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Date : 20170306


Dossier : T-1157-16

Référence : 2017 CF 259

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 6 mars 2017

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

CAROL INGRAM

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               Carol Ingram a présenté une demande de contrôle judiciaire en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, à l’encontre d’une décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, rendue le 13 juin 2016. La division d’appel a refusé sa demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a rejeté la demande de pension d’invalidité de Mme Ingram en vertu du Régime de pensions du Canada [le RPC].

[2]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu qu’il était déraisonnable que la division d’appel refuse la demande d’autorisation d’interjeter appel de Mme Ingram. La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie.

II.                 Contexte

[3]               Mme Ingram a présenté une demande de pension d’invalidité en janvier 2012. Sa demande a été rejetée le 19 juillet 2012. Sa demande de réexamen a été rejetée le 6 décembre 2012. Elle a interjeté appel de cette décision devant la division générale du Tribunal de la sécurité sociale. La division générale a entendu l’appel le 8 septembre 2015 et a rejeté l’appel le 29 octobre 2015.

[4]               La division générale a conclu que la date du début de la période minimale d’admissibilité [PMA] de Mme Ingram était le 31 décembre 2011. Après l’audience, la division générale a demandé à Mme Ingram de produire un registre des gains à jour, ainsi que les observations qu’elle souhaitait formuler. Les renseignements fournis par Mme Ingram ont confirmé qu’elle avait eu des revenus de travail et qu’elle avait versé des cotisations au RPC pour les années 2013 et 2014, mais qu’elle n’avait touché aucun revenu pour les années 2010, 2011 ou 2012. La division générale a maintenu la PMA initiale, mais a indiqué qu’il faudrait désormais tenir compte du fait qu’elle avait obtenu des gains valides pendant deux ans.

[5]               La division générale a conclu que, si Mme Ingram avait fait l’objet d’une évaluation à compter de la date de sa PMA, il y aurait eu [TRADUCTION« peu de doute » qu’elle était atteinte d’une invalidité grave en 2008 et qu’elle satisfaisait aux exigences d’admissibilité quant aux cotisations. La division générale a toutefois poursuivi en ces termes :

[traduction

Son retour au travail a été le résultat d’une persévérance déterminée, d’un traitement médical et de stratégies d’atténuation alors qu’elle était atteinte de troubles douloureux. Elle « avait besoin d’argent » et elle était prête à ignorer la douleur, à travailler malgré celle-ci et à faire fi de l’avis de son médecin de famille qui lui a conseillé de ne pas travailler, à s’endurcir et à se punir en subissant la douleur comme étant le lot de de sa persistance. Le tribunal doit donc décider si cette période exceptionnellement longue de « tentative de retour au travail » était une réussite et si les gains touchés entre 2012 et 2014 étaient rémunérateurs.

[6]               En conclusion, la division générale a déclaré ce qui suit :

[traduction]

[53] Le Tribunal est d’avis que la situation personnelle de l’appelante est en fait à son avantage en ce qui concerne son employabilité dans le contexte réaliste qui a été démontré. Elle possède des compétences transférables. Par conséquent, la portée des occupations véritablement rémunératrices est beaucoup plus vaste chez l’appelante que dans la situation d’un appelant beaucoup plus âgé et moins instruit possédant des aptitudes linguistiques limitées en anglais ou en français.

[54] Pour démontrer l’invalidité grave, non seulement l’appelante doit démontrer qu’elle a de sérieux problèmes de santé, mais lorsqu’il y a des preuves de capacité de travail après la PMA (ce que le tribunal conclut en l’espèce), elle doit également démontrer que les efforts pour trouver un emploi et le conserver ont été infructueux pour des raisons de santé (voir Inclima c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 117). Cette capacité a été démontrée par le fait qu’elle a occupé un emploi rémunéré de 2013 à 2015. Le tribunal est donc dans l’impossibilité de conclure que ses problèmes de santé atteignent un niveau de gravité qui satisfait au critère de l’invalidité en vertu du RPC.

[7]               La division générale a conclu que le critère de la gravité n’avait pas été satisfait, et il n’a donc pas été nécessaire de se prononcer sur le caractère « prolongé » de l’invalidité. La division générale a rejeté l’appel, et Mme Ingram a demandé l’autorisation d’interjeter appel de cette décision devant la division d’appel.

III.               Décision attaquée

[8]               La division d’appel a refusé la demande d’autorisation d’interjeter appel de Mme Ingram le 13 juin 2016, après avoir conclu que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès. La division d’appel a reconnu que la division générale avait accordé une grande importance aux gains touchés par Mme Ingram de 2013 à 2015 pour établir si elle était en mesure d’occuper un emploi véritablement rémunérateur. Néanmoins, la division d’appel était convaincue que la division générale s’était penchée sur d’autres facteurs. La section d’appel a tiré les conclusions suivantes :

[traduction

Puisque la division générale ne s’est pas attardée uniquement aux revenus de travail de la demanderesse et qu’elle a tenu compte des autres facteurs pertinents lorsqu’elle a évalué la gravité de son invalidité, je ne suis pas convaincue que cet appel a une chance raisonnable de succès.

IV.              Question soulevée

[9]               La seule question soulevée dans la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la décision de la division d’appel de refuser l’autorisation d’interjeter appel était raisonnable.

V.                 Analyse

[10]           Les décisions rendues par la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale relativement aux demandes d’autorisation d’interjeter appel portent sur des questions mixtes de fait et de droit et sont susceptibles de contrôle par la Cour selon la norme de la décision raisonnable (Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, au paragraphe 17 [Tracey]; Jama c. Canada (Procureur général), 2016 CF 1290, aux paragraphes 12 à 15). La Cour interviendra uniquement si la décision n’appartient pas aux « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[11]           En vertu de l’alinéa 44(1)b) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. (1985), ch. C-8, une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant invalide qui (i) n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans; (ii) ne reçoit aucune pension de retraite; et (iii) a versé des cotisations de base pendant au moins la période minimale d’admissibilité. Une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée (paragraphe 42(2) du RPC). Une invalidité n’est grave que si elle rend la personne régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice (sous-alinéa 42(2)a)(ii) du RPC). Avant les réformes apportées en 2014, le critère appliqué uniformément était le suivant : « une invalidité est grave si elle rend le requérant incapable de détenir pendant une période durable une occupation réellement rémunératrice » dans un contexte « réaliste » (Villani c. Canada (Procureur général), 2001 CAF 248, au paragraphe 38).

[12]           Les appels de la division générale du Tribunal de la sécurité sociale devant la division d’appel sont régis par la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 [LMEDS]. Un appel devant la division d’appel ne peut être interjeté que dans les cas suivants : a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence; b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; ou c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance (paragraphe 58(1) de la LMEDS; Canada (Procureur général) c. O’keefe, 2016 CF 503, au paragraphe 29). La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel « n’a aucune chance raisonnable de succès » (paragraphe 58(2) de la LMEDS).

[13]           Mme Ingram soutient que la division d’appel a conclu de manière déraisonnable que la division générale avait appliqué le bon critère juridique en déterminant qu’elle n’était pas invalide. Elle déclare que la division générale a omis de soupeser tous les éléments de preuve dans l’évaluation de la gravité de son invalidité. Elle indique notamment que la division générale a mis indûment l’accent sur les revenus gagnés après la PMA et sur sa capacité d’accomplir ses tâches au travail, et qu’elle n’a pas suffisamment tenu compte de la preuve sur son état de santé.

[14]           Le défendeur prétend que la décision de la division d’appel est raisonnable, et que cette dernière a appliqué correctement le critère permettant d’établir l’existence d’une « chance raisonnable de succès » (citant Tracey; Canada (Développement des Ressources Humaines) c. Hogervorst, 2007 CAF 41; Fancy c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 63 [Fancy]). Le défendeur maintient que la section d’appel a examiné les questions de droit et de fait soumises par Mme Ingram, et qu’elle a fourni une explication raisonnable quant à sa conclusion selon laquelle la division générale ne s’était pas fondée exclusivement sur les revenus de Mme Ingram pour les années 2013, 2014 et 2015, mais qu’elle avait également tenu compte de la [traduction] « multitude » de problèmes médicaux ayant une incidence sur sa demande.

[15]           La division générale a reconnu que Mme Ingram satisfaisait au critère d’invalidité grave en 2008, qu’elle n’avait touché aucun revenu pour les années 2010, 2011 ou 2012 et qu’elle n’avait gagné qu’un salaire modeste pour les années 2013 et 2014. La division générale a également reconnu que Mme Ingram avait gagné ce salaire modeste seulement en se [traduction] « punissant » à travailler malgré la douleur considérable, ce qui allait à l’encontre de l’avis de son médecin de famille. La division générale semble également avoir reconnu que l’état de santé de Mme Ingram ne s’améliorerait pas. Il est difficile de faire concorder ces conclusions avec la décision ultime de la division générale selon laquelle la demande de Mme Ingram devrait être rejetée au motif qu’elle n’était pas atteinte d’une invalidité suffisamment grave.

[16]           Le critère permettant d’accorder l’autorisation d’interjeter appel d’une décision de la division générale est bas : [traduction] « aucune chance raisonnable de succès ». Cela a été interprété comme signifiant qu’un appelant doit établir une [traduction] « cause défendable » (Fancy, au paragraphe 4). À la lumière des incohérences internes émanant de la décision de la division générale et de l’hypothèse évidente que cette dernière a formulée voulant que Mme Ingram doive continuer à ignorer les conseils de son médecin et conserver son emploi malgré la douleur invalidante, j’estime qu’il était déraisonnable que la division d’appel conclue que l’appel de Mme Ingram était sans fondement.

[17]           La demande de contrôle judiciaire est donc accueillie et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la division d’appel pour nouvel examen.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale pour nouvel examen.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1157-16

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

CAROL INGRAM c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 mars 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 6 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Robert Coulombe

 

Pour la demanderesse

 

Hasan Junaid

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Clinique juridique Stormont, Dundas et Glengarry

Avocats

Cornwall (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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