Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170221


Dossiers : IMM-2124-16

IMM-2125-16

Référence : 2017 CF 202

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 février 2017

En présence de monsieur le juge Russell

Dossier : IMM-2124-16

ENTRE :

POONAM BAJWA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

Dossier : IMM-2125-16

ET ENTRE :

MANJINDER SINGH RANDHAWA

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  ‎La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) à l’encontre de deux décisions rendues par une agente d’immigration du bureau de Citoyenneté et Immigration Canada à Edmonton (l’agente des visas), toutes deux datées du 9 mai 2016 (les décisions), qui rejetaient les demandes de prorogation de permis de travail présentées par les demandeurs. Les demandes ont été regroupées en seule audience, puisque la demande présentée par Manjinder Singh Randhawa (le demandeur) dépend du statut d’emploi de Poonam Bajwa [la demanderesse].

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  Les demandeurs, mari et femme, sont citoyens de l’Inde. La demanderesse exerce la profession de travailleuse religieuse; plus précisément, de dirigeante de liturgie Sikh. Le demandeur est camionneur. Avant leur arrivée au Canada, ils ont travaillé en Grèce pendant plusieurs années. Le 26 février 2013, les demandeurs sont entrés au Canada, en passant par Toronto, munis de visas de visiteur dans le but de rendre visite à un ami à Calgary.

[3]  La demanderesse a apparemment reçu un permis de travail daté du 27 février 2013 à Coutts, en Alberta. Elle a reçu une offre d’emploi datée du 26 février 2014 de la Sri Guru Arjun Dev Ji Sikh Society de Saskatoon (Sikh Society). Elle a ensuite présenté deux demandes en vue de prolonger son permis de travail, qui ont été rejetées le 12 février 2014 et le 22 juin 2015. Après ce dernier refus, on a conseillé à la demanderesse de quitter le Canada. Elle a ensuite présenté une troisième demande de prorogation de permis de travail, qui a été rejetée. Ce refus fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[4]  Le 27 mai 2013, le demandeur a reçu un permis de travail à Coutts, en Alberta. Le permis de travail a été prolongé jusqu’au 3 avril 2014. Les demandes présentées par la suite en vue de prolonger de nouveau le permis de travail en tant que personne à charge de son épouse ont été rejetées et on a conseillé au demandeur de quitter le Canada le 22 juin 2015. Le demandeur a ensuite présenté le 26 juin 2015 une autre demande de prorogation de permis de travail, qui a été rejetée. Il s’agit de la décision faisant l’objet du contrôle.

III.  DÉCISIONS FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[5]  Dans les décisions qu’une agente des visas a envoyées aux demandeurs par lettres datées du 9 mai 2016, il a été déterminé que les demandeurs n’étaient pas admissibles à des prorogations de permis de travail.

[6]  L’agente des visas a conclu que les demandeurs n’avaient pas répondu aux exigences pour obtenir une prorogation de leur permis de travail. Dans les deux décisions, l’agente des visas n’était pas convaincue que les demandeurs étaient de véritables travailleurs au Canada et qu’ils partiraient au terme de leur séjour en tant que résidents temporaires. Pour parvenir à ces décisions, l’agente des visas a pris en considération plusieurs facteurs, notamment la durée de leur séjour envisagé au Canada, les motifs de leur premier séjour et les raisons de la prorogation demandée, ainsi que le but de leur visite.

A.  La demanderesse

[7]  Dans les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC) concernant la demanderesse, l’agente des visas a examiné les antécédents en matière d’immigration de celle-ci et a mentionné qu’elle était restée au Canada, même si on lui avait conseillé de quitter le Canada après le rejet d’une demande antérieure de prorogation de permis de travail.

[8]  L’agente des visas a aussi examiné les circonstances entourant l’arrivée des demandeurs au Canada. Les demandeurs sont entrés au Canada par Toronto, en Ontario, le 26 février 2013, dans le but de rendre visite à un ami à Calgary. Le lendemain, les demandeurs présentaient des demandes de permis de travail à Coutts, en Alberta. Vu cette suite d’événements, l’agente des visas n’était pas convaincue que les demandeurs étaient entrés au Canada en vue de rendre visite à des amis, mais plutôt pour travailler.

[9]  L’agente des visas a conclu par la suite, compte tenu du flou entourant sa description de son travail et ses fonctions, que la demanderesse n’avait pas réussi à la convaincre qu’elle était apte à avoir la charge d’une congrégation sous l’égide de la confession religieuse sikhe.

[10]  En outre, l’agente des visas a mentionné que le site Web fourni pour l’employeur n’existait pas et qu’il n’y avait aucune preuve de talons de paye de la demanderesse, en dépit d’allégations contraires.

[11]  De plus, l’agente des visas n’était pas convaincue eu égard aux lettres présentées par l’employeur, puisqu’il y avait des divergences dans les signatures.

[12]  Enfin, l’agente des visas a mentionné que la demanderesse avait acquis une expérience considérable au Canada et qu’elle n’aurait aucune difficulté à se trouver un emploi à l’étranger.

[13]  Pour les motifs exposés ci-dessus, l’agente des visas n’était pas convaincue que la demanderesse était une travailleuse de bonne foi, ou qu’elle partirait après son séjour autorisé, et elle a donc rejeté la demande de prorogation du permis de travail.

B.  Demandeur

[14]  Dans les notes du Système mondial de gestion des cas [SMGC] concernant le demandeur, l’agente des visas a examiné les antécédents en matière d’immigration de celui-ci et a mentionné qu’il était resté au Canada, même si on lui avait conseillé de quitter le Canada après le rejet de demandes antérieures de prorogation de permis de travail. L’agente des visas a aussi conclu que le demandeur n’était pas admissible à une prorogation de permis de travail, étant donné que sa demande dépendait de sa qualité de conjoint d’une travailleuse qualifiée et que la demande de prorogation de permis de travail présentée par la demanderesse avait été rejetée.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[15]  Les demandeurs soutiennent que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

  1. L’agente des visas a-t-elle commis une erreur dans l’évaluation des demandes en ne la fondant pas sur des conclusions favorables tirées des faits connus, ce qui rend ainsi les décisions déraisonnables?

  2. L’agente des visas a-t-elle agi sans avoir compétence, a-t-elle outrepassé sa compétence, ou a-t-elle refusé d’exercer sa compétence?

  3. L’agente des visas a-t-elle omis d’observer un principe de justice naturelle ou d’équité procédurale ou toute autre procédure qu’elle était tenue de respecter de par la loi.

  4. L’agente des visas a-t-elle rendu une décision ou une ordonnance entachée d’une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier?

  5. L’agente des visas a-t-elle rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait, et surtout, la conclusion selon laquelle l’offre d’emploi n’était pas authentique?

  6. L’agente des visas a-t-elle omis de traiter les demandeurs de manière juste et de leur offrir des garanties procédurales, y compris une divulgation complète et une occasion de contre-interroger tout élément de preuve présenté à l’encontre des demandeurs?

  7. L’agente des visas a-t-elle commis un abus de procédure en tenant compte de facteurs non pertinents et en n’exerçant pas adéquatement son pouvoir discrétionnaire ou en l’entravant, et en abusant de son pouvoir discrétionnaire en l’exerçant à des fins irrégulières?

  8. L’agente des visas a-t-elle fait preuve de partialité envers les demandeurs, empêchant ainsi que les décisions contestées soient maintenues?

  9. L’agente des visas a-t-elle refusé aux demandeurs le droit à une audience régulière, menée conformément à l’ensemble des principes juridiques fondés, y compris les règles de preuve et de procédure applicables?

  10. L’agente des visas a-t-elle :

  1. omis de suivre la règle audi alteram partem?

  2. rendu une décision qui allait à l’encontre de la preuve et du poids de la preuve?

  3. omis d’agir de façon judiciaire dans toutes les circonstances?

  iv.  fondé sa décision sur des facteurs non divulgués et des hypothèses qui n’ont pas été portées à l’attention des demandeurs?

  1. L’agente des visas a-t-elle agi de toute autre façon contraire à la loi?

  2. L’agente des visas a-t-elle omis de respecter les principes de justice naturelle et d’équité procédurale et a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions erronées, sans tenir compte des documents dont elle disposait?

[16]  Les motifs exposés ci-dessus sont de portée générale et ne découlent pas nécessairement des faits de la présente affaire. Après examen des observations, voici les questions réelles qu’il faut examiner :

  1. La décision de l’agente des visas est-elle raisonnable?

  2. L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que le but de la visite des demandeurs était d’obtenir du travail plutôt que de rendre visite à un ami? Subsidiairement, l’agente des visas a-t-elle commis une erreur de fait en concluant que les demandeurs avaient présenté des demandes de permis de travail le lendemain de leur arrivée au Canada?

  3. L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que la description d’emploi fournie par la demanderesse était trop vague pour établir qu’elle avait la capacité d’occuper l’emploi?

  4. L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en concluant que l’emploi n’existait pas, au motif que :

  • le site Web de l’employeur n’existait pas au moment où il a été vérifié?

  • la demande ne comprenait aucun talon de paye, alors qu’on indiquait qu’ils s’y trouvaient dans la lettre de présentation?

  1. L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en accordant un poids moins grand aux lettres de l’employeur au motif que les signatures étaient différentes, malgré le fait qu’elles provenaient de la même personne?

  2. L’agente des visas a-t-elle commis une erreur en ne donnant pas à la demanderesse une occasion de répondre aux préoccupations concernant les documents?

  3. L’agente des visas a-t-elle fait preuve de partialité envers les demandeurs?

[17]  Pour sa part, le défendeur soutient que les points en litige dans la présente demande s’énoncent comme suit :

  1. Les affidavits présentés par les demandeurs sont-ils admissibles?

  2. La décision de l’agente des visas était-elle raisonnable?

  3. La décision de l’agente des visas a-t-elle été prise dans le respect du principe d’équité procédurale?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[18]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 (Dunsmuir), la Cour suprême du Canada a conclu qu’une analyse de la norme de contrôle n’est pas toujours nécessaire. En effet, si la jurisprudence établit de manière satisfaisante la norme de contrôle applicable à une question particulière portée devant la cour de révision, celle-ci peut adopter cette norme. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de contrôle judiciaire en common law que la cour de révision doit procéder à une analyse des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[19]  Les questions soulevées par les demandeurs sur l’évaluation d’un agent des visas d’une demande dans le contexte d’une décision concernant la délivrance d’un permis de travail sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable : voir Sharma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 786, au paragraphe 10.

[20]  Les demandeurs ont également soulevé des questions liées à l’équité procédurale, notamment la partialité, qui seront examinées selon la norme de la décision correcte et les critères établis dans la jurisprudence à cet égard : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43 (Khosa).

[21]  Le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable se fonde sur une analyse qui s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. » Voir l’arrêt Dunsmuir, précité, au paragraphe 47, et l’arrêt Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, il est demandé à la Cour d’intervenir seulement si la décision est déraisonnable, dans la mesure où elle ne fait pas partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. »

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[22]  Les dispositions suivantes du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement), sont applicables en l’espèce :

Permis de travail — demande préalable à l’entrée au Canada

Work permits

200 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), et de l’article 87.3 de la Loi dans le cas de l’étranger qui fait la demande préalablement à son entrée au Canada, l’agent délivre un permis de travail à l’étranger si, à l’issue d’un contrôle, les éléments ci-après sont établis :

200 (1) Subject to subsections (2) and (3) — and, in respect of a foreign national who makes an application for a work permit before entering Canada, subject to section 87.3 of the Act — an officer shall issue a work permit to a foreign national if, following an examination, it is established that

a) l’étranger a demandé un permis de travail conformément à la section 2;

(a) the foreign national applied for it in accordance with Division 2;

b) il quittera le Canada à la fin de la période de séjour qui lui est applicable au titre de la section 2 de la partie 9;

(b) the foreign national will leave Canada by the end of the period authorized for their stay under Division 2 of Part 9;

c) il se trouve dans l’une des situations suivantes :

(c) the foreign national

(i) il est visé aux articles 206 ou 208,

(i) is described in section 206 or 208,

(ii) il entend exercer un travail visé aux articles 204 ou 205 pour lequel aucune offre d’emploi ne lui a été présentée ou il est visé à l’article 207 et aucune offre d’emploi ne lui a été présentée,

(ii) intends to perform work described in section 204 or 205 but does not have an offer of employment to perform that work or is described in section 207 but does not have an offer of employment,

(ii.1) il entend exercer un travail visé aux articles 204 ou 205 pour lequel une offre d’emploi lui a été présentée ou il est visé à l’article 207 et une offre d’emploi lui a été présentée, et l’agent a conclu, en se fondant sur tout renseignement fourni, à la demande de l’agent, par l’employeur qui présente l’offre d’emploi et tout autre renseignement pertinent, que :

(ii.1) intends to perform work described in section 204 or 205 and has an offer of employment to perform that work or is described in section 207 and has an offer of employment, and an officer has determined, on the basis of any information provided on the officer’s request by the employer making the offer and any other relevant information,

(A) l’offre était authentique conformément au paragraphe (5),

(A) that the offer is genuine under subsection (5), and

(B) l’employeur, selon le cas :

(B) that the employer

(I) au cours des six années précédant la date de la réception de la demande de permis de travail par le ministère, a confié à tout étranger à son service un emploi dans la même profession que celle précisée dans l’offre d’emploi et lui a versé un salaire et ménagé des conditions de travail qui étaient essentiellement les mêmes — mais non moins avantageux — que ceux précisés dans l’offre,

(I) during the six-year period before the day on which the application for the work permit is received by the Department, provided each foreign national employed by the employer with employment in the same occupation as that set out in the foreign national’s offer of employment and with wages and working conditions that were substantially the same as — but not less favourable than — those set out in that offer, or

(II) peut justifier le non-respect des critères prévus à la sous-division (I) au titre du paragraphe 203(1.1), (iii) il a reçu une offre d’emploi et l’agent a rendu une décision positive conformément aux alinéas 203(1)a) à e);

(II) is able to justify, under subsection 203(1.1), any failure to satisfy the criteria set out in subclause (I), or (iii) has been offered employment, and an officer has made a positive determination under paragraphs 203(1)(a) to (e); and

d) [Abrogé, DORS/2004-167, art. 56]

(d) [Repealed, SOR/2004-167, s. 56]

e) s’il est tenu de se soumettre à une visite médicale en application du paragraphe 16(2) de la Loi, il satisfait aux exigences prévues aux paragraphes 30(2) et (3).

(e) the requirements of subsections 30(2) and (3) are met, if they must submit to a medical examination under paragraph 16(2)(b) of the Act.

Demande de renouvellement

Application for renewal

201 (1) L’étranger peut demander le renouvellement de son permis de travail si :

201 (1) A foreign national may apply for the renewal of their work permit if

a) d’une part, il en fait la demande avant l’expiration de son permis de travail;

(a) the application is made before their work permit expires; and

b) d’autre part, il s’est conformé aux conditions qui lui ont été imposées à son entrée au Canada.

(b) they have complied with all conditions imposed on their entry into Canada.

Renouvellement

Renewal

(2) L’agent renouvelle le permis de travail si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’étranger satisfait toujours aux exigences prévues à l’article 200.

(2) An officer shall renew the foreign national’s work permit if, following an examination, it is established that the foreign national continues to meet the requirements of section 200.

Intérêts canadiens

Canadian interests

205 Un permis de travail peut être délivré à l’étranger en vertu de l’article 200 si le travail pour lequel le permis est demandé satisfait à l’une ou l’autre des conditions suivantes:

205 A work permit may be issued under section 200 to a foreign national who intends to perform work that

d) il est d’ordre religieux ou charitable.

(d) is of a religious or charitable nature.

VII.  THÈSES DES PARTIES

A.  Demandeurs

[23]  Les demandeurs fondent leurs observations sur la thèse de la demanderesse, puisque la demande du demandeur dépend du statut d’emploi de la demanderesse.

[24]  Les demandeurs soutiennent que l’agente des visas a commis une erreur en rejetant sans motif valable ou justifiable la demande de permis de travail présentée par la demanderesse sans motif valable ou justifiable. Plus précisément, les demandeurs contestent le fait que l’agente des visas n’a pas tenu compte de l’acceptation de la demanderesse en tant que candidate des provinces par la province de la Saskatchewan, ce qui a privé inutilement une congrégation d’une dirigeante de liturgie Sikh dont le besoin était criant. Si les demandeurs sont forcés de partir, il sera difficile pour la Sikh Society de trouver un remplaçant à temps plein et les services religieux devront être suspendus.

1)  Description d’emploi

[25]  Dans les notes du SMGC sur les décisions, l’agente des visas doutait de la capacité de la demanderesse d’effectuer ce travail en raison d’une [traduction]« description d’emploi vague. » La demanderesse conteste ce motif parce que la description d’emploi présentée est quasi identique aux annonces de postes de travailleurs religieux dans les sites Web officiels du gouvernement. Les demandeurs soutiennent aussi que la capacité d’effectuer le travail n’a aucun lien avec la présentation d’une description d’emploi. De plus, la demanderesse est admissible en tant que travailleuse religieuse conformément au code 4154 de la Classification nationale des professions (CNP) pour les ministres du culte. En fait, la description de la CNP reflète de très près la description d’emploi de la demanderesse, hormis des adaptations précises pour la religion sikhe. Les demandeurs soutiennent aussi qu’il n’est pas nécessaire de présenter de longs détails compliqués parce que les fonctions que doit accomplir un prêtre ou un ministre du culte sont presque universellement comprises. Enfin, le droit est clair, les agents des visas ne sont pas des experts et ne devraient pas évaluer les compétences professionnelles des demandeurs : voir Chen c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 594, aux paragraphes 21 à 24.

2)  Le site Web de la Sikh Society

[26]  Les demandeurs sont également en désaccord avec l’insinuation faite par l’agente des visas, selon laquelle le poste n’existait pas parce qu’elle n’avait pas réussi à accéder au site Web de la Sikh Society. Le site Web était fonctionnel au moment où la demande a été présentée; toutefois, au cours des dix mois et demi suivants le site Web a été piraté et la Sikh Society a décidé d’en créer un nouveau avec une adresse différente, qui contient des photographies de la demanderesse dans son rôle de dirigeante de liturgie Sikh. Les demandeurs prétendent qu’ils ne devraient pas être tenus responsables de la disparition de l’ancien site Web; c’est plutôt l’agente des visas qu’il faut blâmer, puisqu’il lui a fallu dix mois et demi pour enquêter à ce sujet. Les demandeurs prétendent aussi qu’ils n’étaient pas tenus d’indiquer l’adresse du nouveau site Web parce qu’ils n’avaient pas donné l’ancienne adresse; elle était simplement indiquée dans le papier à en-tête. Les demandeurs croient que l’agente des visas aurait dû mener une enquête adéquate en tenant de communiquer avec l’employeur par courrier, par courriel ou par téléphone, plutôt que de simplement consulter un site Web avant de conclure qu’il ne doit pas exister, tout comme l’emploi.

3)  Les lettres de M. Singh

[27]  En ce qui concerne les lettres rédigées par M. Balvir Singh, le directeur de la Sikh Society, l’agente des visas entretenait des doutes à propos de certaines incohérences. Les demandeurs soutiennent toutefois qu’il n’y a effectivement pas d’incohérences. Deux d’entre elles sont des offres d’emploi datées du 26 février 2014 et du 4 mars 2015, tandis que l’autre est une lettre de recommandation datée du 11 mars 2015; de plus, M. Singh a signé une déclaration sous serment dans laquelle il affirme être l’auteur des trois lettres. La deuxième lettre d’offre d’emploi s’explique par le fait que Citoyenneté et Immigration Canada exigeait une nouvelle lettre au terme de la première année de l’emploi pour une période déterminée de la demanderesse. En outre, les demandeurs font valoir que, si les lettres avaient suscité des doutes quant à leur authenticité, l’agente des visas était tenue de leur offrir une occasion de répondre : voir Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 219, aux paragraphes 23 à 29 (Kaur). En ce qui concerne la raison pour laquelle les demandeurs n’ont pas expliqué les incohérences entre les lettres, ils font valoir qu’ils ne croyaient pas que les lettres posaient problème puisqu’elles avaient été fournies par l’employeur de la demanderesse; ils n’avaient donc aucune obligation d’expliquer les lettres.

4)  Les talons de paye

[28]  En ce qui concerne les préoccupations quant à l’absence de talons de paye pour l’année 2014 à l’appui de la demande, les demandeurs prétendent que des talons de paye ont été soumis, ce qui explique qu’ils y ont fait référence dans la lettre de présentation qui accompagnait la demande de la demanderesse. Les demandeurs croient que Citoyenneté et Immigration Canada les a égarés; ils en ont toutefois inclus des copies dans la présente demande. Les demandeurs ont le droit de corriger des erreurs et des omissions; ils n’ont pas pu le faire avant parce qu’on les a informés que les talons de paye ne se trouvaient pas dans le dossier uniquement au début de la procédure de contrôle judiciaire. Les demandeurs croient qu’ils ne devraient pas être tenus responsables de l’absence de talons de paye dans la demande; c’est plutôt Immigration et Citoyenneté Canada qu’il faut blâmer.

5)  Les conclusions de l’agente des visas

[29]  Les demandeurs estiment aussi que les conclusions de l’agente des visas sont contradictoires. L’agente de visas, même si elle avait sous-entendu que le poste était frauduleux, avait conclu que la demanderesse avait acquis une expérience considérable au Canada et qu’elle n’aurait aucune difficulté à se trouver un emploi ailleurs. Ces conclusions sont incohérentes.

[30]  Les demandeurs soutiennent aussi qu’il était inapproprié pour l’agente de visas de conclure que la demanderesse n’était pas une travailleuse de bonne foi, qui ne partirait pas au terme de son séjour autorisé. Le poste de dirigeante de liturgie Sikh est un travail de nature religieuse ou de bienfaisance; ainsi la demanderesse est bel et bien une travailleuse de bonne foi. En ce qui concerne l’hypothèse selon laquelle la demanderesse ne partirait pas au terme de son séjour, les demandeurs soutiennent que cette hypothèse est inappropriée parce qu’ils n’ont jamais enfreint les lois en matière d’immigration, au Canada ou ailleurs, et ils n’ont pas de casier judiciaire. Selon la jurisprudence, les agents des visas doivent fournir des explications raisonnables, ce qui n’est pas le cas en l’espèce : voir Patel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 602; Villagonzalo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1127; Portillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 866, au paragraphe 27 (Portillo). De plus, la jurisprudence exige aussi que les agents des visas offrent une occasion de répondre à tout doute sur les intentions de quitter le Canada à l’expiration d’un visa : voir Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1284.

[31]  En outre, les demandeurs font valoir que l’agente des visas a commis une erreur en concluant que la demanderesse avait présenté une demande de permis de travail à Coutts, en Alberta, le 27 février 2013, le lendemain de son arrivée. En réalité, la demande a été présentée le 27 février 2014. Les demandeurs prétendent que l’agente des visas n’avait pas le bon document quand elle a rendu la décision; autrement, l’année où le premier permis de travail a été délivré aurait été évidente. En outre, l’agente des visas a complètement écarté la troisième lettre de M. Singh, qui n’est pas mentionnée dans la décision.

6)  Gravité de la décision

[32]  Les demandeurs sont aussi en désaccord avec la prétention selon laquelle la décision n’entraîne aucune conséquence grave. Les demandeurs affirment qu’une fois un permis de travail refusé à un demandeur, il est très peu probable que ce dernier ait la permission de revenir au Canada, et encore moins qu’il obtienne un permis de travail. Même s’ils ont techniquement le droit de présenter une demande, il est rare qu’un demandeur dont la demande de permis de travail a déjà été rejetée s’en voie accorder un, comme en témoigne la question du formulaire de demande où il faut indiquer si le demandeur a déjà été obligé de quitter le Canada ou s’il s’est déjà vu refuser l’entrée au Canada. Ainsi, la décision comporte effectivement une conséquence grave, parce qu’il pourrait être interdit à jamais aux demandeurs de travailler au Canada ou dans d’autres pays.

7)  Impartialité

[33]  Les demandeurs soutiennent que l’agente des visas était, comme il est décrit au paragraphe 45 de Portillo, précité, citant le juge Harrington dans Serrudo Sempertegui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1176, au paragraphe 9, une agente qui « ne se laisser[a] jamais convaincre, peu importe la situation ». L’agente des visas a fait preuve de partialité en supposant que la demanderesse enfreindrait la loi et qu’elle resterait au Canada sans autorisation. Les demandeurs croient que les motifs témoignent d’une partialité extrême et qu’ils ont vraisemblablement été motivés par le racisme ou la malveillance. Les demandeurs soutiennent que l’agente des visas a affiché un mépris total à l’égard de la demanderesse, de son poste, de son emploi et de sa religion en déclarant que l’emploi était frauduleux sans fournir un fondement rationnel. De plus, les demandeurs font valoir que l’examen très pointilleux mené par l’agente des visas et son refus ultime ont été influencés par son préjugé à l’égard d’une religion étrangère pratiquée par des non-Blancs et son racisme à l’égard des non-Blancs.

8)  Autres éléments de preuve

[34]  Enfin, les demandeurs soutiennent qu’il est justifié pour eux de présenter des éléments de preuve supplémentaires dans le cadre du présent contrôle judiciaire. La troisième lettre de M. Singh est incluse parce qu’elle ne se trouvait pas dans le dossier de Citoyenneté et Immigration Canada et on ne sait trop à laquelle de ces lettres l’agente des visas a renvoyé dans la décision. Les talons de paye ont été soumis de nouveau, encore une fois parce qu’ils ne se trouvaient pas dans le dossier d’Immigration et Citoyenneté Canada, même s’ils avaient été inclus dans la demande initiale. Il était aussi nécessaire que la défenderesse fasse référence au nouveau site Web de la Sikh Society afin d’expliquer pourquoi l’ancien site Web ne fonctionnait pas et de réfuter la conclusion tirée par l’agente des visas selon laquelle l’emploi était frauduleux.

B.  Défendeur

1)  Autres éléments de preuve

[35]  Le défendeur soutient que les affidavits présentés par les demandeurs sont inadmissibles au motif qu’ils se composent principalement d’éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés à l’agente des visas, soit une preuve par ouï-dire ou un argument. Les affidavits tentent d’introduire de nouveaux éléments de preuve qui n’ont pas été présentés dans le cadre des demandes de permis de travail, notamment une troisième lettre de M. Singh, une référence à une nouvelle adresse de site Web, une expérience antérieure en tant que dirigeante de liturgie Sikh en Grèce, des photographies de la demanderesse et des talons de paye. Les nouveaux éléments de preuve, comme la lettre de M. Singh et les talons de paye, dont la décideuse n’était pas saisie, ne sont pas admissibles dans une procédure de contrôle judiciaire, sauf circonstances exceptionnelles, ce que les demandeurs n’ont pas établi : voir Bekker c Canada, 2004 CAF 186, au paragraphe 11 (Bekker). En outre, les affidavits devraient se limiter aux faits qui relèvent de la connaissance personnelle de l’auteur; les affidavits des demandeurs comprennent des conclusions et des arguments sur le bien-fondé de la décision rendue par l’agente des visas et sur d’autres éléments non factuels et ils devraient donc être inadmissibles : voir Bakary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1111, au paragraphe 5.

2)  Caractère raisonnable de la décision

[36]  Le défendeur soutient que la conclusion tirée par l’agente des visas selon laquelle la demanderesse n’était pas une travailleuse de bonne foi qui quitterait le pays au terme de son séjour autorisé était raisonnable au vu du dossier. La demanderesse avait présenté très peu de renseignements à l’appui de son travail, soit une lettre du Programme des candidats de la Saskatchewan; des documents liés à ses études; une copie de son permis de travail BB 162 265 530; une lettre de présentation qui indiquait qu’un talon de paye avait été fourni, ce qui n’était pas le cas; et deux lettres de M. Singh, datées du 5 mars 2015 et du 11 mars 2015, qui comportaient deux signatures différentes. En outre, les deux demandeurs avaient déjà manqué à leur obligation de quitter le Canada à l’expiration d’un permis antérieur.

[37]  Il incombait à la demanderesse, qui présentait la demande de permis de travail temporaire, de fournir tous les documents à l’appui et des éléments de preuve crédibles pour convaincre l’agente des visas qu’elle pouvait répondre aux exigences de l’emploi : voir Sulce c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1132, au paragraphe 10. Même si elle avait indiqué avoir fourni des talons de paye dans sa lettre de présentation, l’agente des visas a indiqué dans ses notes qu’il n’y avait aucune trace d’un talon de paye dans les pièces jointes du SMGC. Le simple fait d’affirmer que des documents ont été envoyés dans un jeu de documents ne suffit généralement pas à prouver qu’ils ont réellement été envoyés au décideur : voir Jeevaratnam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1371, au paragraphe 7.

[38]  Il était raisonnable pour l’agente des visas de se demander si le travail que la demanderesse devait effectuer était de nature religieuse ou de bienfaisance et si la demanderesse allait quitter le pays à la fin de son séjour. En effet, l’article 200 du Règlement exige la délivrance d’un permis de travail à un étranger si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’étranger a demandé un permis de travail de manière appropriée, s’il quitte le Canada à l’expiration du permis et s’il entend exercer le travail décrit à l’article 205 du Règlement.

[39]  Comme les demandeurs l’indiquent dans leur mémoire des arguments, la description d’emploi présentée dans la lettre du 4 mars 2015 de M. Singh reflétait la description générique pour le code 4154 de la CNP, ministres du culte. Cette description n’établissait pas les rituels sikhs particuliers ou d’autres fonctions que la demanderesse devrait exécuter et n’indiquait pas quelles qualifications elle possédait pour correspondre à la description. Ainsi, il était raisonnable pour l’agente des visas de conclure qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse avait la capacité d’être ministre.

[40]  Le défendeur fait valoir qu’il était raisonnable pour l’agente des visas de conclure que les lettres étaient inadéquates. Premièrement, les signatures sont très différentes, comme permet de le constater un bref examen. Deuxièmement, la lettre du 4 mars 2015 indique que le poste a été offert à la suite de la candidature et de l’entrevue, avec une date de début fixée au 1er mai 2015. Entre-temps, la lettre du 11 mars 2015 indique que la demanderesse travaille à cet endroit depuis le 1er mars 2014. Vu cette incohérence et l’absence d’indications ailleurs dans le dossier pour établir que la demanderesse avait déjà travaillé pour la Sikh Society, il était raisonnable pour l’agente des visas de n’accorder aucun poids aux lettres de M. Singh.

[41]  De plus, l’agente des visas n’a pas pu examiner les talons de paye, qui n’avaient pas été fournis, ou le site Web de l’employeur, qui ne fonctionnait pas. Si l’adresse du site Web avait changé, la demanderesse était tenue d’en informer l’agente des visas. Toutefois, étant donné que ces documents ne se trouvaient pas à la disposition de l’agente des visas pour qu’elle les examine, elle devait rendre sa décision en fonction de la description d’emploi floue fournie dans des lettres auxquelles on ne pouvait accorder beaucoup de poids. En conséquence, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour l’agente des visas de conclure que la demanderesse n’était pas une travailleuse de bonne foi.

[42]  La demanderesse a présenté sa première demande de permis de travail le lendemain de son arrivée au Canada, ce qui constitue une preuve solide qu’elle est entrée au pays dans l’intention de travailler plutôt que de rendre visite à un ami. Même si les demandeurs indiquent dans leur mémoire des arguments supplémentaire qu’elle a présenté sa demande de permis le 27 février 2014 et non le 27 février 2013, aucun élément de preuve dans son affidavit n’étaye cette prétention. Ainsi, cet élément de preuve n’aurait pas non plus été présenté à l’agente des visas. En outre, le permis de travail présenté par la demanderesse indiquait la date du 27 février 2013. Comme c’est le cas pour les lettres, il incombait à la demanderesse d’expliquer pourquoi cette date était erronée. De plus, le fait que les demandeurs n’avaient pas quitté le pays à la suite du refus de leurs prorogations de permis de travail, le 22 juin 2015, étaye la conclusion de l’agente des visas selon laquelle ils n’auraient pas quitté le pays à la fin de leur séjour autorisé. La conclusion tirée par l’agente des visas était donc raisonnable et elle n’a pas été prise en raison d’un préjugé ou d’un stéréotype.

3)  Équité procédurale

[43]  Le défendeur soutient que la décision de l’agente des visas ne se fondait pas sur la crédibilité de la demanderesse, mais plutôt sur l’insuffisance des renseignements qu’elle a fournis pour établir qu’elle répondait aux exigences prévues aux articles 200 et 205 du Règlement. Dans les demandes d’immigration, il incombe au demandeur de convaincre l’agent du bien‑fondé de tous les aspects de la demande. L’équité procédurale n’exige généralement pas d’offrir aux demandeurs de permis de travail la possibilité de répondre aux préoccupations des agents, surtout lorsque rien ne montre que les conséquences pour le demandeur seront sérieuses : voir Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 484, au paragraphe 31.

[44]  Les incohérences dans les lettres de M. Singh étaient évidentes à la lecture des documents et la demanderesse aurait dû en être au fait; ainsi, elle aurait eu l’occasion d’expliquer ces incohérences lorsque les lettres ont été présentées et l’agente des visas n’avait aucune obligation de lui offrir une autre possibilité de le faire. Il incombait donc à la demanderesse de convaincre l’agente des visas du bien‑fondé de tous les aspects de sa demande, ce qu’elle n’a pas fait.

VIII.  DISCUSSION

A.  Questions préliminaires

1)  Conduite de l’avocat

[45]  Les observations écrites présentées par l’avocat des demandeurs (Atinder Jit Uppal du cabinet Uppal Pandher LLP) sont remplies de termes extravagants ou offensants et d’accusations sans éléments de preuve. Je donne quelques exemples afin d’illustrer les problèmes issus de la réplique des demandeurs au mémoire des arguments du défendeur :

  • a) [traduction]Paragraphe 12 :

D’abord et avant tout, en guise de réponse générale au mémoire, il faut souligner qu’à l’heure actuelle, dans le présent document, et dans le mémoire précédent de la demanderesse, ainsi que son affidavit et celui de l’employeur, la demanderesse et l’employeur répondaient à peine aux motifs prévus à l’article 9 des Règles. Ils ont tout à fait le droit de le faire, d’autant plus que les motifs étaient tellement REMPLIS D’ERREURS AU VU DU DOSSIER et qu’ils indiquaient une PARTIALITÉ EXTRÊME, au point d’être très déraisonnables, vraisemblablement motivés par le RACISME ou la MALVEILLANCE à l’égard du défendeur. À tout le moins, l’agente a affiché un mépris total à l’égard de la demanderesse, de son emploi (qui est et qui était réel), de son employeur (qui est également réel) et de la religion sikhe (et vraisemblablement de la religion et des travailleurs appartenant à un ordre religieux en général), au point de déclarer que l’emploi de la demanderesse était faux, sans fondement rationnel. Un autre agent aurait accepté en temps normal ses demandes et ses documents tels quels, dans l’état qu’ils étaient en fait, la première fois qu’elle a présenté sa demande de permis de travail. À ce moment-là, elle n’a éprouvé absolument aucune difficulté avec le défendeur et le permis avait été accordé comme à l’habitude, comme il aurait dû l’être.

  • b) Paragraphe 16 :

Il est évident que l’on ne peut s’attendre à ce qu’un demandeur présente de nouveau des documents que lui ou que son employeur a remis à CIC dans le cadre de demandes précédentes; on s’attendait manifestement à ce que l’agente ait accès à tous ces documents et qu’elle puisse s’y reporter pendant le processus décisionnel. L’agente, par son manquement à cet égard et les erreurs qu’elle a commises, a fait preuve d’une incompétence et d’une négligence totale.

  • c) Paragraphe 20 :

La demanderesse et l’employeur étaient tous deux sous le choc et surpris du refus, puisqu’ils croyaient fermement que tout avait été fait correctement; elle a présenté exactement les mêmes types de documents pour la demande la plus récente que ceux qui avaient été présentés pour la première, où tout était bien. Nous croyons comprendre qu’en temps normal, le défendeur accepte systématiquement les demandes visant les travailleurs religieux, surtout les ministres du culte et, bien entendu, elles ne sont que très rarement remises en question. On croit que l’examen très minutieux et le refus ultime de l’agente auraient pu être influencés par une PARTIALITÉ à l’encontre d’une religion « étrangère » pratiquée par des « non-Blancs »[.]

  • d) Paragraphe 22 :

Un autre indice de l’incompétence totale de l’agente réside dans le fait qu’il lui a fallu dix mois et demi pour rendre sa décision, pendant qu’elle « enquêtait » prétendument sur cette affaire. On prétend qu’en réalité aucune « ENQUÊTE » de bonne foi a eu lieu; elle reconnaît qu’elle a uniquement tenté de consulter le site Web qui avait disparu (probablement de nombreux mois après le fait) et RIEN D’AUTRE. ABSOLUMENT AUCUNE TENTATIVE DE COMMUNIQUER AVEC LA DEMANDERESSE OU SON EMPLOYEUR, DE POSER DES QUESTIONS OU D’OBTENIR DES PRÉCISIONS N’A ÉTÉ FAITE, ET CELA AURAIT TRÈS BIEN PU ÊTRE FAIT, PUISQU’UNE ADRESSE MUNICIPALE ET POSTALE, UN NUMÉRO DE TÉLÉPHONE ET UNE ADRESSE DE COURRIEL AVAIENT ÉTÉ FOURNIS. IL AURAIT ÉTÉ TRÈS FACILE DE VÉRIFIER L’EXISTENCE DU TEMPLE SIKH ET DE L’AUTHENTICITÉ (« BONNE FOI ») DE L’EMPLOI ET DE L’OFFRE D’EMPLOI, MAIS AUCUN CONTACT DU GENRE N’A ÉTÉ REÇU DE CIC. La demanderesse, ainsi que Balvir Singh ou toute autre personne au temple aurait répondu avec plaisir pour apaiser tout doute que CIC pouvait entretenir. ALORS, QU’A FAIT L’AGENTE PENDANT CES DIX MOIS ET DEMI? ELLE N’« ENQUÊTAIT » CERTAINEMENT PAS SUR UN ÉLÉMENT LIÉ À CE DOSSIER. Preuve manifeste d’incompétence et une décision a été rendue par la suite en fonction de perceptions inexactes et manifestement déraisonnables.

  • e) Paragraphe 31 :

Au deuxième paragraphe du rapport de l’agente, intitulé « Détails », il est indiqué que : [traduction] « La cliente a donné un vague aperçu de sa description d’emploi et de ses fonctions. Je ne suis pas convaincue que la cliente a la capacité d’avoir la charge d’une congrégation sous l’égide de la confession religieuse sikhe en raison de sa description d’emploi vague ». Il s’agit d’un sophisme total et d’une déclaration tout à fait stupide à faire, sans compter que cette déclaration est complètement erronée, puisqu’une description d’emploi de 41 mots conforme au code 4154 de la CNP a effectivement été présentée dans la lettre d’offre d’emploi. Par conséquent, cette description d’emploi était évidemment très claire et aucunement « vague ». En fait, elle semble coïncider exactement ou presque avec les annonces pour ce genre de poste affichées dans les sites Web SaskJobs (provincial) et Guichet-Emplois (fédéral). Il n’est pas nécessaire qu’une description d’emploi soit excessivement longue et compliquée. En réalité, cette description d’emploi semble être très inspirée de celle trouvée pour le code 4154 de la CNP – ministres du culte. Le libellé est identique ou très semblable, en majeure partie, sauf quelques adaptations propres à la religion sikhe. De plus, la capacité d’avoir la charge d’une congrégation, ce dont Balvir Singh a indiqué être très convaincu, n’a absolument rien à voir avec la longueur d’une description d’emploi ou avec le fait qu’une bureaucrate quelconque, qui s’écarte de la pratique et de la politique antérieures habituelles, croit qu’elle est trop courte ou supposément « vague ». Il est évident et manifeste que cette personne ignore tout de la religion sikhe. Elle ne semble rien connaître ou rien comprendre aux fonctions réelles accomplies par un prête, un ministre du culte, un pasteur, un membre du clergé ou un dirigeant de liturgie Sikh, tandis que la plupart des Canadiens ordinaires comprennent très bien ce qu’implique cet emploi.

  • f) Paragraphe 38 :

On soutient que l’agente a fait preuve de partialité à l’égard de la demanderesse et, par conséquent, la décision contestée ne peut pas être maintenue. Plus précisément, et sans limiter le caractère général de ce qui précède, cette partialité est influencée par des hypothèses ou des stéréotypes inappropriés, et en particulier la religion de la demanderesse, son origine nationale, son ethnicité ou sa race. Dans ce qu’elle a écrit, l’agente a fait preuve de partialité, qu’elle soit dirigée à l’égard des sikhs, des personnes originaires de l’Inde ou des travailleurs religieux ou des ministres du culte en général. On sous-entend fortement que l’agente en cause était très probablement RACISTE et qu’une telle personne ne devrait pas travailler pour le défendeur, surtout en tant que décideuse dont les décisions touchent d’autres personnes. Voici un autre scénario possible de PARTIALITÉ : il se peut qu’elle ait entretenu un préjugé à l’égard des demandeurs en général, avec une tendance à rejeter des demandes pour des raisons supposément insignifiantes, comme c’était le cas ici, par rapport à d’autres agents ou agentes. Il est probable qu’elle soit l’un de ces agents que le juge Blais décrit et condamne comme des « agents qui ne se laisseront jamais convaincre, peu importe la situation », ce qui constitue en soi un indice de PARTIALITÉ, soutient-on.

  • g) Paragraphe 39 :

On croit que l’agente, qui semble être une francophone du Québec aux compétences relativement piètres en anglais, a pu être motivée par des tendances racistes. Il est notoire que CIC et les tribunaux qui en relèvent ont un problème de longue date de racisme affiché par certains de ses employés francophones, qui ont parfois tendance à faire preuve d’une hostilité fondée sur la race à l’égard de demandeurs qui ne sont pas des Blancs.

  • h) Paragraphe 40 :

Le défendeur a affirmé à tort (au paragraphe 32 de son mémoire, en citant la décision Li) que, dans une décision défavorable de refus de permis ou de visa, habituellement « rien ne montre que les conséquences pour le demandeur seront sérieuses ».

Cela n’est tout simplement pas vrai. L’avocat du défendeur affirme, comme il est très souvent fait dans le cadre de procédures devant la Cour ou un autre tribunal, qu’un demandeur dont la demande a été rejetée n’a qu’à en présenter une nouvelle (ce qui sous-entend qu’il est possible que sa demande soit effectivement acceptée la deuxième fois). Il s’agit d’une fausseté répétée à maintes reprises dans des arguments présentés dans des dossiers d’immigration devant la Cour et d’autres tribunaux (et aussi dans les lettres envoyées aux demandeurs dont la demande a été rejetée), qui est parfois acceptée par des juges très naïfs, prêts à croire la propagande débitée par les avocats de CIC. En vérité, une fois un permis de travail refusé à un demandeur par le Canada, il est très improbable qu’une autre demande qu’il présente soit acceptée ou qu’il ait même l’autorisation de revenir au Canada pour une raison ou une autre. Il est vrai qu’il ou elle peut « techniquement » remplir et présenter une demande, ce qui signifie qu’il peut « présenter » une nouvelle demande en ce sens. Toutefois, il est très, très rare que la demande présentée par un demandeur dont une demande antérieure a été rejetée soit acceptée. Ceux qui prétendent le contraire perpétuent un canular cruel, qui donne inutilement de faux espoirs à de nombreuses personnes, et qui leur fait perdre inutilement temps, efforts et argent dans des tentatives inutiles de présenter une nouvelle demande.

En fait, quand une personne présente une demande pour venir au Canada, quelle que soit la raison, on lui DEMANDE TOUJOURS, DANS LE FORMULAIRE : Vous a-t-on déjà refusé l’entrée au Canada ou dans un autre pays? Vous a-t-on déjà obligé à quitter le Canada ou un autre pays? Si le demandeur répond OUI à l’une ou l’autre de ces questions, en général, on le place essentiellement sur une « liste noire » et il ne peut plus se rendre au Canada pour une raison ou une autre et, habituellement, pour toute la vie. Il semble n’y avoir que très peu d’exceptions connues à ce genre de situation.

Ce scénario vaut aussi pour de nombreux autres pays, qui posent aussi les mêmes questions dans leurs formulaires. Donc, une décision défavorable de rejet A EFFECTIVEMENT DES CONSÉQUENCES TRÈS GRAVES pour un demandeur. Cela signifie qu’il peut s’attendre à ne jamais pouvoir travailler de nouveau au Canada ou à se rendre au Canada pour une raison ou une autre, et qu’il lui serait aussi interdit de se rendre dans de nombreux autres pays. Cela est effectivement GRAVE et aucunement insignifiant.

[Caractères gras et majuscules dans l’original, sauf le soulignement]

[46]  J’estime que ces remarques (et on en trouve d’autres partout dans les observations écrites des demandeurs) constituent une conduite inappropriée et inacceptable de la part de l’avocat des demandeurs, qui n’a pas sa place à la Cour. Sans fondement pour les appuyer, elles ne sont guère plus que des insultes. À titre d’exemple, plutôt que d’exposer le droit sur la partialité et l’objectivité en présentant les faits à l’appui d’une conclusion de partialité en l’espèce, l’avocat des demandeurs croit qu’il suffit d’offrir une opinion personnelle selon laquelle :

[traduction] On croit que l’agente, qui semble être une francophone du Québec aux compétences relativement piètres en anglais, a pu être motivée par des tendances racistes. Il est notoire que CIC et les tribunaux qui en relèvent ont un problème de longue date de racisme affiché par certains de ses employés francophones, qui ont parfois tendance à faire preuve d’une hostilité fondée sur la race à l’égard de demandeurs qui ne sont pas des Blancs.

[47]  On ne nous dit pas qui est de cet avis et aucun élément de preuve n’est présenté l’étayer. Il s’agit tout simplement d’un commentaire formulé par l’avocat des demandeurs dont la Cour devrait prendre acte d’office, comme s’il était si notoire que personne ne pourrait penser le contraire. Ce plaidoyer, en plus d’être mauvais et inefficace, est très offensant et inapproprié de la part d’un agent de la Cour et un membre du Barreau. Le ton condescendant employé par l’avocat des demandeurs ne trompe pas :

Dans ce qu’elle a écrit, l’agente a fait preuve de partialité, qu’elle soit dirigée à l’égard des sikhs, des personnes originaires de l’Inde ou des travailleurs religieux ou des ministres du culte en général. On sous-entend fortement que l’agente en cause était très probablement RACISTE et qu’une telle personne ne devrait pas travailler pour le défendeur, surtout en tant que décideuse dont les décisions touchent d’autres personnes.

[48]  Rien dans les décisions ou dans le dossier à l’étude ne soutient ces affirmations.

[49]  Quand j’ai soulevé ces questions lors de l’audience sur la demande de contrôle judiciaire à Saskatoon, le 19 janvier 2017, les demandeurs étaient représentés par un avocat différent, à tout le moins pour la plaidoirie. M. Kevin Mellor, du cabinet Mellor Law Firm, a reconnu le caractère inapproprié de ces remarques et d’autres du même genre. Il a expliqué que M. Uppal, de Uppal Pandher LLP, dont la signature figure dans les documents écrits des demandeurs, n’a pas examiné les mémoires avant de les signer et la personne responsable de les rédiger, qui n’a pas été nommée, ne sera plus autorisée à rédiger des mémoires écrits.

[50]  Dans un sens, la situation est pire, puisque cela signifie que M. Uppal est prêt à signer des mémoires écrits approfondis qui seront présentés à la Cour sans les avoir lus. Autrement dit, cette conduite est tout simplement inexcusable. M. Uppal demeure entièrement responsable des documents qu’il signe. Je ne suis pas non plus entièrement convaincu que les exagérations dans ces documents ne relèvent pas de la responsabilité directe de M. Uppal. Dans la décision Arif c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1149, que M. Uppal m’a présentée et, tout comme en l’espèce, où M. Mellor avait été appelé pour présenter le plaidoyer, les observations écrites contenaient elles aussi des affirmations exagérées qui n’étaient pas étayées par les faits de cette affaire, même s’il n’y avait rien d’aussi offensant que celles faites en l’espèce.

[51]  M. Uppal ne peut pas continuer à compter sur le professionnalisme et la bonne réputation de M. Mellor. Il doit assumer la responsabilité des documents qu’il signe.

[52]  Je tiens aussi à indiquer clairement que M. Kevin Mellor n’est aucunement responsable des documents présentés avant que l’on recoure à ses services et qu’il a affirmé être tout aussi troublé par ce qu’il a lu quand il se préparait en vue de l’audience. M. Mellor s’est chargé de l’affaire dont j’étais saisi de manière totalement satisfaisante et m’a même fait transmettre le message, par l’intermédiaire de l’agente du greffe de la Cour avant le début de l’audience, qu’il souhaitait s’adresser à la Cour sur ces questions avant de présenter ses arguments sur le fond. La Cour remercie M. Mellor d’être intervenu et d’avoir veillé à exposer les véritables questions en jeu dans la présente demande à la Cour de manière efficace et complète.

[53]  M. Pandher était toutefois présent à l’audience et, par l’intermédiaire de M. Mellor, il a offert des excuses officielles à l’égard du document offensant et a assuré que le cabinet Uppal Pandher LLP, qui prévoit de se spécialiser en droit de l’immigration et qui s’attend à comparaître régulièrement devant la Cour fédérale, ne commettra rien de tel de nouveau.

[54]  J’ai indiqué que j’étais disposé à accepter ces garanties et qu’en m’appuyant sur celles-ci, la question de la conduite était close. L’avocat devrait toutefois savoir que cette question fait désormais partie du dossier et qu’elle pourrait être citée dans d’autres procédures où des problèmes semblables surviennent.

B.  Questions relatives à la preuve

[55]  Comme le défendeur le fait remarquer, les demandeurs ont présenté, avec leur demande, des affidavits de Poonam Bajwa et de Balvir Singh qui comprennent en majeure partie des éléments de preuve qui n’avaient pas été présentés à l’agente des visas, ainsi qu’une preuve par ouï-dire et un argument, tous deux inadmissibles.

[56]  La jurisprudence de la Cour est claire : les éléments de preuve qui n’ont pas été présentés au tribunal ou au décideur dont la décision fait l’objet du contrôle sont inadmissibles, sauf dans certaines circonstances exceptionnelles. Comme la Cour fédérale l’a indiqué clairement dans Bekker, précité :

[11]  Les demandes de contrôle judiciaire ont une portée limitée. Il ne s’agit pas de nouvelles instances au cours desquelles de nouvelles questions peuvent être tranchées sur la foi de nouveaux éléments de preuve. Comme l’a dit le juge Rothstein, de la Cour d’appel fédérale, dans Gitxsan Treaty Society c. Hospital Employees’ Union, [2000] 1 CF 135, au paragraphe 15, « le but premier du contrôle judiciaire est de contrôler des décisions » et, j’ajouterais, simplement d’en déterminer la légalité : voir également Offshore Logistics Inc. c. Intl. Longshoremen’s Assoc., section locale 269 (2000), 257 NR 338 (CAF). C’est la raison pour laquelle, sauf dans des circonstances exceptionnelles comme l’existence de questions relatives à la partialité ou à la compétence, qui ne figurent pas nécessairement au dossier, la cour de révision est liée par le dossier dont le juge ou l’office était saisi et est limitée à ce dossier. Par souci d’équité pour les parties et pour le tribunal dont la décision est révisée, cette restriction est nécessaire. Ainsi, la nature même de la demande de contrôle judiciaire empêche la Cour de faire droit à la demande du demandeur. De plus, il existe d’autres raisons tout aussi impérieuses de refuser cette demande.

[57]  En l’espèce, le seul motif possible pour admettre de nouveaux éléments de preuve réside dans les allégations de partialité (qui sont devenues à l’audience une crainte raisonnable de partialité) et d’iniquité procédurale des demandeurs. Par conséquent, les éléments de preuve contenus dans ces affidavits sont exclus, sauf dans la mesure où ils présentent une preuve factuelle d’iniquité procédurale ou une crainte raisonnable de partialité.

C.  Décisions liées

[58]  Les deux parties s’entendent sur le fait que la demande de permis de travail présentée par Manjinder Singh Randhawa dépendait de celle présentée par sa femme, et que la décision de l’agente des visas de rejeter sa demande de prorogation de permis de travail pour accompagner son épouse, Poonam Bajwa, se fondait sur la décision connexe de refuser la prorogation du permis de travail de sa femme. Par conséquent, les parties s’entendent sur le fait que la décision IMM-2124-16 relative à Poonam Bajwa est déterminante pour la demande présentée par Manjinder Singh Randhawa dans le dossier IMM-2125-16. La Cour souscrit à cette conclusion et n’abordera que les questions soulevées dans le dossier IMM-2124-16.

D.  Équité procédurale

[59]  La question de l’équité procédurale semble porter sur les deux lettres présentées par Balvir Singh, le directeur de la Sikh Society, que Poonam Bajwa a présentées dans sa demande.

[60]  Dans la décision, l’agente renvoie ainsi à ces lettres :

[traduction]  La cliente a présenté deux lettres distinctes de Balvir Singh, directeur de la Sri Guru Arjun Dev Ji Sikh Society, dont les signatures sont totalement différentes [sic]; j’ai des doutes sur la divergence [sic] de ces documents.

[61]  Il faut toutefois lire cet extrait conjointement avec les conclusions définitives de l’agente des visas :

[traduction]  Vu les renseignements présentés par la cliente, la demande a été rejetée parce que je ne suis pas convaincue que la cliente est une travailleuse de bonne foi.

[62]  Ces mots donnent lieu à un litige courant dans la jurisprudence, quant à savoir si l’agente des visas remet en question la crédibilité des demandeurs ou si elle ne fait que conclure que la preuve ne suffit pas à soutenir les critères à respecter pour être admissible au statut faisant l’objet de la demande. La juge Kane a présenté un sommaire de l’approche adoptée par la Cour sur cette question dans Ansari c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 849 :

[14]  Dans le cas où la réserve porte réellement sur la crédibilité, la jurisprudence a établi qu’une obligation d’équité procédurale pouvait naître (Hassani). Si la préoccupation porte sur la suffisance de la preuve, étant donné que les instructions aux demandeurs exigent clairement que la demande soit complète et accompagnée de documents justificatifs, la question de l’obligation d’équité procédurale ne se pose pas. La distinction entre les réserves relatives au caractère suffisant de la preuve et celles qui concernent la crédibilité n’est pas une tâche aisée, étant donné que les deux questions peuvent être liées.

[…]

[30]  La jurisprudence a établi que chaque cas doit être apprécié pour déterminer si la réserve est en fait liée à la crédibilité. Dans plusieurs décisions citées, malgré le fait que les fonctions avaient été copiées ou paraphrasées de la CNP, il y avait d’autres facteurs confirmant que les réserves de l’agente étaient liées à l’authenticité ou à la véracité des documents, ou à la crédibilité de l’auteur du document. Le simple fait d’utiliser le terme crédibilité n’est pas déterminant de la question de savoir si la réserve a trait à la crédibilité, bien que l’utilisation de ce terme ne puisse pas être écartée.

[63]  Il est très difficile pour les demandeurs de comprendre cette distinction. Selon eux, si leurs propres observations ne sont pas acceptées, on ne les croit pas, ce qui signifie que l’agente en cause doit remettre en question leur crédibilité, ce qui exige de mener une entrevue ou d’offrir une occasion adéquate d’aborder la crédibilité au motif de l’équité procédurale.

[64]  Je crois que cette question s’explique mieux en termes ordinaires, en reconnaissant que les demandeurs ont une double obligation. Premièrement, ils ont une obligation de franchise devant la Cour : ils doivent dire la vérité et ne pas cacher de faits pertinents. Si un agent soupçonne un manquement à l’obligation de franchise, il doit présenter la question au demandeur et lui offrir une occasion raisonnable – par écrit ou en personne – de répondre aux préoccupations de l’agente. Lorsque la question porte sur la fausse déclaration ou le manquement à l’obligation de franchise, la demande est habituellement rejetée pour fausse déclaration en application de l’article 40 de la Loi.

[65]  Les demandeurs ont toutefois une autre obligation – au-delà de l’obligation de franchise –, celle d’étayer leurs demandes avec des documents qui confirment leurs thèses. La loi exige de fournir ces documents dans toutes les demandes et le défaut de présenter des documents adéquats peut entraîner un refus qui ne se fonde pas sur la crédibilité. Si tel n’était pas le cas, toutes les demandes seraient acceptées selon leurs propres affirmations non étayées. Dans certaines situations, ces documents ne seront pas disponibles et la Loi en tient compte. Les demandeurs ont le droit d’expliquer pourquoi ils ne peuvent pas fournir les documents requis ou attendus dans leur situation particulière.

[66]  En l’espèce, il faut le traitement réservé aux deux lettres de M. Singh dans le contexte de la décision dans son ensemble pour déterminer ce que l’agente des visas signifie par « convaincue ». Veut-elle dire que les éléments de preuve ne permettent pas d’étayer la demande ou qu’elle remet en doute la véracité de cette preuve quand elle dit [traduction]« je ne suis pas convaincue que la cliente est une travailleuse de bonne foi au sens de l’alinéa 205d) du Règlement ou qu’elle quittera le pays après son séjour autorisé »?

[67]  Dans toutes les demandes de permis de travail et demandes de prorogation, l’agente doit fonder sa décision sur la preuve de la probabilité que la demanderesse quittera le pays à la fin de la période demandée. Il n’est pas nécessaire de mener des entrevues ou de rédiger des lettres d’équité dans la plupart des cas. Comme le défendeur le mentionne, l’équité procédurale n’exige généralement pas d’offrir aux demandeurs de permis de travail une occasion de répondre aux préoccupations des agents. Dans certaines demandes de permis de travail, cependant, les agents ont été tenus, par souci d’équité procédurale, d’obtenir des précisions supplémentaires pour répondre à des doutes sur la crédibilité en particulier.

[68]  Dans Hamza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264, la demande avait été rejetée au motif que la lettre sur l’expérience de travail reflétait les fonctions indiquées dans la description de la CNP, ce que l’agente des visas avait décrit comme « intéressé. » La juge Bédard a conclu qu’en affirmant que la lettre était intéressée, l’agente indiquait qu’elle remettait en doute la véracité de son contenu. Cette affaire était donc différente de Kaur, précitée, parce que le demandeur avait présenté des éléments de preuve suffisants et qu’il avait été conclu qu’il y avait obligation d’offrir au demandeur une occasion de répondre. Dans cette décision, on citait la juge Snider, dans Perez Enriquez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1091 :

[26]  La première obligation mentionnée par le demandeur est l’obligation de demander des éclaircissements. Lorsqu’un demandeur fait de son mieux en produisant une preuve complète, l’agent des visas a l’obligation de demander des éclaircissements s’il a des doutes au sujet de cette preuve (Sandhu, ci-dessus, aux paragraphes 32 et 33). Cette obligation n’existe pas dans les cas où le demandeur présente simplement une preuve insuffisante, mais elle s’applique si l’agente a des doutes au sujet de la véracité de la preuve, par exemple en ce qui concerne la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis (Olorunshola, ci-dessus, aux paragraphes 32 à 35). En l’espèce, l’obligation d’obtenir des éclaircissements existait peut-être, mais l’agente s’en est acquittée en interrogeant le demandeur au cours de l’entrevue. Il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

[27]  La deuxième obligation mentionnée par le demandeur est celle de lui donner la possibilité de répondre. Lorsqu’un demandeur produit des renseignements qui, s’ils sont admis, étayent la demande, il devrait avoir la possibilité de répondre aux préoccupations de l’agent si celui-ci a l’intention de rendre une décision fondée sur ces préoccupations (Kumar, ci-dessus, aux paragraphes 30 et 31). L’équité procédurale peut exiger la tenue d’une entrevue, par exemple si un agent des visas croit que les documents du demandeur sont peut-être frauduleux (Patel, ci-dessus, aux paragraphes 24 à 27). […] […]

(certaines références omises)

[69]  La décision rendue par le juge Zinn, dans Madadi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 716, au paragraphe 6, présente un court sommaire :

La jurisprudence de la Cour en matière d’équité procédurale dans ce domaine est claire : lorsqu’un demandeur fournit des preuves suffisantes pour établir qu’il satisfait aux exigences de la Loi ou du Règlement, le cas échéant, et que l’agent met en doute « la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis » et qu’il souhaite rejeter la demande en fonction de ces doutes, l’obligation d’équité est invoquée :

(références omises)

[70]  En l’espèce, la décision en soi indique clairement que l’agente des visas entretenait des doutes sur la crédibilité. Elle indique précisément que [traduction] « je ne suis pas convaincue que la cliente est entrée au Canada dans l’intention de rendre visite à Balwinder Singh Khalon, mais qu’elle avait plutôt l’intention de travailler au Canada. » Le reste de la décision renvoie à divers facteurs qui appuient la croyance de l’agente des visas selon laquelle la demanderesse n’a pas été honnête quand elle a affirmé être venue au départ au Canada pour rendre visite à un ami et qu’elle n’avait présenté une demande de permis de travail que plus tard, quand une offre de travail lui a été présentée. La méfiance de l’agente des visas à l’égard de l’intention indiquée par la demanderesse imprègne le reste de la décision et son traitement de la preuve. Il s’agissait d’une question de crédibilité, et non de suffisance, et la jurisprudence laisse entendre que la demanderesse aurait dû se voir offrir une occasion raisonnable d’apaiser les doutes de l’agente des visas quant à sa crédibilité.

[71]  Si l’agente des visas avait offert une telle occasion en l’espèce, il aurait été possible d’aborder la question du site Web, la question des talons de paye et la question de l’incohérence entre les lettres de M. Singh. Selon moi, cela aurait eu une incidence considérable sur la décision. En outre, selon les éléments de preuve fournis par le demandeur, les demandeurs ne se sont pas rendus en voiture à Coutts, en Alberta, le lendemain de leur arrivée à Toronto, ce qui constitue le fondement des doutes sur la crédibilité de l’agente des visas. Cela n’est pas logique à première vue et l’agente des visas aurait dû vérifier afin de déterminer s’il s’agissait d’une erreur manifeste au dossier. Comme le demandeur l’indique clairement au paragraphe 11 de son affidavit :

[traduction]  Elle a été sélectionnée pour l’emploi et elle a obtenu le permis de travail le 27 février 2014. L’agent de l’Agence des services frontaliers du Canada/agent d’immigration a commis une erreur dans l’impression du permis de travail et a indiqué la date du 27 février 2013 plutôt que celle du 27 février 2014. Ma femme a fait remarquer cette erreur à l’agent frontalier à Coutts, lorsqu’il lui a remis le permis de travail, mais, plutôt que de le modifier, il a répondu « VEUILLEZ AVANCER ».

Il serait difficile d’aller de Toronto à Coutts en un jour, surtout après un long vol. De plus, il serait peu probable que Citoyenneté et Immigration Canada puisse délivrer un permis de travail le jour même de la demande, étant donné qu’il a fallu dix mois et demi avant qu’une décision soit rendue dans le cas de l’actuelle demande qui fait l’objet d’une demande de contrôle judiciaire.

[72]  Le défendeur affirme que l’agente des visas n’était aucunement tenue de porter les incohérences dans les lettres Singh à l’attention de la demanderesse parce qu’un simple examen permet de les relever. La demanderesse aurait donc dû le remarquer et fournir une explication dès le départ. Il peut en être ainsi dans certaines situations; toutefois, les préoccupations de l’agente des visas quant à la crédibilité se fondent, du moins en partie, sur sa conclusion initiale sur l’arrivée des demandeurs au Canada et le fait qu’ils se trouvent à Coutts le lendemain et qu’ils reçoivent un permis de travail ce jour-là. L’agente des visas aurait dû se rendre compte qu’il était impossible que cela soit survenu et elle aurait dû offrir à la demanderesse une occasion d’éclaircir la situation. Elle a plutôt conclu qu’il s’agissait d’une preuve suffisante selon laquelle les demandeurs étaient entrés au Canada avec une intention malhonnête et cette conclusion sur la crédibilité a influé sur la façon dont l’agente des visas a abordé les autres éléments de preuve. Les demandeurs n’auraient pas pu savoir que l’agente des visas conclurait qu’ils se trouvaient à Coutts le lendemain de leur arrivée au Canada et que la demanderesse avait obtenu un permis de travail le même jour.

[73]  Le défendeur affirme aussi qu’une conclusion d’iniquité procédurale ne justifie pas de renvoyer le dossier aux fins de réexamen parce que l’agente des visas a aussi conclu qu’elle n’était pas convaincue que la demanderesse quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé.

[74]  Cette question n’a pas été examinée à fond dans les observations écrites présentées au départ dans le cadre de la présente demande; à l’audience, j’ai donc demandé aux avocats de me présenter des observations écrites supplémentaires.

[75]  La demanderesse présente les arguments suivants sur ce point : [traduction]

5.  La demanderesse affirme qu’elle ne se trouvait pas au Canada illégalement parce qu’elle avait présenté une demande de permis de rétablissement et de prorogation de son permis de travail en présentant une « Demande pour modifier les conditions de séjour, proroger le séjour ou demeurer au Canada comme travailleur » en respectant les délais prévus par les lois canadiennes.

[…]

7.  Le permis de rétablissement a été présenté par la demanderesse dans les 90 jours suivant l’expiration de son permis de travail, comme le permet le paragraphe 182(1) du Règlement.

8.  L’agente du défendeur ne fait aucune mention dans les éléments de preuve que la demanderesse n’a pas présenté de demande de rétablissement à l’extérieur de la période de 90 jours et elle n’indique pas avoir mené d’examen comme le permet le Règlement. L’agente n’a mené aucun examen en aucun temps, ce qui nous amène donc à conclure qu’elle n’avait pas de préoccupations quant à la présence de la demanderesse au Canada.

9.  En ce qui concerne la première question, la demanderesse soutient qu’elle a présenté une demande dans les 90 jours afin de rétablir son statut et le Canada n’a mené aucun examen et ne l’a jamais informée qu’il avait des doutes tels que ceux indiqués dans le présent paragraphe. Elle ne peut donc que conclure qu’elle répondait à tous les aspects du droit canadien en matière de rétablissement et de prorogation de son permis de travail.

[…]

11.  La demanderesse soutient que la seule raison sur laquelle l’agente de CIC s’est fondée au départ pour rendre sa décision résidait dans le fait qu’elle n’était pas une travailleuse de bonne foi. Veuillez vous reporter à la catégorie de décision à laquelle on renvoie dans le document [traduction]« Prorogation de permis de travail-rapport à produire ». L’agente de CIC n’a pas à ce moment indiqué dans cette section qu’elle se fondait sur le fait que la demanderesse ne quitterait pas le Canada à l’expiration de son séjour autorisé pour rejeter la prorogation du permis de travail de la demanderesse. Cette raison était mentionnée dans la lettre envoyée à la demanderesse où l’on indiquait la décision de rejeter la prorogation en tant que raison complémentaire.

12.  Aucune preuve n’a été présentée à la Cour qui porterait à croire que la demanderesse ne quitterait pas le Canada à l’expiration de son permis de travail, conformément au droit canadien. Elle a été une citoyenne (sic) respectueuse de la loi au Canada pendant son séjour et elle travaille comme dirigeante de liturgie Sikh, comme le permettait son permis de travail. Elle a respecté toutes les lois canadiennes, à notre connaissance, et c’est ce qu’indique la preuve présentée à la Cour, puisqu’il n’y a aucun élément de preuve selon lequel elle n’était pas une citoyenne respectueuse de la loi.

[…]

14.  La demanderesse soutient que l’agente ne lui a pas demandé si elle quitterait le Canada lorsqu’elle serait obligée de le faire. Cette raison n’a jamais été abordée avec elle et elle aurait dû l’être s’il s’agissait d’une préoccupation légitime. Il s’agit d’un autre exemple du fait que cette préoccupation aurait pu être apaisée si l’équité procédurale avait été respectée.

[…]

16.  La demanderesse indique que l’agente ne lui a pas demandé si elle allait quitter le Canada à l’expiration de son permis de travail, ce qui signifie que l’agente avait donc conclu de manière subjective qu’elle ne quitterait pas le pays. Cette conclusion de l’agente n’était pas fondée et, comme il est indiqué ci-dessus, elle semble avoir lancé cette raison dans la lettre de décision présentée à la demanderesse, mais elle ne constitue toutefois pas le fondement à la décision indiquée dans son rapport interne au dossier.

17.  Il est raisonnable de conclure que l’agente n’a jamais même tenu compte de cet élément en tant que motif légitime de rejeter la demande de rétablissement et de prorogation de permis de travail parce qu’elle n’aborde aucun fait lié à cette question. La demanderesse soutient qu’elle l’a inclus dans sa lettre de décision comme réflexion après coup.

[76]  La thèse du défendeur est la suivante :

2.  [traduction] Le permis de travail temporaire délivré à la demanderesse en date du 27 février 2013 était valide jusqu’au 26 mai 2015. Il indiquait qu’elle devait quitter le Canada au plus tard à cette date. Cela coïncidait avec l’exigence prévue à l’alinéa 183(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) selon lequel un résident temporaire doit quitter le Canada à la fin de son séjour autorisé.

3.  Dans la décision rendue le 9 mai 2016, qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire, il est indiqué que la demanderesse a présenté une demande de prorogation de son permis de travail le 24 décembre 2013, qui a été rejeté le 13 mai 2014, et qu’elle a présenté une demande en vue d’obtenir une autre prorogation le 17 mai 2015, qui a été rejetée le 22 juin 2015. On indique ensuite dans cette décision que la demanderesse avait été informée de quitter le Canada, ce qu’elle n’a finalement pas fait.

4.  La demanderesse semble soutenir qu’elle n’était pas tenue de quitter le pays parce qu’elle a présenté une demande de rétablissement de son statut temporaire dans les 90 jours de la date du 22 juin 2015. Avec tout mon respect, le libellé du Règlement ne soutient pas un tel argument. Une demande de prorogation de permis temporaire peut proroger la période de séjour autorisée pendant le traitement de la demande, mais une demande de rétablissement ne confère aucun statut en soi.

5.  Dans le cas où le permis temporaire n’est pas encore expiré et un résident temporaire souhaite prolonger son séjour, le paragraphe 183(5) du Règlement prévoit une prorogation de la période pendant laquelle un résident temporaire est autorisé à rester :

183(5) Sous réserve du paragraphe (5.1), si le résident temporaire demande la prorogation de sa période de séjour et qu’il n’est pas statué sur la demande avant l’expiration de la période, celle-ci est prolongée : 

a)  jusqu’au moment de la décision, dans le cas où il est décidé de ne pas la prolonger;

b)  jusqu’à l’expiration de la période de prorogation accordée.

6.  Un résident temporaire qui a perdu son statut pour certaines raisons peut demander un rétablissement en application de l’article 182 :

182(1) Sur demande faite par le visiteur, le travailleur ou l’étudiant dans les quatre-vingts-dix jours suivant la perte de son statut de résident temporaire parce qu’il ne s’est pas conformé à l’une des conditions prévues à l’alinéa 185a), aux sous-alinéas 185b)(i) à (iii) ou à l’alinéa 185c), l’agent rétablit ce statut si, à l’issue d’un contrôle, il est établi que l’intéressé satisfait aux exigences initiales de sa période de séjour, qu’il s’est conformé à toute autre condition imposée à cette occasion et qu’il ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1) de la Loi.

7.  La décision du 22 juin 2015 se fondait sur les éléments qui suivent : la demanderesse n’avait pas satisfait aux indicateurs d’un permis de travail C50, n’avait pas satisfait à l’exemption à l’étude d’impact sur le marché du travail, n’avait pas établi qu’elle possédait une expérience de dirigeante de liturgie Sikh avant d’arriver au Canada, avait eu la possibilité d’atteindre son but de rendre visite à un ami et n’avait pas établi de liens avec son dernier pays de résidence.

8.  Il est important de souligner que l’article 182 n’indique pas si une demande de rétablissement prolonge la période de séjour autorisée pendant que la demande est en traitement. Vu le libellé explicite du paragraphe 183(5), le défendeur fait valoir que l’article 182 donne une dernière chance de rétablir un statut, sans toutefois soustraire le demandeur à l’exigence de quitter le Canada.

9.  En appliquant ces dispositions aux faits, la demande de prorogation de permis présentée le 17 mai 2015 par la demanderesse a effectivement prolongé sa période de séjour autorisée au-delà de l’échéance originale du 26 mai 2015, jusqu’à la date où la demande de prorogation a fait l’objet d’une décision, le 22 juin 2015. La demande a toutefois été rejetée et à ce moment, elle se trouvait sans statut et devait quitter le Canada, conformément à l’alinéa 183(1)a) de la Loi. Dans la lettre de refus du 22 juin 2016, on informait la demanderesse qu’elle se trouvait au Canada sans statut légal et qu’elle devait quitter le pays immédiatement. La demande présentée par la suite en vue de rétablir son statut n’avait aucune incidence sur son obligation de quitter le pays. Par conséquent, la demanderesse n’avait aucun statut au Canada au moment où la décision faisant l’objet du présent contrôle a été rendue.

B.  La décision de l’agente de CIC était-elle raisonnable et équitable sur le plan procédural quand elle a conclu que la demanderesse ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour autorisé?

10.  Dans les notes du SMGC et la lettre envoyée à la demanderesse, on indique que l’agente n’était pas convaincue que la demanderesse quitterait le pays à la fin de son séjour autorisé. Parmi les motifs énumérés dans les notes du SMGC, notons le défaut de la demanderesse de quitter le pays après avoir reçu la lettre de refus du 22 juin 2015 dans laquelle on lui indiquait de quitter le Canada. Ce défaut passé de se conformer aux lois du Canada en matière d’immigration constituait un motif raisonnable du rejet de la demande.

11.  Il incombait à la demanderesse de convaincre l’agente que le permis devait être accordé. Un agent n’a généralement pas l’obligation d’informer un demandeur de ses préoccupations lorsqu’elles découlent directement des exigences prévues dans les lois ou les règlements. La préoccupation de l’agente, dans la présente demande, découlait du défaut de la demanderesse d’établir qu’elle quitterait le Canada à la fin de son séjour et de son défaut antérieur de quitter le pays à la fin d’une période autorisée. La demanderesse n’a pas présenté suffisamment de renseignements pour apaiser cette préoccupation et le fait de ne pas demander à la demanderesse de présenter des explications supplémentaires ne constitue pas un manquement à l’équité procédurale.

[Notes de bas de page omises.]

[77]  Dans la décision elle-même, l’agente des visas indique, à la section « Détails » : [traduction] « je ne suis pas convaincue que la cliente est une travailleuse de bonne foi au sens de l’alinéa 205d) du Règlement ou qu’elle quittera le pays après son séjour autorisé. »

[78]  À la section « Décision », l’agente des visas indique que [traduction] « la demande a été rejetée parce que je ne suis pas convaincue que la cliente est une travailleuse de bonne foi. Un rapport fondé sur l’article 44 sera rédigé ».

[79]  Il me semble donc que les conclusions tirées par l’agente des visas selon lesquelles la demanderesse ne quittera pas le pays sont inextricablement liées à sa préoccupation quant à la crédibilité de la demanderesse en tant que travailleuse de bonne foi. Rien n’indique que l’agente des visas a examiné le Règlement et les arguments que le défendeur avance maintenant quant à la façon dont le Règlement doit être interprété. Je crois que la Cour devrait hésiter à offrir sa propre interprétation quant à la façon dont le Règlement doit s’appliquer dans un cas donné. Il est bien possible que des lignes directrices et des pratiques qui n’ont pas été présentées à la Cour existent en l’espèce. Donc, je crois qu’il me faut conclure que le motif du refus de la demande de prorogation est celui indiqué à la section « Décision » de la décision, soit : [traduction] « la demande a été rejetée parce que je ne suis pas convaincue que la cliente est une travailleuse de bonne foi. »

[80]  Je crois qu’il serait peu judicieux de séparer entièrement les questions touchant aux aspects « travailleuse de bonne foi » et « quitter le Canada » vu les faits. L’opinion générale de l’agente des visas à l’égard de ce que la demanderesse fera probablement est teintée par sa première conclusion selon laquelle elle est entrée au Canada dans un dessein malhonnête. Même si l’agente des visas indique [traduction] « ou qu’elle quittera le pays après son séjour autorisé », cela ne signifie pas que cette question est totalement distincte de celle touchant la crédibilité. Il est nécessaire de clarifier l’histoire dans son ensemble avant de pouvoir tirer ou évaluer ce genre de conclusion. En outre, avant que la Cour puisse conclure si les demandeurs se trouvaient légalement au Canada, un agent qualifié doit mener une évaluation complète de ce point. Il serait dangereux d’intervenir et d’affirmer que les demandeurs n’ont aucunement le droit de demeurer au Canada de sorte que l’agente des visas puisse tout simplement rejeter leurs demandes de prorogation selon ce motif. Par conséquent, vu ces faits, je ne crois pas qu’il s’agit d’un motif indépendant à la décision.

E.  Impartialité

[81]  Vu ma conclusion selon laquelle les décisions étaient inéquitables sur le plan procédural, il n’est pas nécessaire de me pencher sur la crainte raisonnable de partialité.

F.  Caractère raisonnable de la décision

[82]  Les demandeurs ont soulevé de nombreuses questions qui mettent en doute le caractère raisonnable des décisions. Je suis d’accord avec certaines d’entre elles. À titre d’exemple, il n’était pas raisonnable pour l’agente des visas de conclure, d’une part, qu’elle n’était pas convaincue [traduction] « que la [demanderesse] a la capacité d’avoir la charge d’une congrégation […] », tout en étant convaincue, d’autre part, que [traduction] « la [demanderesse] avait acquise [sic] une expérience considérable au Canada et qu’elle n’aurait aucune difficulté à se trouver un emploi à l’étranger. » La seule preuve de l’expérience acquise par la demanderesse au Canada résidait dans sa charge d’une congrégation sous l’égide de la confession religieuse sikhe. Il s’agissait de son seul emploi. Toutefois, vu que ma conclusion d’iniquité procédurale exige à elle seule de renvoyer ce dossier aux fins de réexamen par un agent différent, il n’est pas nécessaire d’aborder les arguments sur le caractère raisonnable.

IX.  Question à certifier

[83]  Les avocats conviennent qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Les demandes sont accueillies. Les décisions rendues dans les dossiers IMM-2124-16 et IMM-2125-16 sont annulées et les affaires sont toutes deux renvoyées à un autre agent pour nouvel examen.

  2. Une copie des présents jugement et motifs sera versée dans les deux dossiers.

  3. Il n’y a aucune question à certifier.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de juillet 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2124-16

 

INTITULÉ :

POONAM BAJWA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION 

 

DOSSIER :

IMM-2125-16

 

INTITULÉ :

MANJINDER SINGH RANDHAWA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Saskatoon (Saskatchewan)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Kanwal Pandher

Kevin Mellor

 

Pour les demandeurs

 

Don Klaassen

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Uppal Pandher LLP

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.