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Date : 20170302

 

Dossier : T-737-08

Référence : 2017 CF 170

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 2 mars 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

AIRBUS HELICOPTERS, S.A.S.

demanderesse/

défenderesse reconventionnelle

et

BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

JUGEMENT ET MOTIFS PUBLIC

(Le jugement et les motifs confidentiels ont été délivrés à l’origine le 10 février 2017) et

le jugement et motifs confidentiels amendés ont été délivrés le 2 mars 2017

[1]               La Cour est appelée à fixer le montant des dommages-intérêts qu’il convient d’accorder à la demanderesse, Airbus Helicopters, S.A.S. (Airbus), par suite de la contrefaçon, par la défenderesse, Bell Helicopter Textron Canada Limitée (Bell), du brevet canadien no 2 207 787 (le brevet 787) qui se rapporte à un train d’atterrissage à patins pour hélicoptère : Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 113, [2012] ACF no 107 (le jugement CF 2012); conf. par 2013 CAF 219, [2013] ACF no 1043 (le jugement CAF 2013).

[2]               Pour les motifs qui suivent, la Cour ordonne à la défenderesse de verser à la demanderesse la somme de 1 500 000 $, qui comprend 500 000 $ en dommages-intérêts compensatoires et 1 000 000 $ en dommages-intérêts punitifs, plus des intérêts avant et après jugement, le tout avec dépens (le jugement définitif).

 I.                  LE BREVET 787

[3]               Le brevet 787, intitulé « Train d’atterrissage à patins pour hélicoptère » a été délivré le 31 décembre 2002 à Eurocopter, à la suite d’une demande, déposée le 5 juin 1997, revendiquant la priorité sur le fondement d’une demande de brevet portant le numéro 96 07158, déposée en France le 10 juin 1996 (le brevet français). Bien qu’il n’en soit pas question comme tel dans le brevet 787, l’invention divulguée est appelée familièrement « train Moustache » et elle est appelée en anglais « “Moustache” landing gear » (ci-après, le train Moustache).

[4]               Le brevet 787 comporte 16 revendications. La revendication 1 est l’unique revendication indépendante; les revendications 2 à 16 sont des revendications dépendantes. Par souci de commodité, les revendications 1 à 16 sont reproduites ci-dessous :

1.                  Train d’atterrissage pour hélicoptère, comprenant deux patins présentant chacun une plage longitudinale d’appui au sol et reliés à une traverse avant et à une traverse arrière elles-mêmes assujetties à la structure de l’hélicoptère par des organes de liaison, la traverse arrière étant fixée par les extrémités de ses branches descendantes à la partie arrière desdites plages longitudinales d’appui, caractérisé en ce que chacun desdits patins présente à l’avant une zone de transition inclinée à double courbure s’orientant transversalement auxdites plages longitudinales d’appui au sol, au-dessus du plan de ces dernières, les deux zones de transition constituant ensemble, de la sorte, une traverse avant intégrée, décalée par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol.

2.                  Train d’atterrissage selon la revendication 1, caractérisé en ce que l’ensemble des patins et traverses est constitué de tubes d’aluminium.

3.                  Train d’atterrissage selon la revendication 2, dans lequel l’aluminium desdits tubes se caractérise par une limite égale à 75 % de la résistance à la rupture, et par un allongement relatif à la rupture au moins égal à 12 %.

4.                  Train d’atterrissage selon la revendication 2 ou 3, caractérisé en ce que l’épaisseur de paroi des tubes constituant lesdites traverses avant et arrière est dégressive entre la partie centrale de la traverse et sa jonction au patin correspondant.

5.                  Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 4, caractérisé en ce que les extrémités des branches descendantes de la traverse arrière sont fixées aux dites plages longitudinales d’appui des patins par l’intermédiaire de manchons en aluminium.

6.                  Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 5, caractérisé en ce que ladite traverse avant est constituée de deux demi-branches reliées l’une à l’autre vers le milieu de ladite traverse avant par un moyen de jonction démontable et établissant la continuité de ladite traverse avant en flexion.

7.                  Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 5, caractérisé en ce que ladite traverse avant est constituée d’une seule branche dont les extrémités sont chacune reliées par un moyen de jonction démontable à la partie avant du patin correspondant, ce moyen de jonction étant disposé entre les deux courbures de la zone de transition concernée.

8.                  Train d’atterrissage selon la revendication 6 ou 7, caractérisé en ce que lesdits moyens de jonction sont constitués par un système de manchon vissé en aluminium ou par un collier de fixation.

9.                  Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 8, caractérisé en ce que lesdits organes de liaison entre lesdites traverses avant et arrière et la structure de l’hélicoptère sont du type à frottement contrôlé en rotation, comportant à cet effet deux demi-colliers ou analogues enserrant le tube de la traverse, avec interposition d’un palier de matériau élastique du genre élastomère.

10.              Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 9, caractérisé en ce qu’il comporte au moins trois organes de liaison à la structure de l’hélicoptère, dont un assujetti centralement sur l’une desdites traverses et les deux autres assujettis, en étant mutuellement écartés de part et d’autre de l’axe longitudinal du train, sur l’autre traverse.

11.              Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 9, caractérisé en ce qu’il comporte quatre organes de liaison à la structure de l’hélicoptère assujettis deux par deux sur l’une et l’autre traverse, en étant mutuellement écartés de part et d’autre de l’axe longitudinal du train.

12.              Train d’atterrissage selon la revendication 11, caractérisé en ce que la traverse avant ou arrière présente, entre deux tronçons de traverse, une interruption dans sa partie centrale, et en ce que lesdits organes de liaison à la structure de l’hélicoptère sont assujettis en tant qu’articulations à rappel élastique aux extrémités desdits tronçons.

13.              Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 12, caractérisé en ce que ladite traverse arrière est constituée, pour sa partie avant, d’un tube à profil aérodynamique cintré formant bord d’attaque, ce tube étant prolongé vers l’arrière par un carénage rapporté formant bord de fuite.

14.              Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 13, caractérisé en ce que des marchepieds sont fixés sur lesdites zones de transition inclinées à l’avant des patins, au-dessous des portes d’accès à la cabine, ces marchepieds s’étendant, à partir desdites zones de transition, uniquement vers l’arrière.

15.              Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 14, caractérisé en ce que ladite traverse avant intégrée est décalée vers l’avant par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol.

16.              Train d’atterrissage selon l’une quelconque des revendications 1 à 14, caractérisé en ce que ladite traverse avant intégrée est décalée vers l’arrière par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol.

[5]               Le brevet 787 expirera le 5 juin 2017. Airbus est le titulaire actuel du brevet 787 ainsi que du brevet français et de son équivalent américain, le brevet no 5 860 621 (le brevet américain), lesquels contiennent tous des divulgations essentiellement identiques et dont le libellé est semblable.

 II.               L’ORDONNANCE DE CONFIDENTIALITÉ

[6]               Une partie importante de la volumineuse preuve documentaire déposée en l’espèce est confidentielle et/ou n’est communicable qu’qu’aux seuls avocats. Avec le consentement des parties, la Cour, le 10 mars 2016, a rendu une ordonnance de confidentialité modifiée qui remplace les ordonnances rendues par la Cour le 29 décembre 2008 et le 9 novembre 2009.

[7]               Selon le paragraphe 4 de l’ordonnance de confidentialité modifiée, les renseignements suivants qui ont été mentionnés lors de l’étape de l’instance portant sur la quantification des dommages‑intérêts et lors de la suite du procès constituent des « renseignements confidentiels » :

                    les renseignements confidentiels ayant trait à des spécifications et à des détails particuliers relatifs à la fabrication des hélicoptères (y compris le train d’atterrissage des hélicoptères) des parties;

                    les renseignements confidentiels ayant trait à l’approbation réglementaire des hélicoptères (y compris le train d’atterrissage des hélicoptères);

                    les renseignements confidentiels ayant trait à la recherche et au développement relatif à l’objet du brevet 787, notamment les cahiers de notes, les journaux d’inscription de laboratoire, les organigrammes fonctionnels, les données d’essais, les résultats analytiques, les graphiques, les imprimés, les protocoles expérimentaux, les mémoires, les procès‑verbaux et les notes;

                    les renseignements ayant trait à la commercialisation, la fabrication opérationnelle, les renseignements sur les ventes ou les renseignements financiers relatifs à Airbus Helicopters ou à Bell Helicopter, leurs sociétés mères et leurs sociétés affiliées.

[8]               Étant donné que le présent jugement peut contenir des renseignements qui sont « confidentiels » et/ou « communicables qu’aux seuls avocats » selon les modalités de l’ordonnance de confidentialité modifiée, la Cour, avant de rendre le jugement définitif, a sollicité les commentaires des parties quant aux modalités envisagées d’une directive concernant le caractère confidentiel du jugement définitif. Après avoir examiné les commentaires des parties, la Cour a ordonné que le jugement définitif soit traité comme renseignement confidentiel, qui ne peut être divulgué qu’aux personnes et sociétés mentionnées au paragraphe 16 de l’ordonnance de confidentialité modifiée. De plus, une version publique du jugement définitif devra être produite dans le délai mentionné dans la directive, une fois que la Cour aura reçu les parties à expurger et les modifications proposées par les parties, selon le cas.

[8a]      Les motifs confidentiels du jugement ont été déposés le 10 février 2017 (les motifs). Dès le dépôt, la Cour a donné une directive aux parties, les invitant à faire des observations sur les parties à expurger et les modifications proposées qui devraient être faites avant que les motifs ne soient rendus publics.

[8b]      Le 24 février 2017, la demanderesse a informé la Cour qu’elle ne souhaitait voir expurgée aucune partie des motifs.

[8c]      Le 24 février 2017, la défenderesse a proposé un certain nombre de parties à expurger (annexe A de la réponse de Bell Helicopter Textron Canada Limitée à la directive de monsieur le juge Martineau, datée du 10 février 2017).

[8d]      La Cour est convaincue du caractère raisonnable des expurgations que la défenderesse a proposées relativement à des renseignements commerciaux sensibles mentionnés aux paragraphes 69, 137, 161, 163, 195, 200, 206, 236, 265, 305, 306, 309, 316, 326, 332, 336, 337, 360 et 362, et elle a accepté le fait qu’elles devaient toutes être incorporées dans les motifs et jugement publics. En effet, la Cour est convaincue que le risque posé à la défenderesse par la divulgation de ces renseignements commerciaux sensibles surpasse l’intérêt du public à avoir accès à ceux‑ci. De plus, même une fois les parties expurgées, un lecteur est en mesure de comprendre la nature de la preuve ainsi que le raisonnement appliqué pour en venir à la conclusion appropriée. La défenderesse a également porté à l’attention de la Cour deux erreurs purement matérielles aux paragraphes 178 et 423, lesquelles ont été corrigées.

 III.            LE CONTEXTE

[9]               Le contexte du litige est déjà public, et la Cour en a connaissance d’office, puisqu’il s’agit de la suite du procès qui a eu lieu en 2011 et 2012, devant le soussigné qui a présidé l’audience. Les faits pertinents sont énoncés de façon exhaustive dans les 464 paragraphes du jugement CF 2012, et il n’est pas nécessaire de les répéter, sauf s’il s’agit simplement de souligner certains points saillants qui sont mentionnés dans le jugement CF 2012 et/ou dans l’exposé conjoint des faits et des admissions des parties daté du 14 janvier 2011 (l’exposé conjoint des faits).

[10]           Bell a commencé la mise au point de l’hélicoptère Bell 429 au cours du troisième trimestre de 2004. Le Bell 429 était alors équipé du train d’atterrissage original ou Legacy (le train Legacy) (exposé conjoint des faits, au paragraphe 21). Bien que Bell sût que le train Legacy ressemblait beaucoup au train Moustache, alors que des inquiétudes avaient été soulevées à l’époque, M. Malcolm Foster, qui était chargé de la gestion du programme, a dit aux ingénieurs de Bell de [traduction] « poursuivre le travail » (jugement CF 2012, au paragraphe 274). Il n’a pas été appelé à témoigner pour confirmer ou nier cette déclaration. Bell a tout simplement décidé de poursuivre le travail relatif au train Legacy.

[11]           Le train Legacy et ses composantes sont fidèlement reproduits pour les besoins du présent litige dans les pièces JB-216/renseignements confidentiels et JB-271/renseignements confidentiels (exposé conjoint des faits, au paragraphe 22). Voici une vue isométrique du train Legacy, qui est fait d’aluminium :

[12]           Le train Legacy a été présenté au public pour la première fois au Salon aéronautique de Séoul qui a eu lieu en Corée en octobre 2005 (exposé conjoint des faits, au paragraphe 33, point 16).

[13]           Vingt et un trains Legacy ont été fabriqués par Aeronautical Accessories Inc., une société liée à Bell, pour le compte de celle-ci et conformément à ses directives (exposé conjoint des faits, au paragraphe 23). De plus, la preuve au dossier confirme que Bell a utilisé les trains d’atterrissage contrefaits lors du processus de certification du Bell 429 qui a véritablement commencé au début de 2006. Les trains contrefaits ont été soumis à des essais de résistance aux chutes en 2006 et 2007. En fait, le Bell 429, équipé du train Legacy, a réalisé son premier vol le 27 février 2007, aux installations de Bell à Mirabel (jugement CF 2012, au paragraphe 22).

[14]           À l’été 2008, les ingénieurs de la défenderesse ont travaillé sur la conception d’un train d’atterrissage modifié, qui est devenu ce qu’on appelle le train Production. Au début de 2009, la conception du train Production était terminée et la défenderesse a demandé aux autorités aéronautiques compétentes de certifier le Bell 429 équipé du train Production.

[15]           Le train Production et ses composantes sont fidèlement reproduits pour les besoins du présent litige dans la pièce JB-243/renseignements confidentiels, et dans les dessins figurant dans les pièces JB‑405/renseignements confidentiels à JB‑477/renseignements confidentiels et dans la pièce JB-485/renseignements confidentiels (exposé conjoint des faits, au paragraphe 28). Voici une vue isométrique du train Production, qui est également fait d’un alliage d’aluminium :

[16]           Le train Production a été dévoilé publiquement lors de l’HELI EXPO, qui a eu lieu en février 2009 à Anaheim, en Californie (exposé conjoint des faits, au paragraphe 33, point 1). La certification du Bell 429 équipé du train Production a été obtenue de Transports Canada le 20 juin 2009, de la Federal Aviation Administration (FAA) le 30 juin 2009 ainsi que de l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA) le 23 septembre 2009 (jugement CF 2012, au paragraphe 184).

[17]           Le 16 janvier 2014, la défenderesse a détruit vingt des vingt et un trains Legacy qu’elle avait en sa possession et qui avaient été mis en quarantaine quelque temps après l’introduction de la présente instance.

  IV.         LES LITIGES EN MATIÈRE DE BREVET

[18]           Au Canada, la demanderesse a allégué la contrefaçon du brevet 787 du fait de deux modèles distincts de train d’atterrissage associés à l’hélicoptère Bell 429 : le train Legacy et le train Production. Des allégations de contrefaçon analogues ont été faites par la demanderesse en  France et aux États-Unis, relativement aux brevets français et américains.

A.                 Le Canada

[19]           La demanderesse n’a pas envoyé de lettre de mise en demeure à la défenderesse avant d’introduire la présente action en mai 2008 (exposé conjoint des faits, au paragraphe 32).

[20]           Dans sa déclaration initiale, la demanderesse a sollicité un jugement déclaratoire portant que le brevet 787 était valide et que la défenderesse, en utilisant le train Legacy, l’avait contrefait. La défenderesse n’a pas contesté que les éléments essentiels des revendications 1, 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10 et 15 étaient présents dans le train Legacy, mais elle a nié qu’il y avait eu contrefaçon, parce qu’elle exécutait une réalisation antérieure (défense Gillette) et qu’elle avait utilisé le train Legacy dans le but d’obtenir une approbation réglementaire (exception pour cause expérimentale). De plus, la défenderesse a demandé dans sa demande reconventionnelle que les revendications 1 à 16 du brevet 787 soient déclarées invalides.

[21]           En juin 2009, la demanderesse a modifié sa déclaration de façon à inclure le train Production et a allégué que, du point de vue fonctionnel, les deux trains étaient équivalents et comprenaient tous les éléments essentiels mentionnés dans les revendications 1, 2, 3, 4, 5, 7, 9, 10 et 15. Pour ce qui est du train Production, tout en niant l’existence d’une équivalence fonctionnelle quelconque, la défenderesse a soutenu que les modifications apportées au train original (un manchon et un petit ski en saillie à l’avant du train d’atterrissage) suffisaient pour statuer sur les allégations de contrefaçon.

[22]           Le 2 octobre 2009, la Cour a ordonné que le calcul des dommages-intérêts destinés à la demanderesse (dont des dommages-intérêts punitifs) et/ou le calcul des bénéfices réalisés par la défenderesse soient disjoints. À la suite d’une audience qui a duré six semaines, en janvier et février 2011, et qui a été présidée par le juge soussigné, des motifs confidentiels au sujet de la contrefaçon et de la validité ont été communiqués aux parties le 12 juillet 2011. Une suspension provisoire de l’instance a été ordonnée en même temps afin de permettre aux parties de tenir des discussions de règlement, mais cela n’a rien donné. En janvier 2012, une audience supplémentaire a eu lieu relativement aux mesures de réparation.

[23]           Le 30 janvier 2012, la Cour a rendu son jugement définitif et public relativement aux questions de validité, de contrefaçon et de mesures de réparation adéquates.

[24]           L’action en contrefaçon et la demande reconventionnelle en invalidité ont été accueillies en partie :

a)                  La Cour a déclaré que la revendication 15 du brevet 787 était valide et exécutoire. Toutefois, la Cour a déclaré que les revendications 1 à 14 et 16 du brevet 787 étaient invalides, nulles et sans effet (jugement CF 2012, aux paragraphes 392 et 393);

b)                  La Cour a conclu que la défenderesse avait contrefait la revendication 15 du brevet 787 en utilisant le train Legacy (jugement CF 2012, au paragraphe 394). La Cour a rejeté la défense Gillette et a également conclu que Bell ne pouvait pas non plus invoquer l’exception pour cause expérimentale (jugement CF 2012, aux paragraphes 268 et 383);

c)                  La Cour a conclu que la preuve établissait de manière concluante que, depuis 2005, Bell avait des plans concernant la fabrication du train Legacy et l’intégration de ce dernier à son modèle Bell 429, aussitôt qu’elle pourrait le faire certifier, et qu’elle avait fait une promotion active des ventes du Bell 429 équipé du train Legacy (jugement CF 2012, au paragraphe 434);

d)                  La Cour a rejeté l’allégation de la demanderesse selon laquelle Bell avait contrefait le brevet 787 en utilisant le train Production, intégré depuis 2009 dans les hélicoptères Bell 429 vendus dans le monde entier, et en en faisant la promotion (jugement CF 2012, au paragraphe 388);

e)                  La Cour a conclu que les éléments essentiels de la revendication 1 n’étaient pas tous présents dans le train Production, car il ne comportait pas la « double courbure » ni la « traverse avant intégrée » (jugement CF 2012, aux paragraphes 258, 259 et 388);

f)                    La Cour a enjoint à la défenderesse de ne plus fabriquer, utiliser ou vendre le train Legacy, ou tout train d’atterrissage semblable, jusqu’à ce que le brevet 787 expire, et a ordonné la destruction des 21 trains Legacy qui se trouvaient en quarantaine (à l’exception d’une seule unité, et ce, à des fins de conservation de la preuve) (jugement CF 2012, aux paragraphes 403 et 405);

g)                  Compte tenu des difficultés que soulève la preuve et compte tenu du fait qu’aucun des trains Legacy contrefaits n’a jamais été intégré dans un hélicoptère vendu par la défenderesse, la Cour n’a pas permis à la demanderesse de faire un choix entre une adjudication de dommages-intérêts ou une restitution des bénéfices (jugement CF 2012, aux paragraphes 412 à 416);

h)                  Par suite de la contrefaçon de la revendication 15 du brevet 787, la Cour a déclaré que la demanderesse avait droit à la totalité des dommages-intérêts, y compris les dommages-intérêts punitifs, et que le montant de ces dommages-intérêts serait fixé dans le cadre d’une audience ultérieure, après épuisement de tous les appels (jugement CF 2012, aux paragraphes 416 et 456).

[25]           Les parties ont interjeté appel du jugement du 30 janvier 2012. Bell a interjeté appel principalement pour le motif que la revendication 15 du brevet 787 était invalide, que son train Legacy ne contrefaisait pas le brevet 787 et que, de toute façon, la conclusion selon laquelle des dommages-intérêts punitifs pouvaient être accordés était inopportune. Eurocopter a interjeté un appel incident, principalement aux motifs que la totalité des revendications du brevet 787 étaient valides et que le train Production contrefaisait ces revendications.

[26]           Postérieurement au jugement CF 2012, la Cour a rendu un jugement distinct sur la question des dépens dans lequel elle a condamné la défenderesse à payer 50 p. 100 des frais de la demanderesse, calculés en fonction de l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B. Ces frais comprennent les honoraires et les dépenses raisonnables engagés pour retenir les services d’un avocat principal, de deux avocats adjoints, des témoins experts, d’un avocat interne, d’un représentant technique ainsi que les autres frais et débours taxables engagés avant, pendant et après le procès qui a mené au jugement de contrefaçon de brevet (Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2012 CF 842, [2012] ACF no 1055 (le jugement relatif aux dépens)). La demanderesse a été, dans l’ensemble, la partie qui a eu davantage gain de cause dans le jugement de contrefaçon de brevet et elle a donc eu droit aux dépens, mais la défenderesse a eu en partie gain de cause en ce qui concerne son train Production. Bell a interjeté appel du jugement relatif aux dépens et a soutenu que chacune des parties devrait assumer ses propres frais, étant donné qu’elles avaient toutes les deux eu en partie gain de cause.

[27]           L’appel interjeté par Bell et l’appel incident interjeté par Eurocopter relativement au jugement CF 2012 ont tous les deux été rejetés le 24 septembre 2013 par la Cour d’appel fédérale (jugement CAF 2013). En particulier, la Cour d’appel fédérale a conclu que rien ne justifiait d’infirmer les conclusions de la Cour et la décision qui en a suivi relativement au droit d’Eurocopter à des dommages-intérêts, y compris à des dommages-intérêts punitifs (jugement CAF 2013, aux paragraphes 192 et 193).

[28]           Dans un autre jugement rendu le même jour, la Cour d’appel fédérale a confirmé le jugement relatif aux dépens et a rejeté l’appel interjeté par Bell (Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, société par actions simplifiée, 2013 CAF 220, [2013] ACF no 1044 (le jugement CAF relatif aux dépens).

[29]           Au Canada, aucun autre appel n’a été interjeté quant aux questions de validité, de contrefaçon et de mesures de réparation adéquates, du fait de la contrefaçon du brevet 787 (ainsi qu’en ce qui concerne les dépens).

B.                 Les États‑Unis

[30]           En mai 2010, pendant que l’instance canadienne était toujours en cours, Bell Helicopters Textron Inc. (BHTI) a intenté une action contre Eurocopter en vue d’obtenir un jugement déclaratoire portant que le brevet américain était invalide et n’avait pas été contrefait. En octobre 2010, Eurocopter a déposé une demande reconventionnelle dans laquelle elle alléguait qu’il y avait contrefaçon. Les parties ont convenu que le train Legacy contrefaisait la revendication 1 du brevet américain, mais elles ont été farouchement en désaccord en ce qui concerne la question de savoir si le train Production contrefaisait le brevet américain, et également en ce qui concerne la question de savoir si la contrefaçon justifiait l’octroi de dommages-intérêts ou de mesures de réparation par voie d’injonction (pièce D-117).

[31]           Le 15 août 2014, la Cour de district des États‑Unis du District de Columbia (le tribunal américain) a statué que le train Production [traduction] « ne [contrefaisait] pas [le brevet américain] au sens littéral et ne [le contrefaisait] pas en droit, suivant la théorie des équivalents », et a souligné à cet égard que le train Production [traduction] « ne [contenait] pas une structure équivalente à une « traverse avant » tel que mentionnée dans la revendication 1 [du brevet américain] ». En ce qui concerne le train Legacy, le tribunal a refusé d’accorder des dommages‑intérêts avant la poursuite à Eurocopter au titre du 35 USC § 287(a), parce qu’elle n’avait pas inscrit le numéro du brevet sur les trains d’atterrissage de ses hélicoptères EC120 et EC130, et que ce n’est que le 29 octobre 2010 qu’elle avait vraiment signalé la contrefaçon alléguée.

[32]           Toutefois, le tribunal américain a rejeté la requête présentée par BHTI en vue d’obtenir un jugement sommaire rejetant la demande d’octroi de dommages-intérêts relativement au train Legacy. Le tribunal américain a déclaré ceci : [traduction] « Bien que rien au dossier n’indique que Bell a tenté de vendre, depuis 2009, l’hélicoptère Bell 429 équipé du train original, il y a désaccord sur les faits en ce qui concerne le droit d’Eurocopter à des dommages-intérêts relativement au train original […] la soumission par Bell, aux autorités de l’aviation canadiennes, des résultats des tests fondés sur le train original a eu une incidence directe sur la commercialisation du Bell 429, et bien que la soumission ait eu lieu avant le début de la présente poursuite, Eurocopter a présenté des éléments de preuve donnant à penser qu’elle a des répercussions continues sur la vente du Bell 429 aux États Unis ». De plus, le tribunal américain a rejeté la requête présentée par BHTI en vue de faire rejeter la demande d’octroi de mesures de réparation par voie d’injonction présentée par Eurocopter relativement au train Legacy, et il a souligné à cet égard qu’[traduction] « Eurocopter [avait] démontré l’existence d’une véritable question de fait importante concernant les actes de contrefaçon commis par Bell relativement au train original et concernant les répercussions continues qu’ils ont sur la vente du Bell 429 ».

[33]           En effet, le 22 janvier 2015, le tribunal américain a conclu qu’il était justifié de décerner une injonction permanente, car il était notamment convaincu que [traduction] « [d]urant l’audience, Airbus [avait] démontré que la contrefaçon faite par Bell lui [avait] causé un préjudice irréparable, à savoir des pertes de ventes, des pertes de clients et une atteinte à sa réputation ». Soit dit en passant, le fait que BHTI eut cessé de contrefaire le brevet américain ne constituait pas, dans cette affaire, un motif suffisant pour refuser de décerner une injonction interdisant la contrefaçon future.

[34]           La Cour a été avisée par les parties que, aux États‑Unis, aucun appel n’a été interjeté et qu’aucune autre action n’a été intentée relativement à la validité et à la contrefaçon du brevet américain.

C.                 La France

[35]           En date du jugement définitif, un litige était toujours en cours en France relativement à la validité et à la contrefaçon du brevet français, ainsi que relativement aux mesures de réparation adéquates et à la détermination du montant des dommages-intérêts. Bell et BHTI (appelées collectivement Bell) sont poursuivies pour contrefaçon du brevet français suite à la saisie, le 16 juin 2009, au kiosque des défenderesses au Salon international de l’aéronautique et de l’espace de Paris – Le Bourget (le Salon du Bourget), d’un hélicoptère Bell 429 équipé d’un train Production. Bell a présenté une demande reconventionnelle en vue de faire annuler la saisie et de faire invalider les revendications 1, 2, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 13, 14 et 15 du brevet français (pièce P‑119).

[36]           Le 11 octobre 2012, le Tribunal de grande instance de Paris a rejeté l’action en contrefaçon d’Eurocopter et la demande reconventionnelle en invalidité du brevet français de Bell, tout en confirmant le caractère légal de la saisie. Eurocopter et Bell ont toutes les deux interjeté appel.

[37]           Le 20 mars 2015, la Cour d’appel de Paris a rendu son jugement relativement à l’appel d’Airbus et à l’appel incident de Bell :

a)                  La Cour d’appel de Paris a confirmé la validité de la saisie de l’hélicoptère Bell 429, qui avait eu lieu le 16 juin 2009, ainsi que la validité des opérations exécutées par les huissiers et les experts au Salon du Bourget;

b)                  La Cour d’appel de Paris a déclaré que les revendications 1 et 15 du brevet français étaient valides et exécutoires et que Bell avait contrefait les revendications 1, 2, 4, 5, 7, 8, 9, 10, 13 et 15 du brevet français en utilisant les trains Legacy et Production;

c)                  La Cour d’appel de Paris a accordé réparation par voie d’injonction et a également ordonné la confiscation et la destruction de tous les trains contrefaits;

d)                  La Cour d’appel de Paris a également ordonné que Bell paye à Airbus une provision de 3 000 000 € à être déduite du montant qui serait accordé en fin de compte, après que l’expert qu’elle avait nommé aurait dressé un inventaire des hélicoptères Bell 429 équipés d’un train Production fabriqués ou offerts en vente en France, et aurait établi le montant des bénéfices réalisés par Bell;

e)                  La Cour d’appel de Paris a expressément exclu de la portée de son jugement les dommages‑intérêts demandés par Airbus relativement à 21 trains Legacy, lesquels sont visés par la présente action en dommages-intérêts.

[38]           L’avocat de Bell a avisé la Cour que les défenderesses avaient demandé, ou demanderaient, à la Cour de cassation d’annuler le jugement rendu le 20 mars 2015 par la Cour d’appel de Paris en faveur d’Airbus.

  V.               L’INSTRUCTION SUR LA QUESTION DES DOMMAGES-INTÉRÊTS

A.                 L’évolution du dossier

[39]           Le 22 octobre 2014, la demanderesse a demandé à la Cour de fixer le montant des dommages-intérêts compensatoires et punitifs étant donné qu’il avait été conclu qu’elle avait contrefait le brevet 787.

[40]           Le 21 novembre 2014, la demanderesse a signifié et déposé, avec son énoncé des questions en litige, une demande en vue de faire instruire l’affaire par la Cour rapidement.

[41]           Le 10 décembre 2014, la Cour a autorisé la demanderesse : (1) à remplacer son ancien nom, à savoir « Eurocopter (société par actions simplifiée) », par le nom de sa nouvelle désignation juridique, à savoir « Airbus Helicopters »; (2) à préciser dans sa déclaration que le montant de 25 000 000 $ qu’elle demandait à titre de dommages‑intérêts punitifs n’était pas fonction du nombre de trains contrefaits utilisés par la défenderesse; (3) à réclamer des dommages‑intérêts compensatoires et punitifs ainsi que des intérêts avant et après jugement. La défenderesse a été exemptée de l’obligation de signifier et déposer une défense modifiée à nouveau.

[42]           Le 17 décembre 2014, la demanderesse a déposé et signifié sa déclaration modifiée à nouveau.

[43]           Le 9 janvier 2015, la défenderesse a signifié et déposé sa réponse à l’énoncé des questions en litige et a notamment dit à la Cour que, tant que l’action en dommages‑intérêts intentée en France ne serait pas réglée, il n’était pas urgent de poursuivre l’instruction au Canada.

[44]           Le 26 janvier 2015, une conférence de gestion de l’instance a eu lieu avec le juge du procès afin de discuter de la question d’un échéancier relatif à la démarche à suivre pour poursuivre l’instruction dans la présente affaire. Les avocats ont convenu d’un échéancier relativement aux éléments suivants : le dépôt des affidavits de documents des parties; les demandes d’admission de faits et/ou de documents et les réponses à ces demandes; la première série d’interrogatoires préalables; les réponses aux engagements; les requêtes demandant à la Cour de statuer sur les objections et les refus; la tenue d’autres interrogatoires préalables après la première série d’interrogatoires; la signification de rapports d’experts.

[45]           Le 25 février 2015, par suite de la promesse des parties selon laquelle le processus visant à rendre l’affaire prête pour instruction serait complètement terminé au plus tard le 29 janvier 2016, conformément à l’article 107 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles), il a été ordonné que le procès sur la quantification des dommages‑intérêts commence devant la Cour le 30 mai 2016, pour une durée de 10 jours.

[46]           Le 18 août 2015, l’échéancier du 28 janvier 2015 a été modifié de façon à prolonger les délais prévus pour l’achèvement des interrogatoires préalables et d’autres étapes de l’instance. La demanderesse devait désormais signifier ses rapports d’expert, le cas échéant, au plus tard le 12 février 2016, et la défenderesse, au plus tard le 8 avril 2016. En fait, ces délais n’ont pas été respectés. La demanderesse a signifié son rapport d’expert le 4 mars 2016, et la défenderesse a signifié ses rapports d’experts le 29 avril 2016.

[47]           Une conférence de gestion de l’instance a eu lieu le 9 mai 2016. Le juge du procès a alors été avisé par les avocats qu’il y avait désaccord quant au nombre d’experts que la défenderesse était autorisée à appeler à témoigner à l’instruction sans avoir à demander l’autorisation de la Cour.

B.                 L’ordonnance interlocutoire relative au nombre d’experts

[48]           Selon la jurisprudence de la Cour, aucune distinction ne devrait être faite entre le nombre de témoins experts pouvant être appelés lors de l’instruction et le nombre de rapports d’expert pouvant être signifiés avant le procès (Apotex c Sanofi-Aventis, 2010 CF 1282, [2010] ACF no 1592, au paragraphe 31).

[49]           Lors de la première étape de l’instance, trois experts reconnus ont été appelés à témoigner pour le compte de la demanderesse (janvier et février 2011) : M. Andrew Logan, un expert en conception et en certification d’hélicoptères; M. Edward Roberts Wood, un expert en aéromécanique, en dynamique et en résonance au sol, ayant acquis de l’expérience dans les domaines de la conception et de la mise au point d’hélicoptères, ainsi que dans celui de la mise à l’essai d’hélicoptères en vue de déterminer leur résonnance au sol; M. François Malburet, un expert en acoustique, en mécanique vibratoire et en mécatronique dans le domaine des hélicoptères, ayant acquis de l’expérience dans le domaine de la résonance au sol. Quelques semaines avant l’instruction, la Cour a rendu une ordonnance interlocutoire portant que le rapport d’expert proposé par M. Murray Wilson, un examinateur de brevet à la retraite titulaire d’un baccalauréat en génie mécanique, était inadmissible, et que la demanderesse ne pouvait pas faire témoigner ce dernier à l’instruction à tire de témoin expert (Eurocopter c Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2010 CF 1328).

[50]           Par contre, trois experts reconnus ont été appelés à témoigner à l’instruction pour le compte de la défenderesse : M. Dewey Hodges, un expert en dynamique des hélicoptères, ce qui inclut la stabilité aéromécanique, la dynamique structurale, l’aéroélasticité et la mécanique structurale, y compris la méthode des éléments finis; M. Farhan Gandhi, un expert en dynamique, en aérolasticité et en stabilité aéromécanique dans le domaine des giravions (hélicoptères); M. Thomas J. Toner, un expert en conception, en mise au point et en certification d’hélicoptères, ayant acquis de l’expérience dans les ensembles rotor, les structures d’aéronef et les trains d’atterrissage. Toutefois, durant la première étape de l’instance, la défenderesse a en fait signifié quatre rapports d’expert à la demanderesse, même si le quatrième expert, M. Earl Dowell, n’a pas été appelé à témoigner.

[51]           Le 4 mars 2016, la demanderesse a signifié le rapport d’expert de M. Bradley A. Heys, un expert dans les domaines de l’évaluation d’entreprises, des valeurs mobilières et de la propriété intellectuelle, des enquêtes financières, de la finance et de l’économie.

[52]           Le 29 avril 2016, la défenderesse a signifié quatre rapports d’expert. Ceux-ci provenaient des experts suivants : M. Steven Schwartz, un expert en matière économique, notamment en désaccords relatifs à des évaluations de propriété intellectuelle; M. Stéphane Dupuis, un économiste et un expert en questions économiques liées à la détermination de prix de transfert et à l’évaluation de propriété intellectuelle; M. Michael O’Reilly, un expert en caractéristiques de l’industrie de l’hélicoptère et en réparation, remise en état, évaluation, achat, vente et location d’hélicoptères commerciaux neufs et usagés; M. Ronald T. Wojnar, un ancien directeur adjoint à la Federal Aviation Administration et un expert en processus de certification des aéronefs aux États‑Unis et au Canada.

[53]           Le 6 mai 2016, invoquant le paragraphe 52.4(1) des Règles, qui prévoit que la partie qui compte produire plus de cinq témoins experts dans une instance en demande l’autorisation à la Cour, en conformité avec l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5, la demanderesse s’est opposée au nombre d’experts.

[54]           Conformément aux directives données par la Cour le 9 mai 2016, la défenderesse a présenté une requête écrite demandant que la question soit tranchée avant la poursuite de l’instruction.

[55]           Le 27 mai 2016, la Cour a autorisé la défenderesse à invoquer deux rapports quelconques parmi les quatre rapports d’expert signifiés le 29 avril 2016 – il s’agit d’un expert de plus que le nombre de cinq experts prescrit à l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada. Les propos suivants tenus par la Cour dans la décision Airbus Helicopters c Bell Helicopter Textron Canada Limitée, 2016 CF 590 (l’ordonnance interlocutoire de 2016), aux paragraphes 47, 62 et 63, sont particulièrement pertinents :

[traduction]

[47]      De plus, il semble assez clair que la présente instance scindée constitue un seul « procès » ou une seule « instance » pour l’application de l’article 52.4 des Règles et de l’article 7 de la LPC. Comme l’a affirmé Airbus, les libellés des articles 106 et 107 des Règles confirment cette interprétation. L’article 106 des Règles porte spécifiquement sur la scission des instances, alors que l’article 107 des Règles permet que les questions en litige dans une instance soient jugées séparément. Si l’article 107 des Règles était également interprété comme autorisant la scission, il constituerait une redondance. Comme Airbus le souligne, la version française des Règles rend cette différence encore plus manifeste, car l’article 107 des Règles parle de jugement séparé des questions en litige dans « une instance », alors que l’article 106 des Règles parle de questions ou de causes d’action qui sont poursuivies « en tant qu’instances distinctes ». La bifurcation dont il est question en l’espèce a été ordonnée en vertu du paragraphe 107(1) des Règles, et ne créait donc pas une « instance » ou un « procès » séparé au titre des articles 7 de la LPC ou de l’article 52.4 des Règles.

[…]

[62]      J’ai examiné les remarques respectives de Bell et d’Airbus (y compris la réponse de Bell) à la lumière du paragraphe 52.4(2) des Règles, qui stipule que, lorsqu’elle décide si elle doit autoriser une partie à produire plus de cinq témoins experts, la Cour doit tenir compte de tout facteur pertinent, notamment : a) la nature du litige, son importance pour le public, et la nécessité de clarifier le droit; b) le nombre, la complexité ou la nature technique des questions en litige; c) les coûts probables afférents à la production de témoins experts par rapport à la somme en litige. J’ai conclu que les facteurs additionnels relevés par Airbus étaient également pertinents et je n’ai pas oublié que l’exercice par la Cour de son pouvoir discrétionnaire, surtout à la veille du procès à venir, doit « permettre d’apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » (article 3 des Règles). Cela comprend naturellement le procès à venir, qui doit être exclusivement axé sur le montant des dommages‑intérêts compensatoires et punitifs.

[63]      Afin d’être juste et équitable envers les parties, le résultat obtenu par l’ordonnance d’autorisation doit être proportionné, établir un juste équilibre et servir les meilleurs intérêts de la justice en permettant un déroulement rapide de l’instruction à un coût raisonnable, compte tenu du nombre, de la complexité ou de la nature technique des questions en litige. Par conséquent, j’ai décidé d’autoriser Bell à invoquer les deux rapports d’expert et les témoignages de M. O’Reilly et de M. Schwartz (un expert de plus que la limite de cinq autorisée) et de refuser d’autoriser que M. Dupuis et M. Wojnar témoignent dans la présente instance, à titre de deux experts additionnels, sur la question des dommages‑intérêts (sauf si Bell décide de substituer l’un ou l’autre d’entre eux à M. O’Reilly ou à M. Schwartz).

[56]           Le procès dans le cadre de la présente instance a repris à Montréal, au Québec, le 30 mai 2016 et s’est terminé le 10 juin 2016.

[57]           Le 30 mai 2010, au début de l’audience, l’avocat de la défenderesse a annoncé que M. Schwartz et M. Dupuis seraient appelés à témoigner à titre de témoins experts (alors que M. O’Reilly témoignerait désormais à titre de témoin ordinaire). Les rapports de M. Wojnar et de M. O’Reilly ont été retournés à la défenderesse par la Cour. Le 6 juin 2016, pendant que l’instruction relative aux dommages‑intérêts avait lieu, la défenderesse a signifié et déposé un avis d’appel de l’ordonnance interlocutoire de 2016.

[58]           Dans la matinée du 9 juin 2016, les avocats de Bell ont avisé la Cour qu’ils avaient décidé de ne pas faire témoigner M. Dupuis, lequel avait été présent pendant presque toute la durée de l’audience. Son rapport a été retourné à la défenderesse par la Cour.

[59]           Aucune demande d’ajournement du procès relatif aux dommages-intérêts, ni aucune demande de suspension des délibérations de la Cour, en attendant l’issue de l’appel interjeté par Bell à l’encontre l’ordonnance interlocutoire de 2016 et/ou du règlement définitif du litige en France, n’a en aucun temps été faite par la défenderesse ou la demanderesse.

[60]           Le 2 août 2016, la Cour d’appel fédérale (le juge Near) a ordonné qu’il soit sursis à l’appel de Bell jusqu’à dix jours après l’expiration du délai prévu pour interjeter appel du présent jugement définitif portant sur le montant des dommages-intérêts.

C.                 La preuve au dossier

[61]           Le 9 juin 2016, les avocats d’Airbus et de Bell ont déclaré que leur preuve était close. Le 10 juin 2016, les parties ont présenté leurs derniers arguments quant à la quantification des dommages-intérêts, et, dans les mois suivants, elles ont ajouté à ces arguments des observations écrites supplémentaires sur les questions particulières relevées par la Cour dans ses directives.

1.                  Les admissions de fait

[62]           Le nombre d’admissions dans la présente affaire est minime, puisque les parties se sont surtout fiées à l’exposé conjoint des faits qui avait été produit lors de la première étape de l’instance en 2011 et 2012. Il s’avère qu’un certain nombre de points litigieux qui auraient pu déboucher sur des admissions (sans qu’il soit porté atteinte au droit des parties de débattre lors du procès) à la suite des interrogatoires préalables qui avaient eu lieu lors de l’instance relative aux dommages‑intérêts n’ont pas été réglés. En raison de ce manque de collaboration, il est difficile de valider les calculs faits par l’expert d’Airbus ou celui de Bell. De plus, cela a obligé la Cour à traiter de ces calculs dans ses motifs, ce qui les a rendus plus longs.

2.                  La preuve documentaire

[63]           L’article 276 des Règles prévoit que les pièces présentées en preuve doivent être cotées. Les pièces contenues dans le recueil conjoint de documents produit en preuve lors de la première étape de l’instance en 2011 et 2012, y compris l’exposé conjoint des faits, ont toutes été cotées (JB-1 à JB‑542 et C-1, respectivement).

[64]           Malgré les admissions faites par les parties durant la première étape de l’instance relativement à l’authenticité et/ou au contenu des documents inclus dans le recueil conjoint de pièces (RC), qui compte 18 volumes (jugement CF 2012, au paragraphe 16), il semble qu’il y ait eu une certaine confusion à l’étape de l’appel en ce qui concerne la portée de cette preuve documentaire (Bell Helicopter Textron Canada Limitée c Eurocopter, 2012 CAF 152, [2012] ACF no 662). Quoi qu’il en soit, l’article 275 des Règles prévoit que la Cour peut donner,  lors de l’instruction, des directives sur la façon de prouver un fait ou de présenter un élément de preuve.

[65]           Il a toujours été clair pour les parties et le juge du procès qu’un document inclus dans le recueil conjoint des pièces (RC), dont l’authenticité a été admise, faisait partie de la preuve documentaire produite au procès et serait donc examiné par la Cour (sous réserve du poids attribué à ce document s’il n’y avait aucune admission relativement à son contenu), sauf si le document en question avait été retiré du recueil conjoint des pièces à la fin de la présentation, à l’instruction, de la preuve des parties.

[66]           Le 1er juin 2016, sur consentement des avocats des parties, la Cour a donné la directive suivante :

a)                  Toutes les pièces contenues dans le recueil conjoint des documents (RC) déposé lors de la première étape de l’instance;

b)                  toutes les pièces dont l’authenticité a été admise par les parties;

c)                  toutes les pièces produites durant l’audience (première ou deuxième étape);

d)                  toutes les pièces incluses dans les extraits des interrogatoires préalables qui font partie des « éléments consignés en preuve » (première ou deuxième étape), à l’exception des articles de journaux et des brevets du train à poutre en I qui ne font pas preuve de leur contenu et qui sont soumis aux règles de preuve habituelles en ce qui concerne leur valeur probante, font partie de la preuve dont dispose la Cour pour les besoins de la présente instance sur la quantification des dommages‑intérêts.

[67]           Bien que cela ne soit pas expressément mentionné ou analysé dans les présents motifs, la Cour a examiné l’ensemble de la preuve documentaire produite à l’instruction. Par souci de clarté, les pièces JB-1 à JB‑542 (excluant les documents retirés du recueil conjoint des pièces – première étape), les pièces P-1 à P‑93, les pièces D-1 à D‑76 (première étape), les pièces P-94 à P‑133 et les pièces D-77 à D‑124 (deuxième étape) font partie de la preuve examinée par la Cour lors de la deuxième étape de l’instance, dans la mesure où cette preuve documentaire est pertinente en ce qui concerne la détermination du montant des dommages-intérêts. L’authenticité et le contenu de la plupart de ces pièces, mais non pas toutes, ont été admis par les parties. Selon le cas, le poids à accorder au contenu des éléments de preuve susmentionnés fera l’objet d’une analyse, lorsque cela est pertinent, par la Cour.

[68]           Comme il a déjà été mentionné, les parties ont présenté une preuve documentaire abondante à l’appui de leur prétention (y compris des éléments consignés de la preuve testimoniale). Les éléments de preuve étaient publics, ou « confidentiels » et/ou « communicables qu’aux seuls avocats ». Parmi les éléments de preuve publics, les parties ont soumis des documents portant sur le contexte économique ainsi que sur la nature du marché des aéronefs civils à l’époque de la première contrefaçon (notamment les pièces P-99, P-100, P‑101, P‑102, D‑77, D-78 et D-79). La demanderesse a mis un certain accent sur la pièce P-103 : une revue de presse concernant la mise en circulation du Bell 429 dans laquelle Bell est présentée comme étant la première société à équiper un aéronef d’un train d’atterrissage à patins. Les parties ont également soumis une grande quantité de pièces ayant trait à la mise au point de produits de substitution non contrefaits (PSNC) qui sont allégués (notamment les pièces D‑105, D-106, D-110, D-113 et D-114). À cet égard, un des éléments de preuve les plus frappants est sans aucun doute l’article de M. Minderhoud (JB‑224‑D). L’expert de la défenderesse, M. Schwartz a également renvoyé à des rapports documentaires concernant la mise au point de PSNC et concernant des lettres d’intention (LI) relatives à l’achat d’hélicoptères Bell 429 (notamment les pièces D‑121, D-122, D‑123 et D‑124). Les parties ont également produit des pièces ayant trait à la mise au point du train Moustache et des hélicoptères EC120 et EC130 (notamment les pièces JB-016-D, JB‑018-D, D‑81 et D-82). Enfin, les parties ont soumis des décisions rendues en France et aux États‑Unis concernant la contrefaçon alléguée des brevets français et américains (pièces P-119 et D-117).

[69]           En ce qui concerne les éléments de preuve confidentiels/communicables qu’aux seuls avocats, les parties ont, pour l’essentiel, produit des éléments consignés de déclarations faites ou d’interrogatoires préalables de témoins qui ont eu lieu lors de la première et de la deuxième étape de l’instance (pièces P-95, P-96, P-109 à P-113, D‑85, D‑86, D-115, D‑116, P‑122 et P-133). La demanderesse a également mis l’accent sur la pièce P‑123 lorsqu’elle s’est opposée à la déclaration de Mme Cynthia Garneau et à l’admission de la nouvelle politique sur la PI de la défenderesse. En effet, la pièce P-123 était la transcription de l’engagement de Bell à produire toute nouvelle politique qu’elle avait appliquée après 2005. Les opinions et les analyses formulées et faites par les experts (P-115, 116, D-119 et D-120) sont une autre partie importante de la preuve confidentielle. En outre, la défenderesse a présenté des éléments de preuve concernant les LI et l’annulation de la production d’un certain nombre d’hélicoptères Bell 429 (pièces D-94, D‑95, D-96, D-97, D-99, D‑100, D-101, D-102 et D-103). Enfin, la demanderesse a produit quelques exemples de contrats de licence qui montrent dans quel secteur d’activité concernant la technologie ou la « technologie de base » elle œuvre (pièces P-104, P-105, P-106, P-107 et P‑108). Néanmoins, la Cour remarque que deux documents ont eu une incidence importante sur les actes de procédure : le document écrit par M. Robert Gardner pour le Sommet sur le poids (pièce JB-479-D) et le document concernant le programme de trois ans dans lequel Bell a investi pour diminuer, de |||||||||||||||||||| livres, le poids de son aéronef (pièce P‑117).

3.                  Les témoins factuels

[70]           La demanderesse a produit quatre témoins factuels : M. Pierre Prud’homme Lacroix (30 mai 2016), M. Alex Youngs (30 et 31 mai 2016), M. Laurent Bron (31 mai 2016) et M. Frederic Lemos (31 mai 2016).

[71]           La défenderesse a produit sept témoins : Mme Cynthia Garneau (2 juin 2016), M. Charles Williams Evans (3 juin 3016), M. Michael Patrick O’Reilly (3 juin 2016), M. Frankie Jones (3 juin 2016), M. Donald L. Hatcher (3 juin 2016), M. Ramesh Thiagaran (6 juin 2016), et M. Robert Edward Gardner (6 et 7 juin 2016).

[72]           Tout au long de l’instruction, les parties ont formulé un certain nombre d’objections aux questions posées aux témoins et aux réponses qu’ils ont données, et la plupart de ces objections ont été tranchées à l’audience. Toutes les objections qui ont été mises en délibéré ont été considérées comme abandonnées, sauf si les avocats ont formulé des observations particulières dans leurs plaidoiries finales. Les objections qui ont été formulées de nouveau par les avocats seront traitées ci‑dessous dans la mesure où il est toujours nécessaire de le faire.

[73]           Il est bien établi que les témoins ordinaires devraient se limiter aux faits dont ils ont une connaissance personnelle, et ne devraient pas émettre des opinions (Saputo Groupe Boulangerie Inc c National Importers Inc, 2005 CF 1460, [2005] ACF no 1898, aux paragraphes 52 et 53). Le même principe s’applique aux deux experts en dommages‑intérêts, à savoir M. Heys et M. Schwartz, en ce qui concerne les questions qui ne sont pas de nature économique, ou qui ne relèvent pas de leur compétence particulière, comme les caractéristiques techniques et la demande du marché pour le type de technologie concurrentielle visée par le brevet 787. Bien que le contexte général entourant l’existence d’un PSNC et d’une redevance raisonnable soit hypothétique, il n’en demeure pas moins que seul un expert reconnu peut témoigner quant à la faisabilité technique de tout PSNC proposé la veille de la première contrefaçon.

[74]           Sauf indication contraire dans les présents motifs, la Cour a conclu que les témoins des parties étaient dans l’ensemble crédibles et qu’il s’agit davantage en l’espèce d’apprécier le poids relatif accordé aux éléments de preuve qui pointent dans différentes directions.

a)                  Airbus

[75]           M. Prud’homme Lacroix a déjà témoigné lors de la première étape de l’instruction, étant donné qu’il est un des inventeurs nommés du train Moustache décrit et revendiqué dans le brevet 787. Il a aussi travaillé chez Airbus Helicopters comme ingénieur à partir de 1982 et il a, dans les faits, commencé comme ingénieur dans le bureau de la recherche en conception, et ce, jusqu’à environ 1987. Il a ensuite été muté au service d’informatique, où il a travaillé pendant vingt ans, et il a obtenu des promotions au sein de ce service où il a travaillé pendant encore sept ans, soit de 2000 à 2007. Depuis 2007, il travaille comme expert dans le domaine des calculs de structure. Le témoignage de M. Prud’homme Lacroix a été utile, dans la mesure où il avait trait aux efforts et au temps exigés pour mettre au point le train Moustache (voir les paragraphes 312 à 314 et 319).

[76]           M. Youngs témoignait pour la première fois dans la présente affaire. À partir de 2006, M. Youngs a travaillé chez Eurocopter comme directeur du Marketing à Grand Prairie, au Texas, puis, à partir de 2009, il a travaillé comme directeur des études de marché à Fort Érié, en Ontario. En 2012, il est devenu directeur des études de marché au siège social d’Eurocopter à Marignane, en France, avant de se trouver au poste qu’il occupe actuellement chez Vector depuis 2013. Le témoignage de M. Youngs a été utile, dans la mesure où il avait trait à la compréhension de la nature du marché de l’hélicoptère civil, la concurrence entre les fabricants, ainsi qu’aux demandes des clients (voir les paragraphes 125, 126, 128, 149, 152, 153, 157, 158 et 162).

[77]           M. Bron travaille comme conseiller juridique chez Airbus Helicopters depuis 2005. Son titre actuel chez Airbus Helicopters est conseiller juridique, Droit de la propriété intellectuelle et marques de commerce. Il a témoigné à l’audience à propos de la ligne de conduite d’Airbus en affaires, particulièrement en ce qui concerne l’octroi de licences pour l’utilisation de technologies. Le témoignage de M. Bron a été utile, dans la mesure où il avait trait à l’attribution d’une licence à un concurrent dans le cas de technologies de base ou de technologies brevetées (voir les paragraphes 145 et 149).

[78]           M. Lemos est le directeur du Secteur aviation privée et d’affaires, ventes et marketing, Europe, chez Airbus. Il a travaillé chez Airbus pendant 13 ans. À l’audience, il a témoigné à propos du marché civil et de l’arrivée du Bell 429. Le témoignage de M. Lemos a été utile, puisqu’il avait trait à la compréhension de la nature du marché de l’hélicoptère civil et de la concurrence entre les fabricants (voir les paragraphes 124 et 126).

[79]           De plus, la demanderesse a introduit dans sa preuve composée d’éléments consignés les déclarations faites au cours des interrogatoires préalables par M. Evans et M. Gardner durant les deux étapes de l’instance, ainsi que de leurs réponses aux engagements et aux documents fournis par Bell (pièces P-109, P‑110 à P-113, P-122, et P-123/renseignements communicables qu’aux seuls avocats), et les déclarations notamment faites par MM, Youngs, Prud’homme Lacroix et Certain lors de leur interrogatoire préalable ou lors de l’audience, sans oublier de nombreuses déclarations faites par d’autres témoins durant la première étape de l’instance (pièces P-95, P-96, et P‑133/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

b)                  Bell

[80]           Mme Garneau est présidente de Bell depuis 2016. Elle a commencé à travailler pour Bell en 2004. Elle est titulaire d’un baccalauréat en éducation spécialisée et d’un baccalauréat en droit de l’Université de Sherbrooke. Elle est membre du Barreau du Québec depuis 1994. Avant de se joindre à Bell en 2004, elle a travaillé chez Bombardier Aéronautique, à Montréal, à titre de gestionnaire de contrats. À l’audience, Mme Garneau a témoigné relativement à l’incidence sur Bell du jugement CF 2012 et des mesures prises pour éviter que la contrefaçon de brevet se reproduise. Le témoignage de Mme Garneau a été utile, dans la mesure où il avait trait à la question de déterminer si les dommages-intérêts punitifs étaient nettement proportionnels au caractère répréhensible de la conduite de la défenderesse et à la nécessité de la dissuasion (voir les paragraphes 402 à 405, 409 et 428).

[81]           Les avocats de la demanderesse se sont opposés au témoignage de Mme Garneau sur le nouveau manuel de la PI qui a été mis en place par Bell après 2005. L’article 248 des Règles interdit la présentation de cet élément de preuve, puisque la demanderesse a tenté d’obtenir toutes les nouvelles politiques mises en œuvre par la défenderesse après 2005 au cours de l’interrogatoire préalable et que ses demandes sont restées lettres mortes. Cette disposition a pour objet d’éviter que l’une ou l’autre partie soit lésée par la communication tardive de documents ou de renseignements et d’interdire le recours aux « pièges » pendant l’instruction (Apotex Inc c Sanofi Aventis, 2010 CF 481, [2010] ACF no 560, au paragraphe 6). Selon l’engagement 35 pris durant l’interrogatoire de M. Gardner, le 11 juin 2009, Bell devait fournir une copie de sa politique en vigueur en matière de PI, et indiquer depuis quand cette politique avait été mise en place et si celle‑ci était différente de celle mise en place au départ en 2000 et 2003, à l’époque du programme appelé Modular Affordable Program Line (MAPL) ([traduction] « Gamme de produits modulaires abordables »). À l’audience, la demanderesse a précisé que son opposition ne visait que la déclaration de Mme Garneau concernant la nouvelle mesure prise par Bell pour faire appliquer le droit des brevets au sein de la société. L’opposition est bien fondée, mais n’est pas déterminante. Selon le témoignage de Mme Garneau, le manuel Textron 2005, qui était en fait la politique en place à l’époque de la contrefaçon, n’a pas été suivi par les employés de Bell.

[82]           M. Evans est directeur du marketing chez BHTI depuis octobre 2010. Avant de se joindre à BHTI, M. Evans a travaillé, de 1998 à 2010, dans la Division Avions commerciaux de Bombardier, à la vente des avions CRJ et Dash 8. Le témoignage de M. Evans a principalement porté sur le marché des hélicoptères civils et de ses segments, le Bell 429, les aspects pris en compte par le client lors de l’achat d’un hélicoptère et les contrats de licence de technologie de Bell. Le témoignage de M. Evans a été utile, dans la mesure où il avait trait à la compréhension de la nature du marché des hélicoptères civils, la concurrence entre les fabricants, la demande des clients et les pratiques de Bell en ce qui concerne l’acceptation des LI (voir les paragraphes 127, 155, 159, 163 à 165, et 334).

[83]           M. O’Reilly est président des conseils d’administration d’Eagle Copters, d’Eagle Copters Maintenance, et de DART Aerospace. Il est également membre fondateur d’Eagle Copters South America et d’Eagle Copters Australasia Pty. Ltd. Son témoignage a principalement porté sur son expérience personnelle en ce qui concerne les principaux éléments pris en compte par les clients, ainsi que le temps et les coûts qu’exigent habituellement la conception et la fabrication d’un train d’atterrissage (voir les paragraphes 168 et 322). Toutefois, son témoignage doit être apprécié en fonction de la prétention d’Airbus selon laquelle M. O’Reilly n’est pas un expert reconnu, et ne peut donc pas fournir une opinion sur la demande du marché et, surtout, sur la question litigieuse de savoir si les hélicoptères de Bell, y compris le Bell 429, répondent aux besoins particuliers des clients.

[84]           M. Hatcher est directeur des finances chez Bell commercial aircraft. Il s’est d’abord joint à Bell en 2003, à titre d’analyste en évaluation de sous-traitance. Il a quitté Bell en 2009 et il est allé travailler chez L-3 Communications, puis il est retourné travailler chez Bell en 2011 à titre de gestionnaire du financement commercial. M. Hatcher a occupé ce poste jusqu’en 2014, année où il a été promu à son poste actuel. M. Hatcher a parlé des dépôts reçus en rapport avec les LI pour le Bell 429 et la gestion de la trésorerie (voir les paragraphes 333 et 427).

[85]           Quant à Mme Jones, celle-ci est gestionnaire des opérations commerciales chez BHTI. Avant de se joindre à BHTI en 2009, Mme Jones a travaillé chez Textron Aviation, une société sœur de BHTI. Lorsqu’elle s’est jointe à BHTI, Mme Jones était directrice d’un groupe de gestionnaires de contrats qui s’occupaient de toutes les ententes d’achat à l’échelle mondiale pour Bell Helicopter, notamment en ce qui concerne le Bell 429. En 2014, Mme Jones est devenue gestionnaire des opérations commerciales. Mme Jones a témoigné à propos des LI relatives au Bell 429, ainsi qu’à propos des annulations, des remboursements et des crédits (voir paragraphe 332).

[86]           M. Thiagarajan est ingénieur chez BHTI. Il a travaillé sur le train d’atterrissage pour l’hélicoptère Bell 407, de 1994 jusqu’à très peu de temps avant 1996, puis il a plus tard commencé à travailler à la conception du Bell 427. Par la suite, jusqu’en 1999, il a participé à la mise à l’essai du Bell 427 en vue de sa certification. En 2008, M. Thiagarajan a été promu au poste d’ingénieur principal, poste qu’il a occupé jusqu’en 2013. En 2013, il est devenu superviseur de l’analyse structurale. Il travaille actuellement comme ingénieur chez BHTI, où il agit comme agent de liaison entre les bureaux du programme de mise à niveau du H1 des États‑Unis, pour ce qui est du volet gouvernemental et du volet hélicoptère. M. Thiagarajan a principalement parlé de la mise au point du train à poutre en I qui, selon la défenderesse, constituait un PSNC valide à la veille de la première contrefaçon (automne 2005) (voir les paragraphes 201 à 203 ainsi que 317 et 318).

[87]           Le témoignage de M. Thiagarajan fait l’objet d’une objection générale de la part d’Airbus, car, selon elle, celui-ci n’a pas respecté l’article 223 des Règles et n’est pas un expert reconnu. En effet, l’existence du train d’atterrissage à poutre en I, à titre de PSNC, n’a été communiquée à Airbus pour la première fois que le 31 mars 2016, dans le document portant le numéro B-0436 (pièce P-117/renseignements communicables qu’aux seuls avocats), à savoir une présentation PowerPoint datée du 20 décembre 2012 et intitulée « M429 I-Beam Landing Gear – remaining Cost/Schedule for Project Completion » ([traduction] « Train d’atterrissage M429 à poutre en I – Coûts résiduels/Calendrier d’achèvement du projet (20 12 2012) ») (la présentation de 2012). Bien que l’objection soit bien fondée, la Cour a néanmoins examiné l’ensemble du témoignage de M. Thiagarajan, qui est crédible dans la mesure où il a trait à la chronologie ainsi qu’aux nombreuses configurations et caractéristiques du train à poutre en I. Toutefois, le témoignage est irrecevable et, au mieux, purement hypothétique, en ce qui concerne le fait que le train à poutre en I pouvait servir de PSNC, que ce soit sur le plan technique (M. Thiagarajan n’est pas un expert reconnu) ou sur le plan économique (M. Thiagarajan ne prenait pas de décisions de nature commerciale).

[88]           M. Gardner a déjà témoigné lors de la première étape de l’instruction. M. Gardner est ingénieur et il s’est d’abord joint à Bell en 1993, à titre d’analyste de structure. Il a quitté Bell en 2001 et est allé travailler dans une autre société à Montréal, puis il s’est de nouveau joint à Bell en 2003. M. Gardner a travaillé sur le projet MAPL à Fort Worth (Texas) avant de participer au projet Bell 429, à titre d’analyste principal en structure. En 2009, M. Gardner est devenu chef de l’analyse structurale chez Bell à Mirabel. En 2012, il est devenu gestionnaire des services d’ingénierie chez Bell, et à la fin de 2013, il a été nommé ingénieur en chef pour le modèle 429. En août 2015, M. Gardner a été nommé gestionnaire de l’analyse en structure de la cellule,  responsable de la cellule, en rotors, et en fatigue. M. Gardner a principalement témoigné relativement à la mise au point du Bell 429, notamment relativement aux coûts des solutions de rechange au train Legacy et au processus de certification du Bell 429 (voir les paragraphes 137, 189, 190 à 195, 316, 362 et 363).

[89]           À l’audience, les avocats de la demanderesse se sont opposés à un certain nombre de déclarations, tirées du rapport de M. Schwartz, que M. Gardner a répétées à l’audience, à propos de l’existence sur le plan technique de PSNC valides, et se sont également opposés à des estimations de temps arbitraires concernant la mise au point du train Production. En particulier, la demanderesse s’est opposée à l’opinion de M. Gardner sur l’existence, à la veille de la première contrefaçon du brevet 787 (automne 2005), d’un train classique pouvant servir de PSNC. M. Gardner n’a pas été reconnu comme expert (jugement CF 2012, au paragraphe 181). Par conséquent, il n’était pas qualifié pour dire si la technique classique constitue un PSNC valide. Toutefois, dans la mesure où M. Gardner a simplement déclaré que, en fait, l’utilisation du train classique avait été envisagée par la direction de Bell lors de la mise au point du Bell 429, son témoignage était recevable et a, en fait, été dûment examiné par la Cour. Par conséquent, la Cour a décidé d’admettre en presque totalité le témoignage de M. Gardner, tout en n’accordant aucun poids à ses opinions et à ses déclarations gratuites qui n’étaient pas crédibles ou qui n’étaient pas étayées par des éléments de preuve documentaire corroborants.

[90]           Bien que M. Certain n’ait pas témoigné lors de la seconde étape de l’instruction, la défenderesse a renvoyé à des déclarations qu’il avait faites durant les interrogatoires préalables en 2009 et 2010 (pièce D‑115/rensignements confidentiels). M. Certain travaille comme ingénieur d’essai en vol chez Eurocopter et ses prédécesseures depuis les années 70, et il a principalement témoigné à propos de ses premiers vols, vers 1996, avec des aéronefs équipés du train Moustache. M. Certain a également parlé des autres prototypes mis au point par Airbus au cours de la même période et de leurs problèmes de résonnance au sol. Dans ses éléments consignés en preuve, la défenderesse a souligné les passages dans lesquels M. Certain a parlé de la « maquette » du train Moustache, qui aurait été préparée, pour la première fois, le soir précédant sa présentation officielle en 1995.

[91]           De plus, la défenderesse a introduit, dans sa preuve composée d’éléments consignés, des déclarations faites durant les interrogatoires préalables par M. Gardner, M. Evans et M. Youngs, ainsi que des réponses aux engagements et des documents produits pour le compte de Bell et d’Airbus respectivement (pièces D‑85 et D-86/renseignements confidentiels ainsi que pièce D‑116/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats).

4.                  Les témoignages d’experts

[92]           La demanderesse a appelé M. Bradley A. Heys à témoigner à titre d’expert en dommages‑intérêts (1er et 2 juin 2016) (l’expert d’Airbus). En plus de son rapport du 4 mars 2016 (pièce P-115/renseignements communicables qu’aux seuls avocats), M. Heys a déposé, à l’audience, un addenda daté du 26 mai 2016 (pièce P‑116/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[93]           La défenderesse a appelé M. Steven Schwartz à titre d’expert en dommages‑intérêts (7, 8 et 9 juin 2016) [l’expert de Bell]. M. Schwartz a déposé à l’audience son rapport d’expert daté du 29 avril 2016 (pièce D‑119/renseignements communicables qu’aux seuls avocats) et son rapport complémentaire daté du 27 mai 2016 (pièce D-120/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

a)                  Les compétences

[94]           M. Heys est actuellement vice-président de NERA Economic Consulting et est membre des sections Pratiques financières, Propriété intellectuelle et Valeurs mobilières de la firme. Il est également analyste financier agréé et examinateur certifié en fraude. Il détient un baccalauréat en commerce de l’Université de Guelph ainsi qu’une maîtrise en économie de l’Université Queens, et il a complété le cours pour l’obtention d’un doctorat en économie à l’Université de Toronto. Il détient également un diplôme en droit de l’Université de Toronto. Les parties ont mentionné que M. Heys était un expert en finance, en économie et en dommages‑intérêts et qu’il possédait de l’expérience en évaluation de propriété intellectuelle et en quantification de dommages économiques (notamment en dommages-intérêts pour bénéfices perdus et en redevances raisonnables au titre des dommages-intérêts) dans des différends comportant des allégations de contrefaçon de droits de propriété intellectuelle (pièce P-114).

[95]           M. Schwartz est actuellement économiste et vice-président chez Charles River Associates International (CRAI), une société de Dallas, au Texas. Il détient un diplôme de premier cycle en économie de l’Université wesleyenne, ainsi qu’une maîtrise et un doctorat en économie de l’Université du Maryland. Les parties ont mentionné qu’il était expert en questions économiques liées à la propriété intellectuelle, en antitrust et en litiges en matière de préjudices commerciaux, y compris en détermination de redevances raisonnables résultant d’une négociation hypothétique de redevances dans des affaires de brevet, y compris en théorie de la négociation applicable ainsi qu’en évaluation des avantages économiques découlant de la contrefaçon de brevet, et qu’il possédait de l’expérience dans le domaine des aéronefs et de l’aérospatial, notamment en ce qui concerne les brevets qui s’y rattachent (pièce D-118).

[96]           La Cour est convaincue que les deux experts en dommages-intérêts possèdent des connaissances spécialisées en économie plus importantes que celles de l’homme ordinaire. Toutefois, la défenderesse a sérieusement mis en doute le poids qu’il convenait d’accorder aux opinions de M. Heys sur le sujet, puisqu’il n’avait jamais participé à une affaire de négociation hypothétique relative à une redevance raisonnable pour une contrefaçon de brevet. Au contraire, l’expertise de M. Heys porte principalement sur les droits d’auteur et les marques de commerce (argumentation finale de Bell, au paragraphe 84). La Cour comprend que l’expérience de M. Heys en matière d’évaluation de dommages causés par la contrefaçon de brevet n’est en quelque sorte pas aussi importante que celle de son collègue, M. Schwartz, qui est en fait un expert en la matière (pièce D-118). Néanmoins, la Cour a examiné l’ensemble du témoignage et les rapports de M Heys, étant donné son expertise économique générale en matière de quantification de dommages-intérêts dans les litiges touchant la propriété intellectuelle.

b)                 La portée des opinions respectives des experts

[97]           M. Heys a déclaré que son mandat consistait, en premier lieu, à donner son opinion sur les dommages subis par Airbus, et, en second lieu, sur l’avantage économique dont avait bénéficié  Bell par suite de la contrefaçon. Dans son rapport d’expert de mars 2016 (pièce P‑115/renseignements communicables qu’aux seuls avocats), M. Heys a analysé quelques éléments de la négociation hypothétique, tels que le type de redevance qui aurait été accordée, l’existence d’un PSNC à la veille de la première contrefaçon et, enfin, les bénéfices additionnels que Bell aurait réalisés suite à la mise en œuvre des trains Legacy par rapport à ce qui lui en aurait coûté si elle avait elle‑même mis au point son propre train à patins. M. Heys a déclaré qu’on ne lui avait pas demandé de donner son opinion quant au montant qu’il convenait d’accorder en dommages punitifs, parce qu’il était conscient que c’était à la Cour qu’il revenait de trancher cette question. Par conséquent, son analyse de l’avantage économique tiré par Bell par suite de sa contrefaçon du brevet n’est fournie que pour aider la Cour en ce qui concerne sa propre évaluation des dommages-intérêts punitifs. M. Heys a également joint un addenda à son rapport, car on lui a demandé d’examiner des renseignements ayant trait (1) à la mise au point du train à poutre en I; (2) aux dépôts que Bell a reçus de ses clients potentiels en lien avec les LI relatives à l’achat d’hélicoptères Bell 429 (pièce P‑116/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[98]           M. Schwartz s’est fait demander par les avocats de Bell de faire une « analyse positive » de la redevance raisonnable qui pourrait être fixée si Bell était autorisée à exploiter le brevet 787 par suite d’une négociation hypothétique entre elle et Airbus. M. Schwartz estime que son évaluation des bénéfices qu’Airbus risque de perdre et le besoin qu’a Bell d’obtenir une licence sont exagérés et ne correspond pas à la concurrence dans le marché et à l’économie du marché. M. Schwartz ne souscrit pas aux conclusions de M. Heys quant au taux de redevance et quant à la structure de la redevance. En ce qui concerne la demande de dommages‑intérêts d’Airbus, M. Schwartz a également fait une évaluation des avantages économiques tirés par Bell de la contrefaçon du brevet 787 : il a examiné les économies de coûts en capital liés à la collecte et à l’utilisation des sommes déposées pour le Bell 429, les économies de coûts de certification, les bénéfices additionnels, les économies de coûts, ainsi que l’amélioration des relations avec les clients et de la valeur de la réputation de l’entreprise.

c)                  Les hypothèses de fait acceptées et les hypothèses de fait contestées

[99]           En rédigeant leurs rapports et en faisant leurs calculs, les experts des parties ont présumé que la négociation hypothétique relative au droit conféré par la demanderesse (le concédant) à la défenderesse (le titulaire de licence) d’utiliser la technologie brevetée visée par le brevet 787 aurait eu lieu à l’automne 2005, et que la licence hypothétique serait une licence valide à l’échelle internationale (pièce P-115/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, au paragraphe 80; pièce D-119/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, au paragraphe 34). À l’appui de ses calculs respectifs sur le montant des dommages-intérêts, chaque expert s’est fié à un certain nombre de faits, dont certains ont été admis par les parties ou avaient déjà été prouvés (comme les conclusions tirées par la Cour dans le jugement CF 2012), alors que d’autres furent fortement contestés (comme l’existence d’un produit de substitution non contrefait valide, les coûts de mise au point, les bénéfices additionnels, etc.).

[100]       La qualité et la fiabilité des renseignements sur lesquels les experts fondent leurs analyses et conclusions respectives constituent une difficulté importante pour la Cour dans la présente instance. Par exemple, l’expert d’Airbus, M. Heys, souligne qu’on ne lui a pas fourni les renseignements pertinents concernant : (1) les frais engagés par Bell dans le cadre de la mise au point des trains Legacy et Production contrefaits; (2) les prévisions quant aux ventes du Bell 429; (3) les renseignements ou les données concernant les marges bénéficiaires brutes de Bell quant à l’hélicoptère Bell 429 ou quant à ses hélicoptères légers en général; (4) les renseignements concernant les revenus et les bénéfices réels ou prévus concernant les produits après-vente, l’entretien, les services de réparation et de révision relatifs aux hélicoptères Bell 429 ou aux hélicoptères légers de Bell en général. Par contre, M. Schwartz (comme s’il était le juge des faits) a examiné ce qu’il a décrit comme la [traduction] « question préliminaire de causalité ». Pour qu’il y ait un avantage pour Bell dans les catégories susmentionnées d’avantages économiques possibles, il doit exister un lien de causalité entre la contrefaçon et l’avantage. Ces problèmes doivent être réglés en fonction du fardeau de preuve respectif des parties.

[101]       Dans la mesure où les rapports et les témoignages présentés à l’audience par les deux experts ne portent que sur des questions d’ordre économique ou sur leurs champs d’expertise particuliers, la Cour a tenu compte de ceux-ci dans le calcul de la redevance raisonnable due à Airbus, à condition que les hypothèses formulées par les experts aient pu être étayées par la preuve.

d)                 Les préoccupations quant à l’impartialité des experts et quant à leurs méthodologies

[102]       Ce n’est pas aux experts qu’il revient de tirer des conclusions de fait, une tâche qui relève exclusivement de la Cour, ni de formuler des arguments juridiques à l’appui d’une partie ou contre une partie. Comme l’a déclaré le juge Hughes dans la décision Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2008 CF 11, [2008] ACF no 3, au paragraphe 47, à propos de l’interprétation de la divulgation d’un brevet, les experts peuvent éclairer la Cour sur le sens de mots et d’expressions de même que sur certaines questions scientifiques et le contexte pertinent, mais la Cour doit toutefois veiller à ne pas laisser les experts la supplanter dans son rôle. Bien qu’il soit établi, selon l’article 52.2 des Règles, que le témoin expert a « l’obligation primordiale d’aider la Cour avec impartialité quant aux questions qui relèvent de son domaine de compétence », M. Heys et M. Schwartz n’étaient parfois (mais pas toujours), de l’avis de la Cour, rien de plus que des défenseurs d’Airbus et de Bell respectivement, compte tenu de certaines thèses extrêmes ou irréalistes défendues par les deux experts.

[103]       Le choix de méthodologie fait par chacun des experts donne également prise à la critique. Ils ont tous les deux, plus ou moins, adopté, dans leurs rapports respectifs, une approche axée sur les résultats et y ont formulé des arguments prêtant à controverse. La Cour ne souscrit pas non plus aux thèses ambivalentes ou contradictoires des experts qui ont proposé la meilleure de deux solutions discordantes, apparemment dans l’intérêt de leurs clients respectifs. Avant l’instruction, les avocats d’Airbus se sont opposés aux conclusions de M. Schwartz à propos de la présence ou de l’absence d’éléments de preuve (pièce D‑87/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). En réponse, les avocats de Bell se sont opposés aux mêmes conclusions de droit tirées par M. Heys dans son rapport (pièce D-88/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Bien qu’elle n’ira pas jusqu’à radier ces paragraphes, la Cour n’accordera aucune valeur probante à toute opinion juridique formulée par les experts dans leur rapport ou à l’instruction.

[104]       En ce qui concerne le calcul d’une redevance raisonnable, la Cour conclut notamment que l’analyse d’Airbus sur les bénéfices qu’elle risque de perdre en fonction des ventes prévues d’hélicoptères Bell 429 est partiale et irréaliste, et vise à avoir le meilleur des deux mondes. M. Heys souligne que [traduction] « Bell a tiré des avantages économiques importants de sa contrefaçon du brevet 787, malgré qu’elle n’ait vendu aucun hélicoptère B429 équipé d’un train d’atterrissage contrefait » et qui [traduction] « [c]umulativement […] pourraient totaliser des dizaines de millions de dollars » sous forme d’économies de coûts en capital liés à la collecte et à l’utilisation des dépôts des clients relatifs au Bell 429 reçus par Bell à la suite de sa promotion de l’aéronef avant la création du train Production au début de 2009, sous forme d’économies de coûts de certification, de bénéfices additionnels et/ou d’une augmentation plus rapide des bénéfices bruts découlant du fait de ne pas devoir refaire les mises à l’essai relatives à l’optimisation et à la certification, d’économies de coûts découlant du fait que Bell n’a pas à mettre au point, de façon indépendante, un train non contrefait pour le Bell 429, d’une meilleure relation avec les clients, d’une valeur de la réputation (ou de la marque) accrue par suite de la promotion par Bell du train Moustache comme s’il s’agissait de sa propre invention (pièce P‑115/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, aux paragraphes 140 à 155). À cet égard, M. Heys prétend que [traduction] « [l]es avantages économiques réellement tirés par Bell peuvent être utiles à la Cour pour fixer le montant des dommages-intérêts punitifs dans la mesure où ces avantages ne sont pas autrement pris en compte dans le calcul des dommages intérêts compensatoires » (pièce P-115/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, au paragraphe 139). Toutefois, dans le calcul des dommages-intérêts compensatoires qui prendraient la forme d’un paiement forfaitaire d’une redevance raisonnable d’environ 1,7 à 11,8 millions de dollars, M. Heys propose un cadre où aucun des avantages économiques susmentionnés n’est pris en compte, sauf les coûts supplémentaires prévus pour la mise au point sans licence, soit 250 000 $.

[105]       Par contre, l’opinion de l’expert de Bell est très contestable. Par exemple, le rapport de M. Schwartz contient un certain nombre de « conclusions positives » qui échappent à son domaine d’expertise. La Cour estime inacceptable que l’expert de Bell tire dans son rapport des « conclusions » relativement à des questions de fait très contestées comme le transfert de technologie, les différences dans la pratique de l’invention, la licence non inclusive, les limitations territoriales, les modalités de la licence, la technologie concurrentielle, la concurrence entre le concédant et le titulaire de licence, la demande du produit, le risque, la nouveauté de l’invention, l’indemnisation des coûts de la recherche et du développement, le déplacement des affaires et la capacité de répondre à la demande du marché (pièce D-119/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, au paragraphe 47), puis qu’il ajoute sa conclusion sur la question de savoir quel effet chacun des facteurs est susceptible d’avoir, à savoir un effet « neutre », « favorable » ou « défavorable », sur la redevance. Cela a une grande incidence sur l’impartialité de l’ensemble de l’analyse de l’expert de Bell (pièce D-119/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, aux paragraphes 83 et 84).

[106]       Par ailleurs, comment M. Schwartz peut-il proposer de façon réaliste à la Cour un modèle d’indemnisation fondé sur une redevance échelonnée payable pendant la durée de validité du brevet fondée sur les ventes prévues d’hélicoptères Bell 429 et calculée en fonction de 21 hélicoptères équipés du train Legacy? Dans les faits, il n’y a eu aucune vente d’hélicoptère Bell 429 équipé du train Legacy, alors que les 21 trains Legacy contrefaits ont été utilisés pour obtenir la certification du Bell 429 et/ou pour obtenir des LI. Par ailleurs, l’économie relative aux coûts additionnels de mise au point a déjà été réalisée et aurait pu facilement être calculée par M. Schwartz grâce à des renseignements fiables. Il n’y a tout simplement aucune raison de proposer une redevance échelonnée. Le montant symbolique de 5 187 $ calculé par M. Schwartz n’est pas réaliste et n’aurait jamais été offert ou envisagé par les parties dans le cadre d’une négociation hypothétique tenue la veille de la première contrefaçon du brevet 787, même avec le recul.

[107]       En résumé, il s’avère que le poids relatif que la Cour accordera au témoignage d’expert quant à la méthodologie proposée pour le calcul des dommages‑intérêts dépend en grande partie des conclusions que la Cour pourra tirer quant à un certain nombre de faits contestés. Bien que les deux parties conviennent que le cadre approprié pour le calcul des dommages‑intérêts compensatoires est celui de la négociation hypothétique d’une redevance, cela n’exclut pas la possibilité que la Cour recoure à une autre formule si cela est plus logique, compte tenu des faits particuliers de l’espèce et de la réalité concrète de la situation faisant l’objet d’une évaluation. Au fil des ans, divers spécialistes ont constaté chez les experts un phénomène connu sous le nom d’« ancrage ». Pour illustrer ce phénomène, donnons l’exemple de la personne qui fait des estimations, par exemple, quant à la juste valeur marchande, pour ancrer le décideur dans ses estimations finales (Guthrie, Chris; Rachlinski, Jeffrey J.; et Wistrich, Andrew J., « Judging by Heuristic: Cognitive Illusions in Judicial Decision Making » (2002), Cornell Law Faculty Publications, document 862). La recherche sur ce qu’on appelle l’effet d’ancrage a démontré qu’une norme choisie au hasard dans le cadre d’un jugement comparatif peut considérablement influencer un jugement absolu ultérieur portant sur la même cible. Pensons, par exemple, au contexte civil de l’attribution de dommages‑intérêts. Dans les verdicts de lésions corporelles, l’indemnisation demandée influence systématiquement l’indemnisation accordée par le jury (Englich, Birte; Mussweiler, Thomas; Strack, Fritz, « Playing Dice With Criminal Sentences: The Influence of Irrelevant Anchors on Expert’s Judicial Decision Making », (2006) 22:2 PSPB, aux pages 188 à 200). Par conséquent, la Cour ne conteste pas les calculs ou les bases sur lesquels les experts des deux parties se sont fondés dans leurs rapports. Toutefois, dans l’éventualité où les deux experts font des affirmations contraires, la Cour ne peut pas se fier à ces ancrages non pertinents et elle s’en tiendra plutôt à la preuve objective et factuelle.

D.                Détermination finale du montant des dommages-intérêts

[108]       La Cour a examiné l’ensemble des éléments de preuve admissibles soumis à l’instance. En dernière analyse, la Cour juge que la demanderesse a droit a un montant total en dommages‑intérêts de 1 500 000 $, composé de 500 000 $ en dommages‑intérêts compensatoires et de 1 000 000 $ en dommages‑intérêts punitifs, plus les intérêts avant et après jugement aux taux fixés dans le jugement CF 2012. Les conclusions particulières tirées par la Cour relativement à la causalité et au calcul des dommages-intérêts sont énoncées dans les deux sections qui suivent.

  VI.            L’ATTRIBUTION DE DOMMAGES‑INTÉRÊTS COMPENSATOIRES

A.                 Les principes juridiques en jeu

[109]       Tout acte qui prive de la pleine jouissance du monopole conféré par la loi au titulaire du brevet constitue de la contrefaçon. Le défendeur n’est tenu que de compenser la perte subie par le demandeur, laquelle ne serait pas survenue, n’eût été le « facteur déterminant » des actes du défendeur (Athey c Leonati, 1996 CanLII 183 (CSC), [1996] 3 RCS 458, au paragraphe 14). Le lien de causalité est essentiel (Merck & Co Inc c Apotex Inc, 2013 CF 751, [2013] ACF no 840 (Lovastatine CF), conf. par 2015 CAF 171, [2015] ACF no 900 (Lovastatine CAF), au paragraphe 45, autorisation de pourvoi refusée [2015] CSCA no 414).

[110]       Pour en arriver aujourd’hui à décider que le montant des dommages-intérêts compensatoires qui doit être accordé à la demanderesse, en conséquence du fait que la défenderesse a été jugée coupable d’avoir contrefait le brevet 787, doit être 500 000 $, la Cour a dû, il va sans dire, se livrer à un exercice très axé sur les faits, car elle a dû trouver le juste équilibre, étant donné les circonstances uniques et très spéciales de l’espèce. En effet, l’objet du droit des brevets dans son ensemble est de favoriser la recherche et le développement et à encourager l’activité économique en général (Free World Trust c Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, [2000] 2 RCS 1024, au paragraphe 42). Par conséquent, la sous-indemnisation de l’inventeur a pour effet de décourager la recherche et le développement ainsi que la divulgation d’inventions utiles. De la même façon, la surindemnisation de l’inventeur a pour effet de décourager la concurrence si un contrefacteur éventuel n’est pas sûr de la portée et de la validité d’un brevet (Lovastatine CAF, au paragraphe 42).

[111]       Voici ce qui a été énoncé dans le jugement CF 2012, au paragraphe 407 :

[407]    L’objet d’une adjudication de dommages-intérêts est de remettre le demandeur dans la position dans laquelle il se serait trouvé si la contrefaçon n’avait jamais eu lieu. Chaque contrefaçon est un préjudice distinct et, de ce fait, chaque objet fabriqué est une contrefaçon (en l’espèce, il s’agit de chaque train Legacy), mais [TRADUCTION] « il est toutefois nécessaire de conserver un certain sens de la mesure » (Vaver, précité, à la page 632). Le fait que Bell ignorait censément que ses actes constituaient une contrefaçon importe peu pour ce qui est de sa responsabilité; les dommages-intérêts pour contrefaçon suivent en général les dommages-intérêts pour responsabilité délictuelle (Vaver, précité, aux pages 631 et 632). Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Schmeiser, précité, au paragraphe 37 : [e]n pratique, l’inventeur est normalement privé des fruits de son invention et de la pleine jouissance de son monopole lorsqu’une autre personne exploite l’invention en question à des fins commerciales, sans avoir préalablement obtenu une licence ou une autorisation en ce sens », ce qui était manifestement le cas en l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[112]       En principe, selon le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P-4, le breveté a le choix entre deux types de réparation : les dommages-intérêts et la restitution des bénéfices. En l’espèce, la Cour a déjà décidé que la demanderesse ne pouvait pas demander une restitution des bénéfices (jugement CF 2012, aux paragraphes 410 à 416). Lorsqu’il ne peut être prouvé qu’il y a vraiment eu préjudice (p.ex., une perte de bénéfices), le titulaire du brevet a droit à une redevance raisonnable (Jay-Lor International Inc c Penta Farms Systems Ltd, 2007 CF 358, [2007] ACF no 688 (Jay-Lor), au paragraphe 123; Lovastatine CF, au paragraphe 41).

[113]       L’étendue de la contrefaçon n’est pas vraiment la question qui nous occupe maintenant, dans la mesure où il n’est pas contesté que 21 trains Legacy contrefaits ont été fabriqués par une filiale de la défenderesse et utilisés par la défenderesse à des fins diverses (jugement CF 2012, aux paragraphes 176 et 177). La demanderesse n’a pas tenté de quantifier les pertes de ventes d’hélicoptères occasionnées par la contrefaçon, bien que, dans la proposition subsidiaire de M. Schwartz quant aux dommages-intérêts, les 21 trains contrefaits utilisés par Bell ont été comptabilisés comme pertes de ventes. Dans ce dernier cas, la valeur marchande de chaque train d’atterrissage serait de 25 000 $, et la marge bénéficiaire du fabricant serait de 40 p. 100. Ce sujet sera abordé plus loin dans les présents motifs (voir les paragraphes 273 à 278). La question que la Cour doit trancher est de savoir si le montant des dommages‑intérêts compensatoires réclamé par Airbus, pas moins de 2 000 000 $, selon Airbus, ou pas plus de 5 187 $, selon Bell, correspond au montant sur lequel les parties s’entendraient dans le cadre d’une négociation hypothétique.

[114]       La négociation hypothétique en question en est une qui aurait eu lieu la veille de la contrefaçon. Pour les besoins du litige, les avocats et leurs experts ont choisi le 18 octobre 2005 comme date à laquelle le train Legacy a été présenté au public pour la première fois au Salon aéronautique de Séoul en Corée, et bien que le train Legacy puisse avoir été réellement mis au point un peu avant, soit durant l’hiver 2015 (exposé conjoint des faits, pièce B‑0105, au paragraphe 33, point 16, et mentionné par l’expert d’Airbus dans la pièce P‑115/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, au paragraphe 19, note de bas 6). Les faits qui se sont produits après la date de la première contrefaçon sont également pertinents, dans la mesure où les « parties sont présumées connaître tous les faits », y compris tous les renseignements « qui sont devenus accessibles dans le cadre du litige et depuis cette époque » (Jay-Lor, aux paragraphes 126 et 151).

[115]       Le montant réel de la redevance auquel les parties seraient arrivées dans le cadre d’une telle négociation hypothétique peut être calculé de plusieurs façons différentes. Il n’existe pas qu’une seule méthodologie ou qu’un certain nombre de méthodologies. Tout dépend des circonstances de l’espèce. Lorsqu’il élabore ce monde hypothétique de faits, le juge des faits peut tirer des conclusions à partir de tout élément de preuve admissible (Pfizer Canada Inc c Teva Canada Limited, 2016 CAF 161, [2016] ACF no 579 (Teva Canada Limited CAF), au paragraphe 46). À cet égard, la Cour est autorisée à tirer des conclusions à partir de la preuve quant à ce qui serait probablement arrivé « n’eût été le manquement » (Cadbury Schweppes Inc c Aliments FBI, [1999] 1 RCS 142, à la page 186). Les parties doivent être capables de démontrer à la Cour que toute conclusion tirée par leur expert repose sur des éléments de preuve fiables.

[116]       La demanderesse prétend qu’un paiement forfaitaire devrait être accordé à titre de redevance raisonnable. C’est ce que la demanderesse, laquelle détient un pouvoir de négociation plus important, aurait demandé dans le cadre d’une négociation hypothétique (en raison des risques que comporte une redevance échelonnée). En ce qui concerne la « volonté minimale d’accepter » (VMA) d’Airbus, la Cour devrait déterminer l’incidence que pourrait avoir l’octroi d’une licence sur les bénéfices prévus d’Airbus, comparativement à la non‑attribution d’une licence. Étant donné que, selon sa « volonté maximale de payer » (VMP), Bell serait prête à verser un montant se situant entre 2 et 15,2 millions de dollars, la demanderesse prétend que le montant des dommages-intérêts compensatoires devrait être d’au moins 2 millions de dollars (argumentation finale de la demanderesse/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, 10 juin 2016, aux paragraphes 200 à 204 (argumentation finale d’Airbus)).

[117]       La défenderesse a quelque peu peaufiné son point de vue original selon lequel « tout dommage hypothétique […] subi par suite de la contrefaçon serait de minimis et trop éloigné pour faire l’objet d’une réclamation » (jugement CF 2012, au paragraphe 408). La défenderesse convient maintenant que les attentes des parties relativement à l’utilisation prévue de l’invention brevetée à la date de la négociation hypothétique peuvent être établies plus facilement par l’examen de [traduction] « la mesure dans laquelle le contrefacteur a utilisé l’invention; de tout élément de preuve probant quant à la valeur de cette utilisation » (Lucent Technologies Inc v Gateway Inc, 580 F 3d 1301 (cir féd 2009) (Lucent Technologies), à la page 1578). Toutefois, la défenderesse prétend que, à la veille de la première contrefaçon, il existait plusieurs PSNC. M. Schwartz a estimé que les frais engagés par Bell pour le passage à un train non contrefait seraient d’environ 101 000 $CAN, ou environ 247 $ par hélicoptère sur lequel une redevance échelonnée peut être calculée. La défenderesse prétend que la VMP serait de 5 187 $ (21 x 247 $), étant donné qu’elle n’a utilisé que 21 trains Legacy (argumentation finale de la défenderesse/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, 10 juin 2016, aux paragraphes 269 à 271 (argumentation finale de Bell)).

B.                 La reconstitution de la négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon : facteurs contextuels

[118]       Comme la première question de fait débattue par les parties dans la présente instance est celle qui consiste à savoir qui, dans la négociation hypothétique, entre Eurocopter ou Bell, aurait le plus grand pouvoir de négociation. À cet égard, les concepts de « volonté minimale d’accepter » (VMA) et de « volonté maximale de payer » (VMP) prennent en compte des facteurs qui sont adaptés à la situation particulière et à la position concurrentielle des parties qui prennent part à une négociation hypothétique visant la conclusion d’un contrat de licence la veille de la première contrefaçon, compte tenu de tous les produits de substitution non contrefaits (PSNC) qui peuvent exister.

[119]       Lorsqu’elle a analysé la négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon, la Cour a, par le passé, pris en compte les facteurs mentionnés dans AlliedSignal Inc c Du Pont Canada Inc, [1998] ACF no 190, 78 CPR (3d) 129 (CFPI) (AlliedSignal), y compris : (1) le transfert de technologie; (2) la différence dans la pratique de l’invention; (3) la licence non exclusive; (4) la limitation territoriale; (5) la durée de la licence; (6) la technologie concurrentielle; (7) la concurrence entre le concédant et le licencié; (8) la demande du produit; (9) le risque; (10) la nouveauté de l’invention; (11) l’indemnisation des coûts de la recherche et du développement; (12) le déplacement de l’entreprise; (13) la capacité à répondre à la demande du marché (AlliedSignal, au paragraphe 209).

[120]       Les facteurs énoncés dans AlliedSignal ne sont pas très différents des facteurs énoncés dans Georgia-Pacific Corp v United States Plywood Corp, 318 F Supp 116 (SDNY 1970), à la page 1120; mod. et conf. par 496 F 2d 295 (2d Cir 1971) (Georgia-Pacific). Les facteurs énoncés dans AlliedSignal sont examinés un peu plus loin par la Cour, mais pas nécessairement dans le même  même ordre. Il a semblé plus approprié de regrouper certains facteurs qui avaient certains points en commun, tout en examinant les principaux thèmes de la preuve produite au procès. La question du ou des PSNC sera examinée séparément.

1.                  La nature du marché et la position concurrentielle des parties

[121]       Les parties ont produit plusieurs documents contenant des détails sur la nature du marché, les parts de marché, leur position concurrentielle et les produits qu’elles ont développés au fil des ans (voir notamment les pièces P-99 à P-102 et les pièces D-77 à D-79). La Cour a également examiné d’autres éléments de preuve pertinents, notamment des éléments consignés de l’interrogatoire préalable de la défenderesse (pièce D-116/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats).

[122]       La demanderesse, autrefois appelée Eurocopter, est la division responsable de la fabrication d’hélicoptères du groupe Airbus et est un joueur important dans le marché des hélicoptères civils et parapublics. C’est la société la plus importante de l’industrie sur le plan du chiffre d’affaires et des livraisons d’hélicoptères à turbine. Son siège social est situé à l’aéroport  Marseille Provence à Marignane, en France, près de Marseille. Ses principales installations sont situées à Marignane et en Allemagne, et elle possède des usines de production au Brésil, en Australie, en Espagne et aux États‑Unis. La société a été rebaptisée Airbus Helicopters en janvier 2014.

[123]       La défenderesse est une société constituée sous le régime des lois canadiennes et son principal établissement est situé à Mirabel, au Québec. Sa société mère, BHTI, exerce ses activités à Fort Worth, au Texas; elle appartient entièrement à Textron Inc., dont le siège social est situé à Providence, dans le Rhode Island. La division Bell englobe l’éventail complet des activités de recherche et de fabrication au sein du marché des hélicoptères civils et parapublics. Elle est un des principaux fournisseurs au monde d’hélicoptères militaires et commerciaux, d’aéronefs à rotors, de pièces détachées et de services connexes.

[124]       Il n’est pas contesté qu’Airbus et Bell sont des concurrents directs dans le marché des bimoteurs légers et que ce marché peut être segmenté davantage selon les besoins de l’acheteur, par exemple les services médicaux d’urgence (SMU), par opposition aux besoins organisationnels ou aux besoins d’application de la loi. Au cours de la période pertinente, le marché des hélicoptères bimoteurs légers était en pleine croissance, surtout avec la demande énorme en matière de SMU aux États‑Unis (pièce P-100). La Cour reconnaît que, en 2003, Eurocopter (alias Airbus), avec une part de marché de plus de 50 p. 100 (en ce qui a trait aux hélicoptères vendus et livrés), était de façon générale le chef de file dans le marché civil. Comme l’a expliqué M. Lemos, le segment aviation privée et aviation d’affaires constituait 19 p. 100 du marché civil; le segment pétrole et gaz du marché civil constituait 8 p. 100 en unités; le segment transport aérien commercial constituait 47 p. 100; le segment SMU constituait 13 p. 100, et 13 p. 100 additionnels en services publics.

[125]       Le caractère dominant d’Airbus dans le marché civil est corroboré davantage par le témoignage de M. Youngs. À l’audience, il a déclaré que, en 2000, le fabricant le plus important dans le marché des hélicoptères bimoteurs légers était Eurocopter, laquelle détenait une part de marché d’environ 55 p. 100 avec ses trois produits, soit : l’EC135, l’AS355 et le BO 105. Le deuxième plus important fabricant dans le marché des hélicoptères bimoteurs légers, à l’époque, était AgustaWestland, qui fabriquait le modèle Leonardo AW109, dont la part de marché était d’environ 7 p. 100. M. Youngs a également déclaré dans son témoignage que, au milieu des années 2000, Airbus détenait une part de marché d’environ 67 à 68 p. 100, puis celle-ci est descendue à environ 50 p. 100 en 2012‑2013, et elle est maintenant d’environ 45 p. 100. À l’inverse, la part de marché de Bell est descendue à environ 15 p. 100 au milieu des années 2000, elle a augmenté à 20 p. 100 en 2005‑2006, et elle se situe maintenant aux environs de 25 à 27 p. 100.

[126]       Le Bell 429 n’entrait pas en concurrence directe avec l’EC120 ou l’EC130. Le Bell 429 est un aéronef visé par la partie 27 et est un hélicoptère civil bimoteur léger qui est en concurrence directe avec l’Airbus H 135, ainsi qu’avec le Leonardo AW109. Par contre, les hélicoptères visés par la partie 29 sont davantage des aéronefs de classe transport et sont assujettis à des règles et des exigences plus rigoureuses en matière de sécurité. L’Airbus H145 tombe dans cette catégorie. Néanmoins, en 2006, le Bell 429 était considéré comme un concurrent important, car il se situe entre l’Airbus EC135 et l’Airbus l’EC145, comme l’ont déclaré M  Youngs (transcription, volume 1, à la page 178) et M. Lemos (transcription, volume 2, à la page 136).

[127]       Bien que la défenderesse ne mette pas en doute le fait qu’Eurocopter occupait une position importante dans le secteur civil au milieu des années 2000, elle n’estime pas qu’elle était une société qui devait, au milieu des années 2000, mettre au point un modèle novateur d’hélicoptère léger afin de maintenir sa part de marché ou de s’emparer de nouvelles parts de marché dans ce secteur. Selon M. Evans, Bell est une société novatrice qui a créé, au cours des décennies, des appareils militaires très perfectionnés. Par ailleurs, au cours des cinq dernières années, Bell a mis davantage l’accent sur l’innovation et a mis au point de très bons nouveaux produits et a apporté des améliorations à ses produits qui sont en vente sur le marché aujourd’hui.

[128]       La preuve soumise par la demanderesse relativement aux parts de marché et aux positions concurrentielles relatives d’Eurocopter et de Bell avant et après l’arrivée du Bell 429 est convaincante. Lorsque M. Youngs a commencé à travailler chez Airbus en 2006, le Bell 429 était considéré comme étant un concurrent important, car il se situait entre les modèles EC135 et EC145 d’Airbus. La Cour conclut que le Bell 429 était perçu par Airbus comme étant un concurrent important pour tous les types de missions, notamment les missions SMU, où les modèles bimoteurs légers constituent une solution intéressante. À cet égard, le lancement du Bell 429 a permis de rétablir la position de Bell en tant que fabricant important dans le marché des hélicoptères civils.

2.                  La nouveauté de l’invention et les différences dans la pratique de l’invention

[129]       Comme il a été souligné dans le jugement CF 2012, la demanderesse détient quelque 850 brevets qui ont généré près de 2 500 titres aux quatre coins du globe (jugement CF 2012, au paragraphe 3). Le brevet 787 vise principalement les fabricants d’hélicoptères. L’invention divulguée est présentée comme une innovation importante dans le domaine des trains d’atterrissage à patins pour les hélicoptères légers. La défenderesse ne contestait plus (bien qu’elle l’eût fait lors de la première étape de la présente instance) le fait que le train Moustache breveté était une nouvelle technologie comportant différents nouveaux avantages fonctionnels pour le fabricant d’hélicoptères légers (comme la diminution du poids et l’élimination des problèmes de résonnance au sol).

[130]       Cela étant dit, la défenderesse et son expert, M. Schwartz, soutiennent que, du point de vue économique, le caractère nouveau de l’invention et l’utilité qu’elle est censée avoir du point de vue du fabricant ne confèrent à la demanderesse aucun avantage sur le plan de la négociation à la veille de la première contrefaçon, parce que rien ne prouve que cela aurait permis à Bell de vendre un plus grand nombre d’hélicoptères Bell 429. Les demandes des clients (qui seront examinées plus loin dans les présents motifs) sont dénuées de pertinence lorsqu’il est question d’examiner la nouveauté de l’invention, les différences dans la pratique et tout transfert de technologie conclu la veille de la première contrefaçon du brevet 787. Bell et son expert ont, en fait, tous les deux tort et tirent un certain nombre de conclusions qui ne sont pas fondées sur la preuve.

[131]       Dans les réalisations antérieures, les trains d’atterrissage classiques avaient une forme orthogonale et consistaient en des tubes longs, rectilignes et habituellement circulaires orientés longitudinalement et se terminant par une courte saillie de type « ski » à l’avant. Dans un tel dessin orthogonal, les traverses avant et arrière du train d’atterrissage classique sont parallèles, et sont perpendiculaires ou sensiblement perpendiculaires aux patins d’appui au sol. Habituellement, les deux traverses sont fixées aux patins par un raccord en T (ou manchon). L’élément nouveau de l’invention divulguée dans le brevet 787 est que chacun des deux patins présente à l’avant une zone de transition inclinée à double courbure s’orientant transversalement par rapport aux plages longitudinales d’appui sur le sol, au-dessus du plan de ces dernières. De la sorte, les deux zones de transition constituent ensemble une traverse avant intégrée, décalée vers l’avant ou vers l’arrière par rapport à la délimitation avant du plan de contact des plages longitudinales d’appui des patins sur le sol (jugement CF 2012, aux paragraphes 209 à 212).

[132]       Toutefois, ce qui fait du train Moustache une technologie concurrentielle, au-delà de sa « conception raffinée » (pièce JB-372/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats, à la page 6109), c’est  que le mémoire descriptif du brevet 787 contient la promesse explicite de réduire « sensiblement » les lacunes des réalisations antérieures, et plus précisément : a) les facteurs d’accélération élevés à l’atterrissage (facteurs de charge); b) une adaptation de fréquence difficile par rapport au phénomène connu sous le nom de « résonnance au sol »; c) le poids élevé du train d’atterrissage (jugement CF 2012, au paragraphe 215). Le train Moustache est intégré dans l’EC120 et l’EC130, deux hélicoptères légers (poids maximum de 3 781 et 5 351 lb, respectivement) fabriqués par Eurocopter. Le brevet 787 divulgue des indications explicites qui peuvent être facilement comprises par la personne versée dans l’art, ainsi que des différences ou des variations mineures dans la pratique de l’invention (jugement CF 2012, aux paragraphes 326 à 332).

[133]       Comme il est souligné dans le jugement CF 2012, le train Moustache fixé sur l’EC120 et l’EC130 est une réalisation de l’invention revendiquée que renferme le brevet 787. Il a la forme d’un traîneau et est semblable au train d’atterrissage illustré à la figure 1 du brevet 787 (jugement CF 2012, au paragraphe 155). D’un point de vue commercial, les avantages techniques et les réductions de coûts découlant de l’élimination du petit ski en saillie et du manchon à l’avant sont la principale raison pour laquelle Eurocopter a décidé d’intégrer un train Moustache à l’EC120 et à l’EC130. La première vente d’un hélicoptère EC120 équipé d’un train Moustache a eu lieu à la fin de 1997 ou au début de 1998 (jugement CF 2012, au paragraphe 165). Cela étaye la conclusion de la Cour selon laquelle l’invention brevetée a trouvé un marché commercial et que son caractère innovateur conférait un avantage concurrentiel à Eurocopter qui, à titre de titulaire du brevet 787, était l’utilisateur exclusif du train Moustache pendant la durée de vie du brevet 787.

[134]       Au début des années 2000, Bell exploitait deux programmes d’hélicoptère distincts : celui du Bell 427i ainsi qu’un programme appelé MAPL (Modular Affordable Program Line, ou [traduction] « Gamme de produits modulaires abordables »). Le 427i était l’hélicoptère le plus récent dans la gamme des hélicoptères de Bell. Ses prédécesseurs étaient, notamment, le Bell 407 et le Bell 206L4. M. Guy Lambert, le directeur du programme du 427i, a déclaré lors de son témoignage à la première étape de l’instruction que, par contraste, le MAPL était un programme tout à fait nouveau (jugement CF 2012, au paragraphe 169). Il a vu le jour en septembre 2002 sous la direction de M. Malcolm Foster. L’idée était de créer une gamme de produits entièrement nouveaux comprenant les mêmes composantes et qui permettrait ainsi de réduire les coûts. Les modèles d’hélicoptère antérieurement conçus par Bell étaient munis d’un rotor bipales. À la fin des années 1970, Bell, avec le modèle 412, a introduit dans son parc d’hélicoptères commerciaux un rotor quadripales. En 2005, Bell a annoncé publiquement qu’elle introduirait bientôt son aéronef le plus récent et son porte-étendard, le Bell 429, qui était le premier hélicoptère conçu à partir de zéro; il s’agit d’un hélicoptère à rotors quadripales (jugement CF 2012, au paragraphe 167).

[135]       Des éléments du programme Bell 427i et du programme MAPL ont été combinés en septembre 2004 en vue de mener à l’élaboration de l’hélicoptère Bell 429. L’hélicoptère Bell 429 est un hélicoptère léger ayant un poids brut maximal de 7 000 lb, et il comporte une cabine modifiée dotée d’un plancher plat, de portes arrière et de grandes portes latérales. Lors de sa sortie, il a été annoncé que le Bell 429 comprenait un certain nombre de nouvelles technologies MAPL (dont le nombre se situe entre 9 et 11), et qu’aucune de ces nouvelles technologies n’était le train d’atterrissage. En 2005, les ingénieurs de Bell en sont arrivés au train Legacy. En plus d’avoir un dessin innovateur par rapport aux autres trains d’atterrissage que Bell utilisait auparavant, il avait la forme d’un traîneau, le train Legacy a été préféré à d’autres modèles en raison de son poids inférieur et de ses qualités d’absorption d’énergie (résonance au sol).

[136]       M. Peter Minderhoud était l’expert en train d’atterrissage chez Bell et il a réalisé les calculs techniques et les travaux de dimensionnement relatifs au train Legacy ainsi qu’au train Production (jugement CF 2012, aux paragraphes 169 à 171). Dans un article présenté au 64e Forum annuel de l’American Helicopter Society, tenu à Montréal du 29 avril au 1er mai 2008 et intitulé « Development of Bell Helicopter’s Model 429 Sleigh Type Skid Landing Gear », et écrit par M. Peter Minderhoud (l’article de M. Minderhoud) (pièce JB-224-D), Bell loue l’amélioration du comportement dynamique, les qualités d’absorption d’énergie et le poids inférieur du [traduction] « train d’atterrissage à patins de type “traîneau” » par rapport au [traduction] « type classique », et qui [traduction] « a été conçu pour la première fois par Bell Helicopter Textron pour l’intégrer à son nouvel hélicoptère civil, le modèle 429 » (jugement CF 2012, au paragraphe 272).

[137]       En 2009, M. Gardner a déclaré dans son témoignage que le Bell 429 était le premier type d’aéronef conçu par Bell [traduction] « à partir de zéro » depuis le modèle 222 en 1970. Par ailleurs, durant son interrogatoire principal, M. Gardner a expliqué que le train Legacy était préféré aux autres produits existants en raison de son dispositif coupe-câble, son esthétique, et, finalement, son poids (jugement CF 2012, au paragraphe 167). Cette affirmation concorde avec les conclusions selon lesquelles la défenderesse a investi |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| dans le cadre d’un programme de trois ans afin de diminuer le poids de l’aéronef de |||||||||||||||||| lb (pièce P‑117/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, à la page 15).

[138]       Compte tenu de tout ce qui précède, la Cour est convaincue que la demanderesse a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l’octroi d’une licence aurait hypothétiquement procuré à Bell, en 2005, des avantages importants sur le plan fonctionnel et concurrentiel, comme la diminution de poids et l’élimination du problème de la résonnance au sol, alors qu’Airbus n’aurait tiré aucun ou très peu d’avantages de l’octroi d’une licence.

[139]       Un des éléments importants dans la détermination d’une redevance raisonnable dans le contexte d’une négociation hypothétique est qu’il doit y avoir transfert de technologie, un des facteurs énoncés dans AlliedSignal. Dans Jay-Lor, au paragraphe 160, la Cour conclut que la considération du transfert de technologie tendrait à augmenter le taux de redevance. Bien que certains puissent prétendre que l’évidence du brevet devrait suffire, certains ouvrages de nature économique mentionnent que, pour qu’il y ait transfert effectif de technologie, ce qui pourrait mener à une commercialisation, le simple libellé du brevet ne suffit pas. Un tel transfert doit généralement inclure non seulement les renseignements accessibles au public qui figurent dans le brevet, mais également le transfert du savoir-faire, d’actifs complémentaires et d’autres renseignements accessoires (Mark A. Lemley et Robin Feldman, « Patent Licensing, Technology Transfer, & Innovation » (2016) 484 Stanford Law and Economics Olin, à la page 5).

[140]       En effet, comme Bell n’avait jamais conçu d’hélicoptère équipé d’un rotor articulé et d’un train d’atterrissage en forme de traîneau, elle a étudié la performance d’un hélicoptère EC120. Bell a loué à bail et utilisé un hélicoptère EC120 du mois de mars environ jusqu’au mois de juin 2003, et, durant cette période, elle a effectué des essais sur cet appareil, y compris des vérifications par secousses manuelles (exposé conjoint des faits, aux paragraphes 17 à 18). De plus, des employés de Bell ont suivi un entraînement sur un hélicoptère EC120 en mars 2003. Dans la présente affaire, la Cour a renvoyé, dans ses motifs publics de 2012, à un document interne de Bell daté de mars 2003 (pièce JB-478/renseignements confidentiels), duquel il ressortait que les essais effectués sur l’EC120 au Texas avaient pour but d’acquérir de meilleures connaissances afin de [traduction] « réduire le risque de problèmes de résonnance au sol au sein du programme MAPL ». En fait, [traduction] « [l]es données obtenues lors des essais de secousses au sol allaient pouvoir servir à concevoir de meilleurs trains d’atterrissage pour les futurs produits de Bell » (jugement CF 2012, au paragraphe 172). Dans cette situation, la nécessité de transférer la technologie concernant le brevet 787 justifie l’octroi d’une redevance plus élevée.

[141]       La nouveauté et l’utilité d’une invention brevetée sont également des facteurs importants à prendre en compte dans le cadre d’une négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon. La Cour conclut, en l’espèce, qu’une licence de fabrication et d’utilisation du train Legacy aurait notamment aidé Bell à surmonter des difficultés techniques concernant la résonance au sol (pièce P-95, onglets 10, 65, et 131/renseignements communicables qu’aux seuls avocats ainsi que pièce JB‑224-D), et à se doter d’un meilleur dispositif coupe-câble (pièce P‑95/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, onglets 119 et 124). Les conclusions qui ont déjà été tirées par la Cour lors de la première étape de l’instance étayent manifestement la position réitérée aujourd’hui par la demanderesse, laquelle position n’a pas été sérieusement contestée par la défenderesse (jugement CF 2012, au paragraphe 172).

[142]       Enfin, et surtout, comparativement à la technologie précédente connue dans les réalisations antérieures (train classique), l’octroi d’une licence autorisant l’utilisation de l’invention brevetée aurait permis à la défenderesse de diminuer de façon importante le poids du train d’atterrissage du Bell 429, un facteur clé que tout fabricant d’hélicoptères doit prendre en compte (pièce P-95, aux onglets 127 et 49/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Il s’agit d’un avantage concurrentiel très important, car le poids permet aux fabricants de se faire concurrence et peut parfois faire la différence en ce qui concerne les restrictions réglementaires. À l’audience, les parties ont appelé différents témoins à parler de la question du poids, notamment de son importance pour le fabricant, mais également de son importance pour le consommateur. La question de savoir si le train Legacy constituait vraiment le fondement de la demande du consommateur pour le nouveau Bell 429 (argumentation finale de Bell, au paragraphe 112) n’est pas pertinente. Les clients achèteront un train d’atterrissage séparément du reste de l’hélicoptère que s’il est nécessaire, sur le plan opérationnel, de remplacer le train d’atterrissage existant (p. ex., remplacer un train d’atterrissage de type « à patins » par un train d’atterrissage à roues). D’un point de vue de négociation hypothétique, la demande du consommateur peut être un facteur accessoire, et non un facteur déterminant. Il n’en demeure pas moins que, en réalité, le Bell 429 équipé du train Legacy a été présenté en avril 2008, par le manufacturier, dans l’article de M. Minderhoud (JB‑224‑D), comme étant un produit presque fini et une innovation technologique importante comparativement au train d’atterrissage classique. Il s’agissait d’un argument de marketing très important pour ce qui est des ventes potentielles et pour ce qui est de susciter un intérêt dans le marché très concurrentiel de la conception d’hélicoptères.

3.                  L’octroi à un concurrent d’une licence relative à une technologie de base

[143]       La défenderesse n’a pas sérieusement attaqué la preuve de la demanderesse quant à la position concurrentielle des parties dans le marché des hélicoptères civils. Toutefois, la défenderesse souligne qu’aucun hélicoptère Airbus qui est en concurrence directe avec le Bell 429 n’est effectivement équipé d’un train Moustache. Cette distinction subtile permettrait-elle à Bell d’utiliser de façon arbitraire (sans verser aucun droit d’utilisation à Eurocopter) la technologie brevetée de la demanderesse dans ses Bell 429, lesquels sont en concurrence directe avec le modèle EC135?

[144]       Naturellement, la réponse est négative. Dans une négociation de bonne foi qui aurait eu lieu à l’automne 2005, Bell n’aurait pas pu sérieusement faire valoir cet argument pour justifier de ne verser aucune redevance à la demanderesse. De plus, selon la preuve non contredite figurant au dossier, en date d’octobre 2005, la demanderesse était l’un des plus importants fabricants au monde d’hélicoptères civils, particulièrement dans le secteur des SMU. En revanche, la part du marché des hélicoptères civils de la défenderesse était en déclin. Son précédent modèle bimoteur léger, le Bell 427, fut un [traduction] « succès commercial limité » (transcription, volume 2, interrogatoire de M. Youngs, à la page 163) et la pression était forte pour que son prochain modèle soit innovateur et obtienne du succès (pièces P-102 et P‑103). Durant son interrogatoire préalable, le 11 juin 2009, M. Gardner a convenu que le Bell 429 avait une importance cruciale en ce qui concerne les efforts déployés par Bell pour mettre au point de nouveaux produits afin de demeurer concurrentielle dans le marché des hélicoptères civils et afin de mettre fin à l’[traduction] « érosion des ventes » et à la perte de la part de marché au profit des concurrents (pièce P-109, à l’onglet 11/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[145]       M. Laurent Bron a déclaré qu’il avait systématiquement participé à la mise en œuvre du contrat de licence relatif aux titres de propriété intellectuelle. Il a notamment expliqué que les [traduction] « technologies de base » sont des technologies qui sont étroitement liées au produit, qui procurent à la société un avantage concurrentiel important, et qui l’aident à créer des produits qui se vendent bien sur le marché. Une technologie de base n’est pas nécessairement une technologie brevetée, il peut tout simplement s’agir de connaissances. M. Bron a souligné que le train Moustache est l’une des technologies de base d’Airbus. La Cour est convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse n’a jamais accordé de licence relativement à des « technologies de base », et n’a jamais accordé de licence à des sociétés concurrentes relativement à des technologies (voir notamment les témoignages de MM. Youngs et Bron). De plus, dans les éléments consignés du témoignage de M. Youngs (pièce D‑116/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats), celui-ci a confirmé qu’Airbus n’avait jamais accordé de licence à des concurrents relativement à des technologies de base.

[146]       Après avoir examiné la question de la nouveauté de l’invention, laquelle est une technologie de base, et les facteurs connexes susmentionnés, la Cour conclut, selon la prépondérance des probabilités, que les facteurs technologiques pertinents et les risques financiers liés à la mise au point d’un PSNC militent manifestement en faveur de la demanderesse, et que, par conséquent, la demanderesse aurait été dans une position beaucoup plus forte que la défenderesse s’il y avait eu des négociations hypothétiques à l’automne 2005.

[147]       Il existe une forte preuve quant au prix d’une licence, sur le marché, si le demandeur a déjà négocié des licences pour des produits comparables à celui qui a été contrefait. Renvoyant à la façon dont les cas de licences de brevet ont été réglés jusqu’à maintenant, les coauteurs citent le juge Fletcher Moulton dans Meters c Metropolitan Gas Meters Ltd (1911), 28 RPC 157, à la page 64 (Meters), et l’article de Norman V. Siebrasse, Alexander J. Stack, Andrew C. Harington, Scott Davidson, William Dovey et Stephen R. Cole, intitulé « Damages Calculations in Intellectual Property Cases in Canada » (2009), 24 CIPR, aux pages 19 et 20 (Damages Calculations in Intellectual Property) :

[traduction]

Selon moi, il existe un cas dans lequel la manière d’évaluer le préjudice dans le cas de ventes d’articles contrefaits est presque devenue une règle de droit, et c’est celui où le titulaire du brevet accorde l’autorisation de fabriquer l’article contrefait à un prix déterminé — en d’autres mots, lorsqu’il accorde des licences pour un certain montant. Chacun des articles contrefaits aurait peut‑être alors pu être rendu non contrefait en demandant et en obtenant cette autorisation. Le tribunal prend alors le nombre d’articles contrefaits et le multiplie par le montant qui aurait été versé afin de pouvoir fabriquer cet article en toute légalité, et il s’agit de la mesure du préjudice qui a été causé par la contrefaçon.

Toutefois, il faut souligner qu’aucune règle ne prévoit que, lorsque le titulaire de droits a accordé une licence dans le passé, il ne puisse se voir adjuger que des redevances raisonnables. La question est de savoir si, selon la tendance établie en matière d’octroi de licence, le demandeur aurait accordé une licence au défendeur selon les modalités prévues s’il avait été sollicité au moment de la contrefaçon. L’existence d’une tendance à accorder des licences démontre bien que le titulaire de droits aurait accordé une licence si le défendeur l’avait demandé; ce n’est pas le cas de l’octroi d’une licence dans des circonstances spéciales.

[148]       Dans AlliedSignal, la Cour a dit que ces principes étaient une « quasi-règle de droit » qui avait été élaborée dans Meters, et elle s’est reportée au cas où le titulaire de brevet, normalement, ne concède pas de licence pour l’utilisation de son invention. Toutefois, la Cour, dans AlliedSignal, a conclu que le titulaire de brevet n’aurait pas normalement conclu un contrat de licence légitime avec le contrefacteur, car il avait toujours fabriqué et vendu son propre film, et rien dans la preuve n’indiquait qu’un contrat de licence n’eut jamais été concédé pour l’exploitation de sa technologie (AlliedSignal, aux paragraphes 20 à 22).

[149]       En l’espèce, la demanderesse a produit de nombreux exemples de contrat de licence relatif à une technologie brevetée (voir notamment les pièces P-104 à P-108/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Encore une fois, les témoignages de M. Bron et de M. Youngs indiquent très clairement qu’Airbus a comme politique de ne jamais accorder à ses concurrents des licences relativement à ses technologies de base. Il n’existe aucun cas semblable duquel la Cour peut s’inspirer pour déterminer le montant de redevance raisonnable. Il est clair que, dans le cadre d’une approche ex ante, on aurait envisagé l’octroi d’une licence d’utilisation du train Legacy valide jusqu’à l’expiration du brevet 787. La question des bénéfices aurait été un élément fondamental de discussion entre les parties. Cela étant dit, dans le cadre d’une analyse ex post, à tout le moins, chacun des 21 trains Legacy contrefaits aurait pu être rendu non contrefait si la défenderesse avait demandé et avait obtenu l’autorisation d’Airbus. À cet égard, la Cour conclut qu’Airbus aurait exigé un montant important avant d’accorder, relativement à l’une de ses technologies de base, une licence à Bell l’autorisant à fabriquer et à utiliser chacun des trains d’atterrissage contrefaits.

4.                  La demande du marché et la nécessité pour Bell de mettre au point un produit innovateur

[150]       Il est reconnu que les brevets servent l’intérêt de la société s’ils procurent non seulement une invention, mais également une innovation dont le monde ne disposerait pas autrement (Patent Licensing, Technology Transfer, & Innovation, à la page 1). Par conséquent, la valeur d’un brevet repose sur la capacité de son titulaire d’exclure les concurrents et la concurrence (Apotex Inc c ADIR, 2017 CAF 23 (ADIR), au paragraphe 28). Cette valeur est différente de celle d’une licence accordée par une entité qui n’exerce pas d’activités, également appelée « chasseur de brevets », qui fait valoir des droits de brevet quant à une invention qu’elle n’a pas mise au point ou qu’elle n’a pas utilisée (Mediatube Cop c Bell Canada, 2017 CF 6, [2017] ACF no 6 (Mediatube Cop), au paragraphe 238). Bien qu’une négociation avec un « chasseur de brevets » déboucherait plutôt sur une redevance moins élevée, les circonstances de l’espèce démontrent qu’Airbus et Bell, à titre des plus importants fabricants au monde oeuvrant dans l’industrie de l’aéronautique, protègeraient jalousement leur « technologie de base » en déposant des demandes de brevet relativement à leur nouvelle technologie ingénieuse et innovatrice, ce qui leur procurerait un avantage important sur la concurrence. Il est indéniable que le train Moustache a de la valeur pour la demanderesse, mais la valeur du train Legacy contrefait a été mise en doute par la défenderesse.

[151]       Voici ce qui a été déclaré dans Beloit Canada Ltée/Ltd c Valmet Oy (1994), 78 FTR 86, 55 CPR (3d) 433 (CFPI), (Beloit), à la page 457, infirmé en partie pour d’autres motifs (1995), 184 NR 149, 61 CPR (3d) 271 (CA) :

[…] Il s’agit de savoir si la demande du marché, en ce qui concerne le produit du défendeur, découlait du brevet contrefait, ou si elle découlait des caractéristiques additionnelles du produit. En d’autres termes, l’enquête vise [traduction] « la valeur de la pièce brevetée par rapport à la machine complète », comme l’a dit lord Shaw dans l’arrêt Watson Laidlaw.

Il s’agit d’une question de fait qui doit être tranchée compte tenu de la preuve dans son ensemble. La réponse dépend entièrement des circonstances particulières de chaque affaire. Il incombe à la défenderesse de présenter suffisamment d’éléments de preuve pour convaincre la Cour que la demande du consommateur pour son produit découlait des caractéristiques autres que le brevet contrefait de la demanderesse […]

[Non souligné dans l’original.]

[152]       Le Bell 429 a été officiellement lancé en février 2005 à l’HELI EXPO. M. Youngs a déclaré dans son témoignage que ce lancement fut considéré comme un grand événement, car il s’agissait de la première nouvelle plate-forme que Bell introduisait depuis longtemps, et parce que Bell  avait la réputation de [traduction] « compter sur l’évolution plutôt que sur la révolution ». Bell avait un très bon dossier en matière de satisfaction de la clientèle, mais sa technologie était plutôt limitée. On estimait également que le marché commençait à punir Bell parce qu’elle ne produisait pas plus de nouvelles technologies (pièce P-102).

[153]       Le Bell 429 a été présenté comme étant un hélicoptère de conception cabine ouverte et ayant un très grand intérieur et un plancher plat. Il a également été présenté comme possédant une charge utile de 2 700 lb. Avant le Bell 429, Bell avait dans ses produits un autre hélicoptère bimoteur léger, à savoir le Bell 427, qui avait obtenu un succès mitigé sur le plan commercial. Le Bell 429 a été commercialisé pour le marché des SMU et le marché des entreprises, bien que, aujourd’hui, le poids indiqué est 2 535 lb. Selon M. Youngs, cette baisse de charge utile limitait vraiment les chances de succès de l’aéronef dans certains marchés, notamment le marché des SMU. La Cour estime que cette conclusion est étayée par la preuve au dossier.

[154]       Le dossier de la Cour contient de nombreuses pièces montrant un prototype bleu et blanc du Bell 429 équipé du train Legacy contrefait et arborant un logo EMS [SMU, en anglais] très visible (notamment les pièces JB-31, JB-33, JB-64 et JB-65), comme, par exemple, dans la photographie ci-dessous (pièce JB-70) :

[155]       M. Evans a expliqué que, de façon générale, dans le cadre de la gestion du processus du Conseil consultatif de la clientèle, Bell examine les éléments déterminants qu’un client prend en compte lorsqu’il examine un produit. Bell réfère à ces paramètres de valeur clé (PVC). Parmi ceux-ci, Bell en relève 5 ou 6 qu’elle qualifie de paramètres de premier rang ou PVC1. Il s’agit des principaux éléments déterminants du processus décisionnel de l’acheteur, à savoir : (1) le prix de l’aéronef; (2) le coût de fonctionnement de l’aéronef; (3) la vitesse de l’aéronef; (4) la charge limite que l’aéronef peut transporter; (5) la portée de l’aéronef (la distance qu’il peut parcourir); (6) la performance en vol stationnaire de l’aéronef. Il existe des PVC2, qui sont importants, mais moins que les PVC1.

[156]       Selon la preuve, du point de vue de la demande des clients, d’une façon générale, le train d’atterrissage n’est pas une particularité qui permet de réaliser des ventes d’hélicoptères ou qui a une incidence sur les ventes d’hélicoptères. Néanmoins, le train d’atterrissage est une composante essentielle de l’hélicoptère, et le fabricant doit s’assurer qu’il est bien conçu, sinon la performance de l’hélicoptère pourra en souffrir. Quoi qu’il en soit, à l’exception des avantages techniques directement liés au train breveté Moustache, il semble que Bell a particulièrement apprécié l’apparence et la conception de ce train, lequel a contribué à donner au Bell 429 une apparence plus moderne (jugement CF 2012, au paragraphe 271) (pièce P-95, à l’onglet 55/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Par ailleurs, sur le plan du marketing, il semble également que le train de type « traîneau » (contrairement au train classique) a éliminé, dans une certaine mesure, l’obligation pour le client d’acheter un dispositif de protection contre les câbles (pièce P‑95, aux onglets 119 et 124/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[157]       La demanderesse soutient également que l’invention brevetée comporte un plancher et une cabine mieux conçus. En effet, le marché des SMU et le marché du pétrole et du gaz, en particulier, accordent une grande importance aux planchers plats et à l’espace que procure une cabine ouverte. Airbus allègue que l’emplacement des points d’attache sur le train d’atterrissage du Bell 429 faisait en sorte que les réservoirs de carburant étaient situés sous le plancher de la cabine, ce qui permettait d’avoir un plancher plat et une cabine ouverte. En effet, durant son interrogatoire principal, M. Youngs a confirmé que la particularité consistant en un plancher plat était très appréciée par les exploitants de SMU, car ils doivent embarquer un certain nombre de patients et les garder dans un état stable dans l’aéronef. La preuve documentaire figurant au dossier corrobore ces affirmations (voir notamment les pièces JB-31, JB-33, JB-34, JB-35 et JB‑37).

[158]       Par contre, la défenderesse nie que l’invention brevetée a permis de créer une meilleure conception, consistant en un plancher plat et une cabine ouverte, pour le modèle Bell 429. La défenderesse fait remarquer que le Bell 429 n’est pas le premier hélicoptère de Bell doté d’un plancher plat, ce qui a été confirmé par M. Youngs en contre-interrogatoire. La défenderesse souligne qu’elle a conçu et produit des hélicoptères dotés de planchers plats et de cabines ouvertes tout au long de la deuxième moitié du 20e siècle, notamment des modèles comme le 47G, le 412, le 430, le 230 et le 505. La défenderesse souligne également que le programme MAPL et, plus tard, le programme de l’hélicoptère 429 ont toujours prévu que l’hélicoptère serait doté d’un plancher plat et d’une cabine ouverte. Par ailleurs, bien que les hélicoptères dotés de planchers plats soient privilégiés par le secteur des SMU, cette caractéristique en matière de performance n’est pas la seule qui est prise en compte par les clients des SMU.

[159]       La Cour a également examiné le témoignage de M. Evans qui a déclaré que le Bell 429 n’était pas le premier hélicoptère Bell doté d’un plancher plat, et il a ajouté qu’un plancher plat ne serait pas considéré comme étant un des principaux PVC pour le client. M. Evans a déclaré que le Bell 429 était doté d’une cabine ouverte et que d’autres modèles Bell étaient également dotés d’une cabine ouverte, y compris le Bell 412 et le Bell 47G. De plus, M. Evans a déclaré dans son témoignage que, en 2015, Air Methods (un des plus importants fournisseurs de SMU au monde) avait commandé plus de 200 hélicoptères Bell 407 qui n’étaient pas dotés d’un plancher plat. Quoi qu’il en soit, après avoir examiné chaque position et l’ensemble des observations sur la question, la Cour ne peut pas accorder beaucoup de poids à la position de la défenderesse.

[160]       Lors de la première étape du procès, la Cour a été saisie de beaucoup d’éléments de preuve, notamment du témoignage de M. Gardner, qui expliquait comment le plancher plat ou la cabine ouverte étaient des éléments essentiels de la conception et de la fonctionnalité du Bell 429 (pièce P-95, aux onglets 46 et 47/renseignements communicables qu’aux seuls avocats; pièces P‑109 ainsi que P‑110 à 113/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Le fait que des modèles antérieurs élaborés par Bell étaient dotés d’un plancher plat et d’une cabine ouverte n’est pas vraiment pertinent, dans la mesure où l’emplacement des points d’attache du train Legacy contrefait sur le Bell 429 faisait en sorte que les réservoirs de carburant puissent être placés en dessous du plancher de la cabine. La Cour conclut que l’invention brevetée fournit une conception de train d’atterrissage qui, accessoirement, permet aux fabricants d’hélicoptères de créer plus facilement une meilleure conception de plancher plat et de cabine ouverte (même s’il ne s’agit pas d’un avantage revendiqué dans le brevet 787).

[161]       Malgré les prétentions de la défenderesse concernant le peu d’importance du poids du train Legacy, la Cour a déjà conclu, en 2012, que le poids total de l’aéronef Bell 429 était en fait, selon ce qu’il ressort de la discussion qui a eu lieu au Sommet sur le poids, une considération très importante pour la défenderesse dans le cadre de son processus de conception (pièce JB‑479‑D/renseignements communicables qu’aux seuls avocats) (jugement CF 2012, au paragraphe 175). À ce titre, Bell était prête à investir la somme de ||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||, dans le cadre d’un programme de trois ans, pour diminuer le poids de l’aéronef de |||||||||||||||||||| lb. Selon l’exposé de 2012, la différence apportée par la diminution de poids de |||||||||||||||||||| lb se traduirait par des ventes d’environ |||| hélicoptères additionnels par année (pièce P-117, à la page 15/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[162]       Par contre, M. Youngs a déclaré dans son témoignage que, selon son expérience, la capacité d’exécution de la mission d’un hélicoptère est importante pour les clients qui veulent acheter un nouvel aéronef. Il en va de même pour l’autonomie de l’aéronef, sa charge utile, sa sécurité, sa vitesse, son avionique, ses caractéristiques de fonctionnement et son plafond pratique. Selon M. Youngs, le type de train d’atterrissage est également un facteur à prendre en compte, et ce, selon l’utilisation prévue de l’hélicoptère. En ce qui concerne le poids, M. Youngs a déclaré en contre-interrogatoire que, lorsqu’il est question d’accroître la sécurité, les clients sont prêts à accepter des augmentations de poids de 20 à 25 lb. Toutefois, en réinterrogatoire, il a déclaré que le poids est un facteur crucial pour un hélicoptère; si la charge utile est diminuée, la portée ou la charge limite sera également diminuée. Dans les éléments consignés en preuve proposés par la défenderesse (pièce D‑116/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats), M. Youngs a souligné que les trains d’atterrissage ou le poids total ne sont pas les seuls éléments que le consommateur prend en compte.

[163]       M. Evans a également déclaré que, en ce qui concerne la question de savoir s’il y a une limite de poids qui a une incidence importante sur la décision d’un consommateur d’acheter un hélicoptère, toute augmentation de moins de 50 lb sur le plan de la capacité de charge limite n’est pas vraiment importante dans l’optique du client. En se fondant sur son expérience au Conseil consultatif de la clientèle, M. Evans a également déclaré n’avoir jamais reçu aucun commentaire quant à la façon dont le train à patins devrait être conçu, et qu’il n’avait jamais reçu de commentaires concernant le poids du train à patins. Dans l’ensemble, il a déclaré qu’il n’avait jamais reçu de commentaires quant au train d’atterrissage du Bell 429. Toutefois, en contre‑interrogatoire, M. Evans a déclaré que Bell avait reçu des commentaires de la part de clients selon lesquels ceux-ci voulaient une charge limite plus grande en ce qui concerne le Bell 429. Toutefois, M. Evans a déclaré qu’Air Methods, l’un des plus importants fournisseurs de SMU, avait commandé |||| aéronefs Bell 429, puis avait plus tard annulé cette commande (voir pièce D‑95/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Selon le témoignage de M. Evans, une des raisons pour lesquelles Air Methods avait annulé sa commande était que l’aéronef était plus lourd que prévu, compte tenu de la question de la charge utile (pièce P-124/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[164]       La Cour conclut que le poids est un facteur très important du point de vue réglementaire, et que, à ce titre, la catégorie réglementaire d’un aéronef aura une incidence sur la demande des consommateurs pour le produit. En ce qui concerne l’exemption relative au poids que Bell a demandé à Transports Canada pour le Bell 429, M. Evans a déclaré dans son témoignage que le Bell 429 avait été mis au point à titre d’aéronef visé par la Partie 27 (FAR 27), dont le poids brut ne doit pas excéder 7 000 lb. Toutefois, Bell avait jugé que le Bell 429 était capable de transporter beaucoup plus qu’une charge de 7 000 lb sur le plan du poids brut maximum. Par conséquent,  Bell a demandé, et a obtenu, une exemption de 500 lb de la part de Transports Canada et de 19 autres pays dans le monde.

[165]       Durant le contre-interrogatoire, lorsqu’il a été interrogé sur l’exemption relative au poids, M. Evans a déclaré que le Bell 429 n’avait pas fait l’objet d’une exemption de la part des États‑Unis ou de l’Europe (AESA). Lorsqu’on lui a demandé pourquoi Bell n’avait pas certifié le Bell 429 en vertu de la Partie 29, plutôt que de demander des exemptions, M. Evans a déclaré que, plutôt que de se conformer au processus de certification exigé par le règlement FAR 29, lequel est plus rigoureux et probablement plus onéreux, Bell avait demandé une exemption au règlement FAR 27. M. Evans a déclaré ceci : [traduction] « Je crois qu’il s’agissait tout simplement d’une décision d’affaires » (transcription, volume 5, à la page 72). La Cour conclut que les déclarations de M. Evans ne font que renforcer la position de la demanderesse selon laquelle, dans une négociation hypothétique, le poids serait un facteur crucial que Bell devrait prendre en compte à titre de fabricant, et cela, peu importe que l’économie de poids découlant de l’utilisation du train Legacy n’ait pas eu une incidence importante sur la décision d’un consommateur d’acheter un Bell 429.

[166]       M. Schwartz a déclaré dans son témoignage que, en fin de compte, la question concernant le montant de la redevance, et ce que la redevance devrait être, était une question qui relevait du marché. À cet égard, M. Schwartz a fait remarquer que la conception du train d’atterrissage n’était pas l’élément moteur du processus de conception d’un hélicoptère; le train d’atterrissage n’était pas l’élément principal de ses arguments de vente. De plus, à la veille de la première contrefaçon, il n’était pas interdit à Bell d’utiliser une autre sorte de train d’atterrissage pour remplacer le train Legacy tout en étant capable d’obtenir les caractéristiques de conception qu’elle désirait, notamment, par exemple, le plancher plat. La Cour juge que bon nombre des hypothèses de M. Schwartz sont erronées en fait et ne reposent pas sur la preuve, mais la principale faiblesse de son évaluation est qu’il accorde trop d’importance aux [traduction] « considérations d’ordre commercial ».

[167]       Le même reproche peut être fait quant à l’analyse de M. Heys qui est essentiellement une approche axée sur le marché portant principalement sur les ventes prévues du Bell 429 et les bénéfices qui risquaient d’être perdus sans la technologie brevetée. Le problème fondamental est qu’il n’existe pas de méthode objective permettant de quantifier le nombre de ventes du Bell 429 qui pourraient être perdues. Par ailleurs, même si la Cour présume que le facteur de la charge est une considération importante lorsqu’un client préfère un modèle d’hélicoptère à un autre, sans aucun bilan de comparaison des ventes entre les modèles concurrents, il s’avère qu’une bonne partie de la preuve produite par les parties quant aux considérations d’ordre commercial est pratiquement inutile!

[168]       La Cour a également examiné le témoignage de M. O’Reilly, tout en n’accordant aucun poids aux opinions formulées durant son témoignage et à aucune partie de celles-ci qui constitue du ouï-dire et qui ne repose pas sur une connaissance personnelle du témoin. M. O’Reilly a parlé dans son témoignage de son expérience personnelle avec les acheteurs. Il a expliqué qu’un acheteur intéressé limitera normalement son choix à deux ou trois modèles d’hélicoptère. La considération suivante portera sur la performance et les capacités de l’hélicoptère, par exemple, la charge utile et la charge limite de l’hélicoptère, ainsi que son autonomie et sa vitesse. Il a déclaré dans son témoignage qu’un client prendra également en compte le service après-vente et la valeur résiduelle de l’hélicoptère. M. O’Reilly a reconnu, durant le contre-interrogatoire, qu’avec chaque hélicoptère qui est fabriqué, le poids est toujours un problème en ce qui concerne la charge utile. Par contre, M. O’Reilly a déclaré qu’un client peut être prêt à acheter un train d’atterrissage plus lourd s’il convient mieux à l’utilisation qu’il compte faire de l’hélicoptère. À cet égard, lorsqu’un hélicoptère est produit, il [traduction] « passe au collimateur à la fin et on lui fait subir une diète […] [p]arce que, lorsqu’on le met sur le marché, on doit le vider le plus possible afin de maximiser la charge utile » (transcription, volume 5, à la page 151).

[169]       Comme il a été déclaré par M. Toner, un expert en conception , en mise au point et en certification d’hélicoptère, lors de la première étape de l’instruction, le poids est [traduction] « un élément crucial en ce qui concerne un aéronef […] ce qu’un client fera, parce qu’il se préoccupe énormément de chaque livre que pèse l’aéronef, il prendra une décision réfléchie quant à savoir s’il a besoin d’une telle chose [parlant du dispositif coupe-câble qui peut peser 10 lb] […] et la raison pour laquelle il y a des dispositifs facultatifs sur un aéronef est que les clients ne veulent pas tous la même chose et se préoccupent beaucoup du poids […] dans un programme de conception d’aéronef, nous nous battons pour des onces et le client voit les choses exactement de la même façon » (pièce P‑95, à l’onglet 124). En effet, en ce qui concerne l’économie de 16 lb (excluant le dispositif coupe-câble) que procure le train Legacy par rapport au train Production, M. Toner affirme que, selon son expérience, [traduction] « 16 livres est une énorme augmentation de poids, surtout sur un aéronef de 7 000 lb […] et, croyez-moi, dans un aéronef conçu par des professionnels, tout ce poids a déjà été éliminé de l’aéronef […] et on a pas le choix de dire, “Oh, nous allons retiré un certain nombre de dispositifs de l’aéronef afin de gagner 16 livres” » (pièce P-95, à l’onglet 127).

[170]       Lorsqu’un concédant consentant et un titulaire de licence consentant négocient relativement à une redevance, les négociations hypothétiques n’ont pas lieu dans un vase clos de pure logique, et, en s’acquittant de sa tâche de juge des faits, la Cour a tenté de faire preuve d’un jugement discriminatoire traduisant son jugement définitif quant à tous les facteurs pertinents dans le contexte d’une preuve crédible (Georgia-Pacific, à la page 1121). Dans l’ensemble, après avoir examiné toute la preuve figurant au dossier, la Cour conclut que l’inclusion du train breveté dans l’hélicoptère commercialisé (acheté par les clients) est importante, c’est le moins qu’on puisse dire. La Cour est convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que la demanderesse se serait trouvée dans une bien meilleure position de négociation que celle de la défenderesse s’il y avait eu des négociations hypothétiques à l’automne 2005.

C.                 La détermination de l’existence de produits de substitution non contrefaits valides

[171]       La Cour est appelée à déterminer si le train classique, le train à traverse tubulaire à poutre en I, le train à roues et/ou le train Production constituent des PSNC disponibles la veille de la première contrefaçon du brevet 787. La défenderesse soutient que, en dépit de la charge supplémentaire, il y avait au moins deux PSNC accessibles à l’automne 2005 et, en fait, elles avaient été prises en compte durant la conception du Bell 429 : le train classique, et le train à traverse tubulaire en I. Compte tenu d’une image provenant du document B-0435, il semble que Bell a également étudié un train à roues pour le Bell 429 avant octobre 2005. De plus, la défenderesse soutient que le train Production, bien qu’il n’eût pas été conçu à l’époque, aurait été utilisé comme PSNC ou aurait pu l’être.

1.                  La portée de l’analyse relative au PSNC

[172]       Le facteur de la « technologie concurrentielle » mentionné dans AlliedSignal incite la Cour à se pencher sur la question de l’existence d’un PSNC à la veille de la première contrefaçon, car elle peut avoir un effet important sur le pouvoir réel de négociation des parties dans le cadre de la négociation hypothétique. Cela est logique parce que [traduction] « lorsqu’un titulaire de brevet et un titulaire potentiel de licence négocient, le maximum que le titulaire potentiel de licence accepterait de payer est le montant qu’il s’attend à tirer de l’utilisation du brevet » (Norman Siebrasse, « A Remedial Benefit-Based Approach to the Innocent-User Problem in the Patenting of Higher Life Forms » (2004), 20 CIPR (Siebrasse 2004), aux pages 65 et 66).

[173]       Le principe du PSNC est également pertinent dans le cadre de l’analyse du lien de causalité. Si la redevance raisonnable est calculée en ne tenant pas compte de l’existence d’un PSNC valide, il peut arriver que le titulaire du brevet se retrouve dans une situation plus intéressante que s’il n’y avait pas eu contrefaçon, car la concurrence licite du défendeur, dans le monde du « n’eût été », pourrait avoir privé le titulaire du brevet de certaines ventes. L’octroi de dommages‑intérêts intégraux aura donc pour effet de surindemniser le titulaire du brevet (Lovastatine CAF, aux paragraphes 48 et 49). Toutefois, le titulaire du brevet doit d’abord établir qu’il a perdu des bénéfices ou qu’il a subi un préjudice en raison de la contrefaçon du brevet, et le contrefacteur peut ultérieurement prouver qu’il n’y a eu aucun préjudice, parce qu’il aurait pu utiliser et aurait utilisé un PSNC aussi bon que l’invention brevetée (Lovastatine CAF, au paragraphe 50).

[174]       Les parties ne s’entendent pas quant à l’acceptabilité des PSNC allégués de Bell, car ils comportent tous un inconvénient au chapitre du poids, et, dans le cas du train Production, celui-ci n’existait même pas à la veille de la première contrefaçon. La défenderesse réplique qu’il n’est pas nécessaire que le PSNC soit une réplique exacte du produit breveté, et la Cour peut examiner s’il est acceptable aux yeux des consommateurs. Dans le cas du train Production, son existence était manifeste, car il s’agissait simplement d’une version modifiée, non contrefaite, du train breveté Legacy.

[175]       L’existence d’un PSNC valide est apparue lorsque la « technologie concurrentielle » a été reconnue comme étant l’un des treize facteurs énoncés dans l’affaire AlliedSignal, et ensuite encore dans la jurisprudence plus récente portant sur la quantification des dommages-intérêts dans les affaires de brevets (Jay-Lor, aux paragraphes 159 et 165). En effet, les tribunaux canadiens se fient souvent à la jurisprudence américaine qui peut être instructive (Eli Lilly c Apotex, 2014 CF 1254, [2014] ACF no 1341, au paragraphe 23). Dans Corporation v American Maize-Products Company, (1999) 51 USPQ2d (BNA), (Grain Processing), à la page 1567, la Cour d’appel des États‑Unis, circuit fédéral (le tribunal américain),  a conclu que [traduction] « avec une preuve économique adéquate d’existence […], un substitut acceptable qui n’était pas sur le marché durant la contrefaçon peut néanmoins faire partie du calcul de la perte de bénéfices et donc limiter ou empêcher ces préjudices ». Une solution de rechange sera acceptable aux yeux des consommateurs s’il n’y a aucune demande particulière pour le produit breveté (Grain Processing, aux pages 1565 et 1566) – c’est-à-dire si l’invention brevetée ne comble pas un [traduction] « besoin inassouvi [du consommateur] » ou ne crée pas une [traduction] « préférence importante de la part du client » (Jay-Lor, aux paragraphes 118 à 175; Panduit Corp v Stahlin Bros Fibre, (1978) 197 USPQ 726, à la page 734 (Panduit Corp)).

[176]       Après avoir réexaminé les principes élaborés dans la jurisprudence américaine et canadienne, la Cour d’appel fédérale a conclu que tout tribunal appelé à examiner les effets d’une concurrence légitime par le défendeur commercialisant un PSNC est tenu de se poser quatre questions de fait (le critère de Lovastatine) afin de pouvoir conclure à l’existence d’un PSNC (Lovastatine CAF, aux paragraphes 73 et 74) :

i)    Le produit non contrefait proposé offre-t-il un véritable produit de substitution et donc un véritable choix?

ii)   Le produit non contrefait proposé constitue-t-il un véritable choix, en ce sens qu’il est économiquement viable?

iii)   Au moment de la contrefaçon, le contrefacteur avait-il une réserve suffisante du produit de substitution non contrefait pour remplacer les ventes de produits non contrefaits? Autrement dit, le contrefacteur aurait-il pu vendre le produit de substitution non contrefait?

iv)  Le contrefacteur aurait-il effectivement vendu le produit de substitution non contrefait?

[Non souligné dans l’original.]

[177]       À la fin, la Cour d’appel fédérale a confirmé la décision rendue par la juge Snider, car Apotex ne s’était pas acquittée de son obligation de démontrer, indépendamment de sa capacité de fabrication, qu’elle aurait pu vendre et aurait vendu de la lovastatine non contrefaite à la place de la lovastanine contrefaite. Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a renvoyé à la décision rendue par la Cour fédérale d’Australie dans Advanced Building Systems Pty Ltd et al v Ramset Fasteners (Aust) Pty Ltd, [2001] FCA 1098, (2001) 52 IPR 305, dans laquelle il a été jugé qu’[traduction] « un produit de substitution approprié doit exister immédiatement au moment de la contrefaçon » (Lovastatine, aux paragraphes 78 et 79).

[178]       Dans son argumentation finale, la défenderesse soutient que les facteurs du critère de Lovastatine n’ont été établis que pour déterminer le montant des pertes de bénéfices dû au titulaire du brevet (argumentation finale de Bell, aux paragraphes 164 et 165). Par conséquent, le critère de Lovastatine devrait être écarté dans l’analyse relative aux dommages‑intérêts généraux. En effet, la Cour d’appel fédérale a jugé que la défenderesse disposait bel et bien d’un PSNC, même s’il n’existait pas réellement après la date de la négociation hypothétique (Lovastatine CF, aux paragraphes 191, 196 et 199; Lovastatine CAF, aux paragraphes 96 à 98). À l’appui de la théorie élaborée par le tribunal américain dans Grain Processing, la défenderesse soutient qu’il n’est pas nécessaire que le PSNC soit [traduction] « suffisamment similaire » ou soit un [traduction] « véritable produit de substitution », contrairement aux cas de pertes de bénéfices (BIC Leisure Products Inc v Windsurfing International Inc, (1993) 1 F 3d 1214, à la page 1218). Par conséquent, la défenderesse soutient que, si le PSNC remplit la même fonction que l’invention brevetée, et aurait remplacé toutes les ventes contrefaisantes des hélicoptères Bell 429 qui auraient été équipés du train Legacy, il ne devrait y avoir aucune indemnisation. Dans le meilleur des cas, Airbus a le droit de recevoir une redevance correspondant aux bénéfices additionnels générés, côté coûts, par l’utilisation contrefaisante des trains Legacy dans le processus de certification du Bell 429.

[179]       En revanche, la demanderesse prétend que, au moment des négociations hypothétiques,  en octobre 2005, le Bell 429 n’avait pas été certifié, alors que la défenderesse ne disposait pas d’un PSNC équivalent viable sur le plan technique et commercial, car ils présentaient tous un désavantage sur le plan du poids. Par ailleurs, étant donné que le train Production n’a été mis au point qu’en 2008 en raison de la contrefaçon de brevet, il n’existait tout simplement pas avant la veille de la première contrefaçon et, de toute façon, il n’était pas équivalent. En outre, la demanderesse maintient que la défenderesse n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, qu’un train d’atterrissage classique ou le train d’atterrissage à poutre en I aurait fonctionné. Cela soulève une question de fait qui sera examinée de façon détaillée plus loin dans les présents motifs.

[180]       La Cour ne souscrit pas au point de vue limité de Bell quant à la portée des commentaires formulés par la Cour d’appel fédérale dans Lovastatine. Comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans Teva Canada Limited CAF, au paragraphe 47, et plus récemment dans ADIR, au paragraphe 34, le critère de Lovastatine peut être appliqué dans les deux types de demande, que ce soit du point de vue des dommages-intérêts ou de celui du calcul des bénéfices à restituer, car la tâche de la Cour reste la même : faire une évaluation dans un monde hypothétique où la conduite reprochée à la défenderesse n’a pas eu lieu.

[181]       La Cour d’appel fédérale a déclaré ce qui suit dans ADIR :

[traduction]

[42]      Comme la Cour l’a ultérieurement expliqué dans Pfizer Canada Inc. c. Teva Canada Limited, 2016 CAF 161, 483 N.R. 275, (Effexor), au paragraphe 50, les exigences de [traduction] « aurait pu » et [traduction] « aurait » sont importantes. Pour prouver [traduction] « aurait pu », le défendeur doit démontrer qu’il lui était possible d’obtenir un produit non contrefait. Pour prouver [traduction] « aurait », le défendeur doit démontrer que [traduction] « les faits se déroulent de manière à le placer dans cette position » (Effexor, au paragraphe 50). L’importance de l’exigence de « aurait eu » est que, en exigeant qu’un défendeur démontre qu’il aurait utilisé un produit de substitution non contrefait, le défendeur démontre que la valeur de l’invention brevetée n’est pas telle que le recours à des solutions de rechange est improbable ou irréaliste. Autrement dit, même s’il existe un produit de substitution non contrefait, le défendeur doit démontrer qu’il n’y a aucun obstacle à son utilisation.

[Non souligné dans l’original.]

[182]       Par conséquent, la Cour doit déterminer si, à la veille de la première contrefaçon, les PSNC proposés constituaient de véritables solutions de rechange, en ce sens qu’ils étaient économiquement viables, et si Bell avait avantage, sur le plan économique, à conclure un contrat de licence l’autorisant à utiliser le train Legacy. En l’espèce, la Cour conclut que l’utilisation par Bell, à la veille de la première contrefaçon du brevet 787, de l’un ou l’autre des trois (ou quatre)  PSNC proposés était « improbable ou irréaliste », car Bell n’a pas prouvé, selon la prépondérance des probabilités, qu’il n’y avait aucun obstacle à leur utilisation en octobre 2005.

2.                  Le train classique

[183]       Le train classique existe depuis les années 40 et il est caractérisé par un dessin orthogonal. Il peut être décrit, d’une manière générale, comme étant un train de type « à patins » doté de tubes longs, rectilignes et habituellement circulaires, orientés dans le sens longitudinal et se terminant par une courte saillie de type « ski » à l’avant (pièce D-84). Dans un dessin orthogonal comme celui qui suit, les traverses avant et arrière du train d’atterrissage classique sont parallèles, et sont perpendiculaires ou sensiblement perpendiculaires aux patins d’appui au sol (jugement CF 2012, aux paragraphes 209 et 210) :

[184]       Le train classique à patins a été conçu et mis au point par Bell dans les années 50, et celle-ci l’utilise depuis ce temps; Bell connaît bien cette technologie, et elle a été installée avec succès sur un bon nombre de modèles d’hélicoptère Bell mentionnés dans la présente affaire. Par exemple, le Bell 206A « Jet Ranger », qui est le modèle civil mis au point à partir d’une soumission non retenue en 1964 par l’armée américaine relativement à un contrat de fabrication d’hélicoptères d’observation légers, était un exemple typique d’hélicoptère utilitaire léger équipé d’un train d’atterrissage à patins, d’une poutre de queue surélevée et d’un stabilisateur horizontal. Le train d’atterrissage lui-même était composé de patins faits d’un alliage d’aluminium tubulaire fixés à des traverses tubulaires extrudées, et de patins faits d’acier tubulaire sur la dérive ventrale afin de protéger le rotor de queue et la queue de l’appareil (pièce JB-198).

[185]       La photo ci-dessous montre un hélicoptère Bell modèle 206/OH-58 équipé d’un train d’atterrissage à patins (pièce JB-197) :

[186]       Dans le guide pratique de juin 2003 préparé par M. Gardner, alors que le dessin du train d’atterrissage MAPL n’était pas encore terminé,  il est souligné que le train d’atterrissage envisagé pour les hélicoptères MAPL comprenait un train à patins fixe pour les trois modèles et un train à roues pour le M382. Les premières illustrations des hélicoptères MAPL comprenaient une traverse tubulaire avancée semblable à celle de l’EC120. Comme l’a souligné M. Gardner, [traduction] « [c]ette conception raffinée a l’avantage de servir également de déflecteur de collision avec les câbles pour la partie inférieure du fuselage (en supposant qu’aucun dispositif externe n’est fixé à l’avant de la traverse tubulaire) » (pièce JB-372, à la page 6109/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats).

[187]       La figure 9.1 du guide pratique de juin 2003 est une illustration faite par un artiste du modèle 351 équipé d’un train à patins :

Figure 9-1 : modèle 351 avec train à patins

[traduction]

[188]       Le programme MAPL, et plus tard le programme d’hélicoptère Bell 429, a toujours comporté un plancher plat et une cabine ouverte, et les ingénieurs de Bell ont songé à équiper le Bell 429 d’un train classique. Bell soutient que le train classique devait peser 5 livres de moins que la configuration de base de type « traîneau ». Bell soutient également que, grâce au train classique qui figure dans le document de mars 2005, il était possible de doter l’hélicoptère d’un plancher plat et d’une cabine ouverte. Peut-être que, techniquement, Bell « aurait pu » mettre au point un train classique qui fonctionne, mais la preuve au dossier n’établit pas de façon concluante qu’elle l’« aurait » fait à la veille de la première contrefaçon du brevet 787 (Lovastatine CAF).

[189]       La défenderesse se fonde essentiellement sur le témoignage de M. Gardner pour confirmer que, à l’automne 2005, rien n’empêchait de concevoir un train classique qui serait utilisé sur le Bell 429, tout en utilisant les points d’attache existants et tout en conservant la configuration de plancher plat et de cabine ouverte. Bell soutient qu’aucune preuve contraire n’a été produite sur le sujet. M. Gardner a également démontré comment Bell s’y prendrait pour concevoir un train classique pour le Bell 429 aux points d’attache existants, et Airbus n’a produit aucun expert ni aucun témoin de fait pour contester le témoignage de M. Gardner à cet égard. M. Gardner a déclaré dans son témoignage que le poids d’un train classique serait 17,4 lb de plus que le poids du train Legacy, une affirmation que Bell ne conteste pas.

[190]       Au procès, M. Gardner a déclaré que les deux programmes d’hélicoptère existants chez Bell ont abouti au programme du 429. Un de ces programmes était le MAPL; il s’agissait d’un programme visant trois types d’aéronef. Parallèlement, un autre programme de mise au point était en cours, à savoir le programme du Bell 427i, qui concernait la mise au point du Bell 427 qui avait été fabriqué et certifié par Bell Helicopter Canada. M. Gardner a déclaré dans son témoignage que le type de train d’atterrissage prévu pour le Bell 427i était le train d’atterrissage classique. M. Gardner a déclaré que le programme MAPL visait à créer des similitudes dans les caractéristiques de conception, la fabrication, l’outillage et les pièces qui entrent dans la composition de l’aéronef et intégrer les systèmes, y compris les éléments communs pour l’avionique, les rotors et les systèmes qui se trouvent à l’intérieur.

[191]       En ce qui concerne la pièce JB-372-D/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats, à savoir le document du MAPL Airframe Systems Group,  M. Gardner a déclaré qu’il avait écrit ce document en juin 2003, alors qu’il travaillait comme analyste de structures chez Bell Helicopter Canada. Dans ce document, il a tenté d’accumuler le plus de connaissances possible sur le train d’atterrissage chez Bell Helicopter en insérant tous les renseignements dans un seul document de référence. Il a déclaré que, grâce à ce document, le lecteur peut voir ce qui doit être pris en compte pour concevoir le train d’atterrissage pour le MAPL. En ce qui concerne le cône de 30 degrés qui dicte la longueur du tube à patin du train d’atterrissage, M. Gardner a déclaré que les 30 degrés étaient la règle en ce qui concerne la conception, mais que le tube à patin pouvait être un peu plus long ou un peu plus court.

[192]       En ce qui concerne le document interne de Bell intitulé « 429 Skid Gear Configuration Review, 14 March 2005 » ([traduction] « Examen de la configuration des trains à patins du 429, 14 mars 2005 ») (pièce JB-479-D/renseignements communicables qu’aux seuls avocats), M. Gardner a déclaré qu’il avait écrit ce document en mars 2005, dans le cadre du Sommet sur le poids. À l’audience, M. Gardner a expliqué que, durant le Sommet sur le poids, peu de solutions de rechange comme le train classique, le train à roues ou d’autres tubes à patins non circulaires dotés de traverses rectangulaires ou de traverses à poutre en I, mais comportant les éléments souhaités de l’aéronef comme le plancher plat et la cabine ouverte, avaient été examinées. Il a été décidé, peu de temps après le Sommet sur le poids, que le coupe-câble inférieur devrait néanmoins être installé sur le train de type « traîneau » optimisé, ce qui avait pour conséquence d’éliminer l’avantage de ne pas avoir un coupe‑câble inférieur. Toutefois, en contre-interrogatoire, M. Gardner a convenu que, selon l’article de M. Minderhoud rédigé en 2008, on a plutôt adopté un train d’atterrissage à patins de type « traîneau », dans le but d’éliminer les collisions avec des câbles occasionnés par le train d’atterrissage (transcription, volume 7, à la page 61).

[193]       Lorsqu’on lui a demandé ce qu’il aurait pu faire concernant le train d’atterrissage si on lui avait demandé, en octobre 2005, de ne pas utiliser le train Legacy, M. Gardner a déclaré qu’il n’y avait rien à cette époque qui l’empêchait de concevoir un train classique qui serait fixé aux mêmes points d’attache. Il a également déclaré que le train qu’il aurait pu concevoir en octobre 2005 aurait été plus lourd que le train Legacy (transcription, volume 7, à la page 16). Durant le contre‑interrogatoire, M. Gardner a convenu qu’aucun document ne démontrait que, en février 2005, ou en octobre 2005, Bell aurait pu fabriquer un train classique ou un autre train  de même poids que le train Legacy et tout aussi performant que celui-ci (transcription, volume 7, à la page 56).

[194]       Bien que la défenderesse ait choisi le train Legacy, M. Gardner a affirmé que, à l’automne  2005, le train classique aurait pu être utilisé en ce qui concernait la conception du Bell 429. La demanderesse s’est opposée à cette déclaration, au motif que M. Gardner, à titre de témoin ordinaire, ne pouvait pas donner son opinion sur la question. La Cour accueille l’objection, étant donné que le témoin formule une opinion quant à une situation hypothétique. Néanmoins, en contre-interrogatoire, M. Gardner a reconnu qu’aucun document émanant de cette époque, qu’il s’agisse de février ou d’octobre 2005, n’étayait la thèse selon laquelle un autre train pouvait facilement être installé sur le Bell 429.

[195]       M. Gardner a également a fourni une estimation du temps requis pour la mise au point du train Production. En effet, il a estimé qu’il aurait fallu |||||||||| heures-personnes pour passer du train Legacy à un train classique, au taux d’ingénierie de ||||||||||||||/heure. Les avocats de la demanderesse se sont opposés à cette déclaration, car aucun élément de preuve ou document ne pouvait étayer cette estimation. À cet égard, durant le contre‑interrogatoire, M. Gardner a convenu qu’aucun document ne démontrait que, en février ou octobre 2005, Bell aurait pu fabriquer un train classique ou un autre train d’atterrissage de même poids que le train Legacy et tout aussi performant que celui-ci. Compte tenu de cette reconnaissance, la Cour retiendra l’objection faite par la demanderesse, car le témoin ordinaire semble formuler des hypothèses non étayées.

[196]       Pour sa part, la demanderesse affirme que le train classique n’a pas été pris en compte en 2003‑2005, en raison de son poids et de la résonnance au sol (argumentation finale d’Airbus, au paragraphe 165/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). La demanderesse fait valoir que le train classique n’est qu’une solution ex post facto théorique. En effet, jusqu’à ce jour, il n’a pas été démontré qu’un train classique fonctionnerait sur le Bell 429 en ce qui a trait à la résonnance au sol (pièce P-95, à l’onglet 55/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). En 2003, la défenderesse a jugé que cette solution était inadéquate et risquée. De plus, la défenderesse n’avait jamais conçu un train d’atterrissage possédant les dimensions nécessaires pour doter le Bell 429 d’un train classique. De plus, personne ne sait si un train classique fonctionnerait sur le Bell 429, car il n’a pas été mis à l’essai et n’a pas été certifié. La demanderesse fait également valoir qu’il convient de tirer une conclusion défavorable, compte tenu du fait que Bell n’a pas appelé un dynamicien à confirmer que, si le Bell 429 était muni d’un train classique, il n’y aurait aucun problème de résonnance au sol. En fait, les dynamiciens, en 2003, avaient rejeté cette solution. Par ailleurs, il convient également de tirer une conclusion défavorable du fait que, en France, Bell n’a toujours pas doté le Bell 429 d’un train classique, malgré le fait qu’il a été jugé en France, en mars 2015, que le train Production était contrefait.

[197]       Quoi qu’il en soit, les déclarations générales de M. Gardner contredisent quelque peu le témoignage qu’il a rendu lors de la première étape de l’instance. En effet, durant son interrogatoire préalable, M. Gardner s’est fait poser des questions sur les conséquences pour la défenderesse de revenir au train d’atterrissage classique plutôt que d’utiliser le train d’atterrissage de type « traîneau » (pièce P-109, à l’onglet 23/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). M. Gardner a confirmé que, dans le contexte du programme MAPL, Bell n’avait pas utilisé le train classique, notamment parce que la traverse avant devait être installée beaucoup plus à l’avant sur l’aéronef. L’installation du train classique sur le Bell 429 aurait alors nécessité des tubes à patin plus longs, lesquels auraient été plus lourds (pièce P‑109/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, à l’onglet 23). Cette situation aurait également eu une incidence sur l’emplacement des réservoirs de carburant et l’élément plancher plat du Bell 429. Par conséquent, si la défenderesse avait choisi le train classique plutôt que le train Legacy, il aurait fallu beaucoup de travail pour concevoir la traverse tubulaire avant.

[198]       La défenderesse n’a pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que, à la veille de la contrefaçon, le train classique constituait  un  « véritable produit de substitution », c’est-à-dire un produit de substitution « économiquement viable », et que Bell aurait pu vendre et aurait effectivement vendu un hélicoptère Bell 429 équipé du train classique. Jusqu’à ce jour, aucun hélicoptère Bell 429 n’est équipé du train classique (Lovastatine CAF, aux paragraphes 73 et 74). Cela dit, même si la Cour présume que le train classique devrait être traité, sur le plan de la négociation, comme un PSNC valide, Bell serait toujours désavantagée dans le scénario de la négociation hypothétique. La Cour a déjà fait mention des raisons pour conclure ainsi.

3.                  Le train d’atterrissage à roues

[199]       Selon une image tirée du document B-0435, il semble que, avant octobre 2005, Bell a envisagé d’équiper le Bell 429 d’un train d’atterrissage à roues. La plupart des trains d’atterrissage à roues sont une variante des trains d’atterrissage classiques (transcription de M. Gardner, volume 6, à la page 120). Il est également possible qu’un train Production soit doté de roues (pièce D-112/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Cela dit, les trains d’atterrissage à roues sont l’exception et ils ne sont pas ce que la majorité des clients achètent en général (pièce P-95, aux onglets 116 et 117/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[200]       La Cour conclut que le train d’atterrissage à roues n’était pas un PSNC commercialement viable. C’est un choix que moins de |||||||||||||||| des clients de Bell ont fait jusqu’à maintenant. Depuis que le train d’atterrissage à roues existe, seulement 8 (ou 10, selon le témoignage de M. Evan) des 240 hélicoptères Bell 429 qui ont été vendus étaient équipés du train à roues. Le train d’atterrissage à roues représente un choix supplémentaire plutôt qu’une solution de rechange, et il n’est utile que pour certains types de mission (pièces JB-86 et JB-225). Néanmoins, à l’automne 2005, ce train n’était qu'une solution de rechange théorique et il n’était pas techniquement disponible. Le train d’atterrissage à roues n’a été certifié au Canada qu’en janvier 2014, et aux États‑Unis, qu’en juillet 2014. Il n’a pas encore été certifié par l’AESA. Par ailleurs, le train d’atterrissage à roues ajoute environ 200 lb au poids en lourd de l’hélicoptère, ce qui constitue un obstacle important pour la plupart des clients. En effet, les avocats de Bell, dans leurs observations finales, n’ont pas fait mention du train d’atterrissage à roues en ce qui concerne les PSNC valides.

4.                  Le train à traverse à poutre en I

[201]       Le train à poutre en I est un train à forme orthogonale, puisque les traverses sont à la verticale par rapport aux patins (transcription de M. Thiagarajan, volume 6 à la page 69) (pièce D-106).

[202]       M. Thiagarajan a déclaré dans son témoignage que, dès le milieu des années 90, Bell avait envisagé un train d’atterrissage non circulaire comportant une traverse à poutre en I comme technologie d’avenir de base pour ses futurs modèles d’hélicoptère. Il a déclaré que, de novembre 1995 à mars 1996, son équipe avait analysé plusieurs traverses différentes de train d’atterrissage qui pourraient être utilisées pour le Bell 427. Le train à poutre en I a finalement été choisi, car il comportait les caractéristiques les plus avantageuses. Le train à poutre en I a également été mis à l’essai dans le laboratoire pour la rigidité et la résonnance au sol, et un essai de résistance aux chutes a été fait. En mars 1997, le train a été mis à l’essai en vol sur un Bell 407 modifié comportant les mêmes points d’attache que ceux du futur Bell 427, mais il n’a pas été choisi pour le Bell 427 (pièces D-108 et JB‑372-D/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats).

[203]       Néanmoins, M. Thiagarajan a déclaré dans son témoignage que le train à poutre en I était compatible, mais qu’il n’y avait tout simplement pas assez d’espace pour placer le culbuteur (transcription, volume 6, à la page 46). M. Thiagarajan a déclaré que, après 1997, l’idée consistait à se servir du train à poutre en I comme technologie de base chez Bell. Il a déclaré que l’idée du train à poutre en I avait été soumise à l’équipe de direction du Bell 429 (puis elle avait été transmise au MAPL). À cette époque, les chefs du programme MAPL avaient décidé de ne pas utiliser le train à poutre en I et ils avaient choisi le train Legacy (transcription, volume 6, à la page 62). En contre‑interrogatoire, M. Thiagarajan a affirmé que la technologie de base était quelque chose qui [traduction] «[n]’était pas circulaire » (transcription, volume 6, à la page 107). Il a également déclaré que le train à poutre en I n’avait jamais été fabriqué pour le Bell 427, et qu’il n’avait jamais été mis à l’essai ou certifié (transcription, volume 6, à la page 90). Le train à poutre en I n’a finalement pas été adopté, parce que cela comportait un risque sur le plan de l’échéancier et des coûts.

[204]       La défenderesse reconnaît que le train à poutre en I n’a finalement pas été choisi pour le Bell 427, mais elle explique que cela était dû au fait que l’équipe de la dynamique insistait sur l’inclusion d’un culbuteur sur la traverse tubulaire arrière, et, à l’époque, la traverse arrière du train à poutre en I et le culbuteur ne pouvaient pas être fixés ensemble. Quoi qu’il en soit, selon M. Thiagarajan, si son équipe avait disposé d’une petite articulation à l’époque, c’est-à-dire en 2005, elle aurait pu l’installer sur le Bell 429 avec le train à poutre en I existant, ce qui soulève la question de savoir si une telle opinion technique peut être acceptée par la Cour, étant donné que M. Thiagarajan n’est pas un expert reconnu. La défenderesse invoque un document de janvier 2005 concernant la structure de la cellule du Bell 429 (pièce D-112, à la page 58/renseignements communicables qu’aux seuls avocats; transcription, volume 6, aux pages 44 et 45), qui mentionne expressément qu’il faut envisager l’installation de patins non circulaires afin d’atténuer le risque de problèmes de manœuvre au sol associés au train Legacy. Le train à poutre en I a été installé sur le Bell 429 aux points d’attachement existants, et il a été estimé qu’il pesait 1,9 lb de moins que le train Production (et, donc, 14,1 lb de plus que le train Legacy), que sa durée de vie en fatigue était plus longue, ou qu’il pesait 8 à 10 lb de moins que le train Production si la durée de vie en fatigue demeurait la même.

[205]       Par contre, la demanderesse souligne que, bien qu’il semble que l’installation du train à poutre en I ait été envisagée par Bell depuis au moins 1997, il n’a jamais été certifié, et n’a donc jamais été installé sur un hélicoptère vendu sur le marché. De plus, Bell a estimé, en 2003, que le train à poutre en I ajoutait un risque au programme. En résumé, la demanderesse affirme que le train à poutre en I a été rejeté en 1997 en ce qui concerne le Bell 407, et a également été rejeté en 2000 en ce qui concerne le Bell 427. En 2003, il a été proposé par M. Thiagarajan relativement au projet MAPL, mais il a été rejeté par M. Foster. On estimait que le train à poutre en I présentait plus de risques, parce qu’il n’avait jamais été soumis aux autorités de réglementation. La demanderesse souligne de plus que, selon la présentation de 2012 (pièce P‑117/renseignements communicables qu’aux seuls avocats), Bell, en janvier 2010, a examiné de nouveau la possibilité d’installer le train à poutre en I sur le Bell 429, mais le projet a une fois de plus été abandonné avant d’avoir été achevé, et il n’a donc pas été démontré que le train à poutre en I fonctionnerait sur le Bell 429, notamment pour ce qui est de la résonnance au sol. De plus, une conclusion défavorable devrait être tirée du fait que Bell n’a pas fait appel à un dynamicien qui pourrait témoigner à cet égard. Une conclusion défavorable devrait également être tirée du fait que Bell, en France, n’a toujours pas équipé le Bell 429 d’un train à poutre en I, malgré le fait que le train Production fut jugé contrefait en France en mars 2015.

[206]       Il y aurait tout à fait lieu de ne pas tenir compte du témoignage de M. Thiagarajan en raison du non-respect de l’article 223 des Règles et en raison du fait qu’il n’est pas un expert reconnu, mais il s’avère que le témoignage de M. Thiagarajan n’est pas convaincant et qu’il est fondé sur des hypothèses. Après avoir examiné les observations des parties et après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la Cour conclut que le train à poutre en I ne constituait pas un PSNC valide à la veille de la première contrefaçon. La défenderesse n’a pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que, à la veille de la première contrefaçon, le train à poutre en I constituait un « véritable produit de substitution », en ce sens qu’il était « économiquement viable », et que Bell aurait pu vendre, et aurait effectivement vendu, un hélicoptère Bell 429 équipé d’un train à poutre en I , car, même aujourd’hui, il n’est pas utilisé sur le Bell 429 (pièce P-113, aux onglets 56 et 71, engagements no 8/renseignements communicables qu’aux seuls avocats) (Lovastatine CAF, aux paragraphes 73 et 74). En effet, durant la première étape de l’instruction, M. Gardner a déclaré dans son témoignage que, à cette époque, le train à poutre en I n’avait pas était mis à l’essai en vol ni certifié (pièce P‑113, à l’onglet 50/renseignements comunicables qu’aux seuls avocats). |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| (pièce P‑113, à l’onglet 45/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Cela renforce le pouvoir de négociation d’Airbus à la veille de la première contrefaçon en ce qui concerne le montant d’argent qu’elle pourrait s’attendre à demander et à recevoir de Bell en accordant une licence pour l’utilisation du train Legacy.

5.                  Le train Production

[207]       Les caractéristiques du train Production (pièce JB-475) ont fait l’objet d’un grand nombre d’éléments de preuve ainsi que d’une analyse judiciaire lors de la première étape de l’instance (jugement CF 2012, aux paragraphes 179 à 181 et aux paragraphes 259 à 263).

[208]       Le train Production n’existait pas encore et n’aurait pas pu être considéré comme constituant un  PSNC à la veille de la première contrefaçon à l’automne 2005 (Lovastatine CAF). En effet, ce n’est qu’en 2012 que la Cour a conclu que le train Production ne contrefaisait pas le brevet 787, et, en France, cette question fait toujours l’objet de débats relativement au brevet français, alors que la question a été réglée aux États‑Unis relativement au brevet américain. La défenderesse prétend néanmoins que le train Production devrait être considéré comme constituant un PSNC même s’il n’a été mis au point qu’entre 2008 et 2009, après l’introduction de l’action. La défenderesse, invoque, notamment, le témoignage de M. Gardner qui a déclaré que Bell aurait pu concevoir le train Production comme solution de rechange au train Legacy en octobre 2005, avec les points d’attache à la structure de la cellule, comme elle l’a fait en 2008. La défenderesse affirme qu’il n’est également pas contesté que, avec le train Production, il est possible de doter le Bell 429 d’un plancher plat et d’une cabine ouverte, que le train Production est fixé aux mêmes points d’attache que ceux du train Legacy et qu’un Bell 429 équipé du train Production est viable sur le plan commercial. En effet, les ventes du Bell 429 équipé du train Production ont été meilleures que prévu.

[209]       Les ingénieurs de Bell (notamment M. Gardner et M. Minderhoud) ont passé quelques semaines, au cours de l’été 2008, à faire des calculs sur un train d’atterrissage modifié qui est devenu connu sous le nom de train Production (jugement CF 2012, aux paragraphes 176 à 178). C’est ainsi que la courbure inférieure de la traverse tubulaire avant qui se trouve dans le train Legacy a été remplacée par un manchon au devant duquel il y a un ski en saillie; l’angle d’inclinaison est également légèrement modifié. Compte tenu de ces modifications, M. Gardner a déclaré dans son témoignage, lors de la première étape de l’instance que, sur le plan fonctionnel, le train Production équivalait au train Legacy. Toutefois,  Bell a pris ses distances par rapport à ce témoignage, car M. Gardner n’a pas été appelé comme témoin expert (jugement CF 2012, au paragraphe 181). Il est également important de rappeler que l’« équivalence fonctionnelle » était un argument fondamental invoqué par la demanderesse pour prétendre que le train Production, qui est une version modifiée du train Legacy, contrefaisait le brevet 787. Bien que la Cour ait conclu autrement (jugement CF 2012, au paragraphe 256), la Cour d’appel de Paris a décidé que Bell avait contrefait le brevet français en utilisant les trains Legacy et Production, ce dernier étant « équivalent sur le plan fonctionnel » au train Legacy (pièce P-119, à la page 21).

[210]       L’ajout d’une spatule en saillie et d’un manchon a eu pour conséquence que le train modifié était plus lourd que le train original. En effet, cela a entraîné une surcharge de 16 lb (à tout le moins) (jugement CF 2012, au paragraphe 177) (pièce P-95, à l’onglet 127/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Toutefois, compte tenu de l’avancement du projet relatif au Bell 429, les coûts supplémentaires et les retards devaient être évités. Le comportement dynamique (résonance au sol) et la réaction aux facteurs de contrainte et de charge sont des éléments importants pour la performance et la sécurité du train d’atterrissage d’un hélicoptère. Bell devait notamment prouver aux autorités de certification que le train Production n’était pas sensible à la résonance au sol (jugement CF 2012, au paragraphe 182). Cependant, l’exécution d’essais concrets sur des hélicoptères est un travail extrêmement coûteux et long et, pour cette raison, on effectue le plus d’essais possible à l’aide de logiciels. Finalement, Transport Canada s’est dit convaincu qu’il serait possible de vérifier la conformité par la voie d’une analyse (LS‑DYNA), car il y avait une corrélation entre les essais de résistance aux chutes exécutés et les essais virtuels calculés (pièce JB‑402/renseignements confidentiels et pièce JB-403/renseignements confidentiels, auxquelles la Cour a renvoyé dans ses motifs publics de 2012, au paragraphe 183). Bell a aussi été dispensée de mettre à l’essai la solidité de la spatule de ski du train Production, en dépit du fait que le train Legacy n’était pas muni d’une telle spatule. Dans un rapport daté du 6 février 2009, que Bell a transmis à Transports Canada, il est expliqué que les trains Legacy et Production [traduction] « sont, du point de vue dynamique, semblables en ce qui concerne le mode de fuselage le plus critique (mode roulis) » (pièce JB-390/renseignements confidentiels, à laquelle la Cour renvoie dans ses motifs publics de 2012, au paragraphe 184).

[211]       Dans la décision Grain Processing, qui est invoquée par la défenderesse, il est dit que, selon la théorie économique relative aux PSNC, il est possible d’avoir recours à des substituts imparfaits. La défenderesse avait accès à tous les documents, à tout le savoir‑faire, à toute l’expérience nécessaires pour fabriquer le train Production. Par conséquent, la défenderesse était capable, sur le plan technique et économique, de mettre au point le train Production à la veille de la première contrefaçon. Par conséquent, la défenderesse allègue que, malgré le fait qu’elle n’ait commencé à mettre au point le train Production qu’après qu’elle fut poursuivie pour contrefaçon, elle aurait pu disposer du PSNC au moment de la contrefaçon.

[212]       La demanderesse rétorque que Bell n’a jamais envisagé la création du train Production avant que la présente action soit intentée en mai 2008. Par conséquent, à la veille de la première contrefaçon, à l’automne 2005, la création du train Production n’avait pas été envisagée et celui‑ci n’existait pas, et il n’existait aucune information concernant sa performance, particulièrement en ce qui concerne la résonance au sol. Par conséquent, il présentait des risques importants sur le plan technique. La demanderesse souligne également que la Cour a conclu que la mise au point du train Production aurait été impossible sans la mise au point du train Legacy (jugement CF 2012, au paragraphe 441). Par ailleurs, lors de la négociation hypothétique, on ne savait pas trop si le train Production constituait un PSNC. Par conséquent, cette « solution de rechange » comportait un risque élevé de poursuites.

[213]       Après avoir examiné l’ensemble de la preuve au dossier et les observations de chacune des parties, la Cour conclut que la défenderesse n’a pas réussi à prouver, selon la prépondérance des probabilités, que le train Production constituait un PSNC valide à la veille de la première contrefaçon (Lovastatine CAF). La Cour conclut en outre que la défenderesse n’a jamais répondu à l’exigence « à partir de zéro ». Bien que la défenderesse soutienne qu’elle aurait disposé de toutes les connaissances et de tous les outils nécessaires pour mettre au point le train Production, elle n’a produit aucun document corroborant contenant des détails concernant l’ensemble du processus de mise au point du train Production, sauf l’estimation faite par M. Gardner du temps que prendraient les quatre étapes successives du processus de conception de l’hélicoptère. Enfin, il n’en reste pas moins que la création du train Production n’a été rendue possible que grâce à l’utilisation illicite du train Legacy. Aucune licence autorisant l’utilisation du train Legacy dans le but de mettre au point un PNSC n’a été accordée par Airbus, avant ou après octobre 2005.

[214]       En effet, bien que, selon la preuve ex post facto, le train Production peut constituer une solution de rechange « économiquement viable » au train Legacy (second critère de Lovastatine CAF), la question de savoir s’il constitue un « véritable produit de substitution » (premier critère de Lovastatine CAF) fait toujours l’objet d’un débat, alors que, manifestement, à la veille de la première contrefaçon à l’automne 2005, le train Production ne pouvait pas être vendu et n’aurait effectivement pas été vendu (troisième et quatrième critère de Lovastatine CAF). Toutefois, d’un point de vue pratique, le train Production devrait être accepté ex post facto comme étant un produit de substitution acceptable et une solution de rechange viable, étant donné que, à la veille de la première contrefaçon, les parties envisageraient un contrat de licence international, et qu’il s’avère qu’il y avait des risques que le train Production soit déclaré contrefaisant le brevet 787, le brevet américain et le brevet français, et cela est encore plus vrai qu’il semble que, en 2005, il a été jugé que les trains Legacy et Production contrefaisaient le brevet français.

D.                La détermination de l’application territoriale du contrat de licence et de la nature de la redevance

[215]       Les parties conviennent que la négociation hypothétique qui se serait déroulée la veille de la première contrefaçon, à l’automne 2005, se serait soldée par l’octroi, selon des modalités appropriées, par Airbus, d’une licence internationale non exclusive relativement à la technologie brevetée. Les lettres d’intention sont valides à l’échelle mondiale et les ventes des hélicoptères Bell 429 ont lieu à l’échelle mondiale. Bell a toujours eu l’intention d’installer le train Legacy sur le Bell 429 et de l’utiliser, et, par conséquent, la demanderesse a été obligée de demander des injonctions au Canada, en France et aux États‑Unis. À la veille de la première contrefaçon du brevet 787, Bell avait tout intérêt à obtenir une licence internationale non exclusive relativement à l’utilisation de la technologie brevetée afin d’éviter tout litige. Par contre, la demanderesse n’avait pas intérêt à accorder une licence autorisant l’utilisation d’une telle « technologie de base » à l’un de ses concurrents. Cela dit, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir s’il y aurait dû y avoir versement, par Bell à Airbus, d’une redevance forfaitaire ou de redevances échelonnées.

[216]       M. Heys fait remarquer que le versement d’une redevance forfaitaire la veille de la première contrefaçon constitue en l’espèce une mesure sensée sur le plan économique et sur le plan commercial. Le versement d’un montant forfaitaire non seulement réduirait les frais administratifs occasionnés pour superviser la licence et voir à ce qu’elle soit respectée, mais il permettrait de garantir qu’Eurocopter a été pleinement dédommagée quant à l’utilisation illicite que Bell a faite de l’invention brevetée dans le cadre de la mise au point de l’hélicoptère Bell 429. En revanche, le versement de redevances échelonnées aurait obligé Bell à partager avec Eurocopter des renseignements confidentiels concernant ses ventes unitaires et ses revenus, ce qui n’aurait peut-être pas été souhaitable, étant donné que les deux sociétés sont des concurrentes directes.

[217]       M. Heys a déclaré dans son témoignage que, en théorie, la période de temps visée par le paiement forfaitaire relatif à l’utilisation du train Legacy serait la durée de vie du Bell 429, étant donné que, à son avis, on ne peut pas changer de train d’atterrissage sur des hélicoptères. Par conséquent, à la veille de la première contrefaçon, Bell tiendrait compte des bénéfices additionnels qu’elle envisagerait de tirer de l’hélicoptère pendant sa durée de vie, par rapport au fait de mettre au point cet hélicoptère au moyen d’un produit de substitution non contrefait. Toutefois, de fait, M. Heys a déclaré que, dans les exemples qu’il avait utilisés dans son rapport, les prévisions ne vont pas plus loin que 2015, et ce, par mesure de prudence et parce qu’il n’y a pas vraiment de prévisions qui vont au-delà ce cette période. M. Heys a également déclaré qu’il n’avait pas pris en compte la durée de vie du brevet canadien, laquelle prend fin en 2017, étant donné que cela n’avait pas d’importance, compte tenu du fait que Bell n’aurait pas changé les trains d’atterrissage à la fin de la durée de vie du brevet.

[218]       Compte tenu des conclusions tirées par la Cour lors de la première étape de l’instance (jugement CF 2012, aux paragraphes 177 et 178), M. Heys a souligné que Bell était capable de mettre au point le train Production en peu de temps, sans devoir faire des investissements additionnels importants en matière de recherche et de développement. En l’espèce, une technologie a été prise et utilisée dans le but de mettre au point le Bell 429 et d’en faire la promotion. Eurocopter n’aurait pas été intéressée à donner sa technologie en contrepartie d’un paiement conditionnel qui commencerait à être versé plusieurs années plus tard. À la veille de la première contrefaçon, les ventes du Bell 429 ne commenceraient pas avant 2008. Le versement de redevances échelonnées aurait effectivement permis à Bell d’utiliser librement la technologie pour mettre son hélicoptère au point, puis de remplacer le train d’atterrissage par un train non contrefait et ne verser aucune redevance à Eurocopter.

[219]       La défenderesse prétend que le versement d’un montant forfaitaire, comme le propose la demanderesse, est contraire à toute logique économique et à la conclusion de la Cour selon laquelle Bell a uniquement fabriqué ou utilisé les trains Legacy et n’en a jamais vendu. Fait à noter, le paiement d’un montant forfaitaire avantage généralement le titulaire du brevet en permettant à la société d’obtenir rapidement un montant d’argent, alors qu’il fait courir un risque important au titulaire de licence, car [traduction] « le titulaire de licence est obligé de payer au complet le montant convenu pour la technologie concédée, indépendamment de la question de savoir si la technologie est une réussite commerciale ou si elle a jamais été utilisée » (Lucent Technologies, à la page 1573). En effet, pour que, dans un cas donné, il convienne de verser un montant forfaitaire, il doit y avoir de nombreux éléments de preuve établissant les attentes des parties quant à la question de savoir à quelle fréquence l’invention brevetée serait utilisée par les consommateurs (Lucent Technologies, aux pages 1573 et 1578). Par conséquent, la défenderesse prétend que, en l’espèce, le versement de redevances échelonnées serait plus approprié. La défenderesse souligne également que, dans la grande majorité des cas, on a calculé le montant de la redevance raisonnable en fonction d’une redevance échelonnée (Jay-Lor, aux paragraphes 144 à 149; AlliedSignal, au paragraphe 212).

[220]       M. Schwartz a fait remarquer qu’il aurait été insensé, de la part de l’une ou l’autre partie, d’accepter de recevoir un montant forfaitaire. Dans l’optique de Bell, en 2005, l’aéronef n’avait pas encore été construit, n’avait effectué aucun vol et n’était pas certifié. Compte tenu de cette incertitude, il aurait été insensé que Bell convienne de verser un montant forfaitaire. Du point de vue d’Airbus, il aurait également été insensé d’accepter un montant forfaitaire. Si Airbus acceptait un contrefacteur dans le marché, elle voudrait être en mesure d’être dédommagée pour ce que le contrefacteur a fait dans le marché, et être en mesure de s’assurer que, s’il a en réalité fait mieux que prévu, elle serait dédommagée. Par conséquent, les parties auraient opté pour une redevance échelonnée.

[221]       La thèse de la défenderesse selon laquelle la Cour devrait présumer aujourd’hui que les parties auraient convenu du paiement d’une redevance échelonnée n’est pas réaliste ni défendable. En contre-interrogatoire, M. Schwartz a déclaré que le paiement d’une redevance échelonnée serait le résultat le plus probable, mais qu’il ne pouvait pas exclure la possibilité d’un paiement forfaitaire si les parties convenaient qu’il s’agissait d’une licence (transcription, volume 8, aux pages 183 et 184). Étant donné qu’aucun hélicoptère Bell 429 équipé du train Legacy n’a été livré et que les 21 trains Legacy contrefaits ont néanmoins été utilisés entre 2005 et 2009, pourquoi, sachant cela, les parties seraient-elles incitées à accepter le paiement d’une redevance échelonnée?

[222]       Par conséquent, la Cour conclut que la demanderesse, laquelle est la plus puissante des deux parties sur le plan économique, n’aurait accepté que le versement d’un montant forfaitaire dans le cadre de négociations hypothétiques, et ce, en raison des risques que comporte le versement d’une redevance échelonnée, surtout étant donné que la licence vise l’utilisation illicite de la technologie brevetée pendant environ trois ou quatre ans alors qu’aucun hélicoptère Bell 429 n’a été vendu durant cette période consacrée à la mise au point et à la préproduction.

[223]       Le choix d’une redevance échelonnée ne serait sensé que si la redevance raisonnable devait être calculée en fonction du montant des bénéfices réalisés sur les ventes d’hélicoptères Bell 429 équipés du train Legacy. Le choix d’une redevance échelonnée ne serait sensé que si le train Production contrefait également le brevet 787, le brevet américain et/ou le brevet français, dans la mesure où les parties sont en train de négocier relativement à une licence internationale. Compte tenu de l’ensemble de la preuve au dossier, seul l’octroi d’une licence internationale autorisant l’utilisation ou la production des 21 trains Legacy contrefaits est logique en l’espèce.

E.                 Concilier des divergences inconciliables en ayant recours au « livre de la sagesse »

[224]       Dans une négociation portant sur l’octroi d’une licence relative à un brevet, la redevance convenue représente l’importance de l’avantage que tire le concédant en accordant une licence relativement au brevet (par rapport à ne pas accorder de licence, parce que la volonté minimale d’accepter reflète le coût de renonciation de l’octroi d’une licence). Également, le titulaire de la licence tire un avantage en raison de la valeur de son surplus – la différence entre la volonté maximale de payer et la redevance versée (J. Gregory Sidak, « Bargaining Power and Patent Damages », 19 Stan Tech L Rev 1 (2015), aux pages 11 et 12 (Sidak)).

[225]       Comme le décrit Sidak, le concept de surplus dans toute entente est fondamental en ce qui concerne l’analyse économique des négociations. Selon un principe fondamental de la théorie de la négociation, dans une négociation, l’acheteur et le vendeur divisent le surplus entre eux en fonction du pouvoir de négociation de chacun. L’acheteur et le vendeur négocieront à l’intérieur de la marge afin de fixer le montant de la redevance. Le montant finalement convenu se situera quelque part à l’intérieur de la marge de négociation.

[traduction]

[226]       Toutefois, la formule de volonté minimale d’accepter/volonté maximale de payer utilisée pour déterminer la marge de négociation est quelque peu vague, parce qu’elle laisse beaucoup de place aux interprétations divergentes des mêmes faits. De plus, la formule de surplus proposée par Sidak fonctionne mieux ou est plus cohérente dans un contexte où la volonté minimale d’accepter et la volonté maximale de payer se rejoignent. Vu les observations des parties, ce n’est manifestement pas le cas dans la présente affaire.

[227]       Les deux experts parlent du montant maximum qu’un contrefacteur accepterait de payer et du montant minimum qu’un titulaire de brevet accepterait de recevoir, mais ils tirent des conclusions très différentes. Par ailleurs, les conclusions que les experts tirent relativement à la marge de pouvoir de négociation entre les parties découlent d’un conflit entre le recours à une pure analyse fondée sur une approche purement ex ante et/ou ex post, laquelle n’est pas limitée à la question des bénéfices prévus de Bell à la veille de la première contrefaçon du brevet 787, mais porte sur des questions de fait litigieuses comme l’existence d’un PSNC (Heys : train classique) ou de plusieurs PSNC (Schwartz : train classique, train Production et train à poutre en I). Un autre point en litige important, dans le cas où l’on décide de faire une analyse comparative des bénéfices, c’est le calcul de l’écart marginal entre l’invention certifiée et le meilleur PSNC. Elle comporte également la difficile question de l’évaluation de la valeur de l’invention, et celle de savoir si elle doit être déterminée en fonction de la demande des consommateurs et/ou des préférences du fabricant.

[228]       En ce qui concerne la crédibilité, la Cour conclut que l’expert de Bell sous-estime la technologie brevetée, alors que l’expert d’Airbus tend à la surestimer. Dans l’ensemble, après avoir examiné tous les éléments de preuve figurant au dossier, la Cour conclut que l’apport du train breveté dans l’hélicoptère commercialisé (acheté par les clients) est important, et c’est le moins qu’on puisse dire. Toutefois, dans une négociation hypothétique, Bell aurait certainement plaidé pour un taux de redevance qui aurait probablement tenu compte d’un facteur de répartition, mais, étant donné qu’aucune vente n’a été conclue relativement aux hélicoptères Bell 429 équipés du train Legacy contrefait, la question est devenue hautement théorique (sauf en ce qui concerne le partage du surplus créé par le rendement sur le capital découlant des dépôts reçus par Bell, suite aux lettres d’intention, durant la période de contrefaçon).

1.                  Le modèle compensatoire d’Airbus

[229]       L’analyse compensatoire de l’expert d’Airbus est largement fondée sur le risque qu’Eurocopter court, à la veille de la première contrefaçon du brevet 787, de perdre une part de marché ou ses bénéfices anticipés sur les ventes des hélicoptères qui font concurrence à l’hélicoptère Bell 429. L’octroi d’une licence quant à l’invention brevetée aurait permis à Bell d’augmenter sa part de marché ou ses bénéfices anticipés sur les ventes de ses hélicoptères qui font concurrence aux hélicoptères EC135 et EC145 d’Airbus, ainsi que, peut-être, à l’AS355. Il s’agit d’une analyse purement ex ante fondé sur le fait que la demanderesse ne pouvait pas savoir, à l’automne 2005, que Bell ne vendrait jamais aucun hélicoptère Bell 429 équipé du train Legacy contrefait, bien qu’elle eût manifestement l’intention d’en vendre et que, en fait, elle a reçu un certain nombre de lettres d’intention fondées précisément sur cette prémisse. Compte tenu des avantages bénéfiques que le train Legacy procurerait au Bell 429, Airbus se serait raisonnablement attendue à être exposée à une plus grande concurrence en raison de cet hélicoptère si elle accordait la licence hypothétique plutôt que de ne pas l’accorder. Le degré plus élevé de concurrence aurait pour conséquence que les bénéfices prévus d’Airbus seraient moins élevés et/ou que la marge bénéficiaire brute serait moins élevée.

a)                  L’inexistence d’un PSNC valide (sauf, peut-être, le train classique)

[230]       Comme il a été mentionné, M. Heys avance que le seul PSNC existant, le cas échéant, à la veille de la première contrefaçon, serait le train classique (qui est un substitut imparfait en raison du facteur du poids). De plus, si Bell avait décidé d’adopter un train classique pour le  Bell 429, il aurait fallu qu’elle fasse des travaux additionnels en matière de recherche et de développement afin de produire la configuration optimale (compte tenu des autres facteurs à prendre en compte dans le cadre de la conception, notamment les propriétés de résonnance au sol et le poids). Cela aurait occasionné des coûts et des heures supplémentaires de travail à Bell. Le risque accru, lequel reflète le fait qu’il y aurait eu incertitude concernant les coûts et les heures supplémentaires exigés pour trouver une solution, serait par ailleurs un facteur important à prendre en compte. De tels coûts que Bell se serait attendue à assumer en plus des coûts qu’elle aurait déjà assumés si elle avait accordé une licence relativement au train Legacy augmenteraient donc le montant maximum que Bell aurait accepté de payer pour la licence. Ces inférences sont étayées par la preuve au dossier. La Cour accepte cette partie du raisonnement et des conclusions de M. Heys.

[231]       M. Heys a également éliminé le train Production, parce qu’il n’existait pas à l’automne 2005. Pour ce qui est du train à poutre en I, M. Heys a déclaré qu’il avait appris pour la première fois l’existence de ce train lorsqu’il avait lu le rapport d’expert de M. Schwartz qui avait été déposé en avril 2016 et qui faisait mention du document intitulé « 2012 Presentation » ([traduction] « Présentation 2012 ») (pièce P-117/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Il a déclaré que le train à poutre en I semblait être quelque chose que Bell était en train de mettre au point en 2010‑2011 et qui n’était donc pas en cours d’élaboration à la veille de la première contrefaçon. En outre, il a déclaré que la mise au point du train à poutre en I donnait à penser que le train classique ne fonctionnait pas très bien ou qu’on ne s’attendait pas à ce qu’il fonctionne bien avec le Bell 429. De plus, la Présentation 2012 indiquait le temps, les coûts et l’incertitude que comporte la mise au point d’un train d’atterrissage. Elle démontrait également que, à l’époque où ce document a été publié, Bell devait encore consacrer beaucoup de temps et d’argent à l’achèvement de la mise au point du train d’atterrissage à poutre en I. En contre-interrogatoire, M. Heys a réitéré que le train à poutre en I n’était pas une solution de rechange envisagée à la veille de la première contrefaçon et que la pièce P‑117/renseignements communicables qu’aux seuls avocats donnait à penser qu’il fallait consacrer du travail et des fonds additionnels pour que le train puisse fonctionner sur le Bell 429 (transcription, volume 4, à la page 74). La Cour retient également ces inférences tirées par M. Heys, lesquelles reposent sur la preuve.

b)                  Le caractère innovateur de l’invention brevetée ajoute de la valeur au produit vendu

[232]       La demanderesse ne conteste pas que c’est un hélicoptère que les clients vont habituellement acheter, et non pas les pièces détachées de ce dernier (sauf si le train d’atterrissage est brisé ou doit être remplacé par un autre type de train d’atterrissage). Quoi qu’il en soit, le caractère innovateur de l’invention brevetée ajoute de la valeur au produit vendu (en l’espèce l’hélicoptère Bell 429).

[233]       Dans son rapport en date de mars 2016 (pièce P-115, au paragraphe 27/renseignements communicables qu’aux seuls avocats), M. Heys indique que le train Moustache présente de nombreux avantages fonctionnels par rapport aux trains d’atterrissage plus classiques, notamment (pièce JB‑224 – l’article Minderhoud) :

[traduction]

Des caractéristiques de résonance au sol améliorées en raison de l’avant incliné;

Le point de fixation de la traverse avant peut fournir des avantages importants selon la conception de l’aéronef. Par exemple, il a permis au Bell 429 d’avoir un plancher de cabine intérieure plat et une cabine intérieure ouverte;

Une protection contre les câbles améliorée en raison de la forme du train en traîneau;

Masse maximale au décollage et capacité de charge utile supérieures dues à la masse relativement basse du train d’atterrissage.

[234]       L’analyse de M. Heys est fondée sur le fait que la preuve soutient ces énoncés, ce qui est le cas comme l’a conclu la Cour. C’est‑à‑dire que le train Legacy comportait des points de fixation qui rendaient possible un plancher plat et une grande cabine ouverte dans le Bell 429, il était relativement léger, il avait de bonnes caractéristiques de résonnance au sol, et il disposait d’un coupe‑câble associé à la forme de sa partie avant. Il n’y a rien de mal dans le calcul de ces avantages fonctionnels. La question consiste à déterminer comment le surplus découlant de tels avantages devrait être partagé par les parties dans une négociation hypothétique prenant place la veille de la première contrefaçon du brevet 787.

[235]       Compte tenu de ces facteurs, l’expert d’Airbus fait remarquer que Bell aurait raisonnablement estimé que l’octroi d’une licence par Airbus ferait augmenter les ventes du Bell 429 et ferait augmenter ses bénéfices. En revanche, les bénéfices d’Airbus pourraient diminuer (particulièrement dans le segment des missions SMU). En théorie, M. Heys a raison. Toutefois, le problème avec cette approche générale, comme je l’expliquerai davantage plus loin, c’est que le cirière du « n’eût été » suppose que la Cour devrait remettre le concédant dans la situation dans laquelle il se serait trouvé en octobre 2005 n’eût été la contrefaçon, et non pas dans la situation dans laquelle il se serait trouvé s’il avait accordé une licence au contrefacteur (Damages Calculations in Intellectual Property, à la page 19).

[236]       Dans l’addenda à son rapport d’expert (pièce P-116/renseignements communicables qu’aux seuls avocats), M. Heys a déclaré que [traduction] « Bell prévoit également qu’une économie de poids de ||||lb (c’est-à-dire une économie totale de |||||| lb par opposition à |||| lb) permettrait de vendre environ |||| hélicoptères de plus par année » (addenda, au paragraphe 4/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). De plus, il a déclaré que [traduction] « [l]e programme de mise au point du train à poutre en I s’inscrivait dans le cadre d’un effort visant à diminuer le poids du Bell 429 de |||||| lb, et ce, pour un coût total prévu de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| » (addenda, au paragraphe 4/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). En contre-interrogatoire, M. Heys a reconnu qu’il avait mal compris les renseignements et que, en fait, on parlait d’une économie de 100 à 150 lb au total (transcription, volume 4, à la page 126).

[237]       Lorsque les avocats de Bell lui ont posé des questions sur la différence de poids de 16 lb entre le train Legacy et le train Production (transcription, volume 4, aux pages 2 et suivantes), M. Heys s’est rappelé avoir vu un client annuler sa commande parce que, notamment, les hélicoptères étaient plus lourds que prévu. Cette remarque est étayée par la preuve au dossier. En contre-interrogatoire, les avocats de Bell ont également posé des questions à M. Heys sur sa déclaration selon laquelle le train Moustache permettait de doter le Bell 429 d’un plancher plat et d’une cabine ouverte, ce qui n’aurait pas été possible avec un train d’atterrissage classique (transcription, volume 3, à la page 243). M. Heys a déclaré que ces renseignements provenaient du témoignage rendu à l’audience par M. Gardner, mais il a ensuite reconnu que M. Gardner n’avait pas vraiment dit qu’il était impossible d’installer un train d’atterrissage classique. M. Gardner a plutôt parlé [traduction] « des conséquences qu’entraînerait l’installation d’un train classique, lequel serait plus long et plus lourd » (transcription, volume 3, à la page 245). M. Heys a également reconnu que c’était grâce au train Production que Bell avait pu doter l’hélicoptère Bell 429 d’un plancher plat et d’une cabine ouverte (transcription, volume 4, à la  page 12). Cela dit, M. Heys a également déclaré dans son témoignage que, si la Cour concluait que l’utilisation du train Legacy offrait peu d’avantages par rapport à la deuxième meilleure solution de rechange, alors la licence ne vaudrait pas grand-chose (transcription, volume 4, à la page 90).

[238]       M. Heys affirme qu’il ne savait rien en ce qui concerne le montant précis des coûts liés à la mise au point d’un train d’atterrissage d’hélicoptère. Par exemple, l’expert d’Airbus comprend qu’aucun renseignement précis n’a été produit en l’espèce à propos des coûts (prévus ou réels) de recherche et de développement du train Moustache ou du train Legacy qui pourrait indiquer à combien se chiffre environ cette économie de coûts. Toutefois, l’expert d’Airbus comprend que les coûts de mise au point du train d’atterrissage d’un hélicoptère sont importants. La Cour a mentionné que « la mise au point du train d’atterrissage d’un hélicoptère est un travail de conception et d’ingénierie hautement complexe, qui requiert un travail d’équipe concerté » (jugement CF 2012, au paragraphe 84) et que les tests structurels relatifs à l’assemblage d’un train peuvent comporter jusqu’à 2 500 heures-personnes (pièce JB‑372, à la page 6105/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats). À l’appui de cette remarque, mentionnons qu’il a fallu à Eurocopter (le principal fournisseur dans le marché des hélicoptères civils) quatre ans pour mettre au point un train d’atterrissage pour l’hélicoptère EC120 (ce qui a en fin de compte abouti au train Moustache et au brevet 787).

[239]       M. Heys a également déclaré dans son témoignage que, en ce qui concerne les coûts supplémentaires prévus quant à la mise au point du Bell 429 équipé d’un train d’atterrissage classique, compte tenu des bénéfices additionnels prévus et de l’économie relative aux coûts additionnels réalisée grâce à l’utilisation du train Legacy plutôt que du train classique, il est arrivé à un montant de 250 000 $. Ce calcul est fondé sur l’affirmation faite dans le jugement rendu lors de la première étape de l’instance selon laquelle 2 500 heures-personnes, au taux de 100 $ de l’heure prévu pour les ingénieurs, avaient été consacrées à la mise au point et à l’optimisation de la mise au point du train d’atterrissage (jugement CF 2012, au paragraphe 182). En contre‑interrogatoire, M. Heys a déclaré que s’il avait fallu de 2 000 à 2 500 heures-personnes pour venir à bout de l’ensemble du processus, y compris la certification, alors le montant de 250 000 $ surévaluerait les coûts supplémentaires occasionnés par la mise au point d’une solution de rechange (transcription, volume 4, à la page 111).

[240]       M. Heys a également déclaré que Bell aurait pu être disposée à payer un montant additionnel afin d’éviter l’incertitude associée à la mise au point de l’hélicoptère qui serait équipé d’un autre train d’atterrissage. Il a donc appliqué une prime de risque de 25 p. 100 au montant des bénéfices additionnels que l’on prévoyait tirer des ventes du Bell 429 et des coûts de mise au point supplémentaires. En contre-interrogatoire, lorsqu’on lui a posé des questions quant à la raison pour laquelle le risque comporté par l’adoption d’un train classique que Bell utilisait depuis les années 40 était plus élevé que le risque comporté par l’adoption du train Legacy que Bell n’avait jamais utilisé, et qui n’avait pas encore été construit, mis à l’essai ou certifié, M. Heys a répondu qu’il croyait comprendre que le train Legacy avait de bonnes propriétés de résonance au sol. Il a également déclaré que, à la veille de la première contrefaçon, Bell savait que l’installation du train Legacy sur le Bell 429 donnerait de bons résultats et qu’il y avait également un risque [traduction] « concernant les conséquences sur les caractéristiques de l’hélicoptère que pourrait entraîner ou ne pas entraîner l’utilisation du train classique » (transcription, volume 4, à la page 129). Ces hypothèses reposent sur la preuve au dossier et la Cour estime qu’elles sont raisonnables.

c)                  Les calculs

[241]       Dans son rapport de mars 2016, bien qu’il n’en traite pas dans cet ordre, M. Heys a estimé que, si la VMA d’Airbus est prise en compte, la valeur actualisée des bénéfices totaux qu’Eurocopter prévoyait tirer, pour la période allant de 2008 à 2015, des ventes des hélicoptères  EC135, EC145, et AS355, serait d’environ 160,9 millions de dollars (valeur actualisée à la veille de la première contrefaçon). Ce calcul a été fait en fonction d’un prix de vente moyen prévu d’environ 4,1 millions de dollars américains par hélicoptère, de marges bénéficiaires brutes moyennes de 7 p. 100 et d’un taux d’actualisation de 12 p. 100.

[242]       M. Heys a ensuite calculé la valeur de l’incidence défavorable prévue sur les bénéfices totaux d’Airbus, en raison du fait que celle-ci devrait faire concurrence à un Bell 429 équipé d’un train Legacy, en multipliant ces bénéfices totaux par ce que la Cour a jugé être la part de ces bénéfices prévus qui vraisemblablement pouvaient être perdus si Bell avait utilisé le train Legacy plutôt que le train classique. M. Heys a déclaré qu’on pouvait notamment faire cela en se fondant sur le nombre moyen de ventes d’hélicoptères par année qu’Airbus se serait raisonnablement attendue de perdre si elle accordait la licence hypothétique à Bell. Compte tenu des parts relatives du marché d’Airbus et de Bell, Airbus aurait pu raisonnablement s’attendre à réaliser environ 62,5 p. 100 des ventes d’hélicoptères que Bell n’a pas réalisées. M. Heys a donc fourni des calculs relativement à de nombreuses conclusions que la Cour pourrait tirer concernant l’incidence prévue de la licence hypothétique sur le nombre moyen de ventes d’hélicoptères Airbus par année (énoncés dans le tableau 5 qui figure à la page 55 du rapport d’expert de M. Heys). Une perte moyenne de ventes de six hélicoptères par année représenterait environ 5,3 p. 100 des bénéfices totaux d’Airbus, ou 8,5 millions de dollars, pour la période de huit ans allant de 2008 à 2015.

[243]       Le problème avec cette approche, c’est que, durant la période de contrefaçon, il n’y a eu aucune vente et aucune livraison à des clients d’hélicoptères Bell 429 équipés d’un train d’atterrissage Legacy, alors que toutes les ventes qui ont été faites en dehors de la période de contrefaçon avaient trait à des hélicoptères Bell 429 équipés d’un train Production.

[244]       Pour sa part, l’analyse de M. Heys quant à la VMP de Bell repose sur la valeur totale des bénéfices que celle-ci prévoyait tirer de l’ensemble des ventes de l’hélicoptère. Il faut ensuite appliquer l’incidence additionnelle du train Legacy par rapport au PSNC. De plus, M. Heys a estimé les bénéfices totaux que Bell prévoyait tirer de l’ensemble des ventes prévues des hélicoptères Bell 429 équipés du train Legacy (estimées à la veille de la première contrefaçon) à environ 51,3 millions de dollars (pièce P-115, annexe F/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[245]       Ce calcul repose sur les hypothèses suivantes :

[traduction]

Ventes unitaires projetées de l’hélicoptère 429 indiquées dans une prévision préparée par Airbus en mai 2006, pour la période allant de la veille de la première contrefaçon à 2015;

Un prix de vente moyen prévu de 3,95 millions de dollars américains par hélicoptère; ce prix est fondé sur les prix indiqués dans la lettre d’intention que Bell a reçue à la fin de 2005;

Des marges bénéficiaires brutes moyennes (la marge bénéficiaire brute est obtenue en soustrayant le coût des marchandises vendues du chiffre d’affaires, puis en divisant le chiffre obtenu par le chiffre d’affaires, puis en multipliant par 100) de 7 p. 100;

Un taux d’actualisation de 12 p. 100.

[246]       M. Heys a souligné que le prix de 3,95 millions de dollars américains est demeuré inchangé tout au long de la prévision, car son analyse ne tenait pas compte de l’inflation. Il a également déclaré qu’il avait établi la marge bénéficiaire brute moyenne à 7 p. 100 en se fondant sur des conversations qu’il avait eues avec M. Youngs et selon lequel ce chiffre était une estimation raisonnable de la marge bénéficiaire brute prévue sur les ventes de nouveaux hélicoptères.

[247]       M. Heys a de plus déclaré que le nombre maximum de neuf ventes perdues d’hélicoptères par année provenait d’un article qui avait été publié dans la presse commerciale et qui mentionnait en détail, par segment de mission, les lettres d’intention que Bell avait reçues pour le Bell 429. Par conséquent, si on ne pouvait pas s’attendre à ce que Bell réalise des ventes dans le segment des missions SMU si elle avait choisi le train classique pour le Bell 429, cela aurait eu pour effet de diminuer les ventes prévues, en moyenne, d’environ neuf hélicoptères par année, ce qui représente une baisse d’environ 23,2 p. 100 des bénéfices totaux prévus, ou 11,9 millions de dollars. M. Heys a également soumis des calculs établis en fonction de la possibilité que Bell perde un nombre moins important de ventes d’hélicoptères par année, et il a déclaré qu’il s’agissait d’une relation linéaire.

[248]       D’un point de vue « VMP/VMA », à la veille de la première contrefaçon, la VMA d’Eurocopter se situerait entre 1,7 et 11,8 millions de dollars, parce qu’elle n’avait pas intérêt à autoriser un concurrent direct à profiter de sa « technologie de base ». Par contre, la VMP de Bell se situerait entre 2 et 15,2 millions de dollars, en raison de tous les avantages que Bell aurait tirés du « train Moustache » et compte tenu de l’inexistence d’un PSNC adéquat.

[249]       Compte tenu de tout ce qui précède, M. Heys a conclu que, si la Cour devait décider qu’il n’y a aucun éventail de redevance raisonnable, étant donné sa décision au sujet des paramètres clés, le montant des dommages-intérêts compensatoires serait égal au montant qu’Airbus serait prête à accepter (p. ex., 1,7 à 11,8 millions de dollars – pièce P‑115, au paragraphe 137/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Dans l’hypothèse où la redevance raisonnable est assimilée à une licence liée à la recherche et au développement, cette licence donnerait probablement lieu à un paiement forfaitaire (argumentation finale d’Airbus, aux paragraphes 197 et 198/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

d)                  La détermination de l’éventail des positions de négociation dans une négociation hypothétique

[250]       Essentiellement, M. Heys surévalue la valeur pécuniaire du brevet en recourant à une pure approche ex ante qui ne tient pas compte du nombre de trains contrefaits produits et utilisés par Bell durant la période de contrefaçon de quatre ans (2005-2009). M. Heys porte principalement son attention sur les bénéfices prévus, alors que M. Schwartz ne s’intéresse qu’aux économies supplémentaires prévues par Bell. Comme on pouvait s’y attendre, l’approche de M. Schwartz sous-évalue la valeur pécuniaire du brevet dans une négociation de bonne foi ayant lieu la veille de la première contrefaçon. La Cour souligne que la méthode employée par M. Heys crée de grandes différences dans l’éventail des redevances, particulièrement en prenant en considération la VMA d’Airbus, qui est très faussée par rapport à la VMP de Bell. Par contre, la méthode utilisée par M. Schwartz fixe la marge de négociation des parties dans la limite inférieure de la VMP de Bell, et la conclusion d’une entente n’est donc pas possible en raison de la sous-évaluation du brevet.

[251]       En tenant compte de la VMP de Bell et de la VMA d’Airbus, l’expert d’Airbus, M. Heys, donne des exemples de l’issue de la négociation hypothétique, compte tenu des valeurs possibles des divers paramètres qui doivent toujours être validées par la Cour. Au tableau 6 du rapport d’expert de M. Heys (pièce P-115, à la page 57/renseignements communicables qu’aux seuls avocats) figurent des chiffres qui sont fondés sur les ventes d’unités annuelles moyennes prévues des hélicoptères Bell 429 qui pourraient être perdues si aucune licence n’était accordée, soit d’une à neuf unités. Il en résulte un éventail de taux de redevance de 2 à 15,2 millions de dollars, ce qui représente l’échelle médiane. M. Heys a ensuite comparé les ventes d’unités annuelles moyennes prévues d’hélicoptères EC135, EC145 et AS355 d’Airbus qui pourraient être perdues si une licence était accordée, soit une à six unités, ce qui représenterait une échelle médiane de taux de redevance de 1,7 à 11,8 millions de dollars.

[252]       Selon le cadre de M. Heys, pour chacune des [traduction] « ventes d’unités annuelles moyennes prévues si aucune licence n’est accordée » (M. Heys a fourni des calculs pour une à neuf unités), la volonté maximale de payer de Bell serait égale aux bénéfices additionnels prévus qui seraient perdus si aucune licence n’était accordée, plus les coûts de mise au point supplémentaires prévus si aucune licence n’était accordée, plus une prime de risque de 25 p. 100. M. Heys a conclu que Bell aurait consenti à payer des taux de redevance allant de 1,7 à 11,8 millions de dollars (pièce P-115, au paragraphe 137/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[253]       Dans le modèle de M. Heys, la VMP de Bell repose surtout sur les bénéfices additionnels prévus qui pourraient être perdus si aucune licence n’était accordée, et elle est fondée sur les ventes d’unités annuelles moyennes prévues par Bell d’hélicoptères Bell 429 qui pourraient être perdues sans licence (pièce P-115, au paragraphe 118 ainsi que tableau 4 et note de bas de page 153/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). La Cour conclut que cette approche axée sur les bénéfices prévus aurait pour effet de surindemniser Airbus pour l’utilisation illicite des trains Legacy et qu’elle est irréaliste. La Cour accepte que les coûts de mise au point supplémentaires, l’avantage économique découlant du rendement du capital obtenu par Bell sur les dépôts reçus en lien avec les lettres d’intention et une prime de risque devraient être inclus dans le modèle d’indemnisation, mais, par contre, l’analyse relative aux bénéfices qui pourraient être perdus proposée par M. Heys est rejetée par la Cour qui la juge irréaliste et inapplicable dans les circonstances de l’espèce.

2.                     Le modèle d’indemnisation de Bell

[254]       Pour Bell, la négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon du brevet 787 ne donnerait comme résultat qu’un faible montant de redevance. Selon une approche de contrefaçon ex post, le montant de la redevance devrait correspondre aux coûts de mise au point supplémentaires que Bell a économisés en ne mettant pas au point un produit non contrefait. Étant donné que Bell n’a utilisé que 21 trains contrefaits, un montant symbolique de redevance est tout ce qu’Eurocopter pourrait s’attendre à recevoir, malgré la valeur élevée qu’elle accorde à l’invention brevetée et à ses nombreux avantages qui n’ont aucune incidence directe sur la demande du marché.

a)                  Les trois PSNC valides

[255]       Dans son analyse d’avril 2016 (pièce D-119/renseignements communicables qu’aux seuls avocats), M. Schwartz affirme que le train Production, le train d’atterrissage classique à patins et le train d’atterrissage à poutre en I constituent tous des produits de substitution non contrefaits, acceptables sur le plan technique et commercial, au train Legacy. M. Schwartz prétend que, à l’automne 2005, Bell avait presque terminé la conception détaillée du train Legacy; toutefois, les essais de certification n’avaient pas encore commencé. Bien que le passage au PSNC eût exigé une modification de la taille du train d’atterrissage et une nouvelle conception technique, il n’aurait entraîné aucun coût supplémentaire en ce qui concerne les étapes d’optimisation et de certification de la conception du Bell 429. En effet, selon M. Schwartz, le passage au train classique à l’époque aurait probablement permis d’économiser de l’argent, car Bell n’aurait pas eu à faire d’essai de résistance aux chutes. Ces remarques ne sont pas étayées par la preuve au dossier et ne tiennent pas compte du critère « aurait pu et aurait » (Lovastatine CAF).

[256]       M. Schwartz a déclaré que, d’un point de vue économique, un PSNC acceptable en serait un qui est acceptable sur le plan technique et viable sur le plan commercial. En contre‑interrogatoire, il a déclaré que, pour un économiste, un PSNC acceptable en est un qui permet à l’utilisateur de tirer avantage, de façon acceptable, de l’utilisation du produit, bien que le train Legacy puisse comporter des caractéristiques qui ne peuvent pas être non contrefaites. Le test du marché devient alors important pour déterminer si ces différences ont de l’importance.

[257]       M. Schwartz déclare également qu’entre le train Legacy et les trois trains de substitution non contrefaits, les différences de poids auraient été faibles et n’auraient pas été assez importantes pour faire une différence dans le marché. En contre-interrogatoire, M. Schwartz a déclaré que, mis à part le poids moins élevé du train Legacy, il n’avait relevé dans son rapport aucun autre avantage que pouvait procurer ce train. M. Schwartz a déclaré que, selon ce qu’il comprenait, malgré le fait que le train Legacy eût fait l’objet d’améliorations en ce qui concerne la résonance au sol, Bell disposait de solutions de rechange pour régler le problème de la résonance au sol, avant et après le moment de la négociation hypothétique. M. Schwartz a déclaré qu’il n’avait vu aucun élément de preuve démontrant que le poids avait une incidence sur la prise de décision d’un consommateur lorsque la différence de poids est inférieure à 50 lb. Il a déclaré que le chiffre de 50 lb était tiré du témoignage de M. Evans.

[258]       Dans ses observations finales, la demanderesse a contesté la conclusion positive tirée par M. Schwartz. La détermination de la validité et de l’existence d’un PSNC est une question mixte de fait et de droit, et relève par conséquent de la compétence de la Cour. De plus, la demanderesse s’est opposée aux différents commentaires formulés par M. Schwartz dans son rapport relativement à l’absence alléguée d’éléments de preuve à l’appui de la thèse d’Airbus (argumentation finale d’Airbus, au paragraphe 87/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Les objections soulevées sont bien fondées, dans la mesure où M. Schwartz n’est pas un expert reconnu en ce qui concerne les questions techniques, les questions relatives à la demande du marché et les préférences des clients, et il ne peut non plus se substituer à la Cour qui est appelée à trancher les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit.

[259]       La conclusion de la Cour selon laquelle, la veille de la première contrefaçon, il n’existait pas de PSNC valide répondant au critère [traduction] « aurait pu et aurait » (Lovastatine CAF) porte atteinte à l’analyse effectuée par M. Schwartz et élargit la marge de négociation d’Eurocopter. Ainsi se pose la question de savoir si le modèle compensatoire devrait être strictement fondé sur un partage des coûts économiques additionnels en ce qui concerne la mise au point du train Production, comme le préconisent Bell et ses experts.

b)                  La demande du produit sur le marché est déterminée par le client qui achète un hélicoptère, non un train d’atterrissage

[260]       Le modèle compensatoire de Bell est fondé sur le fait que, peu avant la première contrefaçon, Eurocopter savait déjà que la mise au point du Bell 429 était en cours et que l’on s’attendait à ce qu’il soit un concurrent majeur sur le marché des hélicoptères civils. Eurocopter prévoyait déjà des pertes de ventes et de parts de marché découlant de la commercialisation du nouveau Bell 429, peu importe les trains d’atterrissage. Quoi qu’il en soit, dans la mesure où Bell soutient que cela n’était pas dû au train Legacy contrefait, et dans la mesure où les profits d’Eurocopter n’étaient pas menacés par l’entrée du Bell 429 sur le marché, il n’existait aucun lien de causalité avec la contrefaçon du brevet 787.

[261]       La Cour a conclu que l’approche axée sur le marché a permis à Eurocopter de demander le maximum sur tout surplus découlant des avantages fonctionnels du train Moustache. En particulier, parmi un certain nombre de facteurs contextuels pertinents qui ont été pris en compte, la nature du marché des hélicoptères civils et parapublics, la concurrence entre le concédant de licence potentiel et le titulaire de licence ainsi que leur technologie concurrentielle sur le marché des hélicoptères bimoteurs légers militent manifestement en faveur de la demanderesse. Ainsi, la demanderesse a le droit de demander le montant maximum que la défenderesse aurait payé (VMP). Le fait que la défenderesse avait la capacité, à l’automne 2005, de mettre au point un PSNC n’a aucune incidence sur cette conclusion, compte tenu du fait qu’il y avait un certain nombre d’obstacles touchant les PSNC allégués, et qu’il était dans l’intérêt de Bell de ne pas retarder la certification et la production du Bell 429 après l’annonce de son lancement en février 2005.

c)                  Les calculs

[262]       M. Schwartz affirme que le choix du train d’atterrissage du Bell 429 n’a pas eu, et n’aurait pas eu, de répercussions sur les perspectives commerciales des modèles EC135 et EC145 d’Airbus qui étaient en concurrence avec le Bell 429. Cette affirmation est erronée en fait, ou, au mieux, elle est conjecturale. Dans son rapport à la page 6, l’expert de Bell souligne que [traduction] « [l]a contrefaçon n’était pas importante du point de vue commercial et Airbus ne courait aucun risque de perdre des bénéfices en raison de la contrefaçon » (pièce D‑119/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Il conclut ensuite que, dans le contexte d’une négociation hypothétique, la demanderesse aurait accepté une petite redevance pour la licence, et que Bell aurait vraisemblablement accepté de payer les frais prévisibles qu’elle aurait engagés.

[263]       Pour calculer les frais prévus que Bell s’attendait à engager pour pouvoir passer à l’utilisation d’un train non contrefait (101 000 $), M. Schwartz a utilisé une projection de 409 hélicoptères vendus pendant la période visée par la licence, notamment à partir de 2005 jusqu’à la date d’expiration du brevet en 2017 (pièce D‑119, au paragraphe 48/renseignements communicables qu’aux seuls avocats, et il a utilisé la prévision pour le Bell 429 préparée par Airbus (AH140)). Il a noté une projection d’Airbus selon laquelle 327 unités seraient vendues à partir de 2008 jusqu’en 2015, et a ensuite transposé cette prévision jusqu’à 2017, soit le moment d’expiration du brevet, pour aboutir à un chiffre de 409 hélicoptères. Après un examen subséquent du rapport de M. Heys, M. Schwartz a souligné que son collègue avait analysé le même document et avait conclu qu’Airbus prévoyait la vente de 316 hélicoptères jusqu’en 2015, ce qui, par projection, donnerait lieu à la vente de 406 hélicoptères jusqu’en 2017 (rapport d’expert de Schwartz, à la page 6, note de bas de page 12/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[264]       M. Schwartz a également déclaré dans son témoignage que le montant de 101 000 $ représentait le coût supplémentaire nécessaire pour amener le train non contrefait au stade où se trouvait le train Legacy au moment de la contrefaçon. En contre‑interrogatoire, lorsqu’on lui a demandé pourquoi le montant de 101 000 $ représentant les coûts évités à Bell devrait être divisé par le nombre de ventes, M. Schwartz a déclaré qu’il croyait que la manière adéquate d’exprimer la redevance était par unité, ce qui représente le montant de 101 000 $ converti en un certain nombre par unité, en fonction des 409 ventes prévues par Bell. Compte tenu des rapports de concurrence entre les parties et des technologies de remplacement que Bell pouvait utiliser à la veille de la contrefaçon, M. Schwartz a calculé que la VMP de Bell serait le montant total des coûts qu’elle a évités à titre de droit de licence, qui serait d’au plus 247 $ par hélicoptère, pour un montant total de 5 187 $.

[265]       En outre, les calculs de M. Schwartz sont fondés sur l’exigence d’un temps d’immobilisation de |||||||||| heures-personnes, à |||||||||||||| par heure (conversation avec M. Gardner, au paragraphe 41 du rapport d’expert de M. Schwartz) pour transformer le train d’atterrissage en PSNC à l’automne 2005 (conversation avec M. Gardner, au paragraphe 27 du rapport d’expert de M. Schwartz/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). En contre‑interrogatoire, M. Schwartz a confirmé que le chiffre de |||||||||| heures ne provenait que de sa conversation avec M. Gardner. La Cour conclut que le témoignage de M. Gardner est en grande partie non fiable et conjectural. Dans son rapport (note de bas de page 64, à la page 22), M. Schwartz a déclaré que, si l’on adoptait la démarche la moins favorable, et il fallait en réalité 2000 heures à Bell pour élaborer une conception en tenant compte du brevet, les frais évités à Bell seraient de 154 980 $ et les dommages‑intérêts compensatoires seraient donc d’au plus 154 980 $ : 409, soit 379 $ par hélicoptère.

d)                  La détermination de l’éventail des positions de négociation dans une négociation hypothétique

[266]       Sur le plan de l’économique fondamentale d’une redevance raisonnable, M. Schwartz a déclaré que les parties étaient censées négocier de bonne foi, sur la base d’hypothèses raisonnables concernant, notamment, le rendement futur prévu, les revenus additionnels prévus, les coûts et les profits, les attentes raisonnables relatives à la valeur de la technologie et la manière dont la concurrence des produits contrefaits influencerait le marché. M. Schwartz a déclaré que, dans le contexte de la négociation hypothétique, le contrefacteur pour qui la valeur de l’invention, en ce qui concerne sa capacité à générer des ventes de produits contrefaits et des profits, est faible ne paierait pas beaucoup pour obtenir la licence. Plus l’auteur de la contrefaçon (Bell) aurait pu se retirer facilement de la négociation hypothétique, plus grand aurait été son pouvoir de négociation.

[267]       Comme il a déjà été mentionné, M. Schwartz a déclaré qu’Airbus prévoyait déjà que des bénéfices risquaient d’être perdus par l’entrée du Bell 429 sur le marché et, par conséquent, il n’y avait pas de lien de causalité avec la contrefaçon, surtout que les éléments de preuve démontrent que le Bell 429 était déjà considéré comme un concurrent majeur. Néanmoins, selon M. Schwartz, Airbus savait aussi que le train d’atterrissage ne formerait pas l’assise de la décision d’un client d’acheter le Bell 429 ou ses propres hélicoptères.

[268]       Par ailleurs, M. Schwartz a déclaré que l’indemnisation pour la recherche et le développement dans le contexte de la négociation hypothétique serait en grande partie non pertinente. La capacité d’Airbus d’obtenir un rendement sur ses investissements en recherche et développement découle de ses ventes de produits qui renferment cette technologie. En l’espèce, les deux hélicoptères dotés de la technologie en question ne sont pas les hélicoptères auxquels le Bell 429 livre une concurrence. Par conséquent, dans le contexte de la négociation hypothétique, la vente du Bell 429 équipé d’un train Legacy ne se ferait au détriment d’aucun produit d’Airbus qui renferme réellement la technologie visée par le brevet 787. Ainsi, la capacité d’Airbus d’obtenir un retour sur ses investissements ne serait pas compromise.

[269]       Agissant comme un juge appelé à trancher l’affaire, compte tenu de son [traduction] « analyse de la position des parties relativement à la présente négociation hypothétique et l’examen minutieux des facteurs énoncés dans AlliedSignal », M. Schwartz s’aventure à tirer une conclusion, selon laquelle [traduction] « un paiement symbolique est tout ce qu’Airbus aurait pu s’attendre à recevoir » (pièce D‑119, au paragraphe 48/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). M. Schwartz conclut notamment que le montant des dommages‑intérêts compensatoires devrait être presque nul, étant donné qu’[traduction] « [i]l n’existe aucune preuve de la causalité quant à un quelconque avantage économique que Bell aurait tiré de la contrefaçon, à l’exception des frais évités [de 101 000 $ ou de 155 000 $] par suite de l’utilisation du train Legacy » (pièce D‑119, au paragraphe 84/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Par conséquent, [traduction] « [c]ompte tenu de [son] analyse positive », M. Schwartz conclut que la redevance qui découlerait de la négociation hypothétique entre Airbus et Bell est une redevance échelonnée qui serait d’au plus 247 $ par hélicoptère, selon une projection portant sur 409 hélicoptères vendus au cours de la période visée par la licence (de 2005 à 2017).

[270]       Étant donné que Bell a finalement utilisé vingt et un trains Legacy, M. Schwartz conclut que le montant des dommages‑intérêts compensatoires dû à Airbus par suite de la violation est de 5 187 $ (247 $ x 21) (pièce D‑119, au paragraphe 52, et note de bas de page 66/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). À titre subsidiaire, M. Schwartz conclut de manière affirmative que [traduction] : « même [en supposant que], pour les besoins de la présente analyse des dommages intérêts compensatoires, Bell paierait à Airbus le montant total des frais qu’elle a évités à titre de droit de licence, les dommages intérêts compensatoires ne seraient pas supérieurs à 247 $ par hélicoptère (101 000 $ : 409) » (pièce D‑119, au paragraphe 48/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[271]       Comme variante à cette première solution, M. Schwartz affirme que [traduction] « [s’il] adoptai[t] la démarche la moins favorable et supposai[t] que Bell aurait besoin de 2000 heures pour élaborer une conception en tenant compte du brevet, ses frais évités seraient de 154 980 $, et les dommages intérêts compensatoires seraient d’au plus 379 $ par hélicoptère (154 980 $ : 409) » (pièce D‑119, note de bas de page 64/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). M. Schwartz a également proposé une deuxième solution fondée sur le principe de la marque de commerce connu sous le nom des « contrefaçons de sacs Gucci® », qui est expliqué ci‑après.

[272]       La Cour conclut que la démarche de M. Schwartz présente des défauts et est, au mieux, incomplète, compte tenu du fait que Bell a délibérément choisi la technologie brevetée (le train Moustache) par rapport à la solution du domaine public (le train classique) et à sa propre technologie de base (le train à poutre en I). En attribuant une valeur presque nulle à la technologie brevetée, M. Schwartz ne tient pas compte, dans son modèle, de l’ensemble des éléments de preuve au dossier. La valeur attribuée à l’invention est arbitrairement réduite et ne peut se limiter à l’économie des coûts supplémentaires liés à la mise au point d’un produit de substitution non contrefait. Même si nous supposons que le train d’atterrissage breveté constitue la plus petite unité vendable en tant que pièce détachée, ses avantages fonctionnels confèrent tout de même à l’appareil une valeur ajoutée. Celle‑ci contribue à créer la demande des clients pour l’ensemble du produit vendable (l’aéronef) [voir Thomas F. Cotter, « Four Principles for Calculating Reasonable Royalties in Patent Infringement Litigation », 27 Santa Clara Computer & High Tech LJ 725 (2016), aux pages 743 et 744; Zelin Yang, « Damaging Royalties: An Overview of Reasonable Royalty Damages », 29 Berkeley Tech LJ 647 (2014), aux pages 674 à 676).

e)                  Le modèle d’indemnisation des « contrefaçons de sacs Gucci® »

[273]       Au procès, M. Schwartz a proposé de façon indépendante un autre modèle d’indemnisation fondé sur l’exemple des « contrefaçons de sacs Gucci® », dans lequel la valeur marchande sera prise en compte pour chacun des vingt et un trains Legacy produits par la défenderesse (argumentation finale de Bell, aux paragraphes 272 à 278) :

[traduction]

M. SCHWARTZ: […] ce que nous avons ici est une situation unique où la contrefaçon a cessé avant la tenue de toute activité sur le marché en 2008. Une situation où Bell a acquis 21 trains d’atterrissage. L’entreprise possédait 21 trains d’atterrissage et ‒ mais elle ne s’est jamais rendue au point des vendre effectivement sur le marché.

Et le modèle présuppose que le produit contrefait finit par se trouver sur le marché.

[…]

Une idée qui m’interpellait en est une qui pourrait constituer une réflexion utile, comme celle que j’ai commencé à décrire hier, où j’imagine un fabricant produisant un certain nombre de contrefaçons de sacs Gucci®. Ce fabricant a la ferme intention de vendre ces contrefaçons sur le marché. Il va de l’avant selon ce qu’il prévoit, mais il se fait prendre. Il arrête. Par conséquent, ses produits n’ont jamais l’occasion de se trouver sur le marché. 

[…]

Ainsi, Gucci® indique qu’elle a perdu 20 ventes lorsque ces 20 contrefaçons ont été achetées, parce que l’acheteur aurait pu acheter ces sacs d’elle. Encore une fois, je sais – je suis en train de créer un cas hypothétique – encore une fois, pour simplifier les chiffres, il aurait vendu les sacs pour 100 $, alors que le contrefacteur aurait pu payer 2000 $. Donc, le contrefacteur dit que ce qu’il aurait pu faire plutôt que d’acheter les contrefaçons, il aurait pu leur payer 2000 $.

À partir de ce 2000 $, gardons les chiffres simples, Gucci® a une marge de 50 p. 100 de profit. Donc, pour ces ventes qui n’ont pas eu lieu – elles auraient pu avoir lieu, mais cela n’a pas été le cas, Gucci® aurait pu réaliser un profit de 1000 $, et nous avons maintenant deux éventualités.

La somme de 1000 $ constitue la perte de Gucci®. L’entreprise n’acceptera pas un règlement inférieur à cette somme, donc il s’agit de sa VMA, volonté minimale d’accepter.

La somme de 2000 $ représente la volonté maximale de payer du côté du contrefacteur, et les deux parties négocieraient une somme se situant entre 1000 $ et 2000 $ qui refléterait réellement ce qui s’est produit. La question est donc maintenant de déterminer comment tracer un parallèle entre cette mise en situation et la présente affaire.

(Transcription, volume 8, aux pages 27 et 28 ainsi que 30 et 31)

[274]       Comme nous pouvons le constater, M. Schwartz a proposé une méthode ingénieuse pour quantifier le montant des dommages­‑intérêts compensatoires, en l’espèce, en assimilant les vingt et un trains Legacy à des biens contrefaits – ce qui est le cas – que Bell aurait effectivement vendus à la valeur marchande à ses clients et qui auraient généré un profit de quarante pour cent. Selon Eurocopter, il y a eu vingt et une [traduction] « pertes de ventes ».

[275]       Selon cette autre démarche préconisée, M. Schwartz a proposé un point de départ et un point d’arrivée qui pourraient raisonnablement permettre d’établir la « marge de négociation » entre les parties. Premièrement, M. Schwartz estime que la VMA d’Airbus serait d’environ 210 000 $, compte tenu du fait que la Cour a déjà établi le prix unitaire du train Legacy à 25 000 $ (jugement CF 2012, au paragraphe 415), et qu’Airbus aurait une marge de 35 à 40 p. 100 (25 000 $ x 40 % x 21 trains contrefaits). Au contraire, la VMP de la défenderesse serait de 525 000 $ (25 000 $ x 21).

[276]       La défenderesse a également examiné la proposition subsidiaire faite par son propre expert à l’audience, mais a précisé qu’elle ne concordait pas nécessairement avec les intérêts particuliers des parties. En outre, la défenderesse a souligné que cet autre mode de calcul des dommages‑intérêts compensatoires avait été fourni à la Cour de façon indépendante (pièce D‑121). Cela étant dit, la Cour a la capacité d’analyser ce nouveau point de vue, en particulier s’il cadre mieux avec les circonstances particulières de l’affaire, ou, comme c’est le cas en l’espèce, s’il aide la Cour à trouver une solution raisonnable pour la négociation hypothétique.

[277]       Dans le contexte des marques de commerce, la règle des « contrefaçons de sacs Gucci® » s’applique par défaut lorsqu’il est impossible de mesurer l’ampleur de la contrefaçon ou qu’il est difficile de prouver le préjudice réel subi par le demandeur. En pareilles circonstances, la Cour accordera des dommages-intérêts compensatoires sous la forme de dommages‑intérêts symboliques prononcés contre des établissements de vente au détail qui vendent des produits contrefaits (Louis Vuitton Malletier SA c Yang, 2007 CF 1179, [2007] ACF no 1528, au paragraphe 43; Louis Vuitton Malletier SA c Singga Enterprises (Canada) Inc, 2011 CF 776, [2011] ACF no 908, aux paragraphes 129 et 130; Chanel S de RL v Lam Chan Kee Company Ltd, 2016 FC 987, [2016] ACF no 940 (Chanel CF 2016), au paragraphe 38). En l’espèce, la Cour connaît précisément l’ampleur de la contrefaçon. En effet, vingt et un trains Legacy contrefaits ont été produits, mais n’ont jamais été vendus à des clients.

[278]       Il est possible de soutenir que le montant symbolique de 500 000 $ qui est proposé ne répare pas le préjudice subi par Airbus du fait des pertes de ventes se rapportant aux hélicoptères Airbus munis du train Moustache et/ou des pertes de l’achalandage lié à la marque de commerce « Airbus » et de l’achalandage attaché au produit original et non contrefait, à savoir le train Moustache breveté. Par conséquent, l’analogie établie avec la règle des « contrefaçons de sacs Gucci® » est quelque peu inappropriée. Pourtant, en l’absence d’une licence obtenue d’Eurocopter, Bell n’avait absolument pas le droit de produire, d’utiliser, d’offrir en vente ou de vendre effectivement un nombre quelconque de trains Legacy contrefaits ou d’en faire la publicité, qu’il s’agisse d’un, de deux, de vingt et un trains Legacy contrefaits ou d’un tout autre nombre indéterminé de ces trains. Dans ce contexte, il n’est pas déraisonnable d’attribuer une valeur marchande totale de 525 000 $ aux trains Legacy contrefaits (21 x 25 000 $), comme si Airbus avait été empêchée de vendre à Bell vingt et un trains Moustache originaux en tant que pièces détachées. Bien qu’il s’agisse d’une comparaison imparfaite réalisée ex post facto, étant donné que Bell n’était pas un fabricant, mais un utilisateur final, le montant de 525 000 $ fournit une certaine base objective sur laquelle, en reconstituant une négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon, les deux parties auraient pu rétrospectivement conclure un contrat de licence.

F.                  L’appréciation de la marge de négociation correcte entre les parties

[279]       Dans la négociation hypothétique, le résultat final découlant des facteurs énoncés dans la décision AlliedSignal aura des conséquences sur le pouvoir de négociation relatif de chacune des parties pour la détermination d’une redevance raisonnable. Il est manifeste que les propositions des parties quant à une redevance raisonnable sont toutes les deux diamétralement opposées et peu réalistes. Dans la réalité, les parties auraient renoncé à ces propositions et aucune licence n’aurait vraisemblablement été accordée selon les conditions initiales proposées par M. Heys et M. Schwartz dans leurs rapports respectifs. Toutefois, dans notre monde hypothétique, la Cour doit trouver une redevance raisonnable pour remédier à la contrefaçon qui a été commise dans la réalité. Le paradoxe peut s’expliquer par la difficulté qu’il y a à appliquer intégralement des méthodologies bien connues aux circonstances de l’espèce.

[280]       Si l’on revient à la théorie du surplus, Sidak énonce que [traduction] « [s]i la volonté minimale d’accepter du concédant de licence est supérieure à la volonté maximale de payer du titulaire de licence, il n’existe aucun surplus pouvant faire l’objet d’une négociation. Par conséquent, la négociation hypothétique ne donnerait lieu à aucun méchange volontaire ». Dans ce scénario, Sidak précise que la Cour devrait exiger au contrefacteur de payer un montant qui ne devrait pas être inférieur à la volonté minimale d’accepter du titulaire du brevet dans la négociation hypothétique. Selon Sidak, [traduction] « [m]ême si la somme devait être supérieure à la volonté maximale de payer hypothétique du contrefacteur, cette somme serait nécessaire pour réparer entièrement le préjudice subi par le titulaire d’un brevet du fait de la contrefaçon » (« Bargaining Power and Patent Damages », à la page 28).

[281]       La compréhension du marché est normalement un facteur important quant à la manière dont les parties aborderaient la négociation hypothétique. Le Bell 429 équipé du train Legacy contrefait a fait l’objet d’une commercialisation et d’une publicité. Manifestement, Airbus peut valablement faire valoir que, par conséquent, Bell en a tiré un avantage concurrentiel. Autrement, Bell n’aurait pas estimé nécessaire de poursuivre le processus de certification du Bell 429 équipé du train Legacy en premier lieu et d’affirmer par la suite que c’était la première fois qu’elle utilisait une telle technologie novatrice. Bien entendu, lorsque le contrefacteur choisit délibérément la technologie brevetée par rapport à la solution du domaine public, la Cour est autorisée à tirer une déduction selon laquelle le contrefacteur a considéré que la technologie brevetée était supérieure, et qu’ainsi, une certaine redevance non nulle est appropriée (Norman Siebrasse and Thomas F. Cotter « A New Framework for Determining Reasonable Royalties in Patent Litigation », à la page 744).

[282]       Le raisonnement circulaire des parties et de leurs experts les a conduits à une sorte d’impasse. Comme on pouvait s’y attendre, dans les plaidoiries finales de la défenderesse, les avocats ont souligné qu’[traduction] « [e]n l’espèce, la Cour a reconnu à juste titre qu’il sera difficile de calculer une redevance raisonnable en ce a trait à l’utilisation illicite que Bell a faite des vingt et un trains Legacy contrefaits, qui n’ont jamais été vendus » (argumentation finale de Bell, au paragraphe 272).

1.                  L’appréciation de la situation avec une nouvelle approche

[283]       Bien que le lien de causalité soit un élément nécessaire dans une analyse portant sur la restitution des profits, il est moins évident dans le cas où l’on demande à la Cour de reconstituer une négociation hypothétique pour la conclusion d’un contrat de licence ayant lieu la veille de la première contrefaçon d’un brevet valide. Lorsque le breveté a été autorisé à demander une restitution des profits, il a seulement droit à la remise de la partie des profits réalisés par le contrefacteur, qui a un lien de causalité avec l’utilisation de l’invention (Lubrizol Corp c Imperial Oil Ltd, [1996] 3 RCF 40, [1996] ACF no 454 (CAF), inf. [1994] ACF no 1441 (CF 1re inst) (Lubrizol); Celanese International Corp v BP Chemicals Ltd, [1999] RPC 203, (1999) 22(1) IPD 22002 (Pat Ct) (Celanese), au paragraphe 37; Monsanto Canada Inc c Schmeiser, 2004 CSC 34, [2004] 1 RCS 902, au paragraphe 101). Dans de tels cas, le calcul est effectué ex post en bénéficiant pleinement de la rétrospective (Siebrasse 2004).

[284]       Les deux parties ont reconnu que la présente affaire était exceptionnelle. En effet, la Cour a refusé, en 2012, d’autoriser la demanderesse à choisir une restitution des profits de la défenderesse, étant donné qu’Eurocopter ne peut pas recouvrer les profits découlant de la vente d’hélicoptères Bell‑429 équipés d’un train non contrefait. Dans l’article intitulé « Damages Calculation in Intellectual Property », les coauteurs ont qualifié cette situation de [traduction] « redevance raisonnable par défaut », puisque l’utilisation faite par le défendeur n’a pas porté préjudice au demandeur, ou, à tout le moins, qu’il n’existe pas d’élément de preuve valide ou de règle juridique pour l’étayer (« Damages Calculation in Intellectual Property », aux pages 35 et 36). Néanmoins, le demandeur aurait droit à une redevance raisonnable pour la raison pragmatique que le brevet a par ailleurs été violé, et la loi s’appliquerait et permettrait au contrefacteur d’agir sans pénalité. En pareilles circonstances, il est possible de soutenir que les dommages réels découlant de cette situation consistent dans le fait que [traduction] « le demandeur a perdu l’occasion de vendre au défendeur le droit d’utiliser son bien ».

[285]       En revanche, lorsque le breveté réclame des dommages‑intérêts sous la forme d’une redevance raisonnable, la situation est quelque peu différente d’un point de vue théorique. Plus fréquemment, dans le cas d’une « attribution de dommages intérêts », les tribunaux recourent à l’approche « pure ex ante » pour déterminer le montant maximum que le contrefacteur aurait payé et que le breveté aurait accepté, et tiennent compte des renseignements, quels qu’ils soient, dont les parties auraient pu disposer. La justification traditionnelle de l’approche « ex ante » se trouve dans la nécessité de préserver le système d’incitation du brevet, en veillant à ce que le breveté ne se trouve pas dans une situation plus précaire (mais non plus dans une meilleure situation) que celle dans laquelle il se serait trouvé, n’eût été la contrefaçon.

[286]       Comme l’a souligné le savant auteur et universitaire Norman Siebrasse [traduction] « [l]es négociations hypothétiques qui forment la base de la redevance raisonnable ont lieu avant l’utilisation du brevet, et le prix que le titulaire de licence serait disposé à payer dépendra donc des bénéfices prévus provenant de l’utilisation du brevet » [non souligné dans l’original], et [traduction] « [l]e fait que les bénéfices n’ont pas réellement été réalisés ne veut pas dire que le titulaire de licence n’aurait pas accepté de payer une redevance au moment de l’utilisation initiale » (Siebrasse 2004, à la page 70). Par conséquent, la redevance raisonnable devrait être calculée en fonction de ces bénéfices prévus. Il s’agit essentiellement de la démarche choisie par M. Heys, qui spécule sur le nombre de ventes des hélicoptères Bell 429 qui pourraient être perdues, et les conséquences sur les bénéfices prévus de Bell, si un contrat de licence n’était pas conclu à l’automne 2005 pour l’utilisation des trains Legacy contrefaits.

[287]       Il est intéressant de noter que M. Siebrasse établit également une distinction subtile entre le [traduction] « contrefacteur innocent », qui a été condamné à payer des dommages-intérêts sous la forme d’une redevance raisonnable, et le [traduction] « titulaire de licence ordinaire », qui a volontairement décidé de conclure un contrat de licence avec le breveté : [traduction] « […] le contrefacteur innocent qui ne tire pas profit du brevet se trouve dans une situation très différente de celle du titulaire de licence ordinaire. L’utilisateur qui s’attend à tirer profit du brevet négocie une redevance ordinaire. C’est pourquoi il est disposé à payer pour obtenir le droit de l’utiliser. Toutefois, l’utilisateur qui ne s’attend pas à tirer profit du brevet ne serait pas du tout disposé à payer quoi que ce soit pour obtenir le droit de l’utiliser. Il s’ensuit directement que la redevance raisonnable dans les circonstances serait nulle » Siebrasse 2004, à la page 61).

[288]       Toutefois, en l’espèce, la défenderesse n’est pas un [traduction] « utilisateur innocent » ni un [traduction] « tiers innocent » qui a tiré des profits accessoires d’une utilisation contrefaisante de l’invention. En effet, la défenderesse était parfaitement au courant des risques entourant l’utilisation et l’appropriation à son propre profit de la technologie brevetée qui était novatrice et attrayante pour un certain nombre de raisons, étant donné qu’elle a permis d’économiser du poids et de réduire la résonance au sol (jugement CF 2012, aux paragraphes 274 et 431).

[289]       Le point selon lequel Bell a favorisé les ventes du futur hélicoptère Bell 429 en rendant public un certain nombre d’avancées technologiques découlant de l’exécution du programme MAPL, qui comprenaient notamment un type amélioré de train d’atterrissage, n’a pas été sérieusement contesté lors de la première phase de l’instance. Dans le jugement CF 2012, la Cour a souligné la situation de la manière suivante, au paragraphe 442 :

[442]    Il a aussi été fait référence lors du procès au vidéo promotionnel dans lequel Bell montre les caractéristiques du Bell 429 (RC‑86 et RC‑225). Dans ces vidéos, on mentionne très brièvement que le train d’atterrissage de type « traîneau » est l’une des technologies clés du programme MAPL. Cependant, d’après Bell, les passages où l’on discute dans ces vidéos du train d’atterrissage de type « traîneau » ne donnent pas à penser que Bell est le premier fabricant d’hélicoptères à adopter un train d’atterrissage de type « traîneau ». Quoi qu’il en soit, la Cour conclut qu’après l’introduction de l’action en mai 2008, Bell et ses distributeurs ont continué de faire la promotion du Bell 429 équipé du train Legacy (voir, notamment, les pièces RC‑226 à RC‑229), ce qui constitue une conduite répréhensible qui aggrave les dommages causés par la contrefaçon du brevet 787.

[290]       À l’inverse, l’approche ex ante peut parfois donner lieu à des dommages‑intérêts qui traduisent des attentes erronées « ex ante » des parties. Dans ce contexte, M. Siebrasse propose d’examiner une nouvelle perspective canadienne dans la négociation hypothétique qui n’est pas très différente du « livre de la sagesse » auquel recourent les Américains :

[traduction]

[…] certains commentateurs ont proposé une approche « pure ex post » qui vise à recréer la négociation que les parties auraient conclue à une date ultérieure, par exemple à la date du jugement. Cette démarche utilise des renseignements plus précis concernant la valeur réelle de la technologie, mais (contrairement à une politique novatrice judicieuse) elle pourrait aussi permettre au breveté de s’emparer d’une partie de la « valeur de blocage » du brevet.

[291]       En ce qui concerne l’approche « ex post », le juge Cardozo, s’exprimant au nom de la Cour suprême des États‑Unis dans l’arrêt Sinclair Refining Co v Jenkins Petroleum Process Co (1933), 289 US 689 (1er Circuit 1933), a fait les observations suivantes, à la page 698 :

[traduction]

 

[L]a situation est différente si plusieurs années se sont écoulées avant que les éléments de preuve ne soient produits. L’expérience permet alors de corriger une prévision incertaine. Voici un livre de la sagesse que les tribunaux ne peuvent pas négliger. Il ne comporte aucune règle de droit irrévocable qui interdise tout examen.

[292]       Plus récemment, dans la jurisprudence canadienne, la juge Snider a fait observer, dans Jay‑Lor, au paragraphe 151, que « [p]our les fins de ces négociations hypothétiques, les deux parties sont présumées connaître tous les faits », y compris les « renseignements financiers réels qui sont devenus accessibles dans le cadre du litige et depuis cette époque » [non souligné dans l’original]. De même, dans Apotex Inc c Takeda Canada Inc, 2013 CF 1237, [2013] ACF no 1355, au paragraphe 21 (voir aussi la décision Teva Canada Limited c Pfizer Canada Inc, 2014 CF 248, [2014] ACF no 341 (Teva Canada Limited CF), au paragraphe 80), le juge Phelan a formulé les observations suivantes :

La meilleure option consiste à reproduire le plus possible les circonstances du monde réel ­­– à utiliser ce qui s’est passé comme base pour le calcul du monde hypothétique. Dans le cas présent, les parties partent de la prémisse que des faits réalistes, survenus après l’AC d’Apotex, constituent le fondement à partir duquel il est ensuite possible de déterminer ce qui se serait vraisemblablement produit si l’on n’avait pas empêché Apotex d’agir pendant une période d’environ un an.

[293]       En contre-interrogatoire, M. Schwartz a déclaré que, quoique les parties aient été informées au sujet des faits postérieurs à la négociation, le « livre de la sagesse » n’accordait pas plus de poids à une période ou à un fait (transcription, volume 8, aux pages 183 et suivantes). À ce stade‑ci, bien que la Cour comprenne qu’elle peut tirer des inférences en fonction de faits postérieurs, elle ne peut pas reconstituer la négociation hypothétique ayant lieu à la veille de la première contrefaçon en faisant fi de la totalité de la preuve (antérieure et postérieure) versée au dossier. Il conviendrait peut‑être aussi de vérifier les bénéfices réels réalisés par le contrefacteur lorsqu’une telle preuve existe au dossier. Cette preuve ex post facto peut être utilisée pour corroborer les calculs effectués par les experts relativement aux bénéfices prévus à la veille de la première contrefaçon. Toutefois, le recours à cette preuve est limité.

[294]       L’utilisation des « renseignements financiers réels qui sont devenus accessibles dans le cadre du litige et depuis cette époque » [non souligné dans l’original] (Jay‑Lor, au paragraphe 151) est une chose, mais la reconstitution de la position de négociation des parties, selon un modèle prévisionnel marqué par des inférences douteuses tirées ex post facto, en est une autre. La présomption est une conséquence que la loi ou le tribunal tire d’un fait connu à un fait inconnu, alors que les présomptions qui ne sont pas établies par la loi sont laissées à l’appréciation du tribunal qui ne doit prendre en considération que celles qui sont graves, précises et concordantes : articles 2846 et 2849 du Code civil du Québec, RLRQ c CCQ‑1991. Les inférences doivent reposer sur la preuve, mais la preuve même doit être fiable. Il existe un élément fondamental d’incertitude et de chance dans le monde réel. Le fait que le fermier ait pu attraper le renard qui avait tué sa poule la semaine précédente ne signifie pas qu’il en sera capable à l’avenir ni qu’il en aurait été un an plus tôt. Le juge des faits aimerait en savoir plus au sujet des diverses méthodes du fermier, de ses essais et de ses expériences ratées, etc., avant de tirer quelque conclusion que ce soit.

[295]       Le fait que Bell ait pu concevoir le train Production à une date postérieure ne permet pas à la Cour de tirer une conclusion selon laquelle Bell en aurait été capable à la veille de la première contrefaçon du brevet 787. Il serait simplement trop facile de permettre à des contrefacteurs d’un brevet valide de réécrire rétroactivement l’histoire afin d’échapper à la responsabilité qui leur incombe de payer des dommages‑intérêts en présentant des scénarios qui n’ont jamais été envisagés ou qui étaient peu réalistes à la veille de la première contrefaçon. Il ne s’agit pas d’un énoncé de principe, mais d’une observation fondée sur la règle de droit et l’application régulière de la loi. Les règles relatives à la preuve visent à garantir à chaque partie le droit de présenter équitablement ses arguments devant la Cour. En l’espèce, Bell affirme qu’elle avait des PSNC qui n’étaient pas encore connus (le train Production) ou qui avaient été antérieurement écartés (le train à poutre en I). Cette position soulève une question de crédibilité. C’est à cet égard que les éléments de preuve de Bell sont peu fiables et conjecturaux. En d’autres termes, si la prise en compte de ce qui s’est passé dans le [traduction] « monde réel » est acceptable dans une certaine mesure, cela ne doit pas se traduire par un [traduction] « parti pris a posteriori », qui peut être défini comme étant une tendance à considérer, après la réalisation d’un événement, que l’événement était prévisible, malgré le fait qu’il y avait peu, ou pas, de fondement objectif pour le prédire (N. J. Roese and K.D. Vohs’ « Hindsight bias » (2012) 7:2 Perspectives on Psychological Science, aux pages 411 à 426).

2.                  Le livre de la sagesse

[296]       Bien que ce principe ne soit pas traité directement dans le rapport de M. Heys, M. Schwartz a fait référence au livre de la sagesse dans son témoignage. Durant son interrogatoire principal, M. Schwatz a eu l’échange suivant avec la Cour (transcription, volume 7, à la page 215) :

[traduction]

JUGE MARTINEAU : Parce que vous êtes à la veille de la contrefaçon. Les deux parties sont ici pour négocier de bonne foi ce qui serait le transfert de ce que ce qui peut être décrit comme l’utilisation du brevet sans risque de contrefaçon.

M. SCHWARTZ : C’est exact, quoique ce qui rend la situation intéressante et complexe est que, durant cette analyse, il y un principe appelé le livre de la sagesse qui indique essentiellement que nous allons nous baser sur ce qui s’est réellement produit pour effectuer cette négociation hypothétique. Cela ne signifie pas que nous allons tout prendre en compte, mais s’il s’avère, par exemple, que les attentes des parties sont trop éloignées de ce qui s’est véritablement produit dans le marché, qu’il s’agisse d’un rendement inférieur ou supérieur, peu importe, nous allons prendre en compte le véritable rendement pour que, lorsque nous obtenons un résultat compensatoire, il soit fidèle à la réalité. Et c’est un des défis dans le cas présent, parce que la négociation hypothétique est exactement comme vous l’avez décrite. Il s’agit d’une négociation dont l’issue est le transfert d’une licence d’Airbus à Bell dans lequel on présume que Bell pourra utiliser la licence pour ce qui a été convenu.

[Non souligné dans l’original.]

[297]       En contre-interrogatoire, l’avocat d’Airbus a interrogé M. Schwartz au sujet du livre de la sagesse (transcription, volume 8, aux pages 183 et suivantes) :

[traduction]

Me NITOSLAWSKI : Si je comprends bien, le principe du livre de la sagesse consiste à analyser les faits actuels, ce qui s’est passé en 2014, en 2015 et en 2016 pour comprendre ce qui s’est passé à la négociation hypothétique en 2005. Est‑ce que je comprends bien ce qu’est le livre de la sagesse?

M. SCHWARTZ : Pas tout à fait. Il ne s’agit pas seulement de faits actuels. Voici comment je pourrais l’expliquer : vous regardez ce qui s’est réellement passé et vous n’accordez pas nécessairement plus de poids à une période qu’à une autre, bien que cela dépende des faits de la situation particulière, mais vous comprenez la négociation en tenant compte de ce qui s’est réellement produit.

Me NITOSLAWSKI : Ce qui s’est réellement passé. En l’espèce, ce qui s’est réellement passé, c’est qu’il n’y a eu que vingt et un trains d’atterrissage contrefaits.

M. SCHWARTZ : Oui.

Me NITOSLAWSKI : Qui n’ont jamais été vendus.

M. SCHWARTZ : Oui.

Me NITOSLAWSKI : En fait, ce que nous analysons dans la négociation hypothétique à l’aide du livre de la sagesse, c’est une licence de mise au point. Jamais les ventes.

M. SCHWARTZ : Le problème qui se pose, c’est que vous modifiez essentiellement la construction de la négociation. Je comprends le point que vous soulevez, mais vous modifiez la construction de la négociation.

Me NITOSLAWSKI : Monsieur, n’est­‑ce pas modifier la construction de la négociation lorsque vous dites que les parties négocieraient une licence en fonction des unités vendues? Mais non, elles n’ont pas été vendues et nous la paierons quand même parce qu’elles n’ont pas été vendues, mais elles ont été fabriquées. N’est‑ce pas là modifier la construction de la négociation?

M. SCHWARTZ : Je ne le pense pas.

Me NITOSLAWSKI : D’accord. Je reviens donc à ma proposition : ce que les parties, à l’aide du livre de la sagesse, ont négocié en tant que licence de mise au point ne justifie‑t‑il pas l’octroi d’une somme forfaitaire plutôt qu’une redevance échelonnée fondée sur des ventes, qui n’ont jamais eu lieu?

M. SCHWARTZ : Vous m’avez déjà posé cette question. J’y répondrai encore, de la même manière. Je pense que la redevance échelonnée est la solution qui convient le mieux. Toutefois, si vous me demandez s’il existe une possibilité qu’elles acceptent de payer 101 000 $, je ne peux pas exclure cette possibilité. Je crois toujours que l’issue la plus probable est la redevance échelonnée, mais je ne peux pas exclure la possibilité relative à la somme forfaitaire si les parties devaient admettre qu’il s'agissait d’une licence de mise au point. Je ne peux pas exclure cette possibilité.

[…]

[Non souligné dans l’original.]

[298]       Comme on peut le constater, l’analyse de M. Schwartz est quelque peu axée sur les résultats. Même si parfois M. Schwartz recourt à l’approche ex post pour reconstituer la négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon à l’automne 2005, par ailleurs, il continue d’utiliser l’économie relative aux coûts supplémentaires réalisée pour la mise au point d’un PSNC (qui est censé comprendre le train Production non existant au moment de la négociation hypothétique) en fonction des ventes prévues des hélicoptères Bell 429 équipés des vingt et un trains Legacy contrefaits, qui n’ont jamais été vendus à quelque client que ce soit, mais qui ont été, selon la preuve non contredite, exclusivement utilisés par Bell pour ses propres besoins, y compris pour l’obtention de la certification du Bell 429 et pour la promotion des ventes de cet aéronef (ce qui a donné lieu à un certain nombre de LI). Cette méthodologie subjective a mené au modèle de la redevance échelonnée préconisé par M. Schwartz.

[299]       Par ailleurs, la demanderesse aurait manifestement cherché à obtenir un taux de licence plus élevé, compte tenu de la forte demande pour le Bell 429. La demanderesse a soutenu, à titre subsidiaire, que, selon le livre de la sagesse, Airbus aurait vraisemblablement accepté de conclure un contrat de [traduction] « licence de mise au point » pour un montant minimum de 2 millions de dollars (argumentation finale d’Airbus, aux paragraphes 196 à 204/renseignements communicables qu’aux seuls avocats; transcription, volume 10, aux pages 78 et 79). Bien que la défenderesse ait largement tiré profit des activités de recherche et de développement réalisées par Airbus avec le train « Moustache », l’expression « licence de mise au point » prête quelque peu à confusion.

[300]       D’une part, d’un point de vue ex ante, il est fort douteux que Bell aurait accepté de conclure une entente sur une telle « licence de mise au point », compte tenu de cette exception jurisprudentielle à la contrefaçon : « l’idée est que la réalisation d’un produit breveté n’est pas une contrefaçon si elle vise à faire des expériences et des essais : Micro Chemicals Ltd c Smith Kline & French Inter-American Corp, [1972] RCS 506 et Merck & Co v Apotex Inc, [2006] ACF 671, 2006 CF 524 » (jugement CF 2012, au paragraphe 54). En revanche, l’exception aux fins d’expérimentation n’a pas été admise en tant que moyen de défense valide à l’action en contrefaçon à la première étape de l’instance, parce que « la construction, l’utilisation ou la vente, par Bell, du train Legacy ne se justifie pas dans la seule mesure nécessaire à la préparation et à la production du dossier d’information que la loi oblige à fournir » (jugement CF 2012, au paragraphe 268).

[301]       D’autre part, nous ne sommes pas dans un contexte où Eurocopter a été tenue par la loi, à quelque moment que ce soit, d’accepter les conditions d’une licence obligatoire accordée à Bell pour mettre au point un produit de substitution non contrefait découlant d’une utilisation non autorisée du train d’atterrissage breveté. Quoi qu’il en soit, le coût supplémentaire pour la mise au point d’un produit de substitution non contrefait « à partir de zéro » devrait avoir une incidence importante sur la détermination d’une redevance raisonnable. Par conséquent, les circonstances précises de l’affaire militent davantage en faveur d’une « licence d’utilisation », plutôt que d’une « licence de mise au point ».

[302]       Bien que la Cour ne puisse trouver aucun PSNC valide qui aurait existé au moment de la négociation hypothétique et/ou qui aurait pu convenir adéquatement à l’ensemble de la conception du Bell 429 (à l’exception peut‑être du train classique qui entraînait une surcharge d’au moins 16 lb), cela ne signifie pas qu’elle devrait faire fi des faits du « monde réel » qui sont survenus après l’automne 2005 et, en particulier, le fait que seuls vingt et un trains Legacy ont été fabriqués et utilisés par Bell, qu’aucun hélicoptère Bell 429 équipé du train Legacy contrefait n’a été livré aux clients et qu’un certain nombre de LI pour le Bell 429 avaient été obtenues avant la mise au point du train Production.

[303]       Il semble que les enseignements tirés du « livre de la sagesse » aient quelque peu atténué la position peu réaliste préconisée dans le rapport de M. Heys. À la fin de l’instance, il a été proposé que, puisque le train Legacy n’a jamais été intégré aux hélicoptères Bell 429 vendus aux clients, la demanderesse aurait été plus disposée à accorder une licence pour la fabrication et l’utilisation du train Legacy afin de faciliter les essais et le processus de certification du train Production.

[304]       Dans la pratique actuelle, pour établir une redevance raisonnable, il faut déterminer les bénéfices additionnels réalisés grâce à l’invention brevetée par rapport au meilleur produit de substitution non contrefait, et répartir ces bénéfices additionnels entre les parties. Voir Norman Siebrasse and Thomas F. Cotter « A New Framework for Determining Reasonable Royalties in Patent Litigation » (2014), Florida Law Review 34, à la page 21). Toutefois, la détermination des bénéfices fondés sur une méthodologie s’avère inutile en l’espèce, étant donné qu’aucun hélicoptère Bell 429 équipé d’un train Legacy contrefait n’a été livré. Quoi qu’il en soit, cette situation ne signifie pas qu’aucune valeur ne devrait être attribuée à l’invention, étant donné qu’elle a néanmoins été utilisée au profit de Bell durant la période de trois ans au cours de laquelle la contrefaçon a été commise, alors qu’aucun dédommagement pour l’utilisation illicite n’a été proposé par Bell ou accepté par Airbus dans le cas contraire.

[305]       Bien que les parties aient tenté de déterminer la valeur du train Legacy envisagée par le client pour le Bell 429, aucune valeur réelle n’a été proposée pour le train Legacy breveté et toutes ses caractéristiques pour Bell, en particulier son poids avantageux, qui avait été privilégié pour la conception finale de l’hélicoptère Bell 429 en 2005. Toutefois, un regard prospectif laisse entrevoir que les économies de poids sont demeurées une question réelle. Comme cela ressort de la présentation de 2012 (pièce P‑117, à la page 15/renseignements communicables qu’aux seuls avocats), Bell était disposée à investir environ |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| sur une période de trois ans pour faire une économie de poids de |||||||||||||||||||| lb sur ses appareils. L’économie de poids entre les trains Legacy et Production est de 16 lb (cela exclut l’économie de poids d’environ 10 lb découlant de la suppression du coupe‑fil).

[306]       Comme point de départ pour les discussions, il ne serait pas déraisonnable qu’Airbus suppose, dans le contexte de la négociation hypothétique, que la valeur du train contrefait représenterait environ |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| de l’investissement prévu |||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||| pour Bell, qui était disposée à investir un tel montant, tout en continuant à chercher à recouvrer en totalité les bénéfices avec la vente du nouvel hélicoptère Bell 429. Tel qu’il appert d’AlliedSignal, dans le passé, la Cour a eu recours à la preuve indirecte de ce qui pourrait être considéré comme raisonnable pour aboutir à un taux de redevance de 25 à 33,3 p. 100, en fonction de facteurs plus élevés ou moins élevés. Par conséquent, la Cour conclut que, à la veille de la première contrefaçon, il ne serait pas déraisonnable que la demanderesse demande un éventail de redevance plus large, compte tenu de la grande valeur que présente Bell pour des appareils plus légers. Une répartition de 75 p. 100 – 25 p. 100 entre Bell et Airbus représenterait 800 000 $ et pourrait donner une idée générale de la gamme de propositions raisonnables faites respectivement dans une négociation hypothétique.

[307]       En recourant au livre de la sagesse et en tenant compte de la totalité de la preuve, la Cour conclut qu’un chiffre de dommages‑intérêts compensatoires d’environ 500 000 $ appartient aux issues acceptables d’une négociation hypothétique ayant lieu à l’automne 2005, pour le paiement d’une redevance correspondant à l’utilisation illicite de vingt et un trains Legacy.

3.                  L’indemnisation relative aux économies de coûts et de temps

[308]       Les parties conviennent que, pour déterminer la redevance raisonnable appropriée, la Cour doit notamment tenir compte des avantages additionnels de l’invention brevetée par rapport à tout autre produit de substitution non contrefait valide. Pour la demanderesse, ces avantages additionnels devraient représenter le droit dont les parties auraient convenu pour l’utilisation du train Legacy en vue de mettre au point le train Production et d’obtenir la certification du Bell 429. Pour la défenderesse, le droit de licence devrait strictement être la différence entre le coût du train Legacy et le coût de tout produit de substitution non contrefait réalisable sur le plan technique et économique au moment de la contrefaçon.

[309]       D’entrée de jeu, la demanderesse souligne que la présente affaire est unique en son genre. Étant donné que la défenderesse n’a vendu aucun train Legacy et que la demanderesse ne pouvait établir l’existence d’une quelconque perte de ventes, les dommages‑intérêts devaient être plus abstraits et plus fictifs que toute perte réelle de profits. La demanderesse a produit une preuve abondante démontrant le long processus scientifique nécessaire pour fabriquer le train Moustache en premier lieu. Par conséquent, la demanderesse affirme qu’il y a eu enrichissement sans cause de la part de la défenderesse, qui s’est servie du train Moustache pour mettre au point le train Production. Ainsi, dans la mise en œuvre de la négociation hypothétique ex post, la demanderesse soutient que les deux parties auraient accepté d’accorder à Bell une licence pour la recherche et le développement. En effet, il aurait été avantageux pour Bell d’obtenir une licence l’autorisant à utiliser un train d’atterrissage efficace et qui présente toutes sortes d’avantages. Dans ses observations finales, la demanderesse a qualifié la situation de [traduction] « rampe de lancement » ou de [traduction] « tremplin » pour la mise au point du Bell 429 (argumentation finale d’Airbus, au paragraphe 145/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Partant, la demanderesse avance qu’il a fallu environ |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| pour mettre au point le train à poutre en I à la fin de 2012 (pièces P‑117 (B‑0436) et P‑113, à l’onglet 71/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[310]       La demanderesse a prouvé, selon la prépondérance des probabilités, que l’utilisation illicite du train Legacy avait permis à Bell de mettre rapidement au point le Bell 429, à un coût rentable, compte tenu des restrictions réglementaires relatives à la certification d’un appareil ayant un tel poids proposé. La Cour conclut qu’une licence autorisant la défenderesse à utiliser le train Legacy lui aurait permis, à la veille de la première contrefaçon, d’éviter des investissements importants en recherche et développement ainsi que des coûts connexes. Les chiffres que M. Schwartz a calculés et qui figurent dans son rapport sont exagérément sous-estimés et peu réalistes. En adoptant une approche conservatrice, la Cour conclut que la demanderesse aurait été dans une position avantageuse pour négocier une indemnisation plus substantielle.

[311]       Bien que la Cour ait rejeté le moyen de défense Gillette et conclu que la construction, l’utilisation ou la vente, par Bell, du train Legacy ne se justifie pas dans la seule mesure nécessaire à l’expérimentation et à l’essai, (décision de 2012 de la CF, au paragraphe 268), la question de savoir si une licence autorisant la mise au point dans le contexte de la négociation hypothétique serait une solution de rechange raisonnable à une approche fondée sur les bénéfices que l’on risque de perdre est discutable, compte tenu du fait que le train Production est une version modifiée du train Legacy, lorsqu’on sait qu’il n’y a eu aucune vente d’hélicoptères Bell 429 équipés d’un train Legacy. Bien que la Cour ait déjà rejeté l’idée d’une « licence de mise au point » et ait opté pour une « licence autorisant l’utilisation et la fabrication » des vingt et un trains d’atterrissage contrefaits (voir les paragraphes 299 à 301), il n’en demeure pas moins qu’Airbus aurait pu négocier une indemnisation plus substantielle pour tous les coûts économisés pour la mise au point du Bell 429 ou pour le train d’atterrissage Production.

[312]       Le fait que la défenderesse ait déjà économisé un temps considérable en adoptant une « copie servile » du train Moustache (jugement CF 2012, au paragraphe 426) et qu’elle ait plus tard économisé du temps en mettant au point le train Production et en obtenant la certification du Bell 429 pose la question de savoir le temps et les coûts qu’il aurait fallu si Bell avait choisi de mettre au point, sans suivre les indications du brevet 787, un train d’atterrissage non contrefait conçu « à partir de zéro » qui présenterait des avantages semblables à ceux du train Moustache. Messieurs Bernard Certain et Pierre Prud’homme Lacroix ont présenté le gros des éléments de preuve de la demanderesse à propos du train Moustache et de sa mise au point au cours de la première étape de l’instance, y compris les calculs et les essais qui ont été faits en rapport avec divers trains d’atterrissage pour l’EC120 et l’EC130. Entre octobre 1992 et le milieu de 1997, M. Prud’homme Lacroix, l’un des inventeurs nommés dans le brevet 787, avait travaillé à temps partiel sur le train d’atterrissage de l’EC120 et il a estimé avoir consacré à cette tâche 800 heures par année. Il a également estimé que deux ou trois autres dessinateurs avaient travaillé à temps partiel avec lui sur la mise au point du train d’atterrissage pendant quelque 500 heures par année. Il a également estimé à environ 400 heures par année le temps consacré à l’étude des vibrations. Il a ajouté que les équipes de projet avaient fourni environ 300 heures par année, et il avait fallu entre 500 et 600 heures pour expliquer les aspects liés à la fabrication, à l’approvisionnement, etc. M. Prud’homme Lacroix a donc estimé que l’équipe avait consacré au projet de 2 500 à 2 600 heures par année environ. De la fin 1992 jusqu’à la certification en 1997 (quatre années et demie), cela fait au total entre 11 000 et 12 000 heures. En outre, M. Prud’homme Lacroix a également estimé qu’il avait fallu 6500 heures additionnelles pour les essais, avant même ceux liés à la certification. Par ailleurs, pour les essais relatifs à la certification, il faut 1 500 heures de plus afin de mener tous les essais de résistance aux chutes ainsi qu’un nombre supplémentaire de 3 000 heures pour les essais de résonance au sol.

[313]       En contre‑interrogatoire, M. Prud’homme Lacroix a reconnu que le train Moustache avait été mis au point sur [traduction] « une période d’apprentissage de quatre ans ». Il a déclaré que [traduction] « tout cela – c’est une progression, c’est une courbe d’apprentissage précise, c’est – imaginez encore une fois Thomas Edison; il n’aurait jamais inventé sa millième ampoule s’il n’avait pas fabriqué les 999 ampoules précédentes ». Pour l’EC130, ils ont adapté une solution connue – le train Moustache qui était utilisé sur l’EC120. Il s’est rendu compte qu’ils avaient économisé beaucoup d’argent. La mise au point du train d’atterrissage de l’EC120 a été beaucoup plus rapide, parce qu’ils avaient trouvé une solution. Par conséquent, il leur a fallu moins de deux ans de travail, les essais de résistance aux chutes et de résonnance au sol y compris. Il a également déclaré dans son témoignage que la tâche de trouver un train d’atterrissage pour un nouvel hélicoptère était tout de même un processus ardu, étant donné que tous les hélicoptères ne se ressemblent pas et que diverses solutions ne sont pas forcément adaptables tout de suite. Il faut beaucoup de travail. M. Prud’homme Lacroix a également souligné que les travaux qu’il avait réalisés sur le train Moustache à la fin de 1995 comprenaient notamment la modification du logiciel qui devait devenir CALMOUS. Il a affirmé que les modifications du programme CALMOUS lui ont permis de travailler plus rapidement sur les calculs relatifs au train d’atterrissage.

[314]       La défenderesse soutient que le temps précis consacré à la mise au point du train Moustache, entre 1992 et 1996, demeure indéterminé et que, en tout état de cause, cela n’est pas vraiment pertinent dans une négociation hypothétique de droits de licence quant à l’utilisation illicite que Bell a faite du train Legacy. Ainsi, la défenderesse a produit certains éléments consignés en preuve provenant des réponses données par M. Certain lors de l’interrogatoire préalable au cours de la première étape de l’instance (pièce P‑115, rapport de M. Heys, au paragraphe 24; pièce D‑115, aux onglets 1 et 2/renseignements confidentiels). M. Certain est ingénieur principal des essais en vol chez Eurocopter et se trouvait à la tête du programme de l’EC120 en 1995. M. Certain a déclaré en 2009 (pièce D‑115, à l’onglet 2/renseignements confidentiels) que, bien que la mise au point du train Moustache eût commencé en 1992, le train Moustache n’avait été sérieusement envisagé qu’à la fin de 1995, étant donné que les essais portant sur d’autres types de trains, tels que les trains Gazelle, Écureuil et Alouette, n’avaient pas été très concluants. Il a confirmé que ces autres trains d’atterrissage étaient souvent détruits lors d’essais en vol en raison de problèmes de résonance au sol (pièce D‑116, à l’onglet 2/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats). En outre, son premier vol à bord d’un appareil équipé d’un train Moustache n’avait eu lieu qu’en juillet 1996 (pièce D‑115, à l’onglet 1/renseignements confidentiels). Bien que la preuve démontre que le train Moustache a été mis au point sur une période de quatre ans, les témoignages de M. Prud’homme Lacroix et de M. Certain montrent que différents types de trains ont été effectivement mis au point et ont fait l’objet d’essais en même temps, ce qui empêche la Cour d’attribuer une période de temps précise à la mise au point du seul train Moustache. Cela étant dit, la Cour estime que cette situation n’est pas déterminante. Nous devons nous demander si Bell aurait accepté de payer des « coûts irrécupérables », dans la mesure où elle aurait dû aussi supporter ses propres frais irrécupérables pour la conception d’un PSNC viable. Dans ce cas de figure, si l’obtention d’une licence autorisant l’utilisation du train Legacy permettait d’économiser de l’argent et d’autres coûts de mise au point, cela serait avantageux pour Bell.

[315]       Toutefois, la défenderesse pousse le raisonnement plus loin et ne se limite pas aux coûts de mise au point du train classique et du train à poutre en I. Elle soutient que, selon le livre de la sagesse, la Cour doit inférer rétrospectivement que Bell aurait été au fait du train Production et de la manière dont ce train d’atterrissage aurait satisfait à toutes les exigences du Bell 429 tout en ne contrevenant pas au brevet 787. Ainsi, la défenderesse affirme qu’au cours d’une négociation hypothétique, Bell aurait tenu compte des coûts supplémentaires, à savoir les coûts de la conception en fonction du brevet. La défenderesse avance que la redevance raisonnable aurait pu être calculée au moment de la négociation hypothétique en faisant la différence entre les coûts qu’aurait occasionnés à la défenderesse l’utilisation du train Legacy contrefait et les coûts liés à l’utilisation du train Production non contrefait (argumentation finale de Bell, au paragraphe 228/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Par la suite, les coûts de la conception en fonction du brevet auraient été limités aux coûts supplémentaires nécessaires pour amener le train Production à l’étape de la conception, c’est‑à‑dire au stade où se trouvait le train Legacy à la date de la première contrefaçon (pièce D‑119/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Ce raisonnement, dans la mesure où il concerne le train Production, souffre de sérieuses lacunes pour les raisons que la Cour a déjà mentionnées. Cependant, il existe un certain nombre d’autres raisons factuelles justifiant le rejet des inférences tirées par l’expert de Bell, lesquelles ne reposent pas sur la preuve au dossier.

[316]       À l’audience, M. Gardner a expliqué qu’il y avait plus ou moins quatre étapes successives dans le processus de conception d’un hélicoptère. En octobre 2005, le train Legacy était à la troisième étape, l’étape de la conception détaillée, étant donné que le processus de certification n’avait pas encore été entamé et que l’optimisation était en cours. Selon M. Gardner, Bell aurait prévu consacrer environ |||||||||| heures, au taux de |||||||||||||| à Mirabel, à des travaux d’ingénierie afin de permettre à chacun des trains classique, Production ou à poutre en I de franchir l’étape de la conception détaillée. La Cour n’accorde pas beaucoup de poids à ce témoignage, étant donné qu’il a été conclu que les trois trains d’atterrissage n’étaient pas des PSNC valides du train Legacy, sans oublier que l’estimation de M. Gardner a été vivement contestée par la demanderesse en raison de l’absence d’éléments de preuve étayant la durée alléguée.

[317]       En ce qui concerne le temps que peut prendre la mise au point d’un train d’atterrissage fonctionnel pour un constructeur, la Cour a également pris en compte la preuve du défendeur, y compris le témoignage de M. Thiagarajan qui démontre clairement que la mise au point d’un train d’atterrissage fonctionnel est un processus long et complexe, qu’il s’agit d’un projet risqué, et qu’il n’y a aucune garantie que le résultat sera un train d’atterrissage qui peut être développé, mis à l’essai et ultimement retenu par la direction. C’est ce qui s’est produit pour le train à poutre en I. M. Thiagarajan a déclaré que la première étape du processus de conception était l’étude des différentes transverses qui seraient utilisées pour le train d’atterrissage. Il a déclaré que l’équipe avait examiné environ 35 traverses différentes. M. Thiagarajan a affirmé dans son témoignage qu’à la suite de ce processus, l’équipe avait décidé qu’elle utiliserait la traverse à poutre en I, de sorte qu’elle a conçu, analysé et mis au point le train de mars à septembre 1996, puis elle a construit le train et l’a mis à l’essai de septembre à décembre 1996. Les essais effectués comprenaient un essai statique, pour démontrer la rigidité de la traverse tubulaire, de même qu’un essai de résistance aux chutes.

[318]       Plus particulièrement, M. Thiagarajan a déclaré dans son témoignage qu’il avait travaillé sur le train d’atterrissage de l’hélicoptère Bell 407 de 1994 jusqu’à la toute fin de 1995. M. Thiagarajan a déclaré qu’après son travail sur le train d’atterrissage du Bell 407, il avait commencé à travailler sur la conception du Bell 427. Il a affirmé que son travail sur le Bell 427 avait duré de la fin de 1995 à la fin de 1999. M. Thiagarajan a déclaré qu’il avait commencé à travailler sur la conception du train d’atterrissage du Bell 427 vers novembre 1995. Il a affirmé dans son témoignage que son rôle consistait à commencer par le concept, en cherchant à perfectionner la traverse plutôt que d’utiliser des culbuteurs. Il a déclaré qu’il s’agissait du concept de l’étude technique qui avait été initiée en novembre 1995. Il a affirmé qu’il avait travaillé dans une équipe de trois personnes; il était l’analyste de structure et il travaillait avec un analyste de dynamique et un ingénieur concepteur. L’avocat de Bell a demandé à M. Thiagarajan quelles étaient les étapes de ce processus de conception, ce à quoi l’avocat d’Airbus s’est opposé, au motif qu’aucun document pertinent à cet effet n’avait été déposé (transcription, volume 6, à la page 20). L’avocat de Bell a répondu à l’objection en mentionnant que M. Prud’homme Lacroix avait également témoigné [traduction] « sur le temps qu’il avait pris pour mettre au point le train d’atterrissage de l’EC120, sur le coût de mise au point du train d’atterrissage de l’EC120, et nous n’avions aucun document à cet effet, malgré le fait que nous les avions demandés lors de l’interrogatoire préalable » (transcription, volume 6, à la page 21).

[319]       Les deux parties contestent vivement toute proposition économique présentée par M. Prud’homme Lacroix et M. Thiagarajan concernant l’estimation de la période nécessaire pour mettre au point le train Moustache ou le train à poutre en I, respectivement, étant donné qu’aucun élément de preuve n’appuyait cette estimation. Les avocats de Bell ont également soutenu que le contexte d’une négociation hypothétique repose sur des prévisions et que, partant, les parties n’ont presque d’autre choix que de se fonder sur ces prévisions portant sur un train d’atterrissage comparable. Par conséquent, l’expérience antérieure de Bell dans la conception de trains d’atterrissage pourrait être pertinente. Toutefois, l’admissibilité des déclarations est une question qui est tranchée en fonction du droit de la preuve plutôt qu’en fonction de la solidité des observations d’un avocat.

[320]       La Cour peut accepter les déclarations faites par les deux témoins au sujet de la méthode et des problèmes techniques qui se sont posés au cours de la mise au point du train d’atterrissage, mais elle ne peut accepter aucune observation concernant le temps nécessaire pour la mise au point d’un train d’atterrissage en l’absence d’éléments de preuve factuels crédibles pour l’étayer. Néanmoins, bien qu’aucun élément de preuve n’indique clairement le temps nécessaire pour la création du train Moustache ou du train à poutre en I, la Cour a conclu en 2012 que la mise au point d’un hélicoptère était un travail de conception et d’ingénierie hautement complexe, qui requérait un travail d’équipe concerté (jugement CF 2012, au paragraphe 84).

[321]       Une objection de même nature a été aussi soulevée au sujet du témoignage de M. Gardner, qui a déclaré, lors de son interrogatoire principal, qu’au moment de la rédaction de son rapport (pièce JB‑372‑D/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats), il avait estimé que le travail de dimensionner, de concevoir et de faire certifier un train comportant des sections non circulaires représentait 2 000 heures-personnes. Il fallait, selon son estimation, en compter 500 de plus s’il était nécessaire de procéder à un essai de résistance aux chutes. Encore une fois, la Cour a accordé une importance relative à ces déclarations, compte tenu du fait qu’aucune preuve évidente n’appuyait une telle estimation.

[322]       La Cour a également tenu compte du témoignage de M. O’Reilly, qui est non concluant et auquel elle a accordé peu d’importance, compte tenu du fait que DART Aerospace n’est pas un fabricant d’aéronefs et qu’elle n’a jamais procédé à la conception et à la mise à l’essai d’un train d’atterrissage pour un tout nouvel hélicoptère. Selon M. O’Reilly, DART Aerospace avait conçu un train d’atterrissage pour l’hélicoptère Bell 429, mais ne l’avait pas fabriqué (transcription, volume 5, à la page 122). M. O’Reilly a aussi déclaré qu’en 2005, DART Aerospace fabriquait un train d’atterrissage pour le modèle 407. Il a déclaré qu’il en coûtait environ 250 000 $ pour mettre au point un ensemble complet de ce train, y compris la conception, les heures consacrées au travail d’ingénierie, les essais de résistance aux chutes, les essais en vol et la certification. En contre‑interrogatoire, M. O’Reilly a affirmé que, pour la fabrication d’un train d’atterrissage, DART était tenue aux mêmes exigences strictes que le FEO, et qu’elle devait répondre aux mêmes exigences relatives à la certification. En cas de modification mineure à un train d’atterrissage, il revenait normalement au délégué à l’approbation technique (DAT) interne désigné par Transports Canada de s’assurer que le train d’atterrissage respecte les exigences des autorités en matière de transport.

[323]       Dans l’ensemble, la Cour ne peut pas déterminer avec exactitude le temps que la défenderesse a économisé en recherche et développement en raison de l’utilisation illicite du train Legacy contrefait. La défenderesse laisse entendre que l’économie relative aux coûts supplémentaires réalisée pour la mise au point est négligeable, compte tenu du fait qu’en quelques mois, ses ingénieurs sont parvenus à concevoir le train Production. Toutefois, la véritable question est de savoir si, dans une négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon, les parties pouvaient raisonnablement prévoir une telle issue favorable. Dans le modèle de la négociation hypothétique, même lorsque les faits postérieurs sont pris en compte, la Cour doit apprécier la totalité de la preuve, avant et après la contrefaçon, parce que les statistiques relatives aux facteurs de risque portant sur une longue période constituent un meilleur indicateur du comportement productif qu’un incident isolé.

[324]       De plus, selon la preuve documentaire, Bell a effectué de nombreux essais relatifs à la certification ainsi que d’autres travaux en utilisant des hélicoptères équipés du train Legacy. Par conséquent, elle n’avait pas besoin de refaire les essais relatifs à la certification et à l’optimisation qu’elle avait effectués au cours des trois années antérieures. Les observations formulées par M. Heys sont largement fondées sur les conclusions tirées par la Cour à la première étape de l’instance (jugement CF 2012, au paragraphe 182), et l’estimation qu’il a faite des économies de 250 000 $ réalisées sur les coûts supplémentaires prévus pour la mise au point sans licence, selon une estimation de 2 500 heures consacrées à la mise au point et à l’optimisation (pièce JB‑372‑D/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats – 2 000 heures-personnes pour la structure du train d’atterrissage complet et 500 heures‑personnes pour un autre essai de résistance aux chutes) au taux de 100 $ de l’heure est une évaluation prudente, compte tenu du fait que Bell n’a produit aucune preuve documentaire détaillée concernant ses coûts de mise au point et de certification.

[325]       En l’absence d’une divulgation de l’invention visée par le brevet 787, la Cour conclut qu’il aurait fallu à Bell au moins trois à quatre ans de travaux de mise au point et d’essais avant qu’elle ne puisse parvenir à sa propre version d’un train d’atterrissage fonctionnel conçu à partir de zéro, qui pourrait être avantageusement comparable au train Moustache breveté. Dans une négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon à l’automne 2005, Eurocopter pouvait raisonnablement refuser toute offre de Bell inférieure à la somme de 250 000 $, alors qu’elle était bien placée pour demander toute somme située entre 250 000 $ et 525 000 $, compte tenu de la valeur des vingts‑et‑un trains Legacy et de l’utilisation qu’en a faite Bell pour obtenir la certification du Bell 429 et pour promouvoir ses ventes pendant trois ans.

4.                  L’avantage économique découlant du rendement sur le capital réalisé par Bell sur les acomptes reçus en lien avec les lettres d’intention

[326]       Tous les hélicoptères Bell 429 qui ont été vendus aux clients sont munis du train Production. Quoi qu’il en soit, la demanderesse soutient que Bell a néanmoins bénéficié de la contrefaçon en réalisant des profits totalisant |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| relativement aux LI reçues à la suite de la promotion du Bell 429 muni du train Legacy (pièce P‑115, rapport de M. Heys, au paragraphe 141; pièce P‑116, addenda de M. Heys, au paragraphe 10/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Cette question particulière a été examinée par M. Heys dans son rapport et dans son addenda relativement au calcul des dommages-intérêts punitifs en tant qu’élément des avantages économiques découlant de la contrefaçon délibérée du brevet 787.

[327]       La défenderesse conteste vivement l’analyse effectuée par M. Heys, étant donné qu’il n’a pas fait de distinction entre les profits ou les avantages que Bell a tirés [traduction] « de son inconduite » et ceux qui ne sont pas le fruit d’une inconduite visant Airbus. Ainsi, M. Heys a tenu compte, à tort, de toutes les LI, y compris celles concernant le Bell 427i, muni du train classique, ainsi que celles reçues avant la date de la première contrefaçon dans le cas du Bell 429. En bref, la défenderesse fait valoir que l’expert d’Airbus n’établit pas de lien entre les avantages et la contrefaçon. Son analyse est donc hypothétique et est incompatible avec une analyse économique adéquate.

[328]       Bien que la Cour conclue qu’il est peu réaliste en l’espèce de calculer le montant d’une redevance raisonnable en fonction des bénéfices prévus découlant des ventes du Bell 429 pendant la période de validité du brevet 787 – étant donné qu’aucun hélicoptère Bell 429 muni du train Legacy contrefait n’a été vendu – il n’en est pas de même de l’avantage économique découlant du rendement sur le capital réalisé par Bell sur les acomptes reçus en lien avec les LI. Avec le recul, l’on constate qu’il n’y a aucune raison pour laquelle la demanderesse ne devrait pas demander, lors de la négociation hypothétique d’une redevance raisonnable, une partie des avantages économiques reçus relativement aux LI pour le Bell 429. Il n’y avait aucune raison, à la veille de la première contrefaçon du brevet 787, qui justifiait qu’Eurocopter attende une autre période de quatre ans avant de pouvoir réellement recevoir un premier paiement de redevance sur les ventes des hélicoptères Bell 429, alors que, pendant la même période, Bell tirait réellement profit de l’invention, en faisant la promotion d’un hélicoptère concurrent, et en percevant des acomptes de la part de clients intéressés.

[329]       Dans la réalité, Bell a tiré profit de la contrefaçon, dans la mesure où, pendant la période de contrefaçon, elle a fait la publicité et la promotion de l’hélicoptère Bell 429 équipé du train Legacy contrefait. Bien que la Cour ne puisse pas conclure que la contrefaçon s’est traduite dans la totalité des LI, il serait à la fois irréaliste et inéquitable dans une négociation hypothétique de ne pas prendre en compte l’importance relative de l’utilisation non autorisée de la technologie brevetée à des fins de promotion. Dans ce contexte, un facteur modique de 5 p. 100 de l’avantage économique découlant du rendement sur le capital réalisé par Bell sur les acomptes reçus en lien avec les LI semble être un point de départ raisonnable. Toutefois, cette attribution arbitraire ne correspond pas à la valeur réelle du train d’atterrissage contrefait, puisque la preuve au dossier montre clairement la mesure dans laquelle le nouveau Bell 429 équipé du train Legacy a été utilisé pour se faire connaître dans différents secteurs du marché et auprès de divers clients.

a)                  La preuve relative aux lettres d’intention

[330]       Comme il a déjà été mentionné, la Cour a examiné, en 2012, l’ensemble de la promotion organisée par Bell pour faire ressortir les nouvelles caractéristiques de l’aéronef Bell 429, mettant particulièrement l’accent sur le train Legacy. La preuve a démontré que Bell avait décrit le train d’atterrissage en forme de « traîneau » comme étant l’une des technologies clés du programme MAPL (pièces JB‑86, JB‑225 et JB‑229). En outre, la défenderesse a loué les différentes améliorations du « train d’atterrissage à patins de type « traîneau » par rapport au « type classique » dans « l’article de M. Minderhoud », et elle s’est approprié la découverte de ce nouveau train d’atterrissage (jugement CF 2012, aux paragraphes 272 et 442).

[331]       Malgré un certain nombre de retards, les efforts déployés par Bell pour vendre son nouvel hélicoptère Bell 429 ont été couronnés de succès. Toutefois, dès 2005, Bell a sollicité des commandes pour le Bell 429 et a reçu un certain nombre de lettres d’intention (LI) de la part de clients ainsi que des acomptes de plus ou moins 25 000 $US pour chaque appareil commandé (bien que les acomptes aient pu être moins importants dans certains cas) (jugement CF 2012, au paragraphe 267) (pièces D‑99 et D‑100/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[332]       Selon les renseignements figurant dans les systèmes de Bell, Mme Jones a témoigné relativement aux LI pour le Bell 429 reçues par Bell avant la certification de l’aéronef (2004 à 2009). Mme Jones a déclaré que |||| LI appartenaient à la catégorie de LI qui avaient été annulées et dont les acomptes avaient été remboursés avant la certification du Bell 429 (pièce D‑99/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Mme Jones a également affirmé que |||||| LI appartenaient à la catégorie de clients qui avaient reçu des remboursements après que Bell eut annoncé la certification du Bell 429 (pièce D‑100/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Cette catégorie comprenait aussi des LI pour le Bell 427i, qui avaient ensuite été modifiées pour le Bell 429, et qui avaient par la suite été annulées. En ce qui a trait aux LI pour lesquelles l’aéronef a été réellement livré, Mme Jones a dit que |||| LI tombaient sous cette catégorie (pièce D‑101/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Donc, avant la certification, il y avait au total |||||| LI pour l’hélicoptère Bell 429. En contre‑interrogatoire, Mme Jones a déclaré que le terme [traduction] « commandes » semble avoir été utilisé dans les communiqués de presse pour décrire ce qui était, dans les faits, des LI. À cet égard, les termes ont été utilisés comme des synonymes.

[333]       M. Hatcher a également témoigné en ce qui concerne les LI et les acomptes versés relativement au Bell 429. Il a déclaré que, de manière générale, lorsque Bell reçoit un acompte, l’argent est versé dans un compte caisse général, avec les autres sommes d’argent qui sont recueillies par la société ou provenant de celle‑ci. Les acomptes sont comptabilisés comme passif aux termes des LI, jusqu’à ce qu’ils soient non remboursables. Dans son témoignage, M. Hatcher a affirmé que, du point de vue de l’encaissement, il n’y avait qu’un seul compte pour tous les fonds. Par conséquent, il n’y a aucun moyen de distinguer l’argent provenant d’un acompte particulier de tous les autres fonds.

[334]       Dans son témoignage, M. Evans a précisé qu’il faut établir une distinction entre un aéronef qui est en production et celui qui ne l’est pas encore. Pour un aéronef dont la production n’avait pas encore commencé et qui n’était pas encore certifié, Bell demandait des LI. Une LI est différente d’une commande ferme en ce sens qu’elle ne constitue pas un contrat ferme. La distinction est fondée sur le caractère remboursable de l’acompte. Selon M. Evans, une fois que l’aéronef était certifié, Bell s’adressait au client en particulier qui avait une LI et lui demandait s’il souhaitait modifier son acompte remboursable en un acompte non remboursable. Dans le cas d’un aéronef qui était en cours de production, M. Evans a affirmé que Bell faisait généralement une proposition pour amorcer la négociation, en commençant par le prix de l’aéronef et l’ensemble que souhaitait le client et en terminant (avec un peu de chance) par la signature d’un contrat d’achat. En cas de signature d’un contrat d’achat, Bell demandait généralement un acompte pour l’aéronef. Pour qu’on puisse parler d’une commande ferme, l’acompte devait être non remboursable. Il pouvait également y avoir des acomptes complémentaires, généralement en fonction du temps qui restait avant la livraison, le solde étant dû à la livraison. En réponse à une question posée par la Cour quant au statut juridique des LI pour le Bell 427i, qui ont été converties en contrats d’achat, M. Evans a répondu que le Bell 427i était, essentiellement, le précurseur du Bell 429. Il s’agissait d’une conception.

b)                  Les calculs effectués par les experts

[335]       M. Heys prétend que la défenderesse a tiré profit de la contrefaçon du brevet 787 lorsqu’elle a sollicité des acomptes auprès des clients en utilisant le Bell 429 muni du train Legacy. En calculant tous les acomptes reçus relativement aux LI, M. Heys a estimé que l’avantage économique de Bell découlant de ces profits anticipés était d’environ 8,5 millions de dollars, si l’on suppose un coût du capital d’environ 14 p. 100. Ce chiffre serait même plus élevé si certaines livraisons d’hélicoptères Bell 429 faites au cours de la période allant de 2009 à 2011 n’avaient pas du tout été effectuées, dans le cas où Bell n’aurait pas contrefait le brevet (pièce P‑115, rapport de M. Heys, aux paragraphes 140 à 147/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[336]       Dans son rapport initial, M. Heys a souligné qu’au total, Bell avait perçu des acomptes de plus de |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| (pièce P‑115, rapport de M. Heys, au paragraphe 141/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Il a estimé que les économies de coûts en capital découlant de ces acomptes s’élevaient à au moins 4,3 millions de dollars US, qu’il a calculées en appliquant une estimation du coût du capital de l’industrie (pièce P‑115, aux paragraphes 142 et 146/renseignements communicables qu’aux seuls avocats) au montant des acomptes reçus par Bell avant le remplacement du train Legacy par le train Production au début de 2009. À l’audience, M. Heys a critiqué la proposition de M. Schwartz qui consistait à utiliser le coût du capital de Textron, étant donné que [traduction] « la manière appropriée d’évaluer l’avantage de découlant de ces acomptes réside dans le coût moyen pondéré du capital de l’industrie » et ne consiste pas à [traduction] « tenir compte dans une certaine mesure de ce que Textron aurait fait ou n’aurait pas fait si elle n’avait pas eu ces acomptes » (transcription, volume 3, à la page 169).

[337]       Dans l’addenda à son rapport d’expert, M. Heys a révisé le chiffre de |||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||| en fonction de nouveaux renseignements reçus de Bell concernant les dates de versement des acomptes relatifs aux LI. Il a donc établi une estimation révisée des économies sur le coût du capital de Bell à |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| (pièce P‑116, addenda de M. Heys, au paragraphe 10/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[338]       En contre‑interrogatoire, M. Heys a déclaré que les intérêts n’avaient été calculés à l’égard des LI pour le 427i qu’à partir du moment où elles avaient été converties en LI pour le 429 (transcription, volume 4, à la page 149). Toutefois, il a précisé en réinterrogatoire qu’il était approprié de prendre ces acomptes en considération à partir de leur date de conversion, parce qu’ils étaient retenus par Bell pendant qu’elle faisait la promotion et poursuivait la mise au point du Bell 429 muni du train contrefait (transcription, volume 4, à la page 187). M. Heys a en outre déclaré que, si certains acomptes devaient être exclus en raison du fait qu’ils avaient été versés avant la date de la première contrefaçon, le nombre serait alors bien inférieur (transcription, volume 4, à la page 156). Il a également précisé de nouveau qu’il avait réparti tout le montant des acomptes par suite de la contrefaçon (transcription, volume 4, aux pages 157 et 158). Il a clarifié ce raisonnement en expliquant que, puisqu’un train d’atterrissage est nécessaire pour le fonctionnement d’un hélicoptère, aucun exercice de répartition ne devrait être exigé à cet égard (transcription, volume 4, aux pages 187 et 188).

[339]       Bien que la Cour ait déjà conclu que l’utilisation par Bell du train contrefait dans la mise au point du Bell 429, de 2005 à 2009, lui a permis de faire des économies supplémentaires importantes en coûts et en temps pour la mise au point et la certification, il est incorrect de considérer la totalité du montant reçu à titre d’acompte sur cette seule base. Il en est ainsi, d’autant plus qu’aucun élément de preuve valide n’appuie la prétention selon laquelle la seule motivation des clients pour le Bell 429 était le train Legacy. En agissant ainsi, M. Heys n’a pas réussi à établir le caractère distinct des profits allégués qui découlent de la contrefaçon. En outre, cette proposition va à l’encontre du fondement de la théorie de la répartition pour laquelle [traduction] « la composante brevetée peut représenter la valeur de l’ensemble du produit contrefait lorsque la composante constitue le fondement réel sur lequel repose la valeur totale du produit » (Josh Friedman, « Apportionment: Shining the Light of Day on Patented Damages », (2012) 63:1 Case Western Reserve LR 147, à la page 155, renvoyant à Lucent Technologies).

[340]       M. Schwartz critique l’évaluation faite par M. Heys au sujet des avantages que Bell a tirés des acomptes reçus, parce qu’elle n’est pas appuyée par les faits se rapportant à la manière dont Bell a réellement traité les acomptes. M. Heys a tenu compte d’opérations inappropriées et a utilisé un taux d’intérêt qui n’a aucun fondement économique, étant donné la manière dont les acomptes ont été réellement traités. Par conséquent, tous les acomptes versés avant la veille de la contrefaçon et ceux pour lesquels il n’existe aucune date de versement devraient être exclus (pièce D‑119, rapport de M. Schwartz, au paragraphe 69/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[341]       Par ailleurs, M. Schwartz affirme qu’il n’existe aucun élément de preuve quant à l’existence d’un lien de causalité avec la contrefaçon du brevet 787. Si une caractéristique particulière d’un produit n’est pas cruciale pour la décision d’achat, on s’attendrait, selon les principes économiques de base, à ce que cette caractéristique ne dicte pas la décision de signer une LI ou de s’engager à verser un acompte. En outre, il n’y a pas moyen de déterminer ce que Bell a fait des fonds versés, et il n’existe donc pas d’avantage économique quantifiable découlant de la contrefaçon.

[342]       En supposant qu’il n’existe pas de fondement factuel entre la publicité des trains Legacy et les LI reçues, M. Schwartz a outrepassé son rôle en donnant un avis juridique (pièce D‑119, rapport de M. Schwartz, aux paragraphes 58 et 59/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Néanmoins, la Cour conclut que, bien que la preuve ne démontre pas clairement que les avantages que Bell a reçus découlaient directement de la promotion qu’elle avait faite du Bell 429 équipé du train Legacy, il existe sûrement un lien de causalité entre les LI et l’utilisation du train contrefait. Peu importe que le train Legacy ait été la raison principale pour laquelle les clients ont acheté le Bell 429, la preuve au dossier démontre que le train contrefait était nécessaire pour la réalisation de l’entière conception du Bell 429. Comme nous l’avons vu précédemment à la section 4, compte tenu de tout l’attrait commercial du Bell 429, l’invention brevetée ajoute une valeur importante à l’hélicoptère, non seulement en ce qui concerne la diminution du poids, mais aussi en ce qui a trait à la conception générale et à l’élimination des problèmes de résonance au sol (Beloit, à la page 457). Bien qu’il n’y ait eu aucun élément de preuve établissant la manière dont le train Legacy a réellement eu une incidence sur les LI, il serait inéquitable d’évaluer les dommages‑intérêts à zéro, simplement parce qu’il est difficile de déterminer l’importance relative des avantages techniques de l’invention brevetée, y compris son poids, compte tenu de la demande des clients pour l’ensemble du produit, un hélicoptère bi‑moteurs léger (Arctic Cat, au paragraphe 428).

[343]       Bien que Bell tire un avantage théorique de la détention des acomptes versés relativement au Bell 429, M. Schwartz a fait remarquer que les acomptes reçus pour les LI constituaient un avantage économique. En tout état de cause, il a conclu que l’avantage économique des acomptes reçus relativement aux lettres d’intention est d’au plus 1,067 million de dollars US (environ 1,352 million de dollars CAN) (pièce D‑119, rapport de M. Schwartz, au paragraphe 71/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). M. Schwartz conteste le fondement de ce calcul et, si nous devions appliquer le bon coût du capîtal à l’analyse de M. Heys, l’avantage économique serait d’au plus 1 195 987 $ (pièce D‑119, rapport de M. Schwartz, au paragraphe 109/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). De plus, les acomptes reçus avant la contrefaçon ne peuvent pas constituer des avantages découlant de la contrefaçon. Avec le bon coût du capital et compte tenu des acomptes appropriés, M. Schwartz estime que l’avantage économique est d’au plus 763 558 $ (pièce D‑119, rapport de M. Schwartz, au paragraphe 110/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[344]       Étant donné que l’avantage réel tiré du train d’atterrissage contrefait est loin d’être clairement déterminé, M. Schwartz a arbitrairement estimé à 5 p. 100 la part des acomptes relatifs aux LI attribuable au train Legacy (pièce D-119, rapport de M. Schwartz, au paragraphe 73/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Dans son argumentation finale, la défenderesse a expliqué l’attribution arbitraire de 5 p. 100 en comparant le prix unitaire du train Legacy (25 000 $) au prix total de l’hélicoptère (environ 5 millions de dollars) (argumentation finale de Bell, au paragraphe 429/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). À l’aide du taux de 5 p. 100, M. Schwartz a calculé que l’avantage économique tiré du train Legacy contrefait serait d’environ 67 578 $, mais il ne l’a pas inclus dans son calcul relatif à une redevance raisonnable.

[345]       Lorsque la Cour lui a demandé pourquoi le chiffre de 5 p. 100 ne serait pas aussi utilisé dans le calcul de la redevance raisonnable, M. Schwartz a répondu qu’il ne l’avait pas appliqué dans l’analyse de la redevance, parce qu’il avait directement tenu compte de ce qu’il croyait être les effets du train Legacy contrefait sur la volonté de payer de la défenderesse. M. Schwartz a déclaré que, du point de vue d’un économiste, l’avantage économique tiré du train contrefait ne devrait pas être inclus dans les dommages‑intérêts compensatoires, parce qu’Airbus n’avait subi aucune perte associée à ces acomptes (transcription, volume 8, à la page 70). Toutefois, l’ensemble de l’exercice entourant la négociation hypothétique et la redevance raisonnable repose sur le fait que les pertes subies par Airbus ne peuvent pas être établies au moyen d’une preuve substantielle, alors que la Cour analysera notamment la question en fonction des bénéfices prévus ou de l’avantage indiscutable pour Bell de conclure un contrat de licence (Jay‑Lor, au paragraphe 123).

[346]       La Cour conclut que l’approche de l’expert de Bell est plutôt simpliste et tronquée, compte tenu du fait que l’objet même de la publicité et de la promotion de la conception, des performances et des caractéristiques novatrices du nouveau Bell 429 (qui comprenaient un train d’atterrissage de type « traîneau ») était de favoriser l’obtention de LI et de ventes, notamment dans le segment des missions SMU. Par ailleurs, Bell ne se serait pas donné la peine de produire des vidéos promotionnelles dans lesquelles le train d’atterrissage de type « traîneau » est présenté comme étant l’une des technologies clés du programme MAPL (jugement CF 2012, au paragraphe 442, renvoyant aux pièces JB‑86 et JB‑225). La vidéo promotionnelle du Bell 429 montre aussi que la défenderesse a élaboré la nouvelle conception de l’appareil en fonction des commentaires de ses clients, surtout en ce qui concerne le plancher plat et la cabine ouverte (JB‑86 et JB‑225). Le présentateur va même jusqu’à dire que Bell s’est inspirée des commentaires de ses clients et que le nouveau Bell 429 a intégré tout ce qu’ils avaient demandé.

[347]       Auparavant, les responsables de la commercialisation chez Bell et Textron se sont assurés que les clients potentiels du Bell 429 étaient régulièrement informés de tous les progrès importants, au moyen de différents communiqués de presse ou grâce à des mises à jour sur les sites Web. Par exemple, dans un communiqué diffusé le 26 octobre 2007 (www.rotorhub.com), de hauts dirigeants de Bell ont fièrement [traduction] « annoncé la fin d’une autre étape importante dans la mise au point du Bell 429, le nouvel hélicoptère de Bell à la fine pointe de la technologie » (pièce JB‑42). Dans ce cas, [traduction] « l’équipe affectée au 429 a fixé ou « gelé » la conception du profil extérieur, qui a fait l’objet de vérifications au moyen d’essais de mise au point en vol qui ont duré des mois ». Dans les commentaires formulés au sujet de l’événement, le communiqué mentionne que M. Robert Fitzpatrick, premier vice‑président Marketing et Ventes, a déclaré ce qui suit : [traduction] « Il s’agit de l’un des événements les plus marquants dans la mise au point d’un aéronef. Cela veut dire que notre conception respecte les spécifications liées à l’esthétique et aux manœuvres en vol que nous avons établies depuis longtemps. Ce sont des spécifications que nous avons promis d’offrir à nos clients. Cela nous rapproche davantage de notre objectif de la certification et des premières livraisons à la fin de 2008 » (pièce JB‑42).

[348]       Les efforts promotionnels n’ont pas cessé après l’introduction de la présente action. Des extraits en date du 3 avril 2008, du 14 mai 2008, du 30 octobre 2008 et du 5 mars 2009 provenant des sites Web de Bell Helicopter (www.bellhelicopter.com) et de Patriot Aviation (www.patriot.uk.com) sont particulièrement révélateurs : sous le titre [traduction] « Le 429, une conception à l’écoute », le Bell 429 est présenté comme [traduction] « [f]ort probablement l’hélicoptère léger bimoteur IFR le plus perfectionné jamais créé », tout en étant [traduction] « [c]onçu de manière intelligente et très polyvalent pour répondre à une pléiade de besoins individuels »; parmi les [traduction] « points saillants du 429 », le [traduction] « train d’atterrissage atténuateur d’impact de type “traîneau” » est mentionné dans le premier tiers de la liste (les pièces JB-47 et JB-70 montrant également une photo d’un hélicoptère Bell 429 à deux couleurs (bleu et blanc) ayant un logo EMS [SMU] et équipé du train Legacy contrefait).

[349]       Comme l’a précisé M. Gardner dans le guide pratique de juin 2003 [traduction] « le train à patins n’est utile que pour l’atterrissage et peut être considéré comme constituant un excès de poids en vol, avec des caractéristiques aérodynamiques indésirables. Par conséquent, il est important que le train soit conçu avec un poids le plus léger possible et un profil aussi bas que possible tout en respectant les exigences d’ingénierie et en se préoccupant des questions relatives au coût ainsi qu’au soutien à la clientèle » (pièce JB‑372, à la page 6106/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats). Bien que la preuve au dossier n’établisse pas que le train d’atterrissage serait la principale raison pour laquelle les clients ont déposé des LI pour le Bell 429, le poids léger du train, qui a une incidence directe sur la charge limite, est un facteur très important, surtout dans le cas du segment des missions SMU. Par ailleurs, la Cour ne peut pas conclure que la totalité des LI et des acomptes reçus relativement au Bell 429 après l’automne 2005 devraient être considérés, comme le prétend M. Heys. Par conséquent, Airbus n’a aucune raison, dans une négociation hypothétique, de ne pas chercher à obtenir de Bell une part raisonnable du taux de rendement sur le capital à l’égard des LI et des fonds reçus pendant la période de contrefaçon.

[350]       Pendant la période de trois ou quatre ans (octobre 2005 à mars 2009) au cours de laquelle il a été conclu que Bell avait contrefait le brevet 787, Bell a pu recueillir des LI et recevoir des acomptes pour le Bell 429 sans avoir conçu de PSNC valide, tout en faisant une promotion active du Bell 429 équipé du train Legacy contrefait (jugement CF 2012, au paragraphe 434). En effet, le train Legacy contrefait a été exposé publiquement lors de diverses foires internationales entre octobre 2005 et juillet 2008 (exposé conjoint des faits, au paragraphe 33, points 6 à 16), alors que Bell et des représentants indépendants pour l’hélicoptère Bell 429 (exposé conjoint des faits, aux paragraphes 38 à 42) ont continué, même après l’institution de la procédure et au moins jusqu’au 6 mars 2009, de publiciser sur leurs sites Web l’hélicoptère Bell 429 au moyen de photographies de deux prototypes (bleu et rouge) équipés du train Legacy contrefait (voir, notamment, les pièces JB‑54 à JB‑72).

[351]       Comme il en a été déjà fait mention, le Bell 429 équipé du train Legacy a réalisé son premier vol le 27 février 2007 à l’installation de Bell de Mirabel (jugement CF 2012, au paragraphe 22). En septembre 2007, Bell a annoncé que le deuxième prototype du Bell 429, de couleur rouge, avait réalisé son premier vol à la fin d’août 2007, à la même installation (pièce JB‑236). Voici une photographie des deux hélicoptères, tels qu’ils sont apparus dans le bulletin d’information :

[352]       La preuve versée au dossier établit de façon concluante que la défenderesse utilisait de multiples stratégies commerciales pour faire la publicité du nouveau Bell 429 équipé du train contrefait. De plus, l’hélicoptère Bell 429 portant le numéro de série 57001 était équipé du train Legacy lorsqu’il a été exposé à l’HELI EXPO à Houston, au Texas, en février 2008. La défenderesse avait fait en sorte que l’appareil en question équipé du train Legacy fasse le vol de Mirabel jusqu’à Houston. En mai 2008, la défenderesse a expédié un hélicoptère Bell 429 portant le numéro de série 57004 – équipé d’un train Legacy – de Mirabel à Prague, en République tchèque, pour participer à l’exposition Air Med. Le même appareil a été expédié de Mirabel pour le Salon aéronautique de Farnborough, au R.‑U., en juillet 2008, et au Salon aérospatial du Japon 2008 à Yokohama, en octobre 2008 (exposé conjoint des faits, aux paragraphes 34 à 37, ainsi que 33, points 5 à 8).

[353]       Ce n’est qu’en février 2009 que le train Production a été exposé publiquement à l’HELI EXPO, à Anaheim, en Californie, étant donné qu’il était, semble‑t‑il, installé sur des hélicoptères Bell 429 portant les numéros de série 57002 et 57004, alors qu’un train Legacy couvert, se trouvant sur la maquette d’un hélicoptère Bell 429, était toujours utilisé en février 2009 à la foire Aero India à Bangalore (exposé conjoint des faits, au paragraphe 33, points 1 et 2, et pièce JB‑84).

[354]       Dans ce contexte, compte tenu du livre de la sagesse, des chiffres réels et des avantages économiques de 763 558 $ calculés par M. Schwartz, la Cour est convaincue qu’un montant de plus ou moins 100 000 $ devrait être envisagé par la Cour dans l’examen de la VMA de la demanderesse.

5.                  La prime de risque

[355]       Le facteur de risque est un élément important à prendre en compte pour déterminer la marge de négociation des deux parties dans une négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon. Il existe une documentation abondante concernant diverses formules qu’on peut utiliser pour évaluer le risque dans un processus décisionnel d’un point de vue économique, y compris dans l’appréciation de la valeur et du prix d’un brevet (voir à ce sujet, Daniel Kahneman et Amos Tversky, « Prospect Theory: An Analysis of Decision under Risk » dans Econometrica, mars 1979, 47, 2; Business Premium Collection 263; F. Russell Denton et Paul J. Heald, « Random Walks, Non-Cooperative Games, and the Complex Mathematics of Patent Pricing », 55 Rutgers L Rev 1175 2002‑2003).

[356]       L’idée est de trouver une méthodologie ou une formule qui établit un juste équilibre entre les niveaux de risque respectifs et éventuellement différents que chaque partie doit assumer dans la négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon. Les deux experts en l’espèce, qui sont eux‑mêmes des économistes, n’ont proposé aucune formule particulière à la Cour, peu importe que la question du risque soit examinée dans l’optique de la théorie de l’espérance d’utilité, la théorie des perspectives, ou que la redevance raisonnable soit calculée au moyen d’un modèle mathématique ou économique, tel que l’équation Black‑Scholes ou le modèle de Denton.

[357]       En l’absence de toute formule particulière, la Cour est néanmoins invitée par les parties à tirer des conclusions de fait et à parvenir à ses propres conclusions, en fonction de la preuve au dossier, au sujet de la perspective assurée qui donnera probablement lieu au résultat attendu – la conclusion d’un contrat de licence (la perspective positive) – en tenant compte du fait que les parties peuvent chacune à leur tour subir des pertes (la perspective négative) si elles n’arrivent pas à s’entendre sur le montant d’une redevance raisonnable dans la négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon. Le risque est un aspect qui peut être prévu au contrat, et rien n’empêche qu’il donne lieu au paiement d’une prime dans certains cas. L’approche de la Cour doit reposer essentiellement sur la preuve versée au dossier et sur le bon sens.

[358]       La Cour constate que l’évaluation du risque est en quelque sorte un processus artificiel en l’espèce, étant donné que l’activité de contrefaçon a déjà eu lieu. Si tel n’était pas le cas, l’on pourrait se demander si Bell aurait investi de l’argent dans la mise au point du train Legacy contrefait (et peut‑être du train Production, compte tenu du litige en cours en France et des chances de perdre ou de gagner la cause) en présence d’une probabilité de plus de 50 p. 100 de perdre son capital. En revanche, Airbus n’avait aucun intérêt à accorder une licence à Bell, et la seule situation gagnante est de recevoir une indemnisation équitable pour l’utilisation non autorisée et illicite que Bell a faite de l’invention brevetée. Quoi qu’il en soit, un équilibré doit être établi entre le taux de rendement fixe convenu d’une licence hypothétique et l’entreprise comportant des risques, des deux côtés, de perdre des profits ou de subir des pertes, le cas échéant, pendant toute la période au cours de laquelle l’activité contrefaisante a lieu, et même après la contrefaçon (parce que la contrefaçon peut avoir altéré le marché ou la compétitivité du détenteur du brevet). En l’espèce, après avoir examiné les éléments de preuve versés au dossier et soupesé tous les facteurs pertinents, la Cour conclut que la demanderesse est justifiée de demander une prime de risque, compte tenu surtout des circonstances très spéciales de l’affaire.

[359]       Si nous regardons du côté de Bell, le risque que l’invention brevetée ne se vende pas était inexistant, dans la mesure où elle faisait partie intégrante du modèle de l’hélicoptère Bell 429. Quoi qu’il en soit, la défenderesse demande à la Cour d’évaluer, à la veille de la première contrefaçon, et dans une négociation hypothétique, le risque supplémentaire découlant de l’utilisation d’un PSNC par rapport au risque lié à l’utilisation du train Legacy. À cet égard, la défenderesse soutient que, en octobre 2005, le Bell 429 n’était pas encore fabriqué ou, tout au moins, qu’il n’avait pas encore été entièrement conçu ni fait l’objet d’un essai. Aucun vol ni essai n’avait été réalisé et aucune certification n’avait été obtenue. Toutefois, la preuve au dossier indique clairement que la défenderesse était certaine qu’elle pouvait régler tout problème technique et que le Bell 429 équipé du train Legacy pouvait être certifié. Par conséquent, le risque lié à l’utilisation du train Legacy était très faible. Par ailleurs, l’on ne souhaitait nullement retourner au train classique ou prendre le risque de mettre au point un train à poutre en I fonctionnel. Les raisons sont très simples. Dans la mesure où le risque est envisagé en fonction de la demande du marché et des besoins de la clientèle, il aurait été préjudiciable quant à la réputation du fabricant de ne pas aller de l’avant avec le projet, étant donné que Bell voulait montrer et démontrer ses capacités techniques supérieures face à la concurrence. Bell voulait également pénétrer de nouveaux marchés, en particulier le segment attrayant des missions SMU, de sorte qu’elle ne pouvait pas prendre de risques inutiles ou compromettre la qualité du produit fini. Cela comprenait naturellement le train d’atterrissage de type « traîneau ».

[360]       Dans le guide pratique de juin 2003 préparé par M. Gardner, il est fait mention de la mise au point du modèle Bell 427, qui comprenait une traverse tubulaire à poutre en I (pièce JB‑372/renseignements confidentiels et communicables qu’aux seuls avocats). L’acceptabilité et le risque de choisir cette option sont abordés de la manière suivante, aux pages 6105 et 6106 :

[traduction]

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[Non souligné dans l’original.]

[361]       La demanderesse a également produit un certain nombre d’éléments consignés du témoignage de M. Gardner livré au cours de la première phase de l’instruction, qui expliquaient pourquoi le train classique et le train à poutre en I n’avaient pas été retenus comme produit final, lequel fut le train à patins de type « traîneau » (train Legacy). Lors de l’interrogatoire préalable à l’été 2009, M. Gardner a déclaré que le train Legacy offrait un meilleur coupe-câble par rapport au train classique qui aurait été plus lourd, compte tenu de la configuration actuelle de la traverse tubulaire sur l’aéronef (pièce P‑109, aux onglets 3, 7 et 8/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Il n’a pas non plus été envisagé de retourner au train d’atterrissage original du Bell 427, le train classique, qui aurait impliqué un train à patins plus lourd (pièce P‑109, à l’onglet 20/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). M. Gardner a également confirmé que le Bell 429 était essentiel aux efforts déployés par la défenderesse pour rester concurrentielle sur le marché des hélicoptères civils (pièce P‑109, à l’onglet 10/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[362]       Le 3 mai 2016, M. Gardner a encore subi un interrogatoire préalable pour la seconde phase de l’instance. Durant cet interrogatoire préalable, il a expliqué que le point de fixation de la traverse tubulaire avant, près du réservoir de carburant, était possible grâce à la grande cabine ouverte et au plancher plat (pièce P‑113/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). En outre, M. Gardner a déclaré |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| |||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||||| (pièce P-113 aux onglets 43 et 45/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). De plus, M. Gardner a admis qu, bien que le train d’atterrissage à poutre en I ait été posé sur le Bell 407 pour des essais en vol, il n’a jamais été posé ni certifié sur le Bell 429 ou le Bell 412, et il n’a jamais volé sur ces hélicoptères (pièce P‑113 à l’onglet 56/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[363]       Il ne restait donc que le train Legacy. Cela dit, Bell savait que le train d’atterrissage de type « traîneau » ressemblait étroitement au train Moustache de l’EC120. M. Gardner a même déclaré que le train Legacy comportait toutes les caractéristiques du train Moustache, à l’exception de la courbure inférieure. En fait, selon des éléments de preuve obtenus lors des interrogatoires préalables, lorsque des préoccupations ont été évoquées à l’époque, M. Foster a dit, à ce qu’il paraît, aux ingénieurs de Bell de [traduction] « poursuivre le travail ». Ce dernier n’a pas été appelé comme témoin pour confirmer ou pour réfuter cette déclaration. En fin de compte, Bell a pratiquement poursuivi le travail relatif au train Legacy (jugement CF 2012, au paragraphe 274). Même si la Cour pouvait considérer le train Production comme un PSNC qui n’a pas été mis au point à la veille de la première contrefaçon (automne 2005), il n’en demeure pas moins que, dans une négociation hypothétique, la demanderesse serait toujours dans une meilleure position, compte tenu du fait que, douze années plus tard (2017), la question de savoir si le train Production est un PSNC fait encore l’objet de débats en France.

[364]       Compte tenu de ce qui précède, Eurocopter était manifestement mieux placée pour demander une prime de risque. Dans la négociation de la licence hypothétique, Eurocopter aurait aussi raisonnablement examiné les risques associés à l’octroi d’une licence mondiale à son concurrent direct et aurait pu raisonnablement exiger un montant supplémentaire (une prime de risque), dans la mesure où ce risque n’était pas déjà pris en compte dans la formule relative à la redevance envisagée par les parties à la veille de la première contrefaçon. D’un autre côté, une licence non exclusive mondiale pour l’utilisation du train Legacy aurait permis d’éliminer rapidement le risque que courait Bell de devoir concevoir un PSNC et de réduire à néant les frais importants d’un litige concernant l’utilisation illicite du train Legacy.

[365]       Le temps constituait un élément capital pour Bell qui souhaitait obtenir la certification d’un hélicoptère concurrentiel commercialisable et vendable dans les plus courts délais. Par conséquent, il aurait été inimaginable à la veille de la première contrefaçon du brevet 787, à l’automne 2005, de ne pas tenir compte du risque d’un autre litige en matière de brevet aux États‑Unis et ailleurs. Encore une fois, la théorie du livre de la sagesse est utile pour examiner la question de savoir quelle aurait été l’intention des parties concernant la négociation hypothétique d’un contrat de licence. En effet, l’incertitude en ce qui concerne la réglementation et le risque auquel étaient exposées la mise au point et la commercialisation du train Production fournissent une meilleure évaluation de la valeur réelle de l’invention (« A New Framework for Determining Reasonable Royalties in Patent Litigation »).

[366]       M. Heys déclare que, dans le contexte d’une négociation hypothétique, Airbus aurait tenu compte d’un risque supplémentaire en accordant une licence à son concurrent direct. En revanche, Bell aurait été prêt à payer plus afin d’éviter les risques et les incertitudes liés à la mise au point du Bell 429 muni d’un PSNC inconnu plutôt que d’utiliser le train Moustache breveté qui avait déjà était soumis à des essais et fait ses preuves (pièce P‑115, rapport de M. Heys, aux paragraphes 116 et 117/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Ainsi, il serait raisonnable qu’Airbus exige une « prime de risque » supplémentaire de 25 p. 100 sur les bénéfices additionnels prévus découlant des ventes du Bell 429 et les coûts de mise au point supplémentaires (pièce P‑115, rapport de M. Heys, à l’alinéa 94c), tableau 4, à la page 49, note de bas de page 154/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). En réponse à une question de l’avocat de la défenderesse, M. Heys a admis que, sans aucune référence du marché que l’on peut invoquer pour la prime de risque, son chiffre était subjectif et fondé sur l’intuition (transcription, volume 3, à la page 126).

[367]       La défenderesse réplique que Bell aurait aussi envisagé de prendre le risque d’adopter un train d’atterrissage inconnu, compte tenu du fait que, à la veille de la première contrefaçon, le train Legacy était loin d’être prêt pour la commercialisation (transcription, volume 6, aux pages 201 et 202). Par conséquent, Bell pouvait courir un risque théorique en utilisant un quelconque train d’atterrissage qui n’avait pas encore été certifié ou ni fait l’objet d’essais (pièce D‑119, rapport de M. Schwartz, à la page 47/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). Selon la défenderesse, il ne devrait y avoir aucune prime de risque, parce que Bell était capable de mettre au point le train Production, alors que les vingt et un trains Legacy contrefaits n’ont pas été vendus, mais ont été utilisés seulement pour les essais et pour la certification du Bell 429. Cet argument est fallacieux. En 2012, la Cour a rejeté la défense Gillette et a déclaré que l’exception à des fins d’expérimentation ne s’appliquait pas. Il existait effectivement un risque important. Le train Production n’avait pas été mis au point en 2005. En outre, dans une négociation hypothétique, en utilisant le « livre de la sagesse », les parties auraient aussi été informées du fait que le train Production ne pouvait être commercialisé qu’au Canada ou aux États‑Unis, compte tenu de l’arrêt rendu le 20 mars 2015 par la Cour d’appel de Paris en faveur de la demanderesse. Par conséquent, la défenderesse demande à la Cour de tirer une conclusion surprenante fondée sur un parti pris a posteriori : Bell n’aurait pas souhaité payer à Airbus une redevance ou une licence à un prix plus élevé, étant donné qu’elle devrait par la suite assumer une grande part du risque lié à la commercialisation.

[368]       M. Schwartz a prévu le problème lié à l’attribution d’un montant nominal seulement, qui ne tient pas compte de la prime de risque, dans une négociation de bonne foi pour le paiement d’une redevance raisonnable. À la question de savoir ce qui aurait incité Airbus à accorder une licence à un concurrent, M. Schwartz a répondu qu’Airbus savait que le Bell 429 allait de toute manière faire son entrée sur le marché et que l’utilisation de la technologie n’aurait aucune conséquence sur le marché. Par conséquent, l’octroi d’une licence pour l’utilisation de cette technologie représenterait une rentrée d’argent inattendue pour Airbus. Toutefois, M. Schwartz a établi une distinction entre la valeur marchande du brevet, qu’il considérait être relativement peu élevée, et ce qu’il a appelé [traduction] « la valeur d’utilité » (transcription, volume 8, à la page 16, ligne 23), qui peut‑être assez élevée pour Airbus. En fin de compte, M. Schwartz a reconnu que la présente situation était unique et que cela la distinguait d’autres cas, par le fait que le modèle de la redevance fondé sur une négociation hypothétique présuppose que le produit contrefait sera vendu sur le marché, alors qu’en l’espèce, les vingt et un trains Legacy contrefaits en possession de Bell n’ont jamais été vendus.

[369]       La Cour doit déterminer une redevance ou des droits de licence raisonnables pour l’utilisation illicite des trains Legacy. L’approche générale adoptée par Bell n’est rien de plus que du sophisme et rendrait absolument inutile l’ensemble de l’exercice visant à reconstituer une négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon. En l’espèce, les parties ont consacré beaucoup de temps et de ressources à convaincre la Cour que l’application des facteurs énoncés dans AlliedSignal placerait chacune des parties dans une meilleure position de négociation que l’autre. Le problème fondamental que pose la démarche de la défenderesse réside dans le fait que cette approche change essentiellement la construction de la négociation qui doit être menée de bonne foi par deux parties informées.

[370]       À cet égard, la Cour conclut qu’il est raisonnable d’inclure un montant supplémentaire de 125 000 $ à titre de « prime de risque » lorsqu’on examine la VMA de la demanderesse.

G.                La détermination de la redevance à verser pour la production, l’utilisation et la publicité du train Legacy pendant la période de contrefaçon (octobre 2005 à mars 2009)

[371]       Après avoir établi que les parties auraient finalement convenu du paiement d’une somme forfaitaire pour l’octroi d’une licence à Bell lui permettant d’utiliser et de produire les vingt et un trains Legacy, la Cour doit maintenant déterminer une indemnité qu’il serait raisonnable d’accorder à Airbus. En ayant recours à la VMP et à la VMA, la VMP de Bell serait la redevance la plus élevée moyennant laquelle la défenderesse aurait intérêt à obtenir la licence, alors que la VMA d’Airbus serait la redevance la plus faible moyennant laquelle la demanderesse aurait intérêt à accorder la licence (Lovastatine CF, aux paragraphes 166 et 167). Comme l’a souligné la défenderesse, le principe consistant à y aller [traduction] « à grands traits » vise à assurer que la négociation hypothétique reste conforme à la réalité. Dans Arctic Cat Inc v Bombardier Recreational Products Inc, 2016 FC 1047, [2016] FCJ No 1062 (Arctic Cat), au paragraphe 416, le juge Roy a déclaré que le principe consistant à y aller [traduction] « à grands traits » ne devrait pas être utilisé pour surindemniser ou dépouiller le breveté. Si l’on estime qu’il convient d’y aller à grands traits, il est fort douteux qu’il en soit de même si la « hache à équarrir » était plutôt remplacée par une « masse ».

[372]       En l’espèce, pour la même invention, les experts d’Airbus estiment à 2 000 000 $ les droits de licence, alors que les experts de Bell arrivent à un total de 5 187 $. Couper la poire en deux est loin d’être satisfaisant. Dans la décision Arctic Cat, la Cour a formulé les observations suivantes, au paragraphe 416 :

[traduction]

L’une des difficultés qui se pose lorsque l’on choisit le point médian entre les chiffres des experts réside, c’est que cela ne les encourage pas à évaluer les dommages‑intérêts d’une manière raisonnable. Ils cherchent à pousser les choses à l’extrême. La motivation devrait plutôt être d’offrir de l’aide à la Cour.

[373]       Selon la réalité factuelle, au risque de répéter ce qui a été mentionné au tout début, il demeure que, bien que le train Legacy ait été une contrefaçon du brevet 787, aucun des vingt et un trains Legacy n’a été vendu. Ainsi, aucun train contrefait n’a eu d’incidence sur les ventes de la demanderesse. De plus, la demanderesse n’a pas réussi à démontrer quelque corrélation que ce soit entre une perte de profits et la vente du Bell 429 muni du train Production. Selon la jurisprudence, il semblerait qu’une évaluation des dommages-intérêts à zéro soit une option qui ne devrait être privilégiée que dans les cas extrêmes, eu égard à une violation d’un brevet valide (Arctic Cat, au paragraphe 415). Bien qu’aucun élément de preuve n’établisse une perte de ventes de la part d’Airbus, il n’en demeure pas moins que Bell s’est injustement enrichie, sans offrir aucune indemnisation, du fait de l’utilisation du train Legacy contrefait. En d’autres termes, Bell n’aurait pas été capable de concevoir et de commercialiser le Bell 429, n’eût été la contrefaçon du brevet 787.

[374]       Je renvoie de nouveau à Meters, à la page 164, où le lord juge Fletcher Moulton a déclaré que [traduction] « dans l’évaluation des dommages intérêts, chaque instrument qui est fabriqué ou vendu, qui viole les droits du breveté, est un tort qui lui est causé, et je ne crois pas qu’il existe une décision ou une règle de droit quelconque qui dit que le breveté n’a pas droit à réparation à l’égard de chacun de ces torts ».

[375]       Si la VMA d’Eurocopter est supérieure à la VMP de Bell, dans le monde réel, aucune redevance ne découlerait de la négociation de la licence hypothétique, et une telle licence n’aurait jamais été conclue. Toutefois, dans le monde hypothétique, la Cour doit établir le montant de l’indemnité. En l’espèce, s’il n’existe pas d’éventail de redevances raisonnables se situant entre la VMA d’Eurocopter et la VMP de Bell, les dommages‑intérêts compensatoires à accorder à la demanderesse doivent alors correspondre à la VMA d’Eurocopter, dans la mesure où elle est raisonnable.

[376]       La preuve établit manifestement que, bien que les trains Legacy n’aient pas été vendus, ils ont été utilisés de différentes manières pour créer le train Production, mais aussi pour mettre au point le Bell 429. Selon le témoignage livré par M. Gardner au cours de la première étape de l’instruction, les vingt et un trains Legacy ont été utilisés soit en tant que prototype, soit pour la mise au point d’un ensemble de flottaison ou dans le cadre du programme d’essais pour l’essai en vol, l’essai de résistance à la fatigue ou celui de résistance aux chutes (pièce D‑10). Bien que Bell demande un montant global de l’ordre de 5 000 000 $ à 6 000 000 $ comme prix de vente du Bell 429, la valeur pécuniaire d’un train d’atterrissage unique serait d’environ 20 000 $ à 25 000 $ (jugement CF 2012, au paragraphe 415). Bien qu’elle ait été prise en compte dans l’approche subsidiaire relative à la « contrefaçon de sacs Gucci® », M. Schwartz a calculé la VMP/VMA sur le prix unitaire du train Legacy. Selon ses estimations, la VMP de la défenderesse serait de 525 000 $ (25 000 $ x 21) (argumentation finale de Bell, aux paragraphes 272 à 278).

[377]       Compte tenu de l’utilisation réelle des différents trains Legacy (pièce D‑10), la Cour conclut que, dans le contexte d’une négociation hypothétique, les parties auraient convenu d’une « licence d’utilisation » moyennant paiement d’une somme forfaitaire. Concernant la VMP de Bell, la Cour arrive essentiellement à la même conclusion que celle que M. Schwartz a tirée dans son approche subsidiaire, mais elle a utilisé une méthode davantage fondée sur des principes (voir la section D précédente), qui repose sur un examen approfondi de la totalité de la preuve à la lumière des facteurs énoncés dans AlliedSignal. Par conséquent, la VMP de Bell aurait été le prix unitaire réel de tous les trains Legacy ayant été fabriqués pour la mise au point du Bell 429, ce qui équivaut à 525 000 $.

[378]       Par ailleurs, alors que M. Schwartz estime que la VMA de la demanderesse serait d’environ 210 000 $ (25 000 $ x 40 % x 21), la Cour a conclu que, conformément aux facteurs énoncés dans AlliedSignal, Eurocopter était en bien meilleure position. Par conséquent, le montant de l’indemnité devrait être très proche de la VMP de Bell, qui est estimée à 525 000 $. De plus, en tenant compte aussi du fait qu’Airbus aurait raisonnablement demandé un montant minimum de 250 000 $ pour les économies de coûts réalisées dans la mise au point du Bell 429 (voir au paragraphe 325), qu’Airbus aurait également cherché à recouvrer une partie des avantages économiques découlant de la promotion du train Legacy (voir au paragraphe 354) et que les parties auraient convenu d’une prime de risque raisonnable pour qu’Airbus autorise sa concurrente à commercialiser son brevet (voir au paragraphe 370), la Cour conclut que la VMA d’Airbus serait d’environ 475 000 $.

[379]       En appliquant le principe qui consiste à y aller [traduction] « à grands traits » entre la VMP de Bell et la VMA d’Airbus, la Cour conclut que, dans le contexte d’une négociation hypothétique ayant lieu la veille de la première contrefaçon, les parties se seraient entendues sur une licence autorisant l’utilisation et la production moyennant paiement d’une somme forfaitaire de 500 000 $ en dommages‑intérêts compensatoires.

  VII.         ADJUDICATION DE DOMMAGES‑INTÉRÊTS PUNITIFS

[380]       En 2012, la Cour a conclu que la demanderesse avait droit à des dommages‑intérêts punitifs par suite de la contrefaçon du brevet 787 commise par Bell ainsi que de la conduite délibérée et scandaleuse de la défenderesse. Ce jugement a été confirmé en 2013 par la Cour d’appel fédérale (jugement CF 2012, aux paragraphes 420 et 422; jugement CAF 2013, aux paragraphes 163, 164, 182 et 184). Pour les motifs qui suivent, la Cour conclut que la défenderesse doit payer des dommages‑intérêts punitifs de 1 000 000 $.

A.                 Conclusions de fait tirées en 2012

[381]       Dans le jugement CF de 2012, la Cour a tiré un certain nombre de conclusions de fait qui sont directement pertinentes à l’appréciation du montant des dommages‑intérêts en l’espèce. Il vaut la peine de reproduire les paragraphes 426 et 437 à 441, qui sont ainsi libellés :

[426]    Parfois appelé dans la documentation [traduction] « train original », le train Legacy a été mis au point par Bell entre 2004 et 2007, c’est‑à‑dire au cours de la période de validité du brevet 787, qui expirera le 5 juin 2007. Comme Bell n’a jamais conçu un hélicoptère équipé d’un rotor articulé et d’un train d’atterrissage de type « traîneau », son équipe a étudié la performance d’un EC120 équipé du train Moustache. Bell a loué et utilisé un hélicoptère EC120 entre les mois de mars et de juin 2003 environ, période au cours de laquelle elle a effectué des essais sur l’hélicoptère EC120, y compris un essai par secousses manuelles. De plus, des employés de Bell ont suivi, à Dorval (Québec), une formation sur un hélicoptère EC120 en mars 2003. Il s’est avéré que le train Legacy que Bell a utilisé et dont il a fait la publicité dans de multiples documents n’était rien de plus qu’une copie servile du train Moustache breveté.

[…]

[437]    Dans son article daté d’avril‑mai 2008 (RC‑224), M. Minderhoud écrit, à la page 9 :

[traduction]

Les apparences sont trompeuses : le train d’atterrissage de type « traîneau » est un dessin visuellement simple, mais sa mise au point est fort complexe et difficile à cause du grand nombre d’exigences contradictoires. D’énormes améliorations dans les outils d’analyse prévisionnelle et le traitement des données ont contribué à l’évolution qui s’est faite entre le train d’atterrissage à skis fixes du modèle 47 de Bell (premier vol en 1943) et le nouveau train d’atterrissage de type « traîneau » du modèle 429 (premier vol en 2007); voir la fig. 11.m.

[438]    La figure 11 qui apparaît dans l’article de M. Minderhoud montre une photographie du modèle 47 de Bell (équipé d’un train d’atterrissage classique) posé au sol et une photographie du Bell 429 (équipé du train Legacy) en vol. Le train Legacy illustré sur la photographie est présenté comme un produit presque fini et une percée technologique d’envergure par rapport au type classique de train d’atterrissage (encore qu’il reste peut‑être quelques essais à effectuer). Tant dans le sommaire que dans l’article, il est fait référence au fait que ce train de type « traîneau » [traduction] « a été conçu pour la première fois » par Bell. Cela fait passer un message très clair au public et aux acheteurs potentiels.

[439]    Les avocats de Bell suggèrent à la Cour de faire preuve d’indulgence. Les personnes qui ont lu l’article de M. Minderhoud sauraient que l’EC120 était déjà équipé d’un train d’atterrissage de type « traîneau » semblable. Si la déclaration qui précède suscite une certaine ambiguïté, tout doute devrait favoriser Bell. Après avoir lu cette déclaration dans le contexte de l’article tout entier de M. Minderhoud, la Cour a conclu qu’il est sous‑entendu que Bell est la « première », et on peut se demander si les mots soigneusement choisis donnent à penser que Bell est la première à avoir conçu un train d’atterrissage de type « traîneau ». Sans cela, il n’y aurait pas lieu de célébrer dans l’article le fait que le modèle Bell 429 soit le premier hélicoptère conçu par Bell à utiliser une technologie déjà connue dans le domaine. Il s’avère que le but principal de l’article était d’attirer l’attention sur la technologie de Bell et de stimuler les ventes du Bell 429; nulle part dans l’article ou dans une note de bas de page est‑il indiqué que le train d’atterrissage de type « traîneau » est en usage depuis un certain temps dans l’industrie.

[440]    Il n’est pas demandé ici d’entendre une action en responsabilité délictuelle pour des allégations de fausses déclarations. La question est de savoir s’il convient d’accorder des dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires à Eurocopter à la suite de la conclusion de la Cour selon laquelle l’acte de contrefaçon était planifié et délibéré, et que cet acte a persisté pendant une longue période (2004 à 2008), et ce, même si seulement vingt et un trains d’atterrissage ont été fabriqués pour Bell ou utilisés par cette dernière. Dans ce contexte, les observations que Bell a faites publiquement au sujet de la mise au point du train Legacy contrefait sont pertinentes pour ce qui est de déterminer si sa conduite est véritablement outrageante ou non. En fait, la Cour conclut que les observations que contient l’article de M. Minderhoud sont logiquement liées à la contrefaçon, par Bell, du brevet 787 et ajoutent à l’indignation que suscite sa conduite inacceptable.

[441]    Non seulement Bell a‑t‑elle tiré profit de son inconduite – la mise au point du train Production aurait été impossible sans la mise au point du train Legacy – mais il ressort de la preuve que Bell a dissimulé au public et aux acheteurs potentiels du Bell 429 qu’elle avait importé d’un concurrent le train d’atterrissage de type « traîneau » et copié le train Moustache de l’EC120 d’Eurocopter, tout en laissant entendre que le train Legacy était en quelque sorte une « première » chez Bell et en vantant publiquement dans l’article de M. Minderhoud les avantages singuliers du train Legacy, c’est‑à‑dire l’amélioration du comportement dynamique (résonance au sol) et un poids inférieur, des avantages qui avaient tous été déjà révélés publiquement dans le brevet 787.

[382]       Dans le jugement CAF 2013, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il n’y avait pas d’erreur manifeste et dominante dans les conclusions quant à la crédibilité et à l’appréciation de la preuve par la Cour, et a notamment formulé les observations suivantes :

[192]    Lorsqu’une personne contrefait un brevet dont la validité est reconnue, s’approprie à son compte l’invention et en fait la promotion comme si elle lui appartenait en sachant cela contraire à la vérité, cette personne s’expose à des dommages‑intérêts punitifs lorsque la restitution des profits ou des dommages‑intérêts compensatoires ne permettraient pas de réaliser les objectifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation d’une conduite de ce type. En effet, une conduite de ce type déroge nettement aux normes ordinaires de bonne conduite. Elle doit être dénoncée de façon à décourager de tels comportements à l’avenir et pour exprimer sa condamnation par l’ensemble de la collectivité.

[193]       En tenant compte de l’ensemble des circonstances, et étant donné que Bell Helicopter ne m’a pas convaincu que le juge avait commis une erreur dominante et manifeste dans l’appréciation des éléments de preuve qui lui ont été soumis, je ne modifierais pas les conclusions du juge concernant les dommages‑intérêts punitifs.

[383]       D’autres conclusions pertinentes tirées dans le jugement de 2012, ainsi que des conclusions fondées sur la preuve additionnelle qui a été produite pendant la deuxième étape de l’instruction, sont mentionnées ci‑après.

B.                 Les facteurs en jeu

[384]       La Cour suprême du Canada a déterminé six facteurs pertinents (Whiten c Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18, [2002] 1 RCS 595 (Whiten), aux paragraphes 111 à 126)  se rapportant à la quantification des dommages‑intérêts punitifs, qui devraient d’abord et avant tout viser à assurer la proportionnalité. Ces facteurs sont les suivants :

(1)               Proportionnalité de la somme au caractère répréhensible de la conduite du défendeur, qui peut être par la suite être divisé en sous‑facteurs (Whiten, au paragraphe 113);

(2)               Proportionnalité de la somme à la vulnérabilité du demandeur (Whiten, au paragraphe 114);

(3)               Proportionnalité de la somme au préjudice infligé au demandeur. Cela comprend le préjudice potentiel, qui n’aurait pu être évité que par hasard (Whiten, au paragraphe 117);

(4)               Proportionnalité de la somme au besoin de dissuasion. Cela est particulièrement important dans les cas où la conduite du défendeur est extrêmement répréhensible et connue de la haute direction (Whiten, au paragraphe 120), et ce facteur doit tenir compte des ressources financières du défendeur (les ressources de Bell Helicopter Textron Canada et de sa société mère, Bell Helicopter Textron), lorsque les ressources financières ont un lien direct avec la conduite du défendeur (Whiten, au paragraphe 119);

(5)               Proportionnalité de la somme, même après avoir tenu compte des autres sanctions, civiles et criminelles, infligées ou susceptibles d’être infligées au défendeur;

(6)               Proportionnalité de la somme aux avantages que le défendeur a injustement tirés de sa conduite répréhensible; cela permettrait d’éviter que le défendeur ne tire profit de sa contrefaçon (Whiten, aux paragraphes 124 et 125).

[385]       En tant que juge des faits ayant participé aux deux étapes de cette longue instance, la Cour a choisi d’exercer son pouvoir discrétionnaire avec retenue, et d’assurer l’« équité à l’endroit des deux parties » (Whiten, au paragraphe 95). En accordant des dommages-intérêts punitifs de 1 000 000 $, la Cour a tenu compte des circonstances particulières de l’espèce eu égard à des facteurs bien connus. La Cour s’est assurée que chacun des trois principes directeurs, à savoir le châtiment, la dissuasion et la dénonciation, établis par la Cour suprême du Canada, est respecté. La Cour est convaincue que les dommages‑intérêts punitifs accordés en l’espèce respectent le principe de la proportionnalité et sont nécessaires pour l’atteinte des trois buts (Whiten, au paragraphe 111; Robinson c Films Cinar inc, 2009 QCCS 3793, [2009] JQ n8395, inf. par 2011 QCCA 136, [2011] JQ no 9469, inf. par 2013 CSC 73, [2013] ACS n73 (Cinar), au paragraphe 126; Pate Estate v Galway-Cavendish and Harvey (Township), 2013 ONCA 669, [2013] OJ n5017 (Pate Estate), au paragraphe 238), et, en particulier, que le quantum de 1 000 000 $ « ne [dépasse pas] la somme nécessaire pour réaliser rationnellement [son] objectif » (Whiten , aux paragraphes 94 et 101; Cinar, au paragraphe 138). Pour tirer cette conclusion, la Cour a tenu compte des observations respectives des parties, qui sont, encore une fois, diamétralement opposées.

C.                 Les positions divergentes des parties

[386]       En bref, la demanderesse soutient que cinq des six facteurs énoncés dans Whiten militent en faveur de l’octroi de dommages‑intérêts punitifs plus élevés. Le sixième facteur, à savoir la vulnérabilité du demandeur, est neutre, étant donné que les parties sont plutôt égales. Plus particulièrement, la demanderesse affirme que la décision de principe Lubrizol est un précédent convaincant de la Cour, en ce sens qu’elle concerne deux grandes sociétés qui sont des concurrentes directes. Dans Lubrizol, la Cour fédérale (division de première instance) a accordé une somme de 15 000 000 $ à titre de dommages‑intérêts punitifs. Toutefois, la décision a été infirmée en appel, parce que le juge de première instance n’avait pas d’abord examiné le quantum des dommages-intérêts compensatoires, un point qui n’est pas en cause en l’espèce (jugement CF 2012, au paragraphe 455, conf. par jugement CAF 2013, aux paragraphes 173 à 179). Les parties ont par la suite procédé à un règlement, et l’on ne connaît pas le quantum que la Cour aurait accordé. Par ailleurs, la Cour d’appel fédérale a indirectement approuvé la somme de 15 000 000 $ en principe lorsqu’elle a reconnu que le juge de première instance avait pris en compte les principes pertinents et que le montant aurait pu être plus ou moins élevé tant et aussi longtemps qu’il avait l’effet dissuasif visé. La demanderesse soutient en outre que ce montant, si l’on tient compte de l’inflation, équivaudrait maintenant à 22 200 000 $. Compte tenu de tous ces éléments, la demanderesse prie la Cour de bien vouloir lui accorder une somme de 25 000 000 $ de dommages‑intérêts punitifs.

[387]       La défenderesse fait valoir qu’il faut établir une distinction entre la présente affaire et Lubrizol pour plusieurs raisons. Premièrement, la décision de la Cour fédérale rendue dans Lubrizol a été infirmée par la Cour d’appel fédérale, qui a clairement fait observer qu’une somme aussi importante devrait être étayée par la preuve à toutes les étapes de l’instance. De plus, l’affaire a fait l’objet d’un règlement, de sorte qu’il n’existe pas de décision définitive découlant du renvoi de l’affaire au juge de première instance. Deuxièmement, la somme de 15 000 000 $ accordée était largement fondée sur le fait que la défenderesse avait violé une injonction interlocutoire ordonnée par la Cour. Troisièmement, dans Whiten, la Cour suprême du Canada a exprimé des inquiétudes au sujet de Lubrizol. De plus, d’autres facteurs d’atténuation découlent du fait que l’objectif de dénonciation de la conduite irrégulière de la défenderesse avait déjà été atteint au moyen de la couverture médiatique du jugement CF de 2012, en fonction duquel le président de la défenderesse a publiquement exprimé ses remords à l’endroit de la Cour, lors de l’instruction relative à la question des dommages-intérêts, et a expliqué que de nouvelles mesures avaient été adoptées pour éviter qu’une telle situation déplorable ne se reproduise.

[388]       La Cour souscrit à l’interprétation que la défenderesse fait de Lubrizol. Une mise en garde s’impose en ce qui concerne l’octroi de dommages-intérêts punitifs de 15 000 000 $. Bien que la CAF n’ait pas en tant que tel invalidé la décision relative au quantum des dommages‑intérêts punitifs, elle ne l’a pas non plus confirmée. La Cour d’appel fédérale souligne le principe selon lequel les dommages-intérêts exemplaires ne peuvent être accordés « que dans les situations où les dommages intérêts généraux et majorés réunis ne permettent pas d’atteindre l’objectif qui consiste à punir et à dissuader » (Hill c Église de scientologie de Toronto, 1995 CanLII 59 (CSC), [1995] 2 RCS 1130, 126 DLR (4th) 129, au paragraphe 196). Par la suite, la CAF a décidé qu’elle ne pouvait évaluer le montant adéquat des dommages‑intérêts exemplaires qu’après avoir tranché la question de savoir si les dommages‑intérêts généraux ne permettaient pas d’atteindre les objectifs consistant à punir et à dissuader. La Cour d’appel fédérale n’a jamais eu l’occasion de se pencher à nouveau sur la question, étant donné que les parties ont réglé l’affaire. Par conséquent, cette affaire ne peut constituer un précédent en ce qui a trait au montant accordé pour des dommages‑intérêts punitifs ou exemplaires en première instance. Toutefois, la Cour accepte le principe général établi dans Lubrizol concernant le pouvoir discrétionnaire important dont disposent les juges de première instance pour fixer le montant adéquat des dommages‑intérêts punitifs.

[389]       En revanche, la défenderesse accepte sa responsabilité quant au paiement des dommages‑intérêts punitifs, mais affirme que tout montant établi par la Cour devrait être conforme à la jurisprudence canadienne la plus récente sur le sujet. Bien que des dommages‑intérêts de plus de 1 000 000 $ aient été antérieurement accordés, la défenderesse soutient que l’octroi de dommages‑intérêts punitifs de 100 000 $ ou de 250 000 $ serait conforme à la jurisprudence et à l’approche exposée par la Cour suprême du Canada dans Whiten.

[390]       La défenderesse soutient qu’un examen de quelque 100 cas dans lesquels des dommages‑intérêts punitifs ont été accordés par les tribunaux canadiens entre 2011 et 2016 révèle que la vaste majorité des montants octroyés se situent dans une fourchette allant de 5 000 $ à 150 000$, alors qu’une étude portant sur plus de 25 cas dans lesquels des dommages‑intérêts punitifs ont été accordés par des tribunaux du Québec établit que la vaste majorité des montants octroyés se situent dans une fourchette allant de 10 000 $ à 250 000 $ (les exceptions étant Cinar et Markarian c Marchés mondiaux CIBC Inc, 2006 QCCS 3314, [2006] QJ no 5467 (Markarian)). La défenderesse fait observer qu’il y a dans quatre cas dans lesquels des montants de 1 000 000 $ et plus ont été accordés, notamment 1 500 000 $ que la Cour supérieure du Québec a octroyé dans Markarian, au paragraphe 685, 1 000 000 $ que la Cour suprême du Canada a accordé dans Whiten et 1 000 000 $ que la Cour d’appel du Québec a octroyé dans Agence du revenu du Québec c Groupe Enico Inc, 2016 QCCA 76, [2016] JQ no 366 (Agence du Revenu), au paragraphe 185. La défenderesse souligne qu’une caractéristique déterminante de toutes les affaires dans lesquelles des dommages‑intérêts de 1 000 000 $ ou plus ont été accordés est la vulnérabilité du demandeur qui a subi un préjudice par suite des actes et des violations commis pas un défendeur puissant. Au contraire, en l’espèce, la défenderesse fait valoir que cet élément de vulnérabilité est absent, puisque la demanderesse est une société plus importante et plus puissante que la défenderesse.

[391]       La défenderesse souligne que l’attribution de dommages­­‑intérêts punitifs dans les affaires relatives à la propriété intellectuelle est particulièrement instructive en l’espèce et qu’une étude portant sur plus de 30 jugements définitifs, dans lesquels les tribunaux canadiens ont accordé des dommages-intérêts punitifs dans le contexte de la propriété intellectuelle entre 1994 et 2016, révèle que la plupart des montants accordés se situent dans une fourchette allant de 10 000 $ à 50 000 $. Voici des exemples de cas où une attribution de dommages‑intérêts punitifs plus élevés a été qualifiée d’importante : Microsoft Corp c 1276916, 2009 CF 849, [2009] ACF no 1023, au paragraphe 46; Annie Pui Kwan Lam c Chanel S de RL, Chanel Limited and Chanel Inc, 2016 CAF 111, [2016] ACF n368 (Chanel CAF 2016), au paragraphe 23. En ce qui concerne Cinar, la défenderesse soutient que la décision constitue le [traduction] « point culminant » en ce qui a trait aux dommages‑intérêts punitifs dans les affaires canadiennes relatives à la propriété intellectuelle, soit un octroi de 500 000 $. Toutefois, il y a lieu d’établir une distinction entre les circonstances dans Cinar et celles en l’espèce, du fait de la vulnérabilité du demandeur dans cette affaire-là ainsi que de la nature personnelle du préjudice.

[392]       En réplique, la demanderesse conteste les observations formulées par la défenderesse de la manière suivante :

(1)               Le quantum des dommages-intérêts punitifs établi dans d’autres affaires en matière de propriété intellectuelle ne lie pas la Cour. Les dommages‑intérêts punitifs constituent une question de fait. C’est pourquoi ils peuvent être déterminés par un jury (Whiten, au paragraphe 136). Par exemple, les dommages-intérêts punitifs accordés dans Whiten étaient 20 fois plus élevés que dans n’importe quel autre cas antérieur portant sur le droit des assurances;

(2)               Les dommages‑intérêts punitifs ne devraient pas être réduits pour des raisons d’ordre public, afin de favoriser les contestations visant les monopoles illégitimes causés par des brevets invalides, comme la Cour d’appel fédérale l’a reconnu dans le jugement CAF 2013, aux paragraphes 180 et 184;

(3)               La couverture médiatique ne constitue pas une sanction civile ou criminelle ayant un caractère atténuant, comme le prévoit la Cour suprême du Canada dans Whiten, au paragraphe 123;

(4)               Les observations de la défenderesse selon lesquelles aucun intérêt ne devrait être accordé sur les dommages‑intérêts punitifs sont dénuées de fondement.

[393]       La Cour est d’accord avec la demanderesse sur le fait que la limitation des dommages‑intérêts punitifs à certaines catégories de réclamations a été rejetée par la Cour suprême du Canada, alors que les tribunaux ont spécifiquement conclu que des dommages‑intérêts punitifs pouvaient aussi être accordés dans les affaires de brevet, comme en l’espèce, lorsque la preuve démontre l’existence d’une conduite abusive, malveillante, arbitraire ou extrêmement répréhensible, qui déroge nettement aux normes ordinaires de bonne conduite (jugement CAF 2013, aux paragraphes 181, 183 et 184). Toutefois, comme l’a fait observer la Cour suprême du Canada dans Whiten, « [s]i l’addition des dommages intérêts punitifs aux dommages-intérêts compensatoires produit une somme si « extraordinairement élevé[e] » qu’elle excède celle qui serait « rationnellement » nécessaire pour punir le défendeur, les dommages intérêts punitifs seront réduits ou annulés en appel » (Whiten, au paragraphe 109). À cet égard, « [u]ne somme plus élevée que nécessaire est, par définition, irrationnelle. La plus grande difficulté consiste à déterminer ce qui est “extraordinaire” » (Whiten, au paragraphe 110). À cet égard, la « proportionnalité » a été déterminée comme étant « la clé permettant d’établir le quantum permissible des dommages intérêts punitifs. Le châtiment, la dénonciation et la dissuasion sont des justifications acceptées relativement à l’attribution de dommages intérêts punitifs, et le moyen utilisé doit être rationnellement proportionné au but visé » (Whiten, au paragraphe 111).

[394]       En renvoyant à Whiten, la Cour d’appel fédérale a conclu, dans Chanel, que la portée du contrôle de l’adjudication de dommages‑intérêts punitifs était plus vaste que celle visant d’autres dommages‑intérêts et qu’il est justifié qu’une cour de révision intervienne pour réduire les dommages-intérêts punitifs si elle conclut qu’ils sont plus élevés que ce qui est exigé par le critère de la rationalité (Chanel CAF 2016, au paragraphe 24). Bien qu’elle ait qualifié de « plutôt minces » les motifs de la Cour fédérale sous‑jacents à l’attribution de dommages-intérêts punitifs de 250 000 $ dans Chanel et qu’elle ait fait observé qu’il était « difficile de discerner avec précision le fondement de cette adjudication », la Cour d’appel fédérale a néanmoins conclu que « [c]ela ne rend cependant pas nécessairement une adjudication de cette importance susceptible d’annulation en appel, les conclusions et motifs donnés à son soutien ayant une incidence importante » et qu’« [i]l est donc tout à fait possible […] que des dommages intérêts punitifs de 250 000 $ se justifient dans un cas comme l’espèce, et ce, même si ceux ci sont plus élevés que ce que la jurisprudence a précédemment établi » (Chanel CAF 2016, aux paragraphes 23 et 25).

[395]       Comme l’a souligné la Cour d’appel fédérale dans Chanel (Chanel CAF 2016, au paragraphe 24), les éléments pertinents à l’appréciation de la rationalité comprennent la proportionnalité entre le montant adjugé et le degré de faute du défendeur, la vulnérabilité relative du demandeur, la nature et le degré du préjudice subi par le demandeur ainsi que le besoin de dissuasion générale et spécifique. De plus, le montant adjugé devrait être considéré dans son contexte, ce qui inclut la portée et l’importance des autres réparations accordées ou qui seront probablement accordées à l’encontre du défendeur, afin de s’assurer que le montant adjugé ne soit pas plus élevé que ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs de la Cour en adjugeant des dommages‑intérêts punitifs. En ce qui concerne la proportionnalité, un des aspects les plus fondamentaux des dommages‑intérêts punitifs consiste à faire en sorte que le défendeur ne voit pas les dommages‑intérêts compensatoires simplement comme des frais à payer pour être autorisé à agir comme bon lui semble, sans égard aux droits d’ordre juridique ou autres du demandeur (Whiten, au paragraphe 124). Lorsque les dommages‑intérêts compensatoires sont peu élevés et qu’ils ne permettraient pas d’atteindre l’objectif qui consiste à punir, à dénoncer et à dissuader, il peut être nécessaire d’accorder des dommages-intérêts punitifs plus élevés (Profekta International Inc c Lee (Fortune Book & Gift Store), [1997] ACF no 527 (Profekta), au paragraphe 4). Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada, il est tout à fait acceptable d’utiliser les dommages‑­intérêts punitifs pour dépouiller l’auteur de la faute des profits qu’elle lui a rapportés lorsque le montant des dommages‑intérêts compensatoires ne représenterait rien d’autre pour lui qu’une dépense lui ayant permis d’augmenter ses bénéfices tout en se moquant de la loi (Cinar, au paragraphe 136).

D.                Examen des facteurs établis dans Whiten

[396]       Après avoir conclu que la somme de 500 000 $ attribuée au titre de dommages-intérêts compensatoires tel qu’elle a été calculée ci‑dessus (à la section VI – L’attribution de dommages‑intérêts compensatoires) ne permettrait pas, en l’espèce, d’atteindre l’objectif de punir et de dissuader, et après avoir successivement examiné individuellement et dans l’ensemble les facteurs établis dans Whiten, la Cour est convaincue que la somme supplémentaire de 1 000 000 $ de dommages‑intérêts punitifs est rationnellement proportionnée au caractère répréhensible de la conduite de la défenderesse, à la vulnérabilité de la demanderesse, au préjudice infligé à la demanderesse, au besoin de dissuasion ainsi qu’à l’existence d’autres sanctions et avantages que la défenderesse a injustement obtenus, comme cela est expliqué davantage ci‑dessous.

[397]       À ce stade‑ci, avant d’examiner les facteurs mentionnés dans Whiten, la Cour tient à souligner que les faits de l’espèce se distinguent manifestement, à plusieurs égards, des faits de Lubrizol, mais aussi de ceux d’un grand nombre d’affaires citées par la défenderesse. Bien que la Cour conclue qu’aucun montant de dommages-intérêts punitifs situé dans la gamme des montants qui ont été octroyés dans Lubrizol ne serait irrationnel et extraordinairement élevé, la somme proposée, qui se situe entre 150 000 $ et 250 000 $, ne permettrait pas de réaliser les objectifs de l’attribution des dommages-intérêts punitifs (châtiment, dissuasion et dénonciation). Compte tenu de la jurisprudence, si la Cour devait fournir une quelconque indication non contraignante, les dommages-intérêts punitifs à accorder dans un litige mettant en cause deux sociétés multinationales pourraient se situer entre 500 000 $ et 2 000 000 $, selon les circonstances. La Cour a retenu la somme de 1 000 000 $, qui se situe au milieu de l’échelle. Ceci découle du fait que, bien qu’il existe des facteurs aggravants, il existe aussi des facteurs atténuants dans cette affaire en particulier.

1.                  La proportionnalité de la somme au caractère répréhensible de la conduite du défendeur

[398]       Dans Whiten, aux paragraphes 112 et 113, la Cour suprême du Canada a énoncé les sous‑facteurs suivants concernant l’examen du caractère répréhensible de la conduite d’un défendeur :

(1)               Le fait que la conduite répréhensible ait été préméditée et délibérée;

(2)               L’intention et la motivation du défendeur;

(3)               Le caractère prolongé de la conduite inacceptable du défendeur;

(4)               Le fait que le défendeur ait caché sa conduite répréhensible ou tenté de la dissimuler;

(5)               Le fait que le défendeur savait ou non que ses actes étaient fautifs;

(6)               Le fait que le défendeur ait ou non tiré profit de sa conduite répréhensible;

(7)               Le fait que le défendeur savait que sa conduite répréhensible portait atteinte à un intérêt auquel le demandeur attachait une grande valeur ou à un bien irremplaçable.

[399]       La Cour a déjà conclu en 2012 que l’inconduite de Bell était planifiée et délibérée (jugement CF 2012, au paragraphe 433), que son intention et sa motivation étaient de produire un train plus léger ayant les avantages (résonance au sol) mentionnés dans le brevet 787, que la contrefaçon s’était poursuivie pendant un certain nombre d’années, que la direction de Bell savait que les actes de celle‑ci étaient fautifs et qu’elle avait persisté dans son inconduite, tout en prétendant que le train Legacy était sa propre technologie et en promouvant les ventes du Bell 429.

[400]       Il convient de reproduire les paragraphes 431 à 434 du jugement CF 2012 :

[431]    Il n’y a eu aucune erreur de fait. Chez Bell et Textron, on savait que le train de type « traîneau » ressemblait étroitement au train Moustache de l’EC120. M. Gardner a même déclaré que le train Legacy présente toutes les caractéristiques du train Moustache (à l’exception de la courbure inférieure). Cependant, M. Lambert ne s’en est pas soucié, car c’était le travail de M. Foster de faire les recherches nécessaires. En fait, selon une preuve fournie au cours de l’examen préalable, lorsque des doutes ont été soulevés au sujet de la similitude entre le train Legacy et le train d’atterrissage de l’EC120, M. Foster a dit aux ingénieurs de Bell de [traduction] « poursuivre le travail ». Ce faisant, Bell a agi de façon téméraire (en fait, les gestes qu’elle a posés sont contraires à ses propres manuels de politique) et sa conduite représentait un écart marqué par rapport aux normes ordinaires en matière de comportement acceptable.

[432]    Lorsqu’elle a conçu son train de type « traîneau », Bell était – ou aurait dû être – au courant de l’existence du brevet 787. Il est invraisemblable qu’entre 2003 et mai 2008, Bell n’était pas au courant des droits de propriété intellectuelle d’Eurocopter. Là encore, il incombait à M. Foster de veiller à ce que le dessin choisi ne contrefasse pas le brevet 787; il n’a pas été appelé comme témoin. M. Minderhoud, qui avait participé de près aux calculs relatifs au train Legacy et qui en avait publiquement loué la performance, aurait dû le savoir lui aussi; lui non plus n’a pas témoigné au procès. Bell avait un Service de propriété intellectuelle qui était expressément chargé de vérifier les contrefaçons possibles; aucun employé de ce service n’a témoigné au procès, tandis que Bell s’est opposée, pour des questions de privilège, à des demandes d’avis, ou a par ailleurs été évasive sur le sujet. Il est donc loisible à la Cour de tirer une inférence défavorable de ces diverses omissions.

[433]    Selon la prépondérance des probabilités, la Cour conclut qu’il existe une preuve évidente de mauvaise foi et de conduite inacceptable de la part de Bell. Il n’est pas question ici d’une situation dans laquelle la contrefaçon est minime, banale ou isolée, ou d’une situation dans laquelle la partie défenderesse est peu informée ou ignorante. Nous avons affaire ici à une question d’aveuglement volontaire ou de détournement délibéré et planifié de l’invention revendiquée. Eurocopter a prouvé que la contrefaçon du brevet 787, par la fabrication et l’utilisation du train Legacy, n’était pas innocente ou accidentelle.

[434]    La preuve établit de manière concluante que Bell avait des plans concernant la fabrication du train et l’intégration de ce dernier à son modèle Bell 429, aussitôt qu’elle pourrait le faire homologuer. Bell a fait une promotion active des ventes du Bell 429 équipé du train Legacy. Bell n’a fait preuve d’aucun remords et n’a offert aucune excuse pour son comportement. Niant l’existence d’une contrefaçon, Bell a adopté une position vindicative durant toute l’instance, plaidant qu’elle pouvait se prévaloir de l’exception de nature réglementaire ou expérimentale et qu’elle ne faisait qu’appliquer des réalisations antérieures.

[401]       Bell a aussi tiré profit de son inconduite. Comme la Cour l’a déjà conclu, en 2012, les experts d’Airbus supposent que les avantages économiques réalisés par Bell comprennent les économies relatives aux coûts du capital se rapportant à la sollicitation ainsi qu’à la collecte d’acomptes versés par les clients en utilisant les hélicoptères Bell 429 équipés d’un train Legacy contrefait, les économies de coûts ainsi que les bénéfices additionnels découlant du fait de ne pas devoir refaire les essais relatifs à l’optimisation et à la certification, les économies de coûts et les bénéfices additionnels découlant du fait que Bell a préféré adopter le train d’atterrissage contrefait plutôt que d’utiliser son propre train d’atterrissage mis au point de façon indépendante ainsi qu’une meilleure relation avec les clients et une valeur de la marque accrue par suite de l’introduction sur le marché par Bell du modèle d’hélicoptère Bell 429 (jugement CF 2012, au paragraphe 441). Les parties ont longuement débattu les questions relatives au lien de causalité et à la quantification des avantages en vue de déterminer le degré de gravité de la conduite de la défenderesse. Toutefois, il n’est pas nécessaire que la Cour détermine un chiffre précis traduisant la mesure dans laquelle la défenderesse a tiré profit de son inconduite. Un octroi de 1 000 000 $ au titre des dommages-intérêts punitifs n’est sûrement pas disproportionné à la conduite répréhensible de la défenderesse ni aux avantages directs et indirects découlant de son inconduite. À cet égard, cette somme tient aussi compte des facteurs atténuants qui militent en faveur de la défenderesse.

[402]       Lors de son interrogatoire principal, Mme Garneau a dit qu’elle était familière avec le jugement de la Cour déclarant que Bell avait intentionnellement contrefait le brevet d’Airbus et ordonnant à Bell de payer des dommages-intérêts compensatoires et punitifs. À titre de preuve de leur repentir relativement au présent litige, Mme Garneau a fait la déclaration publique suivante :

[traduction]

J’aimerais […] présenter mes excuses à Airbus, aux employés d’Airbus ainsi qu’aux personnes qui, chez Airbus, ont été mises en cause dans toute cette affaire‑là. J’aimerais également présenter mes excuses à la Cour. Bell Helicopter accepte évidemment le jugement, en prend acte et en comprend les termes. Et elle est vraiment désolée. Encore une fois, j’aimerais présenter des excuses, en mon nom propre et au nom des employés de Bell Helicopter, à quiconque ayant été lésé par cette situation tout à fait regrettable.

[403]       Toutefois, comme l’ont souligné les avocats d’Airbus, les excuses sont arrivées très tard et n’expriment pas un véritable repentir, alors que c’est la première fois que Bell s’excuse pour la situation ayant conduit à la présente instance. En outre, Mme Garneau a judicieusement décrit la présente affaire comme étant une [traduction] « situation […] regrettable », ce qui donne à penser que Bell croit toujours qu’elle n’a rien fait de mal, alors qu’après avoir épuisé toutes les voies de recours, elle est maintenant prête à accepter le caractère définitif du jugement CF 2012. Le même raisonnement vaut pour le témoignage de Mme Garneau lors de son contre‑interrogatoire, lors duquel elle a mentionné qu’elle souscrivait à la déclaration de John Garrison, président et chef de la direction de Bell Helicopter, lorsqu’il avait déclaré que : [traduction] «  Jamais Bell Helicopter ne violerait sciemment la propriété intellectuelle d’autrui ». Toutefois, elle avait également mentionné qu’elle était au courant du fait que, dans le jugement CF 2012, la Cour avait conclu que Bell avait sciemment et délibérément contrefait le brevet. Dans son témoignage, Mme Garneau a déclaré que la distinction reposait peut‑être sur les commentaires formulés par M. Garrison au sujet du train d’atterrissage produit pour le Bell 429, et non du train Legacy évoqué dans le jugement. En effet, Mme Garneau a reconnu, en contre‑interrogatoire, que ce n’était que récemment qu’elle avait été informée du jugement de 2012 rendu par la Cour, et que ce jugement n’avait pas été largement diffusé à l’interne chez Bell.

[404]       La défenderesse plaide en outre que la présente situation ne se reproduira probablement plus. Dans son témoignage à huis clos, Mme Garneau a déclaré que Bell avait depuis lors mis en œuvre des politiques et des procédures se rapportant à la propriété intellectuelle. Elle a souligné que le programme d’éthique et de conformité des employés comporte une section qui porte sur la protection des renseignements, des biens corporels et incorporels de la société et des tiers, et que ce guide renferme aussi des dispositions précises relatives à la gestion de la propriété intellectuelle de Bell Helicopter et des tiers. Le guide renvoie également au manuel intitulé « Bell Helicopter Textron Intellectual Property Management Manual » ([traduction] « Manuel de gestion de la propriété intellectuelle de Bell Helicopter Textron »)  (le manuel de Textron) qui énonce les grands paramètres que chaque secteur commercial chez Textron doit respecter en ce qui a trait à la gestion de la propriété intellectuelle (transcription, volume 4, aux pages 205 et 206). De plus, le programme comporte un volet de formation continue important, dont des séminaires en ligne auxquels les employés ont accès 24 heures sur 24, sept jours sur sept, ainsi qu’une formation en personne qui est précisément axée sur la gestion de la propriété intellectuelle. Cette formation est fournie par des avocats de Bell qui se trouvent au siège et qui se rendent à Mirabel pour former des groupes qui en ont besoin dans leurs tâches quotidiennes. Mme Garneau a ensuite fait observer que, du fait de la présente affaire, le service du contentieux de Fort Worth avait engagé des ressources supplémentaires spécialisées dans le domaine de la propriété intellectuelle pour aider l’avocat oeuvrant en matière de propriété intellectuelle qui avait été initialement embauché en 2005. Actuellement, des personnes travaillent côte à côte avec les groupes chargés de l’innovation, les groupes chargés de la recherche et développement, pour veiller à ce que les nouveaux brevets soient minutieusement examinés, de manière à éviter tout conflit potentiel et pour faire en sorte que les nouveaux produits mis au point ne contrefassent aucun brevet existant. Il existe également un processus appelé « NP and SI – New Product and Service Introduction » ([traduction] « NP et IS – nouveau produit et introduction de services »). Il s’agit d’un processus très rigoureux qui exige que diverses étapes soient réalisées avec succès avant qu’un produit ne passe au stade de la fabrication et de la certification. Fin du témoignage à huis clos.

[405]       Malgré les conclusions tirées par la Cour en 2012, la défenderesse plaide pour des dommages‑intérêts punitifs peu élevés en invoquant sa bonne conduite. Selon le témoignage de Mme Garneau, mise à part l’actuelle affaire d’Airbus, Bell n’a pas été poursuivie au Canada pour des allégations de contrefaçon de brevet. Mme Garneau a indiqué qu’aux États‑Unis, une action avait été intentée contre BHTI concernant une affaire de propriété intellectuelle : Clear with Computers LLC contre un certain nombre de défendeurs, dont BHTI (pièce D‑93/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). L’affaire a été rejetée par ordonnance judiciaire. La défenderesse soutient aussi que, par rapport aux autres décisions judiciaires rendues en matière de contrefaçon de brevet, la conduite répréhensible de Bell n’a pas persisté pendant longtemps. Lorsque la défenderesse a été poursuivie par Airbus en mai 2008, elle a commencé à travailler sur le train Production. En février 2009, à l’HELI EXPO à Anaheim, en Californie, la défenderesse n’a fait que la publicité du Bell 429 équipé du train Production. En outre, c’est un fait non contesté que Bell a respecté les ordonnances de la Cour en prenant des mesures pour placer en quarantaine non seulement les trains, mais aussi tout le matériel de commercialisation. Il n’est pas non plus contesté que Bell a détruit 20 des 21 trains placés en quarantaine à la suite de l’ordonnance de la Cour (dossier d’instruction de la demanderesse, stipulation du 9 mai 2016). Comme exemples au contraire, dans Cinar, la violation du droit d’auteur s’est étendue sur dix ans, alors que, dans Evocation, la violation s’est poursuivie pendant environ huit ans. En réplique, la demanderesse rappelle à l’intention de la Cour que la contrefaçon a été commise pendant quatre ans, ce qui représente le double de la période visée par la contrefaçon dans Whiten, où des dommages‑intérêts punitifs de 1 000 000 $ ont été accordés.

[406]       En résumé, la défenderesse affirme que les actes contestés de Bell ont été posés dans un contexte commercial dans lequel Bell n’a violé aucun droit de nature très personnelle ou irremplaçable. Ainsi, la conduite de la défenderesse est loin de constituer une inconduite grave et prolongée comme dans les autres affaires en matière de propriété intellectuelle qui ont suscité une attribution de dommages-intérêts punitifs élevés (argumentation finale de Bell, aux paragraphes 440 à 442).

[407]       Bien qu’un certain nombre de facteurs atténuants soient actuellement pris en compte, la Cour n’est pas convaincue que le passage de la défenderesse au train Production vers février 2009 démontre un engagement clair, à ce moment‑là, de respecter les droits de propriété intellectuelle de la demanderesse. Bell a continué à affirmer qu’elle n’avait pas contrefait le brevet 787, en invoquant la défense Gillette et l’exception pour cause expérimentale (jugement CF 2012, aux paragraphes 50 et 55). De plus, la décision américaine qui a examiné les intentions réelles derrière la conduite de la défenderesse est particulièrement pertinente (pièce D‑117) :

[traduction]

Bien que le représentant de Bell ait affirmé dans son témoignage que celle‑ci n’avait pas l’intention d’utiliser le train classique dans l’avenir, voir FF. 133, la Cour n’est pas convaincue qu’elle peut se fier à cette déclaration. Le témoin de Bell n’était pas entièrement crédible sur ce point. Voir FF 21, 88 et 134. De plus, même si Bell adopte volontairement une politique d’utilisation d’un train différent, elle a, dans le passé, fait abstraction de ses propres politiques en ce qui concerne les droits de propriété intellectuelle. Voir FF. 27.

La Cour n’est pas non plus convaincue que le passage de Bell au train modifié démontre qu’elle s’est engagée à respecter les droits de propriété intellectuelle d’Airbus. Les mesures de Bell relatives à ce train d’atterrissage ont été prises en réaction au litige canadien; voir FF. 129 à 131, qui peut avoir un pouvoir de dissuasion limité aux États‑Unis. Et, en réalité, l’introduction de la présente action par Bell donne à penser que cette dernière souhaite utiliser le train original dans l’avenir.

[Non souligné dans l’original.]

[408]       La Cour a également tenu compte du fait que Bell avait actuellement des politiques permettant d’éviter que de telles situations ne se reproduisent. Toutefois, des politiques semblables existaient au moment de la contrefaçon du brevet 787 et elles n’ont pas empêché la haute direction, en la personne de M. Malcolm Foster, d’ordonner de « poursuivre le travail », en dépit du fait que le personnel subalterne avait exprimé des inquiétudes. Un montant élevé de dommages‑intérêts punitifs servira de moyen dissuasif puissant à l’égard de la société et permettra d’éviter qu’une inconduite de ce genre ne se reproduise, surtout dans un contexte où les employés subalternes peuvent craindre pour leur poste et où la société n’a pris aucune mesure à l’encontre de l’un ou l’autre membre de la direction personnellement responsable d’une conduite répréhensible (Whiten, au paragraphe 120; Groupe Enico inc c Agence du revenu du Québec, 2013 QCCS 5189, [2013] JQ no 14228, au paragraphe 1098, conf. dans Agence du Revenu, aux paragraphes 168 et 169).

[409]       Bell et sa société mère, Textron Inc., sont aussi des personnes morales sophistiquées, qui emploient des milliers d’ingénieurs et du personnel hautement qualifié. Les deux disposent d’un service juridique et de propriété intellectuelle (jugement CF 2012, au paragraphe 427). Des logiciels perfectionnés permettent d’effectuer des recherches et de trouver des demandes et des brevets concernant le secteur des hélicoptères aux quatre coins du monde. En fait, à l’époque de la contrefaçon, il existait un manuel de politiques et des lignes directrices au sujet des questions de propriété intellectuelle, y compris des mesures permettant d’éviter de violer les droits de propriété intellectuelle valides que détenaient d’autres entités (voir les pièces JB‑397 et JB‑398). En ce qui concerne le manuel de Textron de 2005, Mme Garneau a déclaré dans son témoignage qu’il n’avait jamais été appliqué en tant que politique, tel qu’il était formulé à l’époque, et qu’il n’avait jamais été suivi ou utilisé par le service juridique ou les employés chez Bell Helicopter. Elle a ajouté que l’on se fondait essentiellement sur la politique de Textron, le guide de Textron, pour traiter les questions relatives à la propriété intellectuelle mentionnées dans le code d’éthique de l’employé. En contre‑interrogatoire, elle a confirmé que, dans les faits, les employés de Bell suivaient une autre politique, et que cette politique n’avait pas été présentée à la Cour. Cette déclaration soulève de sérieuses inquiétudes au sujet de l’application adéquate de la politique sur la PI de la défenderesse. En effet, la preuve au dossier a montré que des employés de Bell ont soulevé des inquiétudes tôt au sujet des similitudes entre le train Legacy et le train Moustache; pourtant, rien n’a été fait pour apaiser ces inquiétudes. Pour une grande société sophistiquée comme Bell Helicopter, il était simplement inacceptable que personne ne vérifie les droits de propriété intellectuelle avant que Bell n’entreprenne, comme elle l’a fait, un programme de recherche portant directement sur l’étude du train d’atterrissage d’un hélicoptère EC 120 loué. Un tel comportement téméraire constituerait par ailleurs un aveuglement volontaire (jugement CF 2012, au paragraphe 429).

[410]       Récemment, la Cour suprême des États‑Unis a, à l’unanimité, rejeté le critère rigide « Seagate » établi par le Circuit fédéral et permettant d’accorder des dommages-intérêts accrus en matière de brevet, qui peuvent être qualifiés de dommages-intérêts punitifs dans le droit des brevets au Canada (Halo Electronics, Inc, Petioner v Pulse Electronics, Inc, and al; Stryker Corporation, and al Petionners v Zimmers, Inc, et al, (2016) 136 S Ct 1923). Dans ces deux affaires réunies, deux sociétés sophistiquées avaient intenté une poursuite pour contrefaçon de leur brevet par leur concurrent. La Cour suprême des États‑Unis a conclu que les exigences minimales définies par le critère Seagate n’étaient pas conformes à la disposition portant sur les dommages‑intérêts accrus énoncée dans la loi sur les brevets, 35 USC § 284. Bien qu’il ait été conclu que le critère Seagate était [traduction] « trop strict », la Cour suprême des États‑Unis n’a pas infirmé le principe selon lequel [traduction] « le fait pour le contrefacteur de ne pas obtenir les conseils d’un avocat […] ne peut être invoqué pour prouver que la personne accusée de contrefaçon s’est volontairement livrée à la contrefaçon ». Toutefois, la Cour suprême des États‑Unis a conclu qu’une personne qui contrefait un brevet peut néanmoins échapper à toute sanction grâce à l’ingéniosité de son avocat :

[traduction]

Le critère Seagate aggrave le problème en ce sens qu’il rend déterminante la capacité du contrefacteur de trouver une défense raisonnable (même si elle est infructueuse) dans une instance en contrefaçon. L’existence d’une telle défense soustrait le contrefacteur à la condamnation à des dommages‑intérêts accrus, même s’il n’a pas agi sous le fondement de la défense ou qu’il n’en avait même pas connaissance. Selon cette norme, le contrefacteur d’un brevet, qui contrefait le brevet sans qu’il existe des raisons de supposer que sa conduite est probablement défendable, peut néanmoins échapper à toute sanction prévue au § 284, simplement grâce à l’ingéniosité de son avocat. Toutefois, la culpabilité est généralement appréciée en fonction de la connaissance de l’auteur au moment de la conduite contestée.

[Non souligné dans l’original.]

[411]       Dans ses observations supplémentaires, la défenderesse a fait valoir que cette décision américaine n’était pas pertinente en l’espèce, compte tenu du fait que la question spécifique dans Halo était de savoir [traduction] « dans quels cas » les dommages-intérêts accrus pouvaient être accordés. En l’espèce, la Cour a déjà décidé que des dommages‑intérêts punitifs devaient être accordés. En outre, la défenderesse souligne que la cour américaine peut, en vertu de l’article 284 de la loi américaine sur les brevets, augmenter les dommages-intérêts jusqu’au triple du montant de dommages‑intérêts compensatoires fixé.

[412]       Le fait que la présente attribution de dommages‑intérêts punitifs de 1 000 000 $ soit le double du montant de 500 000 $ accordé au titre des dommages-intérêts compensatoires n’est dicté par aucune formule automatique ni par aucun coefficient de multiplication, mais découle d’une appréciation des facteurs énoncés dans Whiten, à la lumière des faits particuliers de la présente affaire. Bien qu’il ait été conclu que la défenderesse avait aussi contrefait le brevet américain (de même que le brevet français), la Cour est d’accord avec la défenderesse pour dire qu’une application littérale de l’article 284 de la loi américaine sur les brevets ne serait pas appropriée, puisque l’augmentation du montant à trois fois celui des dommages-intérêts compensatoires irait à l’encontre de la règle de la proportionnalité décrite dans Whiten. Toutefois, l’affaire est tout de même utile en ce qui a trait aux conséquences qu’elle emporte, pour une société puissante et bien informée, quant au respect de la politique sur la PI dès le début. En effet, la Cour suprême des États‑Unis a effectivement accordé un plus grand pouvoir discrétionnaire aux tribunaux américains pour imposer des dommages‑intérêts accrus contre des contrefacteurs agissant de manière délibérée et intentionnelle, en particulier à ceux qui ne respectent pas les lois sur la PI dans l’espoir que leur avocat assurera une défense plausible de leur conduite en cas de litige ultérieur.

[413]       Suivant ce principe, la Cour attache beaucoup d’importance à la conduite répréhensible de la défenderesse. Les conclusions tirées dans la première phase de l’instance ont établi que l’inconduite de la défenderesse était planifiée et délibérée. En effet, Bell a intentionnellement loué et utilisé un hélicoptère EC120, non pas à des fins [traduction] « comparatives » avec des produits concurrents, mais plutôt pour importer et copier la technologie brevetée unique et nouvelle que la demanderesse avait mise au point (jugement CF 2012, aux paragraphes 429 et 430). Il ressort également de la preuve que la défenderesse a fait la promotion du train Legacy contrefait comme étant sa propre invention (jugement CF 2012, aux paragraphes 272 et 273, ainsi que 439 à 441). L’article de M. Minderhoud (JB‑224) énonce qu’un [traduction] « train d’atterrissage à patins de type « traîneau » a été conçu pour la première fois par Bell Helicopter pour l’intégrer à son hélicoptère civil, le modèle 429 ». En bref, tous ces éléments militent en faveur d’une attribution de dommages‑intérêts punitifs importants afin de dénoncer précisément ce comportement inacceptable. C’est pour cette raison que le montant octroyé ne devrait pas se situer dans la partie inférieure de la gamme des dommages‑intérêts punitifs comme le propose la défenderesse.

[414]       La Cour doit apprécier avec prudence la preuve de contrefaçon ex post qui a été fournie à la deuxième étape. Bien qu’Airbus considère qu’il n’existe pas de réel sentiment de repentir chez Bell, la Cour a néanmoins examiné la question de savoir s’il existait des risques que ce genre de comportement répréhensible se reproduise. Cela étant dit, la Cour a également considéré comme un facteur atténuant important le fait qu’après l’introduction de l’action en contrefaçon par la demanderesse, en mai 2008, la défenderesse a mis en quarantaine les vingt et un trains d’atterrissage contrefaits et a commencé à travailler sur la mise au point d’un train modifié non contrefait, maintenant connu sous le nom de « train Production ». Toutefois, la Cour fait remarquer que, bien que la preuve de la mise en quarantaine n’ait pas fait l’objet de débats à cette deuxième étape de l’instance, la preuve relative à la commercialisation du Bell 429 par Bell montre que celle‑ci a continué à utiliser le Bell 429 équipé du train Legacy, même après mai 2008.

2.                  La proportionnalité de la somme au degré de vulnérabilité du demandeur

[415]       La défenderesse affirme que le degré de vulnérabilité de la demanderesse est un autre facteur aggravant dans des affaires qui se situent en dehors du contexte de la PI. Dans de telles affaires, lorsqu’une partie qui occupe une position solide pour négocier déroge nettement aux normes ordinaires de bonne conduite dans ses rapports avec les personnes ordinaires, une attribution de dommages‑intérêts punitifs élevés est justifiée (Pate Estate, au paragraphe 145). Par ailleurs, la défenderesse souligne que, dans Whiten, la Cour suprême du Canada a laissé entendre que l’absence de vulnérabilité entre les parties « milite généralement contre l’attribution de dommages-¬intérêts punitifs » [souligné dans l’original], parce que les sociétés « savent fort bien que, dans le monde des affaires, les différents acteurs poursuivent farouchement leur intérêt personnel » (Whiten, au paragraphe 115). En effet, dans cette affaire, le juge Binnie a exhorté les tribunaux à ne pas attribuer de dommages‑intérêts punitifs importants en contexte commercial (Whiten, au paragraphe 162; voir aussi Performance Industries Ltd c Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd, 2002 CSC 19, [2002] ACS no 20 (Sylvan Lake), au paragraphe 88, et Café Mirage Inc c 1429539 Ontario Inc, 2011 CF 1290, [2011] ACF no 1573, au paragraphe 166). Par conséquent, la défenderesse soutient que la nature commerciale du litige et la qualité de personnes morales sophistiquées des deux parties font en sorte qu’il n’y a pas d’inégalité du rapport de force ni de relation fiduciaire entre elles (argumentation finale de Bell, aux paragraphes 443 et 444/renseignements communicables qu’aux seuls avocats). En réplique, la demanderesse fait valoir que ce facteur est essentiellement neutre.

[416]       La situation financière d’une société demanderesse dans une action en contrefaçon d’une marque de commerce a déjà été jugée comme ne constituant pas un obstacle au refus d’accorder des dommages‑intérêts punitifs substantiels, même si la défenderesse est une personne morale qui fait l’importation et la vente de marchandises, dont certaines sont peut‑être des marchandises contrefaites. À cet égard, voici les observations qui ont été formulées dans Chanel CF 2016, au paragraphe 77 [traduction] : « [c]omme cela a été décrit dans l’arrêt Whiten, les tribunaux doivent déterminer la somme qui serait proportionnée au besoin de dissuasion. Donc, la vulnérabilité, financière ou autre, du demandeur et l’abus de pouvoir dont se rend en conséquence coupable le défendeur sont des facteurs très pertinents lorsqu’il y a inégalité de pouvoir, comme c’était manifestement le cas dans Robinson ». Dans Chanel CF 2016, la Cour a conclu que des produits de mode de grande qualité, qui attirent une clientèle particulière, étaient commercialisés sous la marque mondiale de la demanderesse. Bien que la capacité financière des sociétés demanderesses n’ait pas été en jeu dans l’affaire Chanel, la Cour a néanmoins fait observer que [traduction] « la vulnérabilité des demanderesses réside dans leur incapacité à contrôler les ventes quotidiennes de marchandises contrefaites, ce qui diminue la valeur de l’achalandage rattaché aux marques de commerce Chanel ». Le même raisonnement ne peut pas être appliqué en l’espèce, étant donné que les deux parties sont des acteurs importants dans la conception et la vente d’hélicoptères. Ainsi, il n’y a pas d’inégalité de pouvoir comme on pouvait le constater dans Chanel CF 2016. Lors de son interrogatoire, M. Young a déclaré que, peu importe le type de train d’atterrissage sur le Bell 429, les deux parties faisaient déjà face à la concurrence. Par conséquent, le facteur de vulnérabilité est plus ou moins neutre en l’espèce.

[417]       Cependant, la Cour ne retient pas la proposition simple de la défenderesse selon laquelle l’attribution de dommages-intérêts punitifs importants dans la jurisprudence est généralement fondée sur la vulnérabilité du demandeur. Les statistiques sont toujours trompeuses : la justice doit être la même pour les riches et les pauvres, bien que, dans le dernier cas, les tribunaux doivent veiller à ce que les moins fortunés aient accès au système de justice et que les demandes valides soient effectivement poursuivies en cour, à cause des cordons de la bourse que tiennent les premiers. Nous pouvons penser que, dans un contexte commercial, cela pourrait constituer un risque auquel serait exposée une petite société qui posséderait un brevet vulnérable, mais qui ne pourrait pas assumer les coûts occasionnés par un long litige à l’échelle internationale contre une puissante société multinationale. Le facteur déterminant est de savoir s’il existe une inégalité résultant du fait qu’une partie utilise sciemment son pouvoir dominant au détriment de la partie vulnérable.

[418]       Ainsi, la Cour ne conteste pas que, dans le passé, la grande vulnérabilité du demandeur a pesé lourd dans la balance relativement aux facteurs énoncés dans Whiten. L’arrêt Cinar illustre clairement cette situation. Toutefois, dans Whiten, la Cour suprême du Canada n’a pas donné plus de poids à un facteur qu’un à un autre. La règle importante qui se dégage de cet arrêt est que la Cour doit soupeser tous les faits pertinents afin de déterminer la somme qui serait proportionnée au besoin de dissuasion. Ainsi, ce n’est pas parce que la Cour croit que le deuxième facteur énoncé dans Whiten est neutre que la valeur des dommages-intérêts punitifs doit nécessairement être diminuée. En effet, lorsque le premier facteur énoncé dans Whiten a été pris en compte, le caractère répréhensible de la conduite du défendeur, la Cour a conclu que le fait que la défenderesse était une société sophistiquée possédant un service chargé de la PI et des moyens pour empêcher la contrefaçon a joué en défaveur de Bell, qui a volontairement contrefait le brevet 787. À l’inverse, ce n’est pas parce que les deux sociétés sont des multinationales qui gagnent des milliards de dollars qu’il est justifié d’augmenter les dommages‑intérêts punitifs au moyen d’un coefficient de multiplication pour parvenir à une attribution qui est proportionnée à la capacité de la défenderesse de payer des dommages‑intérêts importants, comme ceux que propose la demanderesse lorsqu’elle cherche à obtenir une condamnation aux dommages‑intérêts punitifs de l’ordre de 15 000 000 $ à 25 000 000 $.

3.                  La proportionnalité de la somme au préjudice, réel ou potentiel, infligé au demandeur en particulier

[419]       Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, la Cour se fonde sur des principes juridiques judicieux qui ont été élaborés au fil des ans et qui commandent une appréciation du préjudice, réel ou potentiel, infligé au demandeur en particulier. La Cour doit également se fonder sur les faits précis de l’affaire. Bien que la défenderesse ait procédé à un examen approfondi de la jurisprudence, il n’est nullement fait mention du jugement rendu par la Cour supérieure du Québec, à savoir Montréal (Ville de) c Biondi, 2016 QCCS 83, [2016] JQ no 104, qui a été confirmé par la Cour d’appel du Québec, 2016 QCCA 716, [2016] JQ no 3810, demande d’autorisation de pourvoi refusée [2016] SCCA no 293, confirmant une attribution de dommages‑intérêts punitifs de 2 000 000 $ prononcés contre un syndicat. Non satisfaits de la nouvelle convention collective, les membres du syndicat ont exercé des mesures de pression sur la ville, ce qui a entraîné, notamment, le retard des opérations de déglaçage des trottoirs dans le centre‑ville de Montréal. Dans le contexte d’un recours collectif, des citoyens ont intenté une action en justice contre la municipalité et le syndicat pour tous les préjudices découlant des mesures de pression, y compris tous les dommages subis en raison de chutes sur les trottoirs. Aux termes de l’article 1621 du Code civil du Québec, la Cour supérieure du Québec a condamné le syndicat à payer des dommages‑intérêts punitifs totalisant 2 000 000 $, au motif qu’il avait « agi en toute connaissance des conséquences immédiates et naturelles ou au moins extrêmement probables que sa conduite pouvait engendrer ». En revanche, si aucun préjudice n’a été infligé au demandeur en particulier, ce facteur milite en faveur d’une attribution de dommages‑intérêts punitifs peu élevés (McIntyre v Grigg, [2006] OJ no 4420, au paragraphe 85).

[420]       Par ailleurs, il n’existe pas de formule mathématique ni de rapport particulier à respecter entre les dommages‑intérêts punitifs et les dommages‑intérêts compensatoires, et, comme la Cour suprême du Canada l’a souligné dans Whiten, au paragraphe 127, en raison du fait que les dommages‑intérêts compensatoires sont exprimés en dollars et en cents, « leur côté pratique peut rendre leur utilisation tentante. Toutefois, ils sont tout à fait inadéquats [...] ». Cela peut être le cas, par exemple, lorsque la conduite inacceptable s’est (heureusement) soldée par une perte financière minime, comme c’est le cas en l’espèce (étant donné qu’il n’y a eu aucune vente effective d’hélicoptères Bell 429 équipés des trains Legacy contrefaits) : « Le préjudice potentiel et le préjudice réel constituent une mesure raisonnable de la conduite répréhensible », tout comme les autres facteurs mentionnés par la Cour suprême du Canada dans Whiten, notamment la motivation, la préméditation, la vulnérabilité, l’abus de position dominante, les autres amendes ou sanctions imposées, et ainsi de suite.

[421]       Le troisième facteur est fondé sur le préjudice réel ou potentiel (Whiten, au paragraphe 117). Le fait que Bell n’a utilisé ou fait fabriquer que vingt et un trains Legacy ne tient pas compte de la réalité de la durée et de la gravité de la contrefaçon, ni de l’intention derrière elle. Le risque d’infliger un préjudice à la demanderesse était important en l’espèce.

[422]       En l’espèce, la Cour a déjà conclu en 2012 que la conduite générale de Bell avait été fort répréhensible et avait constitué une indifférence complète à l’égard des droits d’Airbus, qui avait été contrainte d’intenter la présente action. En effet, Airbus a aussi été contrainte d’engager des procédures judiciaires dans plusieurs pays pour faire respecter ses droits de propriété intellectuelle. Bien qu’aucun des hélicoptères de la demanderesse qui sont en concurrence directe avec le Bell 429 ne soit équipé d’un train Moustache, il n’en demeure pas moins que l’ensemble de l’activité commerciale de la demanderesse a subi un préjudice en raison de la contrefaçon de Bell, puisque celle‑ci avait déjà fait la commercialisation et la publicité pendant un certain nombre d’années du Bell 429 équipé du train Legacy contrefait.

[423]       Néanmoins, M. Heys estime qu’Airbus a fait l’objet d’une atteinte potentielle à la réputation en tant qu’inventrice et chef de file dans la mise au point d’hélicoptères civils. La défenderesse souligne que la Cour fédérale a décidé que l’atteinte à la réputation n’était pas une source réelle d’un préjudice potentiel en raison de la contrefaçon d’un brevet (Merck c Apotex, [1993] ACF no 1095). Quoi qu’il en soit, il n’existe simplement aucun élément de preuve d’une quelconque atteinte à la réputation qui aurait permis à la Cour de recourir à ce facteur, de manière rationnelle, pour augmenter le montant des dommages‑intérêts punitifs.

[424]       De plus, bien que le montant des dommages‑intérêts compensatoires de 500 000 $, tel qu’il a été calculé ci‑dessus (section VI – L’attribution de dommages‑intérêts compensatoires), puisse sembler important, en réalité, lorsque l’on considère les acteurs en cause, la nature de l’industrie aéronautique et l’ensemble du marché des hélicoptères bimoteurs légers, il s’agit réellement d’une somme modeste. Par ailleurs, la Cour a résisté à toute tentation d’augmenter sensiblement le montant des dommages-intérêts punitifs, compte tenu du fait que le préjudice potentiel infligé à la demanderesse par suite des gestes prémédités et délibérés de la défenderesse a été atténué par la décision prise par la défenderesse de mettre en quarantaine les vingt et un trains Legacy contrefaits et par le fait qu’aucun Bell 429 équipé du train Legacy contrefait n’a été vendu. La Cour a particulièrement pris en compte tous ces éléments pour établir qu’une somme de 1 000 000 $ attribuée au titre des dommages‑intérêts punitifs serait proportionnée au préjudice, réel ou potentiel, infligé à la demanderesse en particulier.

4.                  La proportionnalité de la somme au besoin de dissuasion

[425]       Selon la jurisprudence, le besoin de dissuasion peut être apprécié en examinant la question de savoir si : (1) le défendeur a des moyens financiers suffisants; (2) la conduite répréhensible était un incident isolé; (3) l’industrie dans son ensemble doit être dissuadée d’adopter une telle conduite (Whiten, aux paragraphes 118 à 120; Chanel CF 2016, au paragraphe 77).

[426]       Pour décider d’accorder des dommages‑intérêts punitifs de 1 000 000 $, la Cour a aussi tenu compte du fait que la Cour suprême du Canada avait conclu que la taille et la rentabilité relatives du défendeur [traduction] « devraient avoir une importance limitée ». En effet, la Cour suprême du Canada a conclu que la situation financière du défendeur pourrait être pertinente en ce qui concerne l’attribution qu’il faut pour décourager efficacement la conduite. Les ressources financières d’un défendeur pourraient devenir un facteur pertinent dans certaines circonstances, lorsque notamment : (1) celui‑ci invoque des difficultés financières; (2) les ressources financières ont un lien direct avec la conduite répréhensible du défendeur; (3) il est rationnellement possible de conclure que la condamnation d’un riche défendeur à une somme peu élevée n’aurait pas d’effet dissuasif (Whiten, au paragraphe 119). Toutefois, le juge Binnie a fait observer que les membres d’un jury peuvent être indûment influencés par la richesse du défendeur par rapport à la demande d’un montant relativement faible du demandeur. Cette situation pourrait mener à une utilisation abusive de leur pouvoir discrétionnaire, car pour « rappeler à un défendeur riche et puissant ses responsabilités, il faut […] frapper encore plus fort » (Whiten, au paragraphe 118).

[427]       En tout état de cause, le montant de la condamnation doit être suffisamment important, de manière à attirer l’attention du défendeur et de la collectivité. À cet égard, il faut tenir compte du fait que la défenderesse est une filiale de BHTI qui, à son tour, est une propriété exclusive de Textron Inc. Sur ce point, Textron Inc. doit présenter un rapport annuel en application de l’article 13 et de l’alinéa 15d) du Securities exchange Act of 1934 (FORMULAIRE 10‑K], qui vise les activités aussi bien de Bell que de BHTI. En contre‑interrogatoire, M. Hatcher a déclaré que, si rien n’est mentionné dans le rapport au sujet d’un litige précis, c’est que cela n’a pas été jugé important. Bien qu’il existe une section relative aux poursuites judiciaires, le rapport ne fait aucunement mention de la présente procédure, ni des montants de dommages-intérêts réclamés par Airbus (notamment les dommages‑intérêts punitifs de 25 000 000 $) ni des actions introduites aux États‑Unis et en France, si ce n’est une note selon laquelle il existe [traduction] « de multiples instances judiciaires en cours découlant de l’exercice de ses activités, y compris en matière de contrefaçon de brevet et de marque de commerce » (pièce P‑120, à la page 15/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[428]       En revanche, lorsque la conduite du défendeur constitue un incident isolé, on considérera normalement qu’elle requiert une mesure de dissuasion moins importante et, par conséquent, un petit montant de dommages-intérêts punitifs (Whiten, au paragraphe 120). À cet égard, bien que la contrefaçon du brevet 787 ait été poursuivie pendant longtemps, il n’en demeure pas moins que Bell, BHTI et Textron Inc. jouissent d’une bonne réputation et n’ont pas été condamnées, dans le passé pour quelque violation importante que ce soit des droits de propriété intellectuelle d’autrui. En effet, Mme Garneau a déclaré dans son témoignage que la présente action était la seule poursuite en justice pour violation des droits de propriété intellectuelle ayant été engagée contre Bell, à part une action judiciaire dans laquelle Bell était associée à de nombreux autres défendeurs, et qui a finalement été rejetée (pièce D‑93/renseignements communicables qu’aux seuls avocats).

[429]       La Cour a également tenu compte du fait que, dans le contexte de la PI, la Cour fédérale a eu tendance à accorder des dommages‑intérêts punitifs importants contre les défendeurs qui ont poursuivi la contrefaçon des droits de PI après qu’ils ont été avisés de la contrefaçon (Entral Group International Inc c MCUE Enterprises Corp, 2010 CF 606, [2010] ACI no723, aux paragraphes 28 et 35), ou dans des cas où les défendeurs poursuivaient la contrefaçon alors que l’instance était en cours (Louis Vuitton Malletier SA c Singga Enterprises (Canada) Inc, 2011 CF 776, [2011] ACI n908, au paragraphe 179). Une conduite répétitive ou constante, comme dans Chanel CF 2016, justifierait l’infliction d’une plus forte sanction pour atteindre l’objectif de la dissuasion. C’est pourquoi la Cour estime qu’il ne serait ni justifié ni nécessaire, en l’espèce, d’adjuger des dommages‑intérêts supérieurs à 1 000 000 $, compte tenu de tous les facteurs atténuants mentionnés dans les présents motifs.

[430]       Comme il a déjà été mentionné, le droit des brevets dans son ensemble vise à favoriser la recherche et le développement ainsi qu’à encourager l’activité économique en général. La mise au point d’un hélicoptère est une entreprise hautement complexe et coûteuse. Seuls quelques acteurs au sein de l’industrie possèdent une technologie suffisante et emploient le personnel hautement qualifié qui est nécessaire pour concevoir, mettre au point, mettre à l’essai et fabriquer un train d’atterrissage qui présentera toutes les caractéristiques et tous les avantages requis. Par conséquent, la Cour ne peut simplement pas accepter le fait que la défenderesse a intentionnellement utilisé le travail accompli par Airbus pour ensuite s’attribuer le succès de cette nouvelle invention. La conduite outrageante de Bell a causé des dommages irrémédiables qu’une adjudication de dommages‑intérêts ou une restitution des profits ne sauraient tout simplement pas corriger, et qui sont aggravés par le fait que Bell a induit en erreur et continue d’induire en erreur le public en lui faisant croire que le Bell 429 est le premier hélicoptère à utiliser un train d’atterrissage à patins de type « traîneau ». Le fait que la mise en production du Bell 429 n’a pas eu lieu immédiatement, notamment en raison de retards dans le processus de certification, est une coïncidence et ne devrait pas servir de prétexte pour ne pas accorder un montant important au titre de dommages‑intérêts punitifs. Par ailleurs, bien que la contrefaçon ait été commise à grande échelle et autorisée à un très haut niveau, la Cour doit néanmoins prendre en compte aussi le comportement de la défenderesse après l’introduction de l’instance, en dépit du fait qu’elle était motivée par l’atténuation du facteur de risque (et non par le repentir), pour déterminer si le montant des dommages‑intérêts punitifs est proportionné au besoin de dissuasion. Les dommages-intérêts compensatoires ne sont tout simplement pas suffisants pour atteindre l’objectif de la punition et de la dissuasion. Dans ce contexte, la Cour conclut qu’un montant de 1 000 000 $ est suffisant pour réaliser cet objectif.

5.                  La proportionnalité de la somme, compte tenu des autres sanctions

[431]       La demanderesse soutient que ce critère, énoncé dans Whiten, est apprécié en fonction des autres sanctions civiles ou criminelles imposées au défendeur relativement à la même contrefaçon de brevet. Comme Bell n’est visée par aucune autre sanction, au civil ou au criminel, la Cour devrait adjuger des dommages‑intérêts punitifs à un taux plus élevé (Whiten, au paragraphe 123).

[432]       La défenderesse souligne que, dans le cas où un défendeur s’est déjà vu imposer d’autres mesures de châtiment, de dénonciation ou de dissuasion à l’égard de sa conduite répréhensible, la nécessité d’une sanction supplémentaire diminue. Les dommages‑intérêts punitifs devraient être proportionnés aux dommages‑intérêts compensatoires (Boucher v Wal‑Mart Canada Corp, 2014 ONCA 419, [2014] OJ no 2452, au paragraphe 64), ainsi qu’à d’autres formes de « stigmatisation » (Sylvan Lake, au paragraphe 88; Whiten, au paragraphe 94).

[433]       La Cour n’adopte pas cette dernière proposition. Une adjudication de dommages‑intérêts punitifs peut effectivement être supérieure à celle de dommages‑intérêts compensatoires. Dans l’affaire Chanel, la Cour fédérale avait notamment ordonné aux défenderesses en cause de verser aux demanderesses des dommages‑intérêts compensatoires de 64 000 $ et des dommages-intérêts punitifs de 250 000 $ (Chanel S de RL c Kee, 2015 CF 1091, [2015] ACF n1137). Bien que cette attribution ait été plus élevée que ce que la jurisprudence relative à la contrefaçon des marques de commerce a établi, comme cela a été ultérieurement souligné dans Chanel CF 2016, la Cour fédérale avait antérieurement adjugé des dommages‑intérêts punitifs de 696 000 $ contre des défendeurs qui avaient vendu des marchandises Gucci contrefaites dans des marchés aux puces (représentant 29 000 $, dommages‑intérêts compensatoires minimaux pour les marchands en gros, pour chacune des 24 occurrences de contrefaçon), en plus de dommages‑intérêts compensatoires de 1 392 000 $ (Guccio Gucci SPA and Gucci America Inc v Bobby Bhatia et al (non publié), dossier de la Cour fédérale no T‑1556‑14).

[434]       Néanmoins, la défenderesse ne peut pas demander de diminution des dommages‑intérêts punitifs pour le seul motif que la dénonciation publique était une mesure de dissuasion suffisante à l’égard de son inconduite. Dans Whiten, la Cour suprême du Canada a conclu que le facteur clé est « seulement, mais seulement si » toutes les autres sanctions ont été prises en considération et jugées insuffisantes pour réaliser les objectifs de châtiment, de dissuasion et de dénonciation (Whiten, au paragraphe 123). Cette déclaration permet à la Cour de conclure que les répercussions sociales d’une poursuite judiciaire ne devraient pas être considérées comme faisant partie des sanctions en question, mais plutôt comme étant une conséquence normale de l’effet de dissuasion d’une action judiciaire en contrefaçon de brevet.

[435]       Dans l’ensemble, la Cour ne souscrit pas non plus à l’observation de la demanderesse. Bien que la défenderesse ne fasse pas l’objet d’accusations criminelles, il n’en demeure pas moins que Bell a été poursuivie dans différents pays pour la même contrefaçon. Compte tenu de ce qui précède, la Cour croit que ce facteur est plutôt neutre.

6.                  La proportionnalité de la somme à tout avantage que le défendeur a injustement tiré de la conduite répréhensible

[436]       Ce facteur se rapporte à la question de savoir si le défendeur a tiré un quelconque avantage de sa conduite répréhensible (Whiten, au paragraphe 124; voir aussi : Richard c Time Inc, 2012 CSC 8, [2012] ACS no 8, au paragraphe 206; Cinar, au paragraphe 136). La Cour suprême du Canada a attiré l’attention sur le fait qu’il faut se garder d’appliquer ce facteur de façon irrationnelle (Whiten, au paragraphe 125), alors que dans le contexte de la PI, les contrefacteurs qui tirent des profits substantiels de leur contrefaçon sont susceptibles de se voir imposer des sanctions plus lourdes (Claiborne Industries Ltd v National Bank of Canada, (1989) 69 OR(2d) 65; Hertzog c Highwire Information Inc, [1997] ACF no 968, aux paragraphes 25 et 26; Profekta, au paragraphe 373; Parks v 2703203 Manitoba Inc, 2007 NSCA 36, [2007] NSJ No 128, aux paragraphes 137 et 138). Un lien de causalité doit également être établi entre l’inconduite du défendeur et l’inconduite en question (Cinar, au paragraphe 135; Sylvan Lake, aux paragraphes 89 et 90).

[437]       La demanderesse soutient que, dans Whiten, la Cour suprême du Canada a reconnu qu’il pouvait être tenu compte du préjudice réel, ainsi que du préjudice potentiel, ayant découlé de la contrefaçon. Ainsi, la défenderesse ne devrait pas être exonérée et l’acte répréhensible qu’elle a commis ne devrait pas être atténué simplement parce que l’introduction de la présente action a eu pour effet de limiter le montant des dommages‑intérêts compensatoire que peut réclamer la demanderesse, étant donné que la défenderesse a adopté le train Production en 2008.

[438]       Au cours de son interrogatoire principal, l’expert d’Airbus, M. Heys, a réaffirmé que son analyse relative à la redevance raisonnable et son analyse des avantages économiques que Bell avait tirés de la contrefaçon du brevet ne s’excluaient pas mutuellement, et qu’il pouvait bien y avoir un certain chevauchement. Il a déclaré que la différence principale était contextuelle. L’analyse des avantages économiques nous permet d’examiner rétrospectivement ce qui s’est réellement passé pour tenir compte des avantages que Bell a obtenus, alors que l’analyse relative aux dommages‑intérêts compensatoires est prospective ou orientée vers l’avenir. M. Heys a aussi déclaré que son analyse concernant les avantages économiques que Bell a reçus n’était pas une analyse relative au [traduction] « facteur déterminant », étant donné qu’il n’y avait pas de ventes de produits contrefaits qui exigeaient une restitution des profits (transcription, volume 4, à la page 186). M. Heys a relevé quatre catégories dans lesquelles Bell avait tiré profit de la contrefaçon, qui n’ont pas besoin d’être examinées encore à cette étape.

[439]       Cela étant dit, la défenderesse a tiré de sa conduite répréhensible un certain nombre d’avantages qui ont déjà été mentionnés par la Cour, et ce, malgré l’affirmation de la défenderesse selon laquelle il n’y a aucun lien de causalité avec la contrefaçon. Quoi qu’il en soit, Bell soutient que les dommages‑intérêts punitifs ne sont pas, par nature, compensatoires, et qu’il serait erroné d’inclure dans le calcul des dommages‑intérêts punitifs les quatre catégories d’avantages économiques que M. Heys a relevées. Pour bien clarifier les choses, la Cour s’est assurée de l’absence d’un « double recouvrement ». À cet égard, le montant de 1 000 000 $ de dommages‑intérêts punitifs ne fait pas double emploi avec le montant de 500 000 $ de dommages‑intérêts compensatoires, et est, de l’avis de la Cour, proportionné à tout avantage que la défenderesse a injustement tiré de la conduite répréhensible.

E.                 Conclusion sur les dommages‑intérêts punitifs

[440]       Pour la détermination des dommages­‑intérêts punitifs, la Cour a abordé la proportionnalité sous plusieurs aspects. Après avoir examiné la preuve au dossier, à la lumière des observations formulées par les parties, et tous les facteurs pertinents, la Cour est convaincue qu’une somme totale de 1 000 0000 $ attribuée au titre de dommages‑intérêts punitifs est proportionnée au caractère répréhensible de la conduite de la défenderesse; proportionnée au degré de vulnérabilité de la demanderesse; proportionnée au préjudice, réel ou potentiel, infligé à la demanderesse en particulier; proportionnée au besoin de dissuasion; proportionnée, même après avoir tenu compte des autres sanctions, civiles et criminelles, infligées ou susceptibles d’être infligées à la défenderesse pour la même conduite répréhensible; proportionnée aux avantages que la défenderesse a injustement tirés de la conduite répréhensible,. L’examen effectué dans ce contexte complet permet à la Cour de conclure que deux facteurs majeurs militent en faveur de l’attribution de dommages‑intérêts punitifs plus élevés : la conduite répréhensible de la défenderesse et le besoin de dissuasion.

[441]       Ainsi, au risque de se répéter, la Cour est convaincue qu’une somme totale de 1 000 000 $ de dommages‑intérêts punitifs, en plus de la somme de 500 000 $ de dommages‑intérêts compensatoires, respecte les limites de la rationalité et qu’elle n’est pas excessive, compte tenu de la jurisprudence et des faits particuliers de l’affaire. La conduite de Bell est hautement répréhensible et va à l’encontre de l’essence ainsi que de l’objet du droit des brevets. Pour que l’effet de dissuasion soit réel, les sociétés comme Bell doivent comprendre que ce genre de comportement n’est pas toléré; elles ne peuvent pas en être quittes pour un litige long et coûteux. La somme de 1 000 000 $ est le minimum de dommages-intérêts punitifs que la Cour peut accorder pour atteindre ces objectifs.

  VIII.      LES INTÉRÊTS AVANT ET APRÈS JUGEMENT

[442]       Dans le jugement CF 2012, la Cour a accordé des intérêts avant et après jugement, et elle a fait remarquer ce qui suit :

[460]    Les parties conviennent que s’il advient que la Cour ordonne une adjudication de dommages‑intérêts, il y aurait lieu d’autoriser le paiement d’intérêts avant jugement à l’égard de tout montant alloué. Il ne faudrait pas que ces intérêts soient composés. Leur taux devrait être calculé séparément pour chaque année depuis que l’activité de contrefaçon a commencé au taux bancaire annuel moyen fixé par la Banque du Canada à titre de taux minimum auquel elle effectue des avances à court terme aux banques énumérées à l’annexe 1 de la Loi sur les banques, LC 1991, c 46.

[461]    Par ailleurs, les parties conviennent que les intérêts après jugement ne devraient pas être composés et qu’ils devraient suivre l’établissement du montant des dommages‑intérêts au taux de 5 % établi par l’article 4 de la Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c I‑15.

[443]       Plus particulièrement, en application du paragraphe 36(4) de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, la demanderesse a droit par ailleurs à des intérêts avant jugement sur ses réparations pécuniaires autres que les dommages‑intérêts punitifs et les dépens adjugés, de même qu’à des intérêts après jugement sur ses réparations pécuniaires autres que les dépens adjugés (Mitchell Repair Information Company c Wayne Long, 2014 CF 562, [2014] ACF no 619, au paragraphe 20). Par conséquent, la défenderesse doit payer à la demanderesse des intérêts avant jugement sur la somme de 500 000 $ en dommages‑intérêts compensatoires. Ces intérêts ne doivent pas être composés et sont calculés séparément pour chaque année depuis le début de l’activité de contrefaçon, qui est établi au 18 octobre 2005, au taux bancaire annuel moyen fixé par la Banque du Canada à titre de taux minimum auquel elle effectue des avances à court terme aux banques énumérées à l’annexe 1 de la Loi sur les banques, LC 1991, c 46.

[444]       En outre, la défenderesse doit payer à la demanderesse des intérêts après jugement sur la somme totale de 1 500 000 $ en dommages‑intérêts. Ces intérêts ne doivent pas être composés et sont calculés au taux de 5 p. 100 établi à l’article 4 de la Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c F‑15.

  IX.            L’ADJUDICATION DES DÉPENS

[445]       Malgré la suggestion faite plus tôt par les avocats de la défenderesse de débattre la question des dépens une fois que la Cour aura établi le quantum des dommages‑intérêts compensatoires et punitifs qui doivent être accordés à la demanderesse, les avocats de cette dernière s’étant opposés à ce que la procédure soit davantage retardée (transcription, volume 9, aux pages 104 à 106), les avocats ont finalement traité la question des dépens aussi bien dans leurs observations écrites qu’orales formulées le 10 juin 2016.

[446]       Compte tenu de la complexité du présent dossier et de la communication tardive de nombreux documents à l’audience, la demanderesse demande l’unité la plus élevée de la colonne IV du tarif B pour un maximum de trois avocats (deux avocats principaux et un avocat adjoint) pour la préparation de l’audience, l’instruction et les interrogatoires préalables, ainsi que pour tous les débours raisonnables encourus. De plus, la demanderesse demande à la Cour de prononcer une condamnation spéciale de 25 000 $ payables sans délai, pour les frais inutiles supportés relativement à la préparation du rapport d’expert et au témoignage de M. Dupuis, qui n’a pas été appelé comme témoin expert.

[447]       La défenderesse reconnaît que la demanderesse a droit à ses frais raisonnables relativement au processus de calcul établi à la colonne IV, pour un avocat principal et deux avocats adjoints, à la suite du jugement relatif aux dépens rendu en 2012, tout en laissant entendre que, si la Cour établit que les réclamations de dommages‑intérêts compensatoires et punitifs sont exagérées, cela pourrait se traduire par une colonne d’un niveau moins élevé, étant donné qu’il aura fallu plus de temps et d’efforts. Toutefois, la défenderesse conteste vivement la condamnation spéciale de 25 000 $ payables sans délai que la demanderesse cherche à obtenir. Compte tenu des retards subis lors du contre‑interrogatoire de M. Schwartz et des contraintes imposées par l’avocat principal de la demanderesse, qui n’était pas disponible la semaine suivante (parce qu’il devait se rendre à l’étranger), les avocats de la défenderesse ont décidé de ne pas appeler comme témoin M. Dupuis, qui avait été présent tout au long de l’instruction.

[448]       Le paragraphe 400(1) des Règles prévoit que la Cour a « le pouvoir discrétionnaire de déterminer le montant des dépens, de les répartir et de désigner les personnes qui doivent les payer », et le paragraphe 400(3) des Règles donne une liste non exhaustive de certains facteurs que la Cour peut prendre en compte à ces fins :

(3) Dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en application du paragraphe (1), la Cour peut tenir compte de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

 

(3) In exercising its discretion under subsection (1), the Court may consider

 

a) le résultat de l’instance;

 

(a) the result of the proceeding;

 

b) les sommes réclamées et les sommes recouvrées;

 

(b) the amounts claimed and the amounts recovered;

 

c) l’importance et la complexité des questions en litige;

 

(c) the importance and complexity of the issues;

 

d) le partage de la responsabilité;

 

(d) the apportionment of liability;

 

e) toute offre écrite de règlement;

 

(e) any written offer to settle;

f) toute offre de contribution faite en vertu de la règle 421;

 

(f) any offer to contribute made under rule 421;

 

g) la charge de travail;

 

(g) the amount of work;

 

h) le fait que l’intérêt public dans la résolution judiciaire de l’instance justifie une adjudication particulière des dépens;

 

(h) whether the public interest in having the proceeding litigated justifies a particular award of costs;

 

i) la conduite d’une partie qui a eu pour effet d’abréger ou de prolonger inutilement la durée de l’instance;

 

(i) any conduct of a party that tended to shorten or unnecessarily lengthen the duration of the proceeding;

 

j) le défaut de la part d’une partie de signifier une demande visée à la règle 255 ou de reconnaître ce qui aurait dû être admis;

 

(j) the failure by a party to admit anything that should have been admitted or to serve a request to admit;

 

k) la question de savoir si une mesure prise au cours de l’instance, selon le cas :

 

(k) whether any step in the proceeding was

 

(i) était inappropriée, vexatoire ou inutile,

 

(i) improper, vexatious or unnecessary, or

 

(ii) a été entreprise de manière négligente, par erreur ou avec trop de circonspection;

 

(ii) taken through negligence, mistake or excessive caution;

 

l) la question de savoir si plus d’un mémoire de dépens devrait être accordé lorsque deux ou plusieurs parties sont représentées par différents avocats ou lorsque, étant représentées par le même avocat, elles ont scindé inutilement leur défense;

 

(l) whether more than one set of costs should be allowed, where two or more parties were represented by different solicitors or were represented by the same solicitor but separated their defence unnecessarily;

 

m) la question de savoir si deux ou plusieurs parties représentées par le même avocat ont engagé inutilement des instances distinctes;

 

(m) whether two or more parties, represented by the same solicitor, initiated separate proceedings unnecessarily;

 

n) la question de savoir si la partie qui a eu gain de cause dans une action a exagéré le montant de sa réclamation, notamment celle indiquée dans la demande reconventionnelle ou la mise en cause, pour éviter l’application des règles 292 à 299;

 

(n) whether a party who was successful in an action exaggerated a claim, including a counterclaim or third party claim, to avoid the operation of rules 292 to 299;

 

n.1) la question de savoir si les dépenses engagées pour la déposition d’un témoin expert étaient justifiées compte tenu de l’un ou l’autre des facteurs suivants :

 

(n.1) whether the expense required to have an expert witness give evidence was justified given

 

(i) la nature du litige, son importance pour le public et la nécessité de clarifier le droit,

 

(i) the nature of the litigation, its public significance and any need to clarify the law,

 

(ii) le nombre, la complexité ou la nature technique des questions en litige,

 

(ii) the number, complexity or technical nature of the issues in dispute, or

 

(iii) la somme en litige;

 

(iii) the amount in dispute in the proceeding; and

 

o) toute autre question qu’elle juge pertinente.

 

(o) any other matter that it considers relevant.

 

[449]       Comme la Cour d’appel fédérale l’a réaffirmé dans le jugement CAF relatif aux dépens, le juge de première instance jouit d’un pouvoir discrétionnaire considérable en matière de dépens, et la décision d’un juge relative aux dépens échappe généralement à l’examen en appel (jugement CAF relatif aux dépens, au paragraphe 7, citant Little Sisters Book and Art Emporium c Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), 2007 CSC 2, [2007] 1 RCS 38, aux paragraphes 47 et 49; Succession Odhavji c Woodhouse, 2003 CSC 69, [2003] 3 RCS 263, au paragraphe 77).

[450]       L’importance et la complexité de l’affaire ainsi que la somme de travail qu’elle a exigée (alinéas 400(3)c) et g) des Règles) peuvent souvent trancher la question de l’échelle des dépens. Comme la Cour l’a mentionné précédemment en 2012, dans son jugement relatif aux dépens, au paragraphe 20 :

[20] L’importance et la complexité de l’affaire et la somme de travail qu’elle a exigée (alinéas 400(3)c) et g) des Règles) peuvent souvent trancher la question de l’échelle des dépens (voir Apotex Inc c Sanofi‑Aventis, 2012 CF 318, paragraphes 5 à 8, [2012] ACF 435 [Apotex]). En fait, l’article 407 des Règles dispose que, sauf ordonnance contraire de la Cour, les dépens, ainsi que certains honoraires et débours additionnels, doivent être taxés selon l’échelon médian de la colonne III du tableau du tarif B. Le tarif B « représente un compromis entre l’indemnisation de la partie qui a gain de cause et la non‑imposition d’une charge excessive à la partie qui succombe », et il « est formulé en fonction du principe général que les frais entre parties devraient raisonnablement correspondre aux dépens réels d’un litige, sans qu’il soit porté atteinte au pouvoir discrétionnaire accordé à la Cour et à l’officier taxateur par les règles » :Wellcome Foundation Ltd, précitée, paragraphes 5 et 7. La jurisprudence consacre aussi le principe formulé dans les termes suivants au paragraphe 12 de Dimplex North America Ltd c CFM Corp, 2006 CF 1403 : « Lorsqu’une majoration des dépens est justifiée, la Cour doit d’abord décider s’il est possible d’adjuger des dépens raisonnables en s’en tenant au tarif B. Ce n’est que lorsque le résultat est déraisonnable ou insatisfaisant que la Cour doit envisager l’adjudication d’un montant supérieur aux valeurs du tarif. »

[451]       Comme cela a été mentionné à la section IV – Les litiges en matière de brevet, la question de la quantification des dommages‑intérêts (y compris les dommages‑intérêts punitifs) a été disjointe. Au Canada, il n’y a pas eu d’autres appels sur les questions relatives à la validité, à la contrefaçon et aux mesures de réparation adéquates en raison de la contrefaçon du brevet 787. Il a été conclu que la défenderesse avait contrefait le brevet 787, et la Cour a finalement conclu que la demanderesse avait droit à des dommages‑intérêts compensatoires et punitifs (jugement CF 2012, au paragraphe 456). La détermination d’un montant raisonnable de dommages‑intérêts compensatoires et punitifs était la seule question qui n’avait pas été résolue et que la Cour devait trancher plus tard. En principe, cela ne devrait pas être une question complexe à trancher, mais il s’avère que la vieille question est devenue particulièrement complexe et a exigé un temps considérable.

[452]       L’adjudication des dépens est sans aucun doute une question qui dépend très largement des circonstances factuelles de la procédure ainsi que de la conduite des parties. Récemment, le juge Locke a décidé d’augmenter de 50 p. 100 le montant de ces dépens, afin de tenir compte de la faiblesse des arguments des demanderesses dans une action en contrefaçon (Mediatube Cop, au paragraphe 268). Dans cette affaire, les réclamations des demanderesses avaient en quelque sorte été [traduction] « transformées », étant donné que des [traduction] « renseignements corrigés » avaient été communiqués par la défenderesse tout au long de l’instance. Les nouveaux renseignements ont contraint les demanderesses à adapter leurs réclamations en contrefaçon et à retirer finalement leur demande de dommages‑intérêts punitifs. Toutefois, les demanderesses avaient soutenu que, avant la communication de ces renseignements cruciaux, leur cause était solide et défendable quant à la contrefaçon de brevet et aux dommages‑intérêts punitifs. La Cour a conclu, notamment, que les arguments en faveur de l’absence de contrefaçon étaient tellement convaincants, même avant la communication des [traduction] « renseignements corrigés », qu’il était permis de douter que les demanderesses avaient des motifs raisonnables de croire que leur cause était solide et défendable (Mediatube Corp, au paragraphe 234). Le juge Locke a adjugé des dépens élevés, étant donné que les demanderesses avaient intenté une action en contrefaçon de brevet à l’encontre de la défenderesse alors qu’elles étaient en présence de renseignements qui indiquaient le contraire.

[453]       En l’espèce, les parties n’ont rien fait pour abréger la durée de l’instance pour laquelle il a fallu dix journées complètes d’audience, comme les avocats l’avaient initialement convenu. Les admissions, qui auraient pu considérablement faciliter le travail des experts et de la Cour à l’audience, par exemple, les admissions au sujet des calculs sur l’estimation de l’économie relative aux coûts supplémentaires réalisée quant à la mise au point (nombre d’heures, taux horaires, nombre d’employés requis, etc.) et/ou l’estimation des économies relatives aux coûts du capital liés aux acomptes (le nombre de LI pour l’hélicoptère Bell 429 et/ou l’hélicoptère Bell 427i avant la certification du Bell 429, le nombre d’annulations et le montant des remboursements) ont été minimales, c’est le moins qu’on puisse dire, voire totalement inexistantes. Ceci aurait pu permettre d’épargner deux journées d’audience et d’abréger les témoignages de M. Prud’homme Lacroix (témoin d’Airbus) ainsi que de Mme Jones, de M. Hatcher et de M. Gardner (témoins de Bell).

[454]       Bien que la Cour ait tenu compte des sommes réclamées et des sommes recouvrées par Airbus en dommages‑intérêts compensatoires et punitifs, y compris le fait qu’elles sont assez élevées et assez basses, respectivement, il semble que ce facteur n’a pas eu de conséquence directe sur la durée de l’instance ou sur la charge de travail pour les équipes des avocats des deux côtés. Le facteur déterminant était la nature même des éléments de preuve contradictoires, qui était pertinente pour la détermination des dommages-intérêts compensatoires (les facteurs énoncés dans AlliedSignal ) et des dommages‑intérêts punitifs (les facteurs énoncés dans Whiten). De plus, les parties ont consacré beaucoup de temps et d’efforts à débattre de questions n’ayant qu’une importance relative quant au résultat final. Dans une large mesure, les témoignages de M. O’Reilly et de M. Thiagarajan (les témoins de Bell) n’étaient pas nécessaires ni véritablement utiles, puisque les objections formulées par Airbus, qui avait été prises sous réserve, se sont révélées être bien fondées.

[455]       La Cour conclut qu’Airbus a le droit de demander la totalité de ses frais et débours raisonnables. Étant donné la nature de l’affaire, la charge de travail et la preuve considérables, le nombre de questions en litiges que les parties ont débattues à l’audience, la durée des procédures préalables à l’instruction et de l’instance, la mobilisation de trois avocats pendant toute la période considérée n’a rien d’excessif ni d’inutile (jugement relatif aux dépens, au paragraphe 55). Airbus demande un montant raisonnable pour les honoraires d’instruction de deux avocats principaux et d’un avocat adjoint, alors que Bell laisse entendre que cela devrait être pour un avocat principal et deux avocats adjoints, comme il en a été décidé à la première phase de l’instance (jugement relatif aux dépens, au paragraphe 55). Pendant toute la durée de la deuxième phase de l’instance, les deux équipes des parties opposées ont utilisé deux avocats principaux qui ont alternativement agi comme premier avocat ou avocat principal.

[456]       La Cour ne gonflera pas le montant des dépens, qui seront taxés selon l’unité la plus élevée de la colonne IV du tarif B, en accordant des dépens additionnels de 25 000 $ à la demanderesse, parce que la défenderesse a décidé au dernier moment de ne pas appeler M. Dupuis comme témoin expert supplémentaire. Cette décision était judicieuse. Si M. Dupuis et M. Schwartz ont des qualifications particulières différentes, ils ont un intérêt commun dans les sciences économiques. Bien que la Cour n’ait pas entendu le témoignage de M. Dupuis, on peut se demander si, à la neuvième journée de l’audience, ce dernier aurait apporté quelque chose de véritablement nouveau et utile, compte tenu du fait que M. Schwartz avait eu toutes les occasions d’exposer longuement son point de vue sur la quantification des dommages‑intérêts.

[457]       La Cour est convaincue qu’il n’y a pas eu abus de procédure de la part de la défenderesse. Ainsi, les deux parties ont convenu que l’affaire soit entendue pendant dix jours. Bien que l’ordonnance interlocutoire de 2016 ait autorisé la défenderesse à invoquer deux quelconques des quatre rapports d’expert signifiés le 29 avril 2016, c’est‑à‑dire un expert de plus que la limite de cinq experts prescrite par l’article 7 de la Loi sur la preuve au Canada, les avocats de la défenderesse ont volontairement pris la décision de ne pas appeler M. Dupuis comme témoin et ont déclaré que la présentation de la preuve de la demanderesse était terminée sans aucune forme de réserve ou d’objection. Par conséquent, la demanderesse n’a subi aucun préjudice. Bien que les avocats de la demanderesse aient consacré du temps à préparer des questions pour M. Dupuis, la taxation des dépens selon la colonne IV est suffisante, sans préjudice au droit de la demanderesse de soumettre à nouveau, devant la Cour d’appel fédérale, sa demande pour des dépens supplémentaires concernant M. Dupuis, si la défenderesse forme appel du présent jugement définitif et qu’elle n’a pas abandonné, dans l’intervalle, l’appel qu’elle a interjeté à l’encontre de l’ordonnance interlocutoire de 2016.

[458]       La présente adjudication des dépens n’est pas censée être punitive. La Cour ne peut rien reprocher aux avocats agissant pour le compte d’Airbus et de Bell; ils ont toujours agi de manière professionnelle et responsable dans leurs rapports avec la Cour et son personnel. Sans nul doute, Bell estime que les dommages‑intérêts compensatoires et punitifs demandés par Airbus étaient exagérés, disproportionnés et très gonflés. En revanche, Airbus estime que les sommes que Bell a proposées à la Cour comportaient un caractère offensant et qu’elles étaient inacceptables et dérisoires. Cela étant dit, la Cour ne peut pas dire que les demandes, à elles seules, étaient vexatoires ou frivoles. Il n’en demeure pas moins que cette affaire convenait bien à un règlement, et que la médiation aurait peut‑être permis d’amener les parties à être plus réalistes et à conserver un certain sens de la mesure, tout en favorisant l’instauration d’un dialogue constructif entre elles en vue de régler l’affaire à des coûts raisonnables, ce qui aurait permis aux parties, et aux contribuables, d’économiser des sommes d’argent considérables.

[459]       Les articles 419 à 422 des Règles portent sur les offres de règlement et visent à encourager les parties à régler leurs différends tôt dans le cadre du processus judiciaire, alors que la Cour, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire que lui confère l’article 400 des Règles, et les officiers taxateurs peuvent tenir compte des sommes réclamées et des sommes recouvrées, de même que de toute offre de règlement présentée par écrit, dans l’adjudication des dépens à une partie. Pour une raison ou pour une autre, bien qu’il y ait peut‑être eu une vague mention d’offres de règlement de l’affaire (transcription, volume 10, à la page 226), aucun chiffre n’a été mentionné à la Cour. Aucune observation n’a été formulée quant à l’application possible de l’article 420 des Règles, qui était une question qui pouvait être débattue à la fin de l’instance portant sur les dommages‑intérêts (Philip Morris Products SA c Marlboro Canada Limited, 2015 CAF 9, [2015] ACF no 30, aux paragraphes 7 et 8).

[460]       Bien que la demanderesse ait demandé que les dépens soient fixés en fonction de trois avocats, dont deux avocats principaux et un avocat adjoint, ces derniers n’ont fourni aucune jurisprudence qui aurait permis à la Cour d’appuyer une telle adjudication de dépens. Dans Merck & Co Inc c Apotex Inc, 2006 CF 631, [2006] ACF no 798 (Merck & Co Inc c Apotex Inc), le juge Hughes a autorisé les dépens liés à la présence à l’instruction de deux avocats principaux plus un second avocat. Toutefois, cette affaire qui ne portait que sur la validité du brevet était considérablement complexe, puisque, dans le cadre de cette action, qui avait duré dix ans, il y avait eu une quantité énorme d’interrogatoires préalables ainsi qu’un très grand nombre de requêtes et d’appels. La présente affaire a certainement été longue et complexe, mais la Cour décide d’accorder les mêmes dépens que ceux qui ont été adjugés à la première phase de l’instance. Comme l’a fait observer le juge Hughes dans Merck & Co Inc c Apotex Inc, au paragraphe 30, les procès en matière de brevet sont suffisamment coûteux sans qu’un tribunal y contribue en plus par la voie d’une adjudication de dépens.

[461]       Par conséquent, et conformément au paragraphe 400(3) des Règles, la défenderesse doit verser à la demanderesse des dépens fixés en fonction de l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B pour un nombre maximal de trois avocats (un avocat principal et deux avocats adjoints) pour l’audience, l’instruction et les interrogatoires préalables, de même que pour tous les débours raisonnables, y compris ceux concernant son témoin expert, M. Heys, dans la mesure où ils sont directement liés à l’instance relative à la question des dommages-intérêts.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE à la défenderesse de verser à la demanderesse :

1.                  La somme de 1 500 000 $, laquelle comprend 500 000 $ en dommages‑intérêts compensatoires et 1 000 000 $ en dommages‑intérêts punitifs;

2.                  Des intérêts avant jugement sur la somme de 500 000 $ en dommages‑intérêts compensatoires. Ces intérêts ne doivent pas être composés et sont calculés séparément pour chaque année depuis le début de l’activité de contrefaçon, qui a été établi au 18 octobre 2005, au taux bancaire annuel moyen fixé par la Banque du Canada à titre de taux minimum auquel elle effectue des avances à court terme aux banques énumérées à l’annexe 1 de la Loi sur les banques, LC 1991, c 46;

3.                  Des intérêts après jugement sur la somme totale de 1 500 000 $ en dommages‑intérêts. Ces intérêts ne doivent pas être composés et sont calculés au taux de 5 p. 100 établi à l’article 4 de la Loi sur l’intérêt, LRC 1985, c F‑15;

4.                  Des dépens fixés en fonction de l’échelon supérieur de la colonne IV du tarif B pour un nombre maximal de trois avocats (un avocat principal et deux avocats adjoints) pour l’audience, l’instruction et les interrogatoires préalables, de même que pour tous les débours raisonnables, y compris ceux liés à un témoin expert de la demanderesse, soit M. Heys, dans la mesure où ils sont directement liés à l’instance relative à la question des dommages-intérêts.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

C. Laroche


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-737-08

 

INTITULÉ :

AIRBUS HELICOPTERS c BELL HELICOPTER TEXTRON CANADA LIMITÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LES 30 MaI 2016, 31 MaI 2016, 1ER JUIN 2016, 2 JUIN 2016, 3 JUIN 2016, 6 JUIN 2016,

7 JUIN 2016, 8 JUIN 2016, 9 JUIN 2016 ET 10 JUIN 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS

PUBLIC :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 2 MARS 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Marek Nitoslawski

Me Julie Desrosiers

Me Joanie Lapalme

Me Sarah P. Lavoie

 

POUR LA DEMANDERESSE/

DÉFENDERESSE

RECONVENTIONNELLE

Me Judith Robinson

Me Joanne Chriqui

Me Sofia Lopez Bancalari

Me Nikita Stepin

 

POUR LA DÉFENDERESSE/

DEMANDRESSE

RECONVENTIONNELLE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

pour la demanderesse/

défenderesse

reconventionnelle

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

pour la défenderesse/

demanderesse

reconventionnelle

 

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