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Date : 20161222

Dossier : T-601-16

Référence : 2016 CF 1404

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

ISMAIL GULTEPE

demandeur

et

CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée par M. Ismail Gultepe, titulaire d’un doctorat (le demandeur), aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F-7, concernant une décision rendue par le sous-ministre d’Environnement Canada (le sous-ministre) le 31 mars 2016 (la décision), dans laquelle le sous-ministre a refusé la demande de promotion du demandeur. Ce faisant, le sous-ministre a soutenu un examen effectué par le comité d’examen d’un Mécanisme de recours indépendant (le comité d’examen), daté du 18 mars 2016 (le rapport du comité d’examen), concernant une décision rendue par le comité d’avancement professionnel (le CAP) le 4 mai 2013 (la décision du CAP), qui ont tous deux recommandé de ne pas accorder la promotion au demandeur. La présente demande de contrôle judiciaire se concentre sur les conclusions du comité d’examen, car ce sont celles qui ont été adoptées par le sous-ministre.

[2]  Il s’agit de la troisième demande de contrôle judiciaire en lien avec cette demande de promotion. Après que sa première demande de promotion a été refusée, le demandeur a sollicité le contrôle judiciaire de cette décision, qui, sur consentement, a mené à un deuxième examen et à une deuxième décision. À l’issue de la deuxième décision, lui refusant également sa demande de promotion, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire qui été accueillie par le juge Locke dans la décision Gultepe c Canada (Procureur général), 2015 CF 645 (décision Gultepe no 1). Le juge Locke a ordonné que la demande de promotion soit réexaminée par un comité d’examen différemment constitué. Le nouveau comité d’examen formé sur ordonnance de la Cour a une fois de plus confirmé la décision sur le fond du CAP refusant la promotion du demandeur. Dans une décision refusant la demande de promotion du demandeur, le sous-ministre a confirmé le rapport du troisième comité d’examen. C’est cette décision qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

Exposé des faits

Le demandeur

[3]  Le demandeur est un chercheur scientifique en physique des nuages au sein d’Environnement Canada et il se spécialise en recherche sur la météorologie arctique. Il a reçu son doctorat en météorologie de l’Université de Saint-Louis en 1989 et il a commencé à travailler à Environnement Canada en 1992 à titre contractuel. Il est devenu un employé d’Environnement Canada en 1998.

[4]  Le travail du demandeur est axé sur des applications de météorologie appliquée pertinentes au mandat d’Environnement Canada. Le demandeur possède une vaste expérience en recherche et en travail sur des projets dans son domaine. Comme l’indique son curriculum vitæ, le demandeur agit comme rédacteur en chef de la section des sciences atmosphériques du Journal of Pure and Applied Geophysics depuis janvier 2004 et il a publié, en collaboration avec d’autres, trois livres et trois numéros spéciaux. Il a révisé et corrigé plus de 50 articles de revues et certaines propositions au Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et il est membre de plusieurs associations scientifiques et météorologiques. Il a publié 25 articles de revues entre 2007 et 2012, dont 11 comme auteur. Près de la moitié de ces articles ont paru dans des publications dont il est le rédacteur en chef, en compagnie d’autres scientifiques. Il a également travaillé en tant que scientifique en chef sur plusieurs projets importants relatifs au brouillard, au brouillard glacé et aux précipitations.

Le groupe de recherche scientifique (SE-RES) et les promotions aux termes du Cadre de 2006

[5]  Le groupe de chercheurs scientifiques à Environnement Canada (SE-RES) est composé de cinq échelons auxquels un chercheur scientifique comme le demandeur peut accéder. Le demandeur est actuellement à l’échelon 3 (SE-RES-3), auquel il a été promu en 2007. Il demande maintenant une promotion à l’échelon SE-RES-4. À cette fin, le demandeur a présenté une demande de promotion, qualifiée de [traduction] « dossier », en novembre 2012.

[6]  Les scientifiques sous le régime de la classification SE-RES sont promus en fonction de ce que l’on appelle le « processus de nomination fondé sur les qualités du titulaire », ce qui signifie que l’évaluation, selon certains critères, des réalisations du chercheur scientifique détermine son échelon en matière de promotion. Afin d’être promus à l’échelon supérieur, les chercheurs doivent d’abord démontrer qu’ils satisfont aux attentes exigées pour cet échelon.

[7]  Les attentes relatives à la promotion des chercheurs scientifiques sont régies par le Cadre de gestion pour l’avancement professionnel des chercheurs fédéraux (le Cadre). Le Cadre est un important document interministériel applicable à la plupart des ministères du gouvernement du Canada. Le document, publié en février 2006, est le fruit de cinq années de travail pangouvernemental suivant la création, en 1999, de la nouvelle catégorie de fonctionnaires dans le groupe de recherche scientifique.

[8]  Le Cadre [traduction] « fournit un modèle pour la gestion améliorée de la carrière des chercheurs au sein de la fonction publique fédérale et il traite des nouvelles exigences législatives et politiques ».

[9]  Le Cadre a modifié l’accent sur les publications dans le processus de promotion, en appelant cette modification un [traduction] « changement de culture ». Il souligne ce [traduction] « changement de culture » dans la manière dont les chercheurs scientifiques sont promus : [traduction] « [l]e changement de culture est centré sur l’évaluation de l’avancement professionnel. Par le passé, le fondement de la promotion des chercheurs scientifiques se résumait souvent au « nombre d’articles publiés. Aujourd’hui, l’importance est surtout accordée au caractère innovant de la recherche et à son impact ». De plus, [traduction] « [l]e nombre d’articles publiés, souvent perçu comme le principal critère dans le processus de nomination actuel, ne doit plus être considéré comme le seul élément démontrant l’innovation, l’impact et la reconnaissance ».

[10]  Le Cadre décrit également les différences entre les divers échelons SE-RES. Les différences entre les compétences requises à l’échelon SE-RES-3, échelon actuellement occupé par le demandeur, et à l’échelon SE-RES-4, auquel le demandeur aspire, sont décrites ainsi : [traduction]

SE-RES-3 : Un chercheur scientifique reconnu par ses pairs comme expert national dans un champ de spécialisation et qui a dirigé du personnel scientifique et technique ou qui a mené des études approfondies visant l’atteinte des résultats à court terme du secteur ou du ministère, ou qui a contribué à l’atteinte des résultats à moyen et à long terme du secteur ou du ministère.

SE-RES-4 : Un chercheur scientifique reconnu comme une autorité dans de vastes domaines de spécialisation et qui a stratégiquement conceptualisé le déroulement des activités de recherche, au sein du secteur ou du ministère, menant à l’atteinte des résultats à moyen terme et contribuant à la réalisation des résultats à long terme du secteur ou du ministère.

[11]  Le Cadre mentionne que seuls les [traduction] « résultats valorisés » doivent servir à la détermination de l’échelon du chercheur scientifique pour ce qui est des promotions. Le Cadre énonce quatre résultats valorisés : l’innovation, la productivité, la reconnaissance et l’impact. Chacun des quatre résultats valorisés doit être évalué selon trois volets du travail de cherche, à savoir : 1) recherche, développement et analyse (RDA), 2) gestion de la recherche (GR), et 3) représentation et services à la clientèle (RSC). Le Cadre exige de mettre l’accent sur le volet RDA, lorsque l’on évalue l’avancement professionnel d’un chercheur scientifique.

Le guide ministériel pour une évaluation équilibrée

[12]  Le Cadre invite les ministères à publier un [traduction] Guide pour une évaluation équilibrée. En l’espèce, le [traduction] Guide pour une évaluation équilibrée répète un grand nombre d’éléments pertinents du Cadre, notamment les quatre résultats valorisés et les trois volets de recherche susmentionnés. Le [traduction] Guide pour une évaluation équilibrée mentionne que [traduction] : « [l]es évaluations de l’avancement professionnel et les décisions afférentes se concentrent entièrement sur l’atteinte des résultats valorisés dans le cadre du mandat et des cibles du ministère. L’évaluation des demandes de promotion porte sur tous les résultats valorisés dans les trois volets, soit RDA, gestion de la recherche et représentation et services à la clientèle. Au sein de ces volets, on accorde une plus grande importance aux résultats en matière de RDA à l’ensemble des cinq étapes de l’avancement professionnel des chercheurs scientifiques ». Le Cadre comprend également une copie de [traduction] l’Outil/Rapport d’évaluation utilisé pour évaluer les demandes de promotion. De plus, il décrit l’importance relative des résultats valorisés (innovation, impact, reconnaissance et productivité) au sein de chaque volet de la recherche (RDA, GR et RSC). À ce chapitre, la productivité se classe au dernier rang. Il n’est pas nécessaire d’évaluer l’impact aux termes des volets GR et RSC; ce résultat est évalué uniquement aux termes du volet RDA.

[13]  Le Cadre exige que les ministères produisent des documents d’orientation; l’un d’eux, en l’espèce, est le [traduction] Guide de préparation pour l’avancement professionnel (promotion) des chercheurs (le Guide) destiné aux candidats à une promotion. Le Guide exige que le gestionnaire d’un candidat fournisse un [traduction] « résumé » des réalisations et des contributions du candidat, ainsi que son avis sur [traduction] « l’atteinte des résultats valorisés justifiant la promotion [du candidat] ». Dans le cas contraire, le gestionnaire doit décrire les domaines nécessitant une amélioration ou une confirmation. Le Guide indique qu’« il incombe conjointement au chercheur scientifique et à son gestionnaire » de produire les documents relatifs à l’avancement professionnel (promotion).

Le processus de promotion dans son ensemble

[14]  Voici les grandes lignes du processus de promotion. D’abord, un candidat à une promotion (comme le demandeur) doit préparer ce que l’on appelle un [traduction] « dossier », lequel comprend son curriculum vitæ exhaustif ainsi que des documents supplémentaires relatifs aux résultats valorisés et aux volets de recherche énoncés dans le Cadre. Le dossier dresse la liste des publications du demandeur, des conférences auxquelles il a assisté ainsi que des autres éléments pertinents aux quatre résultats valorisés et aux compétences liées aux trois volets du travail de recherche, à savoir les aspects RDA, GR et RSC.

[15]  Une fois signé par le gestionnaire du demandeur, le dossier est examiné par un comité sectoriel pour les chercheurs scientifiques (le comité sectoriel). Le comité sectoriel n’a pas le pouvoir d’approuver la demande de promotion; il peut seulement formuler des recommandations à l’intention de l’instance d’approbation définitive. En l’espèce, le CAP constitue l’instance d’approbation définitive d’Environnement Canada. Le CAP est autorisé à approuver ou à refuser une demande de promotion.

[16]  J’aborderai maintenant le processus de promotion relatif à l’espèce.

La demande de promotion du demandeur

[17]  Le 18 septembre 2012, un courriel a été envoyé à différents chercheurs scientifiques, dont le demandeur, les invitant à présenter des propositions de recherche. Le courriel décrivait le processus de demande et les échéances et précisait aux demandeurs de soumettre des copies numérisées de la page de signature dûment signée par le candidat et son gestionnaire. Le demandeur a décidé qu’il souhaitait présenter une demande de promotion à l’échelon SE-RES-4.

L’examen de la demande par le gestionnaire

[18]  Le gestionnaire hiérarchique du demandeur, M. Stewart Cober, n’a pas appuyé la promotion du demandeur. Le gestionnaire intérimaire du demandeur à l’époque a également refusé de signer la demande de promotion. Le demandeur a finalement décidé de présenter son dossier sans signature d’un gestionnaire, aux fins de son examen. Je note que le demandeur a ensuite allégué la partialité de M. Cober; cette allégation n’a pas été poursuivie à l’occasion du contrôle judiciaire.

L’évaluation de la promotion par le comité sectoriel

[19]  Le dossier du demandeur a été examiné par le comité sectoriel. Lors de la réunion du comité sectoriel, les directeurs hiérarchiques ont la responsabilité de présenter les dossiers des candidats de leur ministère. Comme M. Cober avait accepté une affectation au sein d’une autre division avant la réunion du comité sectoriel, Mme Veronique Bouchet, alors devenue directrice intérimaire de la Division de la recherche météorologique au sein de laquelle le demandeur travaillait après la fermeture du cycle de dépôt des candidatures, a présenté le dossier du demandeur.

[20]  Le comité sectoriel (techniquement la Direction des sciences et de la technologie atmosphériques pour le groupe des chercheurs scientifiques du ministère) a refusé à l’unanimité la demande de promotion du demandeur. Selon [traduction] l’Outil/Rapport d’évaluation du comité sectoriel, le demandeur satisfaisait uniquement à 1 des 4 résultats valorisés pour la promotion à l’échelon SE-RES-04 aux termes du volet recherche, développement et analyse (RDA); il répondait seulement au résultat valorisé sur la productivité en raison du nombre de ses publications (25) et du nombre de fois où elles ont été citées (600). Le comité sectoriel a conclu que le demandeur se situait toujours à l’échelon SE-RES-03 quant aux trois autres résultats valorisés examinés aux termes de l’essentiel volet RDA. Le comité sectoriel a conclu que le demandeur répondait, aux termes du volet de la gestion et de la recherche (GR), aux trois résultats valorisés aux fins de promotion à l’échelon SE-RES-04. Cependant, il ne répondait à aucun des trois résultats valorisés aux fins de promotion à l’échelon SE-RES-04 aux termes du volet de la représentation et des services à la clientèle (RSC); le demandeur se situait toujours à l’échelon SE-RES-03.

[21]  Dans son analyse aux termes du volet de l’innovation, le comité sectoriel a formulé des commentaires positifs quant à son travail sur des projets, mais il a indiqué qu’il était [traduction] « difficile de déterminer si ses travaux de recherche ont mené à une nouvelle compréhension des questions scientifiques ». Le comité sectoriel a demandé davantage d’éléments de preuve démontrant que l’innovation [traduction] « était passée de l’application à l’amélioration des modèles ». Dans son analyse de l’impact du demandeur aux termes de la RDA, le comité sectoriel a reconnu que le travail du demandeur avait contribué aux prévisions des conditions météorologiques de brouillard et de faible visibilité, mais il a conclu que la formulation employée par le demandeur [traduction] « pour décrire le transfert technologique était ambiguë et l’opérationnalisation de ces transferts n’était pas claire ». Le comité sectoriel a noté son imposant dossier de publications, mais il a mentionné qu’une [traduction] « plus grande importance devait être accordée aux revues avec un plus grand impact ». Dans la version préliminaire de son rapport, le comité sectoriel a indiqué que le demandeur était rédacteur en chef d’une [traduction] « revue relativement jeune, dans laquelle il a publié plusieurs de ses articles » et que les revues choisies par le demandeur pour la publication de ses travaux [traduction] « n’étaient pas les principales revues du domaine ».

[22]  Dans le procès-verbal de sa réunion, le comité sectoriel a indiqué que bien que le demandeur ait été très productif du point de vue des publications, son travail n’avait pas [traduction] « contribué à des percées ou à des innovations scientifiques »; une partie de son travail n’était [traduction] « pas encore passée de l’étape de la publication à l’étape de l’application ».

[23]  Le comité sectoriel a également exprimé certaines préoccupations concernant [traduction] « les énoncés inexacts contenus dans les documents relatifs aux réalisations, au transfert technique et à l’application, notamment les énoncés formulés dans la section non signée réservée à la recommandation du gestionnaire responsable ». Le comité sectoriel a conclu que sa demande était prématurée, en notant [traduction] « qu’il devrait y avoir plus d’articles publiés dans des revues dont l’impact est important ».

[24]  Je m’arrête ici pour souligner que les [traduction] « revues dont l’impact est important » ainsi que leur rôle sont des considérations importantes dans le présent contrôle judiciaire.

[25]  Dans une partie pertinente de son procès-verbal, le comité sectoriel affirme que :

[TRADUCTION]

Le candidat a été très prolifique du point de vue des publications. Toutefois, les articles de recherche ne contribuent pas à des percées ou à des innovations scientifiques. La majorité du travail décrit dans les articles ne s’est pas encore traduit par des améliorations aux modèles ou d’autres applications opérationnelles. Le candidat s’est investi dans des initiatives prometteuses pour recueillir des données qui pourraient servir à améliorer la modélisation et le paramétrage, mais la plupart des innovations présentées dans la demande de promotion ne sont pas encore passées du stade de la publication au stade de l’application. Certains ont exprimé des préoccupations concernant les énoncés inexacts formulés dans les documents relatifs aux réalisations, au transfert technique et à l’application, notamment les énoncés formulés dans la section non signée réservée à la [traduction] « recommandation du gestionnaire responsable ». Pour le moment, la demande de promotion à l’échelon RES-04 est prématurée.

Le comité a noté qu’il devrait y avoir plus de publications dans des revues dont l’impact est important.

Évaluation de la demande :

Lorsqu’ils ont reçu la demande de promotion, les membres du comité ignoraient qu’elle avait été présentée sans l’appui du gestionnaire. Il faut indiquer clairement aux candidats et à la direction qu’il est nécessaire que la demande de promotion soit accompagnée d’un énoncé du gestionnaire appuyant ou non la candidature.

[Non souligné dans l’original.]

[26]  Le comité sectoriel a informé le demandeur de sa décision dans une lettre datée du 9 janvier 2013 (la lettre de refus du comité sectoriel). Bien que la lettre faisait état d’une bonne progression, elle mentionnait également la nécessité de démontrer davantage de réalisations dans la représentation ou l’amélioration des modèles opérationnels ministériels.

[27]  La lettre de refus du comité sectoriel, contrairement au procès-verbal, ne mentionnait pas que le demandeur aurait dû ou devait publier davantage d’articles de recherche dans des revues dont l’impact est important. Par contre, la lettre de refus du comité sectoriel [traduction] recommandait au demandeur de [traduction] « privilégier la publication de ses résultats de recherche dans des revues à comité de lecture dont l’impact est important et d’ajouter, dans sa prochaine demande de promotion, des démonstrations quantifiées des améliorations provenant des transferts technologiques effectués ». Je note l’ajout des mots [traduction] « à comité de lecture ». Entre autres choses, la lettre encourage le demandeur à poursuivre la discussion sur son avancement professionnel avec son gestionnaire. Dans une partie pertinente de sa lettre, le comité sectoriel affirme que :

[TRADUCTION]

L’évaluation unanime du comité indique que vous avez bien progressé depuis votre promotion à l’échelon SE-RES-03 et que vous faites des progrès importants dans l’amélioration de la compréhension relative à la formation des nuages, du brouillard, des conditions de visibilité réduite et des précipitations et dans leur représentation dans les méthodes de prévision et les modèles météorologiques numériques. Les membres du comité comprennent que vous avez publié de nombreux articles sur les mesures recueillies grâce à plusieurs expériences sur le terrain, et ils aimeraient pouvoir observer des réalisations semblables dans la traduction des paramétrages physiques, afin qu’ils soient représentés dans les modèles opérationnels du ministère ou qu’ils contribuent à améliorer ces derniers. Nous vous recommandons de privilégier la publication de vos résultats de recherche dans des revues à comité de lecture dont l’impact est important et d’ajouter, dans votre prochaine demande de promotion, des démonstrations quantifiées des améliorations provenant des transferts techniques effectués. Les membres du comité apprécient les projets que vous avez entrepris et ils reconnaissent le potentiel qu’ils représentent pour la modélisation et les prévisions météorologiques; nous vous encourageons à poursuivre ces initiatives en tenant compte des orientations énoncées ci-dessus.

[Non souligné dans l’original.]

[28]   Dans sa lettre de refus, le comité sectoriel a avisé le demandeur qu’il pouvait demander au CAP d’examiner sa demande de promotion à l’échelon RES supérieur.

[29]  Le demandeur a décidé d’exercer cette option et il a envoyé son dossier au CAP aux fins de son examen.

L’évaluation de la demande de promotion par le CAP

[30]  Après avoir reçu le dossier du demandeur, le CAP a remarqué que la demande n’était pas dûment signée par le gestionnaire du demandeur. La demande a donc été retournée au demandeur afin qu’il obtienne la signature requise. Mme Bouchet, la nouvelle directrice intérimaire du demandeur, a rédigé le texte de cette section en collaboration avec le demandeur. La demande révisée envoyée au CAP comprenait le résumé suivant de la décision du comité sectoriel :

[traduction] Le [comité sectoriel] vous recommande de privilégier la publication de vos résultats de recherche dans des revues à comité de lecture dont l’impact est important et d’ajouter, dans votre prochaine demande de promotion, des démonstrations quantifiées des améliorations provenant des transferts techniques effectués.

[Non souligné dans l’original.]

[31]  Mme Bouchet a ensuite signé le dossier, sans recommander la promotion du demandeur.

[32]  À la lecture du dossier de l’appelant, le CAP a refusé unanimement d’approuver la promotion du demandeur. Selon son [traduction] Outil/Rapport d’évaluation, le CAP a conclu que le demandeur satisfaisait uniquement à l’un des quatre résultats valorisés de l’échelon SE-RES-04 aux termes du volet RDA de la recherche, à savoir la productivité (la même conclusion que le comité sectoriel). Il a rappelé que le Cadre demandait que l’accent soit mis sur le volet RDA. Toutefois, le demandeur avait atteint l’échelon SE-RES-4 pour les trois résultats valorisés relatifs à la GR (la même conclusion que le comité sectoriel). Le CAP a conclu que le demandeur n’avait pas atteint l’échelon SE-RES-4 quant aux trois considérations relatives au volet RSC (le comité sectoriel avait conclu qu’il répondait à une considération sur trois pour l’échelon SE-RES-4). Par conséquent, le CAP a conclu que [traduction] « des données supplémentaires étaient nécessaires pour démontrer que l’aspect de l’innovation était passé de l’application à l’amélioration des modèles ». De plus, relativement à l’impact, le CAP a affirmé que [traduction] « les données étaient insuffisantes pour démontrer les transferts technologiques aux clients ».

[33]  Le CAP, dans son [traduction] Outil/Rapport d’évaluation, n’a rien mentionné concernant les [traduction] « revues dont l’impact est important ». Toutefois, le CAP a noté qu’il [traduction] « devait accorder plus de poids aux revues démontrant une plus grande indépendance relative aux liens antérieurs ».

[34]  Le procès-verbal de la réunion du CAP note un degré de productivité suffisant en matière de publications et de recherche utiles au ministère. Toutefois, les membres du CAP ont conclu qu’il n’y avait pas suffisamment de données indiquant une [traduction] « démonstration claire de l’opérationnalisation des transferts technologiques aux clients ». Par conséquent, le demandeur [traduction] « ne répondait pas aux critères pour l’avancement au sein de la classification professionnelle RES ». Dans son procès-verbal, le CAP a encouragé le demandeur [traduction] « à se concentrer sur la documentation de l’opérationnalisation et du transfert technologique de ses contributions scientifiques et sur la publication de ses résultats dans une plus grande diversité de revues démontrant une plus grande indépendance relative aux liens antérieurs ». Le CAP a également conclu que la promotion était prématurée.

[35]  Il est important de noter que le procès-verbal du CAP, ainsi que son [traduction] Outil/Rapport d’évaluation, ne font aucune mention des [traduction] « revues dont l’impact est important ». Dans une partie pertinente de son procès-verbal, le CAP affirme que :

[TRADUCTION]

Le comité a noté un degré de productivité suffisant en matière de publications et de recherche utiles au ministère. Toutefois, quant aux volets de la représentation et des services à la clientèle, les données contenues dans la demande étaient insuffisantes pour étayer une démonstration claire de l’opérationnalisation et des transferts technologiques aux clients (RSC). Par conséquent, le demandeur ne répondait pas aux critères pour l’avancement au sein de la classification professionnelle RES. Afin de faire avancer sa carrière, M. Gultepe a été encouragé à se concentrer sur la documentation de l’opérationnalisation et du transfert technologique de ses contributions scientifiques et sur la publication de ses résultats dans une plus grande diversité de revues démontrant une plus grande indépendance relative aux liens antérieurs. Les membres du CAP ont jugé que M. Gultepe aurait la possibilité de produire un impact, plus précisément en matière de transfert technologique au Service météorologique du Canada, et que sa demande de promotion cette année était prématurée.

[Non souligné dans l’original.]

[36]  Le demandeur a été informé de la décision du CAP dans une lettre (lettre de refus du CAP) signée par la présidente du CAP, Mme Karen Dodds. La lettre reprend, en grande partie, le procès-verbal du CAP. Le CAP y encourage également le demandeur à entreprendre des discussions informelles avec M. Charles Lin, président du comité sectoriel, et à poursuivre les discussions sur son avancement professionnel avec Mme Bouchet. La lettre comprend également des orientations la présentation d’une demande de mécanisme de recours.

[37]  La lettre de refus du CAP, à l’instar de son [traduction] Outil/Rapport d’évaluation et de son procès-verbal, ne fait aucunement mention des [traduction] « revues dont l’impact est important ». Cependant, dans sa lettre, le CAP a encouragé le demandeur [traduction] « à se concentrer sur la documentation de l’opérationnalisation et du transfert technologique de ses contributions scientifiques et sur la publication de ses résultats dans une plus grande diversité de revues démontrant une plus grande indépendance relative aux liens antérieurs ».

Le Mécanisme de recours indépendant et un aperçu de la décision

[38]  En qualité de chercheur scientifique dont la demande de promotion a été refusée par le CAP, le demandeur avait le droit de se prévaloir d’un mécanisme de recours. Un tel processus de nomination fondé sur les qualités du titulaire, en application de l’article 2 du Règlement sur l’emploi dans la fonction publique, DORS/2005-334 (le Règlement), exige qu’un sous-ministre mette en place un mécanisme de recours indépendant pour résoudre les litiges, et que l’administrateur général consulte l’agent négociateur (en l’espèce, l’Institut professionnel de la fonction publique du Canada) avant de créer ledit mécanisme de recours.

[39]  Le demandeur a exercé son droit à un mécanisme de recours indépendant au moyen d’une demande présentée au sous-ministre. Un comité d’examen composé de trois personnes a été dûment formé pour examiner la demande de recours du demandeur. Le Cadre autorise le comité d’examen à recommander qu’un nouveau CAP constitué différemment réexamine le dossier ou cerne les questions à régler. Toutefois, le comité d’examen ne peut recommander qu’une promotion soit accordée.

[40]  Le mandat du comité d’examen est défini dans le Cadre. Le Cadre précise que le comité d’examen ne doit pas reprendre le rôle du CAP. La partie pertinente du Cadre indique que [traduction] « [l]’examinateur ou le comité d’examen ne doit pas reprendre le rôle d’un CAP. L’examinateur ou le comité d’examen a pour mandat d’examiner le dossier du recours concernant le processus utilisé par le CAP pour évaluer l’état de préparation du candidat à une promotion et les motifs invoqués dans la plainte ».

[41]  Le comité d’examen a rejeté la demande d’examen du demandeur.

[42]  Le sous-ministre, qui reçoit le rapport du comité d’examen, rend la décision définitive d’accorder ou de refuser la promotion. En l’espèce, après avoir remis au demandeur une copie du rapport du comité d’examen et de l’audition du demandeur, le sous-ministre a refusé d’accorder la promotion au demandeur. Ce refus a été communiqué au demandeur dans une lettre datée du 31 mars 2016.

[43]  Dans sa lettre, le sous-ministre a affirmé qu’il avait examiné le rapport du comité d’examen, lequel avait [traduction] « analysé attentivement tous les documents qui lui ont été soumis ». Il a conclu que [traduction] « le processus utilisé par le CAP pour déterminer l’admissibilité du demandeur à une promotion avait été bien appliqué » et qu’il « souscrivait aux conclusions et aux recommandations du comité après avoir examiné le rapport. Par conséquent, la décision initiale du CAP était maintenue ».

[44]  La décision du sous-ministre ne fait aucune mention des [traduction] « revues dont l’impact est important ».

Les rapports des trois comités d’examen

[45]  Comme je l’ai déjà mentionné, la présente demande de contrôle judiciaire porte sur le rapport du troisième comité d’examen. Voici les grandes lignes de chacun de ses rapports.

Le rapport du premier comité d’examen

[46]  Le premier comité d’examen a été convoqué le 10 mai 2013 et il a appuyé la décision du CAP rendue en mars 2013. Le sous-ministre a adopté la conclusion du comité et il a refusé d’accorder la promotion au demandeur. Le demandeur a saisi notre Cour d’une demande de contrôle judiciaire, laquelle a finalement été retirée lorsque les parties se sont entendues pour renvoyer le dossier à un comité d’examen constitué différemment (le deuxième comité d’examen).

Le rapport du deuxième comité d’examen

[47]  Le rapport du deuxième comité d’examen a également appuyé la décision du CAP. Le sous-ministre a une fois encore souscrit au rapport du comité d’examen et il a refusé d’accorder la promotion au demandeur. Le demandeur a de nouveau demandé le contrôle judiciaire de cette décision et, le 19 mai 2015, le juge Locke a annulé la décision de l’administrateur général et il a renvoyé le dossier devant un nouveau comité d’examen aux fins de nouvel examen : décision Gultepe no 1.

[48]  Le rapport du troisième comité d’examen et la décision y afférant sont en litige dans le présent contrôle judiciaire.

Le rapport le plus récent du (troisième) comité d’examen – la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[49]  Le rapport du troisième comité d’examen a été remis au sous-ministre le 25 janvier 2016. Le 19 février 2016, le sous-ministre a demandé au comité d’examen de [traduction] « procéder aux communications appropriées et de permettre à M. Gultepe de présenter une réponse ». Le comité d’examen a procédé à la divulgation auprès du demandeur et de son représentant syndical et il leur a offert la possibilité de formuler une réponse, ce que le demandeur a fait. Le comité d’examen a présenté un rapport révisé au sous-ministre le 18 mars 2016.

[50]  Le rapport commence par expliquer le rôle du comité d’examen :

[traduction] Le comité a la responsabilité d’examiner le processus utilisé par le comité pour évaluer l’état de préparation du demandeur à une promotion et les motifs de la plainte invoqués par le candidat. Le délégué du sous-ministre s’attend à recevoir le rapport du comité d’examen dans un délai de 75 jours de la constitution dudit comité. Le rapport confirme le caractère approprié du processus utilisé par le CAP ou, subsidiairement, cerne les questions ayant pu avoir une incidence négative sur la décision [du CAP]. Auquel cas, le comité d’examen peut recommander au sous-ministre que le CAP examine de nouveau la demande de promotion.

[Non souligné dans l’original.]

[51]  Le comité d’examen a cerné les motifs de recours aux termes du Cadre. En l’espèce, le comité d’examen a effectué de nombreuses entrevues; son rapport comprend les noms des personnes auxquelles il a parlé. Le rapport contient également la teneur de chaque entrevue. Il dresse la liste des documents et des renseignements examinés par le comité d’examen pour formuler ses recommandations. Le rapport fait état des motifs de recours du demandeur (que le comité d’examen a appelés les [traduction] « allégations ») dans l’ordre suivant :

  1. [traduction] Le demandeur est d’avis que le CAP, pour prendre sa décision, a tenu compte de renseignements supplémentaires qui ne figuraient pas au départ dans la demande dont il a été saisi et que ces renseignements sont inexacts.

  2. Le demandeur est également d’avis que la décision du CAP était fondée sur des motifs autres que les critères d’avancement professionnel.

  3. Le demandeur est d’avis que le CAP a fait preuve d’abus de pouvoir dans l’exercice de sa compétence.

[52]  Le comité d’examen a rejeté chacune des trois allégations du demandeur. Il a conclu qu’il n’y avait aucun fondement à l’affirmation du demandeur selon laquelle les commentaires de Mme Bouchet concernant les revues dont l’impact est important constituent un renseignement supplémentaire ou qu’ils étaient inexacts. Le comité a conclu que le demandeur n’avait pas invoqué de motifs substantiels autres que les critères relatifs à l’avancement professionnel utilisé pour évaluer son dossier. Il a conclu qu’aucun élément de preuve ne démontrait un abus de pouvoir dans l’examen de son dossier.

[53]  Le comité d’examen a conclu que Mme Bouchet, à titre de gestionnaire, s’était acquittée de ses tâches correctement et de bonne foi, et que l’attente quant à la publication d’articles dans des revues dont l’impact est important ne pouvait pas être décrite comme une considération sans pertinence.

[54]  Le comité d’examen a conclu ainsi :

[traduction] Aucun élément de preuve n’indique que les comités sectoriels et ministériels se sont fondés sur des documents inadéquats ou sans pertinence. Les documents fournis au comité d’examen et les entrevues démontrent clairement que la procédure appropriée a été suivie tout au long du processus entourant la demande de promotion de M. Gultepe.

[55]  En conclusion, le comité d’examen a recommandé le maintien de la décision du CAP. Il a également formulé des recommandations supplémentaires concernant les renseignements ministériels et l’avancement professionnel du demandeur :

[traduction] 1. Le processus utilisé par le comité d’avancement professionnel sectoriel d’Environnement Canada et le comité d’avancement professionnel ministériel relativement au dossier de 2012 de M. Ismail Gultepe semble entièrement satisfaisant. Par conséquent, la décision du comité ministériel concernant le refus de promouvoir M. Gultepe de l’échelon RES 3 à l’échelon RES 4 devrait être maintenue.

[...]

2. Environnement Canada devrait tenir des séances d’information destinées aux chercheurs scientifiques tous les ans au début du cycle de promotion. Ces séances devraient comprendre une revue des principales étapes du processus de promotion, indiquer les ressources ministérielles appropriées, et communiquer les échéances pertinentes à la présentation et à l’examen des dossiers.

[...]

3. La direction devrait travailler de concert avec M. Gultepe afin de concevoir et de mettre en œuvre un plan pour son avancement professionnel.

[...]

II.  Décision

[56]  La décision du sous-ministre, datée du 31 mars 2016, ne compte qu’une seule page. Le sous-ministre affirme qu’il a examiné le rapport du comité d’examen et qu’il a souscrit à ses conclusions et à ses recommandations :

[traduction] La présente fait suite à la décision de la Cour fédérale rendue le 19 mai 2015, laquelle a ordonné la convocation d’un comité d’examen indépendant nouvellement constitué afin d’examiner de nouveau la décision rendue le 4 mars 2013 par le comité d’avancement professionnel (CAP) ministériel destiné au groupe de chercheurs scientifiques refusant votre demande de promotion à l’échelon SE-RES-04.

Le comité d’examen indépendant a été convoqué et il a attentivement examiné tous les documents qui lui ont été soumis. Dans son rapport définitif daté du 18 mars 2016, le comité a conclu que le processus utilisé par le CAP pour déterminer votre admissibilité à la promotion avait été correctement appliqué. Vous trouverez ci-joint une copie du rapport définitif du comité.

J’ai examiné le rapport et je souscris aux conclusions et aux recommandations du comité. Par conséquent, la décision initiale du CAP est maintenue. Comme vous le savez, ma décision est définitive et exécutoire. Si vous choisissez de contester plus avant cette décision, vous voudrez peut-être solliciter les conseils de votre représentant syndical.

Bien que celles-ci n’aient eu aucune incidence sur la décision du CAP de refuser votre promotion, vous remarquerez que le comité a également formulé des recommandations afin de favoriser la compréhension du processus d’avancement professionnel à Environnement et Changement climatique Canada. J’ai demandé aux directions générales des sciences et de la technologie et des ressources humaines de collaborer afin de mettre en œuvre ces recommandations.

J’aimerais profiter de cette occasion pour vous remercier de votre contribution à la science et au travail du ministère. Je vous encourage à poursuivre les discussions avec votre gestionnaire sur vos objectifs d’avancement professionnel et je vous souhaite beaucoup de succès dans vos projets.

[57]  Une copie du rapport révisé du comité d’examen était jointe à la décision du sous-ministre. Le demandeur a saisi la Cour d’une demande de contrôle judiciaire.

III.  Questions en litige

[58]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. Le comité d’examen a-t-il commis une erreur susceptible de révision en limitant la portée de son [traduction] « mandat » aux termes du Cadre, c.-à-d. le comité d’examen était-il tenu d’examiner le dossier du demandeur pour déterminer le caractère raisonnable de la décision du CAP?

  2. Le comité d’examen a-t-il commis une erreur susceptible de révision en exigeant déraisonnablement du demandeur qu’il publie des articles dans des revues dont l’impact est important, c.-à-d. a-t-il permis au CAP d’appliquer un nouveau critère, sous la forme de [traduction] « revues dont l’impact est important », dans son examen de la demande de promotion du demandeur?

  3. Quelle est la norme de contrôle appropriée : la décision raisonnable ou la décision correcte?

IV.  Norme de contrôle

[59]  Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu, aux paragraphes 57 et 62, qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse pour arrêter la bonne norme de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». Notre Cour, dans la décision Gultepe no 1, n’a pas statué sur la norme de contrôle; elle a annulé la décision pour le motif qu’elle n’était ni correcte ni raisonnable, au paragraphe 15.

[60]  Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle applicable.

[61]  Le demandeur soutient que la première question est une question de compétence véritable susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte. Quant à la deuxième question, le demandeur soutient qu’il [traduction] « s’agit d’une question de droit et de fait susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable ».

[62]  Le défendeur soutient que les deux questions sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord avec le défendeur.

[63]  Je commencerai en constatant que dans les affaires où l’application de politiques et de procédures relève de l’expérience et de l’expertise spécialisées du décideur, il faut faire preuve de déférence et la norme de la décision raisonnable s’applique : Rabbath c Canada (Revenu national), 2014 CF 999, au paragraphe 31 (Rabbath); Hagel c Canada (Procureur général), 2009 CF 329, aux paragraphes 19 à 27, conf. par 2009 CAF 364; Backx c Agence canadienne d’inspection des aliments, 2013 CF 139, au paragraphe 15; Spencer c Canada (Procureur général), 2010 CF 33, aux paragraphes 18 à 32; Peck c Parcs Canada, 2009 CF 686, aux paragraphes 17à 26; et Vaughan c Canada, 2005 CSC 11, aux paragraphes 38 et 39.

[64]  De plus, même si le droit administratif n’établit pas par défaut une présomption d’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable; une telle présomption est, à mon avis, le point de départ : Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61 (Alberta Teachers), [2011] 3 RCS 654, au paragraphe 34; Dunsmuir, au paragraphe 146, sous la plume du juge Binnie.

[65]  Plus récemment, la Cour suprême du Canada a fourni des indications supplémentaires dans l’arrêt Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47 (Edmonton East), un arrêt publié après l’audition de l’espèce, lequel indique ce qui suit au paragraphe 22 :

À moins que la jurisprudence n’établisse déjà la norme de contrôle applicable (Dunsmuir, par. 62), la cour de révision doit d’abord se demander si elle est en présence d’une question portant sur l’interprétation par un organisme administratif de sa propre loi constitutive ou d’une loi étroitement liée à son mandat. Dans l’affirmative, la norme de contrôle applicable est présumée être celle de la décision raisonnable (Mouvement laïque québécois c. Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, [2015] 2 R.C.S. 3, par. 46). La présomption de déférence en cas de contrôle judiciaire respecte le principe de la suprématie législative et la décision de déléguer le pouvoir décisionnel à un tribunal administratif plutôt qu’aux cours de justice. Cette présomption favorise également l’accès à la justice dans la mesure où le choix du législateur de déléguer une question à un tribunal administratif souple et spécialisé assure aux parties un processus décisionnel plus rapide et moins coûteux.

[Non souligné dans l’original.]

[66]  Le demandeur soutient que la norme de la décision correcte s’applique à la première question, car elle porte sur le principe du mérite. Il soutient que la portée du mandat du CAP est en litige. Je suis d’accord que le principe du mérite entre en jeu dans un processus de nomination fondé sur les qualités du titulaire, à l’instar de toutes les promotions au sein de la fonction publique fédérale. Je suis également d’accord que le principe du mérite est important dans la fonction publique. Cependant, je ne suis pas convaincu que la décision du comité d’examen est susceptible de révision selon la norme de la décision.

[67]  À mon humble avis, le demandeur adopte une interprétation trop large des [traduction] « questions de compétence véritables », laquelle interprétation va à l’encontre des principes établis. Parmi les nombreuses raisons invoquées par la Cour suprême du Canada pour refuser de donner une interprétation large aux prétendues questions de [traduction] « compétence », il y a le fait que la plupart des affaires, voire toutes, examinées par les tribunaux peuvent être considérées comme comportant des questions de compétence, d’une façon ou d’une autre. Il est bien établi que seules les [traduction] « questions de compétence véritables » sont susceptibles de révision selon la norme de la décision correcte. Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[68]  Le demandeur souligne l’arrêt Appleby-Ostroff c Canada (Procureur général), 2011 CAF 84, dans lequel la Cour d’appel fédérale sous la plume du juge Mainville a adopté la norme de la décision correcte dans une affaire visant à trancher lequel de deux documents d’orientation – une directive ou une politique – s’appliquait au congédiement d’une personne. L’espèce ne soulève aucun litige de cette nature. Par ailleurs, dans cette affaire, il n’y a eu aucune analyse ou discussion concernant la norme de contrôle; il n’était pas controversé entre les parties (et la Cour) que la norme de la décision correcte s’appliquait. Je ne vois pas en quoi cette décision s’appliquerait à l’espèce, lequel porte sur l’interprétation et l’application d’une seule politique acceptée.

[69]  Par conséquent, les deux aspects de la décision que le demandeur conteste doivent être examinés selon la norme de la décision raisonnable.

[70]  Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce qu’un tribunal doit faire lorsqu’il effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[71]  La Cour suprême du Canada prescrit aussi que le contrôle judiciaire ne constitue pas une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur; la décision doit être considérée comme un tout (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34). De plus, une cour de révision doit déterminer si la décision, examinée dans son ensemble et son contexte au vu du dossier, est raisonnable : Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65 (Construction Labour); voir aussi l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (Newfoundland Nurses).

V.  Dispositions pertinentes

Le Cadre

[72]  L’espèce porte sur l’application du Cadre, lequel énonce en partie ce qui suit :

[traduction] Dans le Cadre, les attentes du gouvernement en matière de recherche sont définies en fonction de quatre types de résultats valorisés découlant des travaux de recherche. Les résultats valorisés décrivent les attentes en matière d’innovation, de productivité, d’impact et de reconnaissance, lesquels résultats sont déterminants pour l’avancement professionnel d’un chercheur. [...]

Pour chacun de ces résultats valorisés, le Cadre reconnaît trois volets de recherche : 1) recherche, développement et analyse (RDA), 2) gestion de la recherche, et 3) représentation et services aux clients. Le principal secteur de travail des chercheurs reste le volet RDA.

Bien que quatre genres de résultats valorisés aient été distingués, ils demeurent intimement liés entre eux. Par exemple, l’innovation, l’impact et la reconnaissance du travail d’un chercheur scientifique peuvent se refléter dans sa productivité; la reconnaissance peut découler de l’impact ou de l’innovation. Le nombre d’articles publiés, souvent perçu comme le principal critère dans le processus de nomination actuel, ne doit plus être considéré comme le seul élément démontrant l’innovation, l’impact et la reconnaissance.

Pour l’avancement de la carrière d’un chercheur, il est nécessaire d’observer le perfectionnement des compétences, la prise de responsabilité et l’atteinte des résultats valorisés. Une évaluation de l’avancement professionnel porte principalement sur l’atteinte des résultats valorisés. Aux fins de promotion, l’atteinte des résultats valorisés démontre l’existence d’un certain niveau de compétence et de responsabilité. Cette évaluation tient compte de l’ensemble des trois volets du travail, mais l’accent est mis sur les résultats valorisés du volet RDA. Cette évaluation complète du travail, avec un accent sur le volet RDA, est par conséquent qualifiée de guide pour une évaluation équilibrée.

[…] Par le passé, le fondement des promotions des chercheurs scientifiques pouvait souvent se résumer « au nombre de publications ». Aujourd’hui, l’importance est surtout accordée au caractère innovant de la recherche et à son impact. Il est également reconnu que le processus de promotion tient compte de toutes les réalisations du chercheur scientifique, c’est-à-dire les réalisations individuelles comme celles qui résultent d’un travail d’équipe et d’intégration. Pour davantage de précisions sur cet objectif, les ministères élaboreront des documents d’orientation.

[Non souligné dans l’original.]

[73]  L’annexe A du Cadre contient des précisions sur les quatre résultats valorisés qui doivent être évalués à l’occasion d’une demande de promotion :

1.  Innovation

L’innovation est l’élaboration d’approches, de théories, d’idées, de solutions ou de concepts modifiés ou nouveaux conformément au mandat du ministère.

  1. Productivité

La productivité concerne la génération par le chercheur d’extrants ministériels pertinents (aussi appelés des contributions), en conformité avec le rythme correspondant au domaine de spécialisation ou au type de travail.

[traduction] Dans ce contexte, les extrants peuvent comprendre : des publications à comité de lecture, des produits scientifiques, des avis scientifiques, des propositions de recherche, des rapports scientifiques internes, des ensembles de données, des brevets, des transferts technologiques, des études, des livres et des chapitres, des formations d’experts, une participation à des comités consultatifs, d’élaboration des politiques, des projets conjoints de recherche et de développement, la sensibilisation publique ou des revues à comité de lecture. Ces extrants peuvent être produits individuellement ou en équipe.

  1. Reconnaissance

La reconnaissance constitue la mesure de la crédibilité et de la réputation du chercheur au sein de la communauté scientifique, du ministère et du gouvernement et auprès des clients et des intervenants, conformément au domaine de spécialisation ou au type de travail.

  1. Impact

L’impact est la conséquence de la recherche et des nouvelles connaissances sur les résultats cibles du ministère et sur l’avancement du domaine de spécialisation. Les politiques fondées sur des données scientifiques, la réglementation, les services et les transferts technologiques sont des exemples pouvant témoigner de l’atteinte des résultats cibles et de l’impact.

[Non souligné dans l’original.]

[74]  L’annexe B du Cadre comprend le Guide pour l’établissement d’un mécanisme de recours indépendant pour les chercheurs sur lequel s’appuie le demandeur, et lequel sous-tend la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire :

Processus de nomination fondé sur les qualités du titulaire

Incumbent based process

2. Pour l’application du paragraphe 34(1) de la Loi, le processus de nomination interne au sein du groupe Recherche et du groupe Enseignement universitaire constitue un processus de nomination fondé sur les qualités du titulaire s’il existe un programme d’avancement professionnel pour ces groupes comportant un mécanisme de recours indépendant, lequel programme est établi par l’administrateur général en consultation avec les agents négociateurs concernés.

2. For the purposes of subsection 34(1) of the Act, the internal appointment process within the Research and University Teaching Groups, if there is a career progression framework established by the deputy head in consultation with the authorized bargaining agents that includes an independent recourse mechanism, is an incumbent-based process.

Le principe du mérite

[75]  Les dispositions pertinentes de la Loi sur l’emploi dans la fonction publique, LC 2003, c 22, déclare ce qui suit :

Modalités de nomination

Basis of Appointment

Principes

Appointment on basis of merit

30 (1) Les nominations — internes ou externes — à la fonction publique faites par la Commission sont fondées sur le mérite et sont indépendantes de toute influence politique.

30 (1) Appointments by the Commission to or from within the public service shall be made on the basis of merit and must be free from political influence.

Définition du mérite

Meaning of merit

(2) Une nomination est fondée sur le mérite lorsque les conditions suivantes sont réunies :

(2) An appointment is made on the basis of merit when

a) selon la Commission, la personne à nommer possède les qualifications essentielles — notamment la compétence dans les langues officielles — établies par l’administrateur général pour le travail à accomplir;

(a) the Commission is satisfied that the person to be appointed meets the essential qualifications for the work to be performed, as established by the deputy head, including official language proficiency; and

b) la Commission prend en compte :

(b) the Commission has regard to

(i) toute qualification supplémentaire que l’administrateur général considère comme un atout pour le travail à accomplir ou pour l’administration, pour le présent ou l’avenir,

(i) any additional qualifications that the deputy head may consider to be an asset for the work to be performed, or for the organization, currently or in the future,

(ii) toute exigence opérationnelle actuelle ou future de l’administration précisée par l’administrateur général,

(ii) any current or future operational requirements of the organization that may be identified by the deputy head, and

(iii) tout besoin actuel ou futur de l’administration précisé par l’administrateur général.

(iii) any current or future needs of the organization that may be identified by the deputy head.

Précision

Interpretation

(4) La Commission n’est pas tenue de prendre en compte plus d’une personne pour faire une nomination fondée sur le mérite.

(4) The Commission is not required to consider more than one person in order for an appointment to be made on the basis of merit.

Zone de sélection

Area of selection

34 (1) En vue de l’admissibilité à tout processus de nomination sauf un processus de nomination fondé sur les qualités du titulaire, la Commission peut définir une zone de sélection en fixant des critères géographiques, organisationnels ou professionnels, ou en fixant comme critère l’appartenance à un groupe désigné au sens de l’article 3 de la Loi sur l’équité en matière d’emploi.

34 (1) For purposes of eligibility in any appointment process, other than an incumbent-based process, the Commission may determine an area of selection by establishing geographic, organizational or occupational criteria or by establishing, as a criterion, belonging to any of the designated groups within the meaning of section 3 of the Employment Equity Act.

Rôle du comité d’examen dans le Mécanisme de recours indépendant prévu par le Cadre

[76]  Le Cadre crée le droit de demander qu’un comité d’examen révise les décisions rendues à l’occasion de demandes de promotion. L’article 3.4 traite du rôle du comité d’examen :

[traduction] L’examinateur ou le comité ne doit pas reprendre le rôle du CAP. L’examinateur ou le comité d’examen a pour mandat d’examiner le dossier du recours concernant le processus utilisé par le CAP pour évaluer l’état de préparation du candidat à une promotion et les motifs invoqués dans la plainte.

[77]  Aux termes de l’article 3.5, le comité d’examen doit [traduction] « confirmer la pertinence du processus utilisé par le premier comité d’avancement professionnel » ou [traduction] « cerner les questions ayant pu avoir une incidence négative » sur la décision du CAP. D’une importance particulière, l’article 3.5 affirme précisément que : [traduction] « [l]es examinateurs ne peuvent pas recommander d’accorder l’avancement professionnel ». Cependant, le comité d’examen peut suggérer qu’un nouveau CAP soit convoqué pour examiner de nouveau le dossier.

Motifs de plainte devant un comité d’examen

[78]  Le Cadre prévoit plusieurs motifs pour l’exercice d’un recours, je parlerai plutôt de plaintes. Le demandeur s’appuie principalement sur un motif, à savoir l’abus de pouvoir. Dans ses parties pertinentes, les dispositions du Cadre relatives au mécanisme de recours indépendant énoncent les motifs pour invoquer l’abus de pouvoir, et elles décrivent l’abus de pouvoir de manière plus détaillée :

[traduction] 2.2  Motifs de recours

Le processus d’avancement professionnel n’a pas été correctement suivi si au moins une des situations suivantes s’applique :

[…]

e. Abus de pouvoir

Le fardeau de la preuve incombe aux demandeurs « relativement à l’abus de pouvoir invoqué devant l’examinateur ou le comité d’examen.

La Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Kane c Canada (Procureur général) a affirmé que « [l]a Loi ne donne pas de définition exhaustive de l’« abus de pouvoir ». Elle renferme toutefois la disposition suivante, qui permet d’en cerner le sens :

2. (4) Il est entendu que, pour l’application de la présente loi, on entend notamment par « abus de pouvoir » la mauvaise foi et le favoritisme personnel. [Italiques dans l’original.]

Une définition plus large de l’abus de pouvoir, qui peut être utilisée lors de l’examen de tels dossiers, consiste en : une mauvaise utilisation ou une utilisation inappropriée d’un pouvoir discrétionnaire à l’occasion de processus de dotation. [Italiques dans l’original.]

Ainsi, un abus de pouvoir peut se produire aux termes d’au moins une de cinq situations, à savoir lorsque :

[...] un délégué exerce son pouvoir discrétionnaire dans une intention illégitime (y compris dans un but non autorisé, de mauvaise foi ou tenant compte de considérations non pertinentes);

[...] un délégué se fonde sur des éléments insuffisants (y compris lorsqu’il ne dispose d’aucun élément de preuve ou qu’il ne tient pas compte d’éléments pertinents);

[...] le résultat est inéquitable (y compris lorsque des mesures administratives déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises);

[...] le délégué exerce son pouvoir discrétionnaire en se fondant sur une interprétation erronée de la loi;

[...] un délégué refuse d’exercer son pouvoir discrétionnaire en adoptant une politique qui entrave sa capacité d’examiner des cas individuels avec un esprit ouvert.

L’abus de pouvoir est plus que de simples erreurs ou omissions; cependant, lorsqu’un délégué se fonde sur des éléments insuffisants ou prend des actions qui sont, par exemple, déraisonnables ou discriminatoires, ces actions peuvent constituer de graves erreurs ou d’importantes omissions qui équivalent à un abus de pouvoir, même s’il n’est pas volontaire.

[Non souligné dans l’original.]

VI.  Analyse

Considérations générales et préliminaires

[79]  Je commencerai en constatant que la décision définitive visée par la présente demande de contrôle judiciaire est techniquement celle du sous-ministre, et non celle du comité d’examen. Néanmoins, puisque le sous-ministre a accepté les conclusions du comité d’examen, je considérerai la décision du comité d’examen comme étant les motifs de la décision du sous-ministre; Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, au paragraphe 44.

[80]  Le demandeur affirme que le comité d’examen a restreint indûment son mandat en refusant d’évaluer son dossier pour déterminer si la décision du CAP était raisonnable : Rabbath, au paragraphe 36 (« […] si l’examinateur avait eu le sentiment que le fond de la décision du Comité était problématique, il pouvait le dire. Bien que l’examinateur fut restreint quant à la recommandation qu’une promotion soit accordée au demandeur, il lui était loisible de relever les lacunes de la décision du Comité. En fait, tel était son mandat »).

[81]  Le demandeur ne prétend pas que le comité d’examen devrait effectuer un examen de novo (ce qu’il ne pourrait pas faire, car il [traduction] « ne doit pas reprendre le rôle » du CAP, comme le déclare le Cadre), mais il soutient plutôt que le comité d’examen aurait dû évaluer sa plainte afin de déterminer le caractère raisonnable de la décision du CAP. Il fait valoir cet argument parce que l’abus de pouvoir est défini dans le Cadre, dans l’extrait que je viens de citer, comme comprenant [traduction] « un résultat inéquitable (y compris lorsque des mesures administratives déraisonnables, discriminatoires ou rétroactives ont été prises) » [Non souligné dans l’original.]

[82]  Le demandeur soutient que la décision Gultepe no 1 appuie son argument selon lequel le comité d’examen doit procéder à une évaluation [traduction] « raisonnable » de la décision rendue par le CAP concernant la demande de promotion. Plus précisément, il se fonde sur le paragraphe suivant :

[15]  À mon avis, le comité d’examen a commis une erreur lorsqu’il a refusé d’examiner certains des arguments du demandeur pour le motif qu’il est [traduction] « expressément chargé d’examiner le processus seulement ». Les parties ne s’entendent pas sur la norme de contrôle qui s’applique à la décision du comité d’examen relativement à la portée de son mandat. Toutefois, je n’ai pas à trancher cette question, car, à mon avis, la conclusion du comité d’examen à l’égard des limites de son mandat était à la fois incorrecte et déraisonnable. Plusieurs éléments du MRI indiquent que le comité d’examen doit examiner le fond de l’analyse du CAP. Par exemple, le comité d’examen doit déterminer si certains éléments de l’analyse étaient déraisonnables et ont mené à un résultat inéquitable, de façon à constituer un abus de pouvoir.

[Non souligné dans l’original.]

[83]  Le défendeur n’a pas contesté cette conclusion du juge Locke. La décision n’a pas non plus été portée en appel. Elle demeure donc.

[84]  Le défendeur soutient que le comité d’examen s’est penché sur le caractère raisonnable de la décision du CAP et il a conclu qu’elle n’était pas déraisonnable; lequel argument j’examinerai maintenant.

Première question en litige : le comité d’examen a-t-il commis une erreur susceptible de révision en limitant la portée de son [traduction] « mandat » aux termes, du Cadre, c.-à-d. que le comité d’examen était-il tenu d’évaluer le dossier du demandeur pour déterminer le caractère raisonnable de la décision du CAP?

[85]  Le demandeur affirme que le comité d’examen a seulement évalué le processus et, en ce sens, il a commis la même erreur que le deuxième comité d’examen, de sorte que sa décision devrait être annulée et le dossier devrait faire l’objet d’un nouvel examen pour les mêmes motifs que ceux énoncés par le juge Locke dans la décision Gultepe no 1. Je ne suis pas d’accord.

[86]  Le comité d’examen a exercé son mandat selon les modalités prévues par le Cadre. Le Cadre déclare, comme l’a conclu le comité d’examen en évaluant son mandat, que [traduction] « [l]e comité ne doit pas reprendre le rôle du comité d’avancement professionnel (CAP). Le comité a la responsabilité d’examiner le processus utilisé par le CAP pour évaluer l’état de préparation du candidat à une promotion et les motifs invoqués dans la plainte présentée par le demandeur ». Cet énoncé est conforme au mandat du comité d’examen, comme exposé dans le Cadre. Par conséquent, je ne peux pas conclure qu’une erreur a été commise.

[87]  À mon humble avis, le comité d’examen ne s’est pas limité à examiner le processus en l’espèce. Il est acquis de respecter la présomption portant que le décideur a examiné le dossier qui lui a été présenté. À ce chapitre, plusieurs faits sont importants. D’abord, dans son rapport, le comité d’examen a constaté qu’il avait en main les dossiers du demandeur présentés au comité sectoriel et au CAP. De plus, le comité d’examen a affirmé qu’il disposait, aux fins d’examen, de [traduction] l’Outil/Rapport d’évaluation du comité sectoriel et du CAP, respectivement, en plus des procès-verbaux des réunions des deux comités (comme je l’ai déjà mentionné aux paragraphes 20 à 38 des présents motifs). Il s’agit d’une indication que les éléments essentiels du dossier du demandeur ont été examinés.

[88]  Notablement, à mon avis, le comité d’examen a conclu qu’il n’y avait aucune [traduction] « indication que le CAP avait rendu une décision déraisonnable ». L’emploi de la formule [traduction] « décision déraisonnable » reflète la demande du demandeur. Cette phrase indique que le comité d’examen s’est penché sur le caractère raisonnable de la décision du CAP : c’est ce qu’il affirme textuellement.

[89]  Il importe de se rappeler qu’à l’occasion de l’examen du dossier par le comité d’examen, et par notre Cour, ce dernier a effectué un grand nombre d’entrevues. Sa première entrevue a eu lieu avec le demandeur et son représentant. Le demandeur a choisi d’exposer sa plainte, ce qui indique aussi que, dans la mesure où ses observations étaient fondées sur des préoccupations de fond quant au caractère raisonnable de la décision du CAP, le comité d’examen s’est penché sur son dossier.

[90]  Le comité d’examen a également rencontré la présidente du comité sectoriel. Son rapport précise les éléments examinés par le comité sectoriel concernant le bien-fondé et la teneur de la demande de promotion du demandeur. La plupart des huit autres entrevues réalisées par le comité d’examen sont également en lien avec les motifs, c.-à-d. les motifs suffisants expliquant le refus de la demande de promotion du demandeur. Ces entrevues confirment le raisonnement énoncé dans les procès-verbaux et dans [traduction] l’Outil/Rapport d’évaluation du CAP et du comité sectoriel. Ces entrevues indiquent les préoccupations des gestionnaires du demandeur et d’autres membres du comité, elles font état de leurs réserves concernant son dossier, et elles exposent les raisons et les motifs pour lesquels la demande de promotion du demandeur n’a pas été appuyée. Ceci confirme encore que le comité d’examen s’est penché sur le fond de la décision du CAP ainsi que sur les processus employés, comme le souhaitait le demandeur.

[91]  Contrairement à la situation dans la décision Gultepe no 1, rien n’indique dans le rapport du comité d’examen que ce dernier était « expressément chargé d’examiner le processus seulement ». Rien n’indique que le conseil a reçu un tel conseil en l’espèce, comme ce fut le cas dans l’affaire Gultepe no 1. Pour ce motif, je conclus également que la situation examinée par le juge Locke dans l’affaire Gultepe no 1 n’est pas celle dont notre Cour est saisie à l’occasion du présent contrôle judiciaire.

[92]  En outre, le comité d’examen a particulièrement soulevé et rejeté la prétention du demandeur portant que son dossier n’avait pas été examiné de manière suffisamment détaillée. Il affirme ce qui suit : [traduction] « Le comité d’examen ne retient pas l’affirmation de M. Gultepe selon laquelle son dossier n’a pas été examiné de manière suffisamment détaillée et que son travail est de valeur égale à celui des autres scientifiques qui ont été promus à l’échelon SE-RES-4. » Cet énoncé est une autre confirmation que le comité d’examen a bel et bien examiné le dossier du demandeur.

[93]  Je suis d’avis que l’espèce démontre que le comité d’examen s’est penché sur le dossier du demandeur. Le comité d’examen n’a pas effectué une évaluation ligne par ligne du dossier du demandeur pour déterminer le caractère raisonnable de la décision du CAP, il n’était pas tenu de le faire. Il est bien établi que de tels comités n’ont pas à traiter en détail de chaque question soulevée par un demandeur. De plus, le contrôle judiciaire n’est pas fondé uniquement sur les motifs, il repose sur le dossier et les motifs.

[94]  Je conclus que le comité d’examen a examiné le fond de la préoccupation du demandeur concernant la décision de ne pas lui accorder la promotion.

[95]  À l’occasion d’un contrôle judiciaire, la principale question concerne le caractère raisonnable de la décision. Tout bien pesé, je conclus également que le rapport du comité d’examen, considéré dans son ensemble et dans le contexte du dossier, est raisonnable en ce sens qu’il appartient aux issues possibles pouvant se justifier au regard des faits. Par conséquent, je rejette le premier motif de contrôle judiciaire du demandeur.

Deuxième question en litige : le comité d’examen a-t-il commis une erreur susceptible de révision en exigeant déraisonnablement du demandeur qu’il publie des articles dans des [traduction] « revues dont l’impact est important », c.-à-d. a-t-il permis au CAP d’appliquer un nouveau critère dans son évaluation de la demande de promotion du demandeur?

[96]  Le demandeur allègue que le CAP a pris la décision de ne pas lui accorder une promotion pour le motif qu’il n’avait pas publié suffisamment d’articles dans des revues dont [traduction] « l’impact est important », ce qui était déraisonnable, selon lui. Il soutient que le comité d’examen a commis une erreur en permettant au CAP de rendre une telle conclusion. Il note que bien que les comités de sélection puissent raisonnablement discuter des compétences, ils ne peuvent ni les établir ni les modifier : Canada (Attorney General) v Blashford, [1991] 2 CF 44, aux paragraphes 5 et 27 (CAF) (Blashford); Barbeau c Canada (Procureur général), 2002 CF 1re inst. 454, aux paragraphes 43 à 45 (Barbeau). De plus, il affirme que notre Cour a déterminé que [traduction] « un comité de sélection ne pouvait pas refuser de promouvoir des candidats pour le motif qu’il n’avait pas publié d’articles dans des revues externes à comité de lecture », si le Cadre ne l’exige pas : Ollevier c Canada (Procureur général), 2008 CF 199, aux paragraphes 32 à 41 (Ollevier); Gladman c Canada (Procureur général), 2016 CF 917, au paragraphe 51 (avis d’appel déposé le 8 novembre 2016) (Gladman).

[97]  Le demandeur note, à juste titre, que les exigences du Cadre, concernant la promotion à l’échelon RES-4, ne font aucune mention de publication dans des [traduction] « revues dont l’impact est important ». Ce n’est pas tout.

[98]  Le défendeur prétend que le demandeur cherche véritablement à obtenir de notre Cour qu’elle réexamine les éléments de preuve d’une façon qui lui serait plus favorable. Le défendeur note, à juste titre, que le Cadre comprend de nombreuses références à [traduction] « l’impact » comme fondement de l’évaluation. À tout événement, le défendeur prétend que le fait d’avoir invoqué les [traduction] « revues dont l’impact est important » n’a pas pesé dans la décision de refuser de promouvoir le demandeur, puisque seul le comité sectoriel en a tenu compte dans sa décision. Le comité sectoriel ne pouvait pas et n’a pas critiqué la promotion du demandeur; il pouvait seulement formuler des recommandations.

[99]  C’est le CAP qui a véritablement refusé la promotion et, plus important encore, il n’a fait aucune mention des [traduction] « revues dont l’impact est important ». Le CAP a plutôt énoncé de nombreux facteurs expliquant le refus de la demande du demandeur; plus précisément, le demandeur se situait à l’échelon SE-RES-4 uniquement pour le volet de la gestion de la recherche, mais qu’il ne se situait pas l’échelon SE-RES-4 pour le volet de la recherche, du développement et de l’analyse, où l’obtention d’une note élevée compte le plus, ou pour le volet de la représentation et des services à la clientèle. De plus, il n’avait pas l’appui de son gestionnaire. Par conséquent, le défendeur soutient que la décision du sous-ministre est raisonnable et qu’elle devrait être confirmée. Avec égard, je suis d’accord avec le défendeur.

[100]   À mon humble avis, le demandeur n’a pas démontré que le CAP avait agi de façon déraisonnable en [traduction] « créant » une exigence portant que le demandeur devait avoir publié des articles dans des [traduction] « revues dont l’impact est important », ou que le comité d’examen a commis une erreur, de quelque façon que ce soit, en n’intervenant pas pour tenir compte de cette allégation non fondée sur des faits relative au caractère déraisonnable.

[101]  Tout d’abord, aux termes du volet concernant la [traduction] « productivité », le Cadre établit la pertinence et la légitimité de publier des articles dans des publications à comité de lecture :

[traduction] Dans ce contexte, les extrants peuvent comprendre : des publications à comité de lecture, des produits scientifiques, des avis scientifiques, des propositions de recherche, des rapports scientifiques internes, des ensembles de données, des brevets, des transferts technologiques, des études, des livres et des chapitres, des formations d’experts, une participation à des comités consultatifs, d’élaboration des politiques, des projets conjoints de recherche et de développement, la sensibilisation publique ou des revues à comité de lecture. Ces extrants peuvent être produits individuellement ou en équipe.

[102]  L’examen par les pairs est manifestement une composante importante de l’évaluation; elle est une partie essentielle du processus de promotion établi par le Cadre lui-même.

[103]  De plus, l’allégation du demandeur portant qu’on exige de lui qu’il publie dans des revues dont l’impact est important ne peut être soutenue en l’espèce. La seule référence aux [traduction] « revues dont l’impact est important », figure dans [traduction] l’Outil/Rapport d’évaluation du comité sectoriel et dans son procès-verbal; chacun indique que [traduction] « le demandeur devrait publier plus d’articles dans des revues dont l’impact est important ». La lettre du comité sectoriel n’exige pas la publication d’articles dans des revues dont l’impact est important, on y emploie le verbe « recommande ». Plus important encore, bien qu’elle parle de revues dont l’impact est important, la lettre mentionne expressément la nécessité de publier des articles dans des revues à comité de lecture : nous vous recommandons de [traduction] : « privilégier la publication de vos résultats de recherche dans des revues à comité de lecture et d’ajouter, dans votre prochaine demande de promotion, des démonstrations quantifiées des améliorations provenant des transferts techniques effectués ».

[104]  J’estime que ces changements au libellé dans la lettre de refus du comité sectoriel par rapport aux documents de travail du même comité sont importants. La lettre comporte deux modifications. Premièrement, la mention est formulée comme une recommandation, et il n’y a pas eu emploi de termes indiquant une obligation. Deuxièmement, on y a ajouté les termes [traduction] « à comité de lecture », de sorte que la recommandation indiquait de [traduction] « privilégier la publication des résultats de recherche dans des revues à comité de lecture dont l’impact est important ».

[105]  Les deux modifications affaiblissent l’affaire du demandeur. Je vois une différence entre rendre un élément obligatoire et formuler une recommandation. Deuxièmement, dans sa lettre, le comité a recommandé que le demandeur publie ses articles dans des [traduction] « revues à comité de lecture », ce qui, à mon avis, est une indication évidente qu’un grand nombre de ses articles ont été publiés dans une revue secondaire, laquelle ne comptait pas parmi les meilleures, et dont il était rédacteur en chef, avec d’autres chercheurs. La lettre du comité sectoriel demandait au demandeur de rehausser le niveau de publication de ses articles, ce que j’estime être une recommandation raisonnable étant donné qu’elle visait à régler les lacunes observées.

[106]  À tout événement, les propos du comité sectoriel à ce chapitre sont moins pertinents à l’issue définitive, car il n’avait pas le pouvoir d’approuver la promotion du demandeur. Ce pouvoir revenait exclusivement au CAP plus expérimenté.

[107]  Le CAP avait le pouvoir d’approuver ou de refuser la promotion du demandeur, et je conclus que ses considérations revêtent davantage de poids que celles du comité sectoriel. En outre, le CAP n’utilise l’expression [traduction] « revues dont l’impact est important » à aucun endroit dans ses procédures, ce que le demandeur a négligé, ou peut-être minimisé. [traduction] L’Outil/Rapport d’évaluation du CAP, son procès-verbal ou sa lettre ne contient aucune mention des [traduction] « revues dont l’impact est important ». Je suis d’avis que la plainte du demandeur à cet égard n’est tout simplement pas fondée pour ce qui est du dossier. J’ajouterai que la lettre du sous-ministre ne fait aucune mention des revues dont l’impact est important.

[108]  Le dossier démontre que les publications du demandeur soulevaient deux préoccupations distinctes. La première, soulevée lors des délibérations du comité sectoriel, concerne les [traduction] « revues dont l’impact est important ». Cette préoccupation était fondée sur le fait que le demandeur avait publié ses articles dans une revue subalterne, laquelle ne comptait pas parmi les meilleures et n’était pas dotée d’un comité de lecture. Je suis d’avis que cette préoccupation portait sur la qualité des revues dans lesquelles le demandeur a publié ses articles.

[109]  Une autre préoccupation découlait du [traduction] lien entre le demandeur et la maison d’édition. Le demandeur a publié un grand nombre de ses articles dans une revue dont il était lui-même l’un de plusieurs rédacteurs en chef. Cette préoccupation ne portait pas sur la [traduction] qualité de la revue, mais plutôt, selon ma compréhension, sur un [traduction] « lien » problématique entre le demandeur et la revue, dont il était l’un des rédacteurs en chef principaux. Cette situation [traduction] « a soulevé des réserves », comme l’a mentionné l’une des personnes rencontrées.

[110]  [traduction] L’Outil/Rapport d’évaluation du CAP, ainsi que son procès-verbal, n’aborde que la question du lien. Les réserves du CAP principal du Ministère concernaient le lien entre le demandeur et la revue en question : il en était l’un des rédacteurs en chef. Ainsi, [traduction] l’Outil/Rapport d’évaluation du CAP comprenait le commentaire suivant : [traduction] « [l]e comité a noté que plus de considération devait être accordée aux revues démontrant une plus grande indépendance relative aux liens antérieurs » [Non souligné dans l’original.]. Je suis d’avis que cette préoccupation était fondée sur le dossier et qu’elle était raisonnable dans les circonstances.

[111]  Dans son procès-verbal, le CAP mentionne ce qui suit : [traduction] « [a]fin de faire avancer sa carrière, M. Gultepe a été encouragé à se concentrer sur la documentation de l’opérationnalisation et du transfert technologique de ses contributions scientifiques et sur la publication de ses résultats dans une plus grande diversité de revues démontrant une plus grande indépendance relative aux liens antérieurs ». [Non souligné dans l’original.] Une fois encore, le demandeur a été encouragé à publier ses articles dans des revues dont il n’est pas rédacteur en chef. Ces commentaires ne concernent pas les revues dont l’impact est important. La lettre du CAP adressée au demandeur utilise les mêmes mots; elle ne fait aucune référence aux [traduction] « revues dont l’impact est important ».

[112]  La décision du sous-ministre abonde dans le même sens. Le sous-ministre ne fait aucune mention des [traduction] « revues dont l’impact est important ». Il a plutôt traité de la question du lien, mentionnant ce qui suit : [traduction] « [a]fin de faire avancer votre carrière, vous êtes encouragé à vous concentrer sur la documentation de l’opérationnalisation et du transfert technologique de vos contributions scientifiques et sur la publication de vos résultats dans une plus grande diversité de revues démontrant une plus grande indépendance relative aux liens antérieurs ». La référence à [traduction] « une plus grande diversité de revues » est également une indication de la question problématique de la publication par le demandeur de beaucoup d’articles dans une revue dont il était rédacteur en chef, avec d’autres. Je ne suis pas d’avis que cette référence crée une nouvelle exigence liée à l’emploi ou qu’elle constitue une exigence de publier des articles dans des [traduction] « revues dont l’impact est important ».

[113]  La question est donc de savoir que faire de la référence du comité d’examen aux [traduction] « revues dont l’impact est important »? En effet, le rapport du comité d’examen mentionne les [traduction] « revues dont l’impact est important ». Néanmoins, je ne suis pas convaincu que le comité d’examen en fait une exigence pour la promotion. Je suis d’avis que le comité d’examen traite des revues dont l’impact est important parce qu’elles étaient au cœur des plaintes du demandeur. Le demandeur a demandé au comité d’examen de conclure qu’il était inapproprié de soi-disant invoquer les [traduction] « revues dont l’impact est important ». Le demandeur ne pouvait pas raisonnablement s’attendre à ce que le comité d’examen examine sa plainte concernant les [traduction] « revues dont l’impact est important » sans en discuter et sans évaluer le bien-fondé de son dossier à ce chapitre.

[114]  En effet, la raison d’être du comité d’examen, comme indiqué à l’annexe B du Cadre lui-même ([traduction] 3.4 L’examen), est d’« examiner le recours sous l’angle du processus utilisé par le CAP pour évaluer l’état de préparation du candidat à une promotion et les motifs invoqués dans la plainte » [Non souligné dans l’original.]. Le comité d’examen a agi de façon raisonnable en abordant la question des revues dont l’impact est important, et je ne vois aucun fondement dans la suggestion contraire.

[115]  La question n’est pas de savoir si le comité d’examen s’est penché sur la plainte du demandeur concernant les [traduction] « revues dont l’impact est important » (il l’a fait), mais plutôt de savoir dans quelle mesure il s’est fondé sur cette question. Les entrevues et les enquêtes réalisées par le comité d’examen concernant les plaintes du demandeur l’ont mené à conclure que [traduction] « l’exigence de publier des articles de grande qualité dans des revues de pointe est courante dans les différents ministères et, selon les entrevues menées, elle constitue un examen normal à Environnement Canada ». Je suis d’avis que cette conclusion est raisonnable et justifiée par les témoignages de M. Lin (directeur général à la Direction des sciences et de la technologie atmosphériques d’Environnement Canada et président du comité sectoriel), de M. Brook (chercheur à l’échelon RES-5 à Environnement Canada) et de Mme Karen Dodds (sous-ministre adjointe à la Direction générale des sciences et de la technologie d’Environnement Canada et présidente du CAP ministériel). La conclusion du comité d’examen voulant que la publication d’articles de grande qualité dans des revues de renom soit une exigence courante dans tous les ministères et une considération normale dans le ministère au sein duquel le demandeur travaille était simplement l’une de ses conclusions sur la validité des préoccupations du comité sectoriel concernant la qualité des revues choisies par le demandeur.

[116]  Le demandeur soutient qu’en ne critiquant pas le fait d’invoquer les [traduction] « revues dont l’impact est important », le comité d’examen a approuvé la modification non autorisée des critères relatifs aux promotions. Par ailleurs, le défendeur soutient qu’il s’agit simplement de précisions concernant les critères existants relatifs aux promotions. Je retiens la thèse du défendeur.

[117]  L’interprétation adoptée par le demandeur est trop stricte. Il est vrai que l’expression [traduction] « revue dont l’impact est important » ne figure pas dans le Cadre, mais, à mon humble avis, il ne s’agit pas d’un élément déterminant. Le comité sectoriel et le CAP ont correctement apprécié et évalué la demande de promotion du demandeur et la question de savoir s’il avait atteint les résultats valorisés du volet RDA du travail de recherche définit aux termes du Cadre.

[118]  Aux termes du Cadre, les candidats à une promotion sont tenus d’indiquer leurs publications dans leurs dossiers. Le [traduction] « changement de culture » annoncé dans le Cadre indique clairement que le nombre de publications n’est pas suffisant à lui seul pour justifier une promotion. Il mentionne plutôt que l’accent est mis sur les [traduction] « résultats valorisés » dans des volets précis du travail de recherche, avec un accent sur le volet de la recherche, du développement et de l’analyse (RDA). Les publications peuvent être une indication qu’un candidat a atteint certains résultats valorisés de manière à justifier une promotion, mais le nouveau régime du Cadre ne prévoit plus [traduction] « qu’il faille absolument publier ou oublier toute possibilité d’avancement ».

[119]   Ainsi, les décideurs agissant aux termes du Cadre doivent évaluer, s’il y a lieu, les publications présentées par les candidats aux promotions. Cela se résume inévitablement à apprécier non seulement les articles publiés par les candidats, mais également les revues dans lesquelles elles sont publiées; il semble incontesté que certaines revues ont une meilleure réputation que d’autres pour contrôler les articles présentés pour publication. Je conclus qu’il est raisonnable que la réputation d’une revue ainsi que d’autres facteurs semblables soient examinés à l’occasion du processus d’examen des promotions lorsqu’un candidat présente des articles publiés pour appuyer une demande de promotion. L’évaluation des éléments, y compris les articles et les revues dans lesquelles ils sont publiés, fait partie du mandat du comité sectoriel et du CAP. Par conséquent, je conclus que le comité d’examen n’a pas agi de manière déraisonnable en examinant cet aspect de la plainte du demandeur.

[120]  De plus, bien que le demandeur prétende que le Cadre ne comporte aucune exigence de publier des articles dans des revues scientifiques ou des [traduction] « revues dont l’impact est important » pour obtenir une promotion à l’échelon RES-4, il est important de noter que le Cadre indique également que « [l]e nombre d’articles publiés, souvent perçu comme le principal critère dans le processus de nomination actuel, doit maintenant être considéré comme seulement l’un des éléments démontrant l’innovation, l’impact et la reconnaissance » [Non souligné dans l’original.] Les exigences relatives à l’atteinte de l’échelon SE-RES-4 utilisent des mots et des phrases telles que les suivantes : [traduction] « a démontré une compréhension approfondie [...], a dirigé et coordonné des équipes de recherche multidisciplinaires chargées de réaliser plusieurs projets de recherche ou un programme de recherche [...], a élaboré de nouvelles théories ou techniques [...] ou a appliqué des théories existantes [...] à de nouveaux domaines alors qu’une telle application n’était pas apparente auparavant, a proposé des projets de recherche novateurs [...], ses contributions sont démontrées [...] ».

[121]  De plus, le volet de la RDA à l’échelon SE-RES-04 comprend des expressions comme [traduction] « nouvelles théories ou techniques, travaux de recherche novateurs, agit sur le changement, a contribué à des changements dans son domaine de spécialisation à l’échelle nationale ou internationale et approfondissement accru ».

[122]  À mon humble avis, l’utilisation de ces expressions et de ces termes indique clairement que le Cadre exige des travaux de recherche plus pointus, plus percutants et plus précis pour obtenir une promotion de l’échelon RES-3 à l’échelon RES-4. L’utilisation de ces termes confirme qu’il y aura une évaluation des articles présentés. À ce titre, compte tenu de leur expertise scientifique beaucoup plus importante que celle de notre Cour de révision, le comité sectoriel et le CAP ont tous deux droit à un degré de déférence important.

[123]  Je suis également saisi de la question de trancher si la considération relative aux revues dont l’impact est important constitue une [traduction] « modification » interdite au critère de sélection ou une [traduction] « précision » permise dudit critère : décision Blashford, précitée, aux paragraphes 5 et 27; décision Ollevier, précitée, au paragraphe 32; décision Barbeau, précitée, au paragraphe 43.

[124]   Avant de trancher cette question, je souhaite examiner les propos tenus par le CAP et le sous-ministre : [traduction] « [a]fin de faire avancer votre carrière, vous êtes encouragé à vous concentrer sur la documentation de l’opérationnalisation et du transfert technologique de vos contributions scientifiques et sur la publication de vos résultats dans une plus grande diversité de revues démontrant une plus grande indépendance relative aux liens antérieurs ».

[125]  Je ne suis pas convaincu que le fait d’encourager un candidat à publier dans une plus grande diversité de revues démontrant une plus grande indépendance relative aux liens antérieurs avec le candidat lui-même constitue une adaptation ou une modification déraisonnable au critère de sélection du Cadre. Je suis plutôt d’avis qu’il s’agit d’une évaluation individuelle précise des éléments présentés par le présent candidat à la promotion et de conseils pour son avancement professionnel. Ce conseil et cet encouragement étaient raisonnables dans les circonstances; ils offraient une orientation au demandeur concernant d’éventuelles demandes de promotion. Loin d’être inutile, il s’agit d’un moyen raisonnable d’encourager le demandeur dans son avancement professionnel.

[126]  Je souhaite également réitérer que, à la lumière du dossier présenté en l’espèce, les [traduction] « revues dont l’impact est important » ne constituent pas une considération figurant dans l’évaluation du CAP ou dans celle du sous-ministre.

[127]  Cela dit, même si le CAP et le sous-ministre avaient tenu compte des [traduction] « revues dont l’impact est important », les décisions visées par le contrôle n’auraient pas été considérées comme déraisonnables. Je tiens ces propos parce que la considération des [traduction] « revues dont l’impact est important » constitue une précision appropriée apportée au Cadre et elle correspond aux autres termes descriptifs utilisés en lien avec les articles rédigés par les membres du groupe de chercheurs scientifiques et invoqués pour leur promotion. En réalité, la pondération et l’évaluation de la [traduction] qualité des revues dans lesquelles les articles d’un candidat sont publiés devraient être perçues comme des éléments courants du processus de promotion; je suis d’avis qu’il s’agit d’un aspect raisonnable et permis dans le contexte de l’appréciation et de l’évaluation des éléments déposés à l’appui d’une demande de promotion.

[128]  Le demandeur allègue que l’évaluation de la qualité des revues dans lesquelles le candidat publie ses articles entraîne une modification de l’exigence relative à la promotion et elle est, par conséquent, interdite, selon la décision Ollevier. Je ne suis pas d’accord. À mon avis, le sous-ministre, en adoptant le rapport du comité d’examen, a précisé et a évalué les éléments qui lui ont été présentés d’une manière propre aux faits de l’espèce. Dans la décision Ollevier, la Cour a permis au comité d’appel, l’ancêtre du comité d’examen, d’effectuer une telle évaluation, et je ne vois aucun motif de retirer cette faculté au comité d’examen. Dans la décision Ollevier, le comité d’appel a examiné le refus de la demande de promotion d’un scientifique de la défense à Recherche et développement pour la défense Canada. Au paragraphe 41, la Cour a déclaré ce qui suit :

À mon avis, en exigeant de M. Ollevier qu’il établisse un solide dossier pluriannuel faisant état de publications scientifiques à comité de lecture, le jury de sélection a modifié l’exigence de créativité parce qu’il a restreint les facteurs qui pouvaient attester telle créativité. Interprétées comme il convient, les Lignes directrices du régime de rémunération des DS disposent que les publications à comité de lecture sont la preuve d’une créativité, et non un simple indice de créativité. Le comité d’appel a erré en disant que le jury de sélection était fondé à interpréter comme il l’a fait l’indicateur de rendement qui concerne la créativité.

[Non souligné dans l’original.]

[129]  Je note de nouveau que le Cadre lui-même mentionne la publication d’articles dans des revues à comité de lecture comme une évaluation pertinente à l’examen d’une demande de promotion :

2. [traduction] Productivité

La productivité concerne la génération par le chercheur d’extrants ministériels pertinents (aussi appelés des contributions), en conformité avec le rythme correspondant au domaine de spécialisation ou au type de travail.

[traduction] Dans ce contexte, les extrants peuvent comprendre : des publications à comité de lecture, des produits scientifiques, des avis scientifiques, des propositions de recherche, des rapports scientifiques internes, des ensembles de données, des brevets, des transferts technologiques, des études, des livres et des chapitres, des formations d’experts, une participation à des comités consultatifs, d’élaboration des politiques, des projets conjoints de recherche et de développement, la sensibilisation publique ou des revues à comité de lecture. Ces extrants peuvent être produits individuellement ou en équipe.

[Non souligné dans l’original.]

[130]  Par conséquent, je rejette l’observation voulant que le sous-ministre ou le comité d’examen ait modifié le critère de sélection.

[131]  Je note également que le CAP a indiqué de multiples facteurs aux termes desquels le demandeur s’est vu refuser la promotion demandée. Aucun de ses gestionnaires n’a appuyé sa demande. Il a atteint l’échelon SE-RES-4 uniquement au titre du volet de la GR, mais non pour le volet important de la RDA. Selon son [traduction] Outil/Rapport d’évaluation, le CAP a conclu que le demandeur avait atteint uniquement un des quatre résultats valorisés à l’échelon SE-RES-4 aux termes des volets de RDA, à savoir la productivité (la même conclusion que le comité sectoriel), dont j’ai déjà traité en détail. Le CAP a conclu que le demandeur n’était pas parvenu à atteindre l’échelon SE-RES-4 dans aucun des trois volets de RSC. Le CAP a conclu que [traduction] « des données supplémentaires étaient nécessaires pour démontrer que l’aspect de l’innovation était passé de l’application à l’amélioration des modèles ». De plus, relativement à l’impact, le CAP a affirmé que [traduction] « les données étaient insuffisantes pour démontrer les transferts technologiques aux clients ». Le demandeur n’a pas contesté le fait que ces réserves pourraient être prises en compte dans l’évaluation de sa demande : ils l’ont été, et sa demande a été jugée insuffisante. Ces conclusions témoignent également du caractère raisonnable des décisions du comité d’examen et du sous-ministre.

[132]  En résumé et tout bien pesé, je suis incapable de conclure que [traduction] l’Outil/Rapport d’évaluation ou le procès-verbal du CAP démontre une considération inacceptable de la qualité des revues dans lesquelles les articles du demandeur sont publiés. Je suis incapable de conclure que la conclusion du comité d’examen concernant les [traduction] « revues dont l’impact est important » crée un nouveau critère à remplir pour obtenir la promotion.

VII.  Conclusion

[133]  Après avoir pris du recul et examiné la décision dans son ensemble, et ce faisant dans le contexte du dossier, je conclus que le rapport du comité d’examen et la décision du sous-ministre appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit applicables à l’espèce, selon l’arrêt Dunsmuir. Par conséquent, les deux sont raisonnables et la présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

VIII.  Dépens

[134]  Les parties ont convenu que la partie qui obtiendrait gain de cause aurait droit à des dépens fixés au montant total 3 250 $, ce que j’estime raisonnable. Par conséquent, le demandeur devra verser au défendeur des dépens fixés au montant total 3 250 $.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Le demandeur devra verser au défendeur des dépens fixés au montant total 3 250 $.

« Henry S. Brown »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de juillet 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-601-16

 

INTITULÉ :

ISMAIL GULTEPE c CANADA (PROCUREUR GÉNÉRAL)

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 OCTOBRE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 DÉCEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

CHRISTOPHER ROOTHAM

POUR LE DEMANDEUR

CHRISTINE LANGILL

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

NELLIGAN O’BRIEN PAYNE S.R.L.

AVOCATS

OTTAWA (ONTARIO)

POUR LE DEMANDEUR

WILLIAM F. PENTNEY

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

OTTAWA (ONTARIO)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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