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Date : 20170301


Dossier : T-525-15

Référence : 2017 CF 248

Ottawa (Ontario), le 1 mars 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

RICHARD TIMM

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur est présentement détenu au pénitencier à sécurité moyenne La Macaza [l’établissement carcéral]. Il purge une peine de prison à perpétuité avec éligibilité à une libération conditionnelle après 25 ans d’incarcération, ayant été déclaré coupable des meurtres au premier degré de ses parents adoptifs en 1995.

[2]               Le demandeur conteste la légalité et/ou la raisonnabilité de la décision de la sous-commissionnaire principale par intérim, Mme Lori MacDonald [sous-commissaire], rendue le 27 novembre 2014, qui maintient en partie ses griefs visant des actions de son agente de libération conditionnelle [ALC], du directeur intérimaire de l’établissement de détention La Macaza et de la Gestionnaire en évaluation et intervention.

[3]               À titre de remèdes judiciaires, le demandeur recherche de la Cour une déclaration d’illégalité, ainsi qu’une ordonnance obligeant le défendeur de lui rembourser la somme de 2 032,54 $ qui a été illégalement prélevée sur son salaire.

[4]               Depuis 2009, le demandeur a déposé plus d’une dizaine de procédures devant la Cour fédérale suite au refus ministériel de réviser sa condamnation criminelle conformément aux articles 696.1 et suivants du Code criminel, LRC 1985, c C-46. Il a notamment contesté la décision finale du Groupe de la révision des condamnations criminelles (GRCC), datant du 21 octobre 2010. La demande de contrôle a été rejetée le 2 mai 2012 par le juge Harrington (Timm c Canada (Procureur général), 2012 CF 505, [2012] ACF no 556), et ce rejet a été confirmé par la Cour d’appel fédérale le 7 novembre 2012 (Timm c Canada (Procureur général), 2012 CAF 282, [2012] ACF no 1398). Le demandeur a alors présenté une demande d’autorisation d’appel devant la Cour suprême du Canada en date du 23 novembre 2012. Cette demande a été rejetée le 14 mars 2013.

[5]               De façon parallèle, le 21 décembre 2011, le demandeur a intenté une action en dommages-intérêts contre la Couronne (dossier T-2076-11). Cette action repose largement sur les irrégularités reprochées par les autorités ministérielles dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-680-11. La défenderesse a déposé une requête en rejet d’action. Le 8 janvier 2013, le protonotaire Morneau a rendu une ordonnance de suspension des procédures dans le dossier T-2076-11, jusqu’à ce qu’il y ait adjudication finale à l’égard de la demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-680-11. Le demandeur a porté cette dernière ordonnance en appel. Le 29 janvier 2013, la juge Bédard a rendu une ordonnance interlocutoire rejetant son appel avec dépens [Ordonnance]. C’est précisément cette Ordonnance – qui n’a pas été communiquée en temps utile au demandeur par les responsables de son établissement carcéral – qui fait l’objet des griefs ayant été maintenus en partie par la sous-commissaire le 27 novembre 2014.

[6]               Selon la preuve au dossier, à la date de l’Ordonnance, une greffière de la Cour fédérale a contacté l’ALC du demandeur pour lui indiquer qu’elle lui faisait parvenir, par télécopieur, une copie de l’Ordonnance, lui demandant par la même occasion de remettre celle-ci au demandeur. De fait, une copie de l’Ordonnance a été transmise par la Cour fédérale par télécopieur à l’établissement carcéral. Toutefois, à l’époque, le demandeur n’a pas reçu communication de l’Ordonnance. Or, le 15 mars 2013, le demandeur a reçu une lettre du défendeur lui transmettant un mémoire de frais s’élevant à 2 032,54 $, en rapport avec les dépens découlant de l’Ordonnance, le tout daté du 12 mars 2013. C’est à ce moment que le demandeur a appris l’existence de l’Ordonnance et qu’il a déposé des griefs suite à l’omission ou au refus des autorités carcérales de lui transmettre copie de l’Ordonnance en temps utile.

[7]               Bien que la présente demande en contrôle judiciaire a trait au rejet des griefs au troisième palier, le 27 novembre 2014, le nœud du problème se situe d’abord plutôt en amont : c’est-à-dire au niveau de la taxation même des frais liés à l’Ordonnance du 29 janvier 2013. En effet, lors de l’audience qui a été tenue devant le juge soussigné à l’automne 2016, les procureurs ont convenu que toute taxation de frais dans le dossier T-2076-11 était prématurée tant que la Cour suprême n’avait pas rendu son jugement sur l’autorisation d’appel du demandeur dans le dossier T‑680‑11 et qu’il n’avait pas été disposé finalement par la Cour fédérale de son action en dommages-intérêts. Or, l’ordonnance du protonotaire Morneau ordonnait justement la suspension de toute procédure dans le dossier T-2076-11 en attendant d’avoir le jugement final de la Cour suprême dans le dossier T-680-11. D’autre part, la cause d’action doit faire l'objet d'une seule taxation (Inverhuron & District Ratepayers Assoc v Canada (Minister of Environment), 2001 CFPI 410, [2001] ACF no 666 au para 9 [Inverhuron] référant à la décision Casden c Cooper Enterprises Ltd, [1991] 3 CF 281, [1991] ACF no 454 et l’affaire Smith and Nephew Inc c Glen Oak Inc, [1995] ACF n1604 (QL) (CFPI), [1995] ACF no 1604 au para 6).

[8]               Non seulement toute taxation des frais contre le demandeur dans le dossier T-2076-11 était prématurée en mars 2013, mais le recouvrement unilatéral d’un montant 2 032,54 $ (mémoire de frais relatif à l’Ordonnance) sur le salaire du demandeur n’était pas possible en mars 2013. De fait, le certificat de taxation au montant total de 8 443,21 $ dans le dossier T‑2076‑11 (qui inclut le montant contesté de 2 032,54 $) a été émis le 13 mai 2014 suite à l’épuisement de tous les recours du demandeur.

[9]               Mais l’affaire est plus complexe qu’elle ne paraît à première vue, car les autorités carcérales ont également pris des mesures pour recouvrer, sur le salaire du demandeur, les nombreux frais taxés dans d’autres dossiers, ainsi que dans le dossier T-2076-11 suite à l’ordonnance rendue le 30 avril 2013 par le protonotaire Morneau radiant l’action en dommages-intérêts, et le rejet par le juge de Montigny le 15 mai 2013 de l’appel du demandeur à l’encontre de l’ordonnance du protonotaire – la Cour d’appel fédérale ayant, quant à elle, rejeté l’appel du demandeur à l’encontre de l’ordonnance du juge de Montigny (Timm c Canada, 2014 CAF 8, [2014] ACF no 61).

[10]           Lors de l’audience du 26 septembre 2016, les procureurs ont donc demandé à la Cour de suspendre son délibéré dans le présent dossier afin que les parties puissent tenter d'en arriver à un règlement global; requête qui a été accordée séance tenante dans l’intérêt de la justice. Le 21 décembre 2016, la Cour a reçu un affidavit de Mme Rosemary Onyeuwaoma, agente financière au Bureau du contrôleur régional du Service correctionnel du Canada [SCC], indiquant que la somme de 2 032,54 $ en lien avec le mémoire de frais relatif à l’Ordonnance avait été déduite de la somme totale de 34 478,84 $ imputée à titre de dette du demandeur envers la Couronne pour l’ensemble de ses différentes procédures judiciaires. Le 25 janvier 2017, le procureur du demandeur confirmait que ladite somme avait été retirée du compte de son client, mais que celui-ci désirait que la présente Cour se prononce malgré tout sur le mérite de sa demande en contrôle judiciaire.

[11]           La norme de contrôle judiciaire de la décision raisonnable s’applique à l’examen de la décision administrative sous étude (Johnson c Canada (Service correctionnel), 2014 CF 787, [2014] ACF no 822 au para 37; Gallant c Canada (Procureur général), 2011 CF 537, [2011] ACF no 679 au para 14; James c Canada (Procureur général), 2015 CF 965, [2015] ACF no 951 aux paras 44-45). En l’espèce, la sous-commissaire a noté que bien que l’Ordonnance avait bel et bien été transmise par la Cour fédérale, aucune entrée de ce document n’avait été enregistrée dans le système de l’établissement carcéral. Or, rien ne lui permettait de conclure que l’ALC aurait eu la copie de l’Ordonnance en sa possession. Conséquemment, la sous-commissaire a conclu que l’ALC ne pouvait être personnellement tenue responsable de cette situation, rejetant par le fait même les réclamations du demandeur concernant les autres agents de l’établissement carcéral. La sous-commissaire indique par ailleurs avoir demandé à la direction de l’établissement carcéral de modifier le registre d’intervention afin que celui-ci soit conforme aux dispositions de l’Annexe B de la Directive du commissaire 701: Communication de renseignements. À ce titre, la sous-commissaire a noté que l’établissement carcéral avait déjà mis en place, en date de la décision, une nouvelle procédure de réception qui permet dorénavant de mieux retracer l’envoi de documents par télécopieur ou par courriel. Concernant les allégations de discrimination et d’harcèlement, la sous-commissaire a noté que bien que le SCC prenait très au sérieux ce genre d’allégation, le demandeur avait fait défaut de présenter toute preuve tendant à démontrer qu’il avait été personnellement ciblé par des actes de discrimination ou d’harcèlement, tels qu’établis dans la Directive du commissaire 081 : Plaintes et griefs des délinquants.

[12]           Il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce. En ce qui concerne le remboursement de 2 032,54 $, le demandeur a obtenu en décembre 2016 le résultat qu’il recherchait par l’octroi d’un crédit imputé sur le montant total dû à la Couronne. La demande de contrôle judiciaire sur cet aspect litigieux du dossier revêt maintenant un caractère théorique. De plus, des correctifs appropriés au niveau de la procédure de réception de documents ont été prescrits par la sous-commissaire. D’autre part, le commissaire ou les sous-commissaires possèdent une grande expertise sur les questions relatives à la gestion pénitentiaire interne comparativement aux tribunaux judiciaires. Cela justifie une retenue considérable à l’égard des décisions prises par la ceux-ci. Or, je ne vois aucune raison particulière pour réviser la décision de la sous-commissaire quant à l’insuffisance de preuves démontrant du harcèlement ou de la discrimination. Par conséquent, la décision de la sous-commissaire appartient aux issues possibles et acceptables au regard des faits particuliers du dossier et du droit applicable en la matière.

[13]           Pour ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans frais.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-525-15

 

INTITULÉ :

RICHARD TIMM c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 septembre 2016

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1 mars 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Pierre Tabah

 

Pour le demandeur

Me Stéphane Arcelin

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Labelle, Côté, Tabah et associés

St-Jérome (Québec)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Québec (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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