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Date : 20170224


Dossier : IMM-1593-16

Référence : 2017 CF 229

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 24 février 2017

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

YUTAO DONG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La demanderesse, Yutao Dong (Mme Dong), attaque une décision de la Section d’appel de l’immigration (SAI) datée du 1er avril 2016. Mme Dong a payé pour contracter un mariage de complaisance en vue d’immigrer au Canada. Elle entretient maintenant une relation avec l’homme qui l’avait aidée dans la planification du mariage de complaisance et ils ont eu un enfant ensemble. La Section d’appel de l’immigration a rejeté sa demande de dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, dans laquelle elle a invoqué l’intérêt supérieur de ses enfants. Pour les motifs qui suivent, je rejette la demande de contrôle judiciaire.

II.  Résumé des faits

[2]  Mme Dong est une citoyenne de la République populaire de Chine. En 2002, grâce à un permis de quatre ans, elle est venue au Canada pour faire des études à Nanaimo, en Colombie-Britannique. Après six mois, elle a abandonné ses études pour retourner en Chine. Elle est ensuite revenue au Canada et a entrepris illicitement des études à Toronto, en Ontario. Bien qu’elle ait été sommée de quitter le Canada, Mme Dong est restée illégalement. En juillet 2006, elle a épousé Benjamin Weigensberg, un citoyen canadien. Le 26 mai 2011, son époux a présenté une demande de parrainage qui a permis à Mme Dong d’acquérir la qualité de résidente permanente. Elle a engagé une procédure de divorce en 2012, lequel a été prononcé en 2013.

[3]  À la fin de 2012, l’Agence des services frontaliers du Canada a mené une enquête parce qu’elle soupçonnait Mme Dong d’avoir contracté un mariage de complaisance. Le 21 février 2014, un agent a renvoyé son dossier à la Section de l’immigration. La Section de l’immigration a déclaré Mme Dong interdite de territoire au Canada pour fausses déclarations et une mesure d’exclusion a été prise à son égard. Mme Dong n’a pas contesté la validité de la décision, mais elle a interjeté appel en sollicitant une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[4]  La Section d’appel de l’immigration a examiné les faits tels qu’ils ont été établis par la Section de l’immigration et convenus par les avocats. M. Allen Lu Chun Chen (Allen Chen) a présenté à Mme Dong les deux propriétaires d’un restaurant qui organisait fréquemment de fausses réceptions de mariage. Quand Mme Dong et Allen Chen se sont rencontrés, il était marié et père de deux enfants. Ils allèguent qu’ils ont commencé à entretenir une relation en 2006. Selon ses dires, Allen Chen dormait à la maison avec sa femme, mais il voyait Mme Dong tous les jours. Il est actuellement séparé de sa femme, mais il n’a pas l’intention de divorcer avant que ses enfants (nés en 1992 et en 1999) entrent à l’université. En plus de présenter Mme Dong aux deux personnes qui ont organisé son faux mariage, il a versé une somme de 25 000 $ en son nom.

[5]  Le fils d’Allen Chen et de Mme Dong, William, est né en juillet 2014. Ils auraient commencé à vivre ensemble après la naissance de William. Les autres enfants d’Allen Chen n’ont jamais rencontré Mme Dong, et il semble que sa femme et ses autres enfants ignorent tout de leur relation. Il affirme qu’il les voit presque tous les jours et qu’il subvient à leurs besoins. Au moment de l’audience devant la Section d’appel de l’immigration, William était âgé de 20 mois et Mme Dong était de nouveau enceinte. Sa fille est née en mars 2016.

[6]  La Section d’appel de l’immigration a examiné les dispositions législatives applicables et la jurisprudence présentées par son avocat. À l’issue d’une nouvelle audience, la Section d’appel de l’immigration a conclu que les éléments de preuve présentés par Mme Dong n’étaient pas suffisants pour justifier l’octroi d’une dispense fondée sur des motifs d’ordre humanitaire.

[7]  Après avoir soupesé l’ensemble des facteurs, la Section d’appel de l’immigration a tranché que les fausses déclarations de Mme Dong portaient atteinte à l’intégrité du système d’immigration et qu’il fallait décourager de tels agissements. En dépit des conséquences graves qu’aurait son renvoi sur sa famille et le poids favorable accordé à l’intérêt supérieur des enfants, la Section d’appel de l’immigration a estimé qu’après des années de déclarations trompeuses graves et délibérées, il était temps pour Mme Dong d’assumer les conséquences de ses gestes. La Section d’appel de l’immigration a rejeté son appel.

III.  Questions en litige

[8]  Mme Dong a présenté six questions qui pourraient faire en sorte que la décision de la Section d’appel de l’immigration soit déclarée déraisonnable :

  1. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de l’intérêt supérieur des enfants, et particulièrement de celui de l’enfant à naître au moment de l’audience?
  2. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle effectivement omis de tenir compte de certains facteurs compensatoires parce qu’elle a été obnubilée par la gravité des fausses déclarations de Mme Dong?
  3. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle conclu de manière déraisonnable que Mme Dong n’éprouvait pas de remords?
  4. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle indûment fait abstraction de l’union de fait actuelle de Mme Dong sans tenir compte des éléments de preuve?
  5. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle négligé de reconnaître que Mme Dong pouvait être parrainée par son conjoint de fait actuel au terme d’une période d’interdiction de cinq ans pour fausse déclaration?
  6. La Section d’appel de l’immigration a-t-elle commis une erreur en omettant d’envisager un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi en guise de compromis?

[9]  À mon avis, la question déterminante en l’espèce est celle de savoir s’il était raisonnable pour la Section d’appel de l’immigration de refuser d’accorder une dispense pour motifs d’ordre humanitaire.

IV.  Discussion

[10]  La norme de révision raisonnable s’applique quand la Cour doit examiner une décision de la Section d’appel de l’immigration portant sur une dispense pour motifs d’ordre humanitaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12). Il convient de faire preuve d’une grande déférence à l’égard de cette mesure de redressement exceptionnelle et discrétionnaire.

[11]  Avant d’accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire, la Section d’appel de l’immigration doit appliquer les directives données dans Ribic c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 (QL) (les facteurs énoncés dans Ribic), adaptées aux fausses déclarations. Les facteurs énoncés dans Ribic sont parfaitement résumés dans la décision Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059, au paragraphe 11 :

[...] Je considère les facteurs suivants comme des éléments appropriés à prendre en considération pour l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans les cas d’appel fondés sur une fausse déclaration. [...]

• la gravité des fausses déclarations ayant entraîné la mesure de renvoi et les circonstances dans lesquelles elles ont eu lieu;

• les remords exprimés par l’appelant;

• le temps passé au Canada par l’appelant et son degré d’enracinement;

• la présence de membres de la famille de l’appelant au Canada et les conséquences que le renvoi aurait pour la famille;

• les intérêts supérieurs d’un enfant directement touché par la décision;

• le soutien que l’appelant peut obtenir de sa famille et de la collectivité; et

• l’importance des épreuves que subirait l’appelant s’il était renvoyé du Canada, y compris la situation dans le pays où il serait probablement renvoyé.

[12]  La Section d’appel de l’immigration jouit d’un pouvoir discrétionnaire considérable quant au poids à accorder à divers facteurs.

[13]  Mme Dong n’a pas présenté à la Section d’appel de l’immigration d’élément de preuve distinct concernant son enfant à naître et son enfant de 20 mois. Vu le très jeune âge des deux enfants, il est difficile de savoir en quoi leur intérêt est différent. Au moment de l’audience devant la Section d’appel de l’immigration, le second enfant n’était pas encore né, et l’agent n’aurait pu guère pousser plus loin l’analyse de son intérêt supérieur. Une analyse plus approfondie aurait reposé sur de pures hypothèses.

[14]  Mme Dong a affirmé que vu le jeune âge de ses enfants et le travail très prenant d’Allen Chen, ils ne pourraient pas rester au Canada avec lui. Elle se verrait forcée d’aller habiter chez ses parents, dans une région rurale de la Chine où la situation économique est difficile. Ses enfants n’auraient pas accès à une bonne école et, tout comme elle, ils seraient confrontés à des difficultés financières et autres. De plus, ses enfants auraient du mal à apprendre l’anglais et ils seraient exposés à la pollution, sans accès à des soins de santé.

[15]  Il a été argué devant moi que la Section d’appel de l’immigration n’a pas tenu compte de la difficulté accrue pour une mère seule de subvenir aux besoins non pas d’un, mais de deux enfants. Cela dit, Mme Dong n’avait pas présenté d’élément de preuve ni d’argument à ce sujet à la Section d’appel de l’immigration. Il ressort clairement du dossier, y compris de la transcription, qu’il a été tenu pour acquis que l’enfant à naître et l’enfant de 20 mois se trouvaient dans la même situation. La Section d’appel de l’immigration a parlé de l’intérêt supérieur « des enfants ». Vu la faible différence d’âge entre le bambin et l’enfant à naître, l’analyse de leur situation est quasi identique. Le simple fait que la Section d’appel de l’immigration n’a pas répété la même analyse deux fois ne me permet pas de conclure qu’une erreur a été commise. Je conclus que la Section d’appel de l’immigration a pris en considération l’intérêt de l’enfant de 20 mois et celui de l’enfant à naître.

[16]  Mme Dong se fonde en grande partie sur la décision Li c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2016 CF 451 [Li], en insistant sur la similarité entre cette cause et la sienne. Certains faits sont effectivement semblables, mais les deux causes sont différentes. Au paragraphe 35 de la décision Li, le juge Shore conclut que la Section d’appel de l’immigration semblait « croire que c’était son rôle de punir le demandeur pour ses fausses déclarations initiales », et qu’elle n’avait pas établi s’il y avait des considérations positives justifiant une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Ce n’est pas le cas en l’espèce : la Section d’appel de l’immigration a évalué correctement les facteurs énoncés dans Ribic et elle a tranché qu’il n’était pas justifié d’accorder une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire. Même si la femme de M. Li et Mme Dong étaient toutes les deux enceintes au moment de leurs audiences, M. Li n’avait aucun autre enfant à l’égard duquel une analyse de l’intérêt supérieur aurait dû être réalisée. Dans le dossier de Mme Dong, l’intérêt des enfants a été scruté à la loupe.

[17]  Dans toutes les autres questions soumises, Mme Dong soutient que la Section d’appel de l’immigration a omis d’examiner des facteurs pertinents ou qu’elle a tiré des conclusions erronées. Je ne suis pas de cet avis. Il incombait à Mme Dong de soumettre des éléments de preuve suffisants pour que la Section d’appel de l’immigration puisse se prononcer. Mme Dong me demande de réévaluer certains éléments de preuve, mais ce n’est pas mon rôle.

[18]  Le caractère raisonnable d’une décision tient à sa justification, à sa transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à son appartenance aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12). La Section d’appel de l’immigration a rendu une décision à la lumière des documents qui lui ont été présentés, et j’estime que ses conclusions appartiennent aux issues possibles raisonnables.

[19]  La demande est rejetée. Aucune question à certifier n’a été proposée, et il ne s’en est posée aucune.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1593-16

 

INTITULÉ :

YUTAO DONG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 novembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 24 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Daniel Kingwell

Pour la demanderesse

Suran Bhattacharyya

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mamann, Sandaluk & Kingwell LLP

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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