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Date : 20170224


Dossier : T-2025-11

Référence : 2017 CF 207

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 février 2017

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

BOMBARDIER PRODUITS RÉCRÉATIFS INC.

demanderesse/
défenderesse reconventionnelle

et

ARCTIC CAT INC. ET ARCTIC CAT SALES, INC.

défenderesses/
demanderesses reconventionnelles

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

(Jugement et motifs confidentiels rendus le 24 février 2017)


TABLE DES MATIÈRES

I. Introduction  5

II. Description des brevets  8

A. Le brevet 106  9

1) Divulgation  11

2) Revendications  17

B. Le brevet 813  21

1) Divulgation  21

2) Revendications  21

C. Le brevet 964  26

1) Divulgation  27

2) Revendications  33

D. Le brevet 264  40

1) Divulgation  41

2) Revendications  46

III. La preuve et les témoins  53

A. Les témoins de BRP  53

1) Jean-Yves Leblanc  53

2) José Boisjoli  55

3) Bruno Girouard  58

4) Berthold Fecteau  65

5) Jérôme Wubbolts  68

6) Peter Watson  71

7) Steward Strickland  74

8) Jonathan Cutler  78

9) Robert Strauss  87

10) Bernard Guy  89

B. Les témoins d’AC  95

1) Brad Darling  95

2) Ken Fredrickson  101

3) Brian Sturgeon  103

4) Douglas Wolter  106

5) Troy Halvorson  108

IV. Interprétation des revendications  116

A. Personne versée dans l’art  116

B. Connaissances générales courantes  119

C. Interprétation des brevets en litige  122

1) Les brevets sur la position du conducteur  129

2) Brevet concernant la construction du châssis (le brevet 264)  146

V. Contrefaçon  159

A. Le droit  160

B. Le brevet 264  161

C. Les brevets concernant la position avancée du conducteur  166

1) Le brevet 106  167

2) Le brevet 813  168

3) Le brevet 964  170

4) Selle disposée sur le tunnel  173

5) Les mesures  174

VI. Validité des brevets sur la position du conducteur  201

A. Le droit relatif à l’antériorité  203

B. Antériorité : application aux faits  211

C. Le droit relatif à l’évidence  226

D. Évidence : application aux faits  230

E. Divulgation adéquate : caractère indéfini et insuffisant  237

F. Le brevet 964 : autres arguments d’invalidité  262

1) Fausse déclaration importante  262

2) Le brevet 964 est antériorisé par le brevet 106 et le brevet 813.  264

3) Divulgation publique antérieure  265

VII. Objections  266

A. Contre-preuve et documents non énumérés dans les affidavits de documents  267

B. Questions de droit et essais  268

VIII. Conclusion  274

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit d’une action en contrefaçon en application de la Loi sur les brevets (LRC 1985, c P‑4) [Loi sur les brevets] intentée par Bombardier Produits Récréatifs Inc., un fabricant de motoneiges dont le siège social est au Canada, contre un autre fabricant de motoneiges, Arctic Cat, Inc., et sa société filiale en propriété exclusive, Arctic Cat Sales Inc., qui est responsable de la mise en marché, des ventes et des activités d’entretien des motoneiges Arctic Cat.

[2]  Bombardier Produits Récréatifs Inc. (BRP ou la demanderesse) est constituée en société en application de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (LRC 1985, c C-44). Elle fabrique et vend, entre autres produits récréatifs, des motoneiges sous la marque « Ski-Doo ». Son siège social demeure à Valcourt, au Québec, où elle a commencé ses activités. Issue d’une division de Bombardier Inc. qui fabriquait et vendait des motoneiges, Bombardier Produits Récréatifs Inc. a été dérivée de Bombardier Inc. en 2003. Elle est désormais exploitée individuellement en tant que personne morale.

[3]  De manière semblable, le siège social des défenderesses, deux sociétés constituées en vertu des lois de l’État du Minnesota, a été et continue d’être situé à Thief River, dans l’État du Minnesota. Elles exploitent également une entreprise de fabrication et de vente de motoneiges. Effectivement, la preuve au procès montrait que les parties sont en concurrence dans le même marché avec deux autres fabricants, Yamaha et Polaris.

[4]  Il n’est pas exagéré de dire que la concurrence entre les quatre principaux fabricants en Amérique du Nord est féroce sur un marché qui a été qualifié de [traduction] « mûr ». Il semble que les ventes de motoneiges sont en baisse depuis les dernières années.

[5]  Bombardier Produits Récréatifs Inc. poursuit en justice Arctic Cat, Inc. et Arctic Cat Sales Inc. (AC ou les défenderesses), car il est allégué qu’AC a contrefait quatre brevets détenus par BRP. Il s’agit des brevets canadiens 2,293,106, 2,485,813, 2,411,964 et 2,350,264. Ils seront désignés aux présentes comme le « brevet 106 », le « brevet 813 », le « brevet 964 » et le « brevet 264 ».

[6]  AC nie non seulement dans la présente action avoir contrefait les quatre brevets, mais fait également valoir l’invalidité de chacun des brevets pour différentes raisons : antériorité, évidence, double brevet, imprécision, absence d’utilité, revendiquer un résultat souhaité, revendications qui sont plus générales que l’invention faite, et fausse déclaration importante. Par conséquent, AC présente la demande reconventionnelle qui suit : elle demande une déclaration selon laquelle les revendications avancées des quatre brevets sont invalides, les rendant nulles et sans effet.

[7]  Ce procès comprenait également des éléments de preuve à propos des réparations demandées, en supposant qu’il y aurait une conclusion de contrefaçon de l’une ou de plusieurs des revendications avancées par BRP, les revendications étant jugées valides. BRP demande ce qui suit :

  • Une déclaration selon laquelle les quatre brevets ont été contrefaits par AC.

  • Une déclaration selon laquelle les quatre brevets sont valides; je fais remarquer qu’il n’y a aucune allégation selon laquelle BRP ne possède pas les brevets en litige.

  • Une ordonnance, de la nature d’une injonction permanente, empêchant AC de contrefaire l’ensemble ou n’importe lequel des quatre brevets en litige, en plus de vendre, de faire, d’utiliser ou de distribuer au Canada toute motoneige ou pièce de motoneige qui constituerait une contrefaçon de l’un de quatre brevets; en outre, l’ordonnance demandée empêcherait AC d’inciter à la vente, d’ordonner la vente, la fabrication, la construction ou l’utilisation ou la distribution au Canada d’une motoneige ou d’une pièce de motoneige constituant une contrefaçon de l’un des quatre brevets.

  • Même si la demanderesse ne demande pas une comptabilisation des bénéfices par les défenderesses, elle demande des dommages-intérêts qui comprennent une évaluation des bénéfices réalisés par AC pour la vente de motoneiges qui auraient été vendues par BRP, n’eût été la contrefaçon des brevets. En ce qui concerne les motoneiges restantes vendues par AC au moyen de la technologie élaborée et brevetée par BRP, une redevance raisonnable est demandée. BRP ne demande plus de dommages-intérêts punitifs, mais des intérêts avant et après jugement sont bien entendu demandés par la demanderesse.

  • Pour sa part, AC demande une déclaration selon laquelle elle n’a contrefait aucun des brevets ou selon laquelle les brevets sont invalides dans l’éventualité où l’on estime que certaines revendications ont été contrefaites.

  • Les deux parties demandent des dépens à un niveau supérieur à ce que prévoit l’article 407 des Règles des Cours fédérales (DORS/98‑106), dans sa version modifiée. Il a été décidé que des observations exhaustives seront présentées en ce qui concerne la question des dépens une fois que le jugement aura été rendu. En conséquence, le présent jugement ne tranchera pas la question des dépens.

  • Des 247 revendications provenant des quatre brevets en litige, 56 ont été revendiquées initialement par BRP couvrant quelque 378 (il y avait toujours une incertitude quant à la façon dont les modèles étaient visés par l’action jusqu’à la fin, lorsque l’avocat de BRP a avancé le nombre de 378) modèles de motoneige fabriqués et vendus par AC au Canada entre l’année de modèle 2007 et l’année de modèle 2015. La présente poursuite vise quelque 44 000 motoneiges, communément appelées « skidoo ».

II.  Description des brevets

[8]  Les quatre brevets en question dans la présente instance couvrent 247 revendications, desquelles 49 revendications demeurent revendiquées suite à la fin du procès. Trois des brevets (les 106, 813 et 964) sont liés à des inventions présumées, essentiellement de nouvelles configurations pour une motoneige, amenant le conducteur à une position plus avancée lorsqu’il est assis sur la motoneige, alors que le quatrième brevet (le 264) est lié à un châssis devant être utilisé dans la construction des motoneiges.

A.  Le brevet 106

[9]  Le brevet 106 est intitulé « Motoneige » (« Snowmobile ») et a été déposé le 23 décembre 1999. Il identifie Berthold Fecteau et Bruno Girouard en tant qu’inventeurs. Le brevet revendique une date de priorité canadienne au 23 décembre 1998 (à compter de la demande de brevet 2 256 944) et une date de priorité américaine au 26 novembre 1999 (à compter de la demande 60/167,614); cependant, dans le cadre du présent litige, les parties ont convenu de s’appuyer uniquement sur la date de priorité américaine. En fait, en fin de compte, rien ne repose sur ces différentes dates. La demande de brevet a été mise à la disponibilité du public le 23 juin 2000. Le brevet 106 a été délivré le 14 avril 2007 et est au nom de Bombardier Produits Récréatifs Inc.

[10]  Le brevet 106 présente 80 revendications, desquelles quatre revendications demeurent invoquées à la fin de la présente instance : 1, 7, 27 et 77. Avant les revendications, le brevet présente une description de l’invention, ce que l’on appelle la divulgation.

[11]  Le brevet, ainsi que les brevets 813 et 964 pourraient difficilement être plus clairs. La première phrase annonce que [traduction] « [l]a présente invention concerne la conception générale et la construction d’une motoneige ». Cette phrase doit être interprétée de sorte que la position de la commande de direction sera différente de celle que l’on retrouve habituellement sur les motoneiges, où le conducteur était assis généralement à la verticale vers l’arrière du véhicule. En étant positionné davantage vers le centre de gravité de la motoneige, le conducteur ressentirait fortement les bosses sur lesquelles le véhicule passe; une position améliorée réduirait au minimum l’inconfort ressenti lorsque le véhicule circule sur un terrain inégal.

[12]  La conception classique d’une motoneige serait modifiée, le résultat étant que le conducteur se trouve dans une nouvelle position. En conséquence, le brevet 106 chercherait à reconfigurer la motoneige de façon à ce que le conducteur adopte une nouvelle position. Le brevet traite la position que le conducteur aurait à adopter à la lumière de la nouvelle configuration qui obligerait le conducteur à s’asseoir plus près du centre de gravité. Les mesures concernant les centres de gravité de la motoneige, la motoneige avec le conducteur (en tant que « système ») et le centre de gravité du conducteur sont fournies et incluses dans les revendications avancées.

[13]  Par exemple, les revendications 1 et 7 portent sur la distance entre le centre de gravité de la motoneige et le centre de gravité de la motoneige avec le conducteur. La revendication 1 parle d’une distance de 0 cm à 14 cm (inclusivement), alors que la revendication 7 situe la distance de 2 cm à 12 cm (inclusivement). La revendication 27 porte sur la distance entre l’essieu le plus à l’avant de la chenille d’entraînement et le centre de gravité du conducteur. La revendication 77 porte sur l’angle formé par une ligne passant par le centre de gravité du conducteur et une autre ligne passant par le centre de gravité du système (le centre de la gravité de la motoneige avec le conducteur). Ces deux lignes formeront un angle avec une horizontale d’une valeur située entre 45º et 75º, inclusivement.

[14]  Les revendications sont organisées de la même façon. Elles proviennent d’une revendication indépendante qui parle de la [traduction] « motoneige construite et organisée de sorte que » les mesures et les angles en seront issus.

1)  Divulgation

[15]  On affirme que l’invention décrite dans le brevet 106 correspond à une [traduction] « motoneige où, entre autres caractéristiques, la position de la commande de direction, la position du siège et la position des repose-pieds sont organisées les unes relativement aux autres de sorte que le centre de gravité du conducteur est plus près du centre de gravité du véhicule que sur une motoneige classique » (brevet 106, à la page 1). Il est dit que la nouvelle configuration est une amélioration de la motoneige classique du fait qu’elle repositionne le conducteur pour réduire au minimum le transfert des forces lorsque la motoneige circule sur un terrain accidenté.

[16]  Le brevet stipule qu’une personne versée dans l’art comprendrait qu’une motoneige possède un centre de gravité en l’absence d’un conducteur et (habituellement) un centre de gravité différent avec le conducteur. Le conducteur possède également son propre centre de gravité.

[17]  Comme je l’ai déjà indiqué, le brevet décrit certaines distances qui peuvent être mesurées sur une motoneige en comparant les lignes verticales passant par certains points de la motoneige : une distance entre une ligne verticale passant par le centre de gravité de la motoneige sans conducteur et une ligne verticale passant par le centre de gravité de la motoneige avec le conducteur (appelée la distance « a »), une distance entre une ligne verticale passant par l’essieu d’entraînement le plus à l’avant et une ligne verticale passant par le centre de gravité du conducteur (appelée la distance « z »), une distance entre une ligne verticale passant par le centre de gravité de la motoneige avec le conducteur et une ligne verticale passant par la passant par le centre de gravité du conducteur (appelée la distance « x »), et une distance entre une ligne verticale passant par le centre de gravité sans le conducteur et une ligne verticale passant par le centre de gravité du conducteur (appelée la distance « y »). Pour chaque distance, le brevet décrit une plage de longueurs privilégiées en centimètres.

[18]  Le brevet décrit une série d’angles qui peuvent être mesurés sur une motoneige en comparant une ligne passant par deux points sur le véhicule au moyen d’une ligne horizontale : un angle d’une ligne passant par le centre de gravité de la motoneige sans conducteur et le centre de gravité avec le conducteur (appelé l’angle « λ »), un angle d’une ligne passant par l’essieu le plus à l’avant de la chenille d’entraînement et le centre de gravité du conducteur (appelé l’angle « π », un angle d’une ligne passant par le centre de gravité de la motoneige sans conducteur et le centre de gravité du conducteur (appelé l’angle « ω », et un angle d’une ligne passant par le centre de gravité de la motoneige avec le conducteur et le centre de gravité du conducteur (appelé l’angle « θ »). Pour chaque angle, le brevet décrit en cascade une plage de tailles privilégiées en degrés.

[19]  Le brevet décrit certains éléments d’une motoneige qui offre certaines positions sur le véhicule : [traduction] « Le dispositif de direction définit une position de direction, le siège définit une position de siège et les repose-pieds définissent le point où appuyer les pieds » (brevet 106 à la page 3). Il présente ensuite certains angles en comparant des lignes passant par ces éléments : un angle appelé « α » est formé d’une ligne passant par la position de siège et la position de direction et une ligne passant par la position de siège et la position de repose-pieds, un angle appelé « β » est formé par une ligne passant par la position de repose-pieds et la position de direction, et une ligne passant par la position de repose-pieds et la position de siège, et un angle appelé « γ » est formé par une ligne passant par la position de repose-pieds et la position de direction, ainsi qu’une ligne passant par la position de direction et la position de siège. Pour chaque angle, le brevet décrit une plage de tailles privilégiées en degrés. Le brevet prévoit également que la relation pour ces angles satisfait α ≥ β ≥ γ et qu’elle satisfait l’angle α ≈ 2,5γ.

[20]  Le brevet décrit également qu’un angle (appelé l’angle « ϕ ») formé par la ligne passant par la position de direction et la position de siège avec l’horizontale. Le brevet prévoit des mesures privilégiées pour l’angle ϕ en degrés. Le brevet décrit également que la motoneige possède une colonne de direction disposée sur le moteur à un angle appelé ε; les mesures privilégiées pour l’angle ε présenté par le brevet. Le brevet décrit en outre un angle appelé μ, formé en comparant une ligne passant par la position de direction et la position de siège avec une ligne passant par la position de siège et le haut du pare-brise. Les mesures privilégiées pour μ sont présentées dans le brevet.

[21]  Le brevet indique que l’invention peut comprendre un châssis et une selle disposée sur le châssis, un pare-brise disposé devant le dispositif de direction, un essieu d’entraînement disposé sur le châssis, un dispositif de direction disposé sur le châssis, des repose-pieds droit et gauche disposés sous le siège. Le brevet présente une distance b, qui est décrite comme étant les lignes verticales passant par le dispositif de direction et le siège. Le brevet décrit les longueurs privilégiées pour la distance b en centimètres. Il prévoit également que les repose-pieds de la motoneige sont disposés à l’angle Δ, pour lesquels les angles privilégiés sont présentés en degrés.

[22]  Le brevet décrit 20 dessins (figures), qui sont inclus à la fin du brevet. Ils sont censés illustrer une motoneige classique ainsi que la motoneige fabriquée selon les enseignements du brevet, vues de côté, de haut et en perspective, exposant les distances a, x, y, z, b, et les angles λ, π, ω, θ, ϕ, Δ, μ, ε, ainsi que les calculs de αmin et αmax, de βmin et βmax, et de γmin et γmax. Il présente également deux illustrations, les figures 19 et 20, qui sont censées montrer les vues de face et de côté du conducteur standard.

[23]  Les figures illustrent les différences entre la motoneige classique et la nouvelle configuration obtenue par l’intermédiaire du positionnement du conducteur standard. Plus particulièrement, la figure 3 cherche à comparer l’ancienne et la nouvelle configuration en une même illustration.

[24]  Le brevet décrit les réalisations privilégiées pour l’invention; cependant, il souligne que la construction de ces éléments [traduction] « est facilement connue pour les personnes versées dans l’art » et, par conséquent, elle offre uniquement une [traduction] « description des éléments requis pour une compréhension de la présente invention » (brevet 106, à la page 7).

[25]  Le brevet présente des directives particulières sur la façon dont le « conducteur moyen » est placé sur une motoneige classique :

[traduction]

Lorsqu’il est assis, le conducteur moyen 26 sera positionné de façon à ce que ses mains saisissent le dispositif de direction 32 à la position de direction 36. En outre, le conducteur 26 sera assis de sorte que le centre de son torse 42 est au-dessus de la position de siège 30. Lorsqu’il est assis de cette façon, les pieds du conducteur 46 seront naturellement placés à la position de repose-pieds 38. Dans cette position, le centre de gravité du conducteur 40 sera situé tout juste devant l’estomac du conducteur, décalé du centre du torse du conducteur 42. (Le centre de gravité du conducteur 40 est décalé vers l’avant à partir du centre du torse du conducteur 42, car le bras droit et les jambes sont disposés vers l’avant du torse du conducteur 42 lorsque le conducteur 26 est en position de conduite.)

(Brevet 106, à la page 8.)

Le brevet indique que cette position du conducteur sur la motoneige classique entraîne une [traduction] « situation où le conducteur 26 est assis dans une position relativement verticale vers l’arrière du véhicule » (brevet 106, à la page 8).

[26]  Le brevet présente également des directives particulières sur la façon dont le conducteur est placé sur l’invention de la motoneige :

[traduction]

Lorsque le conducteur 126 est sur la motoneige 110, le conducteur sera positionné sur le siège 128 de sorte qu’il occupe la position assise 130. La position de siège 130 est le point où le poids du conducteur 126 est exercé sur le siège 128, alors qu’il est assis dans une position biomécaniquement neutre sur le siège et que ses pieds sont disposés sur les repose-pieds à la position de repose-pieds et ses mains disposées sur le dispositif de direction à la position de direction, la motoneige étant dirigée tout droit et directement sur un terrain plat, et en marche.
(Brevet 106, à la page 9.)

Il souligne que la personne versée dans l’art à qui le brevet s’adresse comprendrait qu’une position biomécaniquement neutre en est [traduction] « une où chacun des muscles opposés du principal groupe de muscles de soutien qui maintiennent le conducteur dans sa position est en équilibre » (brevet 106, à la page 9). Le brevet présente certaines directives à propos du conducteur standard et de la façon dont il doit être utilisé pour déterminer certaines positions sur la motoneige :

[traduction]

En cas de problèmes [à décider de la position de siège], elle peut être déterminée en prenant un homme américain au 50e percentile (ayant un poids de 78 kilogrammes et les dimensions indiquées dans les figures 19 et 20), le plaçant sur la motoneige dans la position biomécaniquement neutre indiquée dans les figures (c.-à-d., la position approximative d’un conducteur quelques secondes après avoir démarré le véhicule, se dirigeant tout droit sur un terrain plat), et en traçant une ligne de son épaule jusqu’à sa hanche. (Aux fins de la présente discussion, une personne standard est illustrée aux figures 19 et 20). L’intersection de cette ligne avec le siège peut être considérée comme correspondant à la position de siège 130.

(Brevet 106, aux pages 9 et 9a.)

Comme c’est le cas avec la position de siège 130, la position de direction 136 peut varier selon la taille et la forme des mains du conducteur 126. En cas de problèmes, la position de direction 136 peut être déterminée en plaçant les mains du même conducteur au 50e percentile décrit ci-dessus sur le dispositif de direction 132 dans une position de fonctionnement normale. La position de direction 136 correspondra à l’intersection du centre de la paume des mains du conducteur 126 et le dispositif de direction 132.

(Brevet 106, à la page 10.)

[27]  Le brevet déclare que l’invention comprend un certain nombre d’avantages, à savoir que la nouvelle position du conducteur permet à celui-ci de se placer en position debout plus facilement à partir du siège principalement à l’aide de la force de ses jambes, plutôt qu’en se redressant à l’aide du guidon et que le fait de placer le centre de gravité du conducteur plus près de celui du véhicule contribue à réduire au minimum l’effet des cahots sur le conducteur. D’autres avantages sont décrits, y compris le fait que le pare-brise protège mieux la tête du conducteur contre les intempéries et le bruit en se trouvant dans la région d’écoulement laminaire de l’air, la position du conducteur lui donne une meilleure vue du sol devant la motoneige, le conducteur est moins susceptible de se cogner les genoux contre le dispositif de direction, et il y a un siège amélioré pour des passagers supplémentaires qui sont également situés plus près du centre de gravité du véhicule.

[28]  Avant d’établir les revendications, le brevet indique que, bien qu’il fasse référence aux réalisations privilégiées de l’invention, la personne versée dans l’art à qui s’adresse le brevet comprendra que différentes modifications et substitutions peuvent être apportées sans s’écarter de l’invention ou de ses enseignements.

2)  Revendications

[29]  Le brevet établit ensuite 80 revendications, dont huit sont des revendications indépendantes et dont les autres revendications dépendent d’au moins une autre revendication. Comme je l’ai déjà fait remarquer, seulement quatre revendications demeurent directement invoquées dans la présente instance en ce qui concerne le brevet 106 : 1, 7, 27 et 77.

a)  Revendication 1

[30]  La revendication 1 est rédigée ainsi :

[traduction]

Une motoneige, comprenant :

un châssis comprenant un tunnel;

un moteur disposé sur le châssis;

une chenille d’entraînement disposée sous le tunnel et liée fonctionnellement au moteur pour la propulsion de la motoneige;

une selle disposée sur le tunnel au-dessus de la chenille d’entraînement et à l’arrière du moteur, le siège dimensionné pour soutenir un conducteur standard ayant les dimensions et le poids d’un homme au 50e percentile;

deux skis disposés sur le châssis;

un dispositif de direction disposé sur le châssis à l’avant du siège, le dispositif de direction étant fonctionnellement lié aux deux skis pour diriger la motoneige, le dispositif de direction ayant une position de direction;

une paire de repose-pieds, un repose-pieds disposé sous chaque côté du siège, chaque repose-pieds étant dimensionné et disposé par rapport au siège et au dispositif de direction pour soutenir les pieds du conducteur standard, les repose-pieds ayant une position de repose-pieds;

la motoneige construite et organisée de telle sorte que, lorsque le conducteur standard se trouve dans une position standard définie comme celle du conducteur standard chevauchant la selle et étant assis dans une position biomécaniquement neutre sur celle-ci, ses pieds étant disposés sur les repose-pieds en position de repose-pieds et ses mains disposées sur le dispositif de direction et la direction de la motoneige dirigée tout droit sur un terrain plat et en condition de fonctionnement et remplie de carburant, la motoneige a un premier centre de gravité sans le conducteur standard et un deuxième centre de gravité avec le conducteur standard, ainsi qu’une distance entre une ligne verticale passant par le premier centre de gravité et une ligne verticale passant par le deuxième centre de gravité est entre 0 cm et 14 cm, inclusivement.

b)  Revendication 7

[31]  La revendication 7 dépend de la revendication 1, mais précise que la distance entre les centres de gravité varie de 2 et à 12 cm.

c)  Revendication 27

[32]  La revendication 27 est une revendication dépendante, renvoyant aux motoneiges décrites dans les revendications non invoquées 20 à 25. La revendication indépendante sur laquelle la revendication 27 est fondée est la revendication 20, qui est essentiellement similaire à la revendication 1, mais avec les modifications suivantes. La revendication 20 ajoute un élément à la motoneige, à savoir [traduction] « un essieu d’entraînement le plus à l’avant est disposé sur le châssis ». Il modifie également l’élément final de la motoneige pour exiger que la motoneige soit [traduction] « dirigée tout droit et [aille] tout droit sur un terrain plat » (par opposition à l’exigence de la revendication 1 pour que [traduction] « la motoneige soit dirigée tout droit sur un terrain plat »). Enfin, la revendication 20 ne traite pas du centre de gravité de la motoneige, mais est axée sur le centre de gravité du conducteur standard :

[traduction]

[…] le conducteur standard a un centre de gravité et une distance entre une ligne verticale passant par l’essieu d’entraînement le plus à l’avant et une ligne verticale passant par le centre de gravité du conducteur standard variant de 15 cm à 65 cm, inclusivement.

[33]  Les revendications 21 à 25 ajoutent l’élément suivant à la motoneige décrite à la revendication 20 :

[traduction]

[…] une ligne centrale longitudinale et une position de siège est définie sur le siège à l’égard du conducteur standard dans la position standard, et la position de siège correspond à un point le long de la ligne centrale longitudinale où la distance entre une ligne verticale passant par le point et une ligne verticale passant par la position de direction [varie de 40 à 90 cm, de 50 à 80 cm, de 60 à 80 cm, est exactement 65 cm ou exactement 70 cm].

[34]  Pour les motoneiges décrites dans les revendications 20 à 25, la revendication 27 invoquée précise que [traduction] « la distance entre la ligne verticale passant par l’essieu d’entraînement le plus à l’avant et la ligne verticale passant par le centre de gravité du conducteur standard varie de 35 cm à 55 cm, inclusivement ».

d)  Revendication 77

[35]  La dernière revendication invoquée, la revendication 77, est également une revendication dépendante, renvoyant aux motoneiges décrites dans les revendications non invoquées 71 à 76. La revendication indépendante sur laquelle la revendication 77 est fondée est la revendication 71, qui est essentiellement similaire à la revendication 1, mais avec les modifications suivantes. Comme la revendication 27, la motoneige doit être [traduction] « dirigée tout droit et aller tout droit sur un terrain plat ». Les centres de gravité en question dans la réclamation 71 correspondent à ce qui suit :

[traduction]

[…] la motoneige a un centre de gravité avec le conducteur standard et le conducteur standard a un centre de gravité et une ligne passant par le centre de gravité de la motoneige avec le conducteur standard et le centre de gravité du conducteur standard forme un angle avec l’horizontale qui est situé entre 35° et 84°, inclusivement.

[36]  Les revendications 72 à 76 ajoutent le même élément à la motoneige décrite à la revendication 71, tout comme les revendications 21 à 25 :

[traduction]

[…] une ligne centrale longitudinale et une position de siège est définie sur le siège par rapport au conducteur standard dans la position standard, et la position de siège correspond à un point le long de la ligne centrale longitudinale où la distance entre une ligne verticale passant par le point et une ligne verticale passant par la position de direction [varie de 40 à 90 cm, de 50 à 80 cm, de 60 à 80 cm, est exactement 65 cm ou exactement 70 cm].

[37]  Pour les motoneiges décrites dans les revendications 71 à 76, la revendication 77 invoquée précise que l’angle doit varier entre 45° et 75°.

B.  Le brevet 813

[38]  Le brevet 813 est un complément de la demande qui est devenue le brevet 106; en conséquence, il partage les mêmes renseignements concernant la date de dépôt, la date de publication et la date de priorité que le brevet 106, y compris l’accord d’avoir recours à la date de priorité américaine. Le brevet encore une fois intitulé « Motoneige » (« Snowmobile »), nomme Bruno Girouard et Berthold Fecteau en qualité d’inventeurs. Le brevet a été délivré le 27 mars 2007. Bombardier Produits Récréatifs Inc. est le propriétaire inscrit du brevet.

1)  Divulgation

[39]  Le brevet 813 partage la même divulgation que celle fournie dans le brevet 106, présenté ci-dessus.

2)  Revendications

[40]  Le brevet formule 75 revendications, dont cinq sont des revendications indépendantes et dont les autres revendications dépendent d’au moins une autre revendication. Les revendications 37, 38, 48 et 73 demeurent directement avancées.

a)  Revendication 37

[41]  La revendication 37 est une revendication dépendante, renvoyant aux revendications 1 à 27 et à la revendication 36. Les revendications indépendantes sur lesquelles s’appuie la revendication 37, les revendications 1, 9, 14, 19 et 27, sont toutes identiques à l’exception d’un seul élément de la motoneige décrite.

[42]  La revendication 1 est rédigée ainsi :

[traduction]

Une motoneige, comprenant :

un châssis comprenant un tunnel;

un moteur disposé sur le châssis;

une chenille d’entraînement disposée dessous et soutenue par le tunnel et liée fonctionnellement au moteur pour la propulsion de la motoneige;

deux skis disposés sur le châssis, chacun au moyen d’une suspension avant;

une selle disposée sur le tunnel au-dessus de la chenille d’entraînement et à l’arrière du moteur, le siège dimensionné pour soutenir un conducteur standard ayant les mensurations et le poids d’un homme au 50e percentile;

une paire de repose-pieds, soutenus par le châssis pour soutenir les pieds du conducteur standard, les repose-pieds ayant une position de repose-pieds;

un dispositif de direction disposé sur le châssis à l’avant du siège, le dispositif de direction étant fonctionnellement lié aux deux skis pour diriger la motoneige, le dispositif de direction ayant une position de direction;

la motoneige construite et organisée de telle sorte que, lorsque le conducteur standard se trouve dans une position standard définie comme celle du conducteur standard chevauchant la selle et étant assis dans une position biomécaniquement neutre sur celle-ci, ses pieds étant disposés sur les repose-pieds en position de repose-pieds et ses mains disposées sur le dispositif de direction en position de direction, la motoneige dirigée et allant tout droit sur un terrain plat et en condition de fonctionnement, une position de siège est définie sur le siège par rapport au conducteur standard, et

une ligne passant par la position de siège et la position de direction forme un angle α avec une ligne passant par la position de siège et la position de repose-pieds,

une ligne passant par la position de repose-pieds et la position de direction forme un angle β, la ligne passant par la position de repose-pieds et la position de siège,

la ligne passant par la position de repose-pieds et la position de direction forme un angle γ, la ligne passant par la position de direction et la position de siège,

l’angle α varie entre 63° et 152°, l’angle β varie entre 16° et 84°, et l’angle γ varie entre 11° et 42°.

[43]  Les revendications 2 à 8 dépendent de la motoneige décrite à la revendication 1. Les revendications 2 à 4 fournissent d’autres plages de degrés pour les angles α, β et γ. La revendication 5 exige une distance entre les lignes verticales passant par les positions de direction et de siège variant de 40 cm à 90 cm. La revendication 6 ajoute une référence à la pluralité des essieux autour desquels la chenille d’entraînement est disposée et exige que la position de direction soit à l’avant de l’essieu le plus à l’avant. La revendication 7 ajoute des bandes latérales à gauche et à droite, puis prévoit que les repose-pieds se trouvent dans les parties les plus à l’avant des bandes latérales. La revendication 8 ajoute aussi une paire de retenues de pied, positionnées au-dessus des repose-pieds.

[44]  La revendication indépendante 9 est identique à la revendication 1, à l’exception du fait que les angles α, β et γ ne sont pas déterminés en degrés, mais bien en fonction de la relation α ≥ β ≥ γ. Les revendications 10 à 13 dépendent de la motoneige décrite à la revendication 9 et prévoient les mêmes exigences pour la motoneige que les revendications 5 à 8 (distance de 40 à 90 cm), la pluralité des essieux avec la position de direction à l’avant de l’essieu d’entraînement le plus à l’avant, les bandes latérales et les retenues de pied).

[45]  La revendication indépendante 14 est identique à la revendication 1, à l’exception du fait que les angles α, β et γ ne sont pas déterminé en degrés, mais bien en fonction de la relation α ≈ γ. Une fois encore, les revendications 15 à 18 dépendent de la motoneige décrite à la revendication 9 et prévoient les mêmes exigences pour la motoneige que les revendications 5 à 8 (distance de 40 à 90 cm), la pluralité des essieux avec la position de direction à l’avant de l’essieu d’entraînement le plus à l’avant, les bandes latérales et les retenues de pied).

[46]  La revendication indépendante 19 est identique à la revendication 1, à l’exception du fait que les angles α, β et γ ne sont pas décrits. La revendication prévoit plutôt que [traduction] « une ligne passant par la position de siège et la position de direction forme un angle ϕ avec l’horizontale qui varie entre 15° et 51° ». Les revendications 20 à 22 prévoient d’autres plages en degrés pour l’angle ϕ. Les revendications 23 à 26 prévoient les mêmes exigences pour la motoneige que les revendications 5 à 8 (distance de 40 à 90 cm), la pluralité des essieux avec la position de direction à l’avant de l’essieu d’entraînement le plus à l’avant, les bandes latérales et les retenues de pied).

[47]  La revendication indépendante 27 est identique à la revendication 1, à l’exception du fait que les angles α, β et γ ne sont pas décrits. La revendication prévoit plutôt que [traduction] « une distance entre les lignes verticales passant par les positions de direction et de siège entre 40 cm et 90 cm ».

[48]  La revendication 36 dépend des revendications 8, 13, 18 et 26, qui sont les revendications ajoutant les retenues de pied à la motoneige. La revendication 36 prévoit que [traduction] « les retenues de pied sont situées au-dessus des pieds du conducteur standard lorsque celui-ci se trouve dans la position standard ».

[49]  Comme je l’ai déjà mentionné, la revendication 37 invoquée s’appuie sur les revendications 1 à 27 et 36, avec les exigences supplémentaires selon lesquelles [traduction] « la motoneige est remplie de carburant, la motoneige a un premier centre de gravité sans le conducteur standard et un deuxième centre de gravité avec le conducteur standard, ainsi qu’une distance entre une ligne verticale passant par le premier centre de gravité et une ligne verticale passant par le deuxième centre de gravité variant entre 0 cm et 14 cm, inclusivement ».

b)  Revendication 38

[50]  La revendication 38 invoquée s’appuie sur la revendication 37 et, à ce titre, elle se fonde sur les réclamations 1 à 27 et 36. Elle exige que la distance entre les centres de gravité de la motoneige avec et sans le conducteur standard varie entre 2 cm et 12 cm.

c)  Revendication 48

[51]  La revendication 48 invoquée s’appuie sur la revendication 46. La revendication 46 s’appuie sur les revendications 1 à 27 et 36, avec l’ajout d’un essieu d’entraînement le plus à l’avant disposé sur le châssis et d’une exigence selon laquelle une ligne verticale passant par cet essieu et une ligne verticale passant par le centre de gravité d’un conducteur standard ont une distance entre elles variant de 15 cm à 65 cm.

[52]  La revendication 48 réduit la distance entre les lignes verticales passant par l’essieu d’entraînement le plus à l’avant et le centre de gravité du conducteur standard entre 25 cm et 55 cm.

d)  Revendication 73

[53]  La revendication 73 invoquée s’appuie sur la revendication 72. La revendication 72 s’appuie sur les revendications 1 à 27 et 36, avec l’ajout des exigences selon lesquelles la motoneige doit être remplie de carburant et voulant que [traduction] « une ligne passant par le centre de gravité de la motoneige avec le conducteur standard et le centre de gravité du conducteur standard forme un angle avec l’horizontale qui est situé entre 35° et 84°, inclusivement ».

[54]  La revendication 73 réduit l’angle formé par la ligne passant par les centres de gravité de la motoneige et du conducteur standard avec l’horizontale entre 45° et 75°.

C.  Le brevet 964

[55]  Le brevet 964 est intitulé [traduction] « Motoneige à positionnement actif du conducteur » (« Snowmobile with Active Rider Positioning »). La demande de brevet a été déposée le 15 novembre 2002 et mise à la disponibilité du public le 11 novembre 2003. Il ne revendique aucune priorité par rapport à toute autre demande. Berthold Fecteau, Peter Watson et Bruno Girouard sont les inventeurs nommés. Le brevet 964 a été délivré le 26 juillet 2005. Bombardier Produits Récréatifs Inc. est le propriétaire inscrit du brevet.

[56]  Le brevet 964 comprend 49 revendications, dont 16 demeurent avancées : 1, 4, 6, 8, 13, 15, 16, 20, 24, 26, 27, 35, 37, 40, 42 et 48. Le brevet comprend 7 dessins qui cherchent à illustrer la différence entre l’invention et l’art antérieur, ainsi qu’à fournir les mensurations du conducteur standard utilisées pour configurer la nouvelle motoneige.

1)  Divulgation

[57]  L’invention dans le brevet 964, comme dans les deux autres brevets, est censée concerner la conception générale et la construction d’une motoneige, plus particulièrement, la construction et l’organisation des différentes composantes qui déterminent la position du conducteur sur la motoneige. Ce brevet utilisera le positionnement relatif des genoux, des chevilles et des hanches d’un conducteur standard. Par conséquent, lorsque le conducteur est assis et qu’il tient le dispositif de direction tel que positionné par la nouvelle configuration, ses genoux seront à l’avant de ses chevilles, mais au-dessous de ses hanches. Le brevet prévoit qu’une telle position facilitera l’absorption des cahots et permettra au conducteur de se placer activement sur la motoneige. Comparativement à l’art antérieur, les chevilles sont présentées comme étant alignées avec les genoux et les genoux sont plus élevés que les hanches.

[58]  Le brevet affirme que toutes les dimensions sont fondées sur celles d’un conducteur standard, qui est défini comme un [traduction] « homme américain au 50e percentile pesant 78 kilogrammes (174,8 lb) et dont les mensurations sont illustrées aux dessins 6 et 7 ». Le brevet indique qu’il serait évident pour une personne ordinaire versée dans l’art que les dessins 6 et 7 montrent les mensurations [traduction] « en centimètres, la valeur moyenne représentant l’homme américain au 50e percentile ». On dit qu’il y a une « position standard » pour le conducteur standard, dans laquelle [traduction] « le conducteur est assis sur le siège, tient le dispositif de direction avec ses mains et a ses pieds sur les repose-pieds ». On dit que cette position standard est montrée dans les dessins accompagnant le brevet et représente une position prise [traduction] « quelques secondes après avoir démarré le véhicule, se dirigeant tout droit sur un terrain plat » (brevet 964, à la page 1).

[59]  Le brevet décrit les composantes de la motoneige qui peuvent être présentes dans une ou plusieurs réalisations de l’invention :

[traduction]

un châssis qui comprend un tunnel, un moteur disposé sur le châssis, une chenille d’entraînement disposée en dessous et soutenue par le tunnel et liée fonctionnellement au moteur pour la propulsion de la motoneige, et deux skis disposés sur le châssis. Une selle est disposée sur le châssis. Le siège est dimensionné en vue de soutenir un conducteur standard dans une position standard, le conducteur standard ayant les mensurations et le poids d’un homme au 50e percentile. Des repose-pieds sont soutenus par le châssis pour soutenir les pieds du conducteur. Le dispositif de direction est disposé sur le châssis. Le dispositif de direction est fonctionnellement lié aux deux skis pour diriger la motoneige. Les repose-pieds, la selle et le dispositif de direction sont construits et organisés de telle façon que lorsque le conducteur standard se trouve dans la position standard, ses hanches sont positionnées au-dessus de ses genoux.

(Brevet 964, à la page 2.)

[60]  Lorsque la motoneige est construite conformément à certaines réalisations, le brevet indique les distances et relations privilégiées pour des points sur la motoneige et sur le corps du conducteur standard lorsque le conducteur se trouve dans la position standard. Le brevet privilégie les réalisations où les hanches sont disposées au-dessus des genoux, les hanches sont disposées derrière les chevilles, et les hanches se trouvent derrière le dispositif de direction et les chevilles sont disposées derrière les genoux. Cependant, le brevet s’intéresse également au positionnement des genoux, des hanches et des chevilles relativement à la position de direction : les hanches sont derrière le dispositif de direction, les genoux sont disposés sous la position de direction, les chevilles sont disposées derrière la position de direction et les hanches sont disposées sous la position de direction. Qui plus est, certaines mesures sont prises relativement aux repose-pieds : la position de direction est à l’avant de la partie la plus à l’avant du repose-pieds et la position de repose-pieds est sous la cheville. Enfin, la position de siège est sous les hanches et la position du genou est dans la même région que les genoux, à une partie réduite du siège. Pour ces relations, le brevet fournit quelques distances privilégiées en centimètres. Il indique que les positions relatives des positions de direction, de repose-pieds, de siège et de genoux peuvent être déterminées en référence aux positions relatives de la position de direction et des hanches, des genoux et des chevilles du conducteur standard.

[61]  Les dessins à la figure 7 illustrent une motoneige classique vue de côté (censée correspondre à une motoneige Ski-Doo MXZ de modèle 1999), la motoneige correspondant à l’invention présumée vue de côté et de haut, la position du conducteur vue de côté, ainsi qu’une vue en perspective du châssis, appelant différentes composantes et positions. Le brevet présente également deux dessins, les figures 6 et 7, qui sont censées montrer les vues de face et de côté du conducteur standard avec les mesures de différentes parties de ce conducteur standard.

[62]  Le brevet présente des directives particulières sur la façon dont le conducteur moyen est placé sur une motoneige classique. Ces directives sont identiques à celles présentées dans les brevets 106 et 813, tels que présentés ci-dessus (à l’exception du fait que la dernière phrase de la description n’est plus entre parenthèses). Le résultat de cette position est une fois de plus le même que ce qui a déjà été décrit, à savoir une [traduction] « situation où le conducteur 26 est assis dans une position relativement verticale vers l’arrière du véhicule 10 ». Le brevet souligne qu’un conducteur peut se dégager de cette position, mais que cette position est utilisée [traduction] « pendant une conduite normale et détendue » (brevet 964, aux pages 6 et 7).

[63]  Le brevet fournit des directives particulières sur la façon dont le conducteur est positionné sur la motoneige, car il y a une nouvelle configuration de la motoneige (ces directives sont similaires, mais non identiques, aux directives présentées dans les brevets 106 et 813) :

[traduction]

Lorsque le conducteur 126 est sur la motoneige 110, le conducteur sera positionné sur le siège 128 de sorte qu’il occupe la position de siège 130. La position de siège 130 est le point où le poids du conducteur 126 est exercé sur le siège 128 et est généralement située 9 cm sous les hanches 131 du conducteur 126. On comprendra également que le siège 128 sera recouvert d’une quantité de mousse ou d’un matériau de rembourrage similaire, et que la quantité de cette mousse variera d’un siège à l’autre. Lorsque le conducteur 126 s’assied sur le siège 128, son poids entraînera la compression de la mousse et il s’enfoncera dans le siège 128. Préférablement, l’emplacement de la position de siège 130 et des hanches 131 est déterminé après cette compression.
(Brevet 964, à la page 8.)

[64]  Le brevet offre d’autres directives aux fins de la localisation de positions dans l’invention présumée (une fois de plus, ces directives sont similaires, mais pas identiques, à celles présentées dans les brevets 106 et 813) :

[traduction]

Le dispositif de direction 132 est positionné à l’extrémité avant de la motoneige 110 et au-dessus du moteur 115. Comme c’est le cas avec la position de siège 130, la position de direction 136 peut varier selon la taille et la forme des mains du conducteur 126. En cas de problèmes, la position de direction 136 peut être déterminée en plaçant les mains du conducteur standard décrit ci-dessus sur le dispositif de direction 132 dans la position standard. La position de direction 136 correspondra à l’intersection du centre de la paume des mains du conducteur 126 et le dispositif de direction 132.

(Brevet 964, à la page 8.)

[…] Les pieds du conducteur 146 reposent sur les repose-pieds 134 en position de repose-pieds 138, immédiatement derrière le centre de gravité 144 du véhicule 110. La position de repose-pieds 138 se trouve à l’emplacement de la cambrure du pied du conducteur 126 lorsque ses pieds sont placés dans la position standard sur le véhicule. Dans des conditions de fonctionnement normales, les pieds du conducteur 146 reposeront sur la partie avant des bandes latérales et des repose-pieds 134. Ce positionnement du pied place les chevilles du conducteur 139, qui sont définies par l’articulation de cheville, 9 cm au-dessus de la position de repose-pieds 138.

(Brevet 964, à la page 9.)

Les positions des chevilles 139 et des hanches 131 du conducteur déterminent la position de ses genoux 141, qui est définie par les articulations des genoux. […] (Brevet 964, à la page 9.)

Comme l’illustre la figure 4, les genoux du conducteur 141 entrent dans une position de genou 142 sur la motoneige 110. La position de genou 142 est définie par une position avant réduite du siège 128 qui est conçue pour accommoder les genoux du conducteur 131. Comme l’illustre la figure 2, la position de genou 142 est disposée de préférence à la même position verticale et longitudinale de la motoneige 110 que les genoux du conducteur 141. L’espace ouvert formé à la position de genou 142 permet au conducteur 126 de se placer activement et de se pencher plus facilement dans les virages, car la position de genou 142 permet au genou extérieur du conducteur 141 de bouger plus loin dans le virage.

(Brevet 964, aux pages 9 et 10.)

[65]  Le brevet 964 indique que l’invention présumée présente plusieurs avantages, principalement que le conducteur peut se lever plus facilement du siège à l’aide de la force de ses jambes uniquement que sur une motoneige classique. Par conséquent, le brevet indique que le conducteur peut conserver un contrôle plus grand sur la motoneige, éprouver moins de tension sur son dos et faire une promenade plus confortable. On affirme également que le brevet améliore la motoneige classique du fait que le centre de gravité du conducteur est plus près du centre de gravité de la motoneige. Il expose certaines distances qui peuvent être mesurées relativement aux centres de gravité : une distance entre une ligne verticale passant par le centre de gravité du véhicule et une ligne verticale passant par le centre de gravité du conducteur (appelée la distance « x »), une distance entre une ligne verticale passant par l’essieu d’entraînement le plus à l’avant et une ligne verticale passant par le centre de gravité du conducteur (appelé la distance « z »). D’autres avantages décrits par le brevet comprennent le fait que le pare-brise protège mieux la tête du conducteur contre les intempéries et le bruit en se trouvant dans la région d’écoulement laminaire de l’air, la position du conducteur lui donne une meilleure vue du sol devant la motoneige, le conducteur est moins susceptible de se cogner les genoux contre le dispositif de direction, et il y a un siège amélioré pour des passagers supplémentaires qui sont également situés plus près du centre de gravité du véhicule.

[66]  Enfin, le brevet indique que, bien qu’il fasse référence aux réalisations privilégiées de l’invention, les personnes versées dans l’art à qui s’adresse le brevet comprendront que différentes modifications et substitutions peuvent être apportées sans s’écarter de l’invention ou de ses enseignements.

2)  Revendications

[67]  Le brevet 964 établit ensuite 49 revendications, dont trois sont des revendications indépendantes et dont les autres revendications dépendent d’au moins une autre revendication. Comme je l’ai déjà fait remarquer, 16 revendications demeurent directement avancées dans la présente instance : 1, 4, 6, 8, 13, 15, 16, 20, 24, 26, 27, 35, 37, 40, 42 et 48.

a)  Revendication 1

[68]  La revendication 1 est rédigée ainsi :

[traduction]

Une motoneige, comprenant :

un châssis comprenant un tunnel;

un moteur disposé sur le châssis;

une chenille d’entraînement disposée dessous et soutenue par le tunnel et liée fonctionnellement au moteur pour la propulsion de la motoneige;

deux skis disposés sur le châssis;

un dispositif de direction disposé sur le châssis, le dispositif de direction étant fonctionnellement lié aux deux skis pour diriger la motoneige, le dispositif de direction ayant une position de direction;

une selle disposée sur le tunnel au-dessus de la chenille d’entraînement et à l’arrière du moteur, le siège dimensionné pour soutenir un conducteur standard ayant les mensurations et le poids d’un homme au 50e percentile, le siège ayant une position de siège;

une paire de repose-pieds, soutenus par le châssis pour soutenir les pieds du conducteur standard, les repose-pieds ayant une position de repose-pieds;

la motoneige construite et organisée de telle sorte que, lorsque le conducteur standard se trouve dans une position standard définie comme celle du conducteur standard chevauchant la selle et étant assis en position de siège avec les pieds disposés sur les repose-pieds en position de repose-pieds et les mains disposées sur le dispositif de direction en position de direction, la motoneige dirigée et allant tout droit sur un terrain plat et en condition de fonctionnement et remplie de carburant, les hanches du conducteur standard sont situées au-dessus de ses genoux.

b)  Revendication 4

[69]  La revendication 4 dépend des revendications 1, 2 et 3. Les revendications 2 et 3 non invoquées précisent les distances horizontales pour que les hanches du conducteur soient situées derrière la position de direction. La revendication 4 exige aussi que les hanches du conducteur standard soient situées au-dessus des genoux à une distance verticale comprise entre 0 cm et 20 cm lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

c)  Revendication 6

[70]  La revendication 6 dépend des revendications 1 à 5, mais exige en outre que les hanches du conducteur standard soient situées derrière les chevilles à une distance horizontale comprise entre 5 cm et 40 cm lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

d)  Revendication 8

[71]  La revendication 8 est une revendication indépendante. Elle est identique à la revendication 1, à l’exception du fait qu’elle ne parle pas de la disposition des hanches du conducteur standard au-dessus des genoux. La revendication 8 exige plutôt que [traduction] « les chevilles du conducteur standard [soient] situées derrière les genoux ».

e)  Revendication 13

[72]  La revendication 13 dépend des revendications 8, 9 et 10. Les revendications 9 et 10 non invoquées précisent les distances horizontales pour que les chevilles du conducteur soient situées derrière les genoux. La revendication 13 exige aussi que les genoux du conducteur standard soient situés en dessous de la position de direction à une distance verticale d’au moins 25 cm lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

f)  Revendication 15

[73]  La revendication 15 dépend des revendications 8 à 12. Les revendications 11 et 12 non invoquées présentent des distances verticales minimales autres que celles présentées à la revendication 13 pour que les genoux du conducteur standard soient situés sous en dessous de la position de direction. La revendication 15 exige aussi que les chevilles du conducteur standard soient situées derrière la position de direction à une distance horizontale comprise entre 5 cm et 50 cm lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

g)  Revendication 16

[74]  La revendication 16 dépend des revendications 8 à 12. Elle exige aussi que les chevilles du conducteur standard soient situées derrière la position de direction à une distance horizontale d’au moins 15 cm lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

h)  Revendication 20

[75]  La revendication 20 est une revendication indépendante. Elle décrit une motoneige qui est identique à celle revendiquée dans la revendication 1 pour les six premiers éléments inscrits; cependant, elle décrit différemment les repose-pieds de la motoneige décrite : [traduction] « une paire de repose-pieds soutenus par le châssis pour soutenir les pieds du conducteur, la position de direction étant disposée vers l’avant de la partie la plus avancée du siège ». Il n’y a pas de huitième élément à la motoneige de la revendication 20 (contrairement aux autres revendications indépendantes, les revendications 1 et 8).

i)  Revendication 24

[76]  La revendication 24 dépend des revendications 1 à 7. La revendication 7 non invoquée présente une distance horizontale maximale autre que celle de la revendication 6 pour que les hanches du conducteur standard soient situées derrière les chevilles. La revendication 24 exige aussi que les genoux du conducteur soient situés en dessous de la position de direction à une distance verticale d’au moins 25 cm lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

j)  Revendication 26

[77]  La revendication 26 dépend des revendications 1 à 7 et 22 à 24. Les revendications 22 et 23 prévoient une distance verticale minimale autre que celle présentée à la revendication 24 pour que les genoux du conducteur standard soient situés en dessous de la position de direction. La revendication 26 exige aussi que les chevilles du conducteur standard soient situées derrière la position de direction à une distance horizontale comprise entre 5 cm et 50 cm lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

k)  Revendication 27

[78]  La revendication 27 dépend des revendications 1 à 7 et 22 à 24. Elle exige aussi que les chevilles du conducteur standard soient situées derrière la position de direction à une distance d’au moins 15 cm.

l)  Revendication 35

[79]  La revendication 35 dépend des revendications 1 à 7 et 22 à 34. La revendication 28 non invoquée présente une distance horizontale minimale autre que celle présentée à la revendication 27 pour que les chevilles du conducteur standard soient disposées derrière la position de direction. Les revendications29 et 30 non invoquées présentent des distances verticales pour que les hanches du conducteur standard soient situées en dessous de la position de direction lorsque le conducteur se trouve dans une position standard. Les revendications 31 et 32 non invoquées présentent des distances verticales pour que les genoux du conducteur standard soient situés au-dessus des chevilles lorsque le conducteur se trouve dans la position standard. Les revendications 33 et 34 non invoquées présentent des distances horizontales pour que les genoux du conducteur standard soient situés derrière la position de direction lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

[80]  La revendication 35 exige que la position de direction soit disposée vers l’avant de la partie la plus à l’avant des repose-pieds.

m)  Revendication 37

[81]  La revendication 37 dépend des revendications 1 à 7 et 8 à 19. La revendication 14 non invoquée exige que les chevilles du conducteur standard soient situées derrière la position de direction lorsque le conducteur se trouve dans la position standard. La revendication 17 non invoquée s’appuie sur les revendications 8 à 12 et exige que les chevilles du conducteur standard soient situées derrière la position de direction à au moins 25 cm. Les revendications 18 et 19 non invoquées s’appuient sur les revendications 8 à 17 et présentent des distances verticales pour que les hanches du conducteur standard soient situées en dessous de la position de direction lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

[82]  La revendication 37 exige que les hanches du conducteur standard soient situées au-dessus des genoux lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

n)  Revendication 40

[83]  La revendication 40 s’appuie sur les revendications 8 à 19 et 37 à 39. Les revendications 38 et 39 non invoquées présentent les distances horizontales pour que les hanches du conducteur standard soient situées derrière la position de direction lorsque le conducteur se trouve dans la position standard. La revendication 40 exige que les hanches du conducteur standard soient situées au-dessus des genoux à une distance verticale comprise entre 0 cm et 20 cm lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

o)  Revendication 42

[84]  La revendication 42 s’appuie sur les revendications 8 à 18 et 37 à 41. La revendication 41 non invoquée présente une distance verticale autre que celle présentée à la revendication 40 pour que les hanches du conducteur standard soient situées au-dessus des genoux lorsqu’il se trouve dans la position standard. La revendication 42 exige que les hanches du conducteur standard soient situées derrière les chevilles par une distance horizontale comprise entre 5 cm et 40 cm lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

p)  Revendication 48

[85]  La revendication 48 s’appuie sur les revendications 8 à 19 et 37 à 47. La revendication 43 non invoquée présente une distance horizontale autre que celle présentée à la revendication 42 pour que les hanches du conducteur standard soient situées derrière les chevilles. Les revendications 44 et 45 non invoquées présentent des distances verticales pour que les genoux du conducteur standard soient situés au-dessus des chevilles lorsque le conducteur se trouve dans la position standard. Les revendications 46 et 47 non invoquées présentent des distances horizontales pour que les genoux du conducteur standard soient disposés derrière la position de direction lorsque le conducteur se trouve dans la position standard.

[86]  La revendication 48 exige que la position de direction soit située vers l’avant de la partie la plus à l’avant des repose-pieds.

[87]  Je souligne que, même si les revendications indépendantes des trois brevets parlent d’une motoneige construite et organisée pour correspondre aux mesures et aux angles, les brevets ne comprennent aucune directive quant à la façon dont la construction de la motoneige doit être modifiée. De manière semblable, aucune indication n’est présentée quant à la façon dont les différentes composantes doivent être réorganisées.

D.  Le brevet 264

[88]  Le brevet 264 est d’une nature différente que les trois autres brevets. Néanmoins, le brevet affirme que la construction d’une motoneige selon l’invention alléguée permet la position avancée. Il est intitulé « Cadre support pour véhicule » (« Frame Construction for a Vehicle »). La demande de brevet a été déposée sur le 12 juin 2001 et revendique une date de priorité au 4 octobre 2000 d’une demande de brevet américaine (60/237,384). La demande de brevet a été mise à la disponibilité du public le 4 avril 2002 et le brevet a été délivré le 14 février 2006. Le brevet nomme quatre inventeurs : Berthold Fecteau, Jerome Wubbolts, Anne-Marie Dion et Bruno Girouard. Bombardier Produits Récréatifs Inc. est le propriétaire inscrit du brevet.

[89]  Le brevet 264 présente 43 revendications, desquelles 25 revendications sont invoquées : 1 à 3, 5 à 10, 12 à 18, 20 à 26, 41 et 43.

1)  Divulgation

[90]  On dit que l’invention contenue dans le brevet est liée à ce qui suit :

[traduction]

La présente invention est liée à la construction de véhicules tels que des motoneiges, des véhicules tout-terrain (VTT) et autres véhicules semblables. Plus précisément, la présente invention est liée à la construction d’un châssis et des éléments structuraux connexes qui améliorent la robustesse et la capacité de ces véhicules à fonctionner dans une grande gamme de différents terrains et de différentes conditions. En outre, la présente invention concerne la conception et la construction d’un châssis pour motoneiges, VTT et véhicules connexes qui facilitent la construction de tels véhicules avec un meilleur positionnement du conducteur.

(Brevet 264, à la page 1.)

Ce brevet porte sur la construction réelle du véhicule, ses éléments structuraux.

[91]  Le brevet décrit les différences dans les conceptions de motoneiges, de VTT et de véhicules connexes. Il souligne que ces véhicules subissent différentes tensions et pressions sur leurs châssis et leurs suspensions, sont de tailles et de formes différentes, et ont des centres de gravité différents. Malgré ces différences, le brevet énonce qu’on a récemment reconnu que les véhicules récréatifs peuvent comprendre différents éléments structuraux qui sont les mêmes et qui utilisent des approches de conception similaires.

[92]  L’objet de l’invention présumée contenu dans le brevet 264 consiste à présenter une série d’ensembles de châssis. Le premier est décrit comme un ensemble de châssis muni d’un tunnel, d’un berceau de moteur disposé à l’avant du tunnel et fixé au tunnel, et d’un sous-châssis disposé à l’avant du berceau de moteur et fixé au berceau de moteur (au paragraphe 0011). On dit que cet ensemble comprend en outre un ensemble de renfort avant qui s’étend vers le haut depuis le sous-châssis, une colonne supérieure s’étendant vers le haut depuis le berceau de moteur pour se raccorder à l’ensemble de renfort avant, ainsi qu’un ensemble de renfort arrière s’étendant vers le haut depuis le tunnel pour se raccorder avec l’ensemble de renfort avant et la colonne supérieure.

[93]  Un deuxième ensemble de châssis est présenté où l’ensemble de renfort avant, la colonne supérieure et l’ensemble de renfort arrière sont raccordés à un apex au-dessus de la colonne supérieure. Un troisième ensemble de châssis est décrit comme un ensemble de châssis où l’ensemble de renfort avant et l’ensemble de renfort arrière forment une construction pyramidale. Un quatrième ensemble de châssis comprend également un support de direction raccordé à l’apex pour soutenir un arbre de direction qui peut comprendre la capacité de positionner l’arbre de direction dans plus d’une position. Un cinquième ensemble de châssis est décrit pour comprendre un moteur disposé dans le berceau de moteur, une chenille sans fin est fonctionnellement reliée au moteur et disposée sous le tunnel, et une paire de skis est fonctionnellement reliée à des fins de direction. Un sixième ensemble de châssis est décrit avec un moteur disposé dans le berceau de moteur, une roue arrière est fonctionnellement raccordée au moteur et disposée sous le tunnel à des fins de propulsion, deux roues avant sont fonctionnellement raccordées à des fins de direction.

[94]  Un septième ensemble de châssis est présenté et comprend un tunnel et un berceau de moteur. Il comprend également un support de renfort arrière raccordé au tunnel sous ses extrémités avant et arrière qui s’étend vers le haut depuis le tunnel. L’ensemble comprend également un ensemble de renfort avant raccordé à l’ensemble de renfort arrière qui s’étend vers l’avant et vers le bas depuis l’ensemble de renfort arrière. Le brevet décrit également une variation de cet ensemble où les ensembles de renfort arrière et avant disposent de jambes gauche et droite. On dit que les jambes sont raccordées l’une à l’autre à un apex pour former une structure pyramidale au-dessus du tunnel et du berceau de moteur.

[95]  Le brevet décrit 35 dessins (figures). Ils illustrent de vues extérieures d’une motoneige de l’art antérieur et d’une motoneige dont on dit qu’elle incorpore l’invention, ainsi qu’un recouvrement pour démontrer une différence dans le positionnement du conducteur. Un ensemble de châssis de l’art antérieur est montré et est décrit comme un Ski-Doo Mach Z de modèle 2000. De multiples dessins présentent des réalisations des ensembles de châssis de l’invention depuis différents points de vue, y compris des dessins qui exposent les composantes de ces ensembles et leur positionnement relatif à l’intérieur des ensembles et d’autres composantes des véhicules. Les dessins montrent l’invention intégrée dans les motoneiges ainsi que dans les véhicules à roues. Le dernier dessin consiste en un graphique qui est censé comparer le taux de déplacement vertical de l’invention avec le châssis de motoneige de l’art antérieur de Bombardier et d’Arctic Cat.

[96]  Le brevet 264 décrit la construction de l’art antérieur d’un ensemble de châssis, avec une référence particulière à la figure 4. Les composantes majeures de l’ensemble de l’art antérieur dans une motoneige sont un tunnel et un berceau de moteur, le berceau étant positionné devant le tunnel pour recevoir le moteur. Le brevet indique que pour fournir une position améliorée du conducteur, celui-ci se trouvant plus près du centre de gravité de la motoneige, le guidon devait être déplacé vers l’avant. Pour déplacer le guidon vers l’avant, il a fallu d’abord établir une nouvelle conception de l’ensemble de châssis du véhicule, ce qui a donné lieu à l’invention décrite. On dit maintenant que l’ensemble de châssis de l’invention comprend le tunnel, le berceau de moteur et les principaux éléments du châssis, montrés à la figure 5.

[97]  Contrairement aux trois autres brevets en litige, le brevet fournit des directives sur la façon dont les ensembles de châssis doivent être construits dans différentes réalisations de l’invention :

[traduction]

La figure 6 illustre les éléments individuels de l’ensemble de châssis arrière 84 de manière plus détaillée. L’ensemble de châssis arrière 84 comprend une colonne supérieure 118, qui correspond à un élément structurel ayant la forme d’un « U » inversé. Au besoin, la colonne supérieure 118 peut être renforcée au moyen d’une traverse 120, mais ce n’est pas nécessaire pour réaliser la présente invention. Un renfort gauche 122 et un renfort droit 124 sont raccordés à un support 126 au-dessus de la colonne supérieure 118. Une bague ou une rotule (ou un autre élément similaire) 128 est attachée au support 126 et accepte la colonne de direction 114. Elle fixe également la colonne de direction 114 à l’ensemble de châssis arrière 84. Les renforts gauche et droit 122, 124 comprennent les supports gauche et droit 130, 132 dans leurs parties inférieures. Les supports gauche et droit 130, 132 fixent les renforts gauche et droit 122, 124 au tunnel 86 de la motoneige 22.

(Brevet 264, aux pages 14 et 15.)

La figure 7 illustre un ensemble de soutien avant 134 (aussi appelé le triangle avant 134), qui est raccordé au support 126 et qui s’étend vers l’avant du support 126. L’ensemble de soutien avant 134 comprend un support 136 à son extrémité arrière qui se raccorde à un support 126 de l’ensemble de châssis 84 (de préférence boulonné). L’ensemble de soutien avant 134 comprend également des renforts gauche et droit 138, 140 qui s’étendent vers l’avant et vers le bas à partir du support 136 et y sont raccordés, de préférence par soudure. Les renforts gauche et droit 138, 140 sont raccordés à leurs extrémités avant par une traverse 142, qui comprend une pluralité de trous 144 pour en alléger le poids. Les supports gauche et droit de raccord 145, 146 sont raccordés à la traverse 142. Les supports gauche et droit de raccord 145, 146 sont à leur tour raccordés à la suspension avant 110.

(Brevet 264, aux pages 15 et 16.)

Les figures 13 et 14 illustrent une combinaison d’une variation de l’ensemble de châssis 190 raccordé au tunnel 86. L’ensemble de châssis 190 comprend une colonne supérieure 118, comme il est illustré aux figures 8 à 10. Cependant, l’ensemble de châssis 190 diffère quelque peu de l’ensemble de châssis 84. Par exemple, les renforts gauche et droit 194, 196 sont formés de telle sorte qu’ils s’étendent vers l’extérieur depuis les positions définies par les renforts gauche et droit 122, 124. Comme il est illustré, les renforts gauche et droit 194, 196 comprennent des coudes 198, 200. Un croisillon 202 peut facultativement être placé entre les renforts gauche et droit 194, 196 pour ajouter de la rigidité structurelle à l’ensemble de châssis 190. Comme pour l’ensemble de châssis 84, un support 126 est fourni à l’apex 204 où les renforts gauche et droit 194, 196 se rejoignent. L’ensemble de soutien avant 134 est le même que celui illustré à la figure 7. Une paroi avant du berceau de moteur est également montrée à la figure 13.

(Brevet 264, aux pages 17 et 18.)

[98]  Le brevet indique qu’une personne versée dans l’art comprendrait que ces deux réalisations de châssis sont [traduction] « interchangeables » et peuvent faire l’objet de modifications supplémentaires en fonction des exigences de la conception particulière du véhicule (brevet 264, à la page 21). Il indique également que les réalisations de l’invention liées aux véhicules à roues [traduction] « [p]our l’essentiel […] sont identiques que celles pour la motoneige 22, à l’exception des éléments requis pour raccorder les roues 334 au véhicule 332 » (brevet 264, à la page 22). Les figures 26 et 27 illustrent l’ensemble de châssis 191 lorsque l’invention a été intégrée aux véhicules à roues.

[99]  Le brevet 264 présente les résultats qui sont atteints grâce aux réalisations de l’invention :

[traduction]

L’ensemble de châssis 84, 190, 191 de la présente invention distribue de manière unique le poids chargé sur le véhicule, qu’il s’agisse d’une motoneige 22 ou de l’un des véhicules à roues 332, 356. Chacune des principales composantes de l’ensemble de châssis 84, 190, 191 forme une configuration triangulaire ou pyramidale. Toutes les barres de l’ensemble de châssis 84, 190, 191 fonctionnent uniquement en tension et en compression, sans fléchir. Par conséquent, chaque barre de l’ensemble de châssis 84, 190, 191 se recoupent à un point commun, le support 126 (dans la géométrie de la direction non variable) ou le support de direction à géométrie variable 374. Avec cette forme pyramidale, la présente invention crée une géométrie très stable.

(Brevet 264, aux pages 25 et 26.)

[100]  Le brevet indique que l’utilisation de l’ensemble de châssis renforce la rigidité torsionnelle et structurelle du véhicule en plus de réduire son moment de flexion de l’avant vers l’arrière. On dit que ces améliorations aident à la conduite du véhicule. On dit que l’utilisation de l’ensemble de châssis et la rigidité accrue qui en découle avantagent le véhicule en ceci que le châssis peut être rendu plus léger et plus solide que les ensembles de châssis de l’art antérieur.

[101]  De manière semblable aux brevets 106, 813 et 964, le brevet 264 indique que l’utilisation des réalisations présentées en exemple ne devrait pas être interprétée de façon à limiter l’invention et que des modifications peuvent y être apportées sans s’écarter de la portée et de l’esprit de l’invention qui relèvent des revendications qui suivent.

2)  Revendications

[102]  Le brevet 264 comprend 43 revendications, dont trois sont des revendications indépendantes et les autres revendications dépendent d’au moins une autre revendication. Comme je l’ai déjà fait remarquer, 25 revendications demeurent invoquées dans la présente instance : 1 à 3, 5 à 10, 12 à 18, 20 à 26, 41 et 43.

a)  Revendication 1

[103]  La revendication 1 est rédigée ainsi :

[traduction]

Une motoneige, comprenant :

un châssis comprenant un tunnel et un berceau de moteur à l’avant du tunnel;

un moteur monté dans le berceau de moteur;

une chenille d’entraînement disposée dessous et soutenue par le tunnel et liée fonctionnellement au moteur pour la propulsion de la motoneige;

des skis gauche et droit disposés sur le châssis;

une selle disposée sur le tunnel au-dessus de la chenille d’entraînement et à l’arrière du moteur;

une paire de repose-pieds soutenus par le châssis;

une colonne de direction raccordée de façon mobile au châssis sans tubulure de tête et raccordée fonctionnellement aux deux skis;

un guidon raccordé à la colonne de direction;

un ensemble de renfort pyramidal raccordé au châssis, l’ensemble comprenant ce qui suit :

des jambes arrière gauche et droite qui s’étendent vers l’avant et vers le haut depuis le tunnel, chacune des jambes arrière gauche et droite ayant une extrémité avant et une extrémité arrière, les extrémités arrière des jambes arrière étant plus espacée l’une de l’autre que les extrémités avant des jambes arrière, et les jambes avant gauche et droite s’étendant vers l’arrière et vers le haut depuis le châssis à l’avant du tunnel, chacune des jambes avant gauche et droite ayant une extrémité avant et une extrémité arrière, les extrémités avant des jambes avant étant plus espacées l’une de l’autre que les extrémités arrière des jambes avant.

b)  Revendication 2

[104]  La revendication 2 dépend de la revendication 1, mais exige en outre une traverse reliant les jambes avant de l’ensemble de renfort pyramidal.

c)  Revendication 3

[105]  La revendication 3 dépend de la revendication 1, mais exige en outre que les jambes de l’ensemble de renfort pyramidal forment un apex qui n’est pas à l’avant du moteur.

d)  Revendication 5

[106]  La revendication 5 dépend de la revendication 1, mais exige en outre que les extrémités arrière des jambes avant et les extrémités avant des jambes arrière de l’ensemble de renfort pyramidal soient reliées.

e)  Revendication 6

[107]  La revendication 6 dépend de la revendication 1, mais exige en outre que les extrémités arrière des jambes avant et les extrémités avant des jambes arrière de l’ensemble de renfort pyramidal soient reliées et forment un apex qui n’est pas à l’avant du moteur.

f)  Revendication 7

[108]  La revendication 7 dépend de la revendication 6, mais exige en outre une colonne supérieure s’étendant vers le haut depuis le châssis.

g)  Revendication 8

[109]  La revendication 8 dépend de la revendication 7, mais exige en outre que la colonne supérieure forme l’apex avec les extrémités avant des jambes arrière et les extrémités arrière des jambes avant de l’ensemble de renfort pyramidal.

h)  Revendications 9 et 10, et 12 à 15

[110]  Les revendications 9, 10, 12, 13, 14 et 15 dépendent des revendications 2, 3, 5, 6, 7 et 8, respectivement. Chaque revendication exige un sous-châssis, des bras de suspension gauche et droit, et des skis gauche et droit. Chaque revendication prévoit que le sous-châssis est situé à l’avant du berceau de moteur et précise que les bras de suspension sont raccordés de façon pivotante aux côtés du sous-châssis. Chaque ski est disposé sur le châssis au moyen d’un raccordement à un bras de suspension.

i)  Revendication 16

[111]  La revendication 16 est une revendication indépendante. Elle est identique à la revendication 1, à l’exception des modifications suivantes. La revendication 16 exige en outre un sous-châssis à l’avant du berceau de moteur ainsi que des bras de suspension gauche et droit raccordés de façon pivotante aux côtés du sous-châssis. Même si la revendication 1 indique que les skis sont disposés sur le châssis, la revendication 16 exige qu’ils soient raccordés aux bras de suspension gauche et droit. La revendication 16 diffère également de la revendication 1 en ceci qu’elle n’exige pas l’absence d’une tubulure de tête.

j)  Revendication 17

[112]  La revendication 17 dépend de la revendication 16, mais exige en outre une traverse reliant les jambes avant de l’ensemble de renfort pyramidal. Il s’agit du même ajout à la motoneige que celui prévu par la revendication 2.

k)  Revendication 18

[113]  La revendication 18 dépend de la revendication 16, mais exige en outre que les jambes de l’ensemble de renfort pyramidal forment un apex qui n’est pas à l’avant du moteur. Il s’agit du même ajout à la motoneige que celui prévu par la revendication 3.

l)  Revendication 20

[114]  La revendication 20 dépend de la revendication 16, mais exige en outre que les extrémités arrière des jambes avant et les extrémités avant des jambes arrière de l’ensemble de renfort pyramidal soient reliées. Il s’agit du même ajout à la motoneige que celui prévu par la revendication 5.

m)  Revendication 21

[115]  La revendication 21 dépend de la revendication 16, mais exige en outre que les extrémités arrière des jambes avant et les extrémités avant des jambes arrière de l’ensemble de renfort pyramidal soient reliées et forment un apex qui n’est pas à l’avant du moteur. Il s’agit du même ajout à la motoneige que celui prévu par la revendication 6.

n)  Revendication 22

[116]  La revendication 22 dépend de la revendication 21, mais exige en outre une colonne supérieure s’étendant vers le haut depuis le châssis. Il s’agit du même ajout à la motoneige que celui prévu par la revendication 7.

o)  Revendication 23

[117]  La revendication 23 dépend de la revendication 22, mais exige en outre que la colonne supérieure forme l’apex avec les extrémités avant des jambes arrière et les extrémités arrière des jambes avant de l’ensemble de renfort pyramidal. Il s’agit du même ajout à la motoneige que celui prévu par la revendication 8.

p)  Revendication 24

[118]  La revendication 24 est une revendication indépendante. Elle est identique à la revendication 1, à l’exception des modifications suivantes. Elle n’exige pas l’absence d’une tubulure de tête et aucun ensemble de renfort pyramidal n’est décrit. Au lieu de cela, la revendication 24 appelle un ensemble de renfort arrière, qui comprend [traduction] « des jambes arrière gauche et droite qui s’étendent vers l’avant et vers le haut depuis le tunnel, chacune des jambes arrière gauche et droite ayant une extrémité avant et une extrémité arrière, les extrémités arrière des jambes arrière étant plus espacée l’une de l’autre que les extrémités avant des jambes arrières » (brevet 264, à la page 33).

q)  Revendication 25

[119]  La revendication 25 dépend de la revendication 24, mais exige en outre un ensemble de soutien avant qui comprend des [traduction] « jambes avant gauche et droite s’étendant vers l’arrière et vers le haut depuis le châssis avant du tunnel, chacune des jambes avant gauche et droite ayant une extrémité avant et une extrémité arrière, les jambes avant étant plus espacées l’une de l’autre que les extrémités arrières des jambes avant » (brevet 264, à la page 33).

r)  Revendication 26

[120]  La revendication 26 dépend de la revendication 25, mais exige en outre que l’ensemble de soutien avant et l’ensemble de renfort arrière forment une structure pyramidale.

s)  Revendication 41

[121]  La revendication 41 dépend de la revendication 26, mais exige en outre une traverse reliant les jambes de l’ensemble de soutien avant.

t)  Revendication 43

[122]  La revendication 43 dépend de la revendication 26, mais exige en outre que la colonne de direction s’étende à travers une structure en forme de « V » formée par les jambes de l’ensemble de soutien avant.

III.  La preuve et les témoins

[123]  Les parties en l’espèce ont présenté la preuve d’un certain nombre de témoins ordinaires. La demanderesse a produit dix témoins, ainsi que quatre témoins experts. Qui plus est, deux autres témoins experts ont témoigné quant aux réparations, car il n’y a pas eu d’instruction distincte. Les défenderesses comptaient cinq témoins, ainsi que quatre experts en matière de contrefaçon et de validité des brevets et deux experts sur les dommages-intérêts. Un résumé du témoignage des témoins aidera à la compréhension des questions soulevées. Je mentionnerai la preuve des experts en temps opportun lorsque j’examinerai les questions à l’égard desquelles ils ont présenté une preuve d’expert.

A.  Les témoins de BRP

1)  Jean-Yves Leblanc

[124]  M. Leblanc a pris sa retraite de BRP en janvier 2012 et travaille actuellement comme consultant afin d’offrir une expertise à la suite de catastrophes. Il a obtenu un baccalauréat en sciences appliquées et en génie mécanique de l’École polytechnique de l’Université de Montréal en 1973. Il est membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec. Il s’est joint à la Division des produits récréatifs en 1992 et a pris sa retraite en 2012.

[125]  M. Leblanc a témoigné à propos de la façon dont les activités de développement de motoneiges étaient organisées chez Bombardier lorsqu’il était directeur de l’ingénierie. Il a eu son premier contact avec le projet qui est devenu le REV (Radical Evolution Vehicle) à l’hiver 1997, lorsqu’il a visité l’atelier du groupe d’ingénierie avancée et qu’il a vu la « maquette du châssis » dans le coin de l’atelier, qui ne lui semblait pas être un projet officiel. M. Leblanc a témoigné que la position de conducteur utilisée par le REV était différente de celle utilisée dans la position de motoneige traditionnelle (qu’il a décrite comme étant étendue, les repose-pieds disposés vers le devant de la machine selon un angle, et les positions de guidon, de siège et de pied disposées de manière semblable à la position assise dans une chaise; il a démontré cette position en cour). M. Leblanc a témoigné qu’il avait des réserves à propos de la position du REV (la volonté du marché à accepter une nouvelle position, le maintien des jambes dans une position fléchie pendant de longues périodes pouvait être fatiguant, la quantité de masse devant être soutenue par les skis, la réduction de la résistance polaire pouvait entraîner la perte de contrôle de la machine et le « louvoiement »). M. Leblanc a également témoigné à propos des changements apportés au châssis du REV afin de renforcer la rigidité de la structure au moyen d’une structure pyramidale; les forces reçues par les skis avant sont transmises par les membrures comprenant la pyramide et à l’arrière, de l’autre côté de la motoneige (« ski avant droit monte sur une bosse, le châssis subit une impulsion verticale qui est transmise à travers cette membrure qui monte vers le centre et la force redescend sur la membrure arrière du côté opposé »).

[126]  En mars ou avril 1999, une réunion de deux jours du Comité sur l’orientation des produits (COP) de BRP a été organisée afin d’évaluer les prototypes du REV du groupe d’ingénierie avancée : une première journée de réunions à Valcourt, puis des essais dans les sentiers à un centre de BRP à Cabano, dans la région du Témiscouata, au Québec. Le COP a décidé d’aller de l’avant avec le projet de REV et on a confié le mandat à M. Leblanc et au service d’ingénierie de mener le projet en production sur une base limitée au moyen de l’automatisation souple (une estimation de 25 000 sur trois ans et limitée au marché du snowcross, de la performance et du sport).

2)  José Boisjoli

[127]  M. Boisjoli est le PDG de BRP. Il a obtenu un diplôme en génie mécanique de l’Université de Sherbrooke en 1981. En 1989, il s’est joint à Bombardier Inc. Lorsque BRP est devenue indépendante de Bombardier Inc. en 2003, il a été nommé PDG de BRP. BRP vend six gammes de produits dans 105 pays. Elle emploie 7 100 employés dans 26 pays (dont environ 3 000 à Valcourt). Depuis mai 2013, la société est une société ouverte.

[128]  M. Boisjoli a pris connaissance du REV lors de la réunion du COP à l’été 1997 lorsqu’il a vu la forme qu’une nouvelle motoneige pourrait prendre sous la forme du « châssis ». Ce n’est qu’en avril ou mai 1998 qu’un véhicule fonctionnel était prêt pour essai. L’essai devait être mené dans la région de Chibougamau, au Québec, où il y avait encore un peu de neige. Un deuxième prototype a fait l’objet d’essais en janvier ou février 1999. La position de siège modifiée et la structure pyramidale ont été validées; la décision a été prise de développer le REV.

[129]  M. Boisjoli a témoigné à propos de quatre problèmes qui devaient être corrigés à l’étape du développement (la protection contre le vent, le louvoiement, les moins bonnes performances dans une neige épaisse et les coûts de fabrication plus élevés comparativement à la motoneige traditionnelle). Au printemps de l’an 2000, la société avait acquis une confiance suffisante à l’égard du REV et de la capacité de le faire fonctionner pour l’ensemble des segments pour lesquels elle a décidé d’aller de l’avant avec l’automatisation fixe, qui permet la fabrication d’un plus grand nombre d’unités.

[130]  À l’hiver 2000-2001, BRP en était à deux ans du lancement complet du produit et les activités de mise en marché ont débuté. M. Boisjoli a témoigné que les conducteurs avaient besoin d’une période d’adaptation pour s’habituer à la position de conduite du REV et BRP a invité trois concessionnaires, qui avaient signé des ententes de confidentialité, à essayer le prototype.

[131]  La nouvelle configuration REV a été introduite lors d’une course en novembre 2001. Il semble qu’elle ait gagné la majorité des courses auxquelles elle a participé à ses deux premières années. En janvier 2002, deux mois avant l’introduction des véhicules chez les concessionnaires, Bombardier a invité les représentants des médias à voir la machine, dans le cadre d’ententes de confidentialité. La société a également procédé à des essais du REV auprès des concessionnaires au Lac-à-l’Eau-Claire, à Saint-Alexis-des-Monts.

[132]  M. Boisjoli a déclaré que Bombardier a produit en 2002 les véhicules de modèle 2003, qui ont été vendus au public à compter de décembre 2002 et ont connu un succès dès le début des ventes. En 2003, le modèle cross-country a été le seul modèle produit; en 2004 le modèle de montagne a été introduit; en 2005, le modèle touring a été introduit et, en 2007, le modèle utilitaire a été introduit. Depuis le lancement du REV, M. Boisjoli a témoigné que BRP a gagné [CAVIARDÉ] points de parts du marché (elle est passée de [CAVIARDÉ] pour cent en Amérique du Nord; [CAVIARDÉ] pour cent en Scandinavie et [CAVIARDÉ] pour cent des importations en Russie). Au Canada, en excluant l’année de marché actuelle, BRP a vendu environ [CAVIARDÉ] motoneiges REV.

[133]  C’est lui qui a pris la décision de donner suite à l’action contre Arctic Cat en 2011, à la suite de discussions avec le comité sur les investissements et les risques. Selon son témoignage, Arctic Cat a commencé à contrefaire le brevet au printemps 2008 en faibles volumes. En 2008 et 2009, l’industrie de la motoneige a beaucoup souffert de la crise économique; BRP a perdu [CAVIARDÉ] d’affaires en six mois. M. Boisjoli a déclaré qu’à l’été 2010, la situation de la société se rétablissait. Au printemps 2011, Arctic Cat a présenté une nouvelle ligne de motoneiges qui, de l’avis de M. Boisjoli, représentait une [traduction] « copie complète » du REV, ce qui justifiait la décision d’intenter des poursuites à l’automne 2011. M. Boisjoli a également témoigné à propos d’un autre litige entre BRP et Arctic Cat, ainsi que des relations qu’entretenait BRP avec Yamaha et Polaris.

[134]  En contre-interrogatoires, des questions ont été posées au sujet de la décision de porter cette affaire en justice et de ne pas intenter de poursuites dans des affaires où il pouvait être allégué que d’autres fabricants avaient contrefait les brevets de BRP. J’ai été particulièrement frappé par les questions de savoir si BRP tentait d’éliminer Arctic Cat du marché (non) et si elle accepterait une licence pour ses brevets au bon prix (oui) et les négociations de règlement dans le litige en l’espèce.

3)  Bruno Girouard

[135]  Bruno Girouard est l’un des inventeurs nommés dans chacun des brevets en litige. Il a témoigné à propos du développement des inventions alléguées.

[136]  M. Girouard est un ingénieur ayant une expertise dans la dynamique de véhicule pour le compte du groupe d’ingénierie avancée pour les motoneiges chez BRP, un poste qu’il occupe depuis 2006. Il occupait également ce poste chez Bombardier entre août 1996 et août 2001, notamment au moment de l’invention du REV. En 1995, il a obtenu son diplôme en génie mécanique de l’École de technologie supérieure de Montréal. M. Girouard est membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec.

[137]  M. Girouard a témoigné à propos des plates-formes de motoneige qui existaient chez Bombardier avant le REV, y compris le F2000 du début des années 1990 avec un moteur à trois cylindres, une plate-forme subséquente, le S2000 avec un moteur à deux cylindres, le CK3, qui a fait son apparition en 1998 et le ZX, qui était un modèle léger à deux cylindres pour remplacer la S2000. M. Girouard a expliqué certains concepts scientifiques et d’ingénierie dans son témoignage :

·  la géométrie de suspension (les points d’attache entre différents éléments qui sont définis par les points de rotation, par exemple l’endroit où les skis sont attachés à une motoneige);

·  l’inertie (la résistance au changement dans le mouvement);

·  l’inertie linéaire (l’accélération d’une masse en ligne droite);

·  l’inertie polaire ou rotationnelle (au fur et à mesure qu’une masse tourne sur un axe, son accélération peut également être mesurée; plus la masse est éloignée de l’axe, plus la résistance est grande, et plus la masse est rapprochée ou centralisée, moins la résistance est grande).

[138]  M. Girouard a témoigné à propos du cours des événements qui ont mené au développement du REV, y compris sa première expérience de conduite d’une motoneige au groupe d’ingénierie avancée (il trouvait que la position traditionnelle amplifiait le terrain accidenté et faisait qu’il était difficile de se tenir debout). À la suite d’une conversation avec M. Fecteau, l’autre inventeur identifié dans les quatre brevets en litige, ils ont décidé de faire un dessin assisté par ordinateur (DAO) d’une motoneige présentant une position de conducteur avancée.

[139]  À la suite d’autres expérimentations de conduite d’une motoneige classique, M. Girouard a eu l’idée d’inclure la masse du conducteur dans la détermination du centre de gravité et de développer un « système » représentant le conducteur et la motoneige. En déplaçant le conducteur de l’arrière du véhicule au centre du « système », l’inertie polaire est réduite. Dans un tel système, il y a trois centres de gravité (celui du véhicule, celui du conducteur et celui de la combinaison du véhicule et du conducteur) qui ont une relation linéaire entre eux. Lorsque le conducteur sur un tel système se tient debout, il se détache du véhicule et celui-ci peut bouger librement en dessous. M. Girouard et M. Fecteau ont discuté de façons de diminuer le problème de louvoiement ou de départ en flèche (lorsque la motoneige sautera par-dessus les pistes qu’elle traverse), ce qui, ils soupçonnaient, pouvait être amélioré en rendant le châssis plus rigide et en réduisant la torsion ou le tordage du châssis.

[140]  À l’été 1997, M. Fecteau et lui ont conservé un prototype d’un modèle différent de motoneige que le groupe d’ingénierie avancée développait et l’ont modifié pour l’adapter à leurs idées; qui est devenu le « châssis » non fonctionnel. Ils ont remarqué que, au fur et à mesure qu’ils déplaçaient le conducteur vers l’avant, le moteur pouvait être déplacé vers l’arrière pour maintenir le centre de gravité souhaité.

[141]  En août 1997, le groupe d’ingénierie avancée a été informé que le REV devait devenir le nouveau projet officiel avec pour mandat de faire fonctionner le véhicule en hiver.

[142]  M. Girouard a témoigné qu’ils ont mesuré le châssis au moyen des principaux points que sont les pieds, le siège et les mains relativement à l’essieu moteur du véhicule. Ils ont utilisé M. Girouard, M. Fecteau ainsi qu’un autre travailleur, car ils estimaient qu’ils étaient représentatifs de l’homme au 50e percentile, qui était le conducteur cible (les personnes situées entre la femme au 5e percentile et l’homme au 95e percentile devaient également être en mesure de conduire le véhicule).

[143]  Ils ont ensuite bâti un premier prototype conformément à ces mesures et à la structure de conception souhaitée (c.-à-d., le guidon à l’avant du moteur, au moyen d’une structure pyramidale, même s’ils devaient utiliser des membrures qui n’étaient pas parfaitement droites pour accommoder d’autres éléments, mais comprenant une traverse pour renforcer la conception, une colonne supérieure, le placement d’un moteur dans le berceau de moteur, un tunnel raccourci, un réservoir de carburant sous le siège plutôt que devant celui-ci). M. Girouard a également témoigné à propos d’une certaine réticence éprouvée par d’autres ingénieurs et dirigeants de Bombardier à accepter ses concepts concernant l’inertie polaire et la centralisation des masses, ainsi que la volonté du marché à s’adapter au véhicule.

[144]  M. Girouard a témoigné qu’à la fin janvier ou au début février 1998, le REV était prêt pour un premier essai dans la neige dans un secteur privé sur les terrains de BRP à l’extérieur de l’atelier. À la suite des essais initiaux, ils ont constaté qu’il leur fallait reprendre la conception de certains éléments (le placement des genoux n’était pas confortable et le guidon était trop avancé). En raison des mauvaises conditions de neige, ils ont également mis à l’essai le véhicule dans d’autres sentiers fermés au public; M. Girouard a déclaré qu’à une occasion, ils ont rencontré une personne, mais le prototype se trouvait entre deux autres véhicules. Lorsqu’ils ont aligné l’essieu moteur du prototype avec l’essieu moteur d’une motoneige traditionnelle, M. Girouard a montré une photo où le conducteur du REV se trouvait environ 30 cm à l’avant de l’autre conducteur.

[145]  L’équipe a calculé les centres de gravité du véhicule et du système en soulevant le véhicule sur trois balances et en le faisant pencher pour effectuer les calculs. Ils ont apporté des modifications au véhicule après leurs essais et ont constaté une amélioration des résultats (plus efficace sur les bosses, plus confortable, plus manœuvrable) et ont également consulté un ergonome (Peter Watson). Ils ont de nouveau pris les mesures de l’inertie et les ont comparées aux mesures qu’ils avaient prises d’autres véhicules (motoneiges, VTT, motocyclettes), avec et sans conducteur; pour le prototype, la différence dans les inerties, avec et sans conducteur, était faible. M. Girouard a présenté ces données à l’occasion d’une réunion du COP au printemps 1998 pour montrer que, même si le conducteur était placé plus haut sur le véhicule, il n’était pas plus susceptible de basculer que sur une motoneige classique.

[146]  Le Comité sur l’orientation des produits, après avoir examiné le premier prototype, a demandé des prototypes supplémentaires et d’autres développements afin d’évaluer s’il pouvait être utilisé dans des segments multiples du marché ou uniquement dans le snowcross. Il a témoigné que dans le prototype suivant, ils ont réduit la hauteur et modifié l’emplacement des genoux afin de mieux l’adapter aux mouvements du conducteur au moment de prendre des virages, et ils ont apporté des modifications à la partie arrière de la structure pyramidale. Le troisième prototype, de janvier 1999, a été modifié afin d’être en mesure de représenter les segments du marché pour le touring (avec un tunnel plus long et capable de parcourir de plus longues distances) et la montagne (avec une chenille d’entraînement beaucoup plus agressive afin de propulser la motoneige dans la neige). L’équipe a mis à l’essai le troisième prototype au Colorado en janvier 1999 auprès d’un collaborateur de BRP. Le quatrième prototype, de mars 1999, incorporait les améliorations antérieures et était muni d’un moteur de 440 cm3 (le type de moteur utilisé dans les compétitions de snowcross à l’époque).

[147]  M. Girouard a témoigné qu’en mars 1999, un COP composé de membres de la haute direction a mis à l’essai les quatre prototypes à Cabano. Malgré le fait que certains dirigeants de BRP éprouvaient toujours certaines réserves, le projet de REV a été transféré du groupe d’ingénierie avancée au service de l’ingénierie. À l’époque, on prévoyait que le REV serait lancé uniquement dans le segment sportif. M. Girouard a déclaré que Bombardier a invité un coureur finlandais, Janne Tapio, pour mettre à l’essai le 4e prototype (peint en noir aux fins de confidentialité) à Chibougamau en avril 1999, où il a été déterminé que le REV était environ trois secondes plus rapide sur un parcours de course qu’une motoneige traditionnelle.

[148]  M. Girouard a continué de suivre le développement du REV une fois que celui-ci a été confié au service de l’ingénierie jusqu’à son départ de Bombardier, en 2001. Il a témoigné à propos de l’évolution continue du châssis du REV, du berceau de moteur (le berceau du produit définitif est fermé du côté droit et ouvert du côté gauche pour permettre l’accès au moteur), de la forme du siège et de l’emplacement du réservoir de carburant.

[149]  M. Girouard a déclaré que les angles (pieds, hanches et mains) sur une motoneige REV ont une configuration et une relation particulières les uns par rapport aux autres qui ne ressemblent pas à ce que l’on retrouve dans les motoneiges de l’art antérieur (« Alors le plus grand des angles est celui qui est situé entre la ligne qui passe du guidon à l’assise et la deuxième ligne qui passe de l’assise au pied. Alors cet angle-là est plus grand que les deux autres. Ce qui n’était pas le cas antérieurement. »).

[150]  Pour le dépôt de la demande de brevet, l’équipe a pris les mesures sur le châssis, le premier prototype et le quatrième prototype. Les mesures dans les brevets correspondent au premier prototype, car le quatrième brevet avait été transféré au service d’ingénierie et le groupe d’ingénierie avancée n’y avait plus accès pour prendre des mesures. M. Girouard a déclaré que les seules traces de ces mesures sont celles contenues dans les brevets. Le brevet 964, cependant, a été rédigé après le départ de M. Girouard de Bombardier et il n’a pas participé à ce processus.

[151]  Le contre-interrogatoire a été axé en grande partie sur les mesures qui ont été prises et utilisées. En conséquence, on a soulevé l’utilisation de M. Girouard et de M. Fecteau, ainsi que d’un collègue pour représenter les personnes près du 50e percentile. Il a été confirmé que le témoin n’a pas utilisé un mannequin Hybrid IIII, alors que la modélisation par DAO utilisait les mesures du 50e percentile.

[152]  Le contre-interrogatoire a également mis l’accent sur la [traduction] « position naturelle » d’un conducteur dans la création de la nouvelle configuration, qui n’apparaît pas dans les brevets. M. Girouard a fait valoir qu’une position avancée du conducteur sur les motoneiges traditionnelles pouvait uniquement être temporaire, car il ne s’agissait pas de la position naturelle. Le conducteur retournerait s’asseoir vers l’arrière. En fait, des expressions comme [traduction] « biomécaniquement neutre » et « conducteur standard » étaient absentes des premières ébauches des brevets et sont apparues plus tard.

[153]  Aux questions qui portaient sur ce qu’il considérait comme l’invention au moment du dépôt, M. Girouard a déclaré que l’invention vise une architecture de motoneige comportant plusieurs avantages, dont la capacité de se lever au moyen de ses jambes et le rapprochement du centre de gravité du conducteur de celui du système, ce qui entraîne une réduction des mouvements sur un terrain accidenté; il s’agit également d’un châssis pyramidal ayant une rigidité torsionnelle et une stabilité accrue permettant au conducteur de maintenir une position avancée dans toutes les conditions.

[154]  M. Girouard n’a pas effectué de recherche sur l’art antérieur avant le dépôt de la demande de brevet et ses connaissances en ce qui concerne les motoneiges de l’art antérieur n’étaient certainement pas universelles, mais il était sûr que ce sur quoi il travaillait était nouveau (« je peux pas vous affirmer que j’avais l’information de toutes les motoneiges qui avaient existé dans le monde depuis le début. Toutefois, avec la quantité d’information il n’y avait aucun indice qui nous laissait croire que ça avait déjà existé. »).

[155]  En contre-interrogatoire, deux questions ont été traitées. D’abord, M. Girouard a témoigné que la « Dreyfuss » est une base de données bien connue utilisée dans la conception de produits. La base de données anthropométrique correspond aux mesures prises de la gamme de tailles corporelles dans une population, organisant les données par percentiles des différentes populations. Le système de DAO comprend l’intégration d’une maquette numérique; cette maquette numérique utilisée pour développer la motoneige représentait l’homme au 50e percentile. Même si les données proviennent de sources différentes, statistiquement parlant, elles sont représentatives de la population; les différences entre la maquette numérique et la « Dreyfuss » ne sont pas significatives sur le plan statistique.

[156]  Pendant le contre-interrogatoire, au fur et à mesure qu’on posait des questions sur les essais menés au Colorado en janvier 1999, on a également demandé à M. Girouard de préciser quel était le type de terrain au Colorado et les essais qui ont été menés. Il a répondu qu’il avait l’impression que les essais avaient été menés sur des [traduction] « terres de la Couronne » et, même s’il ne s’agissait pas d’un terrain privé, il y avait beaucoup de neige et les conditions étaient difficiles. Il ne se souvenait pas d’avoir vu d’autres motoneiges pendant les essais.

4)  Berthold Fecteau

[157]  M. Fecteau est le co-inventeur identifié dans chaque brevet en litige. Il est technicien concepteur. Il a obtenu son diplôme d’études secondaires en 1974, avec une spécialité en dessin technique. Il a commencé à travailler chez Bombardier en 1974 et y est resté pendant deux ans et demi. Après avoir passé une décennie à travailler ailleurs, il est retourné chez Bombardier en 1987. En 1993, il s’est joint au groupe d’ingénierie avancée, où il a travaillé jusqu’en 2002, date à laquelle a été muté dans le service de la concurrence.

[158]  M. Fecteau a témoigné à propos de son expérience personnelle avec les motoneiges, y compris une motoneige traditionnelle de 1971 que son père et lui avaient modifiée pour assurer un meilleur contrôle (ils ont placé le moteur à l’avant, rendu le siège plus confortable et ont élargi les skis) et une autre motoneige qu’il a modifiée lui-même pour lui un donner une allure plus sportive. Il a témoigné à propos de la façon dont il chevauchait les motoneiges pour accroître leur vitesse (en montant sur le réservoir de carburant en appuyant le guidon contre son corps) et sur les difficultés de maintenir une telle position.

[159]  Pendant qu’il travaillait sur les dessins pour la plate-forme ZX (une motoneige classique) en 1995-1996, il a fait un dessin dans lequel le conducteur se trouvait au centre du véhicule pour voir ce à quoi une telle machine ressemblerait (il ne s’agissait pas d’un projet officiel). Au moment où il a fait le dessin, il n’en a fait part à personne chez Bombardier.

[160]  MM. Girouard et Fecteau ont pris un modèle de motoneige CK3 et l’ont réorganisé pour en faire une maquette, qui comprenait des éléments d’embarcation (siège, capot); le tunnel a été raccourci d’un pied, mais la chenille d’entraînement a conservé la même longueur que celle d’une motoneige classique. Comme passe-temps, M. Fecteau travaillait également dans son sous-sol sur des façons d’améliorer la rigidité du châssis au moyen de la triangulation, mais s’est buté à des obstacles avec l’installation de tubulures (p. ex. le moteur faisait obstacle, le silencieux faisait obstacle).

[161]  À la suite de la décision de faire du REV un projet officiel à l’automne 1997, M. Fecteau a conçu des maquettes de véhicules pour déterminer le placement des composantes afin de permettre la fabrication des pièces. À la suite de la fabrication des pièces, M. Fecteau a donné des directives aux mécaniciens concernant l’assemblage du prototype.

[162]  Différentes difficultés se sont posées dans le développement du REV : la machine exigeait un nouveau châssis, une nouvelle suspension avant, une nouvelle colonne de direction, de nouveaux repose-pieds, de nouveaux réservoirs d’huile, de nouveaux caissons d’air, un nouveau réservoir d’essence et un nouveau système d’échappement. Le prototype a conservé le moteur, la chenille d’entraînement, le guidon (même s’il a été repositionné) et la suspension arrière d’une motoneige classique. Il a été difficile d’obtenir l’acceptation de bon nombre d’ingénieurs chez Bombardier.

[163]  Le premier parcours d’essai sur le premier prototype du groupe d’ingénierie avancée a eu lieu à l’hiver 1998 sur des terrains de Bombardier, près de l’atelier. En raison des mauvaises conditions hivernales de 1998, ils ont amené la motoneige sur une autre piste qui était utilisable en forêt. Au printemps 1998, l’équipe a achevé le deuxième prototype. Les troisième et quatrième prototypes ont été construits en même temps. Un prototype a été adapté pour être un véhicule de montagne ou de touring, et l’autre a été fait pour le snowcross avec un moteur de compétition. M. Fecteau a déclaré que les quatre prototypes ont été mis à l’essai par des membres de la haute direction au centre de Bombardier, à Cabano, où la société possède des sentiers privés.

[164]  La contribution de M. Fecteau à la rédaction des brevets a été limitée.

[165]  Une partie importante du contre-interrogatoire a été consacrée aux mesures du 50e percentile. Il a été établi qu’il ne connaissait pas bien « Dreyfuss » ou, d’ailleurs, les mesures que l’on retrouve aux figures 19 et 20 du brevet 106 et du brevet 813. Le contre-interrogatoire a même porté sur une comparaison, fondée sur une photographie de l’équipe de conception, des mesures des trois personnes qui ont été utilisées dans les premières étapes du développement de la nouvelle configuration pour montrer la différence entre les trois.

[166]  Pendant le contre-interrogatoire, on a discuté de ce qui semble être un petit véhicule circulant sur la neige, que l’on appelle une « SnoScoot ». En réinterrogatoire, M. Fecteau a expliqué davantage pourquoi il ne considérait pas la SnoScoot comme une motoneige : elle est très petite et elle n’est pas admise sur les sentiers, elle atteint une vitesse d’environ 20 km/h, les conducteurs ne semblent pas être confortables et les mensurations des conducteurs dans les images promotionnelles sont inconnues.

5)  Jérôme Wubbolts

[167]  M. Wubbolts a témoigné à propos du brevet 264, dont il est l’un des inventeurs, en plus de MM. Girouard et  Fecteau, ainsi que Mme Anne-Marie Dion.

[168]  M. Wubbolts est un gestionnaire du service technique au Centre de technologies avancées chez BRP (et un partenariat avec l’Université de Sherbrooke), où il est responsable du prototypage, du montage, de la fabrication et de l’essai des prototypes. Il a obtenu son diplôme de génie mécanique de l’Université McGill en 1989 et est membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec. M. Wubbolts s’est joint à Bombardier en 1995 en tant qu’ingénieur de projet dans le service d’ingénierie de Ski-Doo.

[169]  M. Wubbolts a témoigné qu’il a travaillé au développement du châssis pour la plate-forme CK3 et la plate-forme ZX. Il a travaillé avec M. Fecteau sur le châssis CK et a rencontré M. Girouard pendant les travaux sur la plate-forme ZX. Il a été informé pour la première fois du REV au printemps 1997 lorsqu’il a visité l’atelier du groupe d’ingénierie avancée et qu’il a vu la maquette que le groupe avait construite. Il a été impressionné par la conception qui amenait le conducteur à l’avant et qui centralisait les masses.

[170]  À l’automne 1997, MM. Fecteau et Girouard ont invité M. Wubbolts afin de discuter de l’assemblage des composantes compte tenu de son expertise relativement à la chaîne de montage et aux techniques de fabrication. Il était impressionné par les avantages présentés par le châssis pyramidal, qui [traduction] « accroît la poutre » : la hauteur accrue absorbe et renforce grandement la structure, et elle transfère la charge de l’avant vers l’arrière sur le côté opposé avec une plus grande résistance torsionnelle. Selon son témoignage, il n’avait jamais vu une telle structure sur une motoneige.

[171]  M. Wubbolts a conduit le REV pour la première fois en avril 1999 pendant les essais à Chibougamau. Il était [traduction] « extraordinaire » de le conduire et il absorbait très bien les bosses; en outre, il prenait les virages et changeait de direction très rapidement. M. Wubbolts a déclaré que ces essais étaient [traduction] « strictement confidentiels » et ils ont conduit le REV pendant la nuit et sur des sentiers créés spécialement à cette fin.

[172]  En qualité d’inventeur nommé dans le brevet 264 (le cadre pyramidal), il avait la responsabilité de modifier le cadre et de le rendre plus facile à produire. Une conceptrice du DAO, Anne‑Marie Dion, et lui ont conçu le cadre pyramidal pour avoir deux positions d’usine pour l’axe du guidon. Ils ont également remplacé la structure en métal par un profilé d’aluminium (figure 28 du brevet pour avoir une bonne vue). Ils ont également séparé les tunnels des côtés gauche et droit (qui ont ensuite été rattachés au moyen du radiateur) et ont ouvert le côté gauche du berceau de moteur afin de faciliter le montage du moteur.

[173]  M. Wubbolts a témoigné qu’en septembre 1999, il avait effectué des essais sur le châssis, y compris un essai torsionnel afin de mesurer les charges sur le devant de la motoneige et de calculer jusqu’à quel point celles-ci étaient déviées par la rigidité du châssis (une charge est appliquée sur les skis et on mesure le mouvement vers le haut du châssis). Ils ont également effectué des essais sur le châssis ZX à des fins de comparaison avec les résultats du REV : il fallait une charge environ 6,25 fois plus importante pour que le REV ait le même mouvement et, par conséquent, il est beaucoup plus rigide sur le plan torsionnel. Un châssis de motoneige Arctic Cat a également été mesuré à des fins de comparaison. La figure 30 du brevet montre une représentation graphique des charges qui ont été mesurées.

[174]  Le contre-interrogatoire a porté en grande partie sur les essais qui ont été menés avec le châssis. En réinterrogatoire, le témoin a été en mesure d’aborder de manière plus détaillée la façon dont les essais ont été menés. En ce qui concerne la torsion et la flexion, ainsi que la façon dont le châssis du REV était fixé sur la table pour les essais, M. Wubbolts a témoigné que l’essieu d’entraînement est monté sur un socle sur la table et deux autres points de montage de part et d’autre du tunnel sont attachés vers la table. Il a témoigné que le même mécanisme de montage a été utilisé pour les essais menés sur le châssis Arctic Cat et sur le châssis ZX.

6)  Peter Watson

[175]  M. Watson est un ergonome-conseil et il est le propriétaire et fondateur d’une société d’experts-conseils appelée Human Works Incorporated, établie à Thunder Bay. La société offre une gamme complète de services ergonomiques, y compris l’ergonomie de bureau, l’ergonomie industrielle et l’ergonomie de la conception. Il a achevé un baccalauréat ès sciences en zoologie à l’Université du Manitoba en 1979 ainsi qu’un baccalauréat ès sciences avec spécialisation en sciences de l’activité physique à la University of Guelph en 1982. Il détient également une maîtrise ès sciences en ergonomie de la Loughborough University of Technology (Angleterre), obtenue en 1993. Pour son diplôme de maîtrise, il a procédé à une évaluation ergonomique de la locomotive dans le tunnel sous la Manche entre le Royaume-Uni et la France.

[176]  M. Watson a témoigné à propos du domaine de l’ergonomie, présentant des exemples illustratifs pour expliquer ce que font les ergonomistes : améliorer les conceptions pour rendre les produits plus sécuritaires et plus efficaces. Il a également témoigné à propos de l’anthropométrie : l’étude des [traduction] « peuples, de leurs différentes tailles, formes et tranches selon l’âge, le genre et la race ». Il a expliqué qu’un ergonome utilise les données recueillies pour optimiser l’équipement, le mobilier, les vêtements, entre autres, pour des tranches de personnes données. M. Watson a témoigné que, en règle générale, ils achèteront un accès à des données sur les grandes populations ou, à plus petite échelle, qu’ils recueilleront les données personnellement.

[177]  M. Watson a déclaré avoir de l’expérience dans l’utilisation d’un logiciel de dessin assisté par ordinateur pour intégrer les personnes de percentiles particuliers. Il a témoigné que le 50e percentile est le groupe d’utilisateurs le plus important et qu’il correspond également à la moyenne. Un percentile est déterminé lorsqu’une enquête est menée et que l’étendue complète établit les personnes, de la plus petite à la plus grande; avec un 50e percentile, la moitié de la population est plus petite et l’autre moitié est plus grande. Les 5e et 95e percentiles sont habituellement utilisés pour limiter les tranches, car, au-delà de ces percentiles, il est très difficile de prendre des mesures d’adaptation sans que les coûts soient prohibitifs.

[178]  Il a décrit la biomécanique comme [traduction] « la position que vous devez prendre pour utiliser la motoneige. Essentiellement, il s’agit de décider s’il s’agit d’une bonne position, d’une position sécuritaire et d’une position confortable ou s’il s’agit d’une mauvaise position pouvant vous exposer à un risque de blessure ou qui est très inconfortable » et « il s’agit de la façon dont les personnes bougent pour accomplir une tâche ». Il a décrit cinq tâches pour la conduite d’une motoneige : accélérer, ralentir en ligne droite, vitesse en ligne droite, et tourner vers la gauche ou vers la droite.

[179]  En avril 1998, on a demandé à M. Watson de mener des essais sur ce que l’on appelait le projet « Café Racer » comparativement au Ski-Doo MXZ 670. Il a conduit les motoneiges à proximité de l’immeuble de recherche et de développement de Bombardier, à Valcourt. Pendant le transport en direction et en provenance des essais, le prototype Café Racer a été couvert. Dans le cas du Café Racer, les hanches étaient au-dessus du genou, la cheville était légèrement derrière le genou et les pieds étaient dans une position différente. M. Watson a témoigné que dans le Café Racer, le conducteur utilisait principalement les jambes pour gérer les bosses, le guidon servant uniquement à diriger plutôt que pour gérer les bosses avec le haut du corps. Selon M. Watson le Café Racer constituait une [traduction] « amélioration importante » par rapport aux modèles qu’il avait étudiés en 1994.

[180]  En mars 2000, il a examiné le deuxième prototype dans un rapport à l’intention de Denis Lapointe, de BRP. Il a comparé le prototype REV Café Racer au prototype REV P1 à la suite des essais menés à Cabano. Même si le positionnement du conducteur était similaire, il y avait de légères différences (les angles des articulations sont légèrement différents).

[181]  Dans le brevet 964, M. Watson est désigné comme un inventeur (le brevet concernant les hanches au-dessus des genoux). Il a déclaré avoir discuté avec M. Cutler, qui a joué un rôle important dans la rédaction du brevet, de certains aspects de la conception relativement aux renseignements à déposer (les variations dans les nombres, l’homme au 50e percentile et l’importance de la position des hanches au-dessus des genoux). Il a aussi eu des discussions avec M. Cutler concernant la formulation de certains aspects du brevet 106. Selon le témoignage de M. Watson, il (et M. Cutler) a rencontré un examinateur du Bureau canadien des brevets au sujet du brevet 106 à propos du libellé [traduction] « position biomécanique neutre » ou [traduction] « position biomécaniquement neutre » (il s’agit du libellé utilisé par M. Watson fondé sur son expérience et ses études en qualité d’ergonome).

[182]  En contre-interrogatoire, le témoin a soutenu qu’une personne qui correspond au 50e percentile peut en réalité avoir des membres qui ne correspondent pas au 50e percentile pour ce membre particulier. C’est plutôt la combinaison qui donne le 50e percentile. Par exemple, le témoin a indiqué que son haut du corps correspond au 40e percentile, mais que l’ensemble de son corps correspond approximativement au 50e percentile. Ce témoin a exprimé le point de vue selon lequel les données « Dreyfuss » sont désuètes comparativement à celles compilées par l’armée américaine. Cette affirmation a donné lieu à un bref réinterrogatoire au cours duquel M. Watson a établi que la différence dans les données serait faible et qu’elle ne serait pas significative compte tenu des travaux qui avaient été effectués à l’égard de la nouvelle configuration des motoneiges.

7)  Steward Strickland

[183]  M. Strickland est ingénieur en propriété intellectuelle chez BRP, un poste qu’il occupe depuis juin 2000. Il possède un baccalauréat en génie mécanique de l’Université McGill qu’il a obtenu en 2000. Il est membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec.

[184]  M. Strickland a témoigné à propos de son rôle en tant qu’ingénieur en propriété intellectuelle pour BRP; il sert de liaison entre les ingénieurs et BRP et le cabinet juridique externe qui gère les brevets de la société et, en termes plus généraux, les questions en matière de propriété intellectuelle. Il est également responsable d’examiner les brevets des concurrents pour veiller à ce que les produits fabriqués par la société n’y contrefont pas. En règle générale, une demande de brevet est rédigée pour les États-Unis, puis le même brevet est déposé au Canada, sauf si des modifications sont requises en raison du droit canadien en matière de brevet. M. Strickland a témoigné qu’il a entendu parler pour la première fois du projet REV peu après avoir commencé à travailler chez Bombardier. Il a témoigné que M. Jonathan Cutler, son patron à l’époque, lui a montré un prototype REV et lui a expliqué la position de siège et le cadre pyramidal.

[185]  Il a participé [traduction] « occasionnellement » au brevet 964, mais les brevets 106, 813 et 264 avaient été déposés avant son arrivée au sein de la société. Il a témoigné que, en 2006, BRP a mené une étude ergonomique préliminaire sur trois véhicules concurrents pour décider si ces véhicules étaient visés ou non par les revendications dans une demande américaine en suspens. Un ingénieur était responsable de procéder aux mesures (y compris les mesures relatives au centre de gravité) pour lui permettre de suivre certains critères établis par M. Strickland (véhicule rempli de carburant, positions de direction, de repose-pieds et de suspension statique particulières). Ils ont utilisé M. Fecteau comme conducteur au 50e percentile, puisqu’il semblait [traduction] « très près » de la norme; M. Fecteau a été placé dans une [traduction] « position de conducteur standard », selon l’interprétation qu’avaient les ingénieurs de cette position. Les mesures ont été prises au moyen d’un appareil de mesure informatisé (AMI), pendant que d’autres mesures ont été prises à partir d’un dessin assisté par ordinateur. Ils ont mesuré un Polaris Fusion 600 HO 2006, un Yamaha Apex 2006 et un Arctic Cat Crossfire 2006. Le rapport a conclu que certaines des mesures indiquaient que des revendications auraient été contrefaites, mais pas l’ensemble des revendications.

[186]  On lui a demandé en 2008 d’effectuer des mesures similaires relativement aux revendications du brevet canadien pour les brevets 106, 813 et 964 (on a également procédé à des mesures relatives aux brevets 345 et 795, qui ne sont pas invoqués dans les procédures judiciaires). Ils ont mesuré sept véhicules en 2008. M. Strickland a également témoigné à propos de la correspondance qu’il a eue avec une société appelée PMG Technologies. Pour les essais de 2008, M. Strickland voulait utiliser un mannequin représentant l’homme au 50e percentile et il a communiqué avec la société à propos de la faisabilité d’en acquérir un pour l’utiliser sur la motoneige (un mannequin Hybrid III). Il a loué un mannequin et l’a fourni au centre de R. et D. pour prendre les mesures; il a témoigné que le mannequin a été placé sur le véhicule de la même façon que M. Fecteau s’y était assis et le protocole de mesure était le même. M. Strickland a témoigné qu’un stagiaire a pris les mesures en 2008. Il a témoigné qu’il avait expressément demandé des mesures à savoir si les hanches étaient placées au-dessus des genoux. Les véhicules mesurés comprennent les modèles Arctic Cat Racing 2008, Arctic Cat TZ1 LXR 2008, Arctic Cat Jaguar Z1 2007, [CAVIARDÉ]. Au moyen de ces mesures, M. Strickland a déterminé s’il y avait une contrefaçon des brevets du REV; des graphiques ont été produits pour refléter les résultats des essais menés (P‑21, onglets 4 et 5).

[187]  Le contre-interrogatoire a établi que M. Strickland n’a pas fait d’études en droit des brevets, y compris sa connaissance des manuels de référence. Même si M. Strickland a reçu une certaine formation en rédaction de brevets, il ne possède aucune expertise en droit des brevets au sens propre.

[188]  Il convient de souligner deux autres domaines couverts pendant le contre-interrogatoire. Dans un premier temps, même si le témoin a l’habitude d’effectuer certaines recherches sur l’art antérieur, il consulte habituellement d’autres ingénieurs de BRP à propos de l’art antérieur. Dans un deuxième temps, le contre-interrogatoire a permis d’établir que M. Strickland a contribué dans une certaine mesure à la préparation de ce qui est devenu le brevet 964. M. Strickland a confirmé qu’il avait fourni le dessin, sans chiffres sur celui-ci, qui était censé représenter la motoneige de l’art antérieur, qui est une motoneige BRP avant que les changements allégués enseignés par le brevet 964 soient mis en œuvre. Cette figure 1 du brevet « 964 » a ensuite été comparée à la figure 1 du brevet « 106 », qui est également présenté comme l’art antérieur représentant une motoneige BRP avant que les changements enseignés par le brevet soient mis en œuvre. À première vue, les dessins sont différents : les positions des hanches, des chevilles, des genoux et des bras sont différentes d’une figure à l’autre. C’est comme si la figure 1 du brevet 964 représentait le conducteur assis sur le siège près de l’avant de la motoneige.

[189]  En réinterrogatoire, on a tenté d’expliquer la différence entre les deux. Il semble qu’il existait différentes plates-formes de la plate-forme MXZ en 1999 (une plate-forme correspond à une motoneige MXZ sur le châssis ZX et l’autre, une motoneige MXZ sur le châssis S-2000), ce qui explique la différence (importante). C’est peut-être vrai, mais un simple examen des deux figures aurait tendance à révéler que les deux conducteurs sont assis à des emplacements différents, l’un étant manifestement assis vers l’arrière du siège. Cela changerait de manière évidente la position des chevilles, des genoux, des hanches, des bras, ainsi que l’angle du dos du conducteur par rapport à la position de siège.

8)  Jonathan Cutler

[190]  M. Cutler est en avocat spécialisé en brevets ayant des diplômes en droit civil et en common law. Il a obtenu un diplôme d’ingénieur de l’Université McGill en 1991. Il est membre des barreaux du Québec, du Massachusetts et de New York, et il est un agent de brevets agréé au Canada et un avocat en brevets agréé aux États-Unis. Il est membre de l’Ordre des ingénieurs du Québec. En septembre 1999, M. Cutler a joint Bombardier en qualité d’avocat traitant des questions de propriété intellectuelle dans le groupe des produits récréatifs. Comme il l’a affirmé volontairement dans son témoignage, il était seul, car il n’y avait pas service de PI et il n’avait jamais vu une motoneige avant de commencer à travailler chez BRP (transcriptions, le 11 février 2015, à la page 190). En fait, il n’était agent des brevets que depuis un an avant de se joindre à BRP; le brevet 106 était le premier brevet qu’il a défendu devant la Cour pour le compte de BRP.

[191]  M. Cutler a témoigné à propos de sa participation à la demande qui a donné lieu aux brevets 106 et 813. M. Cutler avait non seulement des connaissances extrêmement limitées des motoneiges, mais il subissait aussi des pressions de temps depuis qu’il s’est joint à BRP, en septembre 1999, puisqu’une demande avait déjà été déposée en décembre 1998, et qu’il savait à cette époque que l’échéance d’un an dont il disposait pour [traduction] « en quelque sorte augmenter la demande, l’étoffer ou revendiquer une priorité interne » approchait. Il a témoigné qu’on lui avait indiqué de continuer la demande de brevet. Il a retenu les services d’un avocat externe d’un cabinet américain qui était tout aussi néophyte en matière de motoneiges pour l’aider avec le processus de demande (Jeff Karceski). M. Karceski et lui ont rencontré M. Girouard pour qu’il leur explique l’invention. MM. Cutler et Karceski ont ensuite examiné comment revendiquer la motoneige dans le formulaire de brevet ([traduction] « il nous semblait que nous devrions revendiquer la motoneige en ce qui concerne sa structure et son agencement de sorte que le conducteur, vous savez, soit, dans ce cas, positionné d’une certaine façon pour atteindre le résultat qu’il souhaitait atteindre » (transcriptions, le 11 février 2015, à la page 196). En conséquence, la décision de rédiger la divulgation et les revendications des brevets 106 et 813 a été prise entre octobre 1999 et la date de dépôt du 23 décembre 1999 par des avocats qui n’avaient jamais même conduit une motoneige auparavant.

[192]  M. Cutler a déclaré que, lorsqu’ils ont commencé à rédiger la nouvelle demande, ils n’avaient pas pris les mesures ou les points de référence. Finalement, ils ont décidé de normaliser le conducteur; M. Cutler a témoigné qu’il a rencontré une personne du service de conception qui lui a remis un livre de « Dreyfuss ». La dernière page de la demande provisoire (P‑6) montre le diagramme « Dreyfuss » qu’il a reçu. Il a fourni le dessin à M. Girouard et a décidé de normaliser l’invention pour un homme au 50e percentile; après quoi, M. Girouard a fourni des chiffres et des dessins représentatifs pour les utiliser dans le brevet le 24 novembre 1999. La Cour est frappée par le niveau d’improvisation dans la rédaction de la demande, entre octobre 1999 et décembre 1999. Aucun des avocats rédigeant la demande de brevet n’a de l’expérience, ils reçoivent les directives d’un des inventeurs, M. Bruno Girouard, qui n’a pas d’expérience lui non plus. M. Cutler explique :

[traduction]

  Donc, je redonne cela à Bruno. Je lui dis, Bruno, voici votre image numérisée. C’est bien cela? Nous avons trouvé une façon de mettre en mots ce qui, nous croyons, décrira votre invention. Normalisons-la à un homme au 50e percentile. Pouvez-vous, s’il vous plaît – et c’est là l’origine des chiffres.

Bruno s’en retourne, prend ces chiffres et effectue les calculs. Je veux dire, je n’ai pas – je ne regardais pas ce qu’il faisait, et il revient vers nous et c’est de là que viennent les chiffres de la demande de brevet, car il s’agissait des chiffres que Bruno avait tirés de l’utilisation de cette norme particulière.

Avocat : M. Girouard vous a-t-il dit comment il était parvenu à ces chiffres, ce qu’il avait mesuré, comment il l’avait mesuré?

M. Cutler : Non.

Avocat : Non.

M. Cutler : Il ne l’a pas fait.

Donc, ce qu’il a fait c’est de prendre un chiffre tiré de – donc si vous revenez quelques pages en arrière, d’accord.

(Transcriptions, le 11 février 2015, aux pages 203-204.)

[193]  Comme il l’a indiqué à la page 206, M. Girouard [traduction] « a fait tous les calculs lui-même » (transcriptions, le 12 février 2015, à la page 147).

[194]  M. Cutler a témoigné à propos de la pièce P‑6, la demande provisoire déposée le 26 novembre 1999, en vertu des lois américaines. Une demande provisoire prévoit [traduction] « le droit d’avoir des droits de dépôt et une date de dépôt, mais elle n’est pas examinée ». Il a déclaré que, puisque l’inventivité dans une demande de brevet est mesurée par rapport à une date de dépôt, une demande provisoire américaine présente un avantage, particulièrement, car les lois américaines protégeaient les demandes déposées aux États-Unis pendant la période pertinente. Après le dépôt de la demande P-6, celle-ci a été communiquée à MM. Girouard et Fecteau, ainsi qu’à d’autres dirigeants de BRP. La demande qui est finalement devenue le brevet 106 a ensuite été déposée au Canada, le 23 décembre 1999, avec une date de priorité d’une demande déposée antérieurement (P‑5).

[195]  M. Cutler a témoigné à propos de l’historique des procédures pour le brevet 106, qui se sont étendues sur de nombreuses années. La poursuite a commencé près de quatre ans après le dépôt du 23 décembre 1999. Le 8 août 2003, il a envoyé une lettre au Bureau des brevets pour demander l’examen de la demande. À l’époque, la demande américaine correspondante faisant l’objet d’un examen dans ce pays et BRP avait choisi de ne pas commencer le processus canadien entre-temps. Elle a volontairement modifié la demande à cette époque en fonction d’une certaine rétroaction de l’examinateur américain (relativement à des préoccupations selon lesquelles BRP revendiquait un être humain, elle a remplacé le libellé à propos du conducteur standard et une description du conducteur standard). Elle a également fourni au Bureau canadien des brevets une déclaration de divulgation d’informations à propos de l’art antérieur dont elle s’était informée en prévision d’une demande de renseignements (y compris le SnoCoot de Yamaha). M. Cutler a également témoigné à propos des demandes de l’examinateur canadien (P‑24, onglet 4). L’examinateur a fait trois rejets de la demande : la nouveauté fondée sur une demande de brevet appelée Stephenson, l’évidence en combinant les demandes Stephenson et Yasui (Yasui concerne la SnoScoot), et une question en matière d’évidence générale concernant les connaissances communes générales dans l’art antérieur (les demandes de brevets sont désignées au moyen du nom de l’inventeur, p. ex. Stephenson ou Yasui).

[196]  En réponse à la demande, M. Cutler a déclaré que la demande a alors été séparée en demandes complémentaires selon les inventions que l’examinateur avait relevées (le groupe A a donné lieu à la demande 106; le groupe B, à la demande 813; le groupe D et le groupe C ne sont pas pertinents en l’espèce). BRP a répondu à la demande (P‑24, onglet 6). BRP a réorganisé les demandes pour ne demander que les revendications du groupe A et a fait valoir que la qualification indéfinie des revendications était une erreur, en plus de fournir des renseignements concernant l’autre art pertinent. Plus particulièrement, ils ont fait valoir que Yasui n’enseigne pas qu’un tunnel est souhaitable et, par conséquent, il ne devrait pas être combiné au brevet Stephenson (une motoneige conçue pour flotter).

[197]  La demande de brevet a été accueillie. Suite à l’admission du brevet, M. Cutler a tenté de modifier la demande au moyen d’une modification (règle 32) pour l’harmoniser avec la demande américaine, en éliminant les références aux retenues de pied. M. Cutler a témoigné que l’examinateur a rejeté cette demande de modification, car elle supprimait un élément de la revendication. En réponse, BRP a décidé de retirer les derniers droits qu’elle avait payés et d’abandonner la demande, avec la capacité de la rétablir à l’intérieur d’un délai d’un an (ce qu’elle a fait dans les 13 jours suivants). Le rétablissement a ensuite permis le réexamen de la demande de brevet sans les retenues de pied (P‑24, onglet 13).

[198]  M. Cutler a témoigné que, dans le réexamen, l’examinateur en est venu à croire que la demande portait sur deux inventions et avait des préoccupations à propos du caractère indéfini du conducteur standard et de la position standard. M. Cutler a décidé de demander une rencontre avec l’examinateur. Lors d’une rencontre qui a eu lieu en février 2006 avec l’examinateur de brevets, BRP était accompagnée de l’ergonome Peter Watson et a apporté plusieurs motoneiges (le REV et des machines de l’art antérieur). M. Watson a laissé entendre pendant la rencontre que, lorsqu’ils parlaient d’une position standard, ils parlaient d’une position biomécaniquement neutre. L’examinateur a suggéré que si l’expression [traduction] « position biomécaniquement neutre » était insérée, il jugerait la demande acceptable. Ils ont ensuite modifié le libellé par [traduction] « position biomécaniquement neutre » (P‑24, onglet 18).

[199]  M. Cutler a témoigné brièvement à propos du fait que le brevet 813 constituait un brevet complémentaire de la demande 106; il est lié aux revendications qualifiées de groupe B. Il a déclaré que [traduction] « à un niveau très élevé, ils ont suivi les mêmes procédures que la demande de brevet antérieur, son brevet principal ».

[200]  M. Cutler a également témoigné à propos de l’historique des procédures pour le brevet 964 (P‑27). La demande qui a mené au brevet 964 (P‑27) a été déposée le 15 novembre 2002. L’examinateur du brevet a soulevé une question en matière de nouveauté relativement au brevet Yasui (la SnoScoot) et sa compréhension des enseignements de Yasui; il s’est également plaint de l’utilisation de marques de commerce qui ne sont pas identifiées comme telles dans la demande et de la qualité des dessins présentés (P 27, onglet 3). BRP a répondu (P‑24, onglet 4). Elle a changé les feuilles de dessin, modifié les demandes afin de mieux définir l’invention et a identifié les marques de commerce; BRP a également expliqué pourquoi Yasui n’avait pas anticipé ou rendu les revendications non nouvelles (elle a mis l’accent sur le tunnel, qui n’est pas une caractéristique de Yasui qui indique plutôt une construction tubulaire).

[201]  L’examinateur a ensuite délivré une seconde demande dans laquelle il a rejeté les revendications au motif d’une évidence en combinant Yasui à une deuxième référence, Irvine; il s’est également plaint de nouveau de la qualité des dessins. BRP a répondu une fois de plus (P‑27, onglet 7). Elle a remplacé les feuilles de dessin et a fait valoir que Yasui enseignait expressément contre l’utilisation des tunnels et préconisait l’élimination du tunnel, elles ne pouvaient donc pas être combinées pour rendre les revendications évidentes; BRP a également contesté le fait que le conducteur dans Yasui correspondait à un homme au 50e percentile. La demande modifiée a été accueillie (P‑24, onglet 8).

[202]  M. Cutler a témoigné à propos de l’historique des procédures pour le brevet 264 (P‑29). Il a déclaré que, même si la demande revendiquait [traduction] « un châssis composé », le brevet délivré revendiquait [traduction] « une motoneige composée ». Ce changement était imputable au fait que l’ensemble de châssis convenait uniquement à des motoneiges et non, comme le considéraient MM. Girouard et Fecteau, à un véhicule à roues également; par conséquent, ils ont circonscrit les revendications pour le brevet 264.

[203]  M. Cutler a également témoigné à propos de la pièce D‑2 : la lettre de BRP à Ole Tweet, d’AC. Il a indiqué que la lettre a été envoyée par excès de prudence en vue de se conformer à l’exigence américaine selon laquelle, pour demander des dommages-intérêts avant la délivrance du brevet, le titulaire d’un brevet doit avoir fourni un avis effectif. Au moment où la lettre a été envoyée, BRP n’avait aucune connaissance quant à une contrefaçon par Arctic Cat et une lettre similaire a été envoyée à Polaris.

[204]  Le contre-interrogatoire a montré les écarts nombreux et importants qui existent relativement aux mesures du conducteur utilisées dans différents brevets. Le témoin n’a pas été en mesure d’expliquer d’où provenaient les mesures et comment il peut y avoir de tels écarts. Il ne semble pas qu’on ait accordé beaucoup d’attention à cette question.

[205]  Le témoin a confirmé pendant le contre-interrogatoire que l’expression [traduction] « biomécaniquement neutre » était nouvelle pour lui lorsqu’elle a été utilisée par M. Watson pendant l’entrevue avec l’examinateur canadien en février 2006. Effectivement, la seule raison pour expliquer l’adoption d’une telle terminologie était en vue de satisfaire aux préoccupations soulevées par l’examinateur.

[206]  On a longuement questionné M. Cutler à propos des tentatives effectuées aux États-Unis pour obtenir un brevet, dont les demandes dans certains cas n’ont pas mené à la délivrance d’un brevet (p. ex. la demande américaine 268). En effet, il y avait un certain intérêt à comparer les litiges aux États-Unis, mais les objections valides ont limité le contre-interrogatoire sur ce point.

[207]  Le réinterrogatoire a donné une possibilité au témoin de préciser la raison pour laquelle des [traduction] « mesures » ont été utilisées plutôt que de s’appuyer sur un conducteur standard. M. Cutler a expliqué que l’avocat américain était convaincu que la personne versée dans l’art comprendrait l’invention. Cependant, M. Cutler était [traduction] « un peu mal à l’aise avec ça » (transcriptions, le 17 février 2015, à la page 130). Sans être en désaccord, il préférait quelque chose de plus définitif. C’est de cette façon qu’un effort a été entrepris en vue de normaliser le conducteur. Le conducteur standard est devenu un ensemble de dimensions et de points d’attache. Essentiellement, M. Cutler croyait que les mesures ne pouvaient pas faire de tort et qu’elles pouvaient être utiles.

[208]  La Cour tire du témoignage candide de M. Cutler que le modèle de rédaction des brevets (106 et 813) a été constitué aux environs de l’automne 1999, les auteurs ne connaissant pas les motoneiges et un inventeur fournissant des instructions qui semblait avoir tiré les mesures d’observation de ce que l’on considérait comme un homme au 50e percentile assis sur une motoneige reconfigurée. Son témoignage ne permet pas d’élucider la façon dont on est parvenu aux mesures ou la différence qui existe par rapport aux mesures qui auraient été prises à partir de la motoneige classique. En d’autres termes, les mesures avaient uniquement pour objet de représenter la nouvelle structure et la nouvelle construction.

[209]  La même technique indirecte qui consiste à offrir les mesures d’un conducteur standard assis sur une motoneige reconfigurée a été utilisée dans la rédaction du brevet 964.

[210]  Il n’y a aucune indication quant au niveau de changement qui est censé découler des différentes mesures ou à ce qui est produit par les différentes combinaisons possibles, compte tenu des plages incorporées dans les mesures. Ce qui est frappant, à mon avis, dans le témoignage de M. Cutler, c’est l’absence d’une explication quant à la corrélation entre les mesures et la nouvelle configuration. M. Cutler, l’un des principaux auteurs des brevets, prend ses distances à l’égard des mesures des brevets 106 et 813 qui provenaient exclusivement des inventeurs. On ignore ce qu’elles représentent et quelle utilisation on peut en faire. À la suite de son témoignage, M. Cutler s’est dissocié complètement de ces mesures, hormis le fait d’avoir recommandé leur inclusion.

[211]  Pour quelque chose qui est présenté comme étant révolutionnaire, on a la nette impression d’un manque de diligence et de rigueur. Par exemple, il n’est très certainement pas clair dans ce dossier qu’une expertise spécialisée a été appliquée à la rédaction de leurs brevets sur le [traduction] « conducteur à l’avant ». Effectivement, on ignore toujours en quoi la technique de rédaction indirecte utilisée permet de vérifier ce en quoi consiste l’invention. L’utilisation des chiffres 19 et 20 dans le brevet 106 n’a jamais été expliquée non plus. Pourquoi ces chiffres ont-ils été inclus? Qu’étaient-ils censés ajouter?

[212]  Cette question est revenue régulièrement pendant le procès. Comment passe-t-on des mesures à la reconfiguration envisagée par les brevets? Le témoignage de M. Cutler n’aide pas à répondre à la question.

9)  Robert Strauss

[213]  M. Strauss est le propriétaire exploitant de Rob’s Performance Motorsports, à Johnson Creek, au Wisconsin. Le magasin vend des motoneiges, des VTT, des embarcations personnelles et des VU ainsi que des PAV (pièces, accessoires et vêtements). La société est exploitée depuis 1982. M. Strauss a témoigné à propos de sa participation au REV et de son enthousiasme à l’égard de celui-ci.

[214]  En 2001, il a été invité par M. Boisjoli à mettre à l’essai un nouveau véhicule développé par BRP. Le groupe s’est rendu aux installations de BRP à Cabano, au nord de la ville de Québec, où ils ont passé en revue [traduction] « les formalités habituelles auxquelles j’ai toujours été habitué, la non-divulgation et la discussion à propos de la sécurité de ce que nous allions faire ». On leur a montré un véhicule sur une table qui, selon M. Strauss, [traduction] « rompait entièrement » avec les véhicules dans l’industrie de la motoneige. Il a comparé la motoneige à un jeu de bascule où le conducteur serait assis sur le pivot plutôt qu’à l’arrière du véhicule. Il a témoigné que le pivot est l’endroit où le conducteur voudrait s’asseoir, plus particulièrement aux fins d’une conduite agressive, mais traditionnellement, les configurations de la colonne de direction feraient obstacle et la fatigue du conducteur l’empêcherait de maintenir une telle position à long terme. Lorsqu’il a conduit le véhicule, il lui a fallu environ cinq minutes pour s’adapter. Il a témoigné à propos de son empressement immédiat à avoir le véhicule dans son magasin pour le vendre à ses clients.

[215]  Le lancement du REV a eu lieu, dans le monde de la course, à Spirit Mountain, à Duluth, au Minnesota, à la fin du mois de novembre 2001. Il était présent afin d’aider certains coureurs appuyés par la concession, et il a vu le dévoilement public du REV par Ski-Doo. Il a témoigné qu’il y avait un [traduction] « engouement comme jamais dans l’aire des paddocks ou des puits de ravitaillement » et l’engouement s’est propagé dans les forums et ailleurs dans la communauté des motoneigistes.

[216]  Lorsque le BRP a lancé le REV aux fins de la vente à un Club (convention de ventes) à la fin du mois de février ou en mars 2002, les [traduction] « ventes ont explosé » pour le produit. Juste avant le Club, Bombardier a fourni aux concessionnaires des prototypes que les clients pouvaient mettre à l’essai. M. Strauss a indiqué que les clients d’autres marques de motoneiges sont devenus des clients de Ski-Doo en raison du REV. Au cours des 12 mois qui ont suivi l’introduction du REV, M. Strauss a indiqué qu’il est passé de la troisième à la première place dans les environs. Selon son témoignage, les motoneiges des concurrents, dont Polaris, ont finalement incorporé la technologie REV dans leurs machines.

[217]  M. Strauss a témoigné à propos de l’importance, pour sa société et son moyen de subsistance, du volet PAV (pièces, accessoires et vêtements) de son entreprise et a énuméré différents exemples de produits (p. ex. casques, vêtements, panneaux de couleurs personnalisables) qui sont marqués et qui contribuent à des marges de profit plus élevées que les véhicules. Il a indiqué que sa société réalise des profits moyens d’environ [CAVIARDÉ]. Avant le REV, il n’y avait [traduction] « aucune concentration sur le volet PAV de la part des fabricants ». Il réalise un profit moyen de [CAVIARDÉ] sur une période de trois ans par véhicule. M. Strauss a témoigné à propos de la motoneige Blade avec une image du véhicule (P‑22). Il a indiqué qu’il avait conduit le véhicule sur de nombreux kilomètres dès le début des années 2000 bien avant sa première rencontre avec le REV. Il l’a décrit comme une motoneige classique ayant une bonne exécution du développement de la suspension et qu’un conducteur serait assis de la même façon qu’il le serait sur toute autre motoneige antérieure. En ce qui concerne la SnoScoot de Yamaha, il l’a décrite comme ayant été conçue pour des enfants et elle n’a pas changé le monde de la motoneige.

[218]  En contre-interrogatoire, M. Strauss a confirmé qu’il est un endosseur enthousiaste des produits BRP. Il se souvenait clairement d’avoir conduit le REV pendant deux heures à Cabano en 2001 et il a insisté sur le fait que son évaluation portait sur la mise en marché, car il n’avait pas été invité à évaluer la mécanique du véhicule.

10)  Bernard Guy

[219]  M. Guy est vice-président et directeur général régional pour la région de l’Amérique du Nord pour BRP; il occupe ce poste depuis juin 2014. Il est responsable des ventes, du marketing, du service après-vente et de l’élaboration du réseau pour l’ensemble des produits BRP, à l’exception des produits Evinrude. Il est titulaire d’un baccalauréat en génie mécanique et d’une maîtrise en administration des affaires de l’Université de Sherbrooke. Il était directeur de l’ingénierie pour les motoneiges à BRP de 2000 à 2002, où il était responsable de l’ingénierie, de la recherche et du développement de motoneiges.

[220]  M. Guy a témoigné à propos de la chronologie du développement du REV, au moyen d’une chronologie qu’il avait préparée pour la poursuite afin de l’aider à se souvenir des dates. Il a entendu parler du REV pour la première fois près de la fin de 1998 alors qu’il s’agissait d’un sujet âprement discuté au service d’ingénierie. Il a vu son premier prototype au début de 1999, lorsqu’il a immédiatement constaté la différence dans la position et qu’il s’est demandé si le conducteur serait assis trop haut pour être stable. Il a également remarqué le cadre pyramidal qui, il le savait, rendrait la motoneige plus rigide, mais posait également des problèmes pour ce qui est du positionnement des composantes dans la motoneige.

[221]  M. Guy a témoigné qu’il avait mis à l’essai le prototype pour la première fois à l’hiver 2000‑2001, lorsque le directeur de projet, Robert Handfield, et lui sont restés tard pour l’essayer sur les sentiers isolés entourant le centre de recherche. Lorsqu’il n’était pas en mesure (sur une motoneige ZX classique) de suivre M. Handfield (sur le REV) en raison des bosses sur le terrain, il était convaincu que le REV serait un [traduction] « skidoo » pour le segment cross country, mais il n’était pas convaincu qu’il fonctionnerait pour les segments de montagne ou de touring.

[222]  Lorsqu’il est devenu directeur de l’ingénierie pour les motoneiges, le REV était à l’étape de production pour les véhicules P2. À l’étape P2, l’accent porte sur la fonctionnalité (à savoir si la motoneige fonctionne ou non) et, à l’étape P3, il porte sur la fiabilité et l’endurance. À l’étape P2, il doit également décider de procéder à [traduction] « l’automatisation fixe » [CAVIARDÉ] ou à [traduction] « l’automatisation souple » [CAVIARDÉ] selon le nombre de véhicules qu’il voulait produire; M. Guy a déclaré que, à la fin de l’hiver 2001, BRP a décidé d’investir dans l’automatisation fixe qui permet la production à grande échelle.

[223]  Avant le lancement du REV, il y avait beaucoup d’inquiétudes quant à la question de savoir si le marché l’accepterait. Pour aider à encourager l’acceptation et l’adoption du REV, M. Guy a déclaré que BRP a pris des mesures supplémentaires au cours de l’hiver 2001‑2002 : elle a inscrit un prototype dans une course ouverte de véhicules modifiés; elle a invité les médias à une séance d’essais privés pour qu’ils puissent préparer des articles pour janvier et février (juste avant le lancement au mois de mars); ils ont produit 160 prototypes P3 (100 de plus que la normale) pour que les consommateurs puissent essayer les véhicules avant de les commander; et elle a fait une brochure expliquant le développement du REV. Ces étapes ont été planifiées à la fin de l’année 2000 et au début de l’année 2001.

[224]  Des commandes ont été prises et les véhicules ont été livrés aux concessionnaires entre août et novembre 2002 (ce que l’on considère être une année de modèle 2003). Il a déclaré que, à partir du lancement, BRP est passée de la troisième place sur le marché (Polaris occupant la première) à la première place; avant le lancement, elle avait environ [CAVIARDÉ] du marché et, à la fin de l’année 2003, elle avait une part de marché de [CAVIARDÉ] (le REV figurant uniquement dans le segment cross-country). M. Guy a témoigné que, à l’heure actuelle, BRP occupe [CAVIARDÉ] pour cent du marché nord-américain.

[225]  M. Guy a également témoigné à propos de la réponse des médias de l’industrie à l’égard du REV. La plupart des articles regroupés dans la pièce P‑32 sont en faveur du REV, mais conviennent tous qu’il est radicalement différent. M. Guy a également produit la pièce P‑33, un cartable des réactions des concurrents, y compris des critiques du REV formulées par Polaris pour avoir obligé les conducteurs à changer de position de conduite.

[226]  La même plate-forme peut être utilisée pour différents segments (p. ex. la plate-forme du châssis demeure la même, mais une chenille d’entraînement plus longue est utilisée pour un véhicule de montagne). Chaque modèle peut avoir des ensembles différents; M. Guy les a comparés aux différents ensembles de garniture. Les véhicules utilitaires peuvent avoir recours à la plate-forme REV XU, mais peuvent également être adaptés sur d’autres plates-formes REV, compte tenu de la gamme de motoneiges utilitaires. Le segment cross-country a été développé comme un modèle de motoneige intermédiaire pouvant circuler sur des sentiers et dans la neige épaisse. M. Guy a expliqué que, puisque l’industrie de la motoneige est un marché mûr, les fabricants tentent de trouver de nouveaux sous-segments et de nouveaux créneaux à exploiter. En décembre 2011, BRP a fait l’achat de deux motoneiges Arctic Cat (une N800 et une F800; modèle 2012). On a procédé à l’achat de ces motoneiges pour être en mesure de prendre des mesures pour déterminer si elles étaient en contrefaçon des brevets du REV.

[227]  M. Guy a également parlé de la SnoScoot. Il a déclaré avoir entendu qu’Arctic Cat soutenait que la SnoScoot constituait un art antérieur. Il a témoigné qu’il s’agissait d’un véhicule pour enfants fabriqué par Yamaha à la fin des années 1980 et au début des années 1990, qu’il avait de 8 à 12 chevaux-vapeur et une vitesse maximale de 20 km/h. Même s’il comprend des skis, un moteur, entre autres, comme une motoneige, M. Guy ne croit pas qu’il s’agisse d’un art antérieur, car un adulte ne peut pas s’asseoir sur celui-ci dans une position avancée. En outre, il n’est pas conçu pour circuler rapidement sur les bosses comme le REV ([traduction] « Il n’absorbe pratiquement aucune bosse. Il ne fait que passer lentement sur les bosses. »).

[228]  M. Guy a témoigné à propos de la pièce P‑35, une liste à jour des modèles AC pour les années 2007 à 2015 qui, selon les allégations de BRP, constituent des contrefaçons; il a déclaré que les renseignements dans le graphique provenaient des brochures d’Arctic Cat. Selon son témoignage, BRP n’a lancé la poursuite qu’en décembre 2011, car la contrefaçon s’est produite graduellement sur des modèles dont les cycles de production étaient limités et parce que la société avait d’autres priorités pendant la crise financière de 2008‑2009. M. Guy a déclaré que lorsqu’il a vu l’introduction du châssis ProCross/ProClimb, BRP a estimé que la [traduction] « contrefaçon semblait encore plus évidente » et [traduction] « se rapprochait trop de ce que nous considérions être notre propriété intellectuelle », et nous avons intenté la poursuite.

[229]  M. Guy a témoigné à propos des dommages-intérêts en fonction de l’analyse présentée à la pièce P‑36. M. Guy a fourni des documents établissant les données sur les ventes, ainsi que des renseignements sur les parts de marché, recueillies par l’International Snowmobile Manufacturer Association pour BRP, Arctic Cat, Polaris et Yamaha, par saison et par segment, entre 1999 et 2014. Il a déclaré que les données montraient les répercussions de l’introduction du REV dans chaque segment (en 2002 en Amérique du Nord, avant le REV, BRP avait [CAVIARDÉ] du marché du cross-country; en 2003, elle avait [CAVIARDÉ]). Il a également témoigné à propos d’une liste, créée par le service de planification des produits de BRP, de motoneiges d’AC et de BRP de 2007 à 2014 ainsi que des segments dans lesquels les sociétés offrent les motoneiges. BRP avait une capacité de fabrication afin de produire les ventes perdues alléguées de [CAVIARDÉ] unités par année, car ce nombre représente environ [CAVIARDÉ] journées de production qui pourraient être faciles à ajouter sans engager des dépenses supplémentaires. Il a fourni une feuille de calcul Excel établissant toutes les ventes de BRP et d’Arctic Cat au Canada et aux États-Unis (chaque entrée indique la province, le fabricant, le nom de modèle, le segment du marché, l’année de modèle, la plate-forme et le nombre d’unités enregistrées par état/province/modèle/pays). Il a présenté un diagramme Excel établissant les données pour l’ensemble des fabricants (Polaris, Arctic Cat, BRP et Yamaha) de 2007 à 2014 comprenant la somme des unités vendues par modèle chaque année.

[230]  Le réseau de concessionnaires BRP à l’échelle du Canada comprend environ [CAVIARDÉ] concessionnaires dans les dix provinces et territoires. Arctic Cat compte environ entre 20 et 50 concessionnaires de moins que BRP. M. Guy a déclaré que la taille du réseau de concessionnaires n’aurait pas empêché ces derniers de vendre [CAVIARDÉ] unités supplémentaires par année, car ils vendent environ [CAVIARDÉ] motoneiges par année.

[231]  M. Guy a témoigné à propos de la pratique de BRP en ce qui concerne l’octroi de licences pour ses technologies. Il a indiqué que BRP n’avait pas pour habitude d’octroyer des licences, et les licences auxquelles il pouvait penser au cours de ses 28 années d’expérience étaient liées à des procédures judiciaires.

[232]  Le contre-interrogatoire de M. Guy a permis d’expliquer les circonstances dans lesquelles certains des essais des prototypes ont eu lieu et la disponibilité des renseignements liés aux prototypes qui ont été développés.

B.  Les témoins d’AC

[233]  Un certain nombre de témoins d’Arctic Cat ont également été entendus pendant le procès. Comme pour les témoins produits par BRP, ce n’est que lorsque la preuve des experts est pertinente sur une question que la Cour fera référence aux experts.

1)  Brad Darling

[234]  M. Darling, le représentant de la société AC au procès, s’est joint à Arctic Cat en 2000 en tant que directeur des ventes dans le district du sud-ouest de l’Ontario. En octobre 2003, il est devenu directeur des ventes nationales au Canada pour Arctic Cat Sales Inc., jusqu’en mai 2008, lorsqu’il est devenu le directeur des ventes nord-américaines pour Arctic Cat Sales Inc. En janvier 2011, il est devenu vice-président et directeur général de la division motoneiges d’Arctic Cat Inc. M. Darling n’est pas un ingénieur.

[235]  Arctic Cat fabrique des motoneiges, des VTT et des pièces, des accessoires et des vêtements connexes à Thief River Falls. Thief River Falls est un village d’environ 8 500 personnes dans le nord du Minnesota; Arctic Cat emploie 1 300 personnes à Thief River Falls. La société emploie environ 1 600 personnes au total. Arctic Cat Inc. fabrique les motoneiges et Arctic Cat Sales Inc. vend les motoneiges au réseau de concessionnaires. Arctic Cat dispose d’une succursale à Winnipeg pour servir le réseau de concessionnaires canadien. L’industrie de la motoneige consiste en quatre marques : Ski-Doo, Polaris, Arctic Cat et Yamaha. Les quatre sont membres de l’International Snowmobile Manufacturers Association (ISMA).

[236]  M. Darling a témoigné à propos des segments de motoneige suivants :

-  les jeunes (pour les enfants âgés de moins de 12 ans; atteint une vitesse de 13 km/h seulement, capacité d’essence limitée);

-  utilitaires (clients les utilisant pour le travail; chenille plus longue, skis plus gros, meilleur flottement sur la neige, la chenille est souvent large, performance peu élevée, capacité de stockage et de transport accrue);

-  touring (généralement deux personnes, parfois trois personnes; beaucoup de stockage, parfois à l’extérieur pendant la nuit, habituellement sur un sentier, beaucoup de confort matériel, comme des sièges et guidons chauffants);

-  montagne (une chenille plus longue; habituellement hors-piste dans la poudreuse épaisse);

-  performance (essentiellement sur des sentiers; chenille plus courte, la suspension et la vitesse sont importantes; les courses de snowcross entrent dans cette catégorie);

-  crossover (un hybride entre la motoneige de montagne et la motoneige de performance pour les pistes et le hors-piste).

En faisant référence au segment dit « pour les jeunes », le témoin a indiqué qu’il possédait une motoneige Arctic Cat Kitty Cat et qu’il en avait vu un grand nombre au fil du temps, dont une au musée Bombardier.

[237]  Arctic Cat est très active dans le circuit des courses de motoneige. La course est utilisée aux fins de recherche et de développement, mais aussi dans le but de bâtir et de mettre en marché la marque. Il semble que la course constitue un élément plus important de la marque Arctic Cat que pour BRP, cependant, Polaris et Ski-Doo sont actives et certainement plus actives que Yamaha, l’autre grand joueur dans l’industrie.

[238]  L’une des principales caractéristiques du propriétaire de motoneige, c’est qu’il est loyal. Il est d’âge moyen et possède plus d’une motoneige. La loyauté envers la marque est élevée dans toutes les marques. Il est donc essentiel que les clients soient satisfaits du produit. On accorde une grande importance aux concessionnaires Arctic Cat : ils doivent comprendre le produit et les besoins des clients. Une formation est donc offerte. Chaque fois qu’un nouveau produit est lancé, il y a une certaine mesure d’insatisfaction qui provient principalement des problèmes qui apparaissent. Les concessionnaires sont essentiels à la satisfaction à l’égard du produit.

[239]  Contrairement à BRP qui exige que ses concessionnaires distribuent ses produits exclusivement, seulement 79 % des 198 concessionnaires canadiens sont des concessionnaires exclusifs des produits AC. Comme on l’a entendu de la part d’autres témoins, M. Darling a confirmé qu’AC achète également des motoneiges de la concurrence pour avoir une compréhension claire des caractéristiques de ses motoneiges. De manière semblable, il a confirmé que les fabricants cherchent à réduire au minimum le nombre de plates-formes différentes. Il y aura donc de nombreux modèles, mais ils afficheront la même plate-forme de base.

[240]  Les brochures et le site Web d’Arctic Cat (la source alléguée des renseignements contenus aux pièces P‑34 et P‑35) sont faits par leur agence de commercialisation, Periscope. Celle-ci photographie souvent la même motoneige pour représenter plusieurs modèles (p. ex. lorsque le moteur, la chenille, les jauges et la suspension peuvent être différents); elle modifie physiquement les décalcomanies sur les motoneiges pour les photographies ou elle retouche les photographies par la suite. À titre d’exemples, M. Darling a signalé une photo censée représenter une M6000 Sno Pro 153 (une motoneige du segment montagne) qui était en réalité une XF (motoneige du segment crossover) (pièce D‑51); et une motoneige censée être une M800 162 de 2013, mais qui a une chenille de 153 pouces (pièce D‑61). M. Darling a souligné que les photographies sont prises des prototypes plutôt que des modèles de production et que les descriptions comportent une mise en garde selon laquelle elles sont susceptibles d’être modifiées. Il n’a pas procédé à un examen de tous les modèles et de toutes les images dans les brochures ou sur le site Web d’Arctic Cat. M. Darling a indiqué qu’une fois qu’une unité est lancée en production, le guide illustré des pièces présentera des renseignements exacts.

[241]  Le témoin a montré que, parfois, les brochures créées par AC ne sont pas exactes. Les bonnes spécifications et des spécifications plus précises figurent dans les guides de pièces, si ce n’est que parce que ces guides sont créés après que la production des motoneiges a commencé. Il n’est pas allé au-delà de cas très limités.

[242]  M. Darling a témoigné à propos des magazines dans l’industrie de la motoneige. Il a déclaré qu’il existe sept magazines sur le marché nord-américain. Arctic Cat (et les autres fabricants) montre aux magazines et aux autres médias les gammes de produits dans ce que l’on appelle un [traduction] « avant-goût », habituellement à la fin du mois de janvier. Artic Cat laisse les magazines prendre quelques photos, leur remet un [traduction] « dossier de presse » et les laisse s’asseoir sur les prototypes. Après avoir vu les produits, les médias sont assujettis à un embargo, c.-à-d, qu’ils ne doivent pas parler des produits. Les médias sont alors en mesure de conduire les prototypes et de prendre d’autres photos à un événement appelé « Snow Shoot », qui se déroule à la fin du mois de février ou au début du mois de mars, au Colorado. M. Darling a produit un exemple d’un dossier de presse de l’année de modèle 2012 (pièce D‑50).

[243]  M. Darling a témoigné qu’Arctic Cat avait conclu un accord de licence avec BRP, auquel Suzuki était aussi une partie, en avril 2007 (pièce D-39). Au moment où l’accord a été signé, toutes les motoneiges Arctic Cat des modèles 2007 étaient disponibles pour le public, y compris les séries Jaguar et F dont la contrefaçon est alléguée.

[244]  Un certain nombre de documents ont été déposés par l’entremise de ce témoin dans le contre-interrogatoire mené par l’avocat de BRP. Ce témoin a été questionné à propos du soutien offert par AC à ses concessionnaires.

[245]  Le témoin a été contre-interrogé à propos de ce qui constitue une plate-forme qui correspond, dans une certaine mesure, au châssis de la motoneige. Le châssis inclurait la suspension, alors que la plate-forme correspond [traduction] « à une plus grande partie du tunnel et à l’avant du caisson et aux composantes banalisées ». Le témoin a reconnu qu’un dossier de presse produit au début de l’année 2011 (pièce D‑50) mentionnait une [traduction] « conception pyramidale ». De manière semblable, AC utilisait l’expression [traduction] « conducteur équilibré de façon neutre » sous sa référence au châssis de la Twin Spar.

[246]  M. Darling a laissé entendre pendant son interrogatoire principal que certaines brochures pouvaient ne pas être exactes quant aux spécifications de certaines motoneiges présentées dans cette décision. En contre-interrogatoire, on a posé des questions au témoin à propos des quelque 300 modèles produits par AC au fil des ans. Même s’il est vrai que l’on n’avait pas ordonné aux témoins de procéder à un examen des modèles aux fins de la communication préalable, on peut lui poser des questions à propos d’autres modèles après qu’il a laissé entendre que certains modèles ne sont pas adéquatement décrits dans les documents de commercialisation créés par AC. Le témoin a répondu qu’il n’avait jamais vérifié l’ensemble des motoneiges énumérées à la pièce P‑34. Il a été confirmé que ses connaissances se limitent à ce qu’il a présenté pendant son interrogatoire principal.

[247]  Le témoin a reconnu qu’AC avait la capacité de mesurer les centres de gravité dès 2000 (pièce P‑52). Le châssis de la Twin Spar d’AC a été créé pour une position avancée du conducteur, ce qui confirme l’intérêt envers la position avancée du conducteur. Qui plus est, l’examen des pièces D‑50 et D‑57, deux brochures préparées par AC à propos de la technologie de 2012 tendent à démontrer que la structure pyramidale adoptée par AC transfère la [traduction] « charge » (force reçue à l’avant du châssis par l’intermédiaire d’amortisseurs.

[248]  Dans le cadre du réinterrogatoire du témoin, on a traité une question soulevée pendant le contre-interrogatoire à propos de la situation financière d’AC. Même si le contre-interrogatoire à propos du rapport annuel d’AC de 2013 montrait une augmentation des actifs à 306 M$, comparativement à 255 M$ l’année précédente, et des actifs de 352 M$ en date du 31 décembre 2014 (sans la dette à long terme) selon le dépôt trimestriel du 10‑Q auprès de la Security and Exchange Commission des États-Unis (pièce P‑60), il a été établi en réinterrogatoire que, des actifs de 352 M$, 144 M$ étaient immobilisés dans les stocks. En fait, AC a inscrit 57 M$ en espèces et en valeurs assimilables à des espèces.

2)  Ken Fredrickson

[249]  M. Fredrickson est un ingénieur de conception chez Arctic Cat, où il est responsable de la conception de motoneiges au moyen de programmes de conception assistée par ordinateur (CAO). Il travaille chez Arctic Cat depuis 20 ans. Il a suivi un programme de deux ans dans un collège de technique à Staples, au Minnesota, où il est devenu dessinateur, chargé d’indiquer les dimensions sur les conceptions de pièces. Il est technicien, et non ingénieur. Il est passionné de motoneiges.

[250]  M. Fredrickson a témoigné à propos de son travail avec la CAO , plus particulièrement avec un programme appelé Unigraphics. Il a déclaré qu’il avait la responsabilité de prendre les composantes de motoneige, de les entrer dans un système de CAO 3D, puis de les organiser et de les déplacer. Lorsqu’un projet de motoneige se trouve dans le programme de CAO, il dispose d’un affichage principal (niveau supérieur de toutes les composantes dans le véhicule) et d’autres affichages plus petits des composantes qui sont modifiées plus fréquemment.

[251]  Il a témoigné à propos du processus de conception d’une motoneige chez Arctic Cat; ils prennent habituellement l’unité de production de l’année précédente, et ajustent et modifient certaines composantes en fonction de ce que les gens veulent modifier. M. Fredrickson a témoigné à propos d’une série de dessins d’une motoneige Twin Spar (sans toutefois être en mesure de reconnaître le modèle particulier) (pièce D‑68). En ce qui concerne une mise en page de la plate-forme F4 (D‑71), il a indiqué qu’elle montrait une comparaison entre une motoneige Arctic Cat et un fichier ergonomique de Ski-Doo. On avait utilisé un appareil de mesure des coordonnées pour mesurer certains points sur un Ski-Doo, qui avaient ensuite été importés dans le logiciel Unigraphics, puis on avait relié les points par des lignes. Selon son témoignage, il n’a rien fait d’autre avec le fichier par la suite. Il ne se souvenait pas qui lui avait remis les données, seulement qu’on lui avait dit qu’elles provenaient d’un Ski-Doo.

[252]  En contre-interrogatoire, on a posé à M. Fredrickson des questions concernant le positionnement du moteur. Il a répondu qu’il se situait avant le [traduction] « nez de cochon avant » (l’avant de la motoneige) et l’échangeur thermique. Il a déclaré qu’il n’appellerait pas cet emplacement le [traduction] « berceau de moteur ». Même s’il avait déjà entendu ce terme auparavant, il ne l’avait pas utilisé lui-même.

[253]  La pièce P‑69, qui correspond au brevet américain 8,528,863, a été portée à l’attention de M. Fredrickson. Ce dernier est identifié comme l’un des inventeurs pour le brevet portant le nom « Snowmobile chassis with Tunnel » (Châssis de motoneige avec tunnel). Le brevet mentionne le [traduction] « berceau de moteur » à de nombreuses reprises. Même si le brevet 863 met l’accent sur le tunnel, comme faisant partie intégrante du châssis, qui est plus léger, tout en étant plus solide, le brevet mentionne le berceau de moteur sans définir précisément ce en quoi il consiste, hormis l’affirmation selon laquelle [traduction] « [l]e châssis du berceau de moteur 106 est configuré pour former un espace pour recevoir le moteur (non montré) et comprend également un longeron de support de suspension avant 108 qui engage le tunnel 102 » (page 3, lignes 15 à 18). On considérait qu’il était bien connu que le [traduction] « berceau de moteur » était l’espace recevant le moteur. Le témoin, qui a reconnu avoir examiné la demande de brevet avant qu’elle soit produite, refusait d’accepter que le berceau de moteur de son brevet 863 corresponde au berceau de moteur du brevet 264. Il s’en est tenu à sa réponse malgré le fait que les revendications 6, 7 et 9 font toutes référence à [traduction] « a) châssis pour une motoneige, le châssis étant composé d’un ensemble avant comprenant un berceau de moteur et des fixations de suspension avant ». Enfin, M. Fredrickson a reconnu d’emblée que la figure 1 du brevet 683 représente une illustration du châssis d’une motoneige AC disponible dans la salle d’audience pendant toute la durée du procès (pièce D‑65) (transcriptions, 2 mars 2015, à la page 98).

3)  Brian Sturgeon

[254]  Brian Sturgeon est un représentant commercial depuis les 10 dernières années pour une société, située à Minneapolis, appelée David Olson Sales. Il vend de l’équipement de machine-outil. Après l’obtention de son diplôme d’études secondaires, M. Sturgeon a suivi certains cours généraux dans les affaires et les ventes à la Carlson Business School, à la University of Minnesota. De 1987 à 1999, il a couru pour l’équipe de course T&S (nommée d’après Steve Thorsen et Dean Schwartzwalter) d’Arctic Cat. De 1999 à 2005, il a travaillé pour Arctic Cat en tant que directeur de course, dans l’organisation des courses, mais en étant aussi responsable du budget et de la liaison avec le service d’ingénierie. Il était responsable des courses de tous les types de motoneiges.

[255]  En 1979, il a commencé à faire des courses de cross-country et il a participé à quelques courses de snowcross dans les années 1980; il a couru à la fois sur des produits Arctic Cat et Polaris en guise de passe-temps. À l’été 1987, il a reçu un appel de Steve Thorsen qui avait été embauché par Arctic Cat pour mettre sur pied une nouvelle équipe de course de l’usine Arctic Cat. On a demandé à M. Sturgeon de courir pour l’équipe de course T&S. L’équipe T&S a participé à plusieurs formes de courses (snowcross, course sur glace LeMans, course en ovale, course d’accélération).

[256]  Au moyen d’une série de photographies (pièce D‑75), il a témoigné à propos d’une motoneige que MM. Thorsen et Schwartzwalter ont construite et modifiée en 1991 en prévision de la saison de 1992. M. Sturgeon a déclaré que 10 motoneiges de ce genre ont été construites. Dans la construction des motoneiges, ils ont pris un caisson avant et un tunnel de production d’une motoneige Arctic Cat Prowler et y ont apporté des modifications. Il a déclaré qu’ils avaient éprouvé des problèmes avec la flexion du châssis et y ont ajouté des longerons pour la réduire. Les ressorts amortisseurs (où les ressorts sont raccordés au châssis) ont été modifiés, la colonne de direction a été déplacée pour être redressée (la colonne de direction ne gênait plus les mouvements et permettait aussi au conducteur d’adopter une position plus avancée), et la suspension arrière a été modifiée. Avant l’installation des longerons, la colonne de direction tenait en place au moyen d’un [traduction] « tube pointant vers le haut et passant par-dessus le haut et ressortant vers le bas de chaque côté » où chaque côté comprenait une [traduction] « pièce de métal pressée rivetée au tube et rivetée au haut du tunnel pour soutenir le cadre »; le guidon était ensuite [traduction] « simplement boulonné à travers deux trous dans le haut de ce tube ». Il a indiqué que [traduction] « il n’y a pas vraiment de force ajoutée » à la configuration originale.

[257]  Après une course, les motoneiges ayant fini aux premières places étaient démontées et faisaient l’objet d’une inspection technique conforme aux normes de l’ISR (l’organisme de réglementation des courses de motoneige). Au moment du démontage, [traduction] « les autres coureurs, mécaniciens et directeurs de course, toutes courses confondues, vous savez, fabricants, ingénieurs et les personnes qui avaient participé à la course », pouvaient être présents.

[258]  Avant le début du contre-interrogatoire, la Cour s’est rendue dans une aire du palais de justice où se trouvait la motoneige réelle illustrée à la pièce D‑75.

[259]  Le contre-interrogatoire a mis l’accent sur la configuration d’une motoneige courant sur des pistes ovales. Il y a une suspension avant coudée; le conducteur se tient sur le guidon lorsqu’il prend des virages sur la piste, le corps penché sur la gauche pour contrebalancer la force centrifuge générée par une motoneige prenant des virages à près de 160 km/h; le guidon lui-même est complètement différent d’un guidon régulier, de sorte que lorsque la motoneige est orientée en ligne droite, ce ne sera pas le cas du guidon. Même si le témoin a déclaré que la poignée droite était positionnée afin de contrôler l’accélérateur dans une courbe (vers la gauche), il a dû reconnaître que la poignée de gauche a une forme entièrement différente, [traduction] « elle a une forme qui pend vers le bas de sorte que le (conducteur peut s’y accrocher (à la poignée)) » (transcriptions, le 2 mars 2015, à la page 194). Enfin, le témoin a dû concéder que la motoneige présentée à la pièce D‑75, qui est le véhicule qui a été inspecté, différait considérablement d’une photographie figurant à la pièce D‑77 (à la page 20 d’un article publié dans le Snow Week du 14 octobre 1991), avec un seul tube horizontal. M. Sturgeon a été incapable d’identifier la motoneige sur laquelle il a couru il y a quelque 25 ans.

[260]  D’autre part, M. Sturgeon a continué à faire valoir que le dispositif de direction a été créé dans le but de renforcer le cadre, le tube de direction étant simplement boulonné à la structure.

4)  Douglas Wolter

[261]  M. Wolter est titulaire d’un baccalauréat ès sciences en technologie industrielle qu’il a obtenu en 1985 de la Bemidji State University. Il a travaillé pour Arctic Cat pendant près de 20 ans et occupe actuellement le poste de directeur des services d’ingénierie partagés, où il est responsable de différents services d’ingénierie. Cela comprend les plastiques, le stylisme, les prototypes, les émissions, le bruit, les vibrations et la rudesse, ainsi que les dessins pour les motoneiges et les VTT. Entre décembre 2006 et avril 2014, M. Wolter était le directeur de l’ingénierie des motoneiges. Avant 2006, il était gestionnaire d’une équipe de produits dans la division des VTT. M. Wolter a fait des courses de motoneiges entre 1990 et 1998 (essentiellement dans le segment cross-country, mais aussi dans le segment snowcross).

[262]  M. Wolter a témoigné à propos du processus de planification des produits chez Arctic Cat : ils font une planification à court terme pour les modèles pour l’année suivante ou les deux années suivantes, ainsi qu’une planification à long terme, ce qui peut comprendre de nouvelles séries de plates-formes ou de moteurs qui exigent un développement plus long. Au cours de ses 20 années d’expérience chez Arctic Cat, la société n’avait jamais employé une personne spécialisée en ergonomie.

[263]  Une fois que la décision est prise de faire une nouvelle motoneige, un mémoire descriptif de la conception du système est rédigé et établit les capacités que le véhicule doit avoir. AC commence ensuite la conception en fonction de ces exigences au moyen de la CAO et passe à travers différentes itérations de prototypes pour mettre à l’essai des options (habituellement de trois à cinq versions par itération). Elle commence ensuite l’outillage ou la production d’outils pour fabriquer les pièces dans le châssis d’une production en série. Elle construit ensuite une [traduction] « version de validation aux fins de production » (VVP) lorsqu’elle est prête pour la production et lorsqu’elle souhaite procéder à des essais sur le terrain ou la montrer à des fins de commercialisation. Un mois avant la production, elle construit une version pilote, qui ira sur la chaîne de montage en tant que première unité pour aider les travailleurs de la chaîne de montage à assembler les motoneiges. M. Wolter a participé à la préparation du disque dur contenant certains fichiers de CAO et les dessins imprimés pour le présent litige. Il a déclaré qu’il contenait des [traduction] « fichiers CAO publiés ou des dessins de pièces, des fichiers de sous-ensemble ainsi que des fichiers de mise en page pour les modèles qui sont pertinents à la présente espèce, à savoir les motoneiges F3, F4, F5 et 2011 – ou les motoneiges de course 2008 ou 2011. Il contient aussi tous les fichiers PDF que nous avons produits à partir de ces fichiers de CAO ». Il a déclaré que les fichiers publiés correspondaient à ceux publiés aux fins de production et qu’ils ne pouvaient pas être modifiés. Aucun fichier CAO ne représentait une motoneige dans son intégralité. Il a présenté un exemple de de CAO lié à un dessin d’un ensemble Firecat montrant la conception de l’extrémité avant qui a été utilisée de 2002 à 2006 (pièce D‑98). Selon son témoignage, la nomenclature présente la [traduction] « liste des composantes » pour construire la motoneige et est destinée au processus d’assemblage, comparativement au guide illustré des pièces, qui est destiné aux consommateurs et aux concessionnaires.

[264]  M. Wolter a également témoigné à propos de la motoneige Trail Cat, qu’Arctic Cat a produite pour la première fois en 1975. Selon sa description, elle comprenait des [traduction] « longerons qui partent de la broche avant et qui descendent ensuite vers le tunnel pour former des longerons. […] Au-dessous de l’emplacement de ces longerons, on retrouve une structure triangulée qui s’y rattache et qui était très différente. Ensuite, le support de direction était monté sur le dessus de cette structure triangulée ». Il a témoigné que la motoneige a été vendue selon cette configuration pendant un an à titre de modèle 1975 (pièces D‑95 et D‑96).

[265]  Dans le même ordre d’idées, il a témoigné à propos de la motoneige Sno-Pony, qui a été produite comme modèle de production dans les années 1970 qui pouvait être acheté par le public. Il l’a décrit comme [traduction] « pla[çant] le conducteur en position très avancée sur la machine comparativement à d’autres au cours de cette même période ». La motoneige disposait également d’un système de suspension unique comprenant un ressort qui était perpendiculaire aux skis. M. Wolter a produit des photos du Sno-Pony (pièce D‑97).

5)  Troy Halvorson

[266]  M. Halvorson est le gestionnaire de l’équipe des produits de montagne chez Arctic Cat. Il a travaillé pour Arctic Cat pendant 18 ans à Thief River Falls, au Minnesota. Son père travaillait pour Arctic Cat, et son frère et son fils travaillent également pour la société. Il est titulaire d’un diplôme en technologie industrielle de Cal Poly. Il a de l’expérience dans la conduite et les courses de motoneiges depuis qu’il est enfant, ainsi que d’autres véhicules récréatifs (motocyclettes, moto hors-piste, BMX, bicross).

[267]  En 1999, M. Halvorson a commencé à travailler au développement des ZR (y compris la motoneige de course 440) avec une équipe qui comprenait Kirk Hibbert (gestionnaire d’équipe), Ron Bergman (ingénieur de projet), Ken Fredrickson et Michelle McCraw (technicienne). Selon sa description de l’expérience de l’équipe, dont lui-même, en matière d’ergonomie, l’équipe n’avait pas recours à des spécialistes, mais différents membres de l’équipe exploraient de nouvelles possibilités et voyaient avec lesquelles ils étaient à l’aise. Ils conçoivent des motoneiges pour qu’une vaste gamme de conducteurs de tailles diverses aient une bonne expérience sur la motoneige. M. Halvorson a témoigné que la course est très importante chez Arctic Cat pour le développement et la mise à l’essai de produits (p. ex. lorsqu’on pousse des pièces à la limite dans le cadre d’une course, on fait ressortir les pièces qui se brisent facilement et qui doivent être renforcées). Il a également expliqué que, dans le développement des ZR, le poids de la motoneige et la centralisation de la masse sur la motoneige étaient importants, notamment dans le domaine du snowcross, où il y a des obstacles à contourner et des sauts.

[268]  En 2003, M. Halvorson est devenu le dirigeant de l’équipe développant la nouvelle motoneige de course de modèle 2004. Depuis 2005, il est le chef d’équipe pour les motoneiges de course et les motoneiges pour les consommateurs. Dans le cadre de son rôle, il a participé à des événements promotionnels pour Arctic Cat, y compris Hay Days et Snow Shoot, où tous les fabricants de motoneiges présentent leurs motoneiges aux médias de l’industrie. Pendant ces événements, il recueille la rétroaction à propos de ce que veulent les clients. Il a décrit le client d’Arctic Cat comme étant [traduction] « très loyal à la marque » et ayant le [traduction] « sang vert » en référence à la couleur d’Arctic Cat.

[269]  M. Halvorson a témoigné à propos du processus d’Arctic Cat pour amener de nouvelles motoneiges de course. La société procède ainsi chaque année, à l’exception de l’année 2007, où il y a eu un changement dans les règles de catégorie des courses de motoneige pour passer d’un moteur 440 à un moteur 600. Il existe différents types de courses dans lesquelles des motoneiges Arctic Cat ont été utilisées, dont les courses d’endurance sur glace (courir sur la glace pendant [traduction] « beaucoup » de tours, les courses sur glace en ovale (une piste sur glace plus petite du genre de celles employées dans des courses de voiture), des courses de motoneige en montée de pente (les coureurs doivent se rendre au sommet d’une colline tout en naviguant à travers une série de drapeaux), des courses d’accélération sur gazon (une course d’accélération dans un champ), des courses d’accélération sur glace (courses d’accélération sur glace), des courses sur l’eau (des courses de motoneiges sur l’eau pendant l’été), mais que le snowcross est la forme de course la plus populaire. Le Sno Pro 2003 440 a été conçu précisément pour le snowcross et avait fait l’objet de certaines modifications (p. ex. des repose-pieds spécialement conçus pour que les pieds du conducteur ne soient pas coincés s’il est expulsé, ainsi qu’un siège qui permettait de se lever plus facilement). M. Halvorson a déclaré que le motocross avait été particulièrement influent dans le développement de la Sno Pro 2004 et il a produit un article de 2003, en le comparant à une moto hors-piste (pièce D‑115). Il a déclaré qu’Arctic Cat a acheté une motoneige MXZ REV 2003, qu’ils ont utilisée pour s’y mesurer dans le cadre du développement de la Sno Pro 2004. Il a déclaré qu’il avait personnellement conduit le REV pendant environ deux heures à des fins de comparaison.

[270]  Lorsqu’AC souhaite mettre à l’essai une motoneige d’un concurrent, elle en fait habituellement l’achat chez des concessionnaires. La société obtient également des renseignements à propos de la concurrence dans les médias de l’industrie, en parlant aux clients et dans les forums Internet.

[271]  M. Halvorson était informé de la motoneige modifiée T&S de 2005 fabriquée par Steve Thorsen et Dean Schwartzwalter, car on lui avait montré la motoneige dans leurs installations. Il a déclaré qu’il avait vu [traduction] « deux tubes descendants qui étaient raccordés au haut du support de direction supérieur jusqu’aux coins avant de la suspension avant ». Il a présenté des notes de cette réunion avec M. Thorsen en 2005 (pièce D‑116). M. Halvorson a témoigné qu’Arctic Cat avait agi en fonction de ces renseignements en créant des longerons qui ont fait partie de la motoneige de course de 2006 et qui ont été introduits dans le guide des pièces pour la Sno Pro 2006 (pièce D‑117).

[272]  M. Halvorson a parlé du projet F4 en 2008, qui est devenu le ProCross/ProClimb lancé en 2012 (pièce D‑118). Il a indiqué qu’on avait le souhait chez Arctic Cat de banaliser les plates-formes de montage pour accroître l’efficacité, y compris utiliser le même système de moteur (avant la F4, les motoneiges utilisaient la plate-forme F3 et les motoneiges de montage utilisaient la plate-forme de la série M). M. Halvorson a témoigné qu’Arctic Cat avait établi une série de coûts et de poids cibles qu’il fallait s’efforcer de respecter dans le développement de la plate-forme F4.

[273]  En contre-interrogatoire, le témoin a admis que les calculs ergonomiques qui tiennent compte du conducteur sont une caractéristique importante des motoneiges. Cependant, relativement à d’autres questions, ce témoin s’est montré réticent à admettre ce qui était évident. L’impression générale que l’on retient de ce témoignage était que le témoin tentait d’éviter d’admettre dans son contre-interrogatoire ce qui irait à l’encontre de la preuve de son employeur. Par exemple, le témoin s’est montré réticent à admettre le succès connu par BRP lorsqu’elle a lancé son REV et qu’AC était impatiente d’avoir sa propre motoneige pour lui faire concurrence. Dans la pièce P‑51, un document provenant d’AC intitulé « Introduction 400 Sno Pro 2004 » (Présentation de la Sno Pro 400 2004), il semble clair qu’AC souhaitait [traduction] « annoncer un avant-goût “pré-saison” précoce en prévision de la saison de courses de 2004, le service d’ingénierie travaillant définitivement sur la Sno Pro 440 pour qu’elle reprenne sa supériorité sur la piste de course ». Le document poursuit pour vanter [traduction] « les changements importants apportés à la position du conducteur, à l’ergonomie, à la maniabilité... ». Néanmoins, ce même document énumérait parmi les améliorations importantes une nouvelle position de direction, des améliorations à la force du châssis et une nouvelle conception de siège. De manière semblable, il est plutôt évident que la colonne de direction telle qu’elle est présentée dans la pièce P‑51 avait été placée considérablement à l’avant dans le modèle 2004 comparativement au modèle de l’année précédente.

[274]  La pièce P‑50, un article déposé par le représentant d’AC, Brad Darling, intitulé « 2004 Arctic Cat SnoPro – New Steering Position » (Arctic Cat SnoPro 2004 – Nouvelle position de direction), tiré du magazine SnowTech de septembre 2003 souligne vivement qu’AC a publié des renseignements à propos du modèle de 2004 plus tôt qu’à l’habitude. L’article énumère les améliorations importantes, qui correspondent en grande partie à la liste figurant dans la pièce P‑51. Le recouvrement comparatif des modèles de 2003 et de 2004 qui figure dans la pièce P‑51 figure également dans l’article. Qui plus est, l’article affirme qu’AC a ressenti le besoin d’empêcher les coureurs de changer de marques, car le châssis REV de BRP connaissait beaucoup de succès en raison de sa position avancée du conducteur. Comme l’article le souligne, [traduction] « […] il est tout simplement sensé qu’Arctic Cat réponde avec une modification ergonomique pour le conducteur, facilitant la transition à une position de conduite debout ». Lorsqu’on lui a demandé directement pour quelle raison AC a ressenti le besoin d’introduire le nouveau châssis, M. Halvorson n’a pas été en mesure d’offrir une réponse très étoffée.

[275]  De manière plutôt surprenante, on remet en question l’exactitude d’un article paru dans le Maximum Sled Worldwide de septembre 2003 (P‑102), qui cite M. Halvorson disant [traduction] « [j]’ai passé beaucoup de temps à conduire un REV l’année dernière » et [traduction] « je voulais apprendre à le connaître et, donc, intégrer certains de ses concepts dans le SnoPro », mais le témoin reconnaît l’exactitude des citations tirées du Snow Week qui portent sur d’autres caractéristiques.

[276]  Par ailleurs, M. Halvorson s’est montré plus enclin que d’autres témoins à reconnaître où les photographies présentées dans la pièce P‑57 ont été prises. Ces photographies sont censées démontrer un prétendu [traduction] « démontage » ou [traduction] « mise en pièces » d’une motoneige BRP. M. Halvorson a accepté d’emblée que les photographies avaient été prises dans la salle des châssis dans les installations d’AC.

[277]  Quoi qu’il en soit, en fin de compte, peu de choses reposent sur ce contre-interrogatoire, car les documents parlaient d’eux-mêmes. AC était désireuse de s’ajuster à la lumière de l’accueil reçu par le REV.

[278]  Comme je l’ai déjà indiqué, la preuve de témoins experts sera examinée uniquement si celle-ci devient importante à la résolution des questions. Voici une liste de ces experts :

BRP

AC

  • Kevin Breen
  • Daniel Cowley
  • Robert Larson
  • Mark Warner
  • Christine Raasch
  • Devinder Grewal
  • Gerard Karpik
  • David Karpik
  • Keith Ugone *
  • Andrew Carter *
  • Claude Gélinas *
  • Andrew Harrington *

* Sur la question des dommages-intérêts.

Une brève introduction à propos de chaque témoin expert suffira :

Kevin Breen :  Avec Robert Larson, il était le témoin principal de BRP en ce qui concerne la contrefaçon et la validité des brevets. Il est ingénieur en mécanique et est titulaire d’une maîtrise en génie industriel du Midwest College of Engineering (1984). Il compte plus de 35 ans d’engagement professionnel dans le domaine des véhicules récréatifs et il connaît les motoneiges, ayant travaillé sur celles-ci et les ayant conduites.

Robert Larson :  Également expert en génie mécanique, la participation de M. Larson à la présente affaire est liée à l’un de ses domaines d’expertise, la mesure des paramètres statiques et dynamiques des véhicules récréatifs, dont la géométrie, l’emplacement du centre de gravité et les moments d’inertie. Il est ingénieur principal de gestion chez Exponent Failure Analysis Associates. Il est titulaire d’une maîtrise ès sciences en génie mécanique de la University of Michigan (1989).

Christine Raasch :  Une associée de M. Larson, Mme Raasch est directrice chez Exponent. Après avoir obtenu son baccalauréat ès sciences en génie mécanique à la University of Arizona, elle a poursuivi ses études en vue d’obtenir une maîtrise ès sciences et un doctorat en philosophie (Ph. D.) en génie mécanique de la Stanford University. Elle a achevé une bourse postdoctorale au Rehabilitation Institute of Chicago et à la Northwestern University, effectuant des recherches sur le contrôle neuromusculaire des mouvements humains. L’un de ses domaines d’expertise est la biomécanique des mouvements humains. Elle travaille également beaucoup avec les dispositifs anthropomorphes d’essais (ou mannequins).

Gerard Karpik :  M. Karpik compte plus de 30 années d’expérience dans la conception et la construction de motoneiges. Son frère David, dont les services ont été retenus par AC, et lui ont conçu la motoneige Blade.

Claude Gélinas :  M. Gélinas est comptable agréé. Il est titulaire d’un baccalauréat en administration des affaires de l’École des Hautes Études Commerciales (1981). Il a acquis une expertise en analyse judiciaire, y compris la définition de la valeur en matière de soutien juridique.

Keith R. Ugone :  M. Ugone est le gestionnaire principal chez Analysis Group, Inc. Il fournit des services économiques et financiers à ses clients, appliquant des principes économiques à des questions financières complexes à ses clients et appliquant des principes économiques aux différends financiers complexes. Il est titulaire d’un doctorat en science économique.

Devinder Grewal :  M. Grewal est un ingénieur en mécanique titulaire d’un baccalauréat de la University of California, à Berkeley, d’une maîtrise ès sciences en génie mécanique de la Stanford University et d’un doctorat en génie mécanique de la University of California, à Berkeley. M. Grewal a formulé des commentaires sur les rapports de M. Breen, de M. Larson et de Mme Raasch sur les brevets du REV, en plus d’effectuer certaines mesures.

Mark Warner :  M. Warner a également offert son expertise à l’égard des brevets de BRP concernant la position du conducteur. Il est ingénieur en mécanique titulaire d’un baccalauréat ès sciences en ingénierie de production et d’une maîtrise en génie mécanique de la Brigham Young University. Il possède une expertise en essai statique et dynamique des véhicules, ce qui comprend l’analyse et la conduite de motoneiges.

Daniel Cowley :  Un autre ingénieur en mécanique, M. Cowley est titulaire d’un diplôme en génie mécanique de la Iowa State University et d’une maîtrise en administration des affaires de la University of Northern Iowa. Son expertise était requise par AC en ce qui concerne la validité du brevet concernant l’ensemble de renfort pyramidal (brevet 264). M. Cowley a passé 30 ans à travailler à la conception de véhicules pour John Deere : il était l’ingénieur principal pour le développement de châssis de tracteurs.

David Karpik :  M. David Karpik est, comme son frère, un expert en conception de véhicules. Ses services ont été retenus pour discuter du brevet 264. Il est le propriétaire du Blade Motorsports Group, qui vend la motoneige Blade. Il possède une expérience considérable des motoneiges.

Andrew Carter :  On a fait appel à l’expertise de M. Carter en ce qui concerne la question des dommages-intérêts. Il est le membre fondateur d’Ocean Tomo, LLC. M. Carter est un expert-comptable agréé dans l’État de l’Illinois. Il est titulaire d’un baccalauréat ès sciences en génie chimique du Rose-Hulman Institute of Technology et d’une maîtrise en administration des affaires de la Graduate School of Business de la University of Chicago.

Andrew Harrington :  Comme dans le cas de M. Gélinas, M. Harrington est un comptable professionnel agréé. Il est directeur général de Duff & Phelps, à Toronto. M. Harrington possède une expertise dans la quantification des pertes et la comptabilisation des bénéfices dans les litiges en matière de propriété intellectuelle.

IV.  Interprétation des revendications

A.  Personne versée dans l’art

[279]  Étant donné que le brevet s’adresse à une personne versée dans l’art, les caractéristiques d’une personne ou d’un groupe de personnes constituant une équipe doivent être tranchées avant qu’un examen de l’interprétation des revendications puisse être entrepris. Il s’agit enfin d’une chose sur laquelle les parties ont été en mesure de s’entendre. Malheureusement, elles n’ont pas été en mesure de s’entendre pleinement sur les caractéristiques de la personne versée dans l’art.

[280]  Il y a manifestement deux types de brevets en jeu en l’espèce. Un brevet porte sur l’ensemble de châssis de motoneiges et de véhicules tout-terrain (et des véhicules similaires). Les trois autres brevets, les prétendus brevets du radical evolution vehicle (REV), portent sur la position du conducteur découlant de la nouvelle configuration des motoneiges.

[281]  Il est raisonnable de conclure que les brevets concernant la position du conducteur seraient adressés à la même personne versée dans l’art, comme le proposent les experts d’Arctic Cat.

[282]  La personne versée dans l’art, comme le proposent la plupart des experts, notamment M. Breen, nécessiterait une compréhension de la mécanique, de la dynamique et de la cinématique. Il s’ensuit que les ingénieurs en mécanique seraient inclus dans l’équipe qui deviendrait la personne versée dans l’art. Les brevets 106, 813 et 964, traitent plus particulièrement de la nouvelle position qu’un conducteur adopterait sur une motoneige repensée. Il y a peu de doute que la personne versée dans l’art doit posséder des connaissances et une expérience dans la conception de motoneiges, comme le reconnaissent M. Breen, pour BRP, et M. Warner, pour AC. Compte tenu du fait que la conception des motoneiges est une fonction du nouveau positionnement du conducteur en raison de la nouvelle configuration, MM. Warner et Breen ont convenu que la personne versée dans l’art comprend les facteurs humains ou la biomécanique.

[283]  Le brevet 264 est différent. Il porte sur l’ensemble de châssis des véhicules, comme les motoneiges et les véhicules tout-terrain. Même si la divulgation dans le brevet est suffisamment générale pour inclure des véhicules autres que les motoneiges, les revendications sont limitées à l’ensemble de châssis des motoneiges. M. Breen n’a pas modifié sa définition de la personne versée dans l’art au moment de traiter du brevet 264. M. Cowley, pour le compte d’AC, se satisferait d’une personne versée dans l’art n’ayant pas besoin d’une expérience de la conception des motoneiges, une compréhension des lois de la physique étant jugée suffisante. Ce n’est certainement pas le point de vue d’un autre expert d’AC qui ne possède pas une formation officielle, mais qui a conçu ou remanié des véhicules récréatifs pendant l’essentiel de sa carrière. Pour David Karpik, une connaissance des véhicules récréatifs, y compris des motoneiges, est une caractéristique importante de la personne versée dans l’art. Il est maintenant évident qu’il y a une différence entre le fait que l’expertise requise peut être générale, comme le suggère M. Cowley, ou qu’elle doit avoir une certaine spécificité, comme le proposent David Karpik (véhicules récréatifs) et M. Breen (motoneiges). Étant donné que l’invention cherche à renforcer la rigidité des véhicules qui fonctionnent sur une vaste gamme de terrains différents et dans une variété de conditions, mais que les revendications qui entourent le monopole demandé sont limitées aux motoneiges, j’aurais cru que le brevet 264 s’adressait aux personnes versées dans l’art qui doivent comprendre le type de véhicule qui doit être amélioré au moyen de cette invention. Par conséquent, il aurait été approprié que la personne versée dans l’art ait, à tout le moins, une expérience dans le domaine de la conception des motoneiges; la personne versée dans l’art possédera, bien entendu, une expertise en génie mécanique ou l’expertise équivalente acquise au long de nombreuses années d’expérience dans la conception des motoneiges.

B.  Connaissances générales courantes

[284]  Après avoir décrit la personne versée dans l’art, il est maintenant nécessaire de décider quelles auraient été les connaissances générales communes de celle-ci.

[285]  Il va sans dire que les éléments essentiels d’une motoneige sont bien connus : elle comprend un châssis, qui est le principal élément structurel, le groupe motopropulseur, le moteur, les skis et la chenille d’entraînement qui est raccordée au moteur pour permettre à la motoneige de se déplacer. En raison du terrain difficile sur lequel les motoneiges circulent, il est bien connu que les suspensions constituent une composante importante. La personne versée dans l’art sait que les motoneiges comprennent des selles, des bandes latérales de configurations différentes utilisées par les conducteurs pour placer leurs pieds, et un dispositif de direction raccordé aux skis.

[286]  Il ne fait aucun doute que la personne versée dans l’art aurait été au fait des [traduction] « berceaux de moteur » et des [traduction] « tunnels », des termes qui étaient couramment utilisés.

[287]  La personne versée dans l’art sait que la motoneige utilise une selle. De tels sièges sont liés d’une façon ou d’une autre au châssis. La personne versée dans l’art saurait que les motoneiges n’utilisent pas de moteurs arrière : le moteur sera situé à l’avant du conducteur.

[288]  J’accepte le témoignage de David Karpik selon lequel la conception de la plupart des motoneiges dans les années 1980 et 1990 était très similaire. Ces connaissances auraient correspondu aux connaissances courantes. Les différences étaient davantage d’ordre stylistique que d’un autre ordre. Effectivement, BRP fait valoir qu’elle a modifié la configuration des motoneiges classiques avec son REV (radical evolution vehicle).

[289]  On ne peut contester que la personne versée dans l’art connaîtrait les lois de la physique dans le cadre des connaissances générales. Les concepts du centre de gravité ([traduction] « le point où l’on peut dire que le poids d’un objet est concentré », le mémoire des faits et du droit d’AC, Interprétation des revendications, au paragraphe 44), de centralisation des masses et du moment d’inertie (la facilité de faire tourner un objet autour d’un axe) ne sont pas nouveaux et auraient été bien connus des ingénieurs en mécanique. En conséquence, les experts Breen, Warner et Cowley ont tous convenus qu’un centre de gravité plus bas serait généralement souhaitable, de sorte que le véhicule est moins susceptible de basculer et qu’il est rendu plus stable lorsque le véhicule passe sur des bosses. La centralisation de la masse fait en sorte qu’il est plus facile de conduire le véhicule.

[290]  La personne versée dans l’art serait informée de la rigidité du châssis : une absence de rigidité produit des torsions ou des [traduction] « flexions ». Il aurait été connu qu’il existe différentes méthodes d’accroître la rigidité, au moyen d’un matériel plus épais, plus lourd ou plus solide.

[291]  Comme la personne versée dans l’art possède une expérience dans le fonctionnement des motoneiges, elle sait conduire une motoneige, ce qui a une importance considérable au moment de concevoir une nouvelle motoneige. En conséquence, elle connaît la conduite active, qui exige que le conducteur se déplace sur les motoneiges qu’il conduit. Par conséquent, il aurait été bien connu, comme M. Fecteau l’a déclaré, que [traduction] « chevaucher le réservoir » (le réservoir à essence est habituellement situé vers la première moitié de la motoneige), qui consiste à appliquer le poids du conducteur vers l’avant, était une pratique utilisée dans certaines circonstances. En réalité, la personne versée dans l’art saurait que cela est conforme à la centralisation de la masse. Inversement, la personne versée dans l’art saurait que le fait de [traduction] « chevaucher le réservoir » n’est pas la position habituelle, car M. Wolter a souligné qu’il s’asseyait sur le réservoir pendant les courses. Un effort était nécessaire pour prendre cette position et la maintenir.

[292]  La personne versée dans l’art sait que les motoneiges sont munies de bandes latérales utilisées pour les repose-pieds, avec différentes configurations qui permettent aux pieds de faire un mouvement de va-et-vient. J’accepte le témoignage de M. Breen selon lequel, compte tenu de la conception des motoneiges dans les années 1980 et 1990 qui était similaire, les repose-pieds étaient dans la position avancée des bandes latérales. Cela donnerait lieu à des repose-pieds qui [traduction] « étaient généralement connus pour inclure une position en angle ascendant pour soutenir les pieds du conducteur assis dans la position “personnalisée” pour que le conducteur soit confortable » (rapport d’expert de Kevin Breen, P‑39, au paragraphe 70). Manifestement, cela ne veut pas dire que les pieds seraient toujours dans cette position. En effet, au moment de [traduction] « chevaucher » le réservoir, les pieds doivent, par nécessité, être placés très en arrière de la position dans laquelle ils doivent être lorsque le conducteur est assis plus loin sur la selle. La personne versée dans l’art doit avoir une compréhension des facteurs humains ou de la biomécanique dans la conception d’un nouveau véhicule, par exemple une motoneige, en raison de la reconnaissance par les témoins que la position du conducteur change, d’un trajet à l’autre et pendant les trajets, qu’il s’agisse d’une course, d’un trajet en montagne, sur des pistes ou pendant des excursions de loisir du dimanche après-midi.

C.  Interprétation des brevets en litige

[293]  L’interprétation des brevets doit tenir compte des considérations susmentionnées. Les règles qui régissent une telle interprétation sont bien connues et ne sont pas contestées.

[294]  D’abord et avant tout, l’interprétation des revendications ne doit pas être un exercice axé sur les résultats. La Cour n’a d’entrée de jeu aucune opinion quant à la contrefaçon ou la validité des brevets. L’idée consiste à examiner le libellé des revendications d’une façon éclairée et téléologique, non pas d’une façon trop technique ou littérale. La Cour suprême, dans l’arrêt Whirlpool Corp. c Camco Inc., 2000 CSC 67, [2000] 2 RCS 1067 [Whirlpool], présente une feuille de route souvent citée en matière d’interprétation des brevets. Pour les besoins de l’espèce, il suffira de reproduire le paragraphe 49 des motifs du jugement :

Comme nous l’avons vu, la Cour d’appel fédérale a appliqué la méthode de l’« interprétation téléologique » à l’interprétation des revendications dans l’arrêt O’Hara, précité, et, en toute déférence, j’estime qu’elle a eu raison de le faire. L’argument des appelantes voulant que le principe de l’interprétation téléologique soit erroné ou ne s’applique qu’en matière de contrefaçon doit être rejeté pour un certain nombre de raisons :

a)  Même si l’arrêt Catnic, précité, portait sur la contrefaçon, la Cour a d’abord dû déterminer la portée et le contenu de l’invention de la demanderesse. Lord Diplock a pris soin de lier son analyse des caractéristiques « essentielles » au libellé des revendications. Ce sont ces caractéristiques essentielles, considérées indépendamment de questions particulières de validité ou de contrefaçon, qui constituaient l’« essence de la revendication ». Il a examiné attentivement la possibilité de l’existence de « toute variante » « d’une expression ou d’un mot descriptifs particuliers figurant dans une revendication », mais il a pris soin de ne pas lier son analyse de l’interprétation des revendications à la variante particulière que comportait le linteau soi-disant contrefait de la défenderesse. En effet, il a mis en italique le mot « toute » figurant dans l’expression « toute variante ». Il ne faut évidemment pas interpréter un brevet en fonction du mécanisme que l’on prétend contrefait lorsqu’il est question de contrefaçon ni en fonction de l’antériorité lorsqu’il est question de validité, afin d’en éviter les effets : Dableh c Ontario Hydro, [1996] 3 CF 751 (C.A.), aux pages 773 et 774. On ne saurait permettre que l’interprétation des revendications devienne une interprétation axée sur des résultats, mais rien dans les propos de lord Diplock n’appuie une telle approche erronée.

b)  L’acceptation de l’argument des appelantes pourrait faire en sorte que l’interprétation des revendications lorsqu’il est question de validité soit différente de celle donnée lorsqu’il est question de contrefaçon (à supposer que l’interprétation téléologique soit retenue pour les questions de contrefaçon). Toutefois, une règle fondamentale d’interprétation des revendications a toujours voulu que les revendications reçoivent une seule et même interprétation à toutes les fins.

c)  Selon la règle orthodoxe, un brevet [traduction] « doit être lu par un esprit désireux de comprendre, et non pas par un esprit désireux de ne pas comprendre », le juge Chitty dans Lister c Norton Brothers and Co. (1886), 3 R.P.C. 199 (Ch. D.), à la page 203. Un « esprit désireux de comprendre » prête nécessairement une grande attention au but et à l’intention de l’auteur.

d)  Le rejet de l’« interprétation téléologique » signifierait l’adoption d’une méthode non fondée sur l’objet visé qui ne tiendrait pas compte du contexte des mots et du sens qui leur est donné. L’interprétation non fondée sur l’objet visé a été rejetée par notre Cour bien avant l’arrêt Catnic, précité, notamment dans l’arrêt Williams v. Box (1910), 44 SCR 1, le juge Idington, à la page 10 :

[traduction] Pour interpréter correctement le sens d’une loi ou d’un autre écrit, nous devons comprendre l’intention de ses rédacteurs et l’objet visé. [Je souligne.]

e)  En réalité, un brevet est plus que simplement « un autre écrit ». Les mots utilisés dans les revendications sont d’abord proposés par le demandeur, mais ils font par la suite l’objet de négociations avec le Bureau des brevets, et c’est, en fin de compte, le Commissaire aux brevets qui les accepte à titre d’énoncé exact du monopole qui peut résulter à bon droit de l’invention divulguée dans le mémoire descriptif. Une fois délivré, le brevet devient un texte visé par la définition du mot « règlement » contenue au paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation, LRC (1985), c I‑21, qui est rédigé ainsi :

« règlement » Règlement proprement dit, décret, ordonnance, proclamation, arrêté, règle judiciaire ou autre, règlement administratif, formulaire, tarif de droits, de frais ou d’honoraires, lettres patentes, commission, mandat, résolution ou autre acte pris :

a) soit dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime d’une loi fédérale;

b) soit par le gouverneur en conseil ou sous son autorité. [Je souligne.]

Il faut donc donner à un brevet une interprétation qui, selon l’art. 12 de la Loi d’interprétation, « soit compatible avec la réalisation de son objet ». L’intention est exprimée par des mots dont le sens doit être respecté, mais les mots eux-mêmes sont utilisés dans un contexte qui fournit généralement des indices quant à la façon de les interpréter ainsi qu’une protection contre leur mauvaise interprétation. Dans Interprétation des lois (3e éd. 1999), P.-A. Côté l’explique succinctement lorsqu’il écrit, à la p. 490 : « Ce sens découle en partie du contexte de leur utilisation, et l’objet de la loi fait partie intégrante de ce contexte » (je souligne). Voir, dans le même sens, Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27, au paragraphe 21. Ces principes s’appliquent à l’interprétation des revendications en vertu de la Loi d’interprétation.

f)  Même si les appelantes expriment la crainte que l’« interprétation téléologique » ouvre la porte à une preuve d’intention extrinsèque, comme c’est le cas de certains types de preuve extrinsèque aux États-Unis, ni l’un ni l’autre des arrêts Catnic et O’Hara, précités, n’excède les limites du mémoire descriptif, et les deux se limitent comme il se doit au libellé des revendications interprété dans le contexte de l’ensemble du mémoire descriptif.

g)  Même si elle est une appellation qui a été appliquée à l’interprétation des revendications par l’arrêt Catnic, précité, l’« interprétation téléologique » elle-même est fort compatible, selon moi, avec ce que le juge Dickson avait affirmé, l’année précédente, dans l’arrêt Consolboard, précité, au sujet de l’interprétation des revendications (aux pages 520 et 521) :

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation, [1950] R.C.S. 36), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c Baldwin International Radio of Canada [[1934] R.C.S. 570], à la p. 574 : [traduction] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ».

Non seulement l’« interprétation téléologique » est-elle compatible avec ces principes bien établis, mais encore elle favorise l’atteinte de l’objectif visé par le juge Dickson, à savoir une interprétation des revendications de brevet qui « soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public ».

h)  Les appelantes laissent entendre que l’« interprétation téléologique » mine la fonction d’avis public que remplissent les revendications et entrave de façon inéquitable la concurrence légitime. Selon elles, le juge de première instance a pu sauver le brevet 734 en recourant à une interprétation « téléologique » restrictive pour limiter la portée du mot « ailette » utilisé dans le brevet 803 antérieur. Toutefois, les personnes accusées de contrefaçon reprochent habituellement à l’interprétation téléologique d’élargir la portée des revendications écrites. En fait, l’interprétation téléologique peut avoir deux effets différents. En l’espèce, elle a permis aux appelantes d’éviter la contrefaçon du brevet 803. Il ne fait aucun doute que si le brevet 734 n’avait jamais été délivré, les appelantes préconiseraient aujourd’hui fortement une « interprétation téléologique » restrictive du brevet 803 et, naturellement, il est tout aussi certain que les intimées préconiseraient le point de vue contraire. L’interprétation téléologique est susceptible d’élargir ou de limiter la portée d’un texte, comme Hayhurst, loc. cit., le souligne, à la p. 194, dans des mots qui laissent présager le jugement de première instance rendu en l’espèce :

[traduction] L’interprétation téléologique est susceptible de démontrer qu’on n’a pas voulu qu’une chose qui pourrait littéralement être visée par la revendication le soit, de sorte qu’il ne peut y avoir de contrefaçon […]

De même, deux autres praticiens expérimentés, Carol V. E. Hitchman et Donald H. MacOdrum ont conclu qu’une [traduction] « interprétation téléologique n’est pas nécessairement plus large qu’une interprétation purement littérale, même s’il se peut qu’elle le soit » (Hitchman et MacOdrum, « Don’t Fence Me In: Infringement in Substance in Patent Actions » (1990), 7 C.I.P.R. 167, à la page 202).

J’ai souligné certains passages du paragraphe 49 pour les faire ressortir, car ils peuvent être particulièrement pertinents.

[295]  L’autre affaire importante en ce qui concerne l’interprétation des revendications est bien entendu l’affaire connexe au jugement dans l’arrêt Whirlpool. Dans Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, [2000] 2 RCS 1024, la Cour s’est interrogée sur la mesure dans laquelle les revendications sont suffisamment élastiques pour viser la machine construite par Électro Santé Inc. Comme l’a dit le juge Binnie au nom de la Cour, dans quelle mesure le monopole conféré par le brevet protège « l’essentiel” ou l’esprit” de l’invention, par opposition à ce qui est expressément énoncé dans les revendications écrites [...] ». La Cour a répondu à la question en tranchant qu’il ne peut y avoir un examen des revendications en recourant à l’esprit de l’invention afin d’élargir sa portée. C’est parce que le libellé des revendications définit la portée du monopole lui-même. Par conséquent, un équilibre est établi : « [l]a prévisibilité est assurée du fait que les revendications lient le breveté et l’équité résulte de l’interprétation des revendications de façon éclairée et en fonction de l’objet » (au paragraphe 43).

[296]  Si le libellé des revendications est clair et sans équivoque, il ne serait pas nécessaire de recourir à la divulgation pour interpréter les revendications. Si le recours à la divulgation est nécessaire, comme c’est souvent le cas, elle présentera le contexte. Cependant, l’interprétation des revendications se limite à l’utilisation des brevets. Comme il est indiqué dans Whirlpool, « [...] ni l’un ni l’autre des arrêts Catnic et O’Hara, précités, n’excède les limites du mémoire descriptif, et les deux se limitent à bon droit au libellé des revendications interprété dans le contexte de l’ensemble du mémoire descriptif » (paragraphe 49f)).

[297]  Cela nous amène à la construction de deux ensembles de brevets, l’un portant sur la configuration d’une « nouvelle » motoneige (les brevets 106, 813 et 964) et l’autre portant sur la construction du châssis (brevet 264).

[298]  Un esprit désireux de comprendre sera ouvert au but et à l’intention divulgués par les brevets. J’ai été frappé au procès par certaines tentatives de certains des témoins experts de favoriser une lecture des brevets qui mènerait à une interprétation de certains des éléments essentiels pouvant uniquement être décrite comme allant à l’encontre de toute compréhension commune du libellé.

[299]  Il pourrait valoir la peine de répéter que l’interprétation des revendications est une question de droit. À ce titre, il s’agit d’une question pour laquelle la Cour recevra l’aide d’experts dans le but de vérifier comment les personnes versées dans l’art interpréteraient le brevet. Cependant, je tiens à souligner que le bon sens n’est pas exclu de la salle d’audience. L’expert aide la Cour pour permettre au juge qui préside le procès d’interpréter les brevets et leurs réclamations d’une façon éclairée. Je répète. L’interprétation des revendications précède l’examen des contrefaçons possibles et la validité des réclamations. Le recours à des experts n’est pas renforcé lorsque l’interprétation est teintée par une certaine issue décidée d’avance.

[300]  Un certain nombre de termes exigent une interprétation. Ils sont considérés comme essentiels aux brevets. Je commencerai par les termes qui sont communs aux brevets portant sur la position du conducteur.

1)  Les brevets sur la position du conducteur

[301]  Les brevets 106, 813 et 964 commencent tous par la même phrase : [traduction] « La présente invention est liée à la conception générale et à la construction d’une motoneige ». La motoneige doit être améliorée, de sorte que la position du conducteur sera différente. Les trois brevets reprennent également la première phrase sous le titre [traduction] « Sommaire de l’invention : [traduction] « La présente invention améliore la conception classique en repositionnant le conducteur sur le véhicule et en remaniant la configuration du véhicule afin de réduire au minimum l’effet du mouvement du véhicule sur le conducteur lorsque le véhicule circule sur un terrain inégal ». On peut donc s’attendre à ce que les brevets expliquent comment la nouvelle motoneige est conçue et construite.

[302]  Cependant, comme je l’ai déjà indiqué, les trois brevets ne décrivent ni la conception ni la construction d’une nouvelle motoneige; on nous présente plutôt différentes mesures. Les revendications présentent différentes plages pour ces mesures. Dans ce contexte, on a désigné un certain nombre de termes comme exigeant une interprétation.

a)  « motoneige »

[303]  En l’espèce, ce terme figure dans les trois brevets faisant l’objet d’un examen. Il doit recevoir une interprétation identique.

[304]  AC a adopté le point de vue selon lequel rien dans les brevets ne limite la motoneige à un type ou à une catégorie de motoneiges. Comme son expert, M. Warner, l’a fait valoir, il s’agit simplement d’un véhicule qui a recours à un moteur pour circuler sur la neige et la glace. En conséquence, une motoneige pour enfants serait une motoneige.

[305]  Au contraire, BRP examine les trois brevets et fait valoir que toutes les figures qui figurent dans les brevets 106, 813 et 964 montrent une motoneige standard, excluant ainsi les motoneiges pour enfants qui ont, par leur nature, des caractéristiques particulières et différentes. Le renseignement le plus important qui provient de ces brevets est l’utilisation d’un conducteur masculin au 50e percentile pour déterminer la nouvelle position du conducteur une fois la motoneige reconfigurée. Il va sans dire que les mesures d’un adulte utilisées ne peuvent être en relation qu’avec la motoneige devant être utilisée par un adulte. BRP fait valoir que les figures des brevets montrent sans équivoque que les brevets portent sur des motoneiges qui sont conduites par des adultes.

[306]  La Cour a reçu des éléments de preuve relatifs à un adulte conduisant une motoneige pour enfants. C’est certainement possible. Cependant, ces brevets portent-ils sur ce type de véhicules? Lorsqu’elles sont interprétées dans leur contexte, la divulgation et les revendications comprenant les figures signalent le fait que la motoneige est construite pour les adultes. Il semble au-delà de tout doute que les mesures dans les trois brevets peuvent uniquement avoir un sens quelconque si elles sont examinées relativement à une motoneige construite selon les mensurations d’un adulte. Je ne vois pas comment une personne versée dans l’art pourrait inclure la motoneige pour enfants dans les motoneiges visées par ces brevets lorsqu’elles sont construites selon les exigences relatives à la taille des enfants.

[307]  Les figures associées à ces brevets correspondent toutes aux proportions d’un adulte, à commencer par la figure 1, qui est présentée comme une motoneige classique. La figure 1 des brevets 106 et 813 est même désignée comme un modèle particulier de BRP (page 7). Les brevets montrent un écart par rapport à la position de conduite d’une motoneige classique.

[308]  De manière semblable, la motoneige qui est présentée dans ces brevets n’en est pas une où le conducteur et le passager sont côte à côte ou une qui comprend plus d’une chenille. Aucune des figures dans ces brevets n’affiche une cabine et les spécifications n’y font même aucune allusion. En clair, il est plutôt évident que ces brevets visent un type particulier de motoneige. Comme pour d’autres véhicules récréatifs, la taille est importante. Les modèles de motoneiges pour adolescents ne conviennent pas aux adultes, même si un adulte peut conduire une motoneige pour adolescents occasionnellement, car elle ne sera pas confortable; elle n’est pas faite pour les adultes. Les brevets de BRP prétendent reconfigurer une motoneige différente. Une interprétation téléologique, telle qu’elle est exigée, mène à une interprétation. Manifestement, l’inventeur s’intéresse à la nouvelle configuration de la motoneige classique. C’est ce qui ressort de la divulgation. Le recours à l’homme au 50e percentile est une autre indication que la nouvelle conception proposée vise une motoneige construite pour accueillir un adulte confortablement. Enfin, les avantages loués de la nouvelle configuration semblent concerner la motoneige classique.

[309]  L’opinion avancée par M. Cowley, pour le compte d’AC, doit sérieusement être écartée. Il soutenait, sans beaucoup d’éléments pour appuyer son interprétation, que tous les types de motoneiges sont inclus aux fins de ces brevets. Ce n’est que si l’on ignore le libellé des revendications et que l’on permet une interprétation téléologique qu’il est possible de suggérer une définition de « motoneige » pouvant être aussi générale que celle proposée par M. Cowley. L’intégrité des revendications n’est pas prise en considération. Comme je l’ai déjà souligné, au paragraphe 49 de Whirlpool, citant avec approbation l’arrêt Consolboard Inc. c MacMillan Bloedel (Sask.) Ltd., [1981] 1 RCS 504, à la page 520 [Consolboard], « [i]l faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement [...] sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public ». En l’espèce, la motoneige en question est ce qu’une personne versée dans l’art reconnaîtrait facilement comme une motoneige classique que BRP a cherché à reconfigurer, pas une motoneige miniature ou destinée à une fin spéciale.

b)  selle disposée sur le tunnel

[310]  AC soutient que le siège doit être monté directement sur le tunnel pour être disposé sur celui-ci. Il doit être raccordé directement au tunnel. Selon ma compréhension de la position, AC voudrait que l’expression [traduction] « disposée sur » signifie qu’il n’y a rien entre le tunnel et la selle. Je suis incapable de souscrire à cette interprétation.

[311]  Le Concise Oxford Dictionary, 9e édition, définit le terme « tunnel » comme [traduction] « un passage sous-terrain artificiel à travers une colline, ou sous une route ou une rivière, entre autres, spécialement pour permettre à une voie ferrée ou à une route de la traverser, ou dans une mine [...] 4 un tube contenant un arbre de transmission, entre autres. ». La preuve de M. Breen, pour le compte de BRP, est convaincante. Il doit y avoir une structure suffisamment rigide pour faire partie du châssis qui devra soutenir un certain nombre de composantes, dont le siège (et, bien sûr, la personne qui s’y assied) et la chenille d’entraînement pour la propulsion de la motoneige. S’il n’y a pas de structure, il n’y a pas de tunnel. Il semble raisonnable qu’une personne versée dans l’art, qui connaîtrait les motoneiges, comprenne que le tunnel est généralement fait de feuilles de métal courbées et qu’il s’agit de l’intention de l’inventeur. Cela ne laisserait pas entendre que toutes les motoneiges doivent avoir un tunnel. Il s’agit plutôt du fait que ces brevets exigent la présence d’un tunnel.

[312]  Le tunnel dans une motoneige constitue une structure; il est situé au-dessus de la chenille d’entraînement qui fonctionne pour permettre à la motoneige de se déplacer, car elle est raccordée fonctionnellement au moteur. Un élément qui offrirait la capacité de soutenir un certain nombre de composantes ne devient pas un tunnel simplement parce que sa fonction est similaire. S’il n’y a pas de structure, il n’y a pas de tunnel. En conséquence, contrairement à ce qu’affirme M. Cowley, les bicyclettes et les VTT n’ont pas de tunnels. Effectivement, il a été incapable de montrer où pourrait être leur emplacement dans ces véhicules. Ce n’est pas parce qu’un tunnel dans une motoneige fait partie du châssis et qu’il supporte la selle et d’autres composantes que ce qui supporte les composantes d’un autre véhicule devient un tunnel. Sa fonction est peut-être similaire, mais il ne s’agit pas d’un tunnel.

[313]  Le concept de la selle ne fait pas l’objet d’une controverse. La difficulté semble plutôt provenir de l’utilisation de l’expression [traduction] « disposée sur ». En fait, cette expression est utilisée à de nombreuses reprises dans les revendications. Par exemple, [traduction] « le moteur est disposé sur le châssis », [traduction] « deux skis sont disposés sur le châssis », [traduction] « un dispositif de direction est disposé sur le châssis », tout comme [traduction] « la selle est disposée sur le tunnel ». Comme nous l’avons déjà vu, il faut tenir compte du contexte au moment d’interpréter des revendications. Je ne vois pas en quoi l’utilisation de l’expression [traduction] « disposée sur » peut englober l’exigence d’un lien direct entre la selle et le tunnel. La selle doit uniquement être disposée sur le tunnel lorsque l’on prend en considération le contexte dans lequel la même expression est utilisée ailleurs. Cela n’exige pas plus une connexion directe, sans autre structure intermédiaire au milieu, que l’exigence selon laquelle il doit y avoir [traduction] « deux skis disposés sur le châssis ». Dans ce cas, le mémoire descriptif enseigne que [traduction] « [l]es skis 116 sont raccordés au châssis 114 au moyen d’un système de suspension 118 attaché au châssis 114 et à son extrémité avant » (brevet 106, à la page 9). Comme on peut facilement le voir, les [traduction] « deux skis disposés sur le châssis » sont en fait raccordés au cadre au moyen du système de suspension.

[314]  En outre, il semblerait que les revendications soient explicites en ce qui concerne les connexions lorsque cela s’avère nécessaire. La chenille d’entraînement qui est [traduction] « disposée sous le tunnel » est également [traduction] « liée fonctionnellement au moteur pour la propulsion de la motoneige ».

[315]  Selon mon estimation, la preuve favorise manifestement le fait d’accorder aux mots [traduction] « selle disposée sur le tunnel » ce qui semble être leur sens naturel, à savoir que le siège doit être au-dessus du tunnel, qui fait partie du châssis et qui supporte le poids du conducteur. La selle ne flotte pas au-dessus du tunnel, elle n’est pas à côté du tunnel, mais sur le tunnel. Rien n’empêche qu’une structure ou un dispositif se trouve entre la selle et le tunnel.

c)  conducteur standard ayant les mensurations et le poids d’un homme au 50e percentile

[316]  Cette expression figure dans toutes les revendications.

[317]  Les brevets affirment qu’ils portent sur la nouvelle conception générale et la construction d’une motoneige. En modifiant la configuration d’une motoneige, le conducteur sera dans une position différente. Comme le postule le brevet 106, [traduction] « il ressort qu’il faut concevoir une motoneige pour améliorer la position du conducteur afin de réduire au minimum l’effet du mouvement du véhicule sur le conducteur lorsque le véhicule circule sur un terrain inégal » (page 1). Alors que le conducteur était assis à une certaine distance derrière le centre de gravité de la motoneige classique, la nouvelle configuration cherche à ramener le conducteur vers l’avant. Les brevets 106 et 813, dont la divulgation est très similaire, fournissent un certain nombre de mesures par rapport au conducteur pour décrire la « nouvelle » position. Il serait évident pour la personne versée dans l’art que les mesures, pour qu’elles aient une utilité quelconque, soient prises à partir d’un type particulier de personne, étant donné la variété des êtres humains. En outre, une telle personne doit se trouver dans une position qui serait prescrite. Elle ne peut se tenir debout, ou s’accroupir, en [traduction] « chevauchant le réservoir ».

[318]  C’est la raison pour laquelle les brevets 106 et 813 parlent d’un [traduction] « homme américain au 50e percentile […] le plaçant sur la motoneige dans la position biomécaniquement neutre indiquée dans les figures (c.-à-d., la position approximative d’un conducteur quelques secondes après avoir démarré le véhicule, se dirigeant tout droit sur un terrain plat […] » (page 9). Le même homme américain au 50e percentile est utilisé dans le brevet 964.

[319]  AC a insisté pour dire qu’une motoneige doit être conduite par un être humain, pas un [traduction] « mannequin » (un dispositif anthropomorphe d’essai ou DAE). C’est énoncer l’évidence. Il s’agit plutôt du fait qu’un plus grand nombre de dimensions standard d’un conducteur sont nécessaires pour définir la « nouvelle » configuration d’une motoneige. M. Grewal, un expert présenté par AC, a fait valoir qu’il n’existait aucun conducteur standard réel, car, après tout, de nombreuses personnes différentes conduisent des motoneiges. C’est très vrai. Cependant, une fois de plus, ce n’est pas ce que les brevets revendiquent. Le fait est qu’il doit y avoir une référence à laquelle on peut recourir pour prendre des mesures conformément aux nombreuses revendications avancées. Il est difficile d’imaginer que la personne versée dans l’art ne connaisse pas bien l’homme américain au 50e percentile.

[320]  Les trois brevets présentent les mêmes figures (les figures 19 et 20 dans les brevets 106 et 813, et les figures 6 et 7 dans le brevet 964). Il ne peut y avoir aucun doute que ces figures ne présentent pas des dimensions exactes. Il y a manifestement une certaine mesure de négligence dans la présentation de ces figures, notamment du fait que les erreurs sont si manifestes, même pour une personne non informée. Ces erreurs n’ont jamais été expliquées clairement par Jonathan Cutler, l’avocat principal et l’agent des brevets pour le compte de BRP. AC a insisté sur le fait qu’il y a probablement plus d’erreurs que de mesures exactes. Effectivement, toute la poursuite de ces brevets, présentée longuement, laisse transparaître un manque d’attention à des détails fondamentaux. Cependant, contrairement à ce qu’a fait valoir M. Warner pour le compte d’AC, des erreurs aussi manifestes n’induiraient pas en erreur la personne versée dans l’art, qui aurait rapidement et facilement remarqué les erreurs nombreuses et manifestes. En fait, ce sur quoi les brevets insistent, c’est qu’un homme américain au 50e percentile est utilisé pour mesurer les distances et les angles dans les revendications avancées. Je retiens le témoignage de M. Breen, pour le compte de BRP, que, même si elles sont malheureuses, ces erreurs ne poseraient pas une difficulté pour la personne versée dans l’art qui a plus qu’une simple connaissance de la notion des percentiles correspondant aux différentes caractéristiques des êtres humains.

[321]  AC reconnaît, à juste titre à mon avis, que la personne versée dans l’art chercherait à compléter ses connaissances, après avoir remarqué sans trop de mal, les nombreuses erreurs dans les figures présentées dans les brevets. Il existe de nombreuses sources d’information en ce qui concerne le 50e percentile; les témoignages de Peter Watson et de Mme Raasch, pour le compte de BRP, montrent que les variations au cours des dernières décennies n’ont pas été importantes.

[322]  Comme il a déjà été signalé dans l’arrêt Whirlpool, le brevet ne doit pas être lu par un esprit désireux de ne pas comprendre (paragraphe 49c)). Comme l’affirme le juge Binnie, « [u]n “esprit désireux de comprendre” prête nécessairement une grande attention au but et à l’intention de l’auteur » (au paragraphe 49). L’esprit désireux de comprendre, qui se trouve être la personne versée dans l’art, trouverait sans grandes difficultés une solution de rechange pour les dimensions manifestement erronées des figures qui se trouvent dans les brevets.

[323]  Une question a été soulevée à propos de la position dite [traduction] « biomécaniquement neutre ». Il s’agit d’une expression qui est apparue très tard dans le processus désigné comme les instances relatives aux brevets 106 et 813. L’examinateur à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada a montré une certaine réticence tout au long du processus. Dans un effort visant à convaincre l’examinateur en février 2006 (le brevet 106 avait été produit depuis décembre 1999 et la demande d’examen n’était arrivée que le 8 août 2003, selon la pièce P‑24) qui exprimait une fois de plus son malaise à l’égard du caractère indéfini de la position de siège et de la position des pieds (P‑24, onglet 14), M. Cutler a demandé une entrevue avec l’examinateur à Gatineau (transcriptions, le 12 février 2015, à la page 230 et suivantes). Comme on l’avait fait auprès de l’examinateur américain du bureau des brevets américain, on a apporté une motoneige de l’art antérieur et une motoneige reconfigurée (qui, à cette date, était vendue depuis trois ans). C’est alors, en février 2006, que Peter Watson a suggéré cette expression (transcriptions, le 12 février 2006, à la page 235). Quoi qu’il en soit, il importe peu de savoir de quelle façon et à quel moment cette expression a été introduite. En effet, que l’expression ait été nouvelle ou non ne change rien à la nécessité de lui conférer un sens.

[324]  Une fois de plus, il ne faut pas perdre de vu l’exigence qui consiste à donner au brevet une interprétation téléologique. Il ne s’agit pas simplement de mots sur une page. L’arrêt Whirlpool nous vient en aide et est instructif :

[…]

e) En réalité, un brevet est plus que simplement « un autre écrit ». Les mots utilisés dans les revendications sont d’abord proposés par le demandeur, mais ils font par la suite l’objet de négociations avec le Bureau des brevets, et c’est, en fin de compte, le Commissaire aux brevets qui les accepte à titre d’énoncé exact du monopole qui peut résulter à bon droit de l’invention divulguée dans le mémoire descriptif. Une fois délivré, le brevet devient un texte visé par la définition du mot « règlement » contenue au paragraphe 2(1) de la Loi d’interprétation […]

Il faut donc donner à un brevet une interprétation qui, selon l’article 12 de la Loi d’interprétation, « soit compatible avec la réalisation de son objet » […]

(Paragraphe 49)

[325]  Les brevets affirment simplement à quoi correspond la position du conducteur lorsque des mesures doivent être prises pour déterminer quelle sera la configuration de la motoneige. Selon la prépondérance de la preuve, l’expression [traduction] « position biomécaniquement neutre » n’était pas bien connue, elle doit néanmoins être interprétée. Heureusement, l’expression est définie dans les brevets 106 et 813 :

[traduction]

Comme le saurait une personne versée dans l’art, une position biomécaniquement neutre en est une où chacun des muscles opposés des principaux groupes de muscles de soutien qui maintiennent le conducteur dans sa position est en équilibre. Ce point peut varier d’un conducteur à l’autre, compte tenu des différences de grandeur et de poids d’un conducteur à l’autre. En cas de problèmes, elle peut être déterminée en prenant un homme américain au 50e percentile (ayant un poids de 78 kilogrammes et les dimensions indiquées dans les figures 19 et 20), le plaçant sur la motoneige dans la position biologiquement neutre indiquée dans les figures (c.-à-d., la position approximative d’un conducteur quelques secondes après avoir démarré le véhicule, se dirigeant tout droit sur un terrain plat), et traçant une ligne de son épaule jusqu’à sa hanche. (Aux fins de la présente discussion, une personne standard est illustrée aux figures 19 et 20). L’intersection de cette ligne avec le siège peut être considérée comme correspondant à la position de siège 130.

(Pages 9 et 9a)

[326]  Si l’on tient compte des figures dans les brevets, le sens de l’expression [traduction] « position mécaniquement neutre » ressort sans beaucoup de difficultés. Les brevets décrivent une position neutre une fois que la position de siège est prise, les mains sur le guidon, sans effort. La motoneige vient tout juste de démarrer et avance en ligne droite, sans tourner la motoneige ou faire un effort pendant qu’elle gravit une colline, par exemple. Les trois brevets montrent, très clairement à mon avis, ce qui pourrait être décrit comme une position normale lorsqu’une personne est assise sur une motoneige. Contrairement au témoignage présenté par M. Warner, pour le compte d’AC, le conducteur ne serait pas étendu sur le dos ou à plat ventre tout en se trouvant dans une position biomécaniquement neutre, telle que définie. Non seulement, cette affirmation fait fi de l’interprétation téléologique du brevet, qui porte sur la position adoptée par le conducteur, mais elle fait fi des figures que l’on retrouve dans les brevets en litige. Il s’agit de l’antithèse de l’interprétation téléologique des revendications.

[327]  Le concept, une fois défini dans les brevets et examiné au moyen des figures, n’est ni vague ni ambigu. En vérité, il est plutôt simple, notamment lorsque nous prenons en considération le but dans lequel il est utilisé. Il décrit et définit une position équilibrée sur une motoneige. L’esprit désireux de comprendre n’a aucune difficulté à voir que [traduction] « [l]a position biomécaniquement neutre renvoie à un conducteur standard qui n’effectue aucun effort musculaire important, il n’y a aucune extension des membres, ni accroupissement, ni orientation armée pour prendre la position corporelle » (rapport d’expert de Kevin Breen, P‑39, au paragraphe 123).

[328]  Je ne vois aucune difficulté avec la [traduction] « position standard » des brevets 106 et 813. Étonnamment, AC fait valoir qu’il n’y a aucune définition claire de l’expression [traduction] « position standard ». Je ne saurais partager cet avis, étant donné que la première revendication du brevet 106 concerne [traduction] « une position standard définie comme celle du conducteur standard chevauchant la selle et étant assis dans une position biomécaniquement neutre sur celle-ci, ses pieds étant disposés sur les repose-pieds en position de repose-pieds et ses mains disposées sur le dispositif de direction en position de direction, la motoneige dirigée et allant tout droit sur un terrain plat […] ». De manière semblable, le brevet 964 définit la position standard.

d)  repose-pieds ayant une position de repose-pieds

[329]  AC considère cette expression comme étant vague et ambiguë, et ce, malgré le fait qu’une personne versée dans l’art serait informée des bandes latérales, des deux côtés de la motoneige, utilisées en guise de repose-pieds.

[330]  Le contexte dans lequel les termes figurent est celui d’un des éléments compris dans une motoneige, tel qu’on le trouve dans les revendications indépendantes de ces brevets :

[traduction]

Une paire de repose-pieds, un repose-pieds disposé sous chaque côté du siège, chaque repose-pieds étant dimensionné et disposé par rapport au siège et au dispositif de direction pour soutenir les pieds du conducteur standard, les repose-pieds ayant une position de repose-pieds;

[331]  AC semble supposer que les pieds peuvent aller à différents endroits, car les pieds du conducteur bougent habituellement vers l’avant et vers l’arrière pendant la conduite normale.

[332]  En ce qui concerne la « position de repose-pieds », celle-ci est définie à la page 10 des brevets 106 et 813 :

[traduction]

Les pieds du conducteur 146 reposent sur les repose-pieds 134 en position de repose-pieds 138, immédiatement derrière le centre de gravité 144 de la motoneige 144. La position de repose-pieds 138 se trouve à l’emplacement de la cambrure du pied du conducteur 126 lorsque ses pieds sont placés dans la position normale de fonctionnement sur le véhicule. Dans des conditions de fonctionnement normales, les pieds du conducteur 146 reposeront sur la partie avant des bandes latérales. De préférence, les prises pour les pieds 145 sont disposées au-dessus de ces parties avant et permettent au conducteur de s’attacher au véhicule tout en pouvant s’en détacher.

Cette définition est claire. Dans des conditions de fonctionnement normales, les pieds reposeront sur la partie avant des bandes latérales. Les conditions de fonctionnement normales, dans le contexte de ces brevets, doivent correspondre au moment où le conducteur est assis sur la motoneige. Une fois de plus, le but des brevets consiste à définir la configuration d’une motoneige. Pour réaliser ce but, l’inventeur a choisi d’asseoir le conducteur, l’homme nord-américain au 50e percentile, dans une position de siège en adoptant une position naturelle, comme s’il conduisait la motoneige orientée tout droit. Le fait qu’un conducteur change habituellement de position pendant un trajet ou dans différentes circonstances, par exemple lorsqu’il gravit une montagne, n’a pas d’importance. Cela exclurait les moments où le conducteur choisit de se lever ou d’opérer le véhicule avec un genou sur la selle. De manière semblable, il n’y a rien d’ambigu, à mon avis, dans la définition présentée dans le brevet 964, à la page 9 :

[traduction]

Les repose-pieds 134 sont disposés de chaque côté du siège 128 et peuvent être formés intégralement par le tunnel 119 du châssis 114 ou être appuyés par celui-ci. Dans la réalisation illustrée à la figure 5, les repose-pieds 134 sont formés intégralement par le tunnel 119, de sorte que le tunnel 119 offre le soutien structurel pour les pieds du conducteur 146. Les pieds du conducteur 146 reposent sur les repose-pieds 134 en position de repose-pieds 138, immédiatement derrière le centre de gravité 144 du véhicule 110. La position de repose-pieds 138 se trouve à l’emplacement de la cambrure du pied du conducteur 126 lorsque ses pieds sont placés dans la position standard sur le véhicule. Dans des conditions de fonctionnement normales, les pieds du conducteur 146 reposeront sur la partie avant des bandes latérales et des repose-pieds 134. Ce positionnement du pied place les chevilles du conducteur 139, qui sont définies par l’articulation de cheville, 9 cm au-dessus de la position de repose-pieds 138.

e)  dispositif de direction ayant une position de direction

[333]  Je partage l’avis de M. Warner selon lequel le dispositif de direction est, dans une motoneige, le guidon. Cependant, je dois m’en dissocier lorsqu’il affirme que les termes engendrent de la confusion.

[334]  Une fois de plus, il est important de situer les mots dans leur contexte. La première revendication du brevet 106 prévoit une motoneige comprenant ce qui suit :

[traduction]

Un dispositif de direction disposé sur le châssis à l’avant du siège, le dispositif de direction étant fonctionnellement lié aux deux skis pour diriger la motoneige, le dispositif de direction ayant une position de direction;

La confusion déclarée proviendrait d’une phrase à la page 4 du brevet 106 qui définit le terme « position ». [traduction] « Le siège définit une position de siège, le dispositif de direction définit une position de direction et le repose-pieds définit une position de repose-pieds ». La suggestion selon laquelle la personne versée dans l’art interpréterait ces mots comme s’ils désignaient la composante mécanique, ou le guidon lui-même, est plutôt aberrante.

[335]  La phrase tirée de la page 4 est plutôt claire : l’emplacement du siège, du dispositif de direction et des repose-pieds définira la position. La position est définie par l’emplacement de l’objet (siège, dispositif de direction, repose-pieds). L’emplacement défini par l’emplacement du guidon ne change pas. La position de direction ne correspond pas au dispositif de direction, mais est plutôt définie par celui-ci.

[336]  Le brevet 106 fournit plus de détails, conformément à ce qui figure à la page 4 :

[traduction]

En cas de problèmes, la position de direction 136 peut être déterminée en plaçant les mains du même conducteur au 50e percentile décrit ci-dessus, sur le dispositif de direction 132 dans une position de fonctionnement normale. La position de direction 136 correspondra à l’intersection du centre de la paume des mains du conducteur 126 et le dispositif de direction 132.

Comme on peut le constater, la position et le dispositif ne sont pas la même chose. Cependant, l’un définit l’autre lorsque l’on fait référence à l’homme américain au 50e percentile au moyen de la motoneige en position de fonctionnement normale. La personne versée dans l’art saura à quoi correspond la position de fonctionnement normale.

f)  position de siège

[337]  Il convient de répéter une fois de plus que les brevets visent à construire une « nouvelle » motoneige. Selon les mots des trois brevets, « [l]a présente invention est liée à la conception générale et à la construction d’une motoneige ». La position du conducteur, correspondant à un conducteur standard dans une position standard, sera déterminée par la construction de la motoneige et l’organisation de ses différentes composantes, de sorte que la position standard sera la position assise.

[338]  C’est dans ce contexte que les brevets 106 et 813 et le brevet 964 renvoient à une « position de siège » et à une « position assise ». Dans le cas des brevets 106 et 813, la nouvelle position adoptée par le conducteur standard est définie selon différentes distances ou différents angles. Un conducteur « normalement » assis sur la motoneige reconfigurée satisferait prétendument à ces mesures. La position de siège est, à mon avis, clairement définie dans les brevets 106 et 813 :

[traduction]

La position de siège 130 est le point où le poids du conducteur 126 est exercé sur le siège 128, lorsqu’il est assis dans une position biomécaniquement neutre sur le siège et que ses pieds sont disposés sur les repose-pieds à la position de repose-pieds et ses mains disposées sur le dispositif de direction à la position de direction […] et traçant une ligne de son épaule jusqu’à sa hanche. [...] L’intersection de cette ligne avec le siège peut être considérée comme correspondant à la position de siège 130. On comprendra également que le siège 128 sera recouvert d’une quantité de mousse ou d’un matériau de rembourrage similaire, et que la quantité de cette mousse variera d’un siège à l’autre. Lorsque le conducteur 126 s’assied sur le siège 128, son poids entraînera la compression de la mousse et il s’enfoncera dans le siège 128. Préférablement, la position de siège 130 est déterminée après cette compression.

[339]  Ce qu’il convient de souligner, c’est que les brevets assument un certain manque de précision. Préférablement, pas obligatoirement, les mesures sont prises après l’achèvement de la compression du siège. Qui plus est, la quantité de rembourrage variera. La précision réclamée par AC ne correspond pas, selon toutes les probabilités, à ce que représentent les brevets. Une plage de distances et d’angles est avancée. On a fait grand cas du point exact où la hanche ou l’épaule serait utilisée pour tracer une ligne entre l’épaule et la hanche. Une personne versée dans l’art n’aurait pas beaucoup de mal à vérifier l’emplacement des points de la hanche et de l’épaule, avec un certain écart, comme semblent le permettre les brevets. La vraie question serait plutôt comment l’invention peut être réalisée avec l’aide de ces mesures seulement. Toutefois, à mon avis, il ne s’agit pas d’une question qui relève de l’interprétation des revendications. Les revendications peuvent être interprétées.

[340]  Le brevet 964 porte sur la position des genoux, des chevilles et des hanches du conducteur de la motoneige reconfigurée. Contrairement à la position de la configuration classique antérieure des motoneiges, les genoux sont disposés devant les chevilles et sous les hanches. Il n’est pas excessivement surprenant que le brevet définisse la position de siège pour composer avec cet aspect particulier :

[traduction]

Lorsque le conducteur 126 est sur la motoneige 110, le conducteur sera positionné sur le siège 128 de sorte qu’il occupe la position de siège 130. La position de siège 130 est le point où le poids du conducteur 126 est exercé sur le siège 128 et est généralement située 9 cm sous les hanches 131 du conducteur 126. On comprendra également que le siège 128 sera recouvert d’une quantité de mousse ou d’un matériau de rembourrage similaire, et que la quantité de cette mousse variera d’un siège à l’autre. Lorsque le conducteur 126 s’assied sur le siège 128, son poids entraînera la compression de la mousse et il s’enfoncera dans le siège 128. Préférablement, l’emplacement de la position de siège 130 et des hanches 131 est déterminé après cette compression.

(Page 8)

La principale préoccupation exprimée par AC concerne l’absence complète de précision. Au moment d’examiner les figures du brevet 964 avec la définition, il serait difficilement trop ardu pour la personne versée dans l’art de situer un point raisonnable indiquant l’épaule et la hanche.

2)  Brevet concernant la construction du châssis (le brevet 264)

[341]  Le brevet 264 est d’une nature complètement différente. Même s’il devait être déployé sur le REV pour accroître la rigidité du châssis, comme il est indiqué à la page 1 du brevet, [traduction] « la présente invention est liée à la construction d’un châssis et des éléments structuraux connexes qui améliorent la robustesse et la capacité de ces véhicules à fonctionner dans une grande gamme de différents terrains et de différentes conditions ». Il indiquait également que le nouveau châssis facilite la construction de véhicules avec un meilleur positionnement du conducteur. La nouvelle structure raccordée au châssis est devenue connue comme [traduction] « l’ensemble de renfort pyramidal ». Si la divulgation mentionne les motoneiges et autres véhicules récréatifs, les revendications ne concernent que les motoneiges.

[342]  Un certain nombre de termes figurant dans le brevet 264 demandent une interprétation. Le sens conféré au terme « motoneige », tel qu’il est présenté dans les trois autres brevets, sera le même dans le brevet 264. Il en va bien sûr de même de la « selle disposée sur le tunnel ».

a)  berceau de moteur à l’avant du tunnel

[343]  Le berceau de moteur, qui ne figure pas dans les trois autres brevets, est un élément essentiel de la construction du châssis de la motoneige comprenant le nouvel ensemble de renfort pyramidal. De toute évidence, le berceau de moteur est situé à l’avant du tunnel. Il s’agit d’un berceau de moteur d’une variété particulière qui constitue un élément essentiel des revendications d’une invention qui ajoute de la rigidité au châssis d’une motoneige.

[344]  Il ne semble y avoir aucune controverse entourant la nature d’un « berceau de moteur ». Il héberge le moteur. Toutefois, les témoignages des experts ne permettent pas de déterminer clairement si des parois sont requises pour avoir un berceau. M. Breen, pour le compte de BRP, parle d’un compartiment pour recevoir le moteur qui pourrait être une structure délimitée par des parois solides ou une structure ouverte. M. Cowley, pour le compte d’AC, semblerait favoriser une définition plus limitée d’un berceau de moteur dans son rapport daté du 26 octobre 2014 (D-82) : [traduction] « il comprend un fond et des parois latérales » (au paragraphe 93). Dans son rapport de réfutation, M. Cowley étaye son explication en soulignant que le brevet 264, lorsqu’il fait mention du berceau de moteur de l’invention, inclut toujours des parois ainsi qu’un fond.

[345]  Ce qui rend l’explication plus discutable, c’est que, dans la même pièce D‑82, M. Cowley s’écarte de sa définition exigeant des parois lorsqu’il décrit le berceau de moteur de la Blade. Même s’il trouve des parois à l’arrière et au-devant du berceau, il ne semble pas y avoir de parois latérales, car il écrit, au paragraphe 199 de la pièce D‑82, que [traduction] « [l]es côtés du berceau de moteur sont formés du tube frontal et du tube inférieur des côtés gauche et droit du moteur ».

[346]  Ce qui préoccupe d’abord et avant tout la Cour, c’est le sens conféré par le brevet 264 au « berceau de moteur », tel que ce terme est utilisé dans le brevet. Lorsqu’elle a examiné le sens à donner au terme « motoneige », la Cour s’est concentrée sur le but des inventeurs, sur leur intention. C’est la raison pour laquelle il est vraisemblable que la motoneige faisant l’objet d’un examen soit une motoneige de taille adulte. Le même raisonnement s’applique au berceau de moteur exigé par le brevet 264. L’invention ajoute de la rigidité au châssis, car elle transfère des charges à travers la structure et le châssis. Le berceau de moteur fait partie intégrante de l’ensemble de châssis. On dit que l’invention prévoit [traduction] « un ensemble de châssis avec un tunnel, un berceau de moteur disposé à l’avant du tunnel et raccordé au tunnel, et un sous-châssis disposé à l’avant du berceau de moteur et raccordé au berceau de moteur » (au paragraphe 0011). Le berceau est manifestement beaucoup plus qu’une aire réservée au placement du moteur. En réalité, la colonne supérieure s’étend vers le haut depuis le berceau de moteur pour se raccorder à l’ensemble de soutien avant. Lorsqu’on l’examine dans son intégralité, y compris les figures, le berceau comprend toujours des parois, plus ou moins complètes. Il n’est jamais question d’une structure ouverte. Il s’agit d’un compartiment raccordé au tunnel et au sous-châssis, comprenant des parois et un fond. Certains passages tirés de la divulgation servent d’illustration supplémentaire, à savoir que le brevet envisage le berceau de moteur comme un compartiment, pas comme une structure ouverte :

[TRADUCTION]

   [0064]  La figure 4 montre que le berceau de moteur 56 est raccordé au tunnel 54 par tout moyen convenable connu des personnes versées dans l’art. Par exemple, le berceau de moteur 56 peut être soudé ou boulonné au tunnel 54. Le berceau de moteur comprend une plaque de fond 66, et des parois latérales gauche et droite 68, 70, qui comprennent des ouvertures gauche et droite 72, 74, respectivement. L’ouverture gauche 72 est prévue pour que les arbres pour la transmission (habituellement une transmission à variation continue ou TVC) ou peut s’étendre vers l’extérieur à partir de la paroi gauche 68. […]

  [0065]  Comme la figure 4 illustre, la paroi gauche 68 est prévue avec une poutre 76 qui s’y raccorde de manière amovible. La poutre 76 peut être retirée pendant l’entretien, par exemple, afin de faciliter l’accès aux composantes du moteur et les éléments périphériques disposés dans l’ouverture gauche 72.

  [0078]  La paroi latérale gauche 162 s’étend vers l’avant ou delà de la partie avant 170 du tunnel 86 pour former une paroi gauche du berceau de moteur 172. De manière semblable, la paroi droite 164 s’étend vers l’avant de l’extrémité avant 170 du tunnel 86 pour former la paroi droite du berceau de moteur 174. À la bordure inférieure des parois gauche et droite du berceau de moteur 172, 174, il y a des parties qui s’étendent latéralement 176, 178 qui servent à renforcer les parois gauche et droite du berceau de moteur 172, 174. […]

  [0079]  La paroi gauche du berceau de moteur 172 comprend préférablement une ouverture 182 à travers celle-ci. L’ouverture 182 permet aux arbres de transmission 106 de passer à travers. Contrairement à la paroi gauche du berceau de moteur 172, la paroi droite du berceau de moteur 174 ne comprend pas une telle ouverture. Au lieu de cela, la paroi droite du berceau de moteur 174 est essentiellement solide. En raison de sa construction, la paroi droite du berceau de moteur 174 réfléchit la chaleur rayonnante émanant du moteur 104 vers le moteur 104 pour aider à réduire au minimum la dissipation de la chaleur du moteur 104. Des ouvertures gauche et droite 184, 186 sont prévues dans les parois gauche et droite du berceau de moteur 172, 174, de sorte que l’arbre de transmission 188 puisse passer à travers. L’arbre de transmission 186 se raccorde à une chenille sans fin 102 pour la propulsion de la motoneige 22. L’ouverture 182 peut comprendre une traverse 189 aux environs de sa périphérie, comme il est illustré dans les figures 11 et 12, qui assure un intervalle pour le moteur. La paroi gauche du berceau de moteur 172 comprend également une ouverture 192 au-dessus de l’ouverture 184 à travers laquelle passe un arbre pour une partie de la transmission 106.

  [0091]  La figure 19 est une illustration en perspective de la réalisation de la présente invention montrée dans les figures 13 et 14 afin d’aider à comprendre la portée et le contenu de la présente invention. Comme il est illustré, l’arbre de transmission 322 s’étend à travers l’ouverture gauche 182 dans la paroi gauche du berceau de moteur 172. Une partie de la boîte de vitesse 324 est également visible. En outre, un amortisseur gauche 326, qui est raccordé entre la traverse 142 et le bras de support gauche 216, est illustré. L’amortisseur droit, qui s’étend entre la traverse 142 et le bras de support droit 218 est visible dans la figure 20. En outre, la paroi inférieure avant gauche 330 est montrée à l’extrémité avant du repose-pieds gauche 166. Une paroi inférieure avant similaire peut être prévue du côté droit de la motoneige 22 (mais n’est pas illustrée dans le présent document).

  [00104]  Comme il est illustré à la figure 28, le renfort gauche 122 et le renfort droit 124 s’étendent vers le haut depuis le tunnel 370 jusqu’à l’apex 372, où ils sont raccordés à un support de direction à géométrie variable 374. La colonne supérieure 118 s’étend depuis la paroi gauche du berceau de moteur 376 et la paroi droite du berceau de moteur 174, et se raccorde également à un support de direction à géométrie variable 374. L’ensemble de soutien avant 134 s’étend depuis le sous-châssis 294 jusqu’au support de direction à géométrie variable 374.

  [00106]  La réalisation de l’ensemble de châssis de la présente invention diffère des réalisations antérieures à certains égards. D’abord, la paroi gauche du berceau de moteur 393 comprend une ouverture en forme de « C » 392 au lieu de l’ouverture 182. L’ouverture en forme de « C » 392 facilite l’entretien d’un moteur (non montré) dans le berceau de moteur 394. […]

  [00112]  De plus, la création de l’ensemble de châssis 84, 190, 191 comprend à tout le moins un autre avantage en ceci que le châssis peut être rendu plus léger et plus fort que les ensembles de châssis de l’art antérieur (par exemple un ensemble de châssis 52, qui est illustré à la figure 4). Dans la motoneige classique, l’ensemble de châssis 52 comprenait un tunnel 54 et un berceau de moteur 56 qui étaient rivetés ensemble. Parce que l’ensemble de châssis 84, 190, 191 ajoute de la force et de la rigidité à la construction générale, et qu’il absorbe et redistribue de nombreuses forces exercées sur le châssis du véhicule, les panneaux qui composent le tunnel 86 et le berceau de moteur 88 n’ont pas besoin d’être aussi solides ou aussi épais que ce qui était nécessaire pour la construction de l’ensemble de châssis 52.

[Non souligné dans l’original.]

[347]  M. Breen peut très bien avoir eu raison lorsqu’il a écrit au paragraphe 147 dans son premier rapport, P‑39, que [traduction] « [l]e berceau pourrait être une structure délimitée par des parois solides ou, dans d’autres cas, une structure ouverte ». La difficulté est qu’on ne parvient pas à trouver cette solution de rechange dans le brevet 264. Il n’y a simplement aucune réalisation où les parois peuvent être éliminées : les parois sont complètes et incomplètes, elles sont solides et elles peuvent comprendre des ouvertures. Il s’agit toutefois de parois. Le brevet ne contient aucune indication que la solution de rechange est envisagée. D’après la preuve en l’espèce, le berceau de moteur envisagé par le brevet est d’une variété qui comprend des parois. Il n’y a tout simplement aucune preuve du contraire. Toutes les indications vont dans ce sens.

[348]  La preuve semble claire que les inventeurs avaient l’intention que leur invention ait un berceau de moteur muni de parois dans lequel le moteur peut être disposé (au paragraphe 0015). Le berceau de moteur est un élément essentiel dans un brevet, dont le but consiste à ajouter de la robustesse et de la rigidité. L’ensemble de châssis comprend un tunnel, un berceau de moteur raccordé au tunnel et un sous-châssis. Le berceau n’est pas conçu pour être une aire, mais une structure solide.

[349]  Le juge Louis Pratte, de la Cour d’appel fédérale, nous a rappelé le rôle limité des tribunaux dans l’interprétation des revendications :

Le tribunal doit interpréter les revendications; il ne peut les réécrire. Lorsqu’un inventeur a clairement déclaré dans les revendications qu’il tenait un élément pour essentiel à son invention, le tribunal ne saurait en décider autrement pour la seule raison qu’il se trompait.

Eli Lilly & Co. c O’Hara Manufacturing Ltd. (1989), 26 CPR (3d) 1, à la page 7

La même idée a été exprimée dans Free World Trust dans ces termes : « [L]’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui-même. »

[350]  À mon avis, les inventeurs ne se sont pas mal exprimés. Leur intention était qu’un berceau de moteur robuste comprenant des parois fasse partie du châssis plus rigide, qui est l’objet du brevet. Je suis convaincu que l’inclusion d’un berceau de moteur comprenant des parois n’a pas été faite par inadvertance.

b)  « sous-châssis »; « sous-châssis à l’avant du berceau de moteur »; « un châssis comprenant un sous-châssis à l’avant d’un berceau de moteur »

[351]  Le brevet 264 porte sur la construction d’un châssis qui accroîtra la robustesse de la motoneige, lui permettant ainsi de circuler sur une grande variété de terrains. Le sous-châssis semblerait être l’une des composantes d’un ensemble de châssis : il s’agit d’une structure. Comme l’indique le paragraphe [0011], il s’agit [traduction] « [d’]un objet de la présente invention de fournir un ensemble de châssis avec un tunnel, un berceau de moteur disposé à l’avant du tunnel et raccordé au tunnel, et un sous-châssis disposé à l’avant du berceau de moteur et raccordé au berceau de moteur ». Les deux experts que sont MM. Cowley et Breen conviennent que le sous-châssis reçoit la suspension.

c)  « colonne supérieure s’étendant vers le haut depuis le châssis »

[352]  La colonne supérieure fait partie de l’ensemble de châssis. C’est de cette façon qu’elle est présentée au paragraphe [0027] du brevet 264. Il s’agit d’une structure qui supporte le guidon (au paragraphe [0066]). Il s’agit [traduction] « généralement d’une structure inversée en forme de “U” ».

[353]  Les parties conviennent que le but de la colonne supérieure est de renforcer l’ensemble de renfort. Elle offre un soutien structurel à l’apex, aidant ainsi à fixer l’ensemble de cadre pyramidal intégral au châssis de la motoneige. La nature de la colonne supérieure en tant qu’élément structurel visant à renforcer le cadre pyramidal est indiquée d’une façon on ne peut plus claire par la mention, au paragraphe [0071], que, [traduction] « [a]u besoin, la colonne supérieure 118 peut être renforcée au moyen d’une traverse 120, mais ce n’est pas nécessaire pour réaliser la présente invention ».

d)  « ensemble de renfort pyramidal »

[354]  D’une part, la divulgation du brevet 264 n’offre aucune aide directe à l’interprétation de cette expression. D’autre part, l’expression est utilisée à maintes reprises dans les revendications (revendications 1 à 6, 8, 16 à 21 et 23). Elle est réellement au cœur de l’invention revendiquée. Néanmoins, la divulgation sera utile dans la mesure où elle traite de l’« ensemble de cadre », de la [traduction] « construction pyramidale » et de la [traduction] « structure pyramidale ».

[355]  Le brevet 264 porte entièrement sur la construction d’un châssis en vue d’accroître la robustesse de la motoneige et la capacité de ces véhicules de circuler sur des terrains difficiles. Par conséquent, un objet du brevet consiste à fournir un ensemble de châssis comprenant un tunnel, un berceau de moteur et un sous-châssis (au paragraphe [0011]). Il comprendra une colonne supérieure dans certaines revendications ainsi qu’un ensemble de renfort arrière et un ensemble de soutien avant. L’ensemble de renfort arrière et l’ensemble de soutien avant sont liés au tunnel, au berceau de moteur et au sous-châssis, et, avec la colonne supérieure lorsque cela est approprié, ils sont raccordés à un apex (au paragraphe [0012]. L’ensemble de soutien avant et l’ensemble de renfort arrière, convergeant à un apex, avec la colonne supérieure, forment une construction pyramidale (au paragraphe [0012]). Il ne semblerait pas difficile de conclure que l’ensemble de cadre revendiqué par l’invention ressemblerait à une pyramide.

[356]  La surface triangulaire converge au sommet, l’apex. Les jambes de la structure, l’ensemble de soutien avant et l’ensemble de renfort arrière aident à former les triangles qui prendraient la forme d’une pyramide. Je n’ai aucune difficulté à accepter que la structure offre un soutien structurel et de la rigidité. Les figures montrent indéniablement la structure pyramidale. Même s’il est vrai que le brevet ne présente aucune dimension de la structure pyramidale, il est assez clair que la configuration de la structure doit avoir la forme d’une pyramide.

[357]  Il y a des raisons à cela. Le but de l’ensemble de châssis revendiqué est de répartir le poids chargé sur la motoneige. En conséquence, les principaux éléments de l’ensemble de châssis forment des configurations triangulaires ou pyramidales. Il est indiqué que les barres qui composent l’ensemble de châssis [traduction] « fonctionnent uniquement en tension et en compression, sans fléchir. Elles sont le renfort. Par conséquent, toutes les barres de l’ensemble de châssis 84, 190, 191 se recoupent à un point commun […] » (au paragraphe [00109]).

[358]  Le but de la structure consiste à améliorer la rigidité du châssis, ce qui améliore la maniabilité. Cependant, la structure exige que les jambes se rejoignent à un apex. Il convient de reproduire une fois de plus ce passage tiré du paragraphe [00112] du mémoire descriptif :

[traduction]

[00112] […]

Parce que l’ensemble de châssis 84, 190, 191 ajoute de la force et de la rigidité à la construction générale, et qu’il absorbe et redistribue de nombreuses forces exercées sur le châssis du véhicule, les panneaux qui composent le tunnel 86 et le berceau de moteur 88 n’ont pas besoin d’être aussi solides ou aussi épais que ce qui était nécessaire pour la construction de l’ensemble de châssis 52.

[359]  AC a consacré du temps et des efforts considérables à traiter la possibilité que les jambes arrière dans la structure pyramidale puissent être parallèles ou à proximité l’une de l’autre. En toute déférence, les figures 14, 19, 20 et 26 montrent que les jambes convergent vers l’apex. Il se peut qu’elles ne commencent pas à converger dès le début, mais elles convergent. Les figures peuvent permettre aux jambes de courir en parallèle l’une par rapport à l’autre, mais elles ne demeurent pas parallèles. Au lieu de cela, elles tournent pour converger vers le sommet. C’est de cette façon que le brevet peut parler de [traduction] « constructions pyramidales » et de [traduction] « structure pyramidale ». Le point de vue exprimé par M. Breen, pour le compte de BRP, est celui qui est compatible avec le brevet 264 :

[traduction]

162.  La personne versée dans l’art arriverait donc à la conclusion que l’ensemble de renfort pyramidal n’a besoin en fait que d’avoir une forme généralement pyramidale, tant que les barres qui forment l’ensemble de renfort convergent généralement vers une région spatiale où les charges externes sont transmises. Dans cette configuration générale, les charges seront effectivement transmises sous forme de tensions et de compressions dans les barres, avec peu, voire aucune flexion.

(Rapport d’expert de M. Breen du 26 octobre 2014, P‑39)

e)  « former un apex qui n’est pas à l’avant du moteur »

[360]  Il semble y avoir un accord général que l’apex renvoie au haut, au sommet, au point le plus élevé d’une structure ou d’une figure géométrique. À proprement parler, dans ce contexte, il constituerait un point élevé vers lequel convergent les éléments. C’est manifestement l’idée qui sous-tend l’ensemble de renfort pyramidal. Dans le brevet 264, les revendications 3, 6, 18, 21 et 23 décrivent l’apex comme étant formé par la convergence des jambes avant et des jambes arrière, selon les mots de la revendication 6, pour [traduction] « former un apex qui n’est pas à l’avant du moteur ». Le fait d’y ajouter la colonne supérieure (revendication 8) ne modifie pas le concept.

[361]  On ne conteste pas non plus qu’il n’est pas prévu que l’apex de ce brevet corresponde à un point unique. Il renvoie en réalité à une région spatiale qui doit être limitée. Je retiens que les figures 6, 7, 13 et 14 présentent une illustration adéquate d’un apex dans le contexte de cette invention. Les jambes convergent effectivement, et elles convergent vers une zone relativement petite.

[362]  La personne versée dans l’art aura reconnu au paragraphe [00109] de la divulgation que le renfort a besoin d’une configuration triangulaire ou pyramidale. Comme on le signale, [traduction] « [t]outes les barres de l’ensemble de châssis 84, 190, 191 fonctionnent uniquement en tension et en compression, sans fléchir. Par conséquent, toutes les barres de l’ensemble de châssis 84, 190, 191 se recoupent à un point commun, le support 126 (dans la géométrie de la direction non variable) ou le support de direction à géométrie variable 374. Avec cette forme pyramidale, la présente invention crée une géométrie très stable ». Comme le reconnaît la divulgation, l’ensemble de cadre proposé ajoute de la force et de la rigidité; en outre, il absorbe et répartit bon nombre des forces exercées sur le châssis, de l’avant vers l’arrière. C’est la configuration pyramidale qui permet une telle répartition. S’il n’y a pas une telle convergence, l’effet ne peut pas être le même. Je retiens donc la preuve de M. Breen selon laquelle la zone de convergence doit être relativement petite pour être compatible avec le concept d’un apex. Comme je l’ai déjà indiqué, un tel point de vue est compatible avec les figures présentées dans le brevet pour illustrer la convergence.

f)  jambes

[363]  Il sera évident à la suite de la discussion précédente que le brevet 264 exige que les jambes, à l’avant et à l’arrière de la motoneige, convergent à un apex pour avoir une configuration pyramidale :

[traduction]

[0017] […] Les jambes gauche et droite de l’ensemble de renfort arrière et de l’ensemble de soutien avant sont raccordées l’une à l’autre à un apex pour former une structure pyramidale au-dessus du tunnel et du berceau de moteur.

[364]  Même si les jambes à l’arrière de la motoneige sont raccordées au tunnel, ou au châssis, elles ne correspondent pas toujours à des structures tubulaires. Toutefois, elles convergent vers un apex. De manière similaire, les jambes à l’avant de la motoneige convergent vers un apex. Je retiens le témoignage de M. Breen selon lequel la convergence est nécessaire pour transmettre les forces de l’avant (au moyen d’amortisseurs) raccordé à chaque ski. Je retiens également que l’ensemble de soutien avant, qui est un terme utilisé dans un certain nombre de revendications et dans la divulgation ([traduction] « ensemble de soutien avant »), prévoit une structure de soutien. Mon propre examen de l’ensemble de soutien avant m’a convaincu que l’ensemble offre un support à l’ensemble de direction, car les jambes convergent vers un apex. Une personne versée dans l’art n’éprouverait aucune difficulté à faire cette observation.

V.  Contrefaçon

[365]  L’examen d’une contrefaçon possible des quatre brevets en litige devrait se dérouler en examinant uniquement le brevet 264 (brevet concernant la construction du châssis) uniquement, puis les trois brevets concernant la position du conducteur (106, 813 et 964), le brevet 964 lié à la position relative des chevilles, des genoux et des hanches du conducteur, le prétendu « REV » (radical evolution vehicle), et les brevets 106 et 813 concernant les différentes mesures (relatives aux centres de gravité, à la position de direction, à la position de siège et à la position de repose-pieds). Ces mesures doivent relever d’une plage prédéterminée conformément aux revendications qui ont été avancées par BRP.

[366]  Des 247 revendications dans les quatre brevets en litige, BRP en a invoqué 56 dans sa déclaration définitive. On a fait valoir que certaines revendications ont été contrefaites par toutes les motoneiges visées par les allégations de contrefaçon (divisées en neuf groupes par M. Larson, pour le compte de BRP, alors que d’autres revendications auraient été contrefaites par l’ensemble des motoneiges visées par les allégations de contrefaçon, à l’exception de certains groupes).

[367]  Nous examinerons le brevet 264 après avoir procédé brièvement à un résumé de la loi en matière de contrefaçon. J’examinerai ensuite les trois brevets concernant la position du conducteur.

A.  Le droit

[368]  Il incombe à BRP d’établir la contrefaçon de ses brevets. La norme de preuve est celle qui s’applique dans les procédures civiles. Il n’y a qu’une seule norme : celle de la prépondérance des probabilités (F.H. c McDougall, 2008 CSC 53, [2008] 3 RCS 41 [McDougall]; Tervita Corp. c Canada (Commissaire de la concurrence), 2015 CSC 3, [2015] 1 RCS 161; Canada (Procureur général) c Hôtels Fairmont Inc., 2016 CSC 56). Comme la Cour l’a affirmé dans McDougall, la « preuve doit toujours être claire et convaincante » (au paragraphe 46). Tel n’a pas toujours été le cas.

[369]  Bien qu’il incombe en premier lieu à BRP de convaincre, les défenderesses courent le risque d’être reconnues comme ayant contrefait les brevets si elles ne présentent pas leurs propres éléments de preuve. La question n’est pas que, à la lumière d’une absence de preuve convaincante présentée par la demanderesse, le silence relatif des défenderesses serait retenu contre elles; mais plutôt que le fait de s’appuyer sur le fardeau de la preuve comme unique défense pourrait ne pas être satisfaisant, comme cela a été le cas dans Whirlpool :

[82]  La preuve de contrefaçon n’est pas très satisfaisante. Les appelantes ont refusé de faire décrire par un témoin le mécanisme d’entraînement utilisé dans leurs machines visées par les allégations de contrefaçon, et ont préféré plaider simplement l’insuffisance de la preuve présentée par les intimées. Quelle que soit la preuve obtenue lors de l’interrogatoire préalable relativement au fonctionnement du mécanisme des appelantes, elle n’était apparemment pas concluante. Le juge de première instance a fondé son opinion sur une bande vidéo montrant la rotation d’une chemise de General Electric dans le cas « d’une lessive petite ou moyenne ».

[84]  Même s’il pouvait s’agir d’une bonne tactique, le fait que les appelantes aient invoqué le fardeau de preuve a placé la cour dans une position difficile. Même si elle était mince, la preuve de contrefaçon présentée par les intimées a été soupesée en fonction d’une absence totale de preuve contraire. La Cour d’appel fédérale a conclu que la preuve sur bande vidéo étayait la déduction qu’il y avait entraînement continu en plus de la rotation continue observée. J’estime que, en l’absence de tout élément de preuve contraire présenté par GE, la Cour pouvait utiliser cette déduction pour conclure qu’il y avait, en fait, contrefaçon de la revendication relative à l’entraînement continu.

[370]  Il y a contrefaçon uniquement si le produit visé par l’allégation de contrefaçon comprend tous les éléments essentiels d’une revendication particulière (Free World Trust, précité, paragraphe 31f)).

B.  Le brevet 264

[371]  AC fait valoir que ses motoneiges ne comprennent ni une « selle disposée sur le tunnel », ni un « berceau de moteur », ni un « sous-châssis », ni une « colonne supérieure », tous des éléments essentiels à son avis.

[372]  Il ne sera pas nécessaire d’analyser chacune de ces expressions de manière détaillée, car la Cour a tiré la conclusion que la définition adéquate de « berceau de moteur », telle que cette expression est utilisée dans le brevet 264, exige la présence de parois, complètes ou incomplètes, pour qu’un moteur soit [traduction] « disposé dans le berceau » (au paragraphes [0015] et [0016]).

[373]  Mon examen, dans le cadre de l’interprétation des revendications, m’a convaincu que le berceau de moteur dont il est question dans le brevet 264 appartient à une variété particulière. Comme je l’ai déjà indiqué, M. Breen pour le compte de BRP, a indiqué très justement que [traduction] « [l]e berceau pourrait être une structure délimitée par des parois solides ou, dans d’autre cas, une structure ouverte » (au paragraphe 147, P‑39). Les seules indications, par écrit ou dans les figures incluses dans le brevet 264, mentionnent que le berceau de moteur comprend des parois. Lu intégralement, le brevet 264 mène le lecteur à une seule conclusion : ce brevet envisage exclusivement un berceau de moteur comprenant des parois, et non l’autre possibilité mentionnée par M. Breen. Le brevet vante même la vertu de disposer d’un berceau de moteur comprenant des parois, car la [traduction] « paroi droite du berceau de moteur 174 réfléchit la chaleur rayonnante émanant du moteur 104 pour aider à réduire au minimum la dissipation de la chaleur du moteur 104 » (au paragraphe [0079]).

[374]  En fait, le fait de disposer d’un berceau de moteur comprenant des parois a du sens lorsque l’on prend en considération l’objet du brevet. L’inventeur construit un châssis, ainsi que les éléments structuraux connexes, dans le but d’accroître la robustesse du véhicule. Il est donc moins que surprenant que le mémoire descriptif fasse du berceau de moteur, ainsi que du tunnel et du sous-châssis, une partie intégrante de l’ensemble de châssis (au paragraphe [0011]). Les trois éléments sont reliés entre eux dans cette invention; en effet, la colonne supérieure s’étend [traduction] « vers le haut depuis le berceau de moteur pour se raccorder à l’ensemble de soutien avant », qui constitue la moitié de l’ensemble de renfort pyramidal.

[375]  Dans une tentative de contrer l’argument d’AC selon lequel ses motoneiges ne comprennent pas le berceau de moteur du brevet 264, BRP soutient qu’elles doivent comprendre un berceau de moteur, puisqu’une motoneige doit comprendre un moteur (mémoire des faits et du droit, au paragraphe 560). Il semble que l’argument se résume à faire valoir que l’endroit où le moteur est raccordé à la motoneige devient le berceau de moteur. La difficulté réside dans le fait irréfutable que ce brevet se limite à une seule variété : le berceau comprend des parois. Il ne s’agit pas simplement d’un endroit où le moteur sera monté. Le berceau de moteur du brevet 264 fait partie du châssis, car il vise à ajouter de la rigidité. C’est à dire que le berceau de moteur qui est représenté comme étant un élément essentiel d’un brevet, dont le but est d’ajouter de la rigidité à la motoneige et à son châssis.

[376]  BRP a fait valoir qu’AC a utilisé dans le passé le terme « berceau de moteur » pour décrire la structure qui a reçu son moteur (mémoire des faits et du droit, aux paragraphes 563-564). Ce n’est pas pertinent. La pièce P‑69, le brevet américain 863, utilisé dans le contre-interrogatoire de Ken Fredrickson, utilise les termes suivants : [traduction] « un espace pour recevoir le moteur ». Il est très certainement possible de désigner l’endroit où un moteur est monté comme un « berceau de moteur ». M. Breen a concédé d’emblée que le berceau pourrait être une structure ouverte. Cependant, pour être qualifié de « berceau de moteur » du brevet 264, il doit être du même type que le berceau de moteur qui devient un élément essentiel d’un brevet dont les objets sont ceux du brevet 264 et dont la description correspond à la description qui figure au brevet 264. MM. Girouard et Wubbolts mentionnaient que le berceau comprenait des parois. Cela correspond au concept présenté dans le brevet 264.

[377]  Toutes les revendications avancées du brevet 264 nécessitent un « berceau de moteur ». On peut très certainement déduire qu’il existe une raison à cela. Si le berceau de moteur ne joue pas un rôle dans la rigidité du véhicule, car il s’agit uniquement d’un endroit qui reçoit le moteur, qui est ensuite monté à cet « endroit », il n’est pas nécessaire de l’inclure dans la revendication et de l’afficher de manière prédominante tout au long du brevet 264. Le berceau a un objet afin de réaliser l’utilité de l’invention présentée dans le brevet 264.

[378]  La preuve d’AC est accablante en l’espèce, à savoir que les moteurs de ses motoneiges sont montés de différentes façons sans avoir recours au « berceau de moteur » du brevet 264. Effectivement, cette preuve n’a pas été contrée par BRP, en dehors de son allégation qu’il n’est pas nécessaire qu’il y ait des parois pour être visé par le terme « berceau de moteur » tel qu’il est utilisé dans le brevet 264.

[379]  À mon avis, BRP ne s’est pas acquittée de son fardeau, selon la prépondérance des probabilités, de prouver que les moteurs AC sont situés dans un « berceau de moteur » conformément au brevet 264. En fait, la preuve présentée par AC est convaincante, à savoir que ses moteurs étaient montés à un endroit qui ne répond pas aux exigences du « berceau de moteur » du brevet 264. À mon avis, cela suffit pour trancher la question.

[380]  L’interprétation du brevet 264 ne s’est appuyée sur aucun autre document que le mémoire descriptif pour parvenir à la conclusion que le berceau de moteur dans le brevet 264 doit comprendre des parois. Le brevet parle de lui-même. En outre, dans la nature d’une preuve corroborante, la pièce D‑14 suggère fortement que le type de berceau de moteur, comprenant des parois, a été ajouté à dessein par BRP. Dans le jargon, c’était l’intention de BRP. Il y a également la preuve de MM. Girouard et Wubbolts. Cependant, la pièce D‑14, qui correspond à une demande de brevet de BRP concernant un « cadre-support de moteur pour véhicule » (CA 2350285), est simplement une confirmation que BRP envisageait un type de berceau de moteur particulier, un qui comprenait des parois. Les inventeurs auraient été les quatre mêmes inventeurs que ceux du brevet 264. La description du berceau de moteur contenue dans la demande comprend des parois. Effectivement, il comporte l’avantage que les nouvelles parois présentent, comparativement à l’art antérieur, comme on peut le voir à la fin de la page 26 de la demande :

[traduction]

Étant donné que l’ensemble de châssis 84 est conçu pour absorber et transférer l’énergie depuis le châssis, l’épaisseur de la paroi gauche 393 du berceau de moteur et la paroi droite 174 du berceau de moteur ne serait pas aussi importante que dans la construction de l’art antérieur (voir, p. ex. la figure 4). Plus particulièrement, la construction du berceau de moteur 56 dans l’art antérieur exigeait que la plaque ait une épaisseur d’environ 2,58 mm. Dans l’ensemble de châssis 84, cependant, l’épaisseur de la plaque pour le berceau de moteur 394 peut être réduite à moins de 2,5 mm environ. De préférence, l’épaisseur peut être réduite à 2,0 mm environ, ce qui entraîne une économie de poids importante.

Qui plus est, les figures dans la demande et dans le brevet 264 sont presque identiques lorsque le berceau de moteur est exposé ou présenté.

[381]  La demande et le brevet 264 auraient la même date de dépôt et la même date de priorité dans le brevet américain 60/237, 384.

[382]  Il semble être indubitable que l’invention comprend un berceau de moteur qui comporte des parois. Ayant conclu que l’endroit où les moteurs d’AC sont montés ne correspond pas au « berceau de moteur » du brevet 264 et que l’invention revendiquée par les inventeurs exige que le berceau de moteur comprenne des parois, il s’ensuit qu’un élément essentiel du brevet est différent. En conséquence, la demanderesse n’a pas établi que son brevet 264 a été contrefait.

[383]  Enfin, si j’avais eu à examiner de manière plus complète les termes « sous-châssis » et « colonne supérieure », je me serais prononcé en faveur de BRP. Les motoneiges d’AC comprendraient à la fois une colonne supérieure et un sous-châssis au sens conféré à ces termes dans le brevet 264 et selon la compréhension de la personne versée dans l’art. À mon avis, la preuve présentée par M. Breen est inattaquable. Aucun élément de preuve n’a été présenté pour compromettre cette conclusion. En ce qui concerne le [traduction] « selle disposée sur le tunnel », car il est aussi important en ce qui concerne les brevets sur la position du conducteur, une analyse plus complète sera présentée dans le cadre des motifs qui portent sur la contrefaçon des brevets liés au REV.

C.  Les brevets concernant la position avancée du conducteur

[384]  La demanderesse soutient que toutes les motoneiges visées par des allégations de contrefaçon sont des motoneiges où le [traduction] « conducteur adopte une position avancée ». Cela concerne le radical evolution vehicle (REV), qui présente une configuration différente pour les motoneiges. La nouvelle configuration amène le conducteur à l’avant sur la selle, plus près du centre de gravité du véhicule; la théorie de BRP semble être qu’un certain nombre de mesures peuvent être prises du conducteur par rapport à la motoneige et que ces mesures refléteront la configuration de la motoneige.

[385]  BRP soutient de façon répétée que l’invention correspond à la conception repensée de la motoneige qui est nécessaire pour permettre au conducteur d’adopter une position avancée, comparativement à la motoneige traditionnelle. Les trois brevets en litige offrent tous des mesures différentes qui refléteraient une nouvelle configuration de la motoneige constituant l’objet des trois brevets.

1)  Le brevet 106

[386]  Les revendications 1, 7, 8, 27, 28 et 77 étaient originalement avancées.

[387]  Les revendications 1, 7 et 8 concernent le centre de gravité de la motoneige et celui de la motoneige avec le conducteur. Une fois qu’ils ont été établis, on prend des mesures de la distance horizontale entre les deux centres de gravité. Ces distances sont, en cascade, de 0 cm à 14 cm, de 2 cm à 12 cm, et de 4 cm à 10 cm, inclusivement.

[388]  Les revendications 27 et 28 portent sur la distance entre l’essieu moteur le plus à l’avant et le centre de gravité du conducteur de la motoneige (de 35 cm à 55 cm, et de 37 cm à 47 cm, respectivement). La revendication 77 renvoie à l’angle créé par une ligne passant par le centre de gravité de la motoneige avec le conducteur et le centre de gravité du conducteur seulement. Lorsque cette ligne recoupe l’horizontale, la revendication exige que l’angle soit dans une plage précise comprise entre 45º et 75º.

[389]  Je fais remarquer que les revendications 8 et 28 ne visent pas l’ensemble des motoneiges d’AC visées par des allégations de contrefaçon en l’espèce, car certains groupes de motoneiges visées par des allégations de contrefaçon, selon le classement établi par M. Larson, ne constitueraient pas une contrefaçon d’après ces mesures. En conséquence, certaines mesures visent certains modèles d’AC, alors que les mêmes mesures n’en viseraient pas d’autres. Par exemple, certains modèles d’AC n’étaient pas visés si la distance entre les centres de gravité est inférieure à une plage comprise entre 2 cm et 12 cm. En fin de compte, ces revendications ne sont plus invoquées.

2)  Le brevet 813

[390]  Cette fois, ce sont les revendications 37, 38, 48 et 73 qui sont invoquées. Les revendications 39 et 49 n’entrent plus en jeu; elles n’auraient pas visé l’ensemble des motoneiges visées par des allégations de contrefaçon, car certains groupes n’auraient pas constitué une contrefaçon d’après les mesures.

[391]  Dans le cas du brevet 813, il existe trois positions d’importance : la position de siège, la position de repose-pieds et la position de direction. En dehors du fait d’offrir des angles correspondant aux lignes tracées entre les différentes positions, le brevet 813 est étroitement lié au brevet 106 : les divulgations sont pratiquement identiques et les deux brevets définissent la position du conducteur sur une nouvelle motoneige configurée pour que le conducteur soit assis dans une position avancée par rapport à celle d’une motoneige traditionnelle, avant le REV.

[392]  La revendication 9 indépendante identifie trois angles, et ces trois angles entretiennent une relation précise entre eux. L’angle α est déterminé par une ligne passant par la position de siège et la position de direction, et une ligne passant par la position de siège et la position de repose-pieds. L’angle β est déterminé à l’intersection d’une ligne passant par la position de repose-pieds et la position de siège, et la ligne passant par la position de repose-pieds et la position de direction. Le troisième angle, γ, est formé à l’intersection d’une ligne passant par la position de repose-pieds et la position de direction, et la ligne passant par la position de direction et la position de siège. Ces trois angles observent la relation stricte suivante entre eux : angle α ≥ angle β ≥ angle γ.

[393]  Les revendications 37 et 38 dépendent de la revendication 9. Par conséquent, les revendications comprennent les limitations de la revendication 9; elles comprennent également les distances entre deux centres de gravité. Ces revendications exigent que l’on détermine le centre de gravité de la motoneige et le centre de gravité de la motoneige et de son conducteur. On peut alors mesurer la distance entre les deux centres de gravité, qui doit être comprise, dans le cas de la revendication 37, entre 0 cm et 14 cm (inclusivement), et entre 2 cm et 12 cm (inclusivement) dans le cas de la revendication 38. Les revendications suivantes, non avancées en l’espèce, auraient limité la distance encore davantage.

[394]  La revendication 48 dépend des revendications 46 et 9. En effet, elle introduit une mesure différente de celles avancées dans les revendications 37 et 38, mais cette nouvelle mesure constitue elle-même une autre limite de la revendication 9. Cette fois, c’est la distance mesurée entre l’essieu d’entraînement le plus à l’avant et le centre de gravité du conducteur. La revendication 48 exige que la distance soit comprise entre 35 cm et 55 cm (inclusivement). La revendication 49, qui n’est pas invoquée en fin de compte, aurait une distance comprise entre 37 cm et 47 cm (inclusivement).

[395]  Enfin, la revendication 73 dépend des revendications 72 et 9. La revendication 72 compare le centre de gravité de la motoneige et de son conducteur avec le centre de gravité du conducteur. Une fois que ces deux centres de gravité ont été déterminés, la ligne qui passe par les deux points recoupe l’horizontale pour former un angle. Selon le brevet, cet angle doit être compris entre 45º et 75º (inclusivement) pour que la motoneige constitue une contrefaçon du monopole associé à la nouvelle configuration.

3)  Le brevet 964

[396]  Un certain nombre de revendications ont été avancées en l’espèce : il s’agit des revendications 1, 4, 6, 8, 9, 13, 15, 16, 20, 24, 26, 27, 35, 37, 40, 42 et 48 (sur un total de 49 revendications). En fin de compte, les revendications 1, 4, 6, 8, 13, 15, 16, 20, 24, 26, 27, 35, 37, 40, 42 et 48 ont été invoquées. Un résumé sommaire des revendications pourrait faciliter la compréhension des questions.

[397]  Le brevet 964 est intitulé « Motoneige à positionnement actif du conducteur ». Il concerne les hanches, les genoux et les angles d’un conducteur une fois qu’il prend position sur la motoneige reconfigurée, les genoux étant disposés à l’avant des chevilles et sous les hanches. Au lieu de [traduction] « s’asseoir vers l’arrière », comme ce serait le cas avec des motoneiges plus traditionnelles (figure 1 du brevet 964), la nouvelle configuration place le conducteur dans une position différente.

[398]  Les revendications 1, 4, 37 et 40 traitent de la position des hanches par rapport aux genoux : les hanches sont au-dessus des genoux lorsqu’un conducteur standard ayant les mensurations et le poids d’un homme au 50e percentile est utilisé aux fins des mesures. La revendication 4 exige que les hanches soient au-dessus des genoux par une distance verticale comprise entre 0 cm et 20 cm.

[399]  La revendication 40, qui exige que la distance verticale entre les hanches et les genoux soit comprise entre 0 cm et 20 cm, comprend la limite supplémentaire selon laquelle les chevilles du conducteur standard sont situées derrière les genoux.

[400]  Les revendications 6 et 42 placent les hanches du conducteur derrière les chevilles. Dans la revendication 6, la distance horizontale entre les deux est comprise entre 5 cm et 40 cm. La revendication 42, qui concerne également la position des chevilles du conducteur derrière les genoux, exige aussi que la distance horizontale entre les hanches et les chevilles soit comprise entre 5 cm et 40 cm.

[401]  La revendication 8, une revendication indépendante, exige que les chevilles du conducteur standard soient placées derrière les genoux. D’autres revendications, non invoquées en l’espèce, prévoient des mesures en cascade de la distance horizontale entre les deux.

[402]  La revendication 13 dépend de la revendication 8, qui parle de la position des chevilles derrière les genoux, avec l’ajout de la limite selon laquelle les genoux sont disposés sous la position de direction à une distance verticale d’au moins 25 cm. De manière similaire, la revendication 24, qui dépend de la revendication 1, laquelle exige que les hanches soient placées au-dessus des genoux, ajoute la limite supplémentaire selon laquelle les genoux sont disposés en dessous de la position de direction à une distance verticale d’au moins 25 cm.

[403]  Les revendications 15, 16, 26 et 27 traitent toutes de la distance entre les chevilles et la position de direction. Les revendications 15 et 16 dépendent de la revendication indépendante 8, qui concerne la position des chevilles relativement aux genoux, et exigent que les chevilles soient derrière la position de direction à une distance horizontale comprise entre 5 cm et 50 cm dans le cas de la revendication 15, et à au moins 15 cm dans le cas de la revendication 16. Les revendications 26 et 27 dépendent de la revendication indépendante 1, qui concerne la position des hanches, au-dessus des genoux, et exigent que les chevilles soient derrière la position de direction à une distance horizontale comprise entre 5 cm et 50 cm dans le cas de la revendication 25, et à au moins 15 cm dans le cas de la revendication 26.

[404]  Les revendications 20, 35 et 48 traitent d’une mesure différente. Cette fois, c’est la relation entre la position de direction qui doit être à l’avant de la position la plus à l’avant des repose-pieds. La revendication 35 combine cette limite avec les mesures qui découlent de la revendication 1 indépendante, qui exige que les hanches soient placées au-dessus des genoux, et les autres limites (hanches relativement à la position de direction, hanches derrière les chevilles, genoux sous la position de direction, genoux au-dessus des chevilles, genoux derrière la position de direction). La revendication 48 fait la même chose avec les mesures qui découlent de la revendication 8 indépendante, qui exige que les chevilles du conducteur soient placées derrière les genoux.

[405]  En fait, lorsqu’elles sont jumelées avec d’autres mesures, il semble que le nombre de permutations possibles soit plutôt considérable. Par exemple, les revendications 15 et 16, même si elles concernent apparemment la distance horizontale entre les chevilles et la position de direction, revendiquent une motoneige construite et organisée également en conformité avec les revendications 8 à 12, qui portent également sur la position des chevilles à l’arrière de genoux à différentes distances horizontales.

4)  Selle disposée sur le tunnel

[406]  Comme dans le cas du brevet 264, AC soutient que ses motoneiges ne constituent pas des contrefaçons, car un élément essentiel des revendications n’est pas présent dans les motoneiges visées par des allégations de contrefaçon. L’élément structurel en litige est la présence d’un [traduction] « selle disposée sur le tunnel ».

[407]  Les motoneiges qui ont été inspectées par BRP, 17 au total, comprenaient toutes des sièges, mais ils n’étaient pas disposés sur le tunnel, selon AC. Les défenderesses soutiennent que leurs sièges sont à tout le moins en partie montés sur le réservoir d’essence.

[408]  Comme il est montré dans la section des motifs du jugement portant sur l’interprétation des revendications, une fois que l’exigence d’avoir un siège disposé sur le tunnel est examinée dans son contexte, cette exigence ne peut recevoir l’interprétation présentée par AC. Rien n’indique que les mots [traduction] « disposé sur » peuvent se limiter au siège monté directement sur le tunnel. Les mêmes mots utilisés ailleurs dans les brevets ([traduction] « disposé sur ») ne peuvent pas avoir ce sens restrictif et aucune raison n’a été présentée pour laquelle ce devrait être le cas pour le siège.

[409]  Au contraire, les mots [traduction] « disposé sur » renvoient au siège raccordé au tunnel et au-dessus de celui-ci, sans l’exigence qu’il soit directement sur le tunnel, sans quoi que ce soit au milieu, un élément intermédiaire quelconque.

[410]  En conséquence, les sièges sur les motoneiges visées par les allégations de contrefaçon sont disposés sur le tunnel au sens conféré à ce terme dans les brevets.

5)  Les mesures

[411]  Pour établir que les motoneiges d’AC constituent une contrefaçon du monopole conféré à BRP par l’intermédiaire des revendications avancées des trois brevets, la demanderesse devait mesurer les motoneiges produites par AC pour vérifier qu’elles correspondaient aux mesures avancées par BRP comme représentatives de ses inventions. Selon la preuve présentée au procès, il existe 378 modèles. Une telle entreprise pourrait être impossible. Elle aurait très certainement été coûteuse.

[412]  Il est surprenant que les défenderesses aient été incapables de fournir des conceptions assistées par ordinateur (CAO) pour la grande majorité des motoneiges qui ont été produites. Le logiciel est couramment utilisé dans la conception de produits. Dans une réponse à un engagement, AC a confirmé que les CAO dont elle dispose ne comprennent pas de dessins, avec ou sans modèle (question 65 présentée le 11 septembre 2014). Cela confirme également les limites techniques.

[413]  L’absence d’un outil qui aurait pu apporter une aide importante en vue d’établir, à un coût raisonnable, si les motoneiges produites par AC contrefaisaient les mesures des brevets de BRP a obligé la demanderesse à recourir à différents moyens d’établir si les motoneiges produites par AC constituaient une contrefaçon.

[414]  La preuve en l’espèce montre qu’AC a eu la capacité de mesurer le centre de gravité au moins depuis 2000 ou 2001, d’après une réponse aux engagements (question 168, présentés le 11 septembre 2014). En outre, il y a une preuve abondante qu’il est courant dans l’industrie de [traduction] « jeter un œil » à ce que fait la concurrence. M. Halvorson a reconnu une motoneige BRP dans une photographie dans laquelle on la démontait. La preuve est également claire qu’AC estimait qu’il était [traduction] « nécessaire de freiner l’élan du “REV” » (P‑48). Quelque chose a changé dans l’industrie de la motoneige avec l’introduction du REV. En effet, la Cour était convaincue que la nouvelle configuration avait généré une couverture médiatique et un succès commercial importants pour la demanderesse (P‑32). On ne peut nier que « quelque chose de nouveau » a été constaté. Je souligne les commentaires suivants, entre autres, dans le Snow Goer de mars 2002, où, dans un article intitulé « Staff Report - A New REVolution » (Rapport du personnel – Une nouvelle REVolution) :

[traduction]

Avec le nouveau châssis REV, les ingénieurs de Ski-Doo ont brisé la boîte ergonomique, qui dicte l’endroit et la façon dont un conducteur s’assied. Pendant des années, les conducteurs de motoneiges se sont assis sur le bras arrière de la suspension arrière, les jambes étirées vers l’avant et les pieds dans des repose-pieds à angle.

Dans le numéro d’avril 2002 de Snow Tech, dans un article ayant pour titre « 2002 Ski-Doo MXZ REVolution (Prototype) – Do you know what it’s like to start a Revolution (sic)? Ski-Doo does » (Ski-Doo MXZ REVolution 2002 (prototype) – Savez-vous ce que c’est de commencer une Révolution? Ski-Doo le sait), on peut lire :

[traduction]

En conduisant le REV, on prend encore plus conscience de la nature différente de la machine. Avec le conducteur positionné 12 pouces à l’avant, le sentiment de répartition du poids et la position du corps ressemblent plus que jamais auparavant à une moto hors-piste. Vous pouvez faire pivoter votre poids sur les panneaux de plancher, comme lorsqu’on se tient en équilibre sur les repose-pieds d’une moto hors-piste. Plutôt que d’appuyer votre poids principalement sur le bras arrière de la suspension arrière, vous pouvez désormais vous pencher vers l’avant et vers l’arrière, répartissant votre poids sur la suspension avant, le bras avant et les bras arrières du patin arrière.

Le REV donne une impression de petite voiture de sport très maniable, de manière semblable à une Porsche à moteur central arrière. La masse centralisée et une plus grande légèreté, combinées à la position de conduite très avancée, rendent la motoneige agile, maniable et réactive. La position aussi avancée du conducteur donne à ce dernier une impression de véhicule plus court (impression de conduire une voiture de sport). Le concept de base est simple et valide : le conducteur est l’élément le plus lourd de la combinaison machine/conducteur. Déplacer le conducteur de 12 pouces vers l’avant exerce un effet beaucoup plus grand sur la centralisation de la masse et la réduction du moment d’inertie que le déplacement de tout élément ou toute conception repensée.

Le fait de s’asseoir vers l’arrière sur le siège des motoneiges traditionnelles fait en sorte qu’il se produit certaines choses que le REV élimine; sur les machines « normales », lorsque le conducteur s’assied complètement à l’arrière du siège, si vous voulez ou si vous devez vous lever pour certaines bosses, vous êtes essentiellement obligé de tirer votre poids corporel du siège avec vos bras et le haut de votre corps, exécutant dans les faits un développé-couché de votre poids corporel. Cela cause de la fatigue dans le haut du corps. Sur le REV, vos pieds ne sont pas devant vous, mais sous vous, plus comme sur une moto hors route (demandez à un conducteur de moto hors-piste ce qui se produit dans la maîtrise de sa moto lorsqu’il s’assied complètement à l’arrière de son siège!). Si vous devez vous lever pour passer sur des bosses avec le REV, vos jambes font tout le travail, et, pour la plupart des gens, les jambes sont beaucoup plus fortes que le haut du corps.

Il en va de même pour les bosses. Le fait de s’asseoir complètement à l’arrière du siège peut permettre à vos jambes plus fortes d’absorber quelques mauvaises bosses. Il arrive rarement que votre dos reçoive un coup direct. En s’asseyant aussi loin à l’avant, le conducteur n’est pas exposé au mouvement extrême de « levier », la quantité d’énergie qui est donc transmise à vos jambes est inférieure à ce que votre dos avait l’habitude d’éprouver. Autrefois (dans les années 1960), alors qu’il n’y avait réellement aucune suspension sous les motoneiges, les conducteurs avaient toujours leurs jambes sous eux, car elles représentaient la seule suspension disponible!

[415]  La preuve est abondante en ce qui concerne la percée importante que le REV représentait en 2002 : c’était en raison de l’ergonomie améliorée et de la masse centralisée générées par la nouvelle configuration (Motorhead – The New Tangible, automne 2002; Supertrax International, December 2003, « Ski-Doo MX-Z Renegade – Adjusting Expectations – Think the REV Renegade is Just Hype? Think Again » (Ski-Doo MX-Z Renegade – S’ajuster aux attentes – Vous croyez que le REV Renegade n’est qu’un engouement? Repensez-y!)).

[416]  L’industrie a pris des notes. Dans le numéro de Supertex International de mars 2003, le magazine rapportait une rumeur selon laquelle Polaris, un autre acteur important dans l’industrie avec Yamaha [traduction] « aurait, elle aussi, une nouvelle plate-forme semblable au REV », même si le magazine soulignait que la rumeur ne s’était pas concrétisée lors des événements qui, selon les échos, avaient été choisis. Le même numéro présentait un reportage sur une Firecat Open Class d’AC dont la position de siège du conducteur était beaucoup plus avancée que les Firecat de production.

[417]  Non seulement la nouvelle configuration était-elle présentée comme ayant [traduction] « changé le sport et fait entrer la motoneige dans une nouvelle ère de conception et de raisonnement » (Snow Goer, décembre 2003, Power Hungry (Affamé de puissance)), mais il y a une preuve du succès commercial du REV. Dans l’American Snowmobiler de novembre 2004 (Redesigned Mach Z bet to Blister the Lakes (Le pari de la nouvelle conception du Mach Z pour pulluler sur les lacs), le magazine affirme que [traduction] « [l]e REV a pris la concurrence par surprise avec la position radicale avancée du conducteur et les autres constructeurs l’avalent de travers et mettent la gomme pour rattraper leur retard ». Dans Supertrax International de mars 2005 (Sharpening the Machete – More Ammo to stretch the Lead (Affûter la machette – Encore plus de munitions pour accroître l’avance)), le magazine rapporte que [traduction] « [v]oici ce qui fait réellement ressortir à quel point l’arrivée du REV était innovante : il est devenu la force motrice influençant le changement de marque en 2005. Le REV a été assez bon pour faire décoller bien des derrières du siège de marques aimées et faire sortir bien des portefeuilles à la poursuite de quelque chose de différent ». Le Snowmobile BC Magazine du printemps 2005 rapportait (« Ski-Doo 2006, All REV’d Up » (Ski-Doo 2006, En pleine REVolution)) que « [m]algré une baisse importante des ventes en 2005, les ventes de Ski-Doo sont demeurées constantes par rapport aux niveaux de 2004 cette année. C’est sans doute grâce à l’incroyable succès de la plate-forme REV novatrice. D’autres FEO ont prétendu s’assurer que leur gamme de produits ont une masse centralisée, que les conducteurs sont placés plus à l’avant et d’une manière plus redressée, et même que certaines motoneiges sont équipées d’une chenille en caoutchouc d’une largeur de 16 pouces ».

[418]  La Cour est donc convaincue par la preuve que la demanderesse, BRP, a développé une motoneige, le fruit d’un tel développement étant que le conducteur de la motoneige est poussé vers l’avant par la configuration de la machine. À mon avis, la preuve est accablante (P‑33, la réaction de la concurrence). La question demeure toutefois de déterminer que l’ensemble, ou certaines, des motoneiges d’AC ont contrefait les mesures des brevets qui ont été accordés. Bien entendu, cela ne garantit pas la validité des brevets.

[419]  Même si les brevets annoncent qu’ils portent sur la conception générale et la construction d’une motoneige, et que l’invention est une amélioration par rapport à la conception classique du fait qu’elle repositionne le conducteur et qu’elle repense la conception de l’aménagement du véhicule, il est difficile de trouver dans les revendications, voire dans la divulgation, une indication quelconque quant à la façon dont la motoneige doit être construite ou en quoi l’aménagement est repensé.

[420]  On présente au lecteur un exposé portant sur ce qui constitue les éléments les plus importants d’une motoneige, mais le lecteur cherchera en vain les renseignements lui permettant de créer la nouvelle configuration, la nouvelle conception et le nouvel aménagement. Les brevets 106 et 813 concèdent que [traduction] « une description exhaustive de chacun des éléments n’est pas présentée, seulement une description des éléments requis pour une compréhension de la présente invention » (page 7). C’est exagérer l’affaire. Au mieux, les éléments qui peuvent devoir être réorganisés sont désignés sans indication de ce qui doit être fait pour que la nouvelle configuration émerge.

[421]  Les inventeurs présentent plutôt plusieurs mesures qui, on doit le supposer, tiendraient compte la position adoptée par le conducteur. Ça aussi, ce n’est pas clair.

[422]  Aux fins de l’analyse de la contrefaçon, je retiens que si les mesures des motoneiges faisant l’objet d’allégations de contrefaçon sont visées par les mesures des revendications avancées, il sera prouvé que les mesures contrefont aux mesures des revendications avancées.

[423]  La demanderesse, BRP, a eu recours aux services de deux experts pour mesurer les motoneiges d’AC. Robert Larson est un ingénieur et administrateur principal chez Exponent Failure Analysis Associates (Exponent), une division d’Exponent Inc., de Phoenix, en Arizona. Exponent est une société d’experts-conseils en ingénierie et en sciences couvrant plus de 90 disciplines, dont les membres du personnel sont composés de quelque 900 ingénieurs, physiciens et experts-conseils en matière de réglementation.

[424]  Comme je l’ai déjà indiqué, M. Larson est un ingénieur mécanique qui a étudié à la University of Michigan, où il a obtenu un baccalauréat ès sciences et une maîtrise ès sciences en génie mécanique. On ne conteste pas qu’il est un expert en génie mécanique ayant une expertise dans la mesure des paramètres statiques et dynamiques des véhicules récréatifs. Cela comprend la géométrie générale, l’emplacement du centre de gravité, les moments d’inertie, les propriétés de la suspension et les caractéristiques de maniabilité (P‑41).

[425]  L’autre experte dont les services ont été retenus par la demanderesse est Mme Christine Raasch, elle aussi au service d’Exponent, où elle est directrice. Elle est ingénieure mécanique, ayant obtenu un doctorat en philosophie (Ph. D.) en génie mécanique de la Stanford University. Elle est une experte et a publié des documents examinés par ses pairs dans les domaines de la biomécanique du mouvement humain et des blessures, de la dynamique et de la cinématique de l’occupant d’un véhicule, des systèmes de retenue de l’occupant, ainsi que de la conception, de la calibration et la biofidélité de dispositifs anthropomorphes d’essais (DAE). Elle est une experte dans son domaine (P‑43). Plus particulièrement, Mme Raasch a supervisé des essais au moyen d’une grande gamme de DAE, y compris l’Hybrid III représentant l’homme au 50e percentile, l’homme au 5e percentile et l’homme au 95e percentile. Elle a assemblé, ajusté, réparé et effectué des essais de calibration sur des DAE. Les deux experts ont des curriculum vitæ impressionnants qui sont directement pertinents. Ils ont également été des témoins très impressionnants.

[426]  Initialement, M. Larson a pris des mesures sur deux motoneiges d’AC le 1er mars et le 28 février 2012. Voici les motoneiges mesurées :

  • la M800 Sno Pro 2012 (153 pouces);

  • la F800 LXR 2012.

[427]  Entre le 21 juillet 2014 et le 14 août 2014, des mesures ont été prises sur douze autres motoneiges d’AC :

  • la M800 Sno Pro 2012 (162 pouces);

  • la F1100 LXR 2012;

  • la ZR 7000 LXR 2014;

  • la XF 800 Sno Pro Limited 2013;

  • la Sno Pro 500 2010;

  • la Sno Pro 600 2008;

  • la Sno Pro 600 2012;

  • la Jaguar Z1 2007;

  • la F570 2011;

  • la Sno Pro F8 2007;

  • la Arctic Cat TZ1 LXR 2008;

  • la Bearcat 570 XT 2013.

[428]  Trois autres modèles ont également été mesurés au cours de la même période. Cependant, seule la position des centres de gravité a été mesurée à l’égard de ces trois motoneiges d’AC :

  • la Sno Pro F1000 2007;

  • la F570 2014;

  • la Bearcat Z1 XT 2009.

[429]  Pour prendre les mesures qui seraient comparées, on a jugé nécessaire de suivre un protocole qui tiendrait compte des trois brevets en litige (P‑42, aux onglets 3 et 11). Le protocole pour les mesures des deux premières motoneiges Arctic Cat (les modèles F800 et M800) était plus rudimentaire. Le conducteur correspond au conducteur standard ayant les dimensions d’un homme au 50e percentile, vêtu de vêtements pour motoneige. La position sur la motoneige est celle d’un conducteur assis dans une position biomécaniquement neutre avec les pieds disposés sur le repose-pieds et les mains disposées sur le dispositif de direction. Ces positions correspondent à la position de repose-pieds et à la position de direction. On dit que les positions de direction, de repose-pieds et de siège sont présentées de la manière suivante dans la pièce P‑42, onglet 3 :

[traduction]

-  La position de direction est déterminée en plaçant les mains du conducteur standard décrit ci-dessus sur le dispositif de direction dans une position de fonctionnement normale. La position de direction correspondra à l’intersection du centre de la paume des mains du conducteur standard et du dispositif de direction.

-  La position de repose-pieds se trouve à l’emplacement de la cambrure du pied du conducteur lorsque ses pieds sont placés dans la position normale de fonctionnement sur le véhicule. Dans des conditions de fonctionnement normales, les pieds du conducteur reposeront sur la partie avant des bandes latérales.

-  La position de siège est le point où le poids du conducteur est exercé sur le siège de la motoneige lorsqu’il est assis dans une position biomécaniquement neutre sur le siège, ses pieds disposés sur les repose-pieds à la position du repose-pieds et ses mains disposées sur le dispositif de direction à la position de direction et la motoneige étant dirigée tout droit et directement sur un terrain plat, et en marche. La position de siège peut être déterminée en plaçant le conducteur standard sur la motoneige dans une position biomécaniquement neutre et en traçant une ligne de son épaule jusqu’à sa hanche. L’intersection de cette ligne avec le siège peut être considérée comme correspondant à la position de siège 130.

[430]  Comme on l’a vu à l’examen des revendications avancées en fin de compte, les revendications se fondent sur les centres de gravité (motoneige, conducteur et motoneige avec le conducteur) et les trois positions. Il faut aussi s’appuyer sur le conducteur, ce conducteur correspondant à l’homme au 50e percentile d’après les brevets. Mais quelle position générale devrait-être adoptée par cette personne pour déterminer les positions de direction, de repose-pieds et de siège?

[431]  Les brevets 106 et 813 parlent d’une position biomécaniquement neutre, alors que le brevet 964 se contente de la position standard d’un conducteur. Le protocole d’Exponent définit la « position biomécaniquement neutre » de la même façon que les brevets 106 et 813 :

[traduction]

-  Une position biomécaniquement neutre en est une où chacun des muscles opposés des principaux groupes de muscles de soutien qui maintiennent le conducteur dans sa position est en équilibre. Une position biomécaniquement neutre correspond généralement à la position du conducteur standard telle qu’elle est indiquée dans les figures de la section sur les mesures ci-dessous (voir la page 5 et le document suivant).

[432]  Le protocole plus élaboré (P‑42, onglet 11) prévoit une série détaillée de mesures prises pour positionner un DAE correspondant à un homme au 50e percentile, y compris les mesures pour identifier précisément les articulations (chevilles, genoux, hanches) qui feront l’objet des mesures. Les mesures ont été prises en 2012 au moyen d’un système de laser et en 2014 au moyen de la photogrammétrie. En ce qui concerne les centres de gravité, les experts ont pris soin de reproduire les conditions (y compris la perte de hauteur causée par le poids du conducteur), de sorte que lorsque la plate-forme sur laquelle la motoneige (avec et sans conducteur) a été inclinée pour calculer les différents centres de gravité, l’expert a été en mesure d’avoir un niveau élevé de confort que les mesures étaient exactes.

[433]  Il convient de souligner que l’utilisation d’un DAE a permis de resserrer toutes les articulations accessibles (pour que le DAE demeure rigide, même lorsque la plate-forme est inclinée), en plus de permettre de fixer les mains aux poignées du guidon au moyen de colliers de serrage et de placer les cibles aux emplacements les plus appropriés, identifiant les positions de poignet, de coude, d’épaule, de tête et de pied. On a installé des supports de cible pour les emplacements des hanches et des genoux, car l’emplacement des chevilles était également marqué.

[434]  La prise des différentes mesures a été documentée de manière exhaustive (P‑42, onglets 11, 12 et 13), avec l’éventail complet des mesures et des nombreuses photographies. Le dossier est volumineux. Il s’agissait d’une démonstration impressionnante. On avait la forte impression que ces experts n’avaient rien à cacher et disposaient d’une excellente expertise.

[435]  Les mesures des 17 motoneiges montraient qu’elles correspondaient toutes à certaines des plages avancées dans les brevets 106, 813 et 964, avec les exceptions, par exemple la TZ1 LXR 2008, qui ne sont pas visées par la revendication 9 avancée du brevet 813 (angles α ≥ β ≥ γ, les angles liés aux différentes positions de siège, de direction et de repose-pieds). Cependant, la motoneige TZ1 LXR 2008 contrefait d’autres revendications dans les brevets en litige.

[436]  Les défenderesses contestent les allégations de contrefaçon de deux façons. Elles soutiennent que les motoneiges d’AC ne répondent pas à l’un des éléments essentiels des brevets en ceci qu’elles n’ont pas une selle disposée sur le tunnel. La Cour a déjà tranché cet argument.

[437]  AC a également contesté la façon dont les mesures ont été prises, soulevant un certain nombre d’arguments. En conséquence, les défenderesses soutiennent que les mesures n’auraient pas dû être prises au moyen d’un DAE : les brevets parlent des conducteurs et désignent des conducteurs humains. À de nombreuses occasions, on fait mention du fait que différents conducteurs ont des styles de conduites variés. À mon avis, ce type de critique est mal fondé.

[438]  Ces brevets, pour la personne qui souhaite les comprendre, tournent autour de la proposition selon laquelle le conducteur de la nouvelle motoneige adopte naturellement une position de conduite qui serait différente de celle d’une motoneige classique. Les brevets 106 et 813 consacrent de nombreux paragraphes à leur divulgation pour comparer les figures 1 et 2 qui représentent l’art antérieur et la nouvelle motoneige. Pour la comparaison, l’inventeur montre le positionnement différent d’un conducteur standard, un conducteur qui se trouve dans une position biomécaniquement neutre sur le siège. En raison de la nouvelle configuration d’une motoneige, la position adoptée par le conducteur standard est modifiée. L’idée est donc d’utiliser l’homme américain au 50e percentile afin de déterminer ce à quoi correspond cette nouvelle position au moyen d’une série de mesures visant à saisir cette nouvelle position. M. Breen, l’expert dont les services ont été retenus par BRP, avait raison d’exprimer le point de vue selon lequel la position d’un conducteur réel n’est pas pertinente à la question de la contrefaçon (contre-interrogatoire, le 24 mars 2015, aux pages 148 et 149). Si un conducteur décide de conduire de manière agressive en s’approchant encore plus de la position de direction ou, encore, s’il s’assied à l’arrière sur son siège, exerçant ainsi une pression sur ses armes et ses jambes, cela n’a aucune importance. Cela ne correspondrait pas à la position biomécaniquement neutre au sens des brevets 106 et 813, ou la position standard du brevet 964. Il est essentiel de garder à l’esprit que les brevets cherchent à définir une nouvelle configuration au moyen des mesures de l’homme au 50e percentile. Grâce à l’adoption de la position standard et à l’utilisation du 50e percentile comme norme, les mesures cherchent à établir le monopole avancé par l’inventeur. Ce que les conducteurs réels font en réalité pendant qu’ils conduisent sur des sentiers, qu’ils gravissent des montagnes ou qu’ils font la course est moins que pertinent.

[439]  Je ne vois pas pourquoi l’utilisation d’un DAE devrait être désapprouvée. Une fois de plus, ce qui doit être évalué est la position standard d’un conducteur. Il y a effectivement des avantages liés à l’utilisation d’un DAE. Un DAE peut être maintenu fermement en place, y compris en resserrant les articulations de sorte que le DAE demeure rigide. Il doit également être utilisé pour prendre la mesure du centre de gravité du « système » (motoneige avec le conducteur) qui exige que la plate-forme sur laquelle la motoneige est fixée, avec le conducteur sur celle-ci, soit inclinée. Cela permet de répéter la prise des mesures.

[440]  AC a fait valoir dans son mémoire des faits et du droit que [traduction] « Mme Raasch admet qu’il n’existe pas une position biomécaniquement neutre distincte pour un conducteur au 50e percentile ». Même s’il est vrai que Mme Raasch était généralement d’accord avec la question posée pendant son contre-interrogatoire (le 25 mars 2015 à la page 189), l’affaire adopte une structure différente lorsqu’elle est examinée dans son contexte. L’échange portait sur le fait que les motoneiges ont une géométrie différente, une conception différente. Il convient de citer intégralement l’échange entre l’avocat et le témoin :

[traduction]

Avocat : Bon, il y a une motoneige différente et celle-ci modifiera la posture du conducteur; n’est-ce pas?

Mme Raasch : C’est exact. Je crois que nous – nous sommes tous d’accord que cela doit potentiellement – même un changement dans la hauteur du siège aura – pourrait potentiellement produire des changements dans les angles des jambes. Même si le conducteur voulait – voulait s’asseoir volontairement de la même façon, il y aurait un changement occasionné par les contraintes géométriques.

Avocat : D’accord. Un changement dans la géométrie, un changement dans les éléments de conception et les dimensions de la motoneige. Tout comme la forme et la conception du siège et du guidon et ainsi de suite entraînera un changement de la posture également; n’est-ce pas?

Mme Raasch : Oui.

Avocat : Donc, il n’existe aucune position biomécaniquement neutre pour un 50e percentile. Est-ce juste?

Mme Raasch : Oui, je suis d’accord avec cela. Je crois que nous – la façon dont nous pensions qu’il fallait définir qu’il ne pouvait pas s’agir d’une position unique, car il fallait tenir compte des variations dans la géométrie. Pour y parvenir, nous devions – par exemple, nous devions concevoir notre protocole pour qu’il permette une telle variation.

En d’autres termes, la géométrie de la motoneige aura une incidence sur la position standard, la position biomécaniquement neutre qui sera adoptée par le conducteur, qu’il s’agisse du 5e, du 50e ou du 95e percentile. Il s’agit exactement du résultat attendu. De manière semblable, il ne serait pas surprenant que des changements apportés à la position du DAE entraînent des variations dans les mesures. Une fois de plus, il faut s’y attendre. C’est la raison pour laquelle les mesures sont documentées de manière aussi exhaustive. M. Grewal, l’expert dont les services ont été retenus par AC, a commencé dans son rapport de réfutation (D‑123) que [traduction] « [l]es tableaux ci-dessus montrent que le fait de déplacer le DAE vers l’avant ou vers l’arrière depuis la position utilisée par Exponent a entraîné une variation significative pour certaines des valeurs mesurées » (au paragraphe 51). Personne ne devrait contester l’opinion de M. Grewal lorsqu’il affirme que [traduction] « [j]e suis donc d’avis que le placement du DAE a un effet sur la question de savoir si on jugera qu’une motoneige est visée par les limites de la revendication des brevets de BRP » (au paragraphe 53). C’est ce qui est attendu et c’est la raison pour laquelle les mesures doivent être prises rigoureusement, avec l’aide d’un conducteur ou d’un DAE qui est conforme à l’homme américain au 50e percentile positionné comme un conducteur standard dans une position standard.

[441]  Il est vrai que les figures 19 et 20 des brevets 106 et 813 montrent les mensurations d’un homme au 50e percentile qui sont remarquablement erronées. Il n’est pas nécessaire d’être une personne versée dans l’art pour se rendre compte que les figures sont essentiellement inutiles. Il est plutôt ironique qu’un argument ait été avancé selon lequel Exponent n’a pas utilisé ces mensurations afin de comparer les résultats. Le mémoire des faits et du droit de la défenderesse poursuit en faisant valoir que [traduction] « [à] ce titre, Exponent n’a aucun fondement scientifique pour affirmer que le DAE utilisé pour ses expériences ont les mêmes dimensions que le conducteur standard du brevet » (mémoire des faits et du droit concernant la contrefaçon, au paragraphe 420).

[442]  En vérité, il aurait été impossible de trouver un DAE dont les dimensions auraient été aussi erronées. La personne versée dans l’art aurait tiré une conclusion sans hésitation et aurait eu recours à un DAE qui correspond au 50e percentile, et ce qui est ce que M. Larson et Mme Raasch ont fait. David VAVER a écrit dans Intellectual Property Law, 2e éd., Irwin Law, 2011 [Vaver] :

[traduction]

Tout va bien uniquement si le travailleur versé dans l’art peut facilement déceler l’erreur ou l’omission et peut rapidement la corriger à l’aide de connaissances générales communes et le reste du brevet, sans toutefois recourir à une recherche ou à une expérience prolongée ou à l’inventivité.

(Pages 342-343.)

[443]  M. Grewal, pour le compte des défenderesses, soutient qu’un DAE ne peut pas simuler la conduite active d’un humain sur une motoneige. Il a formulé cette critique dans son premier rapport (D‑121, au paragraphe 125) ainsi que dans son rapport de réfutation (D 123, au paragraphe 11). Je placerais cette préoccupation dans la même catégorie que celle concernant le fait qu’une motoneige est conduite par un être humain, pas par un DAE. Le fait qu’une motoneige exige une conduite active n’a aucune importance. Les brevets concernent uniquement la configuration de la nouvelle motoneige, ce qui donne lieu à un certain nombre de mesures à l’égard d’un homme américain au 50e percentile assis sur la motoneige dans une position biomécaniquement neutre ou dans une position standard. Il importe peu que, forcément, un conducteur change de position lorsqu’il conduit la motoneige dans diverses conditions. Il suffit que le DAE soit positionné sur les motoneiges mesurées de façon à correspondre à la position du conducteur dans les brevets.

[444]  J’ai lu et relu les rapports produits par le M. Grewal; j’ai lu deux fois son témoignage devant la Cour. En fin de compte, il ne s’agit de rien de plus qu’un vaillant effort pour trouver un défaut dans la façon dont les mesures ont été prises par M. Larson et Mme Raasch. Si la méthode comportait des erreurs, il faudrait s’attendre à ce que cela entraîne des modifications importantes, de sorte qu’il serait effectivement démontré que les motoneiges mesurées, qui correspondent aux plages des brevets lorsqu’elles sont mesurées par M. Larson et Mme Raasch, ne correspondent pas aux plages si elles sont mesurées par M. Grewal au moyen d’une meilleure méthode appropriée.

[445]  À son crédit, M. Grewal présente les résultats de ses propres mesures dans son rapport de réfutation (D‑123). Cinq motoneiges déjà mesurées par M. Larson ont été mesurées par M. Grewal avec un DAE assis sur les motoneiges dans différentes positions présentées comme étant les positions [traduction] « médiane », [traduction] « avancée », et [traduction] « arrière » (D‑123, au paragraphe 47). Il n’est pas facile de comprendre pourquoi cela a été fait, car, il apparaît très clairement dans les photographies présentées, les positions [traduction] « avancée » et [traduction] « arrière » ne s’approchent pas du tout de la position neutre ou standard des brevets en litige. La position médiane suffit à titre d’approximation.

[446]  Néanmoins, aucune des mesures prises des cinq exemplaires déjà mesurés par M. Larson ne correspond pas aux valeurs numériques (D‑123, au paragraphe 49, pièce F). Les seules conclusions négatives tirées par M. Grewal sont que [traduction] « [l]es tableaux ci-dessus montrent que le fait de déplacer le DAE vers l’avant ou vers l’arrière depuis la position utilisée par Exponent a entraîné une variation significative pour certaines des valeurs mesurées » (D‑123, paragraphe 51). Ce n’est pas étonnant. C’est effectivement attendu. C’est la raison pour laquelle les brevets exigent que le conducteur soit dans une position biomécaniquement neutre ou une position standard, ce qui correspond plus ou moins à une position [traduction] « médiane » dans l’expérience de M. Grewal.

[447]  M. Grewal a également signalé, au paragraphe 52, une tendance qu’il a observée. Il a conclu que la distance entre l’essieu d’entraînement le plus avancé et le centre de gravité du conducteur n’était pas visée par la limite de certaines revendications des brevets 106 et 813. Cependant, cette observation est valide uniquement lorsque le DAE est dans la position avancée, une position qui est très éloignée de ce qui est enseigné par les brevets. Lorsque le DAE est placé dans la position utilisée par M. Larson, qui correspond beaucoup mieux, selon mon estimation, aux enseignements des brevets, les résultats sont signalés très justement par M. Grewal comme correspondant à ce qui suit :

[traduction]

52.  [...] Cependant, lorsque le DAE était dans une position qui reproduisait le positionnement du DAE par Exponent, la valeur mesurée était visée par les limites de ces revendications ou la marge d’erreur qui était considérée par la limite de ces revendications.

(D‑123)

[448]  La preuve concernant les exemplaires utilisés par BRP est convaincante. Comme dans Whirlpool, les défenderesses ont choisi de reculer dans une certaine mesure et de faire valoir que la demanderesse n’avait pas présenté une preuve suffisante. Cependant, lorsque cinq des exemplaires sont mesurés par l’expert d’AC, ses mesures confirment que les motoneiges sont visées par les mesures des revendications avancées. J’ai examiné attentivement la preuve de BRP concernant les mesures relatives aux exemplaires. La preuve est abondante et convaincante. Elle est même corroborée par l’expérience menée par M. Grewal. Lorsque la preuve de BRP est soupesée par rapport à celle présentée par AC, la preuve de BRP est accablante. La preuve de M. Larson était convaincante et ses rapports sont clairs et pleinement documentés. Son expertise dans la prise de mesures est ressortie de ses rapports et de son témoignage. Il a été aidé par Mme Raasch, une spécialiste dans le domaine de la biomécanique, plus particulièrement avec les DAE. La Cour retient donc l’argument de BRP selon lequel les motoneiges mesurées sont toutes visées par les limites des revendications avancées dans les trois brevets en litige.

[449]  Cependant, cette conclusion ne tranche pas entièrement la question de la contrefaçon, étant donné que BRP a cerné 378 modèles de motoneiges qui contreviendraient à l’une ou à plusieurs des revendications, mais n’en a mesuré que 17.

[450]  BRP a présenté un témoignage de M. Larson concernant le caractère représentatif des mesures prises par rapport à l’ensemble des modèles visés par des allégations de contrefaçon. La demanderesse soutient qu’il aurait été relativement facile de prendre des mesures si des DAO des motoneiges d’AC avaient été disponibles, comme on s’y serait attendu, selon les affirmations de BRP, de la part d’une société aussi sophistiquée qu’AC. Des DAO adéquats n’ont pas été produits.

[451]  La demanderesse a dû recourir à une autre méthode pour chercher à établir sa preuve à l’égard des 378 modèles visés par des allégations de contrefaçon. L’hypothèse de base est que les 378 modèles ne sont pas tous différents : les modèles peuvent donc être regroupés à la lumière des similitudes observées entre les modèles visés par des allégations de contrefaçon. M. Larson a présenté neuf groupes de ce genre.

[452]  M. Larson a réuni une grande quantité de documents en vue de déterminer les caractéristiques des motoneiges d’AC. Il a été en mesure d’utiliser, dans un grand nombre de feuilles de spécification, des renseignements provenant de brochures d’Arctic Cat et de son site Web. Il y avait des similitudes évidentes. Au moyen de ces documents, il a été en mesure d’établir un premier groupe fondé sur le type de châssis. D’après son témoignage, M. Larson tentait de regrouper les motoneiges selon leur conception. En conséquence, il a examiné les données sur les châssis dont la largeur de la chenille, la longueur de la chenille, la largeur générale, la longueur générale et la position des skis seraient très similaires. Comme il en a témoigné dans son rapport initial (P‑42), [traduction] « [à] la suite de cette analyse, il est devenu évident qu’il existe des groupes de modèles de motoneiges bien définis qui partagent la même géométrie générale » (au paragraphe 19). Ces neuf groupes sont énumérés au paragraphe 20 du rapport de M. Larson (P‑42) :

[traduction]

a)  les motoneiges du modèle M munies d’une chenille d’une longueur de 153 pouces, années de modèle de 2012 à 2015;

b)  les motoneiges du modèle M munies d’une chenille d’une longueur de 162 pouces, années de modèle de 2012 à 2015;

c)  les motoneiges des modèles F et ZR munies d’un châssis ProCross, années de modèle de 2012 à 2015;

d)  les motoneiges du modèle XF, années de modèle de 2012 à 2015;

e)  les motoneiges de course munies d’un châssis Sno Pro, années de modèle de 2008 à 2014;

f)  les motoneiges de course munies d’un châssis ProCross, années de modèle de 2012 et des années suivantes;

g)  les motoneiges F5, F6, F8, F570, F1000 et Z1 Lynx 2000, années de modèle de 2007 à 2015;

h)  les motoneiges des modèles T‑series et Lynx 2000 LT, les motoneiges Bearcat munies d’une chenille d’une largeur de 15 pouces et les versions EXT des motoneiges des modèles F8 et Z1, années de modèle de 2008 à 2015;

i)  les motoneiges Bearcat munies d’une chenille d’une largeur de 20 pouces, années de modèle de 2009 à 2015.

[453]  Selon M. Larson, [traduction] « [à] l’intérieur de chaque groupe, tous les modèles ont le même châssis, la longueur de la chenille, la longueur et la largeur générales du véhicule sont les mêmes ou sont très similaires » (au paragraphe 21). On a également présenté en preuve une comparaison des images de différents modèles provenant du site Web. Ces images ont été superposées. Les résultats présentés à l’annexe 6 de la pièce P‑42 montrent des similitudes remarquables entre les modèles regroupés selon des similitudes caractéristiques. En un mot, s’il est démontré qu’une motoneige dans un groupe contrefait les mesures de la revendication, les autres motoneiges dans le même groupe constitueraient également une contrefaçon, compte tenu des similitudes des modèles à l’intérieur du groupe.

[454]  Pour évaluer davantage le caractère représentatif des groupes, M. Larson a examiné si des DAO avaient été rendus disponibles par les défenderesses (comme je l’ai déjà indiqué, un ensemble complet de DAO n’a pas été présenté, mais certains, même partiels, étaient disponibles). Il a constaté que [traduction] « les fichiers qui ont été fournis illustrent le fait que les variations de modèles à l’intérieur de chaque groupe de châssis partagent la grande majorité de leurs composantes et présentent peu de différences pertinentes par rapport aux questions de l’espèce » (P‑42, au paragraphe 25). En effet, selon M. Larson, AC disposait de fichiers de DAO qui, en fait, représentent des groupes de modèles. Il y a un châssis particulier, puis différentes composantes de l’ensemble peuvent être utilisées pour créer différents modèles à partir de ce châssis. Par exemple, un moteur différent devient un modèle différent, mais les modèles ont tous deux le même châssis avec la même configuration de base.

[455]  Confrontée à ce qui semblait être une preuve puissante, à tout le moins à première vue, AC a choisi de présenter une preuve qui n’examinerait pas longuement ces groupes. Après tout, AC a produit et a vendu les 378 modèles qui, selon les allégations de BRP, contrefont son monopole. Elle aurait dû être dans une position lui permettant de contester directement les groupes présentés par BRP.

[456]  Au lieu de cela, AC a appelé M. Mark Warner à témoigner, entre autres, à propos du rapport préparé et produit par M. Larson. M. Warner, également un ingénieur, titulaire d’une maîtrise ès science de la Brigham Young University, est au service de Collision Safety Engineering. Il est manifestement un expert en sécurité anticollision, comme le montre amplement son curriculum vitæ; il est aussi un passionné de motoneige.

[457]  Dans son rapport de réfutation (D‑108), M. Warner allègue des difficultés à évaluer l’homogénéité des groupes établis par M. Larson. Je n’ai pas été convaincu. Une fois de plus, les défenderesses adoptent la thèse selon laquelle elles devraient en rester là et contester accessoirement les groupes qu’elles sont capables d’examiner avec une grande précision. Elles ont construit les 378 modèles. Elles préfèrent soulever des doutes à propos des groupes établis avec soins, malgré la preuve qui corrobore ces mêmes groupes.

[458]  Le moyen de contestation de M. Warner consiste à suggérer que [traduction] « on ne sait pas trop sur quelle base il a regroupé les motoneiges en cause » (D‑108, au paragraphe 100). Il soulève un faux problème, dans lequel il se penche sur les groupes, en laissant entendre que [traduction] « comme il est indiqué dans mon rapport d’octobre, les brevets de BRP n’identifient aucune des caractéristiques structurelles des motoneiges de l’invention proposée comme étant essentielles à la position du conducteur » (au paragraphe 104). À ce stade, nous ne sommes toujours pas préoccupés par la validité des brevets, l’accent devrait plutôt porter sur la question de savoir si les groupes proposés visent les modèles qui font l’objet des allégations de contrefaçon.

[459]  Il suggère que, compte tenu de la [traduction] « population » des motoneiges en question, il aurait été nécessaire d’utiliser de nombreux autres exemplaires pour établir le caractère représentatif des exemplaires comparés à la population examinée. Cependant, il ne semble jamais tenir compte de l’analyse effectuée par M. Larson pour établir les différents groupes et valider le fait que les modèles sont effectivement du même châssis. L’exercice a été pleinement documenté dans les rapports de M. Larson. L’analyse statistique suggérée par M. Warner n’atteint pas la cible. Il serait ironique que l’on reproche à BRP de ne pas avoir acheté plus de motoneiges d’AC pour effectuer plus d’essais, alors qu’AC a choisi de ne pas procéder aux mêmes essais. Au mieux, M. Darling, pour le compte d’AC, a laissé entendre que certains de ses documents publiés ne sont pas toujours exacts, sans toutefois présenter une preuve quant à l’importance que cela pourrait avoir ni indiquer les modèles qui sont touchés et dans quelle mesure ils le sont. La question n’est pas tant de tirer une conclusion négative à l’égard des défenderesses que de faire observer dans la mise en balance des éléments de preuve pour évaluer de quel côté penche la prépondérance des probabilités, AC formule des allégations générales concernant les groupes, est critique à certains égards, sans même tenter de mettre à l’essai ses propres motoneiges pour montrer les lacunes dans la méthode de M. Larson. D’autre part, BRP offre un élément de preuve particulier, ses groupes, qui n’est pas contesté d’une manière particulière.

[460]  M. Grewal (D‑123, au paragraphe 71) et M. Warner (D‑108, aux paragraphes 109 à 111) ont critiqué le fait que M. Larson semblait avoir négligé de mesurer la masse des motoneiges. M. Grewal parlait de la masse comme étant [traduction] « visiblement absente des graphiques comparant les autres propriétés physiques de l’ensemble des motoneiges visées par des allégations de contrefaçon ». MM. Warner et Grewal ont souligné que la masse est un facteur important dans les mesures des centres de gravité. Comme pour les autres critiques, toutefois, les experts ont soulevé des questions, mais ce n’est jamais allé au-delà de « soulever des questions » d’une façon moins que concluante. C’est comme s’il s’agissait d’une tentative de soulever un doute à propos des groupes, sans plus. Il existe une possibilité réaliste qu’un doute s’ensuive, mais un doute raisonnable ne suffira pas dans une affaire civile. Comme lord Denning l’a affirmé d’une façon remarquée dans Miller v Minister of Pensions, [1947] 2 All ER 372, [traduction] « [s]i la preuve est telle qu’elle permet au tribunal de dire : “Nous estimons que cela est plus probable qu’improbable”, la partie s’est déchargée du fardeau, alors qu’elle ne s’en est pas déchargée si les probabilités sont égales ». La gravité de la question n’a aucune importance : la norme demeure la même. La baronne Hale a tiré la même conclusion dans l’arrêt In re B (Children), [2008] UKHL 35, lorsqu’elle a affirmé que [traduction] « [n]i la gravité de l’allégation, ni celle des conséquences ne devraient modifier la norme de preuve appliquée pour établir les faits […] » (au paragraphe 70).

[461]  Quoi qu’il en soit, l’affaire a été abordée de front par M. Larson dans son rapport en réponse (P‑113). Essentiellement, M. Larson déclare qu’il n’a pas agi par inadvertance, mais plutôt après un examen attentif. Il a choisi de ne pas utiliser le poids dans la définition des groupes (les poids seraient indiqués dans les mesures des centres de gravité dans n’importe quel groupe où un modèle serait placé). Trois motifs sont présentés.

[462]  Premièrement, le poids est pris en considération dans la création des groupes en vertu de la taille et de la longueur des motoneiges. Manifestement, les groupes tiennent compte de la taille et de la longueur. Par exemple, les motoneiges qui correspondent à la catégorie « montagne » pourraient se retrouver dans deux groupes différents en raison de deux chenilles de longueurs différentes.

[463]  Deuxièmement, il existe différents types de motoneiges, dont les poids varient de manière inhérente : des motoneiges de performance légères, des motoneiges à usages multiples, et des motoneiges touring ou utilitaires plus robustes. Les groupes tenaient compte de ces différents poids.

[464]  Troisièmement, on a tenu compte de la taille du moteur. Cependant, la plupart des châssis offrent une variété de tailles de moteur. Par conséquent, on a établi des paires de mesures à l’intérieur d’un même groupe, en utilisant les plus petites et les plus grandes options. Ces types de mesures, nous l’avons appris dans le rapport précédent, montrent qu’elles sont très similaires. Selon le point de vue non contredit de l’expert, la taille du moteur ne change pas l’analyse d’une façon importante.

[465]  Les 17 exemplaires couvrent les 9 groupes, tels qu’établis par M. Larson. On a sélectionné plus d’un modèle dans certains groupes pour évaluer si le groupe correspondait aux plages des revendications avancées des brevets 106, 813 et 964.

[466]  À mon avis, la preuve présentée par AC ne conteste pas effectivement la preuve quant à la façon dont les groupes ont été établis par M. Larson. Les allégations générales formulées ne s’élèvent pas au niveau d’une contestation réelle. Comme dans Whirlpool, la preuve de contrefaçon n’est pas entièrement satisfaisante, car une preuve supérieure aurait été d’avoir accès aux DAO pour établir la contrefaçon ou les 378 modèles auraient pu être mesurés; peut-être qu’on aurait pu choisir plus de 17 exemplaires pour que cela soit plus significatif sur le plan statistique. Néanmoins, lorsqu’ils étaient disponibles, les DAO ont confirmé certains des groupes, sans exception. Le poids de la preuve fiable penche manifestement du côté de la demanderesse et la prépondérance des probabilités favorise BRP. La contrefaçon des mesures des brevets en litige a été établie à la satisfaction de la Cour.

[467]  En conséquence, l’ensemble des modèles mesurés correspondent aux plages des revendications avancées suivantes :

  • Brevet 106 :les revendications 1, 7, 27 et 77.

·  Brevet 813 :  les revendications 37, 38, 48 et 73.

·  Brevet 964 :  les revendications 1, 4, 6, 8, 13, 15, 16, 20, 24, 26, 27, 35, 37, 40, 42 et 48.

[468]  BRP déclare dans son dernier argument s’être fondée sur les dernières revendications avancées restantes. Cependant, il y a certaines restrictions :

  • Brevet 106 :la revendication 8, sauf le groupe 7.

la revendication 28, sauf les groupes 6 et 9.

  • Brevet 813 :la revendication 9

la revendication 39, sauf le groupe 7.

la revendication 49, sauf les groupes 6 et9.

  • Brevet 964 :la revendication 9, sauf les groupes 3 et 9.

[469]  Étant donné que la prépondérance des probabilités, à la lumière de la preuve présentée par BRP concernant la validité des groupes des 378 modèles visés par des allégations de contrefaçon qui sont jugées homogènes, une preuve à laquelle AC n’a pas répondu, favorise la demanderesse, il s’ensuit que la Cour est convaincue que les 378 modèles contrefont aux mesures des brevets en litige.

[470]  L’examen de la contrefaçon des brevets BRP serait incomplet si BRP ne prouve pas qu’AC a vendu des motoneiges au Canada entre 2006 et 2014. AC ne le conteste pas.

[471]  Pendant l’audition de la présente affaire, l’avocat des défenderesses confirme à très juste titre en audience publique que [traduction] « nous ne contestons pas avoir incité ou amené les concessionnaires à contrefaire les brevets » (transcriptions, le 14 avril 2015, à la page 143). En conséquence, il n’est pas nécessaire d’avancer outre mesure les observations écrites de BRP dans une audience publique. Ces observations n’ont pas été abordées dans le mémoire des faits et du droit d’AC. Cette concession n’a, bien entendu, aucune incidence sur les questions relatives à la contrefaçon et à la validité qui ont été débattues longuement pendant le procès.

VI.  Validité des brevets sur la position du conducteur

[472]  Comme dans un nombre important d’affaires en matière de brevets, la Cour a dû composer avec un catalogue d’arguments concernant la validité des brevets du REV. Il n’est pas très utile de souligner qu’un certain nombre de mesures à propos des motoneiges d’AC peuvent très bien être visées par les mesures avancées par BRP dans ses brevets 106, 813 et 964; toutefois, pour avoir gain de cause, la demanderesse doit l’emporter une fois que la validité des différents brevets est contestée. Les mesures sont une chose et la validité des brevets en est une autre.

[473]  Nul ne conteste qu’un brevet est présumé valide, ce qui signale que le fardeau incombe aux défenderesses d’invoquer et de prouver leur invalidité. Le paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets est rédigé ainsi :

Validité

43 (2) Une fois délivré, le brevet est, sauf preuve contraire, valide et acquis au breveté ou à ses représentants légaux pour la période mentionnée aux articles 44 ou 45.

Validity of patent

43 (2) After the patent is issued, it shall, in the absence of any evidence to the contrary, be valid and avail the patentee and the legal representatives of the patentee for the term mentioned in section 44 or 45, whichever is applicable.

Que la « présomption » soit facile à surmonter ou non (Rubbermaid (Canada) Ltd. c Tucker Plastic Products Ltd. [1972] ACF no 10, (1972), 8 CPR (2d) 6) n’a pas vraiment d’importance, puisque, dans les affaires civiles, la partie doit convaincre la Cour selon la prépondérance des probabilités (F H v McDougall, 2008 CSCC 53, [2008] 3 RCS 41, au paragraphe 40) [McDougall]. La qualité de la preuve pour répondre à la norme exige que « la preuve doi[ve] toujours être claire et convaincante » (McDougall, au paragraphe 46, comme il a été réitéré récemment dans Fairmont, au paragraphe 36). C’est à la norme ultime de la prépondérance des probabilités à laquelle AC doit satisfaire.

[474]  BRP a laissé entendre à l’occasion que les arguments d’AC sur l’invalidité n’étaient pas compatibles entre eux. Mon avis est que ces arguments peuvent difficilement être traités comme s’il s’agissait de compartiments étanches. Néanmoins, il est parfaitement permissible, comme on l’a souvent vu, que les arguments aillent dans l’autre sens. Par exemple, je ne constate rien de mal à plaider l’évidence et l’insuffisance. Dans Eli Lilly Canada Inc. c Apotex Inc., 2008 CF 142, 63 CPR (4th) 406, le juge Hughes a écrit :

[74]  Par conséquent, afin d’obtenir le monopole accordé par le brevet, il faut assurer l’avancement de l’état de l’art et divulguer cet avancement. L’omission de le faire, qui aurait pour effet d’invalider le monopole, peut prendre diverses formes, par exemple, l’« invention » n’était pas nouvelle, ou la prétendue invention était « évidente » ou la divulgation était « insuffisante » ou encore « ce qui a été divulgué ne justifie pas le monopole demandé ».

Il est certainement possible qu’une chose soit inventée, mais qui n’a pas été suffisamment divulguée et adéquatement revendiquée, de sorte que le monopole du brevet doit être invalidé.

[475]  Un examen de chaque argument sur l’invalidité correspond à la façon habituelle de procéder. Il demeure que, en fin de compte, c’est la validité des brevets qui est en jeu. En l’espèce, les parties ont longuement abordé les différents motifs possibles d’invalidité, mais selon une importance et un ordre considérablement différents. Même si AC présente son argument selon lequel la suffisance de la divulgation comporte des lacunes, BRP a choisi de traiter longuement de l’antériorité et de l’évidence.

[476]  La Cour examinera les différents motifs d’invalidité. À mon avis, les revendications avancées des trois brevets concernant la position du conducteur ne sont ni antérieures ni évidentes. J’ai également conclu que le brevet 964 n’a pas souffert de déclarations erronées ou trompeuses. Cependant, ces brevets sont invalides, car ils ne répondent pas à l’exigence en matière de divulgation adéquate selon la Loi sur les brevets.

[477]  Je chercherai à passer en revue brièvement l’état du droit avant de poursuivre avec mes motifs.

A.  Le droit relatif à l’antériorité

[478]  Pour qu’une invention existe, elle doit présenter le caractère de la nouveauté (définition du terme « invention », article 2, Loi sur les brevets). L’absence du caractère de la nouveauté entraînera une conclusion d’invalidité. L’antériorité signifie que l’invention revendiquée était déjà connue du public. L’article 28.2 de la Loi sur les brevets exige ce qui suit :

28.2 (1) L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas :

28.2 (1) The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada (the “pending application”) must not have been disclosed

a) plus d’un an avant la date de dépôt de celle-ci, avoir fait, de la part du demandeur ou d’un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant, in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

b) avant la date de la revendication, avoir fait, de la part d’une autre personne, l’objet d’une communication qui l’a rendu accessible au public au Canada ou ailleurs;

(b) before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the subject-matter became available to the public in Canada or elsewhere;

[479]  En conséquence, la divulgation antérieure au public peut prendre différentes formes, y compris la publication antérieure et l’usage antérieur, dans la mesure où l’invention revendiquée a été communiquée au public.

[480]  L’antériorité exige qu’il y ait non seulement la divulgation antérieure de l’objet de la revendication, mais le caractère réalisable de l’objet divulgué. Ces deux exigences sont examinées séparément. La procédure à suivre est décrite dans l’arrêt Apotex Inc. c Sanofi-Synthelabo Canada Inc., 2008 CSC 61 [2008] 3 RCS 265 [Sanofi], aux paragraphes 24 à 27, qui sont reproduits ci-après :

[24]  En 2005, dans l’arrêt Synthon de la Chambre des lords, lord Hoffmann a apporté quelques précisions supplémentaires sur le critère de l’antériorité et sur son interprétation depuis l’arrêt General Tire. Sa référence au paragraphe 20 à [traduction] « l’autorité indiscutable » de lord Westbury dans l’arrêt Hills c. Evans (1862), 31 L.J. Ch. (N.S.) 457, à la p. 463, montre clairement que son analyse ne dépend d’aucun changement dans le droit britannique découlant de la promulgation de la Patents Act 1977 (U.K.), 1977, c 37, ou de l’adoption par le R.-U. de la Convention on the Grant of European Patents, 1065 U.N.T.S. 199 (entrée en vigueur le 7 octobre 1977). Il établit une distinction entre deux exigences en la matière qui, jusqu’alors, ne faisaient pas expressément l’objet d’un examen distinct, à savoir la divulgation antérieure et le caractère réalisable.

[25]  Lord Hoffmann explique que suivant l’exigence de la divulgation antérieure, le brevet antérieur doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet (par. 22) :

[traduction]

Si je puis me permettre de résumer ce qui découle de ces deux énoncés fort connus [tirés de General Tire et de Hills c Evans], l’objet de l’antériorité alléguée doit divulguer ce qui, une fois réalisé, contreferait le brevet. [...] Il s’ensuit que, peu importe que cela aurait sauté ou non aux yeux de quiconque au moment considéré, lorsque ce qui est décrit dans la divulgation antérieure est réalisable et une fois réalisé, contreferait nécessairement le brevet, la condition de la divulgation antérieure est remplie.

En ce qui concerne la divulgation, la personne versée dans l’art [traduction] « est censée tenter de comprendre ce que l’auteur de la description [dans le brevet antérieur] a voulu dire » (par. 32). À cette étape, les essais successifs sont exclus. La personne versée dans l’art se contente de lire le brevet antérieur pour en comprendre la teneur.

[26]  Lorsque l’exigence de la divulgation est remplie, le second élément établissant l’antériorité est le « caractère réalisable », à savoir la possibilité qu’une personne versée dans l’art ait pu réaliser l’invention (par. 26). Lord Hoffmann conclut que le volet du critère de l’antériorité correspondant au caractère réalisable équivaut au critère du caractère suffisant suivant les dispositions législatives pertinentes du Royaume‑Uni. (Notre Cour n’a pas à statuer en l’espèce sur l’incidence du caractère réalisable de l’invention sur le caractère suffisant du mémoire descriptif du brevet pour les besoins de l’al. 34(1)b) de la Loi sur les brevets du Canada dans sa version antérieure au 1er octobre 1989, devenu l’actuel al. 27(3)b), et mon analyse du caractère réalisable ne vaut que pour le critère de l’antériorité. La question de savoir si, au Canada, le caractère réalisable de l’invention et le caractère suffisant du mémoire descriptif se confondent l’un et l’autre devra être tranchée une autre fois.)

[27]  Dès lors que l’objet de l’invention est divulgué dans un brevet antérieur, on suppose que la personne versée dans l’art est disposée à procéder par essais successifs pour arriver à l’invention. Il est admis que des essais successifs peuvent être nécessaires pour établir le caractère réalisable, mais ce n’est plus le cas à l’étape de la divulgation. Au moment de l’examen du caractère réalisable, il ne s’agit plus de déterminer ce qu’une personne versée dans l’art aurait compris de la divulgation du brevet antérieur, mais si elle serait en mesure d’exécuter l’invention.

Je souligne que l’expérimentation à laquelle devrait procéder la personne versée dans l’art pour exécuter ou réaliser l’invention doit être exempte d’efforts excessifs (aux paragraphes 33 et 35, arrêt Sanofi).

[481]  D’après tous les témoignages, le critère pour satisfaire à l’antériorité est élevé, difficile à satisfaire selon les termes de la Cour suprême dans Free World Trust, lorsque la Cour a cité avec approbation ce passage célèbre, de Beloit Canada Ltée c Valmet OY, [1986] ACF no 87, (1986), 8 CPR 3d 289 [Beloit], à la page 297 :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

Seules les compétences mécaniques sont requises, pas l’inventivité.

[482]  L’antériorité découlant d’une publication est difficile à établir, car un recul n’est pas acceptable (Free World Trust, au paragraphe 25). Les deux exigences de base pour établir l’antériorité (la divulgation antérieure et le caractère réalisable) sont également présentes dans l’antériorité fondée sur un usage antérieur. Dans Baker Petrolite Corp c Canwell Enrio-Industries Ltd., 2002 CAF 158, 17 CPR (4th) 478, [2003] 1 CF 49 [Baker Petrolite], la Cour d’appel écrit :

[35]  Je reconnais que, de façon générale, les principes énoncés dans les arrêts Beloit et Free World Trust, précités, au sujet de l’antériorité fondée sur une publication antérieure s’appliquent également à l’antériorité découlant de l’utilisation antérieure ou de la vente antérieure. Ainsi, la preuve de l’antériorité fondée sur l’utilisation publique antérieure ou la vente antérieure au public ainsi que sur la publication antérieure devrait être examinée attentivement. Toutefois, au-delà d’un certain niveau d’énoncés généraux, il sera peut-être nécessaire d’ajuster les principes régissant l’antériorité fondée sur la publication antérieure en fonction des caractéristiques particulières de l’antériorité découlant de l’utilisation antérieure par le public ou de la vente antérieure au public. Ainsi, le principe selon lequel la publication antérieure doit contenir des instructions d’une clarté telle qu’une personne versée dans l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée s’applique au contexte spécifique de la publication antérieure. Dans ce dernier cas, la personne versée dans l’art lira la publication. En ce qui concerne l’utilisation antérieure ou la vente antérieure, la lecture ne sera pas nécessairement pertinente. Au moment de décider s’il y a antériorité découlant de l’utilisation antérieure ou de la vente antérieure en vertu de l’alinéa 28.2(1)a), la Cour doit tenir compte des circonstances de l’utilisation ou de la vente en question pour savoir comment une personne versée dans l’art serait menée infailliblement à l’invention revendiquée. Ainsi, existait-il à la date pertinente une méthode d’analyse disponible qui aurait permis à une personne compétente d’arriver à l’invention? Les autorités du Royaume-Uni renferment des commentaires utiles à ce sujet.

[483]  La question est, bien entendu, ce qui constituera le fait de rendre « accessible au public au Canada ou ailleurs », selon le libellé des alinéas 28.2(1)a) et b). Citant une décision de la Chambre des lords, la Cour d’appel est convaincue que l’usage de l’invention doit rendre accessibles les renseignements qui décrivent l’invention. Cela semble correspondre à ce que l’on appelle une « divulgation permettant la réalisation ». La Cour cite avec approbation Lux Traffic Controls Ltd. v Pike Signals Ltd and Faronwise Ltd., [1993] RPC 107, où elle a déclaré à la page 133 :

[traduction]

Il est reconnu en droit que, pour invalider un brevet, la divulgation doit permettre de réaliser l’invention. C’est-à-dire que la divulgation doit être telle qu’elle doit permettre au public de réaliser ou d’obtenir l’invention.

[484]  Baker Petrolite poursuit en parlant de la vente du produit. Cette décision fait valoir que la vente du produit, même à une seule personne, équivaut à la notion de rendre accessible au public. C’est parce que le nouveau propriétaire du produit anéantit le caractère secret. Si le public est en possession du secret, il ne s’agit plus d’un secret : il s’ensuit que l’inventeur ne donne rien au public et, par conséquent, il n’a droit à rien en retour, c’est-à-dire un monopole pour un certain nombre d’années.

[485]  Si l’ingénierie inverse est nécessaire pour découvrir l’invention, son acquisition par un membre quelconque du public, qui a donc la liberté de l’utiliser comme bon lui semble, suffira à la rendre accessible au public. Il ne s’agit pas d’une nouvelle règle de droit. Le juge en chef lord Parker a déclaré dans Bristol-Myers Co.’s Application, [1969] RPC 146, il y a près de 50 ans que [traduction] « […] si l’information […] a été communiquée à un seul membre du public sans obstacle contraignant, cela suffira pour la rendre accessible au public […] » (page 155).

[486]  Il faut insister sur le fait que la divulgation doit être une divulgation permettant la réalisation, c’est-à-dire, une divulgation qui permet au public de réaliser ou d’obtenir l’invention. Une fois qu’une invention a été vendue, l’acquéreur a le loisir de l’examiner et de découvrir l’invention.

[487]  Lorsque l’invention n’est pas acquise, de sorte que l’on ne peut pas procéder facilement à un examen pour avoir une divulgation permettant de réaliser l’invention, il s’avérera difficile d’établir la divulgation fondée sur un usage antérieur. Easton Sports Canada Inc. c Bauer Hockey Corp, 2011 CAF 83; 414 NR 69; 92 CPR (4th) 103 [Bauer] en est un bon exemple. Dans cette affaire, l’une des questions consistait à trancher s’il y avait une antériorité en ce qui concerne l’usage d’une chaussure de patin pendant des parties de la ligue d’essai où les équipes étaient composées d’employés de Bauer et où les autres joueurs étaient assujettis à une entente de confidentialité. Cependant, les parties étaient ouvertes au public. L’argument d’Easton était qu’une personne versée dans l’art, présente en tant que spectateur, aurait été en mesure d’observer les patins et de reconnaître les éléments essentiels de l’invention.

[488]  Étant donné que les patins n’étaient pas accessibles aux fins d’essai et de démontage, la personne versée dans l’art assistant simplement aux parties « n’aurait pas été en mesure de discerner tous les éléments essentiels de l’invention ». En conséquence, l’invention « n’a pas été divulguée ou réalisée et elle n’a donc pas été antériorisée ».

[489]  La Cour d’appel a confirmé ce qui suit :

[65]  Easton fait valoir que la juge du procès n’a pas considéré le prototype Vapor 8 testé durant la ligue d’essai du point de vue de la personne versée dans l’art désireuse de comprendre tout en ayant les connaissances générales courantes à l’esprit. Easton plaide que du point de vue d’une telle personne, une inspection visuelle du prototype Vapor 8 était [traduction] « plus que suffisante pour évoquer les principaux aspects de l’idée originale : le quartier une pièce, le profil angulaire et le protège-tendon séparé fixé côte à côte » (mémoire d’Easton, au paragraphe 58). La question est donc de savoir si les éléments du brevet 953 auraient été divulgués à la personne versée dans l’art qui aurait assisté à une partie de la ligue d’essai et qui aurait observé les patins portés par les participants.

[66]  Je souligne que l’expression « inspection visuelle » employée par Easton ainsi que par la juge du procès tout au long de ses motifs est quelque peu trompeuse, en ce qu’elle donne à penser que les patins pouvaient être « examinés attentivement » ou « examinés de près » (voir la définition d’« inspection », dans Le Nouveau Petit Robert, Dictionnaires Le Robert). Cela n’était pas le cas. Comme la juge du procès l’a clairement expliqué, les patins ne pouvaient être testés (motifs, au paragraphe 216) et la preuve montre qu’ils ne pouvaient être observés que par les personnes assistant aux parties en tant que spectateurs ou qui entraient sur la surface glacée, ou qui en sortaient, au début et à la fin de chaque partie (Contre-interrogatoire de M. Langevin, cahier d’appel, Vol. 41, pp. 15620-15624).

[490]  Le degré d’examen requis, bien sûr, variera d’un produit à l’autre pour que la divulgation permette la réalisation. Cependant, le simple fait de voir, sans plus, pourrait ne pas satisfaire à la condition de « permettre la réalisation ». La divulgation elle-même doit transmettre suffisamment de renseignements pour permettre à la personne versée dans l’art de réaliser l’invention ou, comme dans le cas d’une chaussure de patin, de découvrir la structure interne, puis de reproduire l’invention sans effort excessif.

[491]  Enfin, en s’appuyant sur Conway c Ottawa Electric Railway Co. (1904), 8 ExCR 432 [Conway], BRP fait valoir qu’il existe une autre exception à l’antériorité lorsque l’usage public est d’une nature expérimentale. Selon cette autorité, l’expérimentation doit être raisonnable et nécessaire aux fins de perfection ou d’essais :

[traduction]

6  La question concernant l’usage public de l’invention dans la ville de Québec avec le consentement du demandeur et l’autorisation pendant plus d’un an avant la date de sa demande pose, je crois, une difficulté beaucoup plus grande. Le fait que l’invention a été utilisée en public pendant une période de temps plus longue que celle autorisée par la loi ne fait aucun doute. Ce fait n’est pas nié. Cependant, il est dit que l’utilisation faite au cours de l’hiver de 1899-1900 des chasse-neige construits conformément aux directives du demandeur et conformément à son invention était expérimentale et que, par conséquent, une telle utilisation, bien qu’elle ait été publique, ne doit pas être retenue contre lui; qu’elle ne fait pas échec à son brevet; qu’il a eu un délai d’une année après la mise au point de son invention, et la sortie des deuxièmes chasse-neige, pour demander son brevet; et qu’il a fait sa demande dans ce délai. Il est bien établi, il me semble, aussi bien au Canada qu’en Angleterre et aux États-Unis, que l’utilisation d’une invention par l’inventeur, ou par d’autres personnes sous sa direction dans le cadre d’une expérience, et afin de perfectionner l’invention, ne constitue pas une telle utilisation publique qui, en vertu de la loi, fait échec à son droit à un brevet. Cependant, il doit y avoir une expérimentation, et ce qui est fait en ce sens en public doit être raisonnable, nécessaire et doit être effectué de bonne foi dans le but de parfaire le dispositif ou de mettre à l’essai les mérites de l’invention; autrement, l’utilisation en public du dispositif ou de l’invention pendant une période plus longue que celle prescrite par la loi équivaudra à une cession de celle-ci au public; et, lorsque cela se produit, l’inventeur ne peut pas récupérer son don, et aucune réflexion ultérieure ne lui sera utile.

[492]  Il semblerait que l’arrêt Conway fasse toujours jurisprudence. Récemment, une autorité aussi importante que le juge Robert Hughes, dans Bayer Inc. c Apotex Inc., 2014 CF 436, a conclu que l’une des considérations en vertu de l’alinéa 28.2(1)a) de la Loi sur les brevets était, une fois que la divulgation a été découverte, la question de savoir si elle constituait une exception au motif qu’elle avait été réalisée dans un cadre expérimental (au paragraphe 116). En fait, le juge Hughes s’est fondé sur l’arrêt Conway :

[119]  Toutefois, cela ne règle pas la question. En droit canadien, il est établi depuis longtemps qu’une utilisation expérimentale dans le but de perfectionner une invention ne constitue pas une utilisation publique (Conway c Ottawa Electric Railway Co, (1904), 8 ExCR 432, à la page 442; Gibney c Ford Motor Co of Canada, [1967] 2 ExCR 279, au paragraphe 49, en citant l’affaire Elias c Grovesend Tinplate Co (1890), 7 RPC 455, à la page 466. Cela s’applique notamment lorsque, par nécessité, l’expérience doit être effectuée au sein du public.

B.  Antériorité : application aux faits

[493]  AC fait valoir que, en ce qui concerne les brevets liés à la position du conducteur, il y a antériorité découlant des motoneiges de l’art antérieur ainsi que d’un brevet de l’art antérieur.

[494]  AC fait valoir que le brevet 503 de Yamaha (brevet américain no 4, 848, 503) est antérieur aux brevets liés à la position du conducteur qui sont revendiqués en l’espèce. Le brevet américain 503 est intitulé « Small Snowmobile and Drive Arrangement Therefor » (Petite motoneige et dispositif d’entraînement pour celle-ci). Il ne s’agit pas d’un brevet portant sur la configuration d’une motoneige. En fait, le brevet établit la différence entre des [traduction] « motoneiges classiques » et une [traduction] « petite motoneige légère »; cette petite motoneige ne peut accueillir qu’un seul conducteur. Contrairement aux motoneiges classiques, [traduction] « il existe un intérêt envers une machine plus petite et plus légère pouvant être conduite et utilisée facilement par une seule personne ». Il s’agit du type de véhicule auquel le brevet 503 s’intéresse. Le brevet 503 ne vise pas à construire une nouvelle version de la motoneige classique. Il porte sur un petit véhicule léger pour lequel une unité de puissance doit être adaptée. Il ressort clairement de cela que l’invention a pour objet principal [traduction] « de fournir la conception d’une petite motoneige qui est capable d’être alimentée par l’entraînement de moteur à vitesse variable du type habituellement utilisé dans un scooter » (colonne 1).

[495]  Non seulement le brevet 503 porte sur une petite motoneige, par opposition à une motoneige ou à une motoneige classique, mais le brevet ne contient aucune mention des paramètres pour la configuration de celle-ci (centre de gravité, distances, angles, 50e percentile ou d’autres mesures) ou d’un autre élément essentiel, par exemple un tunnel. Au mieux, nous constatons une mention concernant [traduction] « a) un siège porté par le châssis à l’arrière de la position corporelle […] » (colonne 2). AC se fonde sur le brevet 164 (brevet américain 4, 892, 164), qui porte sur le châssis et la construction de la carrosserie pour une petite motoneige. Il est incorporé en référence au brevet 503 au moyen d’une référence à une demande de brevet 163,389, qui est devenue le brevet américain 164. Cependant, ce châssis est du type tubulaire soudé : aucun tunnel ne fait partie du châssis, comme dans les brevets du REV. Au lieu de cela, AC fait valoir que [traduction] « [l]e tunnel était composé de tubulures » (mémoire sur la validité, au paragraphe 478).

[496]  Il n’est pas facile de voir en quoi le brevet 503 peut être antérieur aux brevets du REV, car il n’enseigne pas tous les éléments de la revendication en question. On pourrait même débattre qu’il n’en enseigne aucun, car il porte sur quelque chose d’entièrement différent. Il semblerait que M. Warner, pour le compte d’AC, ait été frappé par la figure 1 du brevet 503 où le conducteur, sur cette petite motoneige alimentée par un moteur de scooter, est présenté comme ayant les hanches au-dessus des genoux, les chevilles derrière les genoux et les genoux au-dessus des chevilles. À partir de là, M. Warner formule un certain nombre d’hypothèses et d’estimations pour parvenir à certaines mesures qui, selon ses allégations, sont visées par un certain nombre de revendications des trois brevets portant sur la position du conducteur. Il ne s’agit pas d’une preuve claire et convaincante qui prouvera l’invalidité des brevets selon la prépondérance des probabilités.

[497]  En conséquence, M. Warner suppose que le conducteur correspond à un homme au 50e percentile. Il estime un emplacement pour le centre de gravité de la motoneige et du système (le conducteur et la motoneige). Le poids du conducteur est celui associé à l’homme au 50e percentile, mais il estime que la motoneige du brevet 503 a un poids de 120 kg. Si ce n’est pour dire que l’inventeur crée une petite motoneige, le brevet 503 ne contient aucune indication quant au poids d’une petite motoneige. L’expert devait également estimer la position de siège, l’emplacement de la position de direction et la position de repose-pieds. À partir des estimations tirées de la figure 1, M. Warner a pris des mesures angulaires en plus d’évaluer les distances.

[498]  Il convient de répéter ce qui est nécessaire pour établir l’antériorité découlant de la publication. La publication unique doit simplement renfermer assez d’information pour permettre à la personne versée dans l’art de comprendre [traduction] « la nature de l’invention et de la rendre utilisable en pratique, sans l’aide du génie inventif, mais uniquement grâce à une habileté d’ordre technique » (citation tirée de l’arrêt Free World Trust, au paragraphe 26, citant H. G. Fox, The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions (4e éd. 1969). Le critère cité avec approbation dans Free World Trust est celui de Beloit Canada Ltée, que je reproduis une fois de plus par souci de commodité :

Il faut en effet pouvoir s’en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l’invention revendiquée sans l’exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d’une clarté telle qu’une personne au fait de l’art qui en prend connaissance et s’y conforme arrivera infailliblement à l’invention revendiquée.

La démonstration qui satisferait à ce critère n’a pas été faite. Les renseignements utilisés proviennent d’une figure approximative dans un brevet portant sur la conception tubulaire d’une petite motoneige, son unité de puissance et sa courroie d’entraînement. Les renseignements ne figurent pas dans la publication unique : au mieux, il s’agit d’estimations et d’hypothèses. L’expert est même allé jusqu’à sortir complètement de la publication unique en estimant les distances au moyen des spécifications de la SnoScoot qui, selon les affirmations de l’expert, sont censées incarner l’invention décrite dans le brevet 503 (rapport de Mark Warner, D‑106, au paragraphe 262).

[499]  Mais ce n’est pas tout. Par définition, le brevet 503 porte sur une invention qui [traduction] « concerne une petite motoneige et un dispositif d’entraînement et, plus particulièrement, une unité de puissance améliorée et un mécanisme de transmission pour une petite motoneige » (colonne 1). Elle se distingue des motoneiges vendues qui sont grandes et qui sont conçues pour accueillir plus d’un occupant. Le brevet 503 ne porte pas sur une motoneige habituelle. Elle est censée être atypique.

[500]  En outre, il n’y a aucun tunnel dans le brevet 503, seulement une structure tubulaire. Un support d’assise composé de tubes ne correspond pas au tunnel des brevets du REV.

[501]  Enfin, je souligne que l’historique des procédures des trois brevets du REV reconnaît l’existence du brevet 503, cependant, l’examinateur ne s’est pas arrêté là.

[502]  En conséquence, l’antériorité découlant de la publication, au moyen du brevet américain 503, n’a pas été démontrée selon la prépondérance des probabilités.

[503]  AC a également tenté de faire valoir l’antériorité découlant de motoneiges réelles antérieures à décembre 1998. AC soutient qu’il y avait des motoneiges dans le domaine public qui présentaient les caractéristiques structurelles des brevets du REV, de sorte que l’homme au 50e percentile serait assis sur la motoneige d’une façon qui réponde aux mesures des revendications avancées en l’espèce.

[504]  Il y a six véhicules qui sont présentés comme constituant une antériorité :

  • SnoScoot

  • Blade

  • Trail Cat

  • Twin Track

  • T/S

  • Hetteen

On affirme également que ces véhicules sont pertinents par rapport à l’analyse du caractère évident.

[505]  En effet, AC s’appuie sur les mesures prises à l’égard des six motoneiges de l’art antérieur pour faire valoir que, si elles correspondent aux mesures avancées dans les trois brevets du REV, il y aurait automatiquement une antériorité de la nouvelle configuration d’une motoneige qui constitue l’objet de l’invention. M. Grewal, pour le compte d’AC, a tenté de mesurer le DAE représentant l’homme au 50e percentile une fois assis sur les six motoneiges de l’art antérieur. Il est donc essentiel que les mesures prises par M. Grewal soient elles-mêmes valides.

[506]  M. Grewal prétend qu’il y a des problèmes associés à la conception d’un protocole pour décider si les motoneiges de l’art antérieur sont visées par les mesures des revendications des brevets de BRP. Même si cela était le cas, cela n’explique pas pourquoi M. Grewal a placé le DAE sur les six modèles de l’art antérieur dans une position très avancée par rapport à une position biomécaniquement neutre ou à celle du conducteur standard dans une position standard. Il est manifeste pour quiconque jette un coup d’œil rapide aux photographies prises par M. Grewal pour documenter les mesures qu’il a prises, que le DAE est toujours positionné d’une façon extrême qui ne pouvait pas correspondre à une position se rapprochant de la position biomécaniquement neutre exigée par les brevets du REV. On lui a demandé de placer le DAE dans une position complètement inclinée vers l’avant (rapport d’expert de M. Grewal, D‑121, au paragraphe 53); c’est-à-dire, malgré le fait que les mesures doivent être prises conformément aux enseignements des brevets ou, à tout le moins, au moyen d’un DAE positionné d’une manière raisonnable conformément aux brevets, y compris les figures. En fait, une personne versée dans l’art aurait cherché à comprendre ce en quoi consiste une position biomécaniquement neutre ou la position standard du conducteur standard. La position entièrement inclinée vers l’avant favorisée par M. Grewal ne s’approche pas du tout, à mon avis, d’un positionnement raisonnable une fois que l’on tient compte de l’exigence relative à une position biomécaniquement neutre.

[507]  Le positionnement du DAE a été pleinement documenté par M. Grewal (D‑121, pièce K). Il ne fait aucun doute, aux yeux de notre Cour, que le positionnement est manifestement choisi à une fin particulière. M. Larson, pour le compte de BRP, souligne dans son rapport en réponse à la contestation de la validité des brevets du REV que le DAE était placé aussi loin à l’avant qu’il était possible sur les six motoneiges de l’art antérieur. M. Larson a formulé des commentaires exacts, à mon avis, sur ce qui découle du positionnement choisi par M. Grewal : [traduction] « Dans cette position, les jambes du DAE évasées de chaque côté du réservoir d’essence, plutôt que contre les côtés du siège, comme il est défini dans les lignes directrices sur le positionnement du DAE. Les bras du DAE sont également placés dans des angles extrêmes, les angles des coudes dépassant 90 degrés, plutôt que d’être placés dans un angle de 20 à 40 degrés, comme il est indiqué dans les lignes directrices sur le positionnement du DAE » (P‑110, au paragraphe 24). S’il faut faire un choix entre M. Larson et M. Grewal, il suffit d’examiner la pièce K de la pièce D‑121. En effet, M. Grewal positionne le DAE, pour ainsi dire, comme si le conducteur « chevauchait le réservoir ». Cela ne correspond pas à la position standard : il s’agit plutôt d’une position agressive. Il n’y a aucune preuve directe en ce qui concerne la différence dans les mesures le positionnement choisi par M. Grewal a créé par rapport au positionnement standard. Toutefois, ce positionnement extrême a été choisi. On ne peut que soupçonner que la différence par rapport à une position plus standard est importante.

[508]  Dans le but d’établir la configuration d’une motoneige qui mènerait à la conclusion que la configuration de l’une répond aux mesures de l’autre, les deux ensembles de mesures doivent être pour un positionnement équivalent. Sans cela, il n’y a aucune façon de faire une comparaison, encore moins de tirer une conclusion que l’une est antérieure à l’autre uniquement à partir des mesures.

[509]  BRP a tenté de reprocher à M. Grewal son choix du DAE. Il semble que le DAE piéton utilisé par M. Grewal a une position supérieure des jambes sans contraintes comparativement au DAE assis dont les mouvements sont plus limités utilisé par M. Larson. Je ne retiens pas la critique de BRP quant au choix du DAE. Le fait que les jambes peuvent être plus facilement évasées dans le cas du DAE piéton utilisé par M. Grewal est, à mon avis, en grande partie non pertinent. Ce qui compte, c’est la position dans laquelle le DAE est placé. Si le type de DAE permet de le placer dans une position extrêmement avancée, cela ne fait pas en sorte qu’on autorise à le faire. Une fois de plus, je suis d’accord avec M. Larson, qui affirme que [traduction] « il est possible de positionner le DAE piéton dans une position non naturelle qui est susceptible d’avoir une incidence négative sur la fiabilité des résultats obtenus, et c’est exactement ce que M. Grewal a fait » (P‑110, au paragraphe 29). Il a suivi les instructions qu’il a reçues d’AC, mais, ce faisant, la fiabilité des mesures prises, ainsi que leur valeur pour notre Cour, a disparu. Il incombait bien entendu à AC, selon la prépondérance des probabilités, de convaincre la Cour que les mesures prises à l’égard des six motoneiges de l’art antérieur montraient une antériorité par rapport aux revendications dans les brevets du REV. En l’absence de mesures fiables prises au moyen d’un DAE placé dans une position raisonnable, cette démonstration n’est pas faite.

[510]  Pour faire bonne mesure, BRP fait valoir que le DAE utilisé par M. Grewal pour mesurer les centres de gravité bougeait lorsque la plate-forme sur laquelle les motoneiges étaient montées était inclinée, de sorte que la motoneige pouvait être inclinée vers l’avant et vers l’arrière. M. Larson a avancé un déplacement [traduction] « aussi élevé » que 0,8 pouce. À mon avis, cette question devient secondaire, car la question la plus problématique concerne le positionnement du DAE sur les six motoneiges de l’art antérieur.

[511]  Il s’ensuit que les seules données disponibles sont celles qui proviennent des mesures prises par M. Larson. Il s’agit du seul élément de preuve dont dispose la Cour. Par conséquent, les revendications suivantes se sont avérées, dans le présent dossier, ne pas avoir été antériorisées par les motoneiges de l’art antérieur suivantes sans qu’on ait besoin de discuter davantage à ce stade de la construction de ces véhicules :

Blade

Hetteen

Trail Cat

SnoScoot

(Mémoire des faits et du droit, BRP, aux paragraphes 722, 730, 731 et 744.)

[512]  En ce qui concerne la motoneige T/S de 1991 et la motoneige Twin Track pour la course de glace en ovale, je conviens avec la demanderesse qu’il ne s’agit pas de motoneiges au sens des revendications dans les brevets invoqués. Il ne s’agit pas du type de motoneiges pouvant être examiné par rapport au REV, car la construction de ces motoneiges, d’après un simple examen visuel de celles-ci, vise manifestement une autre fin : ce sont des machines de courses construites pour des pistes de course où les véhicules tournent à gauche (dans le sens anti-horaire). Comme la preuve l’a montré, elles ne circulent pas sur la neige, puisqu’elles sont construites pour courir sur la glace, et les surfaces inégales comme les bosses et les sentiers, et doivent être exclues. Leur construction est asymétrique, l’idée étant qu’elles sont construites pour prendre les virages vers la gauche à des vitesses élevées. Le conducteur ne s’assied pas exactement au centre du véhicule afin de faire contrepoids lorsque le véhicule prend des virages.

[513]  Je retiens la preuve de Gerard Karpik, pour le compte de BRP, qui signale que la T/S et la Twin Track ne sont pas munies de skis, mais plutôt de lames aiguisées créées afin d’avoir une bonne traction sur les surfaces glacées des pistes. Si on les conduit sur des sentiers accidentés, les lames s’enfoncent dans la neige. Il a témoigné que si l’on tente de prendre un virage vers la droite à une vitesse élevée, ces véhicules basculent en raison de la géométrie particulière de la suspension. Effectivement, il semble que le faible débattement de ces suspensions les rende inappropriées pour circuler sur des bosses et sur un terrain généralement accidenté (P‑121).

[514]  Pour terminer, la Twin Track est bien évidemment munie de deux chenilles.

[515]  À mon avis, la T/S d’Arctic Cat et la Twin Track de Bombardier n’offrent aucune information utile en ce qui concerne l’antériorité ou l’évidence, comme on l’a fait valoir en fin de compte à la Cour dans la plaidoirie (transcriptions, le 16 avril 2015, à la page 141). Je formulerai d’autres observations dans la partie des motifs portant sur l’évidence. À mon avis, ces deux machines sont, comme le laisse entendre M. Larson, non pertinentes en l’espèce.

[516]  En ce qui concerne la Hetteen et la SnoScoot, leur déficience réside ailleurs. La Hetteen était un véhicule développé par Edgar Hetteen, le fondateur d’Arctic Cat. Aux fins de l’argument fondé sur l’antériorité, AC a concédé qu’elle ne pouvait pas se fonder sur cette machine, car elle ne dispose pas d’un siège disposé sur le tunnel (transcriptions, le 16 avril 2015, à la page 151). AC voudrait tout de même que la Hetteen soit examinée en ce qui a trait à l’évidence. Certaines observations sont néanmoins pertinentes à ce stade-ci. La preuve concernant l’accessibilité de la Hetteen provient de David Karpik, pour le compte d’AC, qui se souvenait d’avoir vu la motoneige à la fin des années 1990 lorsqu’il a rendu visite à Edgar Hetteen (D‑99). Son frère, Gerard Karpik, pour le compte de BRP, qui connaît également extrêmement bien l’industrie de la motoneige, témoigne qu’il n’a jamais vu la Hetteen avant 2013, lorsque son frère l’a amené dans leur commerce où, selon son témoignage du 24 mars 2015, il a vu un véhicule d’apparence plus vieille dans le garage. Il est loin d’être clair que ce véhicule a déjà été accessible au public au Canada ou ailleurs. Qui plus est, lorsque l’on examine les photographies de la Hetteen dans le rapport de David Karpik (pièces V et W) ou dans le rapport de M. Grewal (D‑121, pièce K), il est pratiquement impossible de suggérer même que la Hetteen aurait divulgué l’invention d’une nouvelle configuration. Elle était manifestement de l’ancienne école.

[517]  Par ailleurs, la Hetteen peut être décrite comme un hybride entre la motoneige et la motocyclette (Mark Warner, expert pour le compte d’AC, transcriptions, le 11 mars 2015, à la page 62). Avec le [traduction] « levier de vitesse » et le levier de frein situé aux pieds, M. Warner a concédé que la Hetteen [traduction] « n’est pas une motoneige ordinaire ». M. Cowley a également convenu que la Hetteen [traduction] « ressemble – beaucoup à une motocyclette » (transcriptions, le 4 mars 2015, à la page 194).

[518]  À mon avis, la Hetteen n’est d’aucune utilité à la Cour aux fins de l’antériorité, voire de l’évidence.

[519]  La SnoScoot, fabriquée par Yamaha, présente des lacunes importantes également. Il n’est pas contesté que le brevet 503 concerne la SnoScoot. Le brevet 503 établit clairement qu’il porte sur une petite motoneige, la distinguant des grandes motoneiges, car [traduction] « il existe un intérêt envers une machine plus petite et plus légère pouvant être conduite et utilisée facilement par une seule personne » (brevet 503, colonne 1). Je retiens le témoignage de Gerard Karpik, qui possède une longue expérience en matière de conception de motoneiges, y compris la conception de la Blade, qui a déclaré catégoriquement que la SnoScoot n’avait pas été une source d’inspiration dans la conception de la Blade. Il a écrit : [traduction] « En tant que concepteur d’un châssis de motoneige pour adultes, je ne chercherais pas à m’inspirer de la mini-motoneige SnoScoot, car il s’agit d’une petite motoneige conçue pour les enfants jusqu’à 12 ans » (P‑121, au paragraphe 64). [traduction] « Si la motoneige à améliorer au moyen des brevets du REV correspond à la motoneige à utiliser sur des sentiers et sur des bosses à vitesse élevée, alors il n’y avait rien à apprendre de la SnoScoot » (P‑121, au paragraphe 65).

[520]  En outre, la SnoScoot, comme le brevet 503, ne montre pas un tunnel. Une structure ouverte pour soutenir le siège ne devient pas un tunnel parce que le tunnel des brevets du REV soutient également un siège. Dans le cas de la SnoScoot, elle protège le conducteur de la neige au moyen d’une espèce de protège-galets en plastique, ce qui n’ajouterait aucune rigidité à la structure, alors que les brevets du REV exigent tous un châssis comprenant un tunnel. Le siège de la SnoScoot repose sur une structure composée de tubes, une structure ouverte qui n’empêche pas la neige de la chenille d’atteindre le conducteur.

[521]  L’argument d’AC en ce qui concerne l’antériorité est que, si les mesures obtenues au moyen de la méthode de M. Grewal ont une certaine force probante, il y a à tout le moins une motoneige de l’art antérieur qui antériorise toutes les revendications avancées. Cependant, j’ai conclu que la preuve ne s’élève jamais au niveau de la prépondérance des probabilités. D’abord et avant tout, les mesures de M. Grewal ne peuvent pas être utilisées à la lumière de la position dans laquelle on lui a demandé de placer le DAE pour prendre les mesures. La position extrêmement avancée ne saurait satisfaire aux exigences des brevets du REV. Elle ne tente même pas de tenir compte de la position biomécaniquement neutre (ou du conducteur standard dans une position standard). Il s’agit d’une lacune fatale. Le recours à une compréhension que la conduite d’une motoneige est un sport dynamique pour adopter différentes positions de conduite était également mal avisé; cela pourrait avoir contribué à la mauvaise compréhension de la position de conduite enseignée par les brevets en litige. En conséquence, les mesures utilisées par AC ne peuvent avoir aucune force probante et ne permettent pas de conclure à l’antériorité, qui doit reposer sur la prépondérance des probabilités. La preuve n’était ni claire ni convaincante. Elle était absente.

C.  Le droit relatif à l’évidence

[522]  C’est l’article 28.3 de la Loi sur les brevets qui stipule qu’une invention ne doit pas être évidente à la date de la revendication :

28.3 L’objet que définit la revendication d’une demande de brevet ne doit pas, à la date de la revendication, être évident pour une personne versée dans l’art ou la science dont relève l’objet, eu égard à toute communication :

28.3 The subject-matter defined by a claim in an application for a patent in Canada must be subject-matter that would not have been obvious on the claim date to a person skilled in the art or science to which it pertains, having regard to

a) qui a été faite, plus d’un an avant la date de dépôt de la demande, par le demandeur ou un tiers ayant obtenu de lui l’information à cet égard de façon directe ou autrement, de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs;

(a) information disclosed more than one year before the filing date by the applicant, or by a person who obtained knowledge, directly or indirectly, from the applicant in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere; and

b) qui a été faite par toute autre personne avant la date de la revendication de manière telle qu’elle est devenue accessible au public au Canada ou ailleurs.

(b) information disclosed before the claim date by a person not mentioned in paragraph (a) in such a manner that the information became available to the public in Canada or elsewhere.

L’évidence doit être appréciée au moyen de l’expertise de la personne versée dans l’art. La Cour examinera bien sûr l’invention telle qu’elle est revendiquée.

[523]  Comme dans le cas de l’antériorité, le fardeau incombe à la partie qui formule des allégations d’évidence et cette partie doit convaincre la Cour selon la prépondérance des probabilités. Alors que l’anticipation est liée à une absence du caractère de la nouveauté, l’évidence porte sur l’absence d’inventivité. Il s’agit d’une question de fait qui est examinée de manière indépendante pour chaque revendication.

[524]  C’est dans l’arrêt Sanofi que la Cour suprême, citant une affaire anglaise, a élaboré une approche en quatre étapes afin d’amener une meilleure structure à l’examen relatif à l’évidence. Cela vise également à assurer une plus grande objectivité et une plus grande clarté. Le passage est cité dans la plupart des décisions portant sur les brevets où l’évidence est alléguée. Il est reproduit ici par souci de commodité :

[67]  […]

[traduction]

Par conséquent, je reformulerais comme suit la démarche préconisée dans l’arrêt Windsurfing :

(1)   a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

(2)  Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

(3)  Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation

(4)  Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelque inventivité? [Je souligne.]

[525]  La Cour peut avoir recours à des facteurs secondaires pour déterminer si l’invention est évidente. Le passage suivant, tiré de Jay-Lor International Inc. c Penta Farm Systems Ltd., 2007 CF 358, 59 CPR (4th) 228, semble constitué un bon exposé de l’état de notre droit :

[91]  Enfin, j’aimerais traiter des facteurs reliés à l’évidence. Un certain nombre ont été exposés par le juge Décary dans l’arrêt Diversified Products Corp. c Tye-Sil Corp. (1991) 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.). Dans la décision Wessel c Energy Rentals Inc., 2004 CF 791, 253 F.T.R. 279, [2004] A.C.F. no 952 au paragraphe 22 (C.F.) (QL), la Cour a présenté un certain nombre de considérations pertinentes. Pour l’examen de la question de l’évidence et au vu des éléments de preuve dont je suis saisie en l’espèce, j’adopterais les facteurs suivants pour leur pertinence :

1.  L’invention était-elle nouvelle et supérieure à ce qui existait avant elle? Avant l’introduction sur le marché du mélangeur vertical de JAY-LOR, aucun mélangeur n’avait une vis sans fin comportant un sommet incliné. En outre, il est clair d’après la preuve que le sommet incliné aidait à prévenir le blocage des grosses balles de foin.

2.  Depuis son introduction sur le marché, l’invention a-t-elle eu un usage large et a-t-elle été préférée aux autres dispositifs? Dès son introduction sur le marché de l’invention, les ventes des mélangeurs verticaux de JAY-LOR ont augmenté énormément.

3.  Des concurrents ou des experts du domaine ont-ils déjà pensé à la combinaison? Je n’ai été saisie d’aucun élément de preuve établissant que la combinaison des éléments du mélangeur vertical de JAY-LOR ait déjà été envisagée. Ce facteur est traité en détail plus loin sous l’intitulé « L’antériorité ».

4.  La collectivité a-t-elle manifesté de l’étonnement à la première publication de l’invention? M. Carl Alexander, qui travaille pour un distributeur de matériel agricole en Alabama, a parlé de ses premières impressions à l’égard de l’invention brevetée. Dans son témoignage, M. Alexander a décrit sa réaction initiale à la nouvelle conception du mélangeur en ces termes : [traduction] « Je ne pensais pas que cela fonctionnerait ». Une fois convaincu que la conception fonctionnerait, M. Alexander a utilisé la caractéristique de la vis sans fin à sommet incliné comme argument de vente. S’il n’est pas ici question d’un étonnement, mettons, à l’échelle de celui de l’invention de la pénicilline, il indique certainement que l’invention a surpris le milieu des acheteurs de mélangeur vertical et qu’elle a été appréciée par lui.

5.  L’invention a-t-elle connu un succès commercial? Le succès de l’invention peut être évalué concrètement par la hausse des ventes de mélangeurs verticaux de JAY-LOR après leur entrée sur le marché.

6.  Y a-t-il eu des imitations de l’invention depuis son introduction sur le marché? Selon la preuve, d’autres fabricants de mélangeurs verticaux ont repensé la conception de leurs produits de manière à intégrer à la vis sans fin un sommet incliné. D’après le témoignage de M. Tamminga, deux des concurrents de JAY-LOR – Lucknow et Patz – ont commencé à commercialiser des mélangeurs à sommets inclinés. Après avoir été informés du brevet de JAY-LOR, les deux ont modifié leur conception. Un autre fabricant, Kuhn Knight, a d’abord adopté le sommet incliné, mais il a maintenant mis au point et breveté une vis sans fin excentrée pour obtenir la même fonctionnalité.

7.  L’inventeur est -il arrivé facilement à l’invention? M. Tamminga a témoigné qu’il a travaillé sur le problème pendant presque deux ans, qu’il a fait l’essai d’un certain nombre de modèles avant de tomber accidentellement sur la solution du sommet incliné à la tige de la vis sans fin. Il a développé un certain nombre de prototypes de la nouvelle version du mélangeur vertical.

[92]  En résumé, le mélangeur vertical de JAY-LOR est une invention qui n’a pas été le fruit de l’intuition, dont le développement a exigé beaucoup de temps et d’effort, qui a obtenu un succès commercial immédiat et qui a été copiée par des concurrents. Si on additionne ces facteurs, leur effet est « tout simplement irrésistible » (Beloit, précité, à la page 296); le brevet était inventif et n’était pas évident. Pour reprendre une formulation qui fait écho à celle du juge Hugessen dans l’arrêt Beloit, précité, la créature mythique (monsieur-tout-le-monde du domaine des brevets), compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes à la date revendiquée pour l’invention, ne serait pas directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. L’allégation d’évidence est rejetée et le brevet 092 n’est pas invalide pour cause d’évidence.

[526]  La personne versée dans l’art n’est pas l’inventeur. Il s’agit d’un bon technicien, mais sans l’inventivité ou l’imagination qui lui permettra de parvenir directement et sans difficulté à l’invention :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s’agit pas de se demander ce que les inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l’évidence de l’invention est le technicien versé dans son art, mais qui ne possède aucune étincelle d’esprit inventif ou d’imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d’intuition; un triomphe de l’hémisphère gauche sur le droit. Il s’agit de se demander si, compte tenu de l’état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l’invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur Tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C’est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

(Beloit, à la page 294.)

D.  Évidence : application aux faits

[527]  À mon avis, l’évidence n’a pas été démontrée selon la prépondérance des probabilités.

[528]  Selon ma compréhension, l’argument d’AC repose largement sur la détermination du concept inventif. Il s’agit de l’essence de l’invention. L’argument sur l’évidence était moins que complet, à la fois dans le mémoire d’AC et lors de sa plaidoirie. Il semble se résumer à deux choses :

a)  Si le concept inventif concerne le nouveau positionnement du conducteur et la nouvelle conception de la motoneige, AC se plaint qu’ils ne sont ni décrits ni revendiqués clairement. Il s’ensuit, selon l’argument, que le concept inventif ne peut pas être déterminé.

  • b) Si le concept inventif correspond à celui présenté par M. Breen, il n’y aurait rien d’inventif.

Aucune de ces propositions n’est convaincante pour ce qui est d’établir l’évidence. Cependant, cet argument peut indiquer la vraie lacune des brevets en litige, car le premier argument semble se confondre avec les arguments portant sur la qualité de la divulgation.

[529]  Je commence par le deuxième argument. AC a proposé, comme présentation du concept inventif par M. Breen, ce qui suit au paragraphe 1019 de son mémoire sur la validité :

[traduction]

1019.  M. Breen soutient que le concept inventif des brevets sur le positionnement du conducteur peut être décrit ainsi :

a)  Brevet 106 – un centre de gravité du système (conducteur et motoneige) qui se rapproche du centre de gravité de la motoneige.

b)  Brevet 813 – la relation entre la position de siège, la position de direction et la position de repose-pieds, où Alpha (l’angle à la position de siège) est plus grand que Beta (l’angle à la position de repose-pieds), qui est plus grand que l’angle Gamma (à la position de direction). Selon M. Breen, l’angle Gamma était le plus grand dans la configuration classique.

c)  Brevet 964 – Une position de conducteur active, les hanches du conducteur au-dessus de ses genoux et les chevilles derrière ses genoux.

[530]  Cette qualification a permis à AC de faire valoir qu’il n’y a donc rien d’inventif dans les trois brevets du REV. La relation triangulaire était connue. La relation angulaire était connue (dans la Hetteen et la SnoScoot). L’idée de centraliser la masse était connue. L’importance des centres de gravité était connue.

[531]  Le problème avec cet argument est qu’il interprète mal le concept présenté par M. Breen. Au lieu d’utiliser la définition du concept inventif présenté par l’expert Kevin Breen, pour le compte de BRP, l’argument sur l’évidence se limite aux angles et aux mesures. En conséquence, M. Breen a écrit au paragraphe 277 de la pièce P‑114 ce qui, selon lui, a été divulgué et revendiqué :

[traduction]

[277]  À mon avis, les brevets 106, 813 et 964 divulguent chacun un concept inventif :

a)  Le brevet 106 divulgue et revendique une configuration de motoneige particulière dans laquelle le centre de gravité du conducteur standard est plus près du centre de gravité de la motoneige, comparativement aux motoneiges classiques (voir le paragraphe [28] de mon premier rapport).

b)  Le brevet 813 divulgue et revendique une configuration de motoneige particulière, dans laquelle une position de direction, une position de repose-pieds et une position de siège définissent un triangle ayant des plages d’angles précises. Ce brevet renvoie expressément aux angles géométriques et au triangle entre les différentes composantes de la motoneige et le conducteur. (Voir le paragraphe [34] de mon premier rapport).

c)  Le brevet 964 divulgue et revendique une configuration de motoneige particulière dans laquelle les hanches, les genoux et les chevilles du conducteur sont placés différemment les uns par rapport aux autres comparativement à une motoneige classique (voir le paragraphe [43] de mon premier rapport).

[Non souligné dans l’original.]

[532]  Comme il est plutôt évident, le concept de configuration est éliminé du paragraphe 277 de la pièce P‑114 dans la qualification du concept inventif de M. Breen par AC. D’après la modification apportée au concept inventif, AC fait valoir que la centralisation des masses et les différents angles et les différentes mesures auraient été connus. Il n’y avait aucune invention dans l’avancement de l’art. AC s’est manifestement appuyée sur le contre-interrogatoire de M. Breen au cours duquel on lui a posé des questions à plusieurs reprises à propos de son concept inventif, à savoir le changement relatif au centre de gravité, la relation triangulaire entre la position de direction, la position de siège et la position de repose-pieds, et la position de conduite plus agressive (chevilles, genoux et hanches). Je n’ai pas interprété alors, et je ne l’interprète pas maintenant, que, ce faisant, M. Breen abandonnait la position fondamentale selon laquelle le concept inventif correspondait à la nouvelle configuration d’une motoneige qui serait exemplifiée par la centralisation des masses, la relation entre ces positions (siège, direction, repose-pieds) et la position des chevilles, genoux et hanches. Il « allait droit au but », tout simplement, pendant le contre-interrogatoire, utilisant le raccourci présenté par l’avocat, la nouvelle configuration d’une motoneige pour chaque invention correspondant à une fonction de l’un des trois ensembles de relations (centres de gravité pour la centralisation des masses, la relation entre les différentes positions, et la position des chevilles, des genoux et des hanches). AC a choisi de s’appuyer sur ses questions principales en contre-interrogatoire pour faire valoir que, d’une certaine façon, M. Breen était revenu sur les propos écrits pour exclure de sa définition de « concept inventif » des trois brevets, ce qui est au centre des trois inventions : [traduction] « [l]a présente invention concerne la conception générale et la construction d’une motoneige » (première phrase sous l’intitulé Field of the Invention (Domaine de l’invention) dans les trois brevets). À mon avis, M. Breen n’a pas, en contre-interrogatoire, abandonné le fondement même des brevets en litige. BRP et M. Breen ont insisté pendant toute la durée des procédures sur le fait que l’invention est une motoneige, une motoneige reconfigurée. Il ne s’agit pas d’un ensemble de mesures. Le contre-interrogatoire n’a rien changé.

[533]  AC s’appuyait également sur les mesures prises par M. Grewal pour étayer de façon générale son argument relatif à l’évidence. Cependant, comme je l’ai déjà conclu, ces mesures n’offrent aucune aide compte tenu du choix fait pour mesurer un DAE dans une position ne pouvant pas être biomécaniquement neutre ou celle d’un conducteur standard dans une position standard.

[534]  À mon sens, il ne peut y avoir aucun doute que les trois inventions portent sur la nouvelle configuration d’une motoneige. Il est préférable de se demander si les trois brevets divulguent l’invention et ce qui est nécessaire afin de mettre en œuvre l’invention, de mettre en pratique l’invention en ayant qu’à lire le brevet. Cela fera l’objet d’une section distincte dans les présents motifs du jugement.

[535]  BRP a raison sur le fait que la démonstration d’AC ne parvient pas à montrer que chaque revendication en question a été mise à l’essai de manière indépendante. Néanmoins, l’argument d’AC est en fait qu’il est plus ou moins évident que l’invention ne correspond à rien de nouveau compte tenu de l’art antérieur.

[536]  L’invention en l’espèce est une nouvelle configuration d’une motoneige, sa nouvelle conception et sa construction. On ne conteste pas que la Blade et la Trail Cat sont des motoneiges. Il s’agit plutôt du fait que la preuve montre qu’elles sont dans une position classique de l’art antérieur. J’aurais tiré la même conclusion à propos de la Twin Track, la Hetteen et la T/S : il est impossible de laisser entendre avec succès qu’elles auraient pu même être une inspiration pour les trois brevets en litige (voir la pièce K du rapport de M. Grewal, pièce D‑121, qui présente des vues latérales des six véhicules de l’art antérieur). De toute façon, la T/S et la Twin Track sont conçues pour des circuits de course sur glace en ovale, qui se sont révélées être très différentes des motoneiges envisagées par les brevets du REV. La Hetteen a été décrite par M. Breen comme n’étant pas une motoneige plutôt qu’une [traduction] « bicyclette des neiges » (P‑114, au paragraphe 284). Cela en fait quelque chose de plutôt unique; elle ne se rapproche pas du tout de la motoneige des brevets du REV. À mon avis, l’écart est très grand entre la Hetteen, l’autre art antérieur et le REV. Le quatrième élément du critère de l’évidence énoncé dans l’arrêt Sanofi exige que les différences entre l’art antérieur et l’invention correspondent à des étapes qui seraient évidentes pour la personne versée dans l’art ou qui n’exigeraient pas un certain degré d’invention. Aucune preuve d’une nature convaincante n’a été présentée par AC en ce sens.

[537]  La SnoScoot, le brevet 503 et brevet Honda sont tous de petits véhicules qui pourraient difficilement être une source d’inspiration pour la motoneige envisagée par l’invention. Il est inutile de discuter plus longuement du brevet Honda. Je retiens intégralement le commentaire formulé par M. Breen dans son rapport (P‑114) :

[traduction]

284b)  La motoneige divulguée dans le brevet Honda est une petite motoneige inclinée dont les considérations conceptuelles sont très différentes de celles alléguées dans les brevets du REV. Le brevet Honda ne constituerait pas une source d’inspiration pour une personne versée dans l’art souhaitant concevoir une « motoneige » concernant les brevets du REV;

Le brevet Honda (JP H8‑91228) concerne une machine comportant un ski qui, selon M. Breen, n’aurait pas été vendue sur le marché si elle avait été mise en pratique. Elle ne comporte aucun tunnel.

[538]  La Cour a déjà discuté dans une certaine mesure de la SnoScoot, qui a commercialisé le brevet Yamaha 503. Le brevet 503 ne s’est pas présenté comme une motoneige; en fait, il cherchait à se distinguer d’une motoneige. La construction de son châssis et de sa carrosserie est composée d’un cadre tubulaire ouvert. Il est censé être léger. M. Warner a laissé entendre que son poids pouvait être autour de 120 kg. En fait, son rapport (D‑107) renvoie à une pièce (DD) qui présente les dimensions de la SnoScoot, son poids étant plutôt estimé aux environs de 100 kg.

[539]  Le premier argument sur l’évidence est plus difficile à saisir. Il confond dans une certaine mesure l’évidence avec le caractère insuffisant des brevets, de sorte qu’il n’est pas possible de mettre en pratique l’invention. BRP a soulevé cette question. Il est conceptuellement difficile de comprendre en quoi l’absence de renseignements pour mettre l’invention en pratique peut être liée à l’évidence. Si l’évidence est caractérisée par le technicien versé dans l’art qui se tient à la fine pointe, étant ainsi en mesure de parvenir directement et sans difficulté à ce qui est revendiqué dans un brevet, comment le fait de ne pas être en mesure de réaliser l’invention équivaut-il à l’évidence? À mon avis, il est préférable de laisser l’affaire à l’absence d’une divulgation adéquate.

[540]  Un examen des facteurs secondaires favoriserait également BRP. Il ne fait aucun doute pour la Cour que le REV montre 1) une supériorité par rapport à la configuration traditionnelle; 2) qu’il a été largement utilisé; 3) que la réaction dans les médias spécialisés, comme il a été démontré plus tôt, a été catégoriquement positive; 4) que la concurrence l’a remarqué. La preuve est accablante. Les facteurs secondaires corroborent fortement qu’une nouveauté avait fait une apparition sur le marché.

[541]  Comme on peut le voir, les éléments de preuve selon lesquels BRP a créé une nouvelle configuration pour les motoneiges sont solides. Cependant, BRP a choisi de faire valoir son point de vue en tentant de montrer que les angles et les distances liés à la centralisation des masses, les positions de siège, de direction et de repose-pieds, ainsi que le positionnement des chevilles, des genoux et des hanches suffisaient à établir la contrefaçon des brevets, chacun d’eux correspondant à une configuration d’une nouvelle motoneige. BRP a à peine abordé la question de savoir si ces brevets peuvent être mis en pratique dans la plaidoirie finale et dans son mémoire des faits et du droit. Cela marque un contraste total par rapport à ce qui a été plaidé dès le début par AC. AC a accordé une grande importance à l’impossibilité de passer des brevets à la nouvelle configuration. Comme l’a indiqué M. Warner dans son rapport D‑107 au paragraphe 125, [traduction] « la seule modification structurelle abordée dans le brevet 106 (même si elle n’est pas revendiquée) est le déplacement du dispositif de direction 132 plus vers l’avant ». La question est donc de savoir si, en termes généraux, les inventions peuvent être mises en pratique.

E.  Divulgation adéquate : caractère indéfini et insuffisant

[542]  Contrairement à BRP, qui a relégué le caractère adéquat de la divulgation à une espèce de réflexion après coup à trancher à la fin, AC a commencé par la qualité de la divulgation. En effet, AC a eu recours à différents moyens pour se plaindre du caractère obscur des brevets en litige. Tout au long de l’affaire, AC a soulevé la question de la difficulté posée par les trois brevets en ce qui a trait à la définition d’une invention, à l’ambiguïté de la divulgation et à son caractère insuffisant. À quel point une nouvelle configuration, comparativement aux configurations des motoneiges classiques, est-elle créée par la soi-disant invention où l’on présente des plages de mesures? À quel point l’ancienne configuration, qui devrait être le point de référence, est-elle définie ou décrite pour comprendre à quel point une nouvelle configuration constitue un écart par rapport à la norme? Que montrent en réalité ces mesures? La Cour a interprété cela comme l’argument principal à la lumière de l’importance accordée à cette question.

[543]  AC ramène la Cour aux éléments fondamentaux du régime des brevets. Cela nous ramène au marché original, tel qu’il est formulé de nouveau dans l’arrêt Teva Canada Ltd. c Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, [2012] 3 RCS 625 [Teva], aux paragraphes 32 et 33 :

[32] Le régime des brevets a pour assise un « marché » de nature synallagmatique (quid pro quo) où l’inventeur obtient, pour une période déterminée, un monopole sur une invention nouvelle et utile en contrepartie de la divulgation de l’invention de façon à en faire bénéficier la société. Tel est le principe fondamental qui sous-tend la Loi. Ce marché favorise l’innovation et promeut l’essor scientifique et technique. Dans AZT, le juge Binnie précise ainsi la nature de ce marché au par. 37 :

Comme on l’a dit à maintes reprises, le brevet n’est pas une distinction ou une récompense civique accordée pour l’ingéniosité. C’est un moyen d’encourager les gens à rendre publiques les solutions ingénieuses apportées à des problèmes concrets, en promettant de leur accorder un monopole limité d’une durée limitée. La divulgation est le prix à payer pour obtenir le précieux droit de propriété exclusif qui est une pure création de la Loi sur les brevets.

[33]  Dans l’arrêt Tubes, Ld. c Perfecta Seamless Steel Tube Company., Ld. (1902), 20 R.P.C. 77, p. 95-96, lord Halsbury décrit comme suit la fonction du mémoire descriptif dans le cadre de ce marché :

[traduction]

[…] s’il faut considérer les principes de base et trouver quel est le sens d’un mémoire descriptif […] pourquoi le mémoire descriptif est-il nécessaire? C’est un marché entre l’État et l’inventeur : l’État dit : « Si vous me dites en quoi consiste votre invention et si vous consentez à divulguer cette invention dans la forme et de la manière qui permettront au public d’en profiter, vous aurez le monopole de cette invention pendant quatorze ans. » C’est là le marché. La portée que, d’après mon interprétation du droit sur les brevets, on a toujours attachée à l’objet et au but du mémoire descriptif, est de permettre non pas à n’importe qui, mais à l’homme du métier raisonnablement bien renseigné œuvrant dans son domaine de fabriquer la chose de façon à la rendre disponible au public à la fin de la période de monopole. [Non souligné dans l’original.]

Le juge Dickson (plus tard Juge en chef) cite ce passage en l’approuvant dans Consolboard, p. 523.

[Souligné dans l’original.]

En résumé, la « notion de divulgation suffisante constitue le pivot de ce régime », comme l’a observé la Cour au paragraphe 31.

[544]  La Loi sur les brevets prévoit ce qui doit figurer dans le mémoire descriptif d’une invention :

27 (3) Le mémoire descriptif doit :

27 (3) The specification of an invention must

a) décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

(a) correctly and fully describe the invention and its operation or use as contemplated by the inventor;

b) exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

(b) set out clearly the various steps in a process, or the method of constructing, making, compounding or using a machine, manufacture or composition of matter, in such full, clear, concise and exact terms as to enable any person skilled in the art or science to which it pertains, or with which it is most closely connected, to make, construct, compound or use it;

c) s’il s’agit d’une machine, en expliquer clairement le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

(c) in the case of a machine, explain the principle of the machine and the best mode in which the inventor has contemplated the application of that principle; and

d) s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention en cause d’autres inventions

(d) in the case of a process, explain the necessary sequence, if any, of the various steps, so as to distinguish the invention from other inventions.

[Non souligné dans l’original.]

Le paragraphe 27(4) dispose que les revendications définissent la portée du monopole :

27 (4) Le mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif.

27 (4) The specification must end with a claim or claims defining distinctly and in explicit terms the subject-matter of the invention for which an exclusive privilege or property is claimed.

Il ne faut pas les confondre. Comme il est réitéré au paragraphe 55 de l’arrêt Teva, « ce que commande la Loi, c’est l’examen du mémoire descriptif dans son ensemble pour déterminer s’il y a divulgation suffisante de l’invention ».

[545]  La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred c Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 RCS 1623 [Pioneer Hi-Bred], aurait pu difficilement être plus claire à propos de la nécessité d’une divulgation complète :

Au Canada, l’octroi d’un brevet s’entend d’un genre de contrat entre l’État et l’inventeur par lequel ce dernier reçoit le droit exclusif d’exploiter pendant une certaine durée son invention en échange de la divulgation intégrale de son invention et du mode d’opération de celle-ci au public. (à la p. 1636)

[Non souligné dans l’original.]

[546]  La divulgation servira au moins deux fins. Les compétiteurs connaîtront les limites du brevet et sauront donc « quelle est leur marge de manœuvre lorsqu’ils travaillent dans un domaine analogue à celui du breveté » (Pioneer Hi-Bred, p. 1637). En outre, la divulgation déterminera les étapes suivies et établira une distinction entre ce qui est théorique et l’invention qui exige une activité humaine.

[547]  Les principes sont bien décrits à la page 1638 de l’arrêt Pioneer Hi-Bred :

En résumé, la Loi sur les brevets exige du demandeur qu’il présente un mémoire descriptif comprenant la divulgation et les revendications (Consolboard Inc., précité, à la p. 520). Les tribunaux canadiens ont énoncé dans un certain nombre de cas le critère à appliquer pour déterminer si la divulgation est complète. [L]e demandeur doit divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l’invention. Afin d’être complète, celle-ci doit remplir deux conditions : l’invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire définie (le président Thorson dans Minerals Separation North American Corp. v. Noranda Mines Ltd., [1947] R.C. de l’É. 306, à la p. 316). Le demandeur doit définir la nature de l’invention et décrire la façon de la mettre en opération. Un manquement à la première condition invalide la demande parce qu’ambiguë alors qu’un manquement à la seconde l’invalide parce que non suffisamment décrite. Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation (le juge Pigeon dans Burton Parsons Chemicals Inc. c Hewlett-Packard (Canada) Ltd., [1976] 1 RCS 555, à la p. 563; Monsanto Co. c Commissaire des brevets, [1979] 2 RCS 1108, à la p. 1113), et d’utiliser l’invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l’inventeur, au moment de sa demande (Minerals Separation, précité, à la p. 316).

[Non souligné dans l’original.]

[548]  L’arrêt Teva (aussi connu comme la « décision relative au Viagra ») constitue une autre élaboration de ce qui est requis pour qu’une divulgation satisfasse à la loi. Les revendications et la divulgation seront mises à contribution. Le défaut de décrire la façon de réaliser une invention entraînera une invalidation pour cause d’insuffisance. Pour réaliser une invention avec la seule aide du brevet, la Cour dans l’arrêt Teva corrige ce qu’elle considère comme une mauvaise interprétation de l’arrêt Consolboard lorsqu’on affirme qu’il suffit simplement d’une réponse à deux questions : « En quoi consiste votre invention? » et « Comment fonctionne-t-elle? ». La Cour insiste sur la qualité de la description dans la réponse aux deux questions. Selon les mots employés par le juge Dickson dans l’arrêt Consolboard, elle droit être « exacte et complète », citant avec approbation l’arrêt Minerals Separation North American Corp. v Noranda Mines Ltd., [1947] R.C. de l’É. 306, « de sorte que » […] :

[traduction]

[…] une fois la période de monopole terminée, le public puisse, en n’ayant que le mémoire descriptif, utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur, à l’époque de la demande.

[Non souligné dans l’original.]

[549]  En fait, la Cour dans l’arrêt Teva applique un critère rigoureux au mémoire descriptif :

[74]  Le public ne pouvait, à partir de sa divulgation dans le mémoire descriptif, « utiliser l’invention avec le même succès que l’inventeur, à l’époque de la demande », car même si un lecteur versé dans l’art avait pu déduire que le composé efficace correspondait aux revendications 6 et 7, il lui aurait fallu effectuer d’autres essais pour déterminer lequel des deux était véritablement indiqué pour le traitement de la DÉ. Comme l’écrit le juge de première instance au par. 146 : » [l]e lecteur versé dans l’art procéderait ensuite à des [essais] sur ces deux composés pour déterminer lequel fonctionne ». Il constate auparavant, au par. 135, que la description : » oblige le lecteur versé dans l’art à entreprendre un projet de recherche mineur pour déterminer quelle revendication constitue la véritable invention ».

[550]  Le fait que Teva ait été en mesure d’utiliser l’invention ne change rien à l’exigence selon laquelle le mémoire descriptif doit être d’une qualité telle, tout en étant exact et complet, qu’il permet à la personne versée dans l’art de mettre l’invention en pratique :

[75]  Pfizer a fait valoir en Cour d’appel que Teva est parvenue à la même utilisation de l’invention, alors qu’elle ne disposait que du mémoire descriptif, puisqu’elle a déposé auprès du ministre de la Santé une présentation dont l’objet était un médicament contenant du sildénafil (C.A.F., par. 48). Il demeure toutefois qu’« un projet de recherche mineur » s’imposait à tout le moins pour déterminer si, dans le mémoire descriptif, le bon composé était celui de la revendication 6 ou 7. Le fait que Teva a entrepris la recherche requise n’a pas d’incidence sur l’obligation de Pfizer de divulguer l’invention de manière complète. Il faut surtout se demander si le lecteur versé dans l’art est en mesure de mettre l’invention en pratique à partir du seul mémoire descriptif. De toute évidence, le juge de première instance conclut que le lecteur versé dans l’art doit se livrer à un minimum de recherche pour savoir quelle est la véritable invention.

[Non souligné dans l’original.]

Le fait de laisser le lecteur se lancer dans des suppositions, c’est-à-dire en lui disant essentiellement « débrouille-toi », entraîne le risque important de rendre le brevet invalide. Une méthode de rédaction qui n’établit pas clairement l’invention rendra le brevet invalide (au paragraphe 76, Teva). La Cour cite Perry Currier (Canadian Patent Law, LexisNexis, 2012), au § 8.55 :

[78]  […] et affirment au §8.55 :

[traduction]

[…] une invention présentant le caractère de la nouveauté, de l’inventivité et de l’utilité ne jouit pas de la protection d’un brevet lorsque le mémoire descriptif est insuffisant ou ambigu. L’exposé doit expliquer la nature de l’invention, faute de quoi le mémoire descriptif est ambigu, et il doit préciser la manière dont l’invention peut être mise en application, faute de quoi le mémoire descriptif est insuffisant. Dans l’un ou l’autre cas, le brevet est invalide.

[Souligné dans l’original.]

Vaver l’a formulé de cette façon :

[traduction]

Si une personne versée dans l’art peut arriver aux mêmes résultats uniquement par la chance ou par d’autres longues expériences, la divulgation est insuffisante et le brevet est nul. […]

Ultimement, la divulgation doit être juste, honnête, ouverte et suffisante. Le caractère suffisant de la divulgation, comprenant toutes les modifications valides qui y sont apportées, est jugé à la date de revendication du brevet. Les inventeurs n’ont pas à se tenir informés de leur domaine après le dépôt de leur demande : cela est indiqué clairement par une disposition qui permet d’apporter uniquement les modifications à un mémoire descriptif pouvant raisonnablement être inférées à partir de la divulgation originale. Les titulaires de brevets ne peuvent donc pas être tenus responsables des lacunes des connaissances acquises ou des développements qui surviennent après la date de la revendication.

La divulgation doit donner aux lecteurs versés dans l’art suffisamment de renseignements pour qu’ils adoptent l’invention lorsque le brevet expire, et pour qu’ils tentent de l’améliorer ou de l’expérimenter entre-temps. Le titulaire de brevet qui établit un casse-tête ou qui retient des secrets essentiels invalide le brevet dans son intégralité. La divulgation est tout aussi insuffisante si les directives ou les dessins sur le fonctionnement de l’invention sont erronés ou si une personne versée dans l’art ne peut ni les utiliser ni utiliser ses compétences générales pour reproduire l’invention.

(Page 342)

[Non souligné dans l’original.]

[551]  L’obscurité est mal vue. La divulgation est importante. Elle est essentielle. Comme la Cour l’a réitéré dans l’arrêt Teva, les titulaires de brevets ne devraient pas être autorisés à jouer à un jeu :

[80]  [...], toutefois, il y a atteinte au droit du public à une divulgation suffisante, car deux composés individuels sont revendiqués en dernier lieu, ce qui brouille l’identité véritable de l’invention. La divulgation ne précise pas en termes clairs quelle est l’invention. Pfizer obtient l’avantage prévu par la Loi — le monopole — sans s’acquitter de l’obligation de divulgation que lui impose la Loi. On ne saurait ni au plan des principes ni sous l’angle de la juste interprétation des lois permettre au breveté de se « jouer » ainsi du régime légal. Là réside à mon sens la question fondamentale que soulève le présent pourvoi, et celle-ci doit être tranchée au détriment de Pfizer.

[Non souligné dans l’original.]

La Cour suprême a conclu qu’en principe, il y a un prix à payer à autoriser l’imprécision d’un brevet qui devient une nuisance publique :

Le régime de concession de brevets vise à favoriser la recherche et le développement et à encourager l’activité économique en général. La réalisation de ces objectifs est cependant compromise lorsqu’un concurrent craint de marcher dans les plates-bandes du titulaire d’un brevet dont la portée n’est pas raisonnablement précise et certaine. Le brevet dont la portée est incertaine devient [traduction] « une nuisance publique » (R.C.A. Photophone, Ld. c Gaumont-British Picture Corp. (1936), 53 R.P.C. 167 (C.A. Angl.), à la p. 195). Les concurrents éventuels sont dissuadés d’œuvrer dans des domaines qui, en fait, échappent à la portée du brevet même lorsque, à l’issue d’une longue et coûteuse instance (les frais de justice en la matière pouvant effectivement être très élevés, et la procédure très longue), un tribunal pourrait confirmer que ce qu’un concurrent projette de faire est parfaitement licite. Les sommes qui auraient pu être investies sont perdues ou affectées à autre chose. La concurrence est « gelée ». Le breveté jouit d’un monopole plus grand que celui que l’État a voulu lui accorder. L’incertitude se double d’un grave préjudice économique, et il convient que le droit des brevets s’efforce de réduire le plus possible ce préjudice.

(Free World Trust au paragraphe 42.)

[Non souligné dans l’original.]

[552]  Il y a plus de cent ans, les dangers d’une incertitude causée par l’ambiguïté ont été décrits avec justesse par la Chambre des lords :

[traduction]

Il semble qu’on risque d’assister à une atteinte au principe juridique bien connu interdisant l’ambiguïté. Certains de ceux qui rédigent les projets de mémoire descriptif et de revendications ont tendance à considérer cette activité comme une épreuve d’habileté consistant à conférer une très vaste portée à la revendication selon une interprétation, pour protéger le breveté contre la concurrence du plus grand nombre de gens possible, pour ensuite invoquer des passages soigneusement rédigés du mémoire dans l’espoir qu’ils limitent juste assez la portée de la revendication pour en assurer la validité en cas de contestation devant les tribunaux. On assiste alors à des procès portant sur l’interprétation des mémoires descriptifs qu’on pourrait généralement éviter si, dès le départ, on avait essayé d’exprimer en termes simples ce qu’on voulait dire. La crainte d’un procès coûteux suffit à dissuader tout concurrent qui n’en a pas les moyens de contester le brevet. Et c’est regrettable. C’est un abus que le tribunal peut empêcher, que l’on reproche ou non au brevet son ambiguïté dans les actes de procédure, parce qu’on nuit au public en étendant à toutes fins utiles la portée du monopole, et ce, par des pressions qui sont très critiquables. Il incombe au breveté d’exposer clairement, soit par des mots explicites soit par un renvoi clair et net, la nature et les limites de ce qu’il revendique. S’il emploie des mots qui, selon une interprétation raisonnable, sont inutilement obscurs ou ambigus, le brevet est invalide, que cette lacune soit volontaire ou qu’elle soit attribuable à la négligence ou à la maladresse. [...]

Je ne vois pas quelle utilité il pouvait y avoir à recourir au libellé contourné employé en l’espèce, qui a suscité de telle subtilités de raisonnement et qui a pris autant de temps, à moins qu’on ait voulu garder en réserve une gamme d’interprétations en vue de s’en servir en cas de contestation du brevet pour effrayer dans l’intervalle ceux qui pourraient être tentés de contester le brevet.

Natural Colour Kinematograph Co. c Bioschemes Ltd., (1915) 32 RPC 256, à la page 266.

Il me semble que ces commentaires s’appliquent également au caractère suffisant de la divulgation. En fait, ils s’appliquent à la divulgation dans son intégralité.

[553]  AC a fait valoir que les plages générales revendiquées par les trois brevets posent des difficultés à la personne versée dans l’art, entraînant la nécessité de procéder à un grand nombre d’expérimentations afin de parvenir à une configuration qui atteint l’utilité promise d’une meilleure performance de la motoneige désormais reconfigurée. Même s’il est permis de rédiger des revendications en termes de résultats, on court le risque de contrevenir à la métaphore célèbre de l’« homme atteint de calvitie ». Tout ceci nous ramène au principe fondamental que le brevet doit enseigner la façon de parvenir au résultat, pour mettre l’invention en pratique sans avoir à entreprendre un projet de recherche mineur. Comme il est indiqué dans l’arrêt Free World Trust, ce qui compte dans le brevet, ce n’est pas tant le résultat souhaitable, mais plutôt la façon de parvenir au résultat :

32  [...] Je le répète, l’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir. La portée des revendications ne peut être extensible au point de permettre au breveté d’exercer un monopole sur tout moyen d’obtenir le résultat souhaité. Il n’est pas légitime, par exemple, de faire breveter un procédé permettant de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie et de prétendre ensuite que n’importe quel moyen d’obtenir ce résultat emporte la contrefaçon du brevet. […]

L’invention porte sur la conception et la construction d’une motoneige. Cependant, les brevets sont rédigés d’une telle façon que l’inventeur revendique que la nouvelle configuration fera en sorte que le conducteur de la motoneige sera assis dans une position qui aura certaines caractéristiques. Étant donné que le résultat de l’invention correspond à un certain nombre de mesures et d’angles, une fois que ces résultats figurent dans d’autres motoneiges, il est allégué qu’elles contrefont aux brevets. Cependant, AC fait valoir qu’on nous ramène à la métaphore de l’« homme atteint de calvitie » en ce sens que, en ayant une invention portant sur la conception et la construction d’une motoneige (la méthode permettant de faire repousser les cheveux d’un homme atteint de calvitie), soudainement n’importe quel moyen qui est visé par les mêmes mesures (n’importe quel moyen de faire repousser les cheveux) constitue une contrefaçon. Je partage ce point de vue.

[554]  Chose assez étonnante, BRP fait valoir peu d’arguments concernant ce qu’elle appelle [traduction] « d’autres motifs d’invalidité ». Les trois brevets ne revendiquent pas un résultat : chaque brevet revendique plutôt une configuration de motoneige en vue d’améliorer le confort du conducteur et le contrôle sur la motoneige. Le brevet 106, le brevet 813 et le brevet 964 revendiquent tous une configuration particulière, mais avec différentes caractéristiques concernant la façon dont le conducteur serait repositionné :

  • a) les positions de siège, de direction et de repose-pieds sont disposées de telle sorte que le centre de gravité du conducteur sera plus près du centre de gravité de la motoneige comparativement à la motoneige classique (brevet 106);

  • b) les mêmes positions définissent un triangle dont les plages d’angles font en sorte que le centre de gravité du conducteur est plus près du centre de gravité de la motoneige comparativement à la motoneige classique (brevet 813);

  • c) les hanches, les genoux et les chevilles du conducteur sont placés différemment les uns par rapport aux autres comparativement à une motoneige classique (brevet 964).

[555]  Si je comprends bien la position adoptée par BRP, ces mesures doivent suffire à mettre l’invention en pratique. Elles doivent montrer les limites des brevets, de sorte que la concurrence en est informée. Les brevets répondent aux questions « En quoi consiste votre invention? » et « Comment fonctionne-t-elle? ». La preuve qui est avancée par BRP est qu’AC, [traduction] « en tant que personne versée dans l’art, savait clairement pendant toute la période pertinente comment construire une motoneige en ce qui a trait à une position de direction, une position de siège et une position de repose-pieds » (mémoire des faits et du droit, paragraphes 807 et 809). Ce même argument est le seul qui a été présenté pendant la plaidoirie (transcriptions, le 16 avril 2015, aux pages 248 et 250). La personne versée dans l’art saura comment construire une motoneige. Il s’agissait également de la défense infructueuse présentée par Pfizer dans l’arrêt Teva (au paragraphe 75). Elle est tout aussi infructueuse en l’espèce.

[556]  En toute déférence, cet argument est très loin d’être suffisant compte tenu de l’argument d’AC. Le juge Roger Hughes l’a exprimé dans sa manière colorée habituelle dans Ratiopharm Inc. c Pfizer Limited, 2009 CF 711, 76 CPR (4th) 241 :

[155]  Dans une grande mesure, ces questions s’entrecroisent. Les avocats sont prompts à étiqueter les choses, à citer de courts passages de la loi et à restreindre les questions aux étiquettes et aux courts passages qu’ils ont choisis. Cela n’est pas nouveau; il y a deux siècles, on perdait sa cause si on ne la plaidait pas de la bonne manière (appropriation licite au lieu d’action en replevin, et ainsi de suite). En l’espèce, les faits élémentaires sont les suivants : Pfizer a mis au point son médicament à base d’amlodipine au moyen d’un procédé de préformulation comportant une étape courante appelée « processus de sélection des sels ». À la suite de ce processus de sélection des sels mené sur les quelque sept sels soumis à des essais, le bésylate a été sélectionné comme sel de prédilection. Il n’était pas clairement supérieur aux trois ou quatre autres qui ont été mis à l’essai, en particulier ceux du groupe des sulfonates (le bésylate, le mésylate, le napsylate et le tosylate), mais il a été choisi comme compromis raisonnable. Des cadres supérieurs ont pris la décision de demander la protection conférée par un brevet. Les inventeurs ont recommandé le bésylate, le tosylate et, peut-être, le mésylate à cette fin. Le service des brevets n’a retenu que le bésylate, a mêlé les données de certains essais avec celles d’autres essais, a inclus des données qu’on ne peut trouver nulle part ailleurs dans la preuve et a exclu des données favorables à d’autres sels, tout en utilisant des termes comme « unique », « exceptionnel » et « particulièrement adapté » pour parler du bésylate — des termes que les inventeurs n’ont jamais utilisés. Voici l’essence des faits en ce qui a trait à l’appréciation de la validité du brevet à partir de certains fondements juridiques.

[156]  Les tribunaux ont examiné dans plusieurs décisions les conditions auxquelles doit satisfaire la personne qui croit avoir réalisé une invention pour obtenir un brevet valide. Les critères suivants doivent être respectés :

1.  une invention doit avoir été réalisée, c’est-à-dire quelque chose qui n’aurait pas été évident pour une personne versée dans l’art (évidence et invention);

2.  l’invention doit être nouvelle. Si elle a déjà été divulguée de sorte qu’une personne versée dans l’art pourrait conclure que l’invention a déjà été divulguée, aucun brevet valide ne peut être accordé (nouveauté);

3.  l’invention, telle que promise dans le mémoire descriptif, doit correspondre à cette promesse. Elle doit avoir l’utilité promise (utilité);

4.  l’invention doit être totalement et correctement divulguée, telle que conçue par les inventeurs, de sorte qu’une personne versée dans l’art pourrait lire le brevet et mettre l’invention en pratique (divulgation);

5.  le mémoire descriptif ne doit pas induire en erreur une personne versée dans l’art (article 53).

Ces questions s’entrecroisent toujours. Le juge Michael Phelan a réitéré ce principe dans Sanofi-Aventis Canada Inc. c Ratiopharm Inc., 2010 CF 230, 82 CPR (4th) 414 :

[51]  Comme il a été dit précédemment, cette tentative de créer des compartiments étanches lorsque les arguments et la preuve se chevauchent en bonne partie porte à croire que la meilleure approche est celle fondée sur « l’uniformité du droit » que le juge Harrington adopte dans la décision Purdue Pharma c. Pharmascience Inc., 2009 CF 726.

[52]  Les arguments fondamentaux portent sur la question de savoir si l’invention en cause est une nouvelle invention relative à l’irbesartan et, dans l’affirmative, s’il est divulgué à son égard suffisamment de détails et de paramètres pour qu’elle soit valide.

[Non souligné dans l’original.]

En l’espèce, la question soulevée par AC est essentiellement la même. Elle s’est plainte de différentes façons que les brevets ne divulguaient pas une invention, que les mémoires descriptifs étaient trop ambigus et insuffisants pour comprendre les brevets et les mettre en pratique. Y a-t-il suffisamment de détails et de paramètres pour savoir en quoi consiste l’invention et pour la mettre en pratique? À mon avis, il ne peut y avoir qu’une seule réponse. Non.

[557]  Nous devrions commencer par l’évidence. La Loi sur les brevets prévoit les exigences du mémoire descriptif.

[558]  J’ai reproduit dans une certaine mesure la preuve concernant la difficulté éprouvée dans la construction des prototypes du REV (voir les paragraphes 129, 139, 146 et 161 des présents motifs), ainsi que la preuve portant sur la création de ce qui est finalement devenu les brevets 106 et 813. Enfin, j’ai décrit d’une manière assez détaillée le grand nombre de revendications avancées en l’espèce. En fin de compte, je ne puis accepter que quelque chose d’aussi complexe et sans directives fournisse suffisamment de détails et, plus important encore, de paramètres, pour être valide. Nous ne savons pas avec précision ce en quoi consiste l’invention revendiquée ou comment l’utiliser.

[559]  En outre, l’article 36 confirme que chaque brevet ne contient qu’une seule invention. En conséquence, nous ne devons pas examiner conjointement les trois brevets pour voir si, mis ensemble, ils fournissent des détails et des paramètres permettant de conclure que chacun d’eux est valide, car la collection des mémoires descriptifs permet à une personne versée dans l’art de réaliser ou de construire l’invention, ou de l’utiliser. Chacun des trois brevets est indépendant. Chacun d’eux doit divulguer suffisamment de renseignements pour réaliser la chose, l’invention.

[560]  À mon avis, les brevets en litige souffrent d’ambiguïté et d’insuffisance. Même si les brevets revendiquent une nouvelle motoneige bénéficiant d’une nouvelle construction, rien n’est dit à propos de la façon dont la nouvelle motoneige devrait faire l’objet d’une nouvelle conception et dont ses composantes devraient être organisées différemment dans la construction de celle-ci. En fait, on ne dit rien sur ce en quoi consiste la nouvelle configuration. La nature de l’invention est que, une fois la motoneige reconfigurée, le conducteur adopterait une nouvelle position. Cependant, les brevets ne précisent pas à quel point un changement constitue une nouvelle configuration. Rien n’indique quelles étaient les mesures d’une motoneige classique pour permettre à la personne versée dans l’art de voir la différence envisagée. Donc, en quoi consiste cette nouvelle construction d’une motoneige? Les brevets demeurent ambigus sur cette question. On peut dire la même chose à propos de la construction réelle de la motoneige malgré le fait que l’invention porte sur la construction d’une motoneige.

[561]  La prétention – et le seul argument – de BRP est que la divulgation doit avoir été suffisante, puisque AC a été en mesure de construire une motoneige qui contrevenait aux inventions. En toute déférence, cet argument n’est pas pertinent. Depuis l’arrêt Consolboard, le droit a été clair que seul le mémoire descriptif doit être utilisé pour mettre l’invention en pratique, sans l’aide d’un projet de recherche mineur. Le même genre d’argument a été expressément rejeté au paragraphe 75 de l’arrêt Teva.

[562]  En fait, il y a une preuve non contredite que les fabricants dans cette industrie ont pour pratique d’acquérir des produits de la concurrence pour vérifier comment ils sont construits. Parmi les nombreux éléments de preuve, il y a la déclaration de Kevin Breen, l’expert de BRP, pendant son contre-interrogatoire, à propos de la façon d’utiliser les brevets pour reconfigurer une motoneige traditionnelle en l’invention :

[traduction]

Avocat : La personne versée dans l’art pour aider – pour comprendre ce en quoi consiste l’invention en l’espèce, a besoin de démonter une motoneige si elle souhaitait utiliser un DAE pour déterminer à quel endroit le conducteur s’assied et dans quelle position?

M. Breen : En l’espèce, il s’agit d’un processus de conception plutôt normal. Vous achetez des produits de la concurrence, en quelque sorte, et vous les mettez au banc d’essais. Vous les démontez et vous découvrez comment ils sont construits et vous examinez votre conception. Cela se produit tous les jours dans l’industrie automobile.

(Transcriptions, le 24 mars 2015, aux pages 46 et 47.)

Des commentaires en ce sens ont été offerts par Brad Darling et par Troy Halvorson. Le simple fait qu’AC a été en mesure de construire une motoneige ayant une nouvelle configuration ne signifie pas qu’elle l’a fait uniquement en s’appuyant sur le mémoire descriptif. La preuve de M. Breen contredit une telle affirmation. C’est aussi une question de bon sens.

[563]  Selon le témoignage de M. Warner, il faudrait, si une telle possibilité existe, à la personne versée dans l’art des mois ou des années pour passer à travers toutes les étapes nécessaires pour comprendre l’invention uniquement au moyen du mémoire descriptif. M. Warner, dans son rapport (D‑107), souligne que la seule modification structurelle dans le brevet 106 est le déplacement vers l’avant de la position de direction, une modification qui n’est même pas revendiquée. Les composantes structurelles d’une motoneige sont énumérées dans les brevets, mais les brevets ne comportent aucune indication concernant la nouvelle conception structurelle : ce qui se passe avec le moteur, le réservoir d’essence, la chenille, le tunnel, entre autres. L’expert affirme que [traduction] « le brevet cherche à revendiquer uniquement le résultat de tout agencement proposé – c.-à-d. la position du conducteur » (D‑107, au paragraphe 128). Il affirme au paragraphe 129 [traduction] « [qu’]il n’y a aucune comparaison numérique dans le brevet 106 sur la position du conducteur sur la motoneige entre la position du conducteur sur la motoneige du brevet 106 et celle sur la motoneige “classique” ». Bien entendu, on peut en dire tout autant du brevet affilié 813 et du brevet 964 (au paragraphe 233). Étonnamment, à mon avis, la preuve importante n’est même pas contestée sérieusement par la demanderesse.

[564]  M. Breen semble avoir largement fait fi de la question dans son rapport sur l’invalidité (P‑114). Cependant, il a été contre-interrogé sur la façon dont la personne versée dans l’art, en utilisant exclusivement les brevets, serait en mesure de reconfigurer une motoneige (transcriptions, le 24 mars 2015, aux pages 44 à 51). Je n’ai pas été en mesure de trouver quoi que ce soit qui contredirait les affirmations de M. Warner à propos de l’expérimentation, nécessaire pour vérifier, d’après les brevets uniquement, la nouvelle invention qui [traduction] « concerne la conception générale et la construction d’une motoneige » (brevet 106, à la page 1, la ligne 1; brevet 813, à la page 1, la ligne 1; brevet 964, à la page 1, la ligne 1). Au lieu de cela, M. Breen a parlé d’un processus itératif (page 45).

[565]  J’ai aussi été quelque peu décontenancé par la preuve de l’avocat des brevets employé à l’époque par BRP. M. Cutler a expliqué minutieusement au procès comment les brevets 106 et 813 ont été établis.

[566]  En contre-interrogatoire, il a été établi que l’un des inventeurs, M. Bruno Girouard, qui aurait pris les mesures qui se sont retrouvées dans les brevets 106 et 813. Cependant, il semble que la prise de mesures n’a pas été supervisée et elle n’a très certainement pas été supervisée par l’agent des brevets. En réalité, on ne sait pas avec certitude de quelle façon les mesures ont été prises, car M. Girouard a témoigné que les seules traces de ces mesures qui sont, en fin de compte, si importantes sont celles qui figurent dans les brevets. Cet échange entre l’avocat d’AC et M. Cutler est révélateur :

[traduction]

Avocat : Et les chiffres qui sont indiqués dans ce document, s’agissait-il également de l’idée de M. Karceski?

M. Cutler : Non, ils ont été calculés par Bruno. On lui a donné des directives en vue de déterminer, en quelque sorte, la plage maximale, puis la plage privilégiée, et ce qui est mieux, et ce qui est mieux, et ce qui est mieux. Donc, la structure de rédaction du brevet provenait de nous, mais les chiffres réels n’étaient – n’étaient pas de nous, ils proviennent de Bruno.

Avocat : Et vous ne savez pas si ces chiffres proviennent des mesures réelles que M. Girouard a prises à partir de la motoneige?

M. Cutler : Non, vous devriez demander à Bruno comment il les a obtenus.

Avocat : D’accord. On vous a simplement remis des chiffres?

M. Cutler : C’est exact, oui.

Avocat : Comme vous avez mentionné que vous aviez rédigé, si je comprends bien, une demande de brevet et que vous aviez eu la discussion à propos de la norme et que vous avez cherché la norme, mais vous aviez une demande en main à ce moment, si j’ai bien compris votre témoignage.

M. Cutler : Nous avions une sorte de sommaire ou une ébauche que nous voulions présenter, car c’était un peu, vous savez, ce n’était pas comme faire un gâteau et le mettre au four, c’était plutôt comme si une personne venait toutes les semaines et, en quelque sorte, nous révisions, et chaque semaine cela devenait de plus en plus détaillé.

Avocat : Cependant, à ce moment-là, vous aviez une demande comprenant des chiffres, vous aviez des mesures différentes et vous alliez les inclure dans la demande de brevet?

M. Cutler : Pas avant d’avoir la norme, car Bruno avait besoin de la norme pour prendre les mesures – ou à tout le moins ses directives étaient de prendre les mesures à partir de la norme. Cependant, comme je l’ai dit, j’ignore ce qu’il a fait en réalité – je n’étais pas là lorsqu’il l’a fait, mais vous devriez lui demander ce qu’il a fait en réalité – à quel moment il a eu la norme et les directives et comment il a obtenu les chiffres.

(Transcriptions, le 17 février 2015, à la page 91 et 92.)

Le fait est le suivant. L’idée a été que les mesures autoriseraient la personne versée dans l’art à réaliser l’invention d’après ces mesures. Compte tenu de la preuve présentée pendant le procès, j’ai de la difficulté à comprendre comment cela peut être accompli. Cependant, en plus de cela, il y a la difficulté posée par les mesures, dont la valeur est incertaine. Comment une personne sait-elle comment cette mesure est censée produire cette configuration? M. Warner affirme que vous devrez faire de nombreuses tentatives. M. Breen affirme qu’il s’agit d’un processus itératif. Aucun élément de preuve ne précisait les choses.

[567]  Nous pouvons comparer ce processus, qui consiste à tenter de déterminer la configuration d’une nouvelle motoneige, à l’arrêt de la Cour suprême dans l’affaire Teva où la divulgation inadéquate était qu’« une personne versée dans l’art ne pouvait pas savoir laquelle des revendications 6 et 7 contenait le composé utile. Le propre témoin expert de Pfizer a reconnu qu’une personne versée dans l’art n’aurait pas pu, à la lecture du brevet, déterminer quel était le composé dont l’étude avait démontré l’utilité dans le traitement de la DÉ » (au paragraphe 79). Cela ressemble à un projet de recherche qui aurait été entrepris si l’on doit en juger l’échange suivant entre l’avocat d’AC et M. Breen :

[traduction]

Avocat : Et comment traitez-vous les plages dans les revendications, M. Breen? Donc, ils ne sont pas – il ne s’agit pas d’un chiffre, il n’indique pas que la distance entre l’essieu d’entraînement le plus à l’avant et le centre de gravité du conducteur correspond à un chiffre précis. Il y a des plages de chiffres. Comment déterminez-vous donc le rôle que cela joue en ce qui a trait à la configuration de la motoneige?

M. Breen : Je suppose qu’il s’agit une fois de plus d’un processus itératif où j’examine ce qui est le plus large, et j’apporte des ajustements jusqu’à ce que j’arrive à ce qui est le plus étroit.

Avocat : D’accord. Donc, vous auriez à passer à travers les 20 mesures dans le brevet 106, ensuite vous auriez à passer à travers toutes les plages dans ces 20 mesures, tout cela pour tenter de déterminer à quoi correspond la configuration de la motoneige?

M. Breen : Pour en construire une, oui.

Avocat : Si vous vouliez comprendre en quoi consiste la configuration, quelles en sont les composantes, c’est ce que vous auriez à faire, n’est-ce pas?

M. Breen : Eh bien, c’est une façon de le faire.

Avocat : S’agit-il d’une façon de faire dont vous parlez dans votre rapport?

M. Breen : Oui.

(Transcriptions, le 24 mars 2015, aux pages 49 et 50.)

[568]  En l’espèce, la pondération de la preuve favorise manifestement la proposition selon laquelle la divulgation ne dit pas à la personne versée dans l’art comment reconfigurer la motoneige, peu importe ce en quoi consiste cette nouvelle configuration. Le fait que la preuve des inventeurs indiquait que leur idée originale exigeait beaucoup de travail n’est pas négligeable. Du « châssis » aux prototypes, ils ont dû retracer le moteur et le réservoir d’essence et ajuster la direction. Ce que BRP offre de mieux, c’est que la personne versée dans l’art comprendra; M. Breen parle d’un processus itératif pour le comprendre. Il n’y a aucun élément de preuve selon lequel tout ce qu’une personne versée dans l’art a à faire est de prendre les mesures et que l’invention décrive la façon dont elle est produite (Pioneer Hi-Bred, à la page 1638). Le témoignage de l’un des inventeurs, M. Girouard, est clair sur le fait que la construction de la nouvelle motoneige exige des changements multiples aux composantes. Qu’est-ce qui est divulgué? Rien. Le seul élément de preuve en l’espèce n’est pas que la personne versée dans l’art aurait à entreprendre un projet de recherche mineur, ce qui est déjà trop (Teva, au paragraphe 75). C’est un grand projet de recherche.

[569]  L’absence d’indication quant à la façon dont la nouvelle motoneige est construite afin de faciliter la nouvelle position fait en sorte que les brevets revendiquent davantage un résultat qu’autre chose.

[570]  Il n’est pas interdit de rédiger des revendications en ce qui concerne un résultat souhaité. En l’espèce, les brevets sont rédigés selon le même modèle. L’invention porte sur la conception générale et la construction d’une motoneige, de sorte que le conducteur sera assis vers l’avant. C’est le résultat qui sera réalisé par l’invention. Cela, nous dit-on, donnera lieu à des mesures et à des angles différents. Cependant, si cela se limite au résultat, il est douteux que les brevets enseignent comment le résultat est atteint, ce qui est requis : « Je le répète, l’ingéniosité propre à un brevet ne tient pas à la détermination d’un résultat souhaitable, mais bien à l’enseignement d’un moyen particulier d’y parvenir » (Free World Trust, au paragraphe 32). Le problème en l’espèce est que la position avancée du conducteur, qui est manifestée par certaines mesures selon les inventeurs, n’enseigne jamais comment la configuration sera obtenue ou, d’ailleurs, si les mesures sont une prédiction valide de la nouvelle configuration. Je retiens la preuve de M. Warner à propos du manque de renseignements. Le paragraphe 233 de son rapport (D‑107) est un bon exemple du seul élément de preuve présenté :

[traduction]

233.  Le brevet 964 ne traite aucunement des modifications apportées au siège de la motoneige qui permet aux hanches d’être placées plus haut relativement aux genoux. De manière semblable, il n’y a aucun changement décrit concernant les bandes latérales de la motoneige qui prévoient le positionnement des chevilles derrière les genoux. Le seul changement structurel décrit dans le brevet 964 est le déplacement vers l’avant du dispositif de direction et de la position de direction (ce dont il avait déjà été question dans les autres brevets de BRP). La personne versée dans l’art ne verrait pas clairement en quoi la motoneige a fait l’objet d’une nouvelle conception pour entraîner un changement dans la relation entre les hanches, les genoux et les chevilles. La personne versée dans l’art serait également déroutée par la nouvelle conception revendiquée, car elle saurait que les conducteurs ont leurs hanches au-dessus de leurs genoux et leurs chevilles derrière leurs genoux pendant qu’ils conduisent les motoneiges de l’art antérieur, comme il en sera question plus loin.

[571]  Je retiens également que la portée des mesures et la combinaison des mesures ne sont pas abordées par les brevets. En l’absence de toute preuve convaincante du contraire et à la lumière de mes propres observations, je retiens qu’il serait très difficile pour la personne versée dans l’art de comprendre les mesures et, plus important encore, comment elles se traduisent par en une position du conducteur sur la motoneige. La divulgation est simplement insuffisante.

[572]  En l’espèce, chaque brevet porte sur la configuration d’une motoneige qui répondrait à certaines mesures. Cela ne décrit pas suffisamment l’invention et cela n’autorise pas une personne versée dans l’art à mettre l’invention en pratique, « [pour définir] la façon de la produire ou de la construire », selon les mots employés par la Cour dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred. Comme l’a affirmé la Cour :

Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation.

(p. 1638)

Il n’y a aucune instruction ici. Le témoignage de M. Breen m’apparaît convaincant :

Avocat : Et quelles mesures utilisent-ils, M. Breen, car le brevet comprend environ 15 ou 20 mesures? Donc, quelle est la mesure qu’ils utilisent pour déterminer en quoi consiste la construction? Tentent-ils d’examiner l’ensemble des mesures ou certaines d’entre elles? Quelles sont les mesures qu’ils examinent?

M. Breen : Comme je l’ai déjà dit, il s’agit d’un processus itératif. On finit par tous les examiner. On commencerait à bouger ceci ici, à mesurer cela, de façon à ce que d’une certaine façon on construise la chose jusqu’à ce qu’on finisse par avoir tenu compte de toutes les mesures.

Avocat : D’accord, vous auriez donc à passer en revue toutes les mesures dans le brevet 106, par exemple, en fin de compte?

M. Breen : Si votre but est de construire une motoneige qui est conforme à cela, il vous faudrait procéder à une vérification.

Avocat : Donc, si votre but est de comprendre ce en quoi consiste la motoneige de l’invention, vous auriez à passer en revue toutes ces mesures?

M. Breen : Conceptuellement, oui.

Avocat : D’accord, et vous ne pouvez pas dire en l’espèce si le fait de passer en revue ou non toutes ces mesures représenterait une position cohérente? Vous pourriez – cela pourrait exiger des changements et des modifications au fur et à mesure que vous passez en revue toutes ces mesures?

M. Breen : Je crois que cela pourrait être le cas. C’est là l’idée. Les brevets parlent du rétrécissement des plages, il y a une interaction entre les différentes composantes. Je crois que c’est quelque chose qui sera un processus itératif. Je crois l’avoir décrit dans mon premier rapport.

Avocat : Donc, un processus itératif, et nous ne savons pas quel en serait le résultat aujourd’hui?

M. Breen : Pour quelque chose comme cela, je ne crois pas.

Avocat : Vous n’avez pas exécuté ce processus pour tenter de comprendre en quoi consistent ces inventions? Vous n’avez pas pris la motoneige pour tenter de le faire, n’est-ce pas?

M. Breen : Non, j’ai mesuré d’autres motoneiges pour voir – ou j’ai examiné les mesures prises par M. Larson concernant les autres motoneiges, mais je ne les ai pas démontées et je n’ai pas construit une motoneige à partir de zéro.

(Transcriptions, le 24 mars 2015, aux pages 47 et 48.)

Dans l’arrêt Teva, un lecteur versé dans l’art n’a pas été en mesure d’établir une distinction entre deux composés revendiqués. La divulgation a été jugée insuffisante. Le fait que la personne versée dans l’art aurait à effectuer des expériences pour déterminer quel composé traitait la dysfonction érectile a suffi pour conclure que le mémoire descriptif était insuffisant. La personne versée dans l’art pouvait déterminer lequel des deux composés correspondait à l’invention d’après la lecture du brevet. La preuve en l’espèce est, à mon avis, aussi obscure que dans l’arrêt Teva. Les brevets sont invalides pour cause d’insuffisance et d’ambiguïté.

F.  Le brevet 964 : autres arguments d’invalidité

[573]  Les défenderesses ont soulevé des questions propres au brevet 964. Elles allèguent qu’il y avait une fausse déclaration importante, que le brevet 964 serait antériorisé par le brevet 106 et le brevet 813, et qu’il y a eu une divulgation publique antérieure.

1)  Fausse déclaration importante

[574]  AC compare la figure 1 dans le brevet 106 (et dans le brevet 813) avec la figure 1 dans le brevet 964. Ces figures présentent manifestement l’art antérieur ainsi que la position adoptée par le conducteur. Il ne fait aucun doute qu’il y a des différences. Si je comprends bien, l’argument d’AC consiste à dire que la différence dans la position du conducteur est accentuée dans le brevet 964, de sorte que la différence entre la motoneige classique et la motoneige reconfigurée est présentée comme étant encore plus importante (mémoire sur l’invalidité d’AC, au paragraphe 1047).

[575]  La réponse de BRP consiste à expliquer que les deux motoneiges utilisées dans le brevet 106 et dans le brevet 964 sont tout simplement deux motoneiges différentes dont les plates-formes sont différentes. L’une des motoneiges est le modèle Ski-Doo MXZ 440, 500 ou 670 HO de 1999 monté sur une plate-forme S2000, alors que l’autre est un modèle Ski-Doo MXZ 600 de 1999 monté sur une plate-forme ZX. Il n’y a aucune fausse déclaration, car les deux figures illustrent la position classique du conducteur sur une motoneige. BRP allègue que, de toute façon, cela n’aurait eu aucune influence sur la délivrance du brevet 964. La figure illustre simplement la différence entre les configurations des motoneiges au moyen de la relation entre les hanches, les genoux et les chevilles qui sont représentées.

[576]  Le paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets dispose que le brevet est nul s’il y a une allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité. Il est rédigé ainsi :

Nul en certains cas, ou valide en partie seulement

Void in certain cases, or valid only for parts

53 (1) Le brevet est nul si la pétition du demandeur, relative à ce brevet, contient quelque allégation importante qui n’est pas conforme à la vérité, ou si le mémoire descriptif et les dessins contiennent plus ou moins qu’il n’est nécessaire pour démontrer ce qu’ils sont censés démontrer, et si l’omission ou l’addition est volontairement faite pour induire en erreur.

53 (1) A patent is void if any material allegation in the petition of the applicant in respect of the patent is untrue, or if the specification and drawings contain more or less than is necessary for obtaining the end for which they purport to be made, and the omission or addition is wilfully made for the purpose of misleading.

[577]  Les parties ne contestent pas que la question de savoir s’il y a une fausse déclaration importante doit être tranchée au cas par cas, car il s’agit d’une conclusion liée aux faits (Corlac Inc. c Weatherford Canada Inc., 2011 CAF 228, au paragraphe 126). Le critère consiste à trancher si la fausse déclaration a fait une différence dans la délivrance du brevet.

[578]  En l’espèce, il n’a pas été prouvé qu’il y a eu une fausse déclaration, encore moins une qui soit importante. Il s’agit plutôt d’un autre exemple d’insouciance qui a donné lieu à une ambiguïté inutile au moment de comparer différents instruments. Même si la Cour retient le témoignage de M. Warner selon lequel il aurait été possible d’asseoir le conducteur de la figure 1 du brevet 964 dans une position se rapprochant de celle illustrée à la figure 1 du brevet 106, cela peut difficilement être perçu comme une fausse déclaration. Que la position des genoux, indiquée au-dessus des hanches dans la figure 1 du brevet 964, soit accentuée ou non comparativement à celle du brevet 106, cela ne change rien à la proposition fondamentale selon laquelle les hanches sur la motoneige reconfigurée sont au-dessus des genoux.

2)  Le brevet 964 est antériorisé par le brevet 106 et le brevet 813.

[579]  Cette fois, les défenderesses font valoir que les revendications contenues dans le brevet 964 portent sur la proposition générale selon laquelle la nouvelle configuration produit un positionnement où les hanches sont au-dessus des genoux et les chevilles derrière les genoux. Cette position serait illustrée dans les figures des brevets 106 et 813. Cela constituerait une antériorité.

[580]  La preuve présentée par AC est loin de ce qui serait requis pour montrer l’antériorité. Dans leur plaidoirie et dans leur mémoire des faits et du droit, les défenderesses laissent entendre que les mesures pourraient être tirées des figures dans les deux autres brevets. Nous ne saurons jamais si cela est même possible, car aucun élément de preuve n’a été présenté en ce sens. La preuve de M. Warner est si mince (en effet, un paragraphe sur les 377 paragraphes dans la pièce D‑107) qu’elle semble davantage constituée d’impressions et être de la nature d’une réflexion après coup.

3)  Divulgation publique antérieure

[581]  Il s’agit d’un autre de ces efforts ultimes. En l’espèce, AC spécule que, parce que BRP a mis à l’essai ses prototypes de motoneiges REV sur des sentiers accessibles au public, cela constitue en soi une divulgation publique, car quelqu’un aurait pu être témoin de la position du conducteur où les hanches sont placées au-dessus de ses genoux; les chevilles derrière les genoux et les hanches derrière les chevilles.

[582]  AC ne suggère même pas que le recours à des sentiers publics ait été dans une fin autre que pour une expérimentation raisonnable. Depuis au moins 1904, notre droit reconnaît la nécessité d’expérimenter pour amener l’invention à la perfection [Conway]. Cette exception a été reconnue récemment par notre Cour. En l’espèce, la preuve est que BRP était consciente du besoin de confidentialité et a pris des mesures pour veiller à ce qu’elle soit protégée. L’expérimentation était nécessaire à la lumière de nombreuses utilisations qui seraient disponibles pour cette nouvelle configuration. En fait, AC n’a pas du tout abordé la question de l’exception bien reconnue pour l’utilisation expérimentale, présentant son argument au seul motif que les prototypes circulaient sur des sentiers publics et qu’un passant aurait été en mesure de reconnaître le positionnement. À mon avis, l’exception au titre de l’utilisation expérimentale suffit à trancher cet argument.

[583]  Mais ce n’est pas tout. La Cour est moins que convaincue que la divulgation publique envisagée en l’espèce aurait donné lieu à une éventuelle réalisation quelconque. Comme dans Bauer, il y a peu de renseignements qui sont communiqués au public pendant la conduite de la motoneige sur un sentier, même pour la personne versée dans l’art. Les renseignements nécessaires pour permettre de réaliser l’invention ne sont pas communiqués. L’invention divulguée dans les brevets n’est pas comprise, ses paramètres ne sont pas accessibles et il ne serait pas possible de reproduire l’invention au simple motif qu’une motoneige a été vue sur un sentier (Varco Canada Limited c Pason Systems Corp, 2013 CF 750, Bauer, paragraphe 215 et suivants).

[584]  En conséquence, il n’y avait aucune fausse déclaration importante, aucune divulgation publique antérieure ou aucune antériorisation du brevet 964 par les brevets 106 et 813.

VII.  Objections

[585]  Dans le cadre du procès, un certain nombre d’objections ont été faites par les parties quant à l’admissibilité de certains éléments de preuve. Ces objections sont réparties en quatre catégories :

i)  contre-preuve des experts;

ii)  introduction des documents qui ne figurent pas dans l’affidavit de documents;

iii)  admissibilité des rapports d’expert contenant des affirmations sur des questions de droit;

iv)  admissibilité des rapports concernant les essais menés malgré l’absence d’une partie.

[586]  Les deux premières catégories seront traitées rapidement. En ce qui concerne les deux autres, elles ont fait l’objet de requêtes plus formelles et ont été débattues longuement.

A.  Contre-preuve et documents non énumérés dans les affidavits de documents

[587]  D’abord, en ce qui concerne la contre-preuve des experts, AC a adopté la thèse que bon nombre des rapports d’expert présentés en réponse par BRP n’étaient pas admissibles en tant que réponse, car ils ne répondaient pas aux nouvelles questions soulevées par le rapport d’expert présenté par AC en réponse aux rapports initiaux présentés par BRP. La Cour a procédé dans chaque cas à un examen des paragraphes attaqués.

[588]  Dans tous les cas, la Cour a appliqué rigoureusement le critère énoncé dans l’arrêt R. c Krause, [1986] 2 RCS 466. Il est énoncé comme suit à la page 474 :

Le demandeur ou le ministère public peut être autorisé à présenter une contre-preuve après la fin de l’argumentation de la défense, lorsque la défense a soulevé de nouvelles questions ou de nouveaux moyens de défense dont le ministère public n’a pas eu l’occasion de traiter et que le ministère public ou le demandeur ne pouvait pas raisonnablement prévoir. Toutefois, la contre-preuve n’est pas permise en ce qui a trait à des questions qui confirment ou renforcent simplement des éléments de preuve soumis précédemment dans le cadre de la preuve du ministère public et qui auraient pu être soumis avant la présentation de la défense. Elle ne sera autorisée que si elle est nécessaire pour assurer qu’à la fin de l’audience chaque partie aura eu une chance égale d’entendre les arguments complets de l’autre et d’y répondre.

[589]  En raison de l’application du critère, l’avocat a retiré les paragraphes et les objections. La Cour a rendu une décision à l’égard d’un certain nombre d’objections en audience publique.

[590]  De manière semblable, certaines objections ont été soulevées de manière précoce à l’égard de certains documents qui n’auraient pas été énumérés de manière stricte dans les affidavits de documents. La question a été réglée en permettant leur admissibilité dans la mesure où il n’y avait pas d’abus, et il n’y en avait pas, et sous réserve d’accorder une période de temps pour contre-interroger et répondre, si tel était le besoin (Halford c Seed Hawk Inc., 2001 CFPI 1195, au paragraphe 7, 16 CPR (4th) 204). En fin de compte, aucune question n’est demeurée sans réponse, car la preuve nécessaire pour répondre à toutes les questions soulevées en l’espèce a finalement été déposée.

B.  Questions de droit et essais

[591]  Avant que la Cour entende le témoignage de M. Breen, l’avocat d’Arctic Cat a déposé une requête en contestation de l’admissibilité de certains paragraphes et de certaines pièces jointes à son rapport d’expert. Cela constitue la troisième catégorie d’objections. Plus particulièrement, l’avocat d’AC demande que les paragraphes 18, 19, 52c), 72, 127, 254, 259 à 268, 273 à 284, 289 à 299, 304 à 314, 319 à 332, 337 à 348, 353 à 366, 371 à 384, 386, 394 à 404, 409 à 415, 417 à 419, 424 à 426, 428 à 443, 451 et 452, 456 à 457, 464 à 478, 484 à 499, 501 à 508, 510 à 511, 513 et 514, 517 à 522, 525 à 530, 532 et 533, 536 et 537, 538 à 540, 542 et 543, 545 et 546, 548 et 549, 551 à 554, 561, 569 et 570, ainsi que les pièces jointes 3, 4, 7, 16 et 19 soient jugés irrecevables dans la présente instance. Après avoir entendu les observations des deux parties, la Cour a indiqué qu’elle trancherait officiellement cette objection dans le cadre de ses motifs et de son jugement.

[592]  Arctic Cat allègue que M. Breen formule des opinions sur des questions juridiques et qu’il tire des conclusions de droit. Arctic Cat se plaint de tous les éléments énumérés ci-dessus autres que les pièces jointes 3 et 4. En qualité de témoin expert, M. Breen doit aider la Cour à titre de guide technique et ne doit pas fournir d’opinions sur des questions juridiques en matière de contrefaçon et d’interprétation des revendications, car cela équivaut à une usurpation du rôle de la Cour : Halford c Seed Hawk Inc., 2001 CFPI 1154, au paragraphe 24, 16 CPR (4th) 189; R. c Abbey, [1982] 2 RCS 24, à la page 42.

[593]  Le quatrième motif d’objection concerne exclusivement les pièces jointes 3 et 4. Ces pièces jointes sont des rapports produits par un autre témoin expert, M. Robert Larson, qui ont été fournis à M. Breen pour la rédaction de son rapport d’expert. Chaque pièce jointe concerne une motoneige d’Arctic Cat que M. Larson a examinée en 2012 (les examens des autres motoneiges d’AC pour le compte de BRP ont été menés après la signification de l’avis à AC; l’avocat d’AC a choisi d’être présent aux mesures de 5 des 15 motoneiges mesurées en 2014). Arctic Cat fait valoir que les examens étaient assimilables à des essais qui ont été menés sans préavis à Arctic Cat et auxquels aucun représentant d’Arctic Cat n’a été invité à participer ou n’était présent. Il fait valoir que le fait d’accepter la preuve de ce qu’il considère comme des essais menés dans de telles circonstances outrepasse la pratique de notre Cour ainsi qu’un avis aux parties et à la communauté juridique du juge en chef : Omark Industries (1960) Ltd. v Gouger Saw Chain Co., [1964] 1 Ex.C.R. 457, au paragraphe 204, 45 C.P.R. 169 [Omark]; The Dow Chemical Company c Nova Chemicals Corporation, 2012 CF 754, au paragraphe 58; L’honorable Paul Crampton, Avis aux parties et à la communauté juridique, « Essais expérimentaux » (le 27 février 2014), en ligne : http://cas-cdc-www02.cas-satj.gc.ca/portal/page/portal/fc_cf_fr/Notices/IP-experimental-testing.

[594]  Sans surprise, BRP ne partage pas l’avis selon lequel les parties du rapport d’expert de M. Breen désignées par Arctic Cat sont irrecevables. En ce qui concerne l’admissibilité des rapports contenant des affirmations sur des questions de droit, elle fait valoir qu’il n’existe aucune règle d’application générale obligeant l’exclusion automatique d’une preuve d’expert suivant l’arrêt dans l’affaire R. c Mohan, [1994] 2 RCS 9. Elle fait valoir que la preuve est recevable, mais que la Cour n’est pas liée par les affirmations faites dans le rapport et qu’elle est libre de pondérer la valeur des éléments de preuve, puis de les adopter ou de les rejeter à sa convenance : Xerox du Canada Ltée c IBM Canada Ltée., [1977] ACF no 603, au paragraphe 28, 33 C.P.R. (2d) 24 [Xerox]; Rucker Co. c Gravel’s Vulcanizing Ltd., [1985] ACF no 1031; 7 CPR (3d) 294, aux pages 315 et 316.

[595]  En ce qui concerne les dernières objections, BRP fait valoir que l’examen mené par M. Larson en 2012 ne devrait pas être qualifié d’essai expérimental, mais plutôt comme la prise de certaines mesures. BRP s’appuie sur Omark, mais pour montrer qu’il n’est pas nécessaire d’exclure les données de mesure, contrairement aux données des essais, recueillies sans la connaissance ou en l’absence de la partie adverse : page 208. En outre, BRP fait valoir que, puisque les motoneiges ayant fait l’objet d’essais aux pièces jointes 3 et 4 étaient des machines Arctic Cat, cette société aurait été parfaitement en mesure de procéder à ses propres mesures si elle le souhaitait.

[596]  Après avoir examiné les arguments et la jurisprudence présentés par les parties, la Cour est d’avis que les paragraphes et les pièces jointes auxquels s’est opposée Arctic Cat ne sont pas irrecevables. Aucune règle de preuve ou règle de la Cour n’impose l’exclusion de la preuve d’experts lorsque l’expert s’écarte de la compétence de la Cour en donnant un avis sur les questions légales devant la Cour : voir Mohan, aux pages 24 et 25. La règle excluant la preuve d’expert qui concerne la question fondamentale n’est plus d’application générale. Cependant, cela ne veut pas dire que la préoccupation, elle, a disparu. En effet, les juges de première instance sont particulièrement vigilants dans le cadre d’un procès avec jury, où il existe le risque que les témoignages d’experts accablent le juge des faits et distraient le jury de sa tâche. Quoi qu’il en soit, la Cour n’est jamais liée par une telle opinion et il demeure de sa seule responsabilité de trancher les questions dont elle est saisie : Xerox, au paragraphe 28.

[597]  Il s’ensuit que le poids à accorder aux sections identifiées du rapport d’expert reste à examiner et la preuve n’échappe pas à un examen poussé. La Cour suprême a souligné dans l’arrêt Mohan, au paragraphe 28, et le passage a expressément été mentionné dans R. c J.-L. J., 2000 CSC 51, au paragraphe 37, [2000] 2 RCS 600, que « [p]lus la preuve se rapproche de l’opinion sur une question fondamentale, plus l’application de [l’examen] est stricte ». Comme il en est question dans A. W. Bryant, S.N. Lederman et M.K. Fuerst, The Law of Evidence in Canada (3e éd. 2009) au §12.156 [traduction] « il y a certains sujets qui vont droit au cœur du processus décisionnel judiciaire et les tribunaux se méfient toujours des témoins experts qui fournissent des conseils quant à la façon dont ils devraient trancher des questions, par exemple à savoir si un témoin dit la vérité ou le sens des mots en anglais ». Dans le cadre d’une instance portant sur un brevet, un témoignage d’expert donnant un avis sur l’interprétation que devraient recevoir les revendications d’un brevet et la question de savoir s’il y a eu contrefaçon ou non doit faire l’objet d’une telle méfiance et d’un examen des plus rigoureux. D’autre part, un expert qui témoigne sur l’interprétation des brevets ou sur la question de savoir si un brevet a été contrefait se rapprochera inévitablement de son opinion sur la question fondamentale.

[598]  Dans son rapport, M. Breen franchit occasionnellement la ligne entre le fait d’être un témoin expert présentant de l’information pour aider la Cour et le fait d’être un partisan de la thèse de BRP dans le litige. J’ajoute qu’il n’était pas seul, car les experts pour le compte d’Arctic Cat étaient aussi coupables de certains degrés de partisanerie. Par exemple, M. Breen conclut que [traduction] « les termes et le libellé utilisés dans les revendications de tous les brevets en litige sont généralement clairs, sans ambiguïté et seraient facilement compris par les personnes versées dans l’art » (rapport d’expert de Kevin Breen, au paragraphe 71) et tire de multiples conclusions selon lesquelles certains modèles d’Arctic Cat contreviennent aux brevets (p. ex. sa conclusion au paragraphe 289 que [traduction] « [t]ous les modèles Twin Spar mesurés sont visés par la portée de la revendication 20 du brevet 106. Par conséquent, la revendication 20 du brevet 106 est contrefaite […] »). Cependant, ces conclusions sont simplement une reconnaissance que, d’après les mesures prises et sur lesquelles il s’est fondé, lesdites mesures étaient visées par la plage établie dans les revendications examinées.

[599]  En ce qui a trait à la dernière objection, la Cour est également d’avis que la preuve contenue dans les pièces jointes 3 et 4 du rapport d’expert de M. Breen ne devrait pas être exclue. Comme dans Omark, il y a un élément de mesure présentant dans l’examen entrepris par M. Larson, plutôt que des essais purement expérimentaux. En d’autres termes, Arctic Cat n’a jamais fait valoir que les mesures prises étaient assimilables à des expériences dans le cadre d’essais expérimentaux. L’affirmation gratuite selon laquelle les mesures correspondent à des essais expérimentaux rate la cible.

[600]  Par ailleurs, pendant un interrogatoire préalable mené le 22 janvier 2014, où les examens de 2012 effectués par M. Larson ont fait l’objet de discussions, l’avocat pour le compte de BRP [M. Nitoslawski] a offert de les reprendre si l’avocate d’Arctic Cat [Mme Furlanetto] avait des questions. Le passage suivant témoigne de cette offre :

[traduction]

Mme ANGELA M. FURLANETTO :

Arctic Cat n’a pas été invitée à assister aux essais?

M. MAREK NITOSLAWSKI :

Vous pouvez l’affirmer de façon formelle.

Mme ANGELA M. FURLANETTO :

Donc, la réponse est non, on ne l’a pas invitée?

M. MAREK NITOSLAWSKI :

Non, elle n’a pas été invitée, mais si Arctic Cat a des questions à propos des essais, nous pourrions les reprendre en présence d’Arctic Cat également.

[601]  Compte tenu du défaut d’Arctic Cat d’accepter l’invitation de BRP, la Cour estime qu’il est difficile de sanctionner et d’exclure la preuve en question.

[602]  Enfin, la jurisprudence et l’avis aux parties et à la communauté juridique parlent de la pratique générale de la Cour et non d’une règle de la Cour ou d’une règle de preuve qui oblige l’exclusion automatique des éléments de preuve relatifs aux essais. Comme l’a souligné le juge Hughes dans Abbvie Corporation c Janssen Inc., 2014 CF 55, au paragraphe 64 [Abbvie], il n’existe aucune règle dans les Règles des Cours fédérales DORS/98‑106 se rapportant spécifiquement à l’admissibilité des essais expérimentaux. Les règles de preuve de la common law exigent effectivement l’exclusion des éléments de preuve lorsque l’effet préjudiciable de ceux-ci l’emporte sur leur valeur probante : voir, par exemple, l’arrêt R. c Ferris, [1994] 3 RCS 756; Harmony Consulting Ltd. c G A Foss Transport Ltd., 2012 CAF 226, au paragraphe 101.

[603]  Il ne s’agit pas d’une affaire où l’effet préjudiciable possible lié à l’admission des pièces jointes 3 et 4 l’emporte sur la valeur probante de ces documents. Cela est particulièrement vrai compte tenu du fait que les éléments de preuve en question concernent davantage les mesures que des essais expérimentaux ainsi que le fait qu’Arctic Cat a amplement eu la possibilité de poser des questions à BRP à propos des examens et de les reprendre, ou de procéder à ses propres mesures ou essais. Lorsqu’une partie [traduction] « aurait pu effectuer [ses propres mesures] de la même façon au moyen d’un comparateur similaire », la Cour n’est pas encline à rejeter la preuve dont elle est saisie : Omark, à la page 228; voir également Abbvie, au paragraphe 70, et Apotex Inc. c Pfizer Canada Inc., 2013 CF 493, au paragraphe 39. Les motoneiges examinées dans les pièces jointes 3 et 4 ont été fabriquées par Arctic Cat et notre Cour n’est saisie d’aucun élément de preuve selon lequel la société ne disposait pas de modèles pour lui permettre de prendre les mesures. En effet, les 17 motoneiges mesurées par BRP ont été envoyées à l’expert dont les services ont été retenus par Arctic Cat. Les éléments de preuve figurant dans les pièces jointes 3 et 4 sont, par conséquent, recevables dans la présente instance sous réserve des décisions relatives à leur importance et à leur valeur.

VIII.  Conclusion

[604]  Comme dans l’arrêt Teva, notre Cour arrive à la conclusion que le brevet 106, le brevet 813 et le brevet 964 ne sont pas conformes au paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, en ce sens que leur divulgation ne satisfait pas aux conditions selon lesquelles ils doivent décrire les inventions et définir la façon dont elles sont produites ou construites. Les brevets portent sur la conception et la construction d’une motoneige, cependant ils disent très peu de choses à propos de la motoneige, de sa conception et de sa construction, en visant plutôt les résultats qui, selon ce que prétendent les inventeurs, seront produits par la nouvelle configuration en ce qui concerne le positionnement du conducteur standard. Le lecteur ne sait pas en quoi consiste l’invention, hormis le fait qu’il s’agit d’une motoneige dont la conception et la construction sont nouvelles. En quoi le fait que les brevets déclarent que [traduction] « une description exhaustive de chacun des éléments n’est pas présentée, seulement une description des éléments requis pour une compréhension de la présente invention » est-il utile?

[605]  De surcroît, les brevets en litige ne décrivent pas comment les inventions sont mises en opération. Les inventeurs revendiquent une motoneige. Les seuls renseignements présentés consistent en un certain nombre de mesures, sans indication quelconque de nature à établir clairement la méthode de construction de cette nouvelle motoneige. Le fait que les inventeurs présentent les différentes mesures sous forme de plages exacerbe la difficulté. La Cour suprême dans Pioneer Hi-Bred était convaincue que le défaut de décrire la façon de mettre l’invention en opération entraîne l’invalidité pour cause d’insuffisance. Cette conclusion a été endossée sans réserve dans l’arrêt Teva :

[84]  L’article 27 ne prévoit pas de réparation en cas d’insuffisance de la divulgation, mais l’omission de divulguer convenablement l’invention et son fonctionnement doit en toute logique emporter l’invalidité réputée du brevet. Telle est la conséquence du caractère synallagmatique du marché qui intervient sous le régime de la Loi. Faute de l’une des deux contreparties (quid) — la divulgation suffisante —, l’autre (quo) — le monopole — ne saurait exister.

[606]  En ce qui concerne le quatrième brevet, le brevet 264, la Cour conclut qu’il n’a pas été contrefait par Arctic Cat, car il n’a pas été démontré que les motoneiges visées par des allégations de contrefaçon présentent l’un des éléments essentiels de l’invention telle que revendiquée, à savoir le berceau de moteur du brevet 264.

[607]  Par conséquent, l’action en contrefaçon du brevet 106, du brevet 813, du brevet 964 et du brevet 264 de Bombardier Produits Récréatifs Inc. contre Arctic Cat Inc. et Arctic Cat Sales Ltd. est rejetée avec dépens. Les parties ont indiqué à la Cour qu’elles souhaitent présenter des observations particulières sur les dépens après que la décision a été rendue.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. L’action en contrefaçon est rejetée.

  2. Un jugement déclaratoire est rendu en vertu duquel Arctic Cat ne contrefait pas les revendications avancées du brevet 264.

  3. Un jugement déclaratoire est rendu en vertu duquel les revendications avancées des brevets 106, 813 et 964 sont et ont été invalides et nulles.

  4. Une directive est par la présente donnée au commissaire aux brevets d’inscrire une entrée à cet effet.

  5. Arctic Cat a droit à ses dépens. Les parties sont invitées à présenter des observations sur les dépens, limitées à cinq pages, dans les 20 jours suivant le prononcé du présent jugement.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2025-11

INTITULÉ :

BOMBARDIER PRODUITS RÉCRÉATIFS INC. c ARCTIC CAT INC. ET ARCTIC CAT SALES, INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 2, 3, 4, 5, 9, 10, 11, 12, 17, 18, 19, 20, 23, 24, 25 ET 26 FÉVRIER; LES 2, 3, 4, 5, 9, 10, 11, 12, 17, 18, 19, 20, 23, 24, 25, 26, 30 ET 31 MARS; LES 1er, 2, 13, 14, 15 ET 16 AVRIL 2015

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLICS :

LE JUGE ROY

DATE :

Le 24 février 2017

COMPARUTIONS :

Marek Nitoslawski

David Turgeon

Christian Leblanc

Joanie Lapalme

 

Pour la demanderesse

Ron Dimock

Angela Furlanetto

Vincent Man

Bentley Gaikis

 

Pour les défenderesses

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

DLA Piper (Canada) LLP

Toronto (Ontario)

Pour les défenderesses

 

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