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Date : 20170223


Dossier : T-1440-16

Référence : 2017 CF 217

Ottawa (Ontario), le 23 février 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

SEMHAT, AJWAD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur conteste la légalité et/ou la raisonnabilité d’une décision en date du 22 juin 2016, rejetant sa demande de citoyenneté. Après avoir entendu les représentations du demandeur en audience et examiné la preuve documentaire au dossier, la juge de citoyenneté a douté de la crédibilité du demandeur et a conclu qu’il lui était impossible de déterminer si ce dernier avait bel et bien respecté les exigences prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 [Loi], soit 1 095 jours de présence physique au Canada selon l’approche retenue ici (Pourghasemi (Re), [1993] ACF no 232 [Pourghasemi]).

[2]  C’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à l’examen du mérite de la décision sous étude (Saad c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2013 CF 570, [2013] ACF no 590 au para 18; Haddah c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2014 CF 977, [2014] ACF no 1013 au para 18 [Haddah]; Eskandari c Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2015 CF 239, [2015] ACF no 272 au para 7). En l’espèce, la Cour ne devrait pas substituer sa propre appréciation de la preuve à celle du décideur, mais bien vérifier si la décision appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Haddah, au para 19 référant à Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47). S’agissant cependant de déterminer s’il y a eu un bris à l’équité procédurale, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique.

[3]  Il n’y a pas lieu d’intervenir en l’espèce. Après avoir considéré les représentations écrites et orales des parties à la lumière de la preuve au dossier et des principes de droit applicables, je souscris au raisonnement général du défendeur dans son mémoire écrit pour rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Je me permettrai cependant de faire un certain nombre d’observations au sujet de la décision sous étude et des motifs d’attaque soulevés par le demandeur, lesquels m’apparaissent tous infondés en l’espèce.

[4]  Rappelons tout d’abord que le demandeur est un résident permanent, originaire du Liban, arrivé au Canada en avril 2001 en compagnie de sa femme et de ses quatre enfants. Auparavant, il avait une compagnie située en République démocratique du Congo exerçant dans le domaine de l’exportation de produits alimentaires de l’Europe vers l’Afrique. La conjointe du demandeur est décédée en 2007. Le 7 février 2012, le demandeur a déposé sa demande de citoyenneté auprès du Ministère de Citoyenneté et d’Immigration Canada [CIC], déclarant un total de sept périodes d’absence, totalisant 357 jours. Ce nombre a toutefois été revu à 352 jours, lui laissant une présence physique effective de 1 108 jours pour la période pertinente visée, soit du 7 février 2008 au 7 février 2012. Le 15 novembre 2014, le demandeur s’est présenté à une entrevue avec un agent d’immigration où il s’est vu remettre un questionnaire de résidence [QR] qu’il a ensuite complété en présence de sa fille, qui est avocate. Après avoir reçu tous les documents du demandeur, l’agent d’immigration était d’avis que la crédibilité du demandeur posait problème [Gabarit]. En date du 22 juin 2016, le demandeur a été convoqué à une audience devant un juge de citoyenneté.

[5]  Contrairement à ce que prétend le demandeur, il n’y a eu aucune violation à l’équité procédurale en l’espèce. Il est clair que la juge de citoyenneté a soulevé à l’audience chacun des points litigieux décrits dans le Gabarit. La juge de citoyenneté a également pris note des réponses fournies par le demandeur. Souscrivant au principe que le fardeau repose sur le demandeur de fournir une preuve claire et convaincante, il est manifeste que les explications du demandeur étaient tout simplement insuffisantes, et que le demandeur invite ni plus ni moins aujourd’hui la Cour à se substituer au juge de la citoyenneté, ce qui n’est pas son rôle en l’espèce.

[6]  Il incombait au demandeur de démontrer, de façon claire et convaincante, qu’il répondait aux exigences de présence prévues à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. Or, après avoir interrogé le demandeur sur chacun des points soulevés dans le Gabarit, la juge de citoyenneté a dressé une liste des doutes et incohérences soulevés, pour finalement conclure que celui-ci ne s’était pas acquitté de son fardeau. La juge de citoyenneté n’était pas tenue de faire continuellement part au demandeur des commentaires sur le caractère suffisant ou non de ses réponses ou de sa documentation. De plus, le demandeur a eu l’opportunité de présenter toute la preuve qu’il souhaitait, soumettant même des documents pendant et après l’audience.

[7]  La juge de citoyenneté appuie son raisonnement et sa conclusion sur les réponses fournies par le demandeur. Lorsque prié de décrire sa journée typique, il fait défaut de répondre à la question, donnant plutôt des renseignements hors sujet sur ses enfants (Décision aux paras 19‑20). Questionné davantage sur l’endroit où il faisait ses courses ou encore sur l’endroit où il achetait ses vêtements, la juge de citoyenneté a noté que le demandeur fournissait des réponses de nature générale, ne lui laissant pas l’impression qu’il fréquentait souvent les commerces à proximité de sa résidence à Montréal (Décision aux paras 21-23).

[8]  Concernant son nouveau passeport, le demandeur en a fourni l’original lors de l’audience, lequel confirmait ses déclarations orales. Ce point du Gabarit a donc été éclairci à la satisfaction de la juge de citoyenneté.

[9]  Interrogé au sujet de ses nombreuses allées et venues au Liban et sur le fait que son passeport contenait seulement deux timbres, le demandeur a expliqué que les agents apposent parfois des timbres, et parfois non. Puisque les citoyens du Liban utilisent parfois une carte rose pour tenir lieu de passeport, la juge de citoyenneté a voulu savoir du demandeur s’il était détenteur d’une telle carte. Or, celui-ci a répondu par la négative, rajoutant qu’il n’avait rien à cacher. Cette réponse a laissé la juge de citoyenneté perplexe, lui laissant croire justement le contraire (Décision aux paras 24-26).

[10]  Passant ensuite à l’utilisation de sa carte de la RAMQ et à son profil médical, le demandeur a expliqué qu’il était en bonne santé. Cette réponse a toutefois paru contradictoire considérant le fait qu’il avait indiqué en moyenne neuf consultations au cours de trois années dans la période visée, alors qu’il y avait un trou important inexpliqué. La juge de citoyenneté en a donc tiré une inférence négative (Décision aux paras 27-28).

[11]  La juge de citoyenneté a également relevé des discordances ou des anomalies au niveau des documents bancaires fournis. Le demandeur aurait ouvert un compte dès 1999 alors qu’il n’est arrivé au Canada qu’en 2001. De plus, le nom de l’épouse du demandeur, décédée pourtant en 2007, figurait toujours sur le compte bancaire conjoint, tandis que des retraits avaient été également effectués alors que le demandeur était apparemment à l’étranger (Décision aux paras 29-31).

[12]  Enfin, la juge de citoyenneté a interrogé le demandeur sur les différentes contradictions entre son QR et sa déclaration. Celui-ci a expliqué que la déclaration était correcte, tandis que le QR avait été complété par sa fille, agissant comme avocate. Pour ce qui est de son voyage d’une journée en Suisse, le demandeur a spécifié qu’il allait voir quelqu’un, sans donner plus de détails, sauf pour dire qu’ils s’étaient donnés rendez-vous à l’aéroport. La juge a considéré improbable qu’il puisse voyager en Suisse pour une seule journée, surtout compte tenu l’absence de détails concernant ce voyage (Décision aux paras 32-34).

[13]  À la lumière de ce qui précède, je conclus que la juge de citoyenneté n’a pas agi de manière déraisonnable. Il lui était parfaitement loisible de se déclarer insatisfaite des explications donnée par le demandeur. Cette conclusion repose sur la preuve et ne m’apparaît pas déraisonnable en l’espèce. Au contraire, la juge de citoyenneté a trouvé que le demandeur manquait de crédibilité, s’étant montré très avare de détails à propos de sa vie quotidienne au Canada. Considérant que le fardeau lui incombait de prouver qu’il répondait aux exigences de la Loi, la juge de citoyenneté a rejeté sa demande de citoyenneté au motif qu’il lui était impossible de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, le nombre de jours exacts que le demandeur avait été effectivement présent au Canada durant la période pertinente. Il s’agit ici d’une issue acceptable.

[14]  Au risque de me répéter, les divers reproches du demandeur sont injustifiés. Il n’est pas nécessaire d’en faire une analyse détaillée dans ces motifs de rejet. Comme l’a rappelé la Cour suprême du Canada dans l’affaire Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, [2013] 2 RCS 458 au paragraphe 54, il faut considérer la décision dont on demande la révision judiciaire « comme un tout et s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (voir à ce sujet Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 RCS 708 au para 14).

[15]  La juge de citoyenneté a pris en considération l’ensemble des documents fournis par le demandeur, y compris la liste énumérée dans son mémoire, mais ceux-ci ne démontraient pas une présence physique au Canada de 1 095 jours durant la période pertinente. Je rejette à ce chapitre toute prétention du demandeur à l’effet que la juge de citoyenneté a omis de calculer le nombre de jours de présence et d’absence du Canada. La juge de citoyenneté a effectivement tenu compte de ce facteur pertinent (Labioui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 391, [2016] ACF no 366). De fait, la juge de citoyenneté a utilisé le nombre de jours d’absence du demandeur selon le nombre révisé de l’agent d’immigration (352 jours) ce qui laissait 1 108 jours de présence effective au Canada (paragraphe 9 de la décision).

[16]  Le problème fondamental c’est que les divergences dans la preuve et le témoignage du demandeur faisaient en sorte qu’il était impossible de déterminer, selon la prépondérance des probabilités, le nombre exact de jours que le demandeur était effectivement présent au Canada au cours des périodes où il prétendait y avoir été (paragraphe 37 de la décision). Or, il est bien établi que les tribunaux doivent faire preuve d’un degré élevé de déférence à l’égard des conclusions relatives à la crédibilité. Il était raisonnable pour la juge de citoyenneté, eu égard au test mentionné dans Pourghasemi, de conclure que le demandeur ne respectait pas le seuil de 1 095 jours de présence physique au Canada.

[17]  La présente demande en contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1440-16

 

INTITULÉ :

SEMHAT, AJWAD c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal, Quebec

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE February 14, 2017

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE february 23, 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Isabelle Sauriol

Pour le demandeur

Me Lisa Maziade

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers Avocts inc.

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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