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Date : 20170223


Dossier : IMM-3165-16

Référence : 2017 CF 219

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 février 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

PETRO TANKO ET

TETYANA TANKO

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) en date du 28 juin 2016 (la décision) confirmant une décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (SPR) a conclu que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention. La présente demande a été présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

I.  Résumé des faits

[2]  Petro Tanko (le demandeur) est âgé de 43 ans et affirme qu’il est d’origine ethnique rome. Sa femme, Tetyana, est âgée de 37 ans et est d’origine ethnique ukrainienne. Tous les deux sont des citoyens de l’Ukraine. La demande de Tetyana repose sur son traitement en tant que conjointe d’un Rom. Le demandeur soutient avoir été victime de discrimination, en particulier dans l’éducation et l’emploi.

[3]  Le demandeur prétend qu’il a été attaqué près d’une épicerie à Irshava à l’automne 2013. Il n’a pas cherché à obtenir des soins médicaux, et lorsque lui et Tetyana se sont plaints, la police n’a été d’aucune utilité. Un an plus tard, en septembre 2014, le demandeur affirme qu’il a été battu par Vasyl, le fils d’un voisin.

[4]  Le demandeur a également affirmé qu’il a été attaqué par son voisin Stepan (le père de Vasyl) le 18 janvier 2015. Il s’est plaint à la police, mais on lui a dit plus tard que sa plainte ne ferait pas l’objet d’une enquête. Tetyana a ensuite déposé une plainte auprès du bureau du Procureur, mais on lui a dit que sa plainte ne ferait pas l’objet d’une enquête parce qu’elle était mariée à un Rom.

[5]  Le 26 janvier, Tetyana a été attaquée. Elle a reçu des soins médicaux ambulatoires pendant dix jours à Irshava. La police a recueilli sa déposition, mais n’a pas fait d’enquête.

[6]  À la fin de janvier, le demandeur et son épouse se sont installés à Kiev, où, en mars 2015, le demandeur a été pris à partie et agressé par des membres du Secteur droit. Il a été fouillé lorsqu’il a refusé de montrer sa carte d’identité.

[7]  Les demandeurs ont utilisé de faux documents pour obtenir un visa canadien et ont quitté l’Ukraine le 29 avril 2015. Ils sont arrivés au Canada le jour suivant et ont demandé l’asile en octobre 2015.

II.  Décisions

Décision de la SPR

[8]  La SPR a noté le retard de sept mois à demander l’asile. Elle a tiré une conclusion défavorable parce que la justification du retard indiquée dans le formulaire Fondement de la demande d’asile était incompatible avec son témoignage. Son formulaire Fondement de la demande d’asile indiquait qu’ils [traduction] « se sont entretenus avec quelques consultants » au sujet de leur statut parce qu’ils ne pouvaient pas se payer un avocat. Cependant, le demandeur a déclaré qu’il n’avait pas rencontré de consultants, mais qu’il avait parlé à des membres du personnel d’une entreprise de construction où il travaillait. Tetyana aurait étudié le droit, ce qui a rendu leur ignorance du système de protection des réfugiés peu probable. Pour ces raisons, la SPR a conclu que le retard des demandeurs n’était pas compatible avec une crainte subjective.

[9]  La SPR a également conclu que les voies de fait commis en septembre 2014 et en janvier 2015 n’avaient pas eu lieu. Le formulaire Fondement de la demande d’asile et les rapports médicaux du demandeur indiquaient des endroits où avaient eu lieu les agressions qui différaient de ceux qui avaient été décrits dans son témoignage de vive voix. La SPR a conclu que le demandeur n’était pas en mesure d’expliquer ces divergences.

[10]  La SPR a conclu que Tetyana avait modifié son témoignage quant au moment où elle avait reçu des soins médicaux suivant son agression. Il n’était pas clair comment elle a pu recevoir des soins continus à Irshava alors qu’elle avait déménagé à Uzhgorod. De plus, Tetyana est devenue « très hésitante » lorsqu’on lui a demandé le sexe du médecin qui l’avait traitée. La SPR a conclu que l’agression subie par Tetyana ne s’était pas produite.

[11]  La SPR a conclu que le témoignage du demandeur sur son agression par le Secteur droit était « sans relief » et imprécis, et « ne semblait pas vraisemblable ». La SPR a conclu que l’agression ne s’était pas produite.

[12]  Il n’y a eu qu’un seul document officiel déposé en preuve qui traitait de l’origine ethnique des Roms. Il était daté du 1er septembre 2015 et a été émis par le Comité exécutif de l’administration rurale d’Il’nytsa (le document). Il portait un sceau qui a été imprimé sur une imprimante à jet d’encre plutôt qu’estampillé. Le demandeur a déclaré que ce document a été obtenu par son beau-frère et il ne pouvait pas dire quand ou comment cela s’est produit. La SPR a exprimé ses préoccupations sur l’authenticité du document lors de la première des trois journées d’audience. Cependant, aucune autre preuve quant à la provenance du document ou au cachet n’a été présentée.

[13]  La SPR n’a pas accepté le document et a conclu que l’origine ethnique du demandeur n’avait pas été établie. La SPR a accordé peu de poids à la lettre d’appui de Ronald Lee parce qu’il n’a pas fourni de précisions pour indiquer pourquoi, à son avis, le demandeur est un Rom et elle faisait référence à des faits qui n’étaient pas pertinents à la situation des demandeurs.

[14]  Le demandeur a également fourni des lettres de sa mère et de sa sœur. Il a témoigné que, en tant qu’étudiant, il avait été blâmé pour la disparition d’un portefeuille. Cependant, la lettre de sa sœur a relaté une histoire identique sur un sac à main, mais a indiqué que cela lui était arrivé à elle. Par conséquent, la SPR a accordé très peu d’importance aux lettres.

[15]  La SPR a conclu que le demandeur n’a fourni que de vagues témoignages sur les difficultés qu’il a éprouvées dans sa recherche d’emploi.

[16]  La SPR a conclu que le demandeur n’était pas d’origine ethnique rome, et a rejeté les prétentions des deux demandeurs.

Décision de la SAR

[17]  Les demandeurs ont interjeté appel auprès de la SAR sur la seule question de crédibilité, et n’ont présenté aucun argument au sujet de la lettre de M. Lee et celles de la mère et de la sœur du demandeur.

[18]  La SAR a concentré son examen sur l’origine ethnique rome du demandeur et sur le document. La SAR a conclu que, dès que la crédibilité du document a été mise en cause par la SPR, il incombait aux demandeurs de produire une preuve fiable sur son authenticité. Or, ils ne l’ont pas fait.

[19]  La SAR a conclu que l’allégation du demandeur avait été rejetée, car il n’est pas un Rom et l’allégation de Tetyana avait été rejetée, car elle n’est pas la conjointe d’un Rom.

III.  Les questions en litige

[20]  Le demandeur prétend ce qui suit :

  • 1) La SAR n’a pas instruit un appel fondé sur les faits : il s’agit là d’une erreur de droit.

Les demandeurs affirment aussi que la décision est déraisonnable parce que :

  • 2) La SAR n’a pas expliqué ses conclusions concernant la crédibilité.

  • 3) La SAR a tiré une conclusion sur la plausibilité non appuyée par la preuve;

  • 4) La SAR n’a pas désigné les documents qui, selon elle, n’ont pas été fournis;

  • 5) La SAR n’a pas fait référence au témoignage de vive voix du demandeur au sujet des coutumes romes.

IV.  Analyse et conclusions

La question no 1

[21]  Cette décision n’est pas un modèle de clarté. Cependant, la seule question en appel portait sur l’appartenance ethnique du demandeur et je suis persuadé que la SAR n’a pas instruit l’appel conformément à la décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93. La SAR a renvoyé à la conclusion de la SPR quant à l’absence d’un cachet sur le document et a mentionné plus loin, au paragraphe 30 :

Les appelants doivent prouver leur identité. Aucune documentation n’a été présentée après les audiences de la SPR, ni dans le mémoire d’appel, pour corroborer les observations des appelants selon lesquelles la documentation était authentique, ou le témoignage du conseil de l’appelant à l’audience de la SPR. Dans la mesure où la SPR avait soulevé la question à l’audience initiale, il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que les appelants fassent des efforts pour établir l’origine ethnique rome de l’appelant lorsque cette question essentielle leur a été posée.

[22]  Bien que la SAR n’ait pas été expressément en accord ou en désaccord avec le rejet par la SPR du document, elle a indiqué au paragraphe 33 :

Compte tenu de ce qui précède, la SAR conclut, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant n’est pas Rom. Comme le fondement de la demande d’asile concerne le fait que l’appelant aurait été persécuté du fait de son origine ethnique rome, la SAR estime, selon la prépondérance des probabilités, que l’appelant n’est pas Rom, et sa demande d’asile au Canada doit être rejetée.

[23]  À mon avis, l’expression « compte tenu de ce qui précède » renvoie à la situation examinée par la SAR au paragraphe 30 et cette référence est suffisante pour me permettre de conclure que la SAR a examiné de façon distincte la question de l’origine ethnique du demandeur.

Les questions no 2 et no 3

[24]  La SAR a pris bonne note de la conclusion de la SPR selon laquelle le témoignage du demandeur était « vague », mais a ensuite examiné la transcription de l’audience de la SPR et a conclu que le témoignage du demandeur au sujet de la discrimination dont il avait été victime à l’école n’était pas crédible. Elle en est arrivée à cette conclusion parce que le demandeur a relaté une histoire sur un blâme qu’il aurait reçu pour un vol, laquelle était pratiquement identique à une histoire relatée par sa sœur dans sa lettre d’appui. Le demandeur prétend que les conclusions quant à l’invraisemblance doivent être fondées sur une preuve claire et qu’il est tout à fait possible que, sur une période prolongée à l’école primaire, les deux enfants aient vécu des expériences similaires. À mon avis, il était raisonnable de conclure que ces incidents parallèles ne se sont pas produits.

[25]  La SAR a également conclu, à la suite de son examen de la transcription, que le témoignage du demandeur voulant qu’il ait eu de la difficulté à trouver du travail parce qu’il était Rom n’était pas crédible. À mon avis, cette conclusion était aussi raisonnable. Le demandeur a clairement indiqué qu’il a travaillé pour un employeur pendant de nombreuses années à occuper des emplois dans le secteur de la construction. Bien qu’il ait mentionné avoir éprouvé des difficultés en raison de son origine ethnique rome, il a été incapable de fournir des détails pour expliquer ces difficultés.

La question en litige no 4

[26]  Le demandeur prétend que la SAR a été obligée de déterminer la nature des documents qu’on pourrait raisonnablement considérer comme réels et qui ne lui ont pas été fournis avant qu’elle ait conclu que le demandeur n’avait pas respecté son obligation d’établir son origine ethnique.

[27]  S’il est vrai que la SPR et la SAR décrivent souvent les documents qu’elles s’attendent à recevoir dans le cadre du dossier d’un demandeur, elles ne sont pas tenues de le faire. Si un demandeur connaît les préoccupations qui doivent être traitées (comme ce fut le cas ici), il lui appartient de produire les documents pour dissiper ces préoccupations. Il se peut que les documents n’existent pas. Il se peut aussi qu’ils aient à être créés. En l’espèce, les affidavits du beau-frère qui a obtenu le document et du fonctionnaire de la ville qui l’a préparé, et qui savait qu’un cachet était nécessaire, auraient pu être utiles.

La question en litige no 5

[28]  Le demandeur a témoigné qu’il avait dit à Ronald Lee que sa famille avait comme tradition d’élever des chevaux et de fabriquer des paniers, des sacs artisanaux et des assiettes décoratives, et que c’est son père qui lui a appris ces habiletés. Il a également parlé d’un congé rom le 8 avril et le fait que les Roms lavent les vêtements pour hommes et pour femmes séparément.

[29]  Ni la SPR ni la SAR n’ont renvoyé à ces éléments de preuve, même s’il est clair que la SPR a entendu ces témoignages pendant l’audience et que la SAR en a pris connaissance lorsqu’elle a examiné la transcription.

[30]  À mon avis, il n’était pas déraisonnable d’omettre ce renvoi à la preuve dans la décision parce que celle-ci n’aurait pas été suffisante pour établir l’identité du demandeur en tant que Rom.

[31]  Pour tous ces motifs, la demande sera rejetée.

V.  Question à certifier

[32]  Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3165-16

 

INTITULÉ :

PETRO TANKO ET AL. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 21 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 février 2017

 

COMPARUTIONS :

James Lawson

 

Pour les demandeurs

 

Negar Hashemi

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yallen Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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