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Date : 20170223


Dossier : IMM-3030-16

Référence : 2017 CF 230

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 23 février 2017

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

MIKHEILI TSIKARADZE

IA REKHVIASHVILI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs, Mikheili Tsikaradze et Ia Rekhviashvili, sont un couple marié et sont tous deux citoyens de la Géorgie. Le 25 novembre 2015, ils ont fui la Géorgie et sont arrivés à New York. Quelques jours plus tard, ils se sont rendus à la frontière canadienne à Niagara Falls et ont fait une demande d’asile, alléguant le risque de persécution auquel Mikheli était confronté en raison de son adhésion à un parti politique connu sous le nom de Mouvement national uni. Cependant, dans une décision datée du 23 juin 2016, la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) a conclu que la demande d’asile des demandeurs n’avait aucun fondement crédible en vertu du paragraphe 107(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) et ni l’un ni l’autre n’était une personne à protéger. Les demandeurs présentent maintenant une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la LIPR.

I.  Contexte

[2]  En janvier 2012, Mikheili s’est joint à l’aile jeunesse du Mouvement National Uni (MNU) et a travaillé pour le parti en tant que coordinateur et observateur électoral. Des membres d’un parti politique rival, le Rêve géorgien, l’ont approché en août 2012 et lui ont demandé de changer de parti, ce qu’il a refusé. Les membres du parti Rêve géorgien ont menacé Mikheili qui, à son tour, a déposé un rapport de police, mais aucune mesure n’a été prise par la police. En septembre 2013, Mikheili a reçu un appel téléphonique anonyme, l’informant qu’il serait tué s’il ne se joignait pas au parti Rêve géorgien. Il a signalé l’incident aux autorités policières, mais, là encore, la police n’a pris aucune mesure. Le 30 mai 2014, Mikheili a reçu un appel téléphonique de menace.

[3]  Le 23 mars 2015, des membres du parti Rêve géorgien se sont rendus chez Mikheili et l’ont attaqué. Mikheili a reçu des soins médicaux en milieu hospitalier et la police a été avisée. La police a dit à Mikheili qu’il n’était pas nécessaire de déposer un rapport. Le dernier incident a eu lieu le 19 octobre 2015, lorsque les demandeurs revenaient d’un rassemblement politique et marchaient jusqu’à la maison; des membres du parti Rêve géorgien ont alors attaqué Mikheili et ont menacé Ia. Mikheili a été transporté à l’hôpital pour ses blessures et a, plus tard, signalé l’incident à la police, là encore, sans succès. En raison des menaces graves et des agressions qu’ils avaient subies, et du manque de protection de la police, les demandeurs ont embauché un agent pour qu’il puisse leur obtenir un visa pour se rendre aux États-Unis et leur permettre de fuir la Géorgie.

II.  Décision de la SPR

[4]  Dans sa décision en date du 23 juin 2016, la SPR a conclu qu’il y avait plusieurs incohérences et omissions dans les témoignages des demandeurs, l’amenant ainsi à tirer des conclusions défavorables et à conclure que les demandeurs n’étaient pas des témoins crédibles ni dignes de foi. La question déterminante pour la SPR était la crédibilité.

[5]  La SPR a noté que Mikheili avait omis de dire dans l’exposé circonstancié de son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) qu’il vivait caché pendant qu’il attendait son visa américain. Mikheili a expliqué qu’il avait omis ce fait parce qu’il restait simplement dans son appartement et qu’il n’avait pas quitté sa ville natale. La SPR a rejeté cette explication parce qu’elle était déraisonnable et a conclu que cette omission constituait un élément essentiel de sa requête, en ce qu’il témoigne d’une crainte subjective. La SPR a noté que Mikheili n’a pas communiqué de lui-même cette information et ne l’a donnée qu’en réponse à une question directe. La SPR a conclu que cette omission a miné la crédibilité générale de Mikheili au même titre que son incapacité à se souvenir de la date exacte où il s’est caché, en dépit du fait qu’il connaissait la date précise où se sont produits d’autres événements relativement à sa demande.

[6]  La SPR a également constaté que les incohérences dans les antécédents de voyage de Mikheili avaient miné sa crédibilité. Mikheili prétend n’avoir jamais quitté la Géorgie que pour aller en Turquie et en Azerbaïdjan, avant de partir pour les États-Unis. Toutefois, selon la demande de visa américain, le demandeur d’asile principal aurait voyagé en Allemagne, en France, en Italie et en Grèce. Mikheili a expliqué que l’agent avait rempli la demande de visa à son insu. La SPR a estimé qu’il ne s’agissait pas d’une explication raisonnable, ajoutant ceci :

il est raisonnable de penser que les autorités américaines leur auraient demandé la preuve de leurs antécédents de voyage. Le tribunal estime que cela mine la crédibilité générale des demandeurs d’asile, celle de leurs antécédents de voyage, celle de l’allégation selon laquelle les demandes de visa américain ont été présentées par l’intermédiaire d’un agent et contenaient de faux renseignements, et celle des motifs de leur fuite de Géorgie.

[7]  La SPR a tiré une autre conclusion défavorable quant à la crédibilité, puisque les deux demandeurs d’asile avaient obtenu de nouveaux passeports juste avant leur départ pour les États-Unis puisque ni l’un ni l’autre n’avait trouvé son passeport antérieur. Selon la SPR, la perte des passeports antérieurs semble fortuite, puisqu’elle empêche le tribunal de confirmer si Mikheili avait en fait voyagé dans les pays indiqués dans la demande de visa des États-Unis. La SPR a également trouvé un certain nombre d’incohérences dans le plan des demandeurs de quitter la Géorgie pour un pays démocratique où ils pouvaient être en sécurité et éviter le parti Rêve géorgien. La SPR a demandé pourquoi les demandeurs ont attendu quatre mois avant de recevoir un visa des États-Unis, alors qu’ils auraient pu quitter la Géorgie pour un pays démocratique qui prévoit une exemption de l’obligation de fournir un visa, comme Israël, l’Ukraine, Antigua-et-Barbuda, les Bahamas, la Turquie, la Moldavie et le Brésil. De plus, les demandeurs n’ont pas expliqué adéquatement pourquoi ils n’ont pas demandé l’asile aux États-Unis. La SPR a jugé que cela minait la crédibilité générale des demandeurs d’asile, en particulier celle de l’affirmation selon laquelle les membres du parti Rêve géorgien ont tenté de recruter Mikheili, puis l’ont battu, ainsi que celle de la crainte subjective des demandeurs d’asile.

[8]  La SPR a relevé de nombreuses incohérences dans les profils d’emploi des demandeurs et le profil d’études de Mikheili selon la demande de visa américain et les documents soumis au moment de présenter la demande d’asile. Les demandeurs ont encore là expliqué qu’ils ne savaient pas quels renseignements l’agent avait fournis dans leur demande de visa américain. La SPR a estimé qu’il ne s’agissait pas d’une explication raisonnable, faisant remarquer que :

Les demandeurs d’asile ont signé les documents, en attestant de ce fait la véracité, ont été reçus en entrevue par les responsables américains et ont signé les demandes de visa américain, déclarant que personne ne les avait aidés à les remplir.  Le tribunal juge que cela mine la crédibilité générale des demandeurs d’asile, particulièrement en ce qui concerne leurs antécédents d’emploi, la question de savoir si le demandeur d’asile principal [Mikheili] a travaillé pour l’UNM et si les membres du parti Rêve géorgien ont essayé de le recruter, puis l’ont battu et menacé, et aussi la crédibilité de l’objectif de leur venue au Canada.

[9]  La SPR a examiné la présentation tardive de la demande d’asile et le défaut de demander l’asile des demandeurs durant les quatre mois où ils ont attendu leur visa américain et durant la période de temps qu’ils ont passé aux États-Unis. La SPR a jugé que le retard des demandeurs à quitter la Géorgie minait la crédibilité générale des demandeurs d’asile et leur crainte subjective, particulièrement en ce qui concerne les questions de savoir si les membres du parti Rêve géorgien ont essayé de recruter Mikheili puis l’ont battu, et s’ils ont menacé de mort les deux demandeurs d’asile. La SPR a conclu que l’omission des demandeurs de demander l’asile aux États-Unis minait de telles demandes. Les demandeurs ont expliqué qu’ils étaient désorientés et stressés quand ils sont arrivés. Ils ne savaient pas quoi faire. Mikheili a donc appelé son oncle au Canada, qui lui a suggéré de venir au Canada et de demander l’asile. La SPR n’a pas accepté cette explication, indiquant ceci :

[26]  Le tribunal juge cette explication déraisonnable. Les demandeurs d’asile fuyaient des menaces de mort. Le demandeur d’asile principal [Mikheili] vivait caché depuis environ quatre mois lorsqu’il a quitté la Géorgie avec la demandeure d’asile. Il semble que la situation était désespérée. Le tribunal a également tenu compte du fait que le demandeur d’asile principal a déclaré que tout ce qu’il voulait, c’était quitter la Géorgie et trouver un pays démocratique sûr. Le pays de destination n’avait aucune importance à ses yeux. Les États-Unis sont un pays démocratique où les demandeurs d’asile auraient eu accès à un processus de protection et auraient été à l’abri des menaces de mort. Étant donné les circonstances, le tribunal estime qu’il ne s’agit pas d’une explication raisonnable pour justifier le défaut d’avoir demandé l’asile aux États-Unis.

[27]  Il est raisonnable de penser qu’une personne qui s’enfuit parce qu’elle craint pour sa vie demanderait l’asile à la première occasion. Le tribunal tire une inférence défavorable du défaut de demander l’asile aux États-Unis. Il conclut de surcroît que cela mine la crédibilité générale des demandeurs d’asile et de la raison qu’ils ont invoquée pour quitter la Géorgie et que cela ne concorde pas avec une crainte subjective.

[10]  La SPR a estimé que les demandeurs n’étaient pas des témoins crédibles ni dignes de confiance, concluant, selon la prépondérance des probabilités, que les demandeurs d’asile étaient en fait les personnes décrites dans les demandes de visa américain, que Mikheili ne travaillait pas pour l’UNM, qu’il n’était pas actif au sein de l’UNM, que les membres du parti Rêve géorgien n’ont pas essayé de le recruter, ne l’ont pas menacé et ne l’ont pas battu et n’ont pas menacé de mort les deux demandeurs d’asile. En application du paragraphe 107(2) de la LIPR, la SPR a conclu qu’il n’a été présenté aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel la SPR aurait pu se fonder pour conclure que le demandeur d’asile avait qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger; la SPR a par conséquent conclu que la demande n’avait pas un minimum de fondement.

III.  Questions en litige

[11]  Les diverses questions soulevées par les demandeurs se résument à ces deux questions :

  1. La SPR a-t-elle fait une évaluation raisonnable de la crédibilité des demandeurs?

  2. La conclusion de la SPR selon laquelle la demande du demandeur n’avait aucun fondement crédible était-elle raisonnable?

IV.  Analyse

[12]  En l’espèce, la question déterminante pour la SPR était la crédibilité des demandeurs. Les conclusions de la SPR quant à la crédibilité constituent l’essentiel de la compétence de la Commission, puisqu’il s’agit essentiellement de pures conclusions de fait et que, par conséquent, elles sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (Zhou c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 619, au paragraphe 26, [2013] A.C.F. no 687; Aguebor c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732, au paragraphe 4, 160 NR 315 (CA); Singh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] A.C.F. no 486, au paragraphe 3, 169 NR 107 (CA); et Cetinkaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 8, au paragraphe 17, 403 FTR 46). La Cour doit respecter l’évaluation de la crédibilité de la SPR et ne doit pas intervenir, à moins d’être convaincue que les motifs de la SPR ne sont pas intelligibles, transparents et légitimes et que la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).

A.  La SPR a-t-elle fait une évaluation raisonnable de la crédibilité des demandeurs?

[13]  Les demandeurs font valoir que les conclusions de la SAR quant à la crédibilité sont déraisonnables pour plusieurs motifs. Premièrement, la SPR a tiré une conclusion défavorable de façon déraisonnable quant à la crédibilité en se fondant sur le défaut de Mikheili de mentionner dans son formulaire FDA qu’il s’était caché, parce que ce formulaire est censé être un bref exposé de la demande, et non une documentation sur l’ensemble du dossier; le fait qu’il est resté dans son appartement ne constitue pas un élément essentiel de sa demande, mais, plutôt simplement une précision qui pourrait raisonnablement ressortir de son témoignage de vive voix. Deuxièmement, la SPR a mis en doute la crédibilité des demandeurs au motif que leur témoignage n’était pas compatible avec l’information contenue dans les demandes de visa américain préparées par l’agent; pourtant, les demandeurs n’étaient pas au courant des renseignements que l’agent avait indiqués dans les demandes. Troisièmement, la SPR a tiré différentes conclusions défavorables à l’encontre des demandeurs de la preuve corroborante; en particulier, la SPR a discrédité l’allégation de Mikheili selon laquelle il a été attaqué par des membres du parti Rêve géorgien sans même examiner les lettres de l’Administration centrale de la police de la ville de Rustavi et de l’Hôpital central de Rustavi qui corroboraient le fait que Mikheili avait effectivement été agressé. De même, la SPR a conclu à tort que Mikheili n’était pas membre de l’UNM sans avoir examiné une lettre de l’UNM confirmant que Mikheili était membre du parti. Enfin, la conclusion défavorable de la SPR quant à la crédibilité en raison du défaut des demandeurs de demander l’asile ailleurs n’était pas raisonnable parce que, bien que le défaut de demander l’asile dans un troisième pays puisse être examiné par la SPR, il ne s’agit pas d’un facteur qui détermine la réponse à une demande d’asile et ils n’étaient pas obligés de demander l’asile à la première occasion.

[14]  Le défendeur se porte à la défense de la SPR et de son évaluation de la crédibilité des demandeurs, puisque celle-ci était fondée sur les incohérences, les omissions et les conclusions défavorables de leur preuve. Selon le défendeur, les conclusions de la SPR doivent faire l’objet d’une retenue, puisqu’elle a eu l’avantage d’entendre le témoignage des demandeurs et que la Cour ne pas devrait substituer ses propres conclusions à celles de la SPR si les conclusions auxquelles elle est parvenue étaient raisonnablement justifiées. La Cour ne devrait pas intervenir, selon le défendeur, parce que la SPR a en particulier examiné les explications des demandeurs à l’égard des incohérences et des omissions, mais elle les a finalement rejetées. Le défendeur déclare en outre que la SPR n’a pas fait abstraction de la preuve parce qu’elle n’a pas mentionné spécifiquement certains documents tels que les rapports de police, les rapports médicaux, et des lettres. De l’avis du défendeur, la SPR est présumée avoir examiné tous les éléments de preuve, y compris les rapports de police, les rapports médicaux, et des lettres, et ces documents ne fournissent pas de preuve documentaire indépendante et crédible permettant d’étayer une décision favorable aux demandeurs.

[15]  À mon avis, l’évaluation par la SPR de la crédibilité des demandeurs et sa conclusion à cet égard en l’espèce ne peuvent être justifiées et sa décision ne constitue pas une issue acceptable pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la décision de la SPR doit être annulée et l’affaire doit être renvoyée à la SPR aux fins d’un nouvel examen par un autre commissaire de la SPR.

[16]  Il n’était pas raisonnable de la part de la SPR de conclure que Mikheili ne travaillait pas pour l’UNM ou qu’il n’était pas actif au sein de l’UNM, qu’il n’avait pas été menacé et battu, et que les membres du parti Rêve géorgien n’ont pas menacé de mort les deux demandeurs. Cette conclusion est déraisonnable à la face même des rapports de police, des rapports médicaux, et de la lettre de l’UNM. La SPR n’a procédé à aucune évaluation, et a encore moins mentionné la preuve corroborante indépendante et objective qui venait contredire ses conclusions. La SPR a rejeté la crédibilité de l’allégation de Mikheili selon laquelle il a été agressé et menacé par des membres du parti Rêve géorgien sans analyser les deux lettres provenant de l’Administration centrale de la Police de la ville de Rustavi ainsi que les deux lettres de l’Hôpital central de Rustavi qui étayaient la demande. Elle a également rejeté la crédibilité de l’allégation de Mikheili selon laquelle il était membre de l’UNM sans évaluer la lettre de l’UNM qui confirmait clairement et explicitement qu’il en était membre. Le défaut total de la SPR d’examiner ces documents était déraisonnable. Il ne s’agit pas d’un cas où la Cour peut compléter les motifs de la SPR parce que sa décision est dépourvue de toute analyse de la raison pour laquelle ces documents n’étaient pas crédibles.

[17]  En l’espèce, il appartenait à la SPR d’évaluer la preuve documentaire qui contredisait ses conclusions défavorables quant à la crédibilité de la demande du demandeur. Bien que la SPR n’ait pas à faire référence à chaque élément de preuve dont elle dispose, si la preuve est en contradiction avec ses conclusions, il faut plus qu’« une déclaration générale pour démontrer que la SPR a examiné la preuve »; dans le cas contraire, il serait loisible à la Cour de conclure que la décision a été prise sans tenir compte de la preuve (Eze c. Canada (Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 601, au paragraphe 22, 267 ACWS (3d) 681 [Eze]; voir aussi (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998) ACF no 1425, aux paragraphes 16 et 17, 157 FTR 35). En effet, en l’espèce, la SPR n’a même pas reconnu qu’elle avait examiné toutes les preuves documentaires dont elle était saisie. Même s’il est possible qu’une déclaration par la SPR « voulant qu’elle ait tenu compte de la preuve documentaire qui lui a été soumise suffit pour indiquer qu’elle a examiné toute la preuve afin de rendre sa décision » (voir Antrobus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 3, [2012] A.C.F. no 24, au paragraphe 5), il n’y a pas une telle déclaration ou indication en l’espèce. La Cour est donc en droit de se demander si la SPR en l’espèce a même examiné la preuve documentaire qui corroborait et soutenait la demande des demandeurs.

B.  La conclusion de la SPR selon laquelle la demande du demandeur n’avait aucun fondement crédible était-elle raisonnable?

[18]  Les demandeurs font valoir que la SPR a confondu ses conclusions générales sur l’absence de crédibilité avec sa conclusion quant à l’« absence d’un minimum de fondement », et n’a pas tenu compte des éléments de preuve corroborants crédibles qu’ils ont présentés et qui soutenaient la demande. Les défendeurs affirment que la SPR a raisonnablement conclu que la demande des demandeurs n’avait aucun fondement crédible et qu’il était raisonnable pour la SPR de rendre une telle décision.

[19]  Je suis d’accord avec les demandeurs que la SPR a confondu ses conclusions quant à la crédibilité des demandeurs avec sa conclusion quant à l’absence d’un minimum de fondement. La SPR a fait défaut d’examiner adéquatement s’il existait une preuve crédible pour étayer la demande des demandeurs. Avant d’arriver à une conclusion d’absence de minimum de fondement, la SPR doit examiner s’il existe quelque élément que ce soit de preuve documentaire crédible ou digne de foi qui soit susceptible d’étayer les allégations du demandeur (voir : Eze, au paragraphe 26). En outre, la SPR peut seulement en arriver à la conclusion d’absence d’un minimum de fondement de la demande en vertu du paragraphe 107(2) de la LIPR « le seul élément de preuve dont dispose la SPR est le témoignage du demandeur »; par conséquent, si un demandeur a déposé auprès de la SPR des éléments de preuve crédibles et indépendants permettant d’étayer la demande, « alors sa demande d’asile aura un “minimum de fondement” même si le témoignage du demandeur est déclaré non crédible » (voir Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1133, aux paragraphes 16 et 17, [2015] A.C.F. no 1191).

[20]  La conclusion se laquelle la SPR a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles n’entraîne pas automatiquement une conclusion d’« absence d’un minimum de fondement » (voir : Foyet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1591, aux paragraphes 23 à 26, 187 F.T.R. 181 (CF)). Le seuil pour en arriver à une conclusion d’absence d’un minimum de fondement est élevé parce qu’il exclut la possibilité d’un appel à la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la CISR en vertu de l’alinéa 110(2)c) de la LIPR. Les demandeurs qui sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision bénéficient d’un sursis automatique en vertu de l’article 231 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, en sa version modifiée, sauf s’ils sont originaires de pays désignés en vertu du paragraphe 109.1(1) de la LIPR. La SPR doit prendre en considération la preuve documentaire avant de conclure à l’absence de minimum de fondement à l’égard d’une demande d’asile. Tel qu’il a été noté dans Behary c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 794, au paragraphe 53, 483 F.T.R. 252 : « Ce n’est que s’il n’y a aucun élément de preuve documentaire indépendant ou crédible ou que si ces éléments de preuve ne permettent pas de rendre une décision favorable que la SPR peut tirer une telle conclusion ».

[21]  En l’espèce, la SPR disposait d’une preuve documentaire qui corroborait et appuyait la demande des demandeurs. Cependant, la SPR a déterminé que la demande des demandeurs n’avait aucun fondement crédible sans d’abord évaluer si les rapports de police, les rapports médicaux, et la lettre de l’UNM constituaient une preuve documentaire indépendante ou crédible capable de soutenir la demande. La décision de la SPR à cet égard était déraisonnable.

V.  Conclusion

[22]  Pour les motifs précités, la présente demande de contrôle judiciaire des demandeurs est accueillie et l’affaire est renvoyée à la SPR pour qu’un commissaire différent rende une nouvelle décision. Comme aucune des parties n’a proposé de question à certifier, aucune question n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire et l’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié afin qu’un commissaire différent rende une nouvelle décision conformément aux motifs du présent jugement, et aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3030-16

 

INTITULÉ :

MIKHEILI TSIKARADZE, IA REKHVIASHVILI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Richard Addinall

 

Pour les demandeurs

 

Norah Dorcine

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Richard Addinall

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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