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Date : 20170301


Dossier : IMM-3029-16

Référence : 2017 CF 253

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 1er mars 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

FRED SHANI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  M. Shani, le demandeur, est un citoyen de l’Albanie. Il est entré au Canada en décembre 2015 et a demandé l’asile au motif qu’il avait été témoin du meurtre de l’un de ses amis par un membre de la famille Demaj. Il affirme qu’il a donné des renseignements à la police concernant le meurtre et qu’il était en danger.

[2]  La Section de la protection des réfugiés a conclu que M. Shani n’avait pas démontré qu’il existait une possibilité sérieuse de persécution pour un motif prévu par la Convention sur les réfugiés ni qu’il était personnellement exposé à un risque aux termes de l’article 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, c 27) (LIPR). La question déterminante était la crédibilité.

[3]  M. Shani a fait appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés auprès de la Section d’appel des réfugiés. Cette dernière a conclu que les craintes de M. Shani étaient liées à de prétendues activités criminelles en Albanie et qu’il n’avait pas établi l’existence d’un lien avec l’un des cinq motifs visés par la Convention sur les réfugiés, aux termes de l’article 96 de la LIPR. Lors de l’évaluation des risques et de la menace décrits à l’article 97, la Section d’appel des réfugiés a conclu que les éléments de preuve présentés par M. Shani n’étaient ni fiables ni crédibles. La décision de la Section de la protection des réfugiés a été confirmée.

[4]  M. Shani soutient que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur parce qu’elle n’a pas 1) effectué un examen indépendant du dossier, notamment un examen des documents clés, ni 2) adéquatement envisagé l’incidence que les difficultés d’interprétation pourraient avoir eu sur la capacité de M. Shani de s’exprimer clairement en tout temps. Il demande que la question soit renvoyée à la Section d’appel des réfugiés pour un nouvel examen.

[5]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les deux questions suivantes :

  1. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle omis d’effectuer un examen indépendant des éléments de preuve documentaire du demandeur?

  2. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle omis de tenir compte des erreurs d’interprétation pour expliquer le témoignage incohérent de M. Shani?

[6]  Après avoir examiné les observations écrites des parties et entendu leurs observations orales, je ne peux pas conclure que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en évaluant les éléments de preuve ou que sa décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. La demande est rejetée pour les motifs exposés ci-après.

II.  La norme de contrôle applicable

[7]  M. Shani soutient que la Section d’appel des réfugiés n’a pas procédé à un examen et à une évaluation indépendants des éléments de preuve documentaire, ce qui a nui à son droit à une présentation complète et équitable de ses arguments et a rendu la procédure inéquitable. Il affirme que la norme de contrôle appropriée pour aborder cette question est la norme de la décision correcte. Dans Moreau-Bérubé c Nouveau-Brunswick (Conseil de la magistrature), 2002 CSC 11 [Moreau-Bérubé], la Cour suprême du Canada a noté qu’il n’était pas nécessaire d’examiner la norme de contrôle applicable pour évaluer un prétendu manquement à l’équité procédurale. En revanche, une cour de révision doit établir quelles sont les procédures et les garanties requises dans un cas particulier (Moreau-Bérubé, au paragraphe 74).

[8]  Lorsqu’une cour de révision examine les conclusions de fait de la Section d’appel des réfugiés, son évaluation des éléments de preuve ainsi que ses conclusions quant à la crédibilité, la norme de la décision raisonnable s’applique (Siliya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 120, au paragraphe 20, Yin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1209, au paragraphe 34, et Gabila c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 574, aux paragraphes 19 à 21).

III.  Analyse

A.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle omis d’effectuer un examen indépendant des éléments de preuve documentaire du demandeur?

[9]  M. Shani soutient que la Section d’appel des réfugiés ne s’est pas acquittée de son obligation d’effectuer sa propre analyse du dossier (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 103 [Huruglica]). Plus précisément, il soutient que la Section d’appel des réfugiés a omis d’examiner les originaux d’éléments de preuve documentaire présentés à la Section de la protection des réfugiés. La Section d’appel des réfugiés a plutôt indiqué, dans sa décision, qu’elle s’en remettait [traduction] « […] à l’examen que la Section de la protection des réfugiés a fait des documents […] ». M. Shani s’appuie sur cette déclaration pour affirmer que la procédure de la Section d’appel des réfugiés était inéquitable. Je ne suis pas d’accord.

[10]  Lorsqu’on examine les observations de M. Shani, il faut prendre la déclaration de la Section d’appel des réfugiés dans le contexte de l’analyse approfondie qui a été effectuée. La Section d’appel des réfugiés a tout d’abord mentionné, en s’appuyant sur Huruglica, qu’elle devait examiner la décision de la Section de la protection des réfugiés en appliquant la norme de la décision correcte. Toutefois, la Section d’appel des réfugiés a également noté qu’il était possible pour elle de s’en remettre à la Section de la protection des réfugiés lorsque cette dernière jouit d’un avantage particulier sur des questions comportant des conclusions de fait ou des conclusions mixtes de fait et de droit.

[11]  La Section d’appel des réfugiés, ayant examiné les éléments de preuve documentaire de M. Shani et s’étant penchée sur les conclusions de la Section de la protection des réfugiés à cet égard, a constaté ce qui suit : 1) l’absence de documents originaux à l’audience devant la Section de la protection des réfugiés; 2) la conclusion négative de la Section de la protection des réfugiés concernant la provenance des documents étant donné le témoignage vague de M. Shani sur la manière dont les documents avaient été obtenus et la raison pour laquelle ils avaient été obtenus; 3) les conclusions d’invraisemblance tirées par la Section de la protection des réfugiés en raison des incohérences entre le contenu de certains des documents et les autres éléments de preuve fournis par M. Shani; et 4) les doutes concernant l’authenticité des documents étant donné que les timbres ne semblaient pas avoir été oblitérés.

[12]  La Section d’appel des réfugiés a ensuite entamé une évaluation indépendante des documents en s’appuyant sur le dossier et a examiné les observations de M. Shani lors de l’appel. Elle a conclu qu’une lettre de la police n’a aucune valeur probante et que son authenticité était douteuse. Elle a conclu, de manière indépendante, que l’explication de M. Shani sur la manière dont les documents avaient été produits ou obtenus n’était pas crédible.

[13]  Bien que la Section d’appel des réfugiés ait mal choisi ses mots en déclarant qu’elle [traduction] « s’en remettait » à l’observation de la Section de la protection des réfugiés quant aux documents, cette déclaration, lorsqu’elle est examinée en contexte, se limite selon moi à la conclusion de la Section de la protection des réfugiés au sujet des [traduction] « timbres » et ne concerne pas son évaluation globale des documents. Je m’appuie sur les conclusions indépendantes de la Section d’appel des réfugiés concernant la valeur probante, l’authenticité et la provenance des documents en question pour appuyer cette conclusion. Il n’était ni inéquitable ni déraisonnable que la Section d’appel des réfugiés n’entame pas un examen physique des documents originaux. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale. Je suis également convaincu que les conclusions de la Section d’appel des réfugiés en ce qui concerne les éléments de preuve documentaire sont justifiées, transparentes et intelligibles.

B.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle omis de tenir compte des erreurs d’interprétation pour expliquer le témoignage incohérent de M. Shani?

[14]  M. Shani reconnaît que son témoignage présente des contradictions, mais il attribue celles-ci à des problèmes d’interprétation. Il s’appuie sur Bouanga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1029 [Bouanga], pour affirmer que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en refusant cette explication uniquement sur la base des qualifications générales des interprètes employés par le défendeur. Encore une fois, je ne suis pas d’accord.

[15]   Dans Bouanga, contrairement à la situation en l’espèce, des efforts avaient été déployés pour obtenir un rapport de vérification de l’interprétation contestée. Ce rapport de vérification a cerné de nombreux passages où l’interprétation n’était pas fidèle à la langue maternelle du demandeur ou à l’anglais. En outre, le rapport de vérification a démontré que l’interprète avait eu recours à une troisième langue sans en informer le tribunal, et qu’il « […] résumait, paraphrasait, condensait et exagérait les propos, et dissimulait ses erreurs ou ses omissions de traduction » (Bouanga, au paragraphe 10).

[16]  En l’espèce, M. Shani n’offre rien d’autre qu’une simple affirmation pour prouver que les contradictions dans ses éléments de preuve découlent d’erreurs de traduction. Le dossier ne donne pas d’exemples d’erreurs de traduction, et aucun exemple n’a été fourni au cours des observations orales.

[17]  Par ailleurs, la Section d’appel des réfugiés ne s’est pas appuyée uniquement sur les qualifications des traducteurs agréés lorsqu’elle a rejeté l’explication de M. Shani quant aux contradictions dans ses éléments de preuve. Elle a également mentionné de nombreuses divergences sur des questions fondamentales, notamment sur la question de savoir comment M. Shani a eu connaissance du meurtre qui constitue le fondement de sa demande d’asile, et quelles personnes ont été témoins du meurtre. La Section d’appel des réfugiés a affirmé que ces incohérences étaient [traduction] « importantes et révélatrices ».

[18]  Je ne peux pas conclure qu’il était déraisonnable que la Section d’appel des réfugiés mentionne les qualifications des interprètes agréés comme motif du rejet de l’explication fournie par M. Shani quant aux incohérences dans ses éléments de preuve. La Section d’appel des réfugiés a bel et bien tenu compte de l’explication fournie par M. Shani. Le rejet de cette explication appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

IV.  Conclusion

[19]  La Section d’appel des réfugiés n’a pas commis d’erreur lorsqu’elle a examiné l’appel de M. Shani. Sa décision est justifiée, transparente et intelligible et appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[20]  Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3029-16

 

INTITULÉ :

FRED SHANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 JANVIER 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER MARS 2017

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson

Pour le demandeur

 

Susan Gans

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Levinson and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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