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Date : 20170224


Dossier : IMM-3554-16

Référence : 2017 CF 232

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 24 février 2017

En présence de madame la juge Mactavish

ENTRE :

PARMJEET KAUR DHINDSA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Parmjeet Kaur Dhindsa sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté l’appel qu’elle avait interjeté à l’encontre du rejet de la demande de résidence permanente de son époux. Mme Dhindsa s’était engagée à parrainer son époux, Tanjeet Singh Sangha, au titre de la catégorie du regroupement familial. La SAI a conclu que le mariage de Mme Dhindsa n’était pas authentique et qu’il visait principalement des fins d’immigration.

[2]  La décision de la SAI reposait principalement sur son appréciation de la crédibilité de Mme Dhindsa et de M. Sangha concernant les circonstances entourant leur mariage arrangé en Inde. Comme je l’expliquerai plus loin, je n’ai pas été convaincue que la décision de la SAI était déraisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Dhindsa sera rejetée.

I.  Résumé des faits

[3]  Mme Dhindsa est une citoyenne naturalisée canadienne qui était âgée de 32 ans au moment de son mariage avec M. Sangha le 22 janvier 2012. M. Sangha était âgé de 28 ans et vivait avec ses parents dans la région du Panjab, en Inde, lorsqu’il a épousé Mme Dhindsa. Il s’agissait d’un premier mariage pour les deux parties.

[4]  M. Sangha et Mme Dhindsa ont affirmé que le mariage avait été arrangé avec l’aide du cousin de Mme Dhindsa, Gurpreet. Gurpreet est un danseur de Bhangra et un entraîneur, et selon M. Sangha, il a rencontré Gurpreet lors d’un spectacle de danse à la Lovely University, une école située près du village de M. Sangha. M. Sangha a témoigné qu’il connaissait Gurpreet depuis environ un an et demi lorsque ce dernier lui a dit qu’il avait une cousine célibataire qui pensait-il ferait une bonne épouse pour M. Sangha.

[5]  Après que le père de Mme Dhindsa eut rencontré la famille de M. Sangha, Mme Dhindsa s’est rendue en Inde; accompagnée de sa mère et de sa sœur, elle a rencontré M. Sangha pour la première fois le 15 janvier 2012. Ce même jour, le couple s’est fiancé et la cérémonie d’engagement (Shagun) a eu lieu à la maison de M. Sangha. Le mariage a eu lieu une semaine plus tard.  

[6]  Mme Dhindsa est retournée au Canada après la lune de miel du couple. Au moment de son audience devant la SAI, elle avait visité M. Sangha en Inde à deux occasions – une fois en 2014, puis de nouveau en 2015.

II.  Décision de la SAI

[7]  La SAI avait un certain nombre de questions concernant l’authenticité du mariage de Mme Dhindsa et de M. Sangha. Soulignant que la compatibilité est un facteur important à considérer dans les mariages arrangés, où les époux n’ont eu aucune relation avant le mariage, la SAI a reconnu que les époux étaient compatibles, en termes d’origine ethnique, d’antécédents, de religion et de culture. La SAI a souligné que Mme Dhindsa avait trois ans de plus que M. Sangha, mais elle n’a pas semblé trouver cela préoccupant.

[8]  Ce qui préoccupait la SAI, c’était la différence dans les niveaux d’instruction respectifs de M. Sangha et de Mme Dhindsa. Mme Dhindsa est très instruite, elle détient deux maîtrises, tandis que M. Sangha est un fermier qui n’a pas poursuivi ses études après la 12e année. Selon la SAI, le niveau d’études postsecondaires dénote non seulement une possibilité de revenu, mais aussi « la reconnaissance d’une réalisation, d’un certain statut social et d’un degré d’apprentissage supérieur ». La SAI a en outre observé que la différence entre leurs niveaux d’instruction respectifs « aurait sûrement une incidence sur les sujets de conversation, le niveau de communication ainsi que les intérêts communs entre les partenaires », et qu’il « est difficile d’imaginer comment cela n’aurait pas été vu comme présentant un problème de compatibilité ».

[9]  La SAI n’était également pas convaincue de la raison donnée pour expliquer pourquoi la famille de Mme Dhindsa pensait que M. Sangha ferait un bon parti pour elle. De l’avis de la SAI, l’explication selon laquelle M. Sangha était un bon parti parce qu’il ne consommait pas de drogue ou d’alcool à l’excès et que sa famille était « normale » était « des facteurs assez vagues et superficiels ».

[10]  Tout en soulignant qu’il existait des éléments de preuve étayant les communications régulières entre Mme Dhindsa et M. Sangha, ses visites en Inde pour le voir, et le soutien financier offert par la demanderesse à M. Sangha et à sa famille, la SAI avait d’autres doutes concernant l’authenticité du mariage. Ces doutes portaient notamment sur les incohérences dans les témoignages à propos du cousin de Mme Dhindsa, Gurpreet, et le fait que les mariages de la sœur de Mme Dhindsa n’aient pas été arrangés.

[11]  La SAI était également préoccupée par le fait que M. Sangha n’avait qu’une connaissance « très superficielle » de la vie de Mme Dhindsa, et qu’il a été incapable de fournir des détails concernant son travail, son salaire et ses vacances quand l’agent des visas l’a interrogé. Tout en reconnaissant qu’il était beaucoup mieux préparé à répondre à ce type de questions lors de l’audience devant la SAI, il n’était pas logique, de l’avis de la SAI, qu’il n’ait pas été en mesure de le faire au moment de son entrevue.

[12]  Enfin, la SAI a examiné l’historique d’immigration de M. Sangha, soulignant qu’il avait échoué lors de deux tentatives pour venir au Canada avant son mariage avec Mme Dhindsa. La SAI a estimé que cela prouvait un désir préexistant de la part de M. Sangha et de sa famille pour qu’il vienne au Canada. La SAI a également souligné les faits admis par M. Sangha, soit qu’il avait menti sur ses antécédents de voyage dans la demande qu’il avait déposée pour obtenir un visa de résident permanent. La SAI a conclu que M. Sangha avait délibérément fait une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ce qui risquait d’entraîner une erreur dans l’application de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, en contravention à l’alinéa 40(1)a) de la Loi, et qu’il n’était toujours pas franc et direct dans son témoignage devant la SAI.  

III.  Norme de contrôle 

[13]  La question générale en l’espèce est de savoir si la SAI a commis une erreur quand elle a conclu que le mariage de M. Sangha et de Mme Dhindsa n’était pas authentique et qu’il visait principalement des fins d’immigration. Je suis d’accord avec les parties que les conclusions de la SAI sur la crédibilité sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable, puisque la décision sur l’authenticité ou non d’un mariage repose essentiellement sur les faits, et que la retenue de la Cour s’impose : Rosa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 117, au paragraphe 23, [2007] A.C.F. no 152.

[14]  Toutefois, Mme Dhindsa affirme qu’en tirant la conclusion que M. Sangha avait fait une présentation erronée de ses antécédents de voyage, la SAI a outrepassé sa compétence ou a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Selon ce que je comprends de l’argument de Mme Dhindsa, la SAI ne pouvait pas conclure à une présentation erronée en l’absence d’un rapport préparé en vertu de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Par conséquent, la norme de la décision correcte devrait s’appliquer à cet aspect de la décision. Je ne suis pas d’accord : la question de l’historique d’immigration de M. Sangha était clairement pertinente en ce qui a trait à sa motivation de contracter un mariage avec Mme Dhindsa. Ce que la SAI a fait, c’est de tirer des conclusions de fait en lien avec cette question. Ces conclusions de fait doivent également être examinées selon la norme de la décision raisonnable.

IV.  Analyse

[15]  Je suis d’accord avec Mme Dhindsa qu’il semble y avoir eu une certaine confusion de la part de la SAI concernant Gurpreet, M. Sangha, et la question de la danse Bhangra. Il s’agissait toutefois d’une question peu importante, et la conclusion de la SAI selon laquelle les témoignages contenaient certaines incohérences sur ce point concernait une question subsidiaire et ne justifie pas l’intervention de la Cour.

[16]  Il en va de même pour la confusion quant au nom de famille de Gurpreet. Même si Mme Dhindsa et M. Sangha ont fait référence à lui en l’appelant tour à tour Gurpreet Singh ou Gurpreet Dhindsa, toute erreur qu’aurait pu commettre la SAI sur ce point était sans conséquence.

[17]  Ce que la SAI a estimé important, c’est le fait qu’aucun élément de preuve indépendant n’a été fourni pour établir l’existence de Gurpreet, de sa troupe de danse ou de la Lovely University. Mme Dhindsa affirme qu’il était loisible à la SAI de convoquer Gurpreet comme témoin, si elle avait des doutes à son sujet. Toutefois, ce n’est pas le rôle de la SAI. Il incombe à la demanderesse de défendre son affaire et de déposer en preuve tout élément qu’elle souhaite voir examiner : V.S. c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 109, au paragraphe 25, [2017] A.C.F. no 86.

[18]  La question de l’incompatibilité perçue entre Mme Dhindsa et M. Sangha, fondée sur leurs niveaux d’instructions respectifs différents, était essentielle à la question que devait trancher la SAI. La Commission a examiné les explications qui ont été données relativement à cette différence, et a fourni des motifs clairs pour conclure que la différence importante dans les niveaux d’instruction du couple soulevait des questions sérieuses quant à l’authenticité du mariage. Mme Dhindsa n’a pu faire ressortir une erreur de la part de la SAI à ce sujet, mais me demande plutôt d’apprécier à nouveau la preuve dont disposait la SAI sur cette question et d’en venir à une conclusion différente.

[19]  Je ne suis pas convaincue que la SAI a commis une erreur en soulignant les incohérences des témoignages concernant l’adhésion de la famille de Mme Dhindsa à la pratique des mariages arrangés. Mme Dhindsa a témoigné que dans sa culture, les parents choisissent toujours les partenaires conjugaux de leurs enfants. Toutefois, cela ne concordait pas avec le témoignage de la propre sœur de Mme Dhindsa, qui a témoigné qu’elle avait choisi son premier mari elle-même, et qu’après que ce mariage se fut terminé par un divorce, elle avait aussi choisi son second mari.

[20]  La SAI a également estimé que les raisons fournies par la famille de Mme Dhindsa pour conclure que M. Sangha serait un bon parti pour elle étaient « vagues », « superficielles » et « minimales ». Il s’agit d’une conclusion que la SAI pouvait raisonnablement tirer en fonction du dossier dont elle disposait.

[21]  Selon l’historique d’immigration de M. Sangha, il a été adopté par un oncle alors qu’il avait 11 ans, après quoi son oncle l’a parrainé pour qu’il obtienne sa résidence permanente au Canada. Après avoir interrogé M. Sangha, son père et l’oncle, un agent des visas a conclu que M. Sangha ne vivait pas avec son oncle, contrairement à ce qu’il prétendait, et a refusé le parrainage.

[22]  M. Sangha était un adulte quand il a présenté une demande de visa de résident temporaire pour lui permettre d’assister aux funérailles de son grand-père au Canada. Cette demande a également été refusée, cette fois parce que l’agent des visas n’était pas convaincu que M. Sangha quitterait le Canada au terme de la période autorisée. L’agent des visas a tiré cette conclusion en se fondant sur les faibles antécédents de voyage de M. Sangha, ses maigres ressources financières, son statut de célibataire, l’absence de personnes à charge en Inde et d’autres facteurs.

[23]  Même si M. Sangha n’était qu’un enfant au moment de l’adoption supposée et que sa demande de parrainage a été refusée, cela témoigne néanmoins d’un souhait familial que M. Sangha immigre au Canada. M. Sangha était un adulte lorsqu’il a présenté une demande de visa de résident temporaire, et il n’était pas déraisonnable que la SAI examine ses deux tentatives avortées de venir au Canada pour décider si le mariage entre M. Sangha et Mme Dhindsa était authentique, ou visait des fins d’immigration.

V.  Conclusion

[24]  Je reconnais que la SAI disposait d’éléments de preuve qui auraient pu l’amener à conclure que le mariage de Mme Dhindsa et de M. Sangha était authentique. Toutefois, mon rôle n’est pas de trancher moi-même la question de savoir si le mariage était authentique ou non, ou s’il visait des fins d’immigration : mon rôle est de décider si la conclusion de la SAI quant à l’authenticité et aux motifs du mariage était raisonnable. À la lumière des conclusions qui précèdent, je suis convaincue que la décision de la SAI était bien raisonnable. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[25]  Je conviens avec les parties qu’il s’agit d’une affaire qui repose sur les faits qui lui sont propres et qui ne soulève aucune question qui se prêterait à la certification.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire.

« Anne L. Mactavish »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3554-16

 

INTITULÉ :

PARMJEET KAUR DHINDSA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MACTAVISH

 

DATE DES MOTIFS :

LE 24 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Jaswant Singh Mangat

 

Pour la demanderesse

 

Alex Kam

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat Law Professional Corporation

Avocats et notaires publics

Brampton (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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