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Date : 20170222


Dossier : IMM-3327-16

Référence : 2017 CF 211

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 février 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

NUWAN DILUSHA JAYAMAHA MUDELIGE DON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur demande à la Cour d’annuler la décision rendue le 15 juillet 2016 par l’agent de l’immigration (l’agent), qui a rejeté sa demande de résidence permanente fondée sur des considérations humanitaires.  Le demandeur souhaite que l’affaire soit réexaminée par un autre agent.  Le défendeur s’oppose à la présente demande de contrôle judiciaire.

[2]  Essentiellement, l’agent a estimé que les considérations humanitaires soulevées par le demandeur, de même que les éléments de preuve au dossier – qui n’appuient pas les difficultés alléguées – ne suffisaient pas pour qu’il accorde une exemption en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).  Comme la décision discrétionnaire rendue par l’agent repose essentiellement sur des faits, la norme de la décision raisonnable s’applique (Taylor c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 21, [2016] ACF no 23, aux paragraphes 16 à 18; Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909, au paragraphe 44).

[3]  Le demandeur affirme que l’agent a commis une erreur dans l’appréciation de ses difficultés et de son degré d’établissement.  À mon avis, ces arguments ne sont fondés ni en faits ni en droit.  La Cour adopte essentiellement le raisonnement du défendeur pour rejeter la demande.  Même si les questions n’ont pas été traitées dans cet ordre par les parties, c’est la question de l’établissement qui sera examinée en premier.

L’agent a-t-il commis une erreur susceptible de révision dans son évaluation du degré d’établissement du demandeur?

Le demandeur, un citoyen du Sri Lanka, est arrivé au Canada en décembre 2011, en désertant un navire étranger.  En conséquence, une mesure d’exclusion a été prise contre lui.  Sa demande d’asile a finalement été rejetée (en raison de la mesure d’exclusion en cours).  La mesure d’exclusion a été annulée par la juge Tremblay-Lamer (Mudalige Don c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1, [2013] ACF no 174), mais a par la suite été rétablie par la Cour d’appel fédérale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Jayamaha Mudalige Don, 2014 CAF 4, [2014] ACF no 19).  La demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR) présentée par le demandeur n’a pas été accueillie, et sa demande de contrôle judiciaire a en bout de ligne été rejetée (Don c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 829, [2015] ACF no 821).  Dans l’intervalle, le demandeur – qui a pu obtenir un sursis à l’exécution de la mesure de renvoi au Sri Lanka dont il faisait l’objet – a déposé une demande fondée sur des considérations humanitaires (demande CH).

[4]  L’agent n’a pas commis une erreur susceptible de révision dans son évaluation du degré d’établissement du demandeur.  Le demandeur n’a ni femme ni enfant au Canada, alors que ses parents et ses trois sœurs vivent au Sri Lanka.  L’agent souligne que le demandeur est au Canada depuis quatre ans et demi et qu’il a été sans emploi jusqu’en septembre 2014, date à laquelle il a commencé à travailler comme cuisinier.  Il souligne également qu’il va à l’Église régulièrement et qu’il a des amis dans sa collectivité.  Même si le demandeur a atteint un certain degré d’établissement – grâce à son travail, ses activités de bénévolat et ses amis dans la collectivité – et même si ces éléments favorisaient une décision favorable, et que les efforts consentis par le demandeur étaient louables, ses efforts n’étaient pas supérieurs à ce à quoi on s’attendrait après près de cinq ans au Canada.

[5]  Le raisonnement de l’agent est clair et transparent.  Quoi qu’il en soit, le demandeur soutient néanmoins que l’agent a commis une erreur en ne précisant pas le degré d’établissement au Canada.  Selon lui, l’agent a aussi implicitement conclu que son établissement au Canada s’expliquait par le fait qu’il avait épuisé tous ses recours sur le plan juridique.  Par conséquent, le demandeur fait valoir qu’il ne peut être aussi pénalisé.  À son tour, le défendeur rétorque que même si ses motifs sont brefs, l’agent a bien pris en considération le degré d’établissement et il n’a pas pénalisé le demandeur pour les actions intentées par le biais du système de justice, ni même tiré des conclusions défavorables des autres procédures légales ou administratives intentées par le demandeur.

[6]  Malgré l’insuffisance alléguée des motifs, je doute ici que le commentaire général fait par l’agent, selon lequel les efforts faits par le demandeur n’étaient pas supérieurs à ce à quoi on s’attendrait de quelqu’un qui a vécu près de cinq ans au Canada, soit suffisant pour annuler la décision contestée.  Cette dernière doit être lue comme un tout et examinée avec le reste de la preuve au dossier, qui soutient clairement la conclusion de l’agent.  En passant, l’issue de l’établissement n’est certainement pas un facteur déterminant en l’espèce.  De plus, il est évident d’après la décision que l’agent n’a jamais considéré comme un facteur négatif les multiples instances introduites par le demandeur.  Par conséquent, il n’y a pas là d’erreur susceptible de révision.

L’agent a-t-il commis une erreur susceptible de révision dans son évaluation des difficultés du demandeur?

[7]  En l’espèce, la principale question concernant les difficultés du demandeur avait trait au facteur de risque.  Le demandeur a soutenu qu’il a participé le 30 mai 2011, à un grand rassemblement organisé par les syndicats pour protester contre un projet de loi concernant le fonds de pension de certains employés.  Durant la manifestation, les autorités policières ont ouvert le feu sur la foule et ont tiré sur le cousin du demandeur, qui a finalement succombé à ses blessures.  En fait, le demandeur a affirmé dans sa première déclaration écrite à l’appui de sa demande CH :

[traduction] Soudainement, à un moment donné la police a commencé à tirer des coups de feu et j’ai vu mon cousin recevoir une balle et il est tombé au sol.  Je me suis précipité près de lui et j’ai appelé une ambulance pour qu’on l’emmène à l’hôpital, mais il était trop tard.  Il a succombé à ses blessures par balle.

[Non souligné dans l’original.]

[8]  Le demandeur soutient en outre qu’après avoir été témoin de la mort de son cousin, il a décidé de protester activement contre les autorités policières du Sri Lanka en signant une pétition et en collaborant avec les avocats des syndicats dans le contexte d’une poursuite contre elles.  Le 28 juin 2011, le demandeur a été arrêté, enlevé et battu par la police, en raison de sa participation au procès, ce qui a incité le demandeur à quitter sa terre natale.

[9]  À la lecture de l’ensemble de la décision contestée, il est évident que l’agent n’a pas cru que le demandeur était présent lors de l’incident du 30 mai 2011 – que cela soit vu comme un problème de crédibilité ou comme un problème de valeur probante – étant donné les différentes incohérences mentionnées dans les motifs.  Selon les articles au dossier, le cousin du demandeur a été laissé sans soins et a perdu du sang pendant deux heures alors qu’il était détenu par la police, avant d’être amené à l’hôpital.  Un témoin a également témoigné devant la cour sri-lankaise que lui et d’autres collègues ont amené le cousin à l’usine, avant que la police ne vienne et l’emmène de force.  L’agent a aussi souligné que le demandeur avait omis de fournir une preuve documentaire de son témoignage, même s’il a supposément déposé une plainte contre les autorités policières.

[10]  Les motifs de l’agent sont clairs et transparents.  Quoi qu’il en soit, le demandeur affirme néanmoins que l’agent a commis une erreur grave en concluant à une contradiction entre sa déclaration et la preuve rapportée dans les articles de journaux.  En fait, le demandeur n’a jamais affirmé qu’il était le seul témoin oculaire du décès de son cousin, puisque de nombreux autres collègues l’ont trouvé au sol blessé, mais il a dit qu’il était le seul qui l’avait vu se faire tirer par les autorités.  Le demandeur soutient que sa déclaration écrite pourrait être incomplète et pas aussi détaillée qu’il l’aurait voulu, mais elle ne contredit pas la preuve documentaire sur cet incident.

[11]  Dans l’ensemble, il n’y a aucune raison de toucher à la conclusion de l’agent ou d’intervenir en l’espèce.  Il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard du décideur, surtout en ce qui concerne son appréciation de la preuve et de la crédibilité du demandeur.  Je suis d’accord avec le défendeur que la déclaration faite par le demandeur est contradictoire et qu’il ne peut la réorganiser dans son affidavit en soumettant de nouveaux éléments.  Le problème de crédibilité n’est pas lié à la question de savoir si le demandeur était le seul témoin, ou l’un des nombreux témoins, de l’incident du 30 mai 2011, mais plutôt à celle de savoir si la conclusion défavorable de l’agent est fondée sur la preuve.  En fait, les nouvelles explications données par le demandeur dans son affidavit contredisent maintenant sa déclaration précédente, puisqu’il soutient maintenant que la police a bien tiré, mais qu’il s’est mis à l’abri et a appelé une ambulance; toutefois, quand il est retourné sur les lieux, son cousin était déjà parti.  De plus, il n’y a simplement aucun élément de preuve au dossier soutenant le fait que le demandeur ait participé au procès qui a suivi l’attaque de la police sur la foule durant une manifestation.  En fait, l’agent a correctement souligné qu’il n’y avait aucun élément de preuve concernant sa déclaration aux avocats des syndicats, ni aucun élément de preuve selon lequel il aurait déposé une plainte à la police après l’incident.  Même si la preuve montre clairement qu’une enquête judiciaire a été entreprise et que de nombreux témoins sont venus témoigner au sujet de l’incident, il n’y avait simplement aucune indication que le demandeur était l’un deux.  Étant donné ces incohérences importantes et le manque d’éléments de preuve à l’appui, il était raisonnable pour l’agent d’avoir de sérieux doutes quant à la véracité du témoignage du demandeur.  À la lumière de ces conclusions, l’agent n’avait pas à évaluer le fait que les personnes qui sont témoins de violations des droits de l’homme sont exposées à un grand risque au Sri Lanka.

[12]  Finalement, l’agent a aussi pris en considération les éléments de preuve concernant les difficultés personnelles du demandeur dans sa recherche d’emploi, en sa qualité de jeune homme sans famille ou sans relations dans les milieux politiques.  À ce titre, l’agent a souligné que le demandeur était scolarisé et avait acquis une expérience de travail au Sri Lanka comme cuisinier (2001 à 2005) et comme graisseur à bord de navires (2006 à 2011).  Qui plus est, il n’y avait aucun document pour soutenir une quelconque discrimination à son égard, associée au fait qu’il est jeune, ou sans famille, ou sans relations dans les milieux politiques.  On a aussi souligné la condition socio-économique généralisée au Sri Lanka qui touche la population en général.  Même s’il était prévisible que le demandeur connaisse certaines difficultés à s’établir à nouveau à son retour au Sri Lanka, l’agent a estimé qu’il serait également raisonnable qu’il trouve un certain appui et une certaine aide auprès de ses amis et de sa famille.  Il n’y a aucune raison d’intervenir dans cette conclusion, laquelle est également appuyée par la preuve et raisonnable dans les circonstances.

[13]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée.  Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.  Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3327-16

 

INTITULÉ :

NUWAN DILUSHA JAYAMAHA MUDELIGE DON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 février 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS:

Le 22 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Viken Artinian

Pour le demandeur

Daniel Latulippe

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associates

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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