouvé que la décision était appuyée par des renseignements pertinents, fiables, et convaincants. Elle a trouvé que la décision de la CLCC était raisonnable et l’a donc confirmée.

IV.             Dispositions législatives pertinentes

[9]               L’article 101 de la Loi sur le service correctionnel et la mise en liberté sous conditions, LC 1992, ch 20 [Loi] souligne les principes qui guident la Section d’appel et la CLCC :

101 La Commission et les commissions provinciales sont guidées dans l’exécution de leur mandat par les principes suivants :

a) elles doivent tenir compte de toute l’information pertinente dont elles disposent, notamment les motifs et les recommandations du juge qui a infligé la peine, la nature et la gravité de l’infraction, le degré de responsabilité du délinquant, les renseignements obtenus au cours du procès ou de la détermination de la peine et ceux qui ont été obtenus des victimes, des délinquants ou d’autres éléments du système de justice pénale, y compris les évaluations fournies par les autorités correctionnelles;

b) elles accroissent leur efficacité et leur transparence par l’échange, au moment opportun, de renseignements utiles avec les victimes, les délinquants et les autres éléments du système de justice pénale et par la communication de leurs directives d’orientation générale et programmes tant aux victimes et aux délinquants qu’au grand public;

c) elles prennent les décisions qui, compte tenu de la protection de la société, ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition;

d) elles s’inspirent des directives d’orientation générale qui leur sont remises et leurs membres doivent recevoir la formation nécessaire à la mise en œuvre de ces directives;

e) de manière à assurer l’équité et la clarté du processus, les autorités doivent donner aux délinquants les motifs des décisions, ainsi que tous autres renseignements pertinents, et la possibilité de les faire réviser.

[10]           De plus, l’article 102 établit les critères qui doivent guider la CLCC dans sa décision d’autoriser ou non la LCT :

102 La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

[11]           L’article 100.1 précise toutefois que c’est la protection de la société qui demeure le critère prépondérant à considérer.

V.                Questions en litige et norme de contrôle

[12]           Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La décision de la Section d’appel était-elle raisonnable?
  2. La décision de la Commission a-t-elle respecté les principes de l’équité procédurale?

[13]           La première question met en jeu les conclusions de fait de la Section d’appel et de la CLCC, ainsi que l’application de leur loi habilitante à ces conclusions de fait. Ces deux tribunaux ayant été reconnus comme experts dans le domaine de la mise en liberté conditionnelle, c’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique (Fernandez c Canada (PG), 2011 CF 275 au para 20, [2011] ACF no 320). Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir]).

[14]           Pour ce qui a trait à la deuxième question et au principe de l’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique : voir, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 42, [2009] 1 RCS 339.

VI.             Analyse

A.                Raisonnabilité de la décision de la Section d’appel

[15]           Le demandeur soutient que les décisions de la Section d’appel et de la CLCC ne sont pas suffisamment motivées. Il s’appuie sur l’arrêt Andrade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1490 au para 12, [2012] ACF no 1594, selon laquelle les motifs d’une décision « répondent au critère de Dunsmuir s’ils permettent à la Cour de révision de comprendre le fondement de la décision et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables ».

[16]           Essentiellement, le demandeur soutient que les motifs ne respectent pas l’alinéa 101e) de la Loi et qu’ils ne permettent pas au demandeur de comprendre la conclusion de la CLCC que M. Gagnon n’a pas atteint l’ensemble des objectifs visés.

[17]           M. Gagnon a soulevé ces arguments devant la Section d’appel ; et je souscris à la réponse de ce tribunal :

La Commission a noté que vos antécédents délictueux comportent un niveau de violence extrêmement élevé, que la mort d’une personne a été causée, et qu’une de vos victimes souffre de séquelles psychologiques importantes. Toutefois, la Commission a noté des progrès intéressants découlant de l’ensemble de votre implication au cours de votre sentence, mais que, malgré le nombre important de programmes correctionnels et de suivis psychologiques que vous avez complétés, vous n’avez pas atteint l’ensemble des objectifs visés. La Commission était d’avis que la gestion de vos émotions et de vos frustrations ainsi que la résolution de problèmes exigent un travail significatif. La Commission a aussi pesé dans leur analyse vos deux consommations de THC.

[18]           Bien que la Section d’appel et la CLCC n’aient pas explicitement mentionné les objectifs dont il est question, il est possible pour cette Cour de comprendre que M. Gagnon avait encore des  progrès à faire quant à sa gestion d’émotions. Les conclusions étaient basées sur, et confirmées par, l’évaluation psychologique de 2015, où il est indiqué que certaines problématiques liées au comportement de M. Gagnon subsistent. En effet, le demandeur présente des traits « borderline et histrioniques », et son risque de récidive à long terme était évalué à modéré élevé. M. Gagnon avait également fait l’objet de deux analyses d’urine positives au THC en février 2014 et en janvier 2015. La CLCC a toutefois reconnu à plusieurs reprises que M. Gagnon a fait de nombreux progrès et qu’il a coopéré avec son EGC. Selon Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708, si la cour de révision peut comprendre le fondement de la décision du tribunal et que la conclusion fait partie des issues possibles acceptables, elle répond au critère de raisonnabilité de Dunsmuir, précité. C’est bel et bien le cas en l’espèce.

[19]           Le demandeur reproche également à la CLCC de ne pas avoir appliqué les Politiques décisionnelles adéquatement, en particulier, la section 2.1. qui propose une liste des facteurs à considérer pour la CLCC lorsqu’elle évalue le plan de libération. Il est de jurisprudence constante que les manuels de politiques n'ont pas force de loi et ne lient donc pas les autorités chargées de prendre des décisions (Sychuk c Canada (PG), 2009 CF 105 au para 11, [2009] ACF no 136). Ils peuvent tout de même aider à « évaluer si la décision constituait un exercice déraisonnable du pouvoir » (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817, [1999] ACS no 39 au para 72). Je suis d’accord avec la prétention du défendeur que la CLCC a considéré au moins deux de ces critères :

13a. Le type de mise en liberté et le fait que la stratégie de surveillance du délinquant dans la collectivité soit ou non appropriée et adéquate ; et

13b. Le soutien dont bénéficiera le délinquant dans la collectivité.

[20]           De plus, tel que soulevé par le défendeur, le principe qui doit guider la CLCC est celui de la protection de la société (voir, article 100.1 de la Loi). La Section d’appel et la CLCC étaient d’avis que la LCT et la semi-liberté n’étaient pas possibles, puisqu’une récidive de la part de M. Gagnon avant l’expiration légale de sa peine entraînerait un risque inacceptable pour la société.

[21]           Je dois faire preuve de retenue envers les décisions de la Section d’appel et la CLCC et je suis d’avis que leurs conclusions étaient entièrement raisonnables.

B.                 Le respect de l’équité procédurale par la CLCC

[22]           Le demandeur soutient que la CLCC n’a pas respecté les principes d’équité procédurale. Plus particulièrement, il soutient qu’elle n’a pas respecté son mandat à l’alinéa 101c) de la Loi quant à la proportionnalité de la décision, et qu’elle a omis de considérer toute la preuve pertinente. En fait, le demandeur prétend que la CLCC a simplement suivi la décision du Service correctionnel du Canada. Je ne puis appuyer cette proposition, car le demandeur demande à la Cour de reconsidérer la pondération de la preuve.

[23]            La CLCC a pris en compte les différents éléments de preuve, y inclus plusieurs évaluations psychologiques et psychiatriques. Il était en plein droit pour la CLCC d’accorder une plus grande importance au rapport de 2015, plutôt qu’aux rapports de 2014 et 2013. Je tiens à noter qu’il ne s’agit pas, à mon avis, d’un argument basé sur l’équité procédurale.

[24]           Tel que noté par le défendeur, les principes d’équité procédurale veulent que la CLCC fasse parvenir aux délinquants les renseignements considérés lors de la prise de décision ainsi qu’une décision motivée. La CLCC a fait parvenir au demandeur les documents pertinents à sa prise de décision et lui a donné la possibilité d’en réfuter la fiabilité. La CLCC a donc également rencontré son devoir de s'assurer que les renseignements sur cette documentation étaient sûrs et convaincants (Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75, [1996] A.C.S. no 10). Par conséquent, la CLCC a respecté les principes de l’équité procédurale et il était raisonnable pour la Section d’appel de confirmer cette décision.

VII.          Conclusion

[25]           Pour les raisons énoncées ci-dessus, la décision de la Section d’appel, qui confirme la décision de la CLCC, est raisonnable et je rejetterais la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans dépens.

« B. Richard Bell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-335-16

 

INTITULÉ :

PIERRE GAGNON c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 décembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE BELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Pierre Tabah

Catherine Daniel Houle

pour le demandeur

 

Claudia Gagnon

Elizabeth Cullen, stagiaire

pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labelle, Côté, Tabah et Associés

Avocat(e)s

St-Jérôme (Québec)

 

pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

pour le défendeur

 

 

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