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Date : 20170301


Dossier : IMM‑2853‑15

Référence : 2017 CF 247

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2017

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

LIGIA MERCEDES ROSALES STEVES

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Ligia Mercedes Rosales Steves est une réfugiée au sens de la Convention qui vient du Nicaragua. Après avoir obtenu l’asile, un agent d’immigration a décidé qu’elle était interdite de territoire au Canada pour des raisons de sécurité parce qu’elle avait été membre, dans le passé, du Frente Sandanista de Liberacion Nacional (FSLN), une organisation à l’égard de laquelle il existe des motifs raisonnables de croire qu’elle s’est livrée au terrorisme.

[2]               En juin 2002, Mme Rosales Steves a déposé une demande de dispense ministérielle de la conclusion d’interdiction de territoire, conformément à la division 19(1)f)(iii)(B) en vigueur à l’époque de la Loi sur l’immigration, L.R.C. 1985, ch. I‑2. En raison de l’entrée en vigueur de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 en 2003, la demande de dispense ministérielle de Mme Rosales Steves a enfin été tranchée en vertu du paragraphe 34(2) de la LIPR.

[3]               Le paragraphe 34(2) de la LIPR confère au ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile le pouvoir d’accorder une dispense d’une conclusion d’interdiction de territoire si un demandeur peut convaincre le ministre que « sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national ».

[4]               Pour des raisons qui n’ont pas été entièrement expliquées, aucune décision n’a été prise concernant la demande de Mme Rosales Steves pendant environ 13 ans. Toutefois, dans une décision en date du 27 mai 2015, sa demande de dispense ministérielle a été refusée par l’honorable Steven Blaney, qui était alors le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

[5]               Mme Rosales Steves soutient qu’elle a été traitée injustement dans le cadre du processus lié à la dispense ministérielle puisque sa demande de prorogation de délai a été refusée et que cette prorogation lui aurait permis d’obtenir les résultats des demandes qu’elle a présentées en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P‑21, avant d’avoir à présenter ses observations concernant une note d’information provisoire qui avait été rédigée à l’intention du ministre. Elle fait également valoir que la décision du ministre était déraisonnable puisqu’il n’a pas bien évalué la question de savoir si sa présence serait préjudiciable à la sécurité nationale et à la sécurité publique.

[6]               Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que Mme Rosales Steves n’a pas établi qu’elle a été traitée injustement dans le cadre du processus lié à la dispense ministérielle ni que la décision du ministre était déraisonnable. Sa demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.

I.                   Faits

[7]                Mme Rosales Steves est une citoyenne du Nicaragua. En 1978 ou en 1979, elle s’est portée volontaire pour devenir membre de la section jeunesse du FSLN. Elle a déclaré qu’elle avait été incitée à y devenir membre en raison de son appui des positions politiques du FSLN. Durant la période pendant laquelle elle était un membre de la section jeunesse du FSLN, Mme Rosales Steves a assisté à des réunions, a distribué des brochures et d’autres communications portant sur le groupe et elle a été informée au sujet du marxisme‑léninisme. Elle a également suivi un entraînement militaire et une formation sur les armes.

[8]               En 1979, Mme Rosales Steves a été impliquée dans une confrontation entre le FSLN et des membres du régime Somoza au cours de laquelle elle a tiré en direction des membres de la garde nationale. Les soldats ont ouvert le feu et ont blessé Mme Rosales Steves à l’œil.

[9]               À la suite du renversement du régime Somoza en 1979, Mme Rosales Steves est devenue une agente du service de police de la circulation auprès du nouveau gouvernement FSLN. Pendant cette période, elle a été témoin d’un incident au cours duquel un policier du FSLN a assassiné un ancien agent du régime Somoza dans la rue.

[10]           En 1980 ou en 1981, Mme Rosales Steves est devenue membre des forces armées du FSLN, l’Ejercito Popular Sandinista (EPS). Mme Rosales Steves a déclaré à maintes reprises qu’elle a été enrôlée dans l’EPS, qu’elle est devenue membre de la force afin de suivre des cours universitaires et qu’elle en est devenue membre volontairement.

[11]           Même si elle était membre de l’EPS, Mme Rosales Steves a suivi une formation supplémentaire sur les armes, y compris sur le fonctionnement d’une artillerie antiaérienne. Ses fonctions auprès de l’EPS comprenaient l’exécution de travaux agricoles, des fonctions d’opératrice radio et d’infirmière.

[12]           Mme Rosales Steves a également exercé des activités en liaison avec la direction générale des forces spéciales de la police militaire dans le cadre desquelles elle a aidé à déplacer de force divers peuples autochtones de leur territoire. Toutefois, dans une entrevue avec le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), Mme Rosales Steves a indiqué qu’elle s’était opposée à cette affectation et qu’elle avait été réprimandée par l’EPS.

[13]           En 1985, Mme Rosales Steves était chargée de l’analyse des documents qui devaient être utilisés aux fins d’un projet de construction. Elle a finalement constaté qu’elle contribuait à un projet illégal de déforestation et a tenté de quitter le domaine militaire dans lequel elle travaillait. Mme Rosales Steves a en fin de compte été appréhendée et emprisonnée pendant plusieurs mois au cours desquels elle a été agressée sexuellement à maintes reprises par le commandant de la base.

[14]           En 1987 ou en 1988, Mme Rosales Steves a été affectée à la conception d’une base militaire secrète dont elle pensait qu’elle devait servir pour des interrogatoires et la torture de prisonniers. Elle déclare qu’elle a demandé plusieurs nouvelles affectations de ce projet et qu’elle a également présenté plusieurs demandes de libération de son service militaire. Cependant, ses demandes ont été refusées parce qu’elle [traduction] « en savait trop ».

[15]           En 1988 et en 1989, Mme Rosales Steves a quitté deux fois le Nicaragua. En 1988, elle est venue au Canada pour rendre visite à ses parents et elle est retournée au Nicaragua à la fin de son séjour. En 1989, elle indique qu’elle a démissionné de l’EPS et qu’elle a déménagé en Italie pour travailler en tant qu’artiste. Selon Mme Rosales Steves, ses voyages à l’étranger constituaient des tentatives de se dissocier de l’EPS, puisqu’elle était désillusionnée au sujet de l’organisation en raison de son recours à la violence.

[16]           Mme Rosales Steves est retournée au Nicaragua en 1990, lorsque le FSLN a perdu le pouvoir et elle est redevenue membre de l’EPS. Mme Rosales Steves a déclaré à maintes reprises qu’elle avait été contrainte de le faire, qu’elle avait été enlevée et forcée de le faire, et qu’elle l’a fait parce qu’elle croyait que l’EPS avait peut‑être changé en raison du fait que le FSLN avait perdu le pouvoir.

[17]           Elle a déclaré que, pendant les années entre 1990 et 1993, elle a fait l’objet de plusieurs menaces et tentatives d’assassinat en raison de ses connaissances des activités de l’EPS. En 1992, elle a été envoyée au Salvador pour recueillir des armes pour l’EPS. Cependant, elle indique qu’elle a refusé d’achever l’opération parce qu’elle ne souhaitait plus être membre de l’EPS. En conséquence, elle a fui le Salvador, est retournée au Nicaragua et elle est entrée dans la clandestinité.

[18]           En mai 1993, Mme Rosales Steves est allée au Costa Rica en vue d’obtenir un visa de visiteur afin de venir au Canada. Elle est ensuite retournée au Nicaragua. Le 30 mai 1993, Mme Rosales Steves a quitté le Nicaragua pour venir au Canada.

II.                Historique de Mme Rosales Steves en matière d’immigration

[19]           Plusieurs mois après son arrivée au Canada, Mme Rosales Steves a demandé l’asile. Il a été décidé qu’elle était une réfugiée au sens de la Convention en 1994. Une semaine plus tard, Mme Rosales Steves a présenté une demande de résidence permanente au Canada. Sa demande a été approuvée dans son principe en octobre 1994.

[20]           Mme Rosales Steves a été interrogée par un agent du SCRS au sujet de sa participation au FSLN et à l’EPS en 1995 et elle a été interrogée une nouvelle fois, cette fois‑ci par un agent de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) en janvier 2002.

[21]           Le 30 mai 2002, Mme Rosales Steves a été informée par CIC qu’il était d’avis qu’elle était interdite de territoire au Canada parce qu’elle avait été membre d’une organisation terroriste, en vertu de la division 19(1)f)(iii)(B) de la Loi sur l’immigration. Elle a par ailleurs été informée que sa demande de résidence permanente ne serait pas examinée davantage. CIC l’a également informé qu’elle pouvait demander une dispense ministérielle en vertu de l’alinéa 19(1)f) de la Loi sur l’immigration. Mme Rosales Steves a demandé une dispense ministérielle de son interdiction de territoire le 10 juin 2002.

[22]           En février 2006, Mme Rosales Steves a été interrogée par un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) au sujet de sa participation auprès du FSLN et de l’EPS. Environ sept ans plus tard, en mars 2013, le président de l’ASFC lui a donné une note d’information dans laquelle il était recommandé que le ministre refuse la dispense de son interdiction de territoire. En mai 2013, Mme Rosales Steves a fourni des observations en réponse à cette note provisoire.

[23]           La recommandation provisoire préparée aux fins d’examen par le ministre a été examinée à la lumière de la décision de la Cour suprême du Canada dans Agraira c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2013 CSC 36, [2013] 2 R.C.S. 559. Le 17 septembre 2014, l’ASFC a communiqué une recommandation révisée provisoire à Mme Rosales Steves. Cette recommandation révisée recommandait une fois de plus le refus de sa demande de dispense ministérielle. Un délai de 60 jours a été accordé à Mme Rosales Steves pour répondre à la recommandation provisoire.

[24]           Le 10 octobre 2014, l’avocat à ce moment‑là de Mme Rosales Steves a demandé une prorogation du délai jusqu’au 10 décembre 2014 pour fournir ses observations quant à la recommandation provisoire. La raison donnée concernant cette demande était de permettre à Mme Rosales Steves de retenir les services d’un avocat plus chevronné dans ce domaine. La demande a été accordée par l’ASFC.

[25]           Mme Rosales Steves a retenu les services du Bureau du droit des réfugiés au début de décembre 2014 et des demandes d’accès à l’information et protection des renseignements personnels (AIPRP) ont été présentées en son nom auprès de SCRS, de l’ASFC et de CIC le 3 décembre 2014. L’avocat indique que ces demandes avaient été présentées afin de s’informer au sujet de l’historique long et complexe de l’affaire. Le même jour, le nouvel avocat de Mme Rosales Steves a demandé une autre prorogation de 90 jours pour fournir ses observations afin que son avocat puisse se familiariser avec le dossier et pour permettre de recevoir les réponses aux demandes d’AIPRP qui venaient d’être présentées en son nom. Cette fois‑ci, l’ASFC était uniquement disposée à lui accorder une prorogation supplémentaire de 60 jours pour fournir ses observations.

[26]           Au début de février 2015, Mme Rosales Steves avait obtenu une réponse à sa demande d’AIPRP du SCRS. Toutefois, elle n’avait obtenu aucune réponse de l’ASFC ou de CIC. En conséquence, elle a demandé une autre prorogation de délai. En réponse, l’ASFC a indiqué qu’elle n’était pas tenue d’attendre de soumettre sa recommandation au ministre jusqu’à ce que les demandes d’AIPRP soient respectées. Néanmoins, l’ASFC a accordé à Mme Rosales Steves une autre prorogation jusqu’au 23 février 2015 pour présenter ses observations. Elle a également été informée qu’elle pourrait fournir des observations supplémentaires jusqu’à ce que le ministre ait rendu sa décision relative à sa demande de dispense ministérielle.

[27]           Le 23 février 2015, Mme Rosales Steves a fourni ce qu’elle a appelé des [traduction] « observations préliminaires » sur la recommandation provisoire. Mme Rosales Steves n’a fourni aucun autre document ni aucune autre observation à l’ASFC et le 12 mai 2015, le président de l’ASFC a fourni au ministre son rapport dans lequel il recommandait le refus de la dispense ministérielle. Le 27 mai 2015, le ministre a refusé la demande de dispense ministérielle présentée par Mme Rosales Steves en déclarant qu’il [traduction] « n’était pas convaincu que la présence de Mme Ligia Rosales Steves au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national ».

III.             Mme Rosales Steves a‑t‑elle été traitée injustement dans le cadre du processus lié à la dispense ministérielle?

[28]           Tel que cela a été indiqué dans l’introduction des motifs, Mme Rosales Steves soutient que le refus de l’ASFC de lui accorder une autre prorogation de délai pour fournir ses observations en réponse à la note d’information provisoire a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale dans le processus lié à la dispense ministérielle. Puisqu’elle était tenue de présenter ses observations avant d’obtenir les réponses à certaines de ses demandes d’AIPRP, Mme Rosales Steves affirme que son avocat a été empêché d’examiner son historique complet en matière d’immigration, plutôt que simplement les documents invoqués par l’ASFC pour formuler sa recommandation de refuser sa demande de dispense ministérielle.

[29]           Je ne retiens pas cet argument.

[30]           Lorsqu’une question d’équité procédurale est soulevée, la Cour doit décider si le processus suivi par le décideur respectait le niveau d’équité requis dans l’ensemble des circonstances : voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 R.C.S. 339.

[31]           La Cour suprême du Canada a conclu, dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 30 à 34, 174 D.L.R. (4th) 193, que les principes d’équité procédurale exigent qu’une partie soit accordée une possibilité réelle de participer à l’instance et de présenter entièrement et équitablement sa thèse. Ce principe doit être appliqué de manière souple, selon la nature de l’instance, en mettant l’accent sur la question essentielle de savoir si on a accordé à la partie une possibilité réelle de participer à la procédure.

[32]           Il est clair qu’une possibilité réelle de participer au processus décisionnel du ministre a été accordée à Mme Rosales Steves : une ébauche de la note d’information lui a été fournie en mars 2013 et la note d’information révisée lui a été fournie le 17 septembre 2014. Il a fallu environ deux mois et demi pour que Mme Rosales Steves retienne les services d’un nouvel avocat. Plusieurs prorogations de délai lui ont été accordées pour répondre à la recommandation provisoire du président de l’ASFC. Même lorsque l’ASFC a déclaré qu’elle devait fournir ses observations au plus tard le 23 février 2015, elle a également été informée qu’elle pourrait présenter des observations supplémentaires jusqu’à ce que le ministre ait rendu sa décision relative à sa demande. Le ministre a rendu sa décision le 27 mai 2015 et à cette date, Mme Rosales Steves n’avait fourni aucune autre observation.

[33]           Mme Rosales Steves a obtenu une réponse rapide du SCRS concernant sa demande d’AIPRP et elle avait obtenu les documents du SCRS au début de février 2015. Il aurait donc été loisible à Mme Rosales Steves de mentionner ces documents dans ses observations en date du 23 février 2015 si elle était d’avis que le contenu de ces documents lui serait utile. Elle a évidemment obtenu une réponse à sa demande d’AIPRP de la part de CIC le 20 mai 2015. Elle aurait donc pu présenter des observations relatives aux documents de CIC si elle estimait qu’elles lui auraient été utiles puisque le ministre n’avait pas encore rendu sa décision.

[34]           Selon son avocat, Mme Rosales Steves ne voulait pas présenter des observations concernant les documents qu’elle avait obtenus dans le cadre du processus d’AIPRP jusqu’à ce qu’elle ait obtenu les réponses à toutes ses trois demandes.

[35]           L’ASFC n’a pas répondu à la demande d’AIPRP de Mme Rosales Steves avant le 8 décembre 2015 – soit un peu plus d’un an après le dépôt de sa demande. Comme l’indique Mme Rosales Steves, c’était l’ASFC qui avait utilisé des moyens dilatoires pour répondre à sa demande d’AIPRP alors qu’elle exerçait en même temps une pression sur Mme Rosales Steves afin qu’elle réponde à la recommandation provisoire. Elle soutient en outre qu’il n’était pas approprié que l’ASFC la pousse à répondre rapidement à la recommandation provisoire lorsqu’il a fallu un peu plus d’une décennie pour que l’Agence traite sa demande de dispense ministérielle.

[36]           Le problème concernant l’argument de Mme Rosales Steves est que, même si je conclus qu’une autre prorogation de délai aurait dû lui être accordée pour présenter ses observations, il ne ressort aucunement de la preuve dont je suis saisie qu’elle a subi un préjudice quelconque en raison du fait qu’elle a été forcée de répondre à la recommandation provisoire du président de l’ASFC avant qu’elle n’ait obtenu une réponse de l’ASFC concernant sa demande d’AIPRP.

[37]           Mme Rosales Steves a fourni des observations détaillées et complètes en février 2015 en réponse à la recommandation provisoire du président de l’ASFC et elle n’a pas expliqué les autres renseignements qu’elle aurait fournis pour aider sa cause si elle avait disposé d’un délai supplémentaire pour présenter des observations.

[38]           Même s’il est vrai que les demandes de contrôle judiciaire sont habituellement jugées sur la base du dossier dont disposait le décideur initial, de nouveaux éléments de preuve peuvent être admis dans des circonstances limitées. Une telle circonstance a lieu lorsqu’une question d’équité procédurale est soulevée : voir Ordre des architectes de l’Ontario c. Assn. of Architectural Technologists of Ontario, 2002 CAF 218, au paragraphe 30, [2003] 1 R.C.F. 331.

[39]           Mme Rosales Steves a maintenant obtenu une réponse aux trois demandes d’AIPRP. Il lui aurait donc été loisible de fournir à la Cour un affidavit à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire auquel étaient jointes des copies des documents dont elle soutient qu’elles l’auraient aidée si elle avait eu l’occasion de les présenter au ministre. Elle aurait pu également expliquer l’importance des documents et la façon dont son incapacité de les présenter au ministre lui a causé un préjudice. Cependant, elle a choisi de ne pas fournir un tel affidavit.

[40]           Tel que le juge Evans l’a indiqué dans Lin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1999), 171 F.T.R. 289, [1999] A.C.F. no 1148, les vices de procédure n’exigent pas tous une nouvelle audience. Le dépôt d’éléments de preuve qui auraient pu changer l’issue de l’audience aidera à la Cour à décider si l’iniquité procédurale était suffisamment grave pour exiger une nouvelle audience : au paragraphe 23.

[41]           Mme Rosales Steves n’a déposé aucun élément de preuve qui démontre que les dossiers provenant du SCRS, de CIC ou de l’ASFC comportaient des renseignements qui l’auraient aidé d’une façon quelconque. Elle n’a pas non plus indiqué les renseignements qu’elle a obtenus à l’aide de ses demandes d’AIPRP qui lui étaient antérieurement inconnus. En l’absence d’une preuve du préjudice subie par Mme Rosales Steves en raison du refus d’une autre prorogation de délai, je ne suis pas convaincue qu’une iniquité procédurale est survenue qui justifierait l’annulation de la décision du ministre concernant sa demande de dispense ministérielle.

IV.              La décision du ministre était-elle raisonnable?

[42]           Une décision d’accorder ou de refuser une dispense ministérielle est de nature discrétionnaire et la cour réformatrice doit donc faire preuve de retenue : Agraira, précitée, aux paragraphes 49 et 50. La norme de contrôle applicable à la décision du ministre en l’espèce est donc celle de la décision raisonnable.

[43]           Avant d’examiner les arguments de Mme Rosales Steves, il convient de commencer en indiquant que c’est au demandeur de dispense ministérielle qu’il appartient de convaincre le ministre que sa présence au Canada ne serait nullement préjudiciable à l’intérêt national : Al Yamani c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2007 CF 381, au paragraphe 69, 311 F.T.R. 193.

[44]           Lorsque, comme en l’espèce, le ministre adopte la recommandation figurant dans la note d’information de l’ASFC, cette note d’information sera considérée comme les motifs de la décision du ministre : Al Yamani, précitée, au paragraphe 52; Haj Khalil c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2014 CAF 213, au paragraphe 29, [2014] A.C.F. no 964.

[45]           Le critère que le ministre doit appliquer pour décider si une dispense ministérielle devrait être accordée dans un cas donné a été énoncé par la Cour suprême dans Agraira, précitée. Dans cet arrêt, la Cour a conclu « qu’un large éventail de facteurs peuvent s’avérer pertinents à l’égard de la détermination du contenu de l’“intérêt national” pour les besoins de la mise en œuvre du par. 34(2) » : au paragraphe 87. En général, le ministre devrait être guidé par les facteurs énumérés dans les lignes directrices de CIC concernant l’« intérêt national », notamment :

1.         La présence du demandeur au Canada est‑elle inconvenante pour le public canadien?

2.         Les liens du demandeur avec l’organisation/le régime sont‑ils complètement rompus?

3.         Y a‑t‑il des indications quelconques que le demandeur pourrait bénéficier d’un avoir obtenu lorsqu’il était membre de l’organisation??

4.         Y a‑t‑il des indications quelconques que le demandeur pourrait retirer des bénéfices de son appartenance passée à l’organisation/au régime?

5.         Le demandeur a‑t‑il adopté les valeurs démocratiques de la société canadienne?

Agraira, précitée, au paragraphe 87 et annexe D

[46]           Une interprétation de l’intérêt national qui a trait principalement à la sécurité nationale et la sécurité publique, mais qui n’écarte pas les autres considérations est raisonnable : Agraira, précitée, au paragraphe 88.

[47]           Mme Rosales Steves ne conteste pas le fait qu’elle avait été « membre » du FSLN ni que le FSLN s'était livré à des actes de terrorisme. Elle soutient toutefois qu’il existe plusieurs raisons pour lesquelles la décision du ministre était déraisonnable.

[48]           Mme Rosales Steves soutient que, lorsqu’il a évalué l’intérêt national en l’espèce, le ministre a commis une erreur lorsqu’il a mis l’accent exclusivement sur le recours antérieur à la violence dont avait fait preuve le FSLN dans le passé. Le ministre n’a pas tenu compte de la nature actuelle du FSLN ni n’a soupesé celle-ci, y compris le fait qu’elle était devenue le gouvernement démocratiquement élu du Nicaragua et que le gouvernement maintient des relations démocratiques avec le gouvernement FSLN. Le ministre n’a pas non plus tenu compte du fait que le FSLN n’a pas été identifié ni par le gouvernement du Canada ni par aucun autre pays comme une entité terroriste, ni n’a soupesé celui-ci.

[49]           Toutefois, un examen des motifs du ministre révèle qu’il a traité expressément le fait que le FSLN n’était pas identifié comme une entité terroriste en indiquant qu’il ne s’agissait pas d’un élément requis d’aucune des dispositions de la LIPR ayant trait à l’interdiction de territoire ou à la dispense ministérielle. Le ministre mentionne également le recours au terrorisme dont a fait preuve le FSLN afin de réaliser des objectifs politiques avant, pendant et après la prise du pouvoir au Nicaragua en tant qu’élément contraire à l’intérêt national du Canada et aux valeurs canadiennes.

[50]           Le ministre a également indiqué l’amélioration des relations bilatérales entre le Canada et le Nicaragua. Toutefois, il a observé que les activités d’organisations qui entraînent l’interdiction de territoire d’une personne ne se limitent pas aux activités actuelles de l’organisation, mais comprennent également les activités antérieures de l’organisation.

[51]           Mme Rosales Steves fait valoir que, même si l’évaluation du ministre de l’intérêt national doit être axée principalement sur les considérations de sécurité nationale et de sécurité publique, il est également tenu de tenir compte d’un large éventail d’autres facteurs, tel que cela est énoncé à l’annexe 10 du chapitre 10 du guide opérationnel Traitement des demandes au Canada de CIC. Mme Rosales Steves soutient que, lorsqu’il a fondé sa décision sur sa participation antérieure auprès du FSLN, le ministre a omis de tenir compte du fait qu’elle n’était pas associée avec l’organisation depuis plus de 20 ans et qu’elle n’a aucun casier judiciaire au Canada.

[52]           Toutefois, il ressort clairement d’un examen des motifs du ministre qu’il a tenu compte de tous les éléments de preuve et de tous les arguments présentés par Mme Rosales Steves. Même s’il clairement accordé plus de poids aux préoccupations concernant les conséquences de la présence continue de Mme Rosales Steves au Canada sur la sécurité nationale et la sécurité publique, le ministre a déclaré expressément qu’il avait également tenu compte d’autres facteurs, comme l’absence d’un casier judiciaire et le fait qu’elle n’avait eu aucune association avec le FSLN ni participé à ses activités depuis plus de 20 ans. Le ministre avait également tenu compte du statut de réfugiée au sens de la Convention de Mme Rosales Steves, de son établissement au Canada, de ses activités communautaires et de l’aide qu’elle donne à sa famille.

[53]           Mme Rosales Steves affirme que le ministre a également commis une erreur lorsqu’il n’a pas évalué directement si sa présence est préjudiciable à la sécurité nationale ou à la sécurité publique. Elle fait valoir que, lorsqu’il a conclu que son appartenance antérieure à une organisation terroriste constituait un facteur déterminant à l’égard de sa demande de dispense, le ministre a confondu la question d’interdiction de territoire avec la dispense ministérielle. Mme Rosales Steves indique que la Cour a toujours conclu que le ministre commet une erreur lorsqu’il refuse une dispense simplement en raison de l’appartenance antérieure du demandeur à une organisation terroriste. Il en est ainsi parce que l’objet même du paragraphe 34(2) de la LIPR est d’accorder une dispense d’une conclusion selon laquelle une personne était un membre d’une organisation terroriste dans le passé : Kanann c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2008 CF 241, au paragraphe 7, [2008] A.C.F. no 301.

[54]           Je ne suis pas convaincue que le ministre a commis une erreur lorsqu’il a conclu que l’appartenance antérieure de Mme Rosales Steves au FSLN constituait un facteur déterminant à l’égard de sa demande de dispense ministérielle. Un examen attentif de la décision révèle que le ministre n’a pas refusé la dispense uniquement parce que Mme Rosales Steves avait été un membre d’une organisation terroriste. Le ministre avait également tenu compte de la nature et de la durée de sa participation aux activités de l’organisation (y compris le fait qu’elle y avait participé volontairement) et le fait qu’elle y a participé pendant une longue période. Le ministre a également tenu compte du fait que Mme Rosales Steves n’avait pas tenté de se dissocier de l’organisation lorsqu’elle a été témoin au recours au terrorisme et à la violence dont a fait preuve le FSLN afin de réaliser ses objectifs politiques. En fait, la décision du ministre selon laquelle sa demande ne justifiait pas une dispense était fondée sur ce fait.

[55]           L’argument de Mme Rosales Steves selon lequel le ministre n’a pas respecté les facteurs énoncés à l’annexe D d’Agraira ne doit pas non plus être retenu. Le ministre n’est pas tenu de tenir compte de chaque facteur énoncé à l’annexe D, mais il n’est tenu que de tenir compte des facteurs qu’il estime être pertinents aux faits particuliers du dossier. En l’espèce, il est évident que c’est ce qu’a fait le ministre et, par conséquent, sa décision appartient aux issues raisonnables et acceptables au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 R.C.S. 190.

[56]           Je suis d’accord avec le ministre pour dire que, à la fin de la journée, ce que Mme Rosales Steves me demande est de soupeser de nouveau les éléments de preuve dont était saisi le ministre et de parvenir à un autre résultat. Ce n’est pas le rôle de la Cour qui siège en révision d’une décision ministérielle.

V.                 Conclusion

[57]           Pour ces motifs, Mme Rosales Steves n’a pas établi qu’elle a été traitée injustement dans le cadre du processus lié à la dispense ministérielle. Par ailleurs, je suis convaincue que la décision du ministre appartient aux issues possibles et acceptables étant donné les faits et le droit. Sa demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[58]           Je suis d’accord avec les parties que l’affaire est axée sur les faits et qu’elle ne soulève aucune question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Anne L. Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑2853‑15

 

INTITULÉ :

LIGIA MERCEDES ROSALES STEVES c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 FÉVRIER 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er MARS 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Samuel Loeb

Me Andrew Brouwer

 

pour la demanderesse

 

Me Brad Gotkin

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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