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Date : 20170201


Dossier : IMM-2421-16

Référence : 2017 CF 126

Ottawa (Ontario), le 1er février 2017

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

JAHANGIR ALAM

demandeur

et

MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, citoyen du Bangladesh, conteste la légalité et/ou la raisonnabilité de la décision, rendue le 27 avril 2016 par un agent d’immigration qui a refusé sa demande de résidence permanente à titre de travailleur qualifié, c’est-à-dire comme directeur des achats [profession visée].

[2]  Conformément aux exigences du paragraphe 75(2) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [Règlement], le demandeur doit, pour se voir accorder sa demande de résidence permanente, accumuler au moins une année continue d’expérience de travail à temps plein et accomplir l’ensemble des tâches figurant dans l’énoncé principal établi pour la profession visée, et, pendant cette période d’emploi, exercer une partie appréciable des fonctions principales de la profession visée, notamment exercer toutes les fonctions dites « essentielles ». Le paragraphe 75(3) du Règlement précise que l’agent d’immigration doit mettre fin à l’examen de la demande et la refuser lorsque le requérant ne répond pas aux exigences minimales de préqualification.

[3]  C’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à l’examen du mérite de la décision (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au para 47). La décision sous étude est largement discrétionnaire. Les déterminations contestées par le demandeur relèvent de l’expertise spécialisée du décideur administratif. De plus, l’insuffisance des motifs sera également examiné sous l’angle de la raisonnabilité comme le suggère la jurisprudence depuis l’arrêt Newfondland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador, 2011 CSC 62, [2011] ACS no 62 aux paras 14 et 22 (Sidhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 176, [2014] ACF no 183 aux paras 17-18; Ahmed c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 1083, [2013] ACF no 1180 au para 24 [Ahmed]; Singh c Canada, 2015 CF 377, [2015] ACF no 341 au para 12; Walia v Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2016 FC 1171, [2016] FCJ No 1156 au para 13.

[4]  Pour les raisons qui suivent, la présente demande en contrôle judiciaire doit échouer.

[5]  Au cours des dix années précédant sa demande de résidence permanente, le demandeur a complété des études en génie civil et en finance au Bangladesh. Il a ensuite occupé diverses fonctions au sein de deux entreprises de télécommunications d’importance nationale et internationale. Entre 2007 et 2011, le demandeur a travaillé à titre de « Procurement Senior Executive » chez Banglalink Digital Communication Limited de Ghulsan [Banglalink]. Dans le cadre de cet emploi, il soumet avoir élaboré et mis en œuvre des stratégies d'approvisionnement, avoir négocié des contrats d’approvisionnement, avoir conclu des accords pour des produits spécifiques, avoir coordonné et piloté des programmes d'amélioration des fournisseurs, en plus de préparer le budget. Depuis 2011, le demandeur est à l’emploi de Grameephone et occupe le poste de spécialiste en approvisionnement (“Sourcing Specialist”). Sa description de tâches est assez similaire à son ancien poste, en ce qu’il élabore et maintient des contrats, analyse les dépenses, établit des relations solides avec les vendeurs et les fournisseurs, mène les négociations, assure la gouvernance des approvisionnements et travaille au sein d’une équipe transversale pour élaborer les politiques d'approvisionnement, la procédure et les méthodes de travail.

[6]  La profession de directeur des achats, selon la définition fournie par le guide de la Classification nationale des professions du Canada [CNP], est un poste de gestion occupé par des cadres intermédiaires spécialisés. Selon la fiche 0113 de la CNP, le directeur d’achat est responsable de planifier, organiser, diriger, contrôler et évaluer les activités d'un service des achats. Il doit également élaborer et mettre en œuvre les politiques d'achat d'une entreprise ou d'un établissement, et ce, dans les secteurs public et privé. Or, les lettres d’attestation fournies par les employeurs sont interprétées de façon différente par les parties. Essentiellement, le demandeur prétend avoir accompli l’ensemble des tâches de gestion figurant dans l’énoncé principal de la profession visée, sinon une partie appréciable de celles-ci. Il reproche à l’agent d’avoir omis de considérer et d’analyser toutes les tâches indiquées dans la documentation soumise et de ne pas avoir suffisamment motivé son refus, ce que conteste vivement le défendeur qui soumet à tous égards que la décision est raisonnable.

[7]  Je suis d’accord avec le défendeur. Contrairement à ce qu’allègue le demandeur, la décision sous étude est suffisamment motivée. Selon la jurisprudence, les notes d’entrevue de l’agent, de même que les notes inscrites au système de traitement informatisé des dossiers d’immigration [STIDI], constituent des motifs et peuvent permettre à la Cour d’apprécier la raisonnabilité du refus en cause (Ghirmatsion c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 519, [2013] 1 RCF 261 au para 8 référant à Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817 au para 44; Khowaja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 823, [2013] ACF no 904 au para 3; Ahmed aux paras 22‑23). En l’espèce, le motif de refus sont clairs et transparents.

[8]  L’agent est d’avis que les tâches du demandeur ne sont pas celles d’un directeur des approvisionnements, mais qu’elles s’apparentent plutôt à celles d’un chef d’équipe, ou à celles d’un spécialiste des approvisionnements tel que le titre de son emploi actuel le suggère :

[traduction] Lorsqu’il occupait en poste à Banglalink, il était responsable de l’achat de marchandises et de services commerciaux propres au lieu. De même, lorsqu’il était à l’emploi de Grameephone, il était responsable de l’approvisionnement et de certaines catégories de biens. Ni dans un poste ni dans l’autre a-t-il exécuté les fonctions principales du poste de direction couvert par CNP 0113. De fait, il a été membre d’équipes interfonctionnelles et joué un rôle important dans l’achat et l’approvisionnement, mais il semblerait que ce soit davantage en tant que chef d’équipe ou, comme le titre de son poste le laisse entendre, en tant que spécialiste.

Je ne suis pas convaincu, sur la foi de l’information dont je dispose, que le DP ait exécuté les fonctions principales, voire l’ensemble des fonctions essentielles, visées par l’énoncé principal de CNP 0113.

[9]  Or, conformément à l’alinéa 75(2)(b) du Règlement, le demandeur avait l’obligation de démontrer à l’agent qu’il avait accompli l’ensemble des tâches essentielles figurant dans l’énoncé des tâches du poste 0113, et ce au cours d’une année d’expérience de travail à temps plein ou l’équivalent temps plein pour un travail à temps partiel, au cours des dix années. Bien qu’il n’ait jamais eu le titre de « directeur », le demandeur soumet néanmoins que les tâches décrites dans sa demande sont identiques ou similaires à celles énumérées à la CNP pour le poste de directeur des achats. En l’espèce, l’agent indique, dans ses notes, avoir considéré l’ensemble de la preuve, mais conclut finalement que les tâches effectuées par le demandeur dans ses emplois précédents ne concordent pas avec le descriptif des tâches pour le poste de directeur d’achat conformément à la fiche descriptive de la CNP.

[10]  Il appartient exclusivement à l’agent de déterminer si les lettres des anciens employeurs du demandeur sont suffisantes pour démontrer qu’il rencontre les conditions d’application du Règlement (qualifications minimales). L’agent n’avait pas l’obligation de faire une analyse détaillée ou comparative dans les notes ou la lettre de refus de toutes et chacune des tâches (Lake c Canada (Ministre de la Justice), 2008 CSC 23, [2008] 1 RCS 761 au para 46). Le résultat auquel en arrive l’agent constitue une issue acceptable compte tenu du droit applicable et de la preuve au dossier. En l’espèce, l’agent a conclu que le demandeur semblait plutôt être un chef d’équipe, voire un spécialiste, mais non un gestionnaire qui dirige et contrôle un service d’approvisionnement. Cette conclusion n’est pas déraisonnable compte tenu de la preuve au dossier. C’est notamment le superviseur du demandeur chez Grameephone qui a signé la lettre d’attestation à titre de « chief procurement officier » (chefs des approvisionnements). De plus, son employeur chez Banglalink indique dans sa lettre d’attestation que le demandeur collaborait avec leurs gestionnaires de chaine d’approvisionnement.

[11]  Au passage, le défendeur va jusqu’à affirmer que le profil professionnel du demandeur est plutôt assimilable à celui d’un agent des achats (voir la fiche 1225 de la CNP), ce que conteste bien entendu le demandeur. Je n’ai pas à me prononcer sur cette question périphérique. Ce qui est déterminant en l’espèce, c’est bien le caractère incomplet et non concluant de la preuve qui a été portée à l’attention de l’agent. À ce chapitre, l’avocat du demandeur a présenté à l’audition une savante argumentation qui, à première vue, pourrait laisser croire que l’agent s’est trompé, ou à tout le moins, qu’une autre issue était possible, mais ce n’est pas le test applicable en matière d’examen de la raisonnabilité de la décision d’un agent. La Cour ne siège pas en appel mais en révision judiciaire. Bien qu’on puisse soutenir que le demandeur exerce plusieurs fonctions d’un directeur des achats, on peut également soutenir que ce dernier n’exerce pas un véritable pouvoir décisionnel ou de direction dans son département. La fréquence et l’importance des tâches dites « essentielles » ne sont pas vraiment précisées par les deux employeurs. Certes, le demandeur est spécialiste en approvisionnement et est appelé à collaborer avec ses gestionnaires afin de développer des initiatives de réduction des coûts, mais soutenir et collaborer avec son gestionnaire, ce n’est pas exercer les fonctions d’un gestionnaire. Le demandeur ne s’est donc pas acquitté de son fardeau de preuve en ce qu’il n’a pas démontré qu’il répondait aux exigences prévues au Règlement. Par conséquent, l’agent n’a commis aucune erreur révisable.

[12]  Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soulevée par les procureurs.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2421-16

 

INTITULÉ :

JAHANGIR ALAM c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 janvier 2017

 

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er février 2017

 

COMPARUTIONS :

Me Jacques Beauchemin

 

Pour lE demandeUR

Me Sonia Bédard

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Beauchemin, Brisson, Avocats

Montréal (Québec)

 

Pour lE demandeUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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