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Date : 20170202


Dossier : IMM-2122-16

Référence : 2017 CF 132

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 février 2017

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

JASDEEP SINGH

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Jasdeep Singh pour contester le caractère raisonnable de la décision d’un agent (l’agent) rejetant la demande de résidence permanente déposée en vertu du Programme des travailleurs qualifiés (fédéral) (Entrée express).

[2]  L’agent a déterminé que M. Singh n’était pas admissible en raison des doutes concernant son expérience de travail antérieure dans la Classification nationale des professions (CNP) de « Vérificateurs/vérificatrices et comptables ». La question en litige était la fiabilité de la déclaration de M. Singh au sujet de son emploi en Inde à titre de travailleur qualifié comme vérificateur au sein du cabinet de comptables agréés M. Singh & Co. entre le 1er décembre 2011 et le 14 août 2013.

[3]  Les doutes de l’agent proviennent du fait que M. Singh n’a pas divulgué ses antécédents de travail dans ses demandes antérieures pour obtenir un visa d’étudiant et un visa de travail temporaire.  Cette divergence était suffisamment préoccupante pour l’agent qu’il a décidé de rédiger une lettre relative à l’équité procédurale et de la transmettre à M. Singh pour lui demander de clarifier et corroborer l’information. [1]  

[4]  La lettre relative à l’équité procédurale de l’agent n’a fait mention que d’une seule préoccupation, soit que l’affirmation d’expérience de travail de vérificateur de M. Singh au sein de l’entreprise M. Singh & Co. était remise en doute.  La préoccupation de l’agent résidait dans l’absence d’éléments de preuve corroborant la véracité de l’emploi (p. ex., bordereaux de paie, documents de déclarations de revenus, enregistrement d’entreprise), l’omission de déclarer son emploi chez M. Singh & Co. dans ses demandes de visa temporaire précédentes et un chevauchement apparent touchant son emploi au sein de l’Institut indien des comptables agréés.

[5]  M. Singh a été invité à dissiper les doutes de l’agent, ce qu’il a tenté de faire.  Son conseiller juridique a répondu à la lettre relative à l’équité procédurale de l’agent en indiquant que M. Singh n’avait jamais affirmé qu’il travaillait pour l’Institut indien des comptables agréés.  Il était plutôt un étudiant de l’Institut en vue d’obtenir son accréditation.  Cette réponse était accompagnée d’une déclaration solennelle de M. Singh attestant sa participation à un programme travail-études (stage) au cours de ses études de comptabilité à l’Institut.  Il a également joint plusieurs documents corroborant son emploi subséquent chez M. Singh & Co. L’explication de M. Singh concernant le fait qu’il n’a pas déclaré son emploi chez M. Singh & Co. dans ses demandes de visa précédentes est formulée comme suit dans sa déclaration solennelle : 

12. [traduction] Je suis désolé de ne pas avoir indiqué mon expérience de travail au sein de M. Singh & Co. dans mes demandes précédentes puisque j’ai mal compris les sections associées aux demandes de visa de résident temporaire; je croyais qu’on faisait référence à mon expérience de travail au Canada et à ma participation au programme travail-études (stage) en Inde;

13. Il s’agit d’une erreur par inadvertance de ma part et je joins des éléments de preuve additionnels démontrant mon expérience de travail au sein de l’entreprise (M. Singh & Co.)

14. Je n’aurai pas sciemment omis l’information touchant mon expérience de travail au sein de M. Singh & Co. puisque je suis fier de cette expérience et que je présume que celle-ci constituerait un élément positif favorisant l’acceptation de mes demandes pour entrer ou demeurer au Canada.

[6]  L’agent a refusé de tenir compte des éléments de preuve de M. Singh et a rejeté la demande. Dans la lettre de décision, les motifs suivants ont été invoqués pour expliquer le refus de la demande de M. Singh : [traduction] 

Dans votre profil « Entrée express », vous avez indiqué que vous possédiez de l’expérience de travail à l’étranger.  Vous avez eu l’occasion de répondre à une lettre décrivant des préoccupations au sujet de cette expérience. Vous avez répondu en fournissant des renseignements et des documents supplémentaires, lesquels ont été examinés et évalués en profondeur. Cependant, selon la prépondérance des probabilités et la preuve soumise, je ne peux conclure que vous avez acquis l’expérience de travail à l’étranger que vous avez déclarée.

[7]  Les notes de l’agent contiennent les justifications additionnelles suivantes, lesquelles viennent appuyer les doutes concernant l’emploi du demandeur au sein de l’entreprise M. Singh & Co. : [traduction]

EXAMEN DE L’AGENT E000431385 VÉRIFICATION DANS LE SYSTÈME DE SOUTIEN DES OPÉRATIONS DES BUREAUX LOCAUX TERMINÉE : aucun renseignement défavorable EXPÉRIENCE À l’invitation à présenter une demande (IPD), le demandeur principal (DP) s’est vu accorder des points en vertu du SGC pour une expérience de travail à l’étranger (de 2011/12 à 2013/08) dans la Classification nationale des professions (CNP) 1111 (Vérificateur principal) au sein de M. Singh & co. Chartered accountants; Lettre d’emploi (LDE) datée du 2013/08/14, ainsi que documents à l’appui déposés et examinés.  Le DP s’est vu accorder la possibilité de répondre à la lettre relative à l’équité procédurale (LEP) datée du 2016-03-29 dans les 30 jours suivants afin d’aborder les incohérences présentes dans ses précédentes déclarations concernant ses antécédents de travail. Dans la demande de visa d’étudiant/résidence temporaire) : Étudiant de 2007/08 à 2010/04 au baccalauréat en commerce au ARYA COLLEGE (PU) Étudiant de 2007/09 à 2012/11 à l’INSTITUT INDIEN DES COMPTABLES AGRÉÉS. Dans sa demande de résidence permanente, le DP a déclaré avoir travaillé de 2011/12 à 2013/08 à titre de vérificateur principal pour M. Singh & Co.; En réponse à la lettre datée du 2016-04-25, le DP a indiqué que ses demandes de visa d’étudiant/résident temporaire contenaient une erreur par inadvertance et qu’il n’avait pas l’intention d’omettre cette information au moment de présenter ces demandes. Le DP affirme qu’il n’aurait pas sciemment omis une expérience de travail qui était pertinente et qui favorisait l’acceptation de sa demande de visa d’étudiant; cependant, c’est précisément ce qu’il a fait lorsqu’il a soumis sa demande de visa d’étudiant et ses demandes subséquentes. Le fait que le DP a confirmé n’avoir déclaré cette expérience dans aucune de ses demandes précédentes et qu’il l’a fait seulement lorsqu’il devait obtenir des points en vertu du SGC vient jeter un doute sur la crédibilité du DP. En outre, le DP n’a offert aucune précision pour expliquer comment il pouvait en même temps travailler et étudier à temps plein au cours de la période allant de décembre 2011 à novembre 2012.  Le DP travaillait et étudiait en même temps au cours d’une période d’au moins un an alors qu’il déclarait travailler pour M. Singh & Co. Malgré le fait que le DP possède un baccalauréat en commerce et un diplôme d’études postsecondaires canadiens, il n’a pas été en mesure de décrocher un emploi dans son domaine au Canada, ce qui jette encore plus de doute sur son expérience de travail à l’étranger associée à la CNP 1111.  Compte tenu de l’ensemble de l’information dont je dispose et selon la prépondérance des probabilités, je ne suis pas convaincu qu’il possède l’expérience de travail à temps plein à l’étranger qu’il a déclarée. Par conséquent, je ne crois pas que le DP respecte l’article 11.2 de la Loi – rejetée. 

[8]  M. Sharma soutient que l’agent n’a manifesté qu’un intérêt de pure forme à l’égard de la réponse de M. Singh à la lettre relative à l’équité procédurale et qu’il n’a pas appliqué de façon significative les éléments de preuve à l’appui de l’emploi du demandeur au sein de M. Singh & Co. Je suis d’accord avec cette observation.  Le fait que l’agent n’ait pas fait référence à ces éléments ou expliqué pourquoi ils étaient insuffisants pour dissiper le doute initial au sujet de l’expérience de travail de M. Singh rend la décision déraisonnable.

[9]  De prime abord, la preuve fournie par M. Singh était probante et corroborait la déclaration d’expérience de travail antérieure chez M. Singh & Co. Cette preuve comprenait une copie du contrat de travail pertinent, plusieurs bordereaux de paie, le statut professionnel de l’entreprise et, sous scellés de l’entreprise, les dossiers d’impôt sur le revenu indiens.  Ces éléments sont exactement ceux que l’agent avait demandés afin de dissiper son doute initial. Malgré tout, M. Singh n’a jamais été informé des motifs expliquant pourquoi ces éléments ont été rejetés comme étant non fiables.  En effet, ces documents renfermaient tous les indices de fiabilité attendus et, par conséquent, auraient dû faire l’objet d’un examen attentif. 

[10]  Le doute persistant de l’agent au sujet du chevauchement entre les études de comptabilité de M. Singh et son travail n’était également pas pertinent.  Si l’agent avait pris soin d’examiner les dossiers appropriés, il n’aurait eu d’autre choix que de conclure que les études d’accréditation de M. Singh comprenaient un stage en emploi.  Le fait qu’il étudiait et travaillait en même temps n’était pas suspect – c’était prévu.

[11]  Le doute final entretenu par l’agent concernant la crédibilité de M. Singh au sujet de son incapacité à obtenir un emploi au Canada était clairement dépourvu de logique.  Le fait que M. Singh, bien qu’il ne soit pas contesté qu’il possède le niveau de formation nécessaire, ne puisse pas se trouver un emploi pertinent au Canada ne dit absolument rien au sujet de sa crédibilité ou sur le fait qu’il possédait ou non l’expérience de travail en Inde qu’il a déclarée.

[12]  Le refus de la demande de résidence permanente de M. Singh semble reposé sur une évaluation après les faits du bien-fondé des précédentes demandes de visa temporaire de M. Singh.  L’agent n’avait pas à déterminer si ces demandes de visa antérieures auraient dû être acceptées ou non.  Le fait que l’agent n’a pas pris en compte les éléments de preuve soumis à l’appui de la demande dont il a été saisi est fatal à la décision et, par conséquent, la décision est annulée.  L’affaire est renvoyée à un autre décideur afin qu’elle soit jugée à nouveau sur le fond.

[13]  Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale. 


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande, et l’affaire est renvoyée à un autre décideur afin qu’il rende une nouvelle décision sur le fond.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2122-16

 

INTITULÉ :

JASDEEP SINGH c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Raj Sharma

Pour le demandeur

 

Gwen MacIsaac

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart Sharma Harsanyi

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour le défendeur

 

 



[1]   Malheureusement, le dossier certifié du tribunal ne contient pas de copies des demandes de visa antérieures de M. Singh. Par conséquent, la Cour ne dispose pas de l’ensemble du contexte factuel pour déterminer l’importance de l’omission admise.

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