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Date : 20170216


Dossier : T -2179-15

Référence : 2017 CF 193

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 16 février 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

DIMCE CVETKOVSKI

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 (Loi) de la décision du 30 novembre 2015 (la décision) par laquelle la Division d’appel (DA) du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté l’appel interjeté par le demandeur d’une décision de la Division générale (DG) du Tribunal.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  Le demandeur est un homme âgé de 50 ans de l’ex-Yougoslavie. À l’âge de 25 ans, il a fui la guerre en Yougoslavie et est arrivé au Canada en tant qu’immigrant clandestin. Après s’être établi à Toronto, il a obtenu un diplôme en réseautage informatique et en soutien technique du Seneca College of Applied Arts and Technology. La plupart de ses antécédents d’emploi n’étaient toutefois pas liés à son domaine d’études. De plus, ses emplois ne duraient habituellement que quelques mois, à l’exception de son emploi le plus récent à titre d’agent de sécurité, qui a duré trois ans et demi.

[3]  Le demandeur a des antécédents de troubles psychologiques qui ont provoqué des symptômes tels que l’incapacité à se concentrer et à entretenir des relations interpersonnelles, un manque d’intérêt et de volonté pour effectuer des tâches, un manque de motivation et d’énergie, et des pensées suicidaires. Afin de faire face à ses troubles, il a reçu des traitements de plusieurs spécialistes. Il assiste aussi aux réunions hebdomadaires d’un groupe de soutien de la Manitoba Mood Disorder Association, une association manitobaine pour les troubles de l’humeur.

[4]  Depuis 2011, il est traité par le Dr Frederick Ross, un omnipraticien, pour la dysthymie chronique, un type de dépression, à l’aide d’antidépresseurs et d’une psychothérapie de soutien. Le Dr Ross continue de traiter le demandeur.

[5]  En 2012, le demandeur a reçu un diagnostic de la Dre Nina Kuzenko, psychiatre, aux termes d’une évaluation multiaxiale. Dans son rapport d’évaluation, la Dre Kuzenko a dressé la liste des ressources et des services de counseling offerts gratuitement ou à faible coût dans la collectivité du demandeur. Le demandeur ne consulte pas la Dre Kuzenko à l’heure actuelle et ne fréquente aucun des services de counseling recommandés.

[6]  En 2014, le demandeur a été traité par Mme Cynthia Jordan, psychologue clinicienne, pour le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et pour le trouble bipolaire à l’aide d’un médicament psychorégulateur. Le demandeur ne consulte pas Mme Jordan à l’heure actuelle et a aussi cessé de prendre le médicament psychorégulateur.

[7]  En 2015, le demandeur a consulté Mme Roslyn Golfman, psychologue clinicienne, pour la dépression et un trouble anxieux. Mme Golfman continue de traiter le demandeur.

[8]  Le 8 février 2013, le demandeur a déposé une demande de prestations d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, LC 1985, c C-8 (RPC). La demande a été rejetée d’abord le 13 avril 2013, puis dans le cadre d’un nouvel examen le 17 juillet 2013. L’affaire a ensuite été entendue par la Division générale, qui a rejeté la demande le 3 septembre 2015. La Division générale a conclu dans sa décision que le demandeur ne répondait pas aux critères qui permettent d’accorder une pension d’invalidité aux termes du RPC parce qu’il n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il était atteint d’une invalidité grave et prolongée au plus tard à la date marquant la fin de sa période minimale d’admissibilité (PMA), soit le 31 décembre 2014.

[9]  Le demandeur a ensuite sollicité l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Division générale devant la Division d’appel, en affirmant que la Division générale avait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[10]  Dans une décision datée du 30 novembre 2015, la Division d’appel a rejeté la demande d’autorisation du demandeur d’interjeter appel de la décision de la Division générale de refuser au demandeur une pension d’invalidité aux termes du RPC.

[11]  Le demandeur avait sollicité l’autorisation d’interjeter appel en invoquant le moyen énoncé à l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 (Loi sur le MEDS), voulant que la Division générale ait fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Dans le cadre de la décision, la Division d’appel a examiné la possibilité que l’appel ait une chance raisonnable de succès, à savoir s’il y avait une cause défendable.

[12]  La Division d’appel a jugé que les observations du demandeur n’étaient pas convaincantes. Le demandeur soutenait que la Division générale avait mal interprété les faits, mal compris la chronologie des événements et fait fi de ses démarches entreprises pour soigner sa dépression et son trouble de stress post-traumatique. La Division d’appel n’était pas d’accord parce que le dossier démontrait que la Division générale avait examiné le témoignage du demandeur concernant ses tentatives de soigner sa dépression et son trouble de stress post-traumatique, et que le demandeur n’avait pas précisé les éléments de preuve dont il n’avait pas été tenu compte.

[13]  La Division d’appel a conclu dans le cadre de son examen que la Division générale avait des motifs valables de rejeter les explications fournies par le demandeur pour avoir mis un terme aux séances de traitement de Mme Jordan, pour avoir cessé de prendre le médicament psychorégulateur prescrit par Mme Jordan sans la consulter et pour ne s’être pas soumis au traitement recommandé par la Dre Kuzenko et par le Dr Ross. De plus, la Division d’appel a conclu que, même si la Division générale avait commis une erreur, l’erreur n’était pas importante au point d’avoir une incidence sur l’issue de la décision. Ainsi, la Division d’appel a conclu que le demandeur n’avait pas soulevé une cause défendable et rejeté sa demande d’autorisation d’interjeter appel.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[14]  Le demandeur soutient que les questions suivantes sont en litige dans la présente demande :

  • a) La Division d’appel a-t-elle été déraisonnable lorsqu’elle a conclu que le demandeur :

  • b) La Division d’appel a-t-elle commis une erreur lorsqu’elle a rejeté la demande d’autorisation du demandeur d’interjeter appel de la décision du 30 novembre 2015 de la Division générale?

  i.  n’avait pas entrepris de démarches suffisantes pour faire face à son invalidité?

  ii.  n’avait pas tenu compte des conseils de certains professionnels de la santé?

  iii.  avait refusé un traitement médical offert gracieusement?

  iv.  avait cessé de prendre des médicaments?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[15]  Par l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas toujours nécessaire de se livrer à une analyse de la norme de contrôle. Lorsque la jurisprudence est claire quant à la norme de contrôle applicable à une question en litige devant la Cour, la cour de révision peut l’adopter. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[16]  Les questions soulevées par le demandeur sont susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable. La norme de contrôle des conclusions de fait du Tribunal de la sécurité sociale et de l’interprétation de la Loi sur le MEDS est celle de la décision raisonnable (Reinhardt c Canada, 2016 CAF 158, au paragraphe 15).

[17]  Lorsqu’une décision est examinée selon la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, l’intervention de la Cour se justifie seulement si une décision est déraisonnable, c’est-à-dire si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[18]  Les dispositions suivantes de la Loi sur le MEDS s’appliquent en l’espèce :

Moyens d’appel

Grounds of appeal

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

58 (1) The only grounds of appeal are that

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

Critère

Criteria

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès

(2) Leave to appeal is refused if the Appeal Division is satisfied that the appeal has no reasonable chance of success.

Décision

Decision

(3) Elle accorde ou refuse cette permission.

(3) The Appeal Division must either grant or refuse leave to appeal.

[19]  Les dispositions suivantes du RPC sont applicables en l’espèce :

Personne déclarée invalide

When person deemed disabled

42 (2) Pour l’application de la présente loi :

42 (2) For the purposes of this Act,

a) une personne n’est considérée comme invalide que si elle est déclarée, de la manière prescrite, atteinte d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée, et pour l’application du présent alinéa :

(a) a person shall be considered to be disabled only if he is determined in prescribed manner to have a severe and prolonged mental or physical disability, and for the purposes of this paragraph,

(i) une invalidité n’est grave que si elle rend la personne à laquelle se rapporte la déclaration régulièrement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice,

(i) a disability is severe only if by reason thereof the person in respect of whom the determination is made is incapable regularly of pursuing any substantially gainful occupation, and

(ii) une invalidité n’est prolongée que si elle est déclarée, de la manière prescrite, devoir vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie ou devoir entraîner vraisemblablement le décès;

(ii) a disability is prolonged only if it is determined in prescribed manner that the disability is likely to be long continued and of indefinite duration or is likely to result in death; and

b) une personne est réputée être devenue ou avoir cessé d’être invalide à la date qui est déterminée, de la manière prescrite, être celle où elle est devenue ou a cessé d’être, selon le cas, invalide, mais en aucun cas une personne — notamment le cotisant visé au sous-alinéa 44(1)b)(ii) — n’est réputée être devenue invalide à une date antérieure de plus de quinze mois à la date de la présentation d’une demande à l’égard de laquelle la détermination a été faite.

(b) a person is deemed to have become or to have ceased to be disabled at the time that is determined in the prescribed manner to be the time when the person became or ceased to be, as the case may be, disabled, but in no case shall a person — including a contributor referred to in subparagraph 44(1)(b)(ii) — be deemed to have become disabled earlier than fifteen months before the time of the making of any application in respect of which the determination is made.

Prestations payables

Benefits payable

44 (1) Sous réserve des autres dispositions de la présente partie :

44 (1) Subject to this Part,

b) une pension d’invalidité doit être payée à un cotisant qui n’a pas atteint l’âge de soixante-cinq ans, à qui aucune pension de retraite n’est payable, qui est invalide et qui :

(b) a disability pension shall be paid to a contributor who has not reached sixty-five years of age, to whom who

(i) soit a versé des cotisations pendant au moins la période minimale d’admissibilité,

(i) has made contributions for not less than the minimum qualifying period,

(ii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si une demande de pension d’invalidité avait été reçue avant le moment où elle l’a effectivement été,

(ii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if an application for a disability pension had been received before the contributor’s application for a disability pension was actually received, or

(iii) soit est un cotisant à qui une pension d’invalidité aurait été payable au moment où il est réputé être devenu invalide, si un partage des gains non ajustés ouvrant droit à pension n’avait pas été effectué en application des articles 55 et 55.1;

(iii) is a contributor to whom a disability pension would have been payable at the time the contributor is deemed to have become disabled if a division of unadjusted pensionable earnings that was made under section 55 or 55.1 had not been made;

VII.  THÈSES DES PARTIES

A.  Demandeur

1)  Démarches entreprises pour faire face à l’invalidité

[20]  Le demandeur soutient que la Division d’appel a été déraisonnable en concluant qu’il n’avait pas entrepris de démarches suffisantes pour faire face à son invalidité. Au contraire, le demandeur déclare qu’il a consulté de nombreux spécialistes, dont le Dr Ross, Mme Jordan et Mme Golfman. Le demandeur voit régulièrement le Dr Ross et Mme Golfman. En ce qui concerne Mme Jordan, le demandeur n’a cessé de la consulter que parce que sa protection d’assurance n’offrait que des traitements très limités qui, selon Mme Jordan, étaient trop peu fréquents pour être bénéfiques.

2)  Conseils de professionnels de la santé

[21]  Le demandeur soutient que la Division d’appel a été déraisonnable en concluant qu’il n’avait pas observé les conseils de professionnels de la santé. Le demandeur prétend que la liste des ressources communautaires fournie par la Dre Kuzenko ne lui a jamais été offerte; la liste a plutôt été fournie au Dr Ross, qui ne la lui a pas remise parce qu’il ne pensait pas que les ressources lui seraient utiles. À titre d’exemple, l’une des ressources figurant dans la liste, le Men’s Resource Centre (MRC), a avisé le demandeur qu’on ne pensait pas pouvoir lui être bien utile parce qu’on ne s’occupait que de violence familiale et de toxicomanie.

3)  Refus d’un traitement offert à titre gracieux

[22]  Le demandeur soutient aussi que la Division d’appel a été déraisonnable en concluant qu’il avait refusé l’offre de Mme Jordan de lui offrir les traitements à titre gracieux. Bien que Mme Jordan ait offert d’agir à titre gracieux pour le traiter, elle l’a avisé après seulement quelques séances qu’elle ne croyait pas pouvoir poursuivre son traitement.

4)  Cessation de la prise d’un médicament

[23]  En ce qui concerne la cessation de la prise d’un médicament sur ordonnance, le demandeur fait valoir qu’il a essayé de nombreux médicaments pour traiter son invalidité et qu’il n’a cessé de prendre un médicament que lorsqu’il n’a pas aimé les sensations qu’il provoquait, qu’il a décrites comme [traduction] « un sentiment d’insensibilité » et [traduction] « la sensation d’être un mort-vivant ». Il a aussi consulté le Dr Ross avant de cesser de prendre un médicament quelconque et il affirme qu’il n’a pas cessé de prendre un médicament simplement pour cesser de le prendre. De plus, il prend actuellement le médicament Cymbalta, un antidépresseur, qui a été prescrit par le Dr Ross.

5)  Refus de l’autorisation d’interjeter appel

[24]  Le demandeur soutient que la Division d’appel a commis une erreur lorsqu’elle a refusé sa demande d’autorisation d’interjeter appel et qu’il existe une chance raisonnable de succès s’il est fait droit à l’appel. Il soutient qu’il répond aux conditions d’admissibilité à une pension d’invalidité énoncées à l’alinéa 44(1)b) de la Loi sur le MEDS : il n’a pas atteint l’âge de 65 ans; il ne reçoit pas de pension de retraite du RPC; il est invalide; et il a versé des cotisations acceptables au RPC pendant au moins la période minimale d’admissibilité se terminant le 31 décembre 2014.

[25]  Le demandeur déclare que les éléments de preuve démontrent qu’il est atteint d’une invalidité physique ou mentale grave et prolongée qui le rend incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice conformément à l’alinéa 42(2)a) du RPC. Plusieurs professionnels de la santé mentale ont posé des diagnostics qui indiquent que le demandeur a une incapacité mentale. Par exemple, la Dre Kuzenko a fourni un rapport médical dans lequel elle a posé, au terme d’une évaluation multiaxiale, un diagnostic qui faisait état notamment de ce qui suit : la dysthymie, un épisode dépressif caractérisé, un trouble d’anxiété sociale et un problème professionnel, des traits du groupe B (trouble de la personnalité limite), le côlon irritable, le fait d’être actuellement en congé de maladie, des contacts sociaux limités et EGF de 55-60. De la même façon, Mme Golfman a déclaré que le demandeur présentait les signes cliniques d’une personne atteinte de dépression et d’un trouble anxieux. Mme Jordan a aussi posé un diagnostic de trouble de stress post-traumatique et de trouble bipolaire de type I à l’égard du demandeur.

[26]  Selon la jurisprudence antérieure, c’est « l’invalidité, et non l’emploi, qui doit être “régulière” » : voir Canada (Ministre du développement des ressources humaines) c Scott, 2003 CAF 34 [Scott], au paragraphe 7. Bien que le demandeur ait déjà été employé, les emplois qu’il a occupés étaient banals, peu rémunérateurs et seulement de courte durée. De plus, son emploi à titre d’agent de sécurité a pris fin en raison de son invalidité. Son incapacité à trouver un emploi de longue durée, à part ce dernier poste, a été soutenue.

[27]  Dans la décision Williams c Canada (Procureur général), 2010 CF 701 [Williams], au paragraphe 17, la Cour a déclaré que l’exigence concernant la gravité de l’invalidité doit être appliquée dans un contexte « réaliste » et qu’il ne suffit pas de conclure qu’il y a quelque part dans le monde un emploi que le demandeur est physiquement capable d’occuper, sans tenir compte de la formation et des antécédents du demandeur ou sans tenir compte d’autres facteurs. La décision Williams enseigne aussi, au paragraphe 19, que, dans les cas où il y a une preuve de capacité de travail, le demandeur doit démontrer que les efforts réalisés pour trouver et conserver un emploi ont été infructueux pour des raisons de santé.

[28]  Dans le cas du demandeur, il a réussi à trouver un emploi, mais ne peut pas le maintenir plus de quelques mois en raison de son invalidité. La situation d’emploi dans laquelle il a occupé le poste pendant trois ans et demi a été fructueuse parce qu’il ne devait avoir que des interactions restreintes avec ses collègues, ses supérieurs et le public, mais a fini par échouer parce que cette situation est devenue trop difficile à gérer pour le demandeur compte tenu de son invalidité. Cela concorde avec le rapport de Mme Golfman dans lequel le demandeur est décrit comme étant [traduction] « anxieux, déprimé et dépourvu d’espoir dans la capacité d’avoir une vie affective » et [traduction] « boudeur, d’humeur changeante […] susceptible d’inciter autrui à réagir de la même façon incohérente […] porté à être exagérément sensible et méfiant ». Les symptômes décrits dans le rapport de Mme Golfman font en sorte que le demandeur peut difficilement entretenir des liens avec les autres et conserver ainsi un emploi du fait de ses difficultés à travailler avec les autres. De plus, Mme Jordan a souligné que [traduction] « des points de discorde normaux dans le milieu de travail suscitaient chez lui des réactions involontaires de grande colère ».

[29]  L’alinéa 42(2)a) du RPC vise aussi une invalidité prolongée si elle doit vraisemblablement durer pendant une période longue, continue et indéfinie. Bien que Mme Golfman et la Dre Kuzenko ne se soient pas prononcées sur le pronostic du demandeur, Mme Jordan a écrit dans son rapport qu’elle ne pensait pas que le demandeur serait capable de travailler pendant au moins un an. Mme Jordan était d’avis que le demandeur aurait besoin d’un congé. Au moment où elle a rédigé le rapport, il était déjà sans emploi depuis presque deux ans. Malgré l’aide de professionnels de la santé, le demandeur est devenu incapable de retourner au travail du fait de son invalidité.

[30]  Le demandeur soutient que son invalidité est grave et prolongée et sollicite une ordonnance faisant droit à sa demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision au motif que la Division d’appel a commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a rejeté sa demande d’autorisation d’interjeter appel.

B.  Défendeur

1)  Renseignements et arguments sans fondement

[31]  À titre de question préliminaire, le défendeur déclare que certains des renseignements et des arguments du demandeur ne sont pas étayés par le dossier. Le contrôle judiciaire est fondé sur la copie certifiée du dossier des procédures devant le tribunal, et les nouveaux éléments de preuve ne sont admissibles que dans des cas limités, qui ne s’appliquent pas en l’espèce : voir l’arrêt Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 CAF 263, aux paragraphes 31 et 32 [Bernard], et la décision Connelly c Canada (Procureur général), 2014 CAF 294, aux paragraphes 6 et 7. Ainsi, la lettre du 5 février 2016 de Mme Golfman n’ayant pas été portée à la connaissance de la Division générale, elle ne peut être admise en preuve. De la même façon, le rapport médical de Mme Golfman et son traitement du demandeur n’ont pas été portés à la connaissance de la Division générale et ne doivent pas être examinés par la Cour.

[32]  Le défendeur reproche ensuite au demandeur les contradictions que recèle son argumentation. Trois prétentions du demandeur ne sont pas étayées par le dossier : Mme Jordan et le demandeur étaient d’accord pour dire qu’il n’y avait guère de soins que Mme Jordan pouvait donner; Mme Jordan a avisé le demandeur que, compte tenu de la limite de deux visites annuelles imposée par sa protection d’assurance, les visites ne seraient pas utiles et le traitement devait prendre fin; et Mme Jordan a avisé le demandeur qu’elle ne pouvait pas lui donner de soins qui seraient bénéfiques pour lui. Aucun extrait n’est cité pour étayer les deux premières prétentions, et, bien que l’affidavit du demandeur soit cité à l’égard de la deuxième prétention, la citation ne confirme pas la prétention. De plus, la décision de la Division générale mentionne le témoignage rendu par le demandeur à l’audience devant la Division générale selon lequel le demandeur jugeait qu’une réponse au message électronique de Mme Jordan signifiait que le fait d’avoir deux consultations annuelles [traduction] « n’accomplirait pas grand-chose et [qu’] il ne vaudrait pas la peine de la consulter ». Ainsi, le défendeur soutient que l’argumentation du demandeur portant sur son explication pour avoir mis fin au traitement de Mme Jordan est affaiblie.

2)  Critère applicable à une invalidité grave et prolongée

[33]  Le défendeur cite la jurisprudence selon laquelle c’est l’incapacité de trouver une occupation véritablement rémunératrice, et non pas l’incapacité d’un demandeur d’exécuter son travail habituel, qui fait qu’une invalidité est grave : voir l’arrêt Scott, précité, au paragraphe 7. Le demandeur doit démontrer qu’il souffre d’un problème de santé grave et que, au regard d’une preuve de la capacité de travailler, ses efforts pour trouver un emploi convenable et le conserver ont été infructueux à cause de son état de santé : voir l’arrêt Inclima c Canada (Procureur général), 2003 CAF 117, au paragraphe 3. La capacité de travailler se juge par l’exercice d’un travail à temps partiel ou d’activités modifiées, par des emplois sédentaires et par l’assiduité scolaire : voir l’arrêt Miceli-Riggins c Canada (Procureur général), 2013 CAF 158, aux paragraphes 14 et 15, et la décision McDonald c Canada (Ressources humaines et Développement des compétences), 2009 CF 1074, au paragraphe 14. De plus, les demandeurs qui refusent de se soumettre aux traitements médicaux recommandés peuvent se rendre inadmissibles à recevoir une pension d’invalidité : voir l’arrêt Lalonde c Canada (Ministre du Développement des ressources humaines), 2002 CAF 211, au paragraphe 19.

3)  Caractère raisonnable de la décision

[34]  Le défendeur soutient que la décision de la Division d’appel est raisonnable et qu’aucune erreur ne justifie l’intervention de la Cour.

[35]  Dans la décision, la Division d’appel a appliqué à juste titre le droit applicable à l’autorisation d’interjeter appel et clairement indiqué que l’article 58 de la Loi sur le MEDS constitue le bon critère à appliquer pour décider s’il y a lieu d’accorder l’autorisation d’interjeter appel. La Division d’appel a aussi mentionné que la chance raisonnable de succès requise par la Loi sur le MEDS s’entend d’une cause défendable en droit, comme l’a décidé la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Canada (Développement des Ressources humaines) c Hogervorst, 2007 CAF 41, au paragraphe 37, et Fancy c Canada (Procureur général), 2010 CAF 63. De plus, la Division d’appel connaissait le principal argument avancé par le demandeur dans le cadre de la demande d’autorisation d’interjeter appel et a motivé clairement sa conclusion selon laquelle il n’y avait pas de chance raisonnable de succès qui justifiait qu’il soit permis d’interjeter appel.

[36]  Le défendeur soutient que la Division d’appel a apprécié les éléments de preuve et conclu raisonnablement à l’absence d’erreur de fait dans la décision de la Division générale. La décision de la Division d’appel de rejeter l’argument du demandeur selon lequel ses éléments de preuve avaient été mal interprétés est raisonnable parce que la décision de la Division générale démontre que la Division générale avait examiné le témoignage du demandeur concernant ses tentatives et ses démarches en vue de soigner sa dépression, et parce que le demandeur n’avait pas précisé ses démarches entreprises dont la Division générale n’avait pas tenu compte.

[37]  De plus, il était raisonnable de la part de la Division d’appel de retenir le rejet par la Division générale des explications fournies par le demandeur pour avoir mis fin aux soins de Mme Jordan parce qu’ils coûtaient trop cher, vu que Mme Jordan s’était montrée disposée à agir à titre gracieux pour le traiter.

[38]  La Division d’appel a aussi été raisonnable en concluant que la Division générale n’avait pas commis d’erreur lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’avait pas observé les recommandations de traitement parce que ce dernier avait témoigné qu’il n’avait pas mis en œuvre les recommandations de la Dre Kuzenko, notamment le recours à des ressources gratuites dans la collectivité. Bien que le demandeur puisse être maintenant traité par Mme Golfman, cet élément de preuve n’a pas été porté à la connaissance de la Division générale.

[39]  De plus, la Division d’appel a déclaré clairement dans ses motifs que, même si la Division générale avait commis une erreur lorsqu’elle a conclu que les recommandations de traitement de la Dre Kuzenko n’avaient pas été mises en œuvre, l’erreur ne serait pas importante au point de changer la décision si l’erreur n’avait pas été commise. Par conséquent, il était raisonnable de la part de la Division d’appel de conclure que l’article 58 de la Loi sur le MEDS n’entrait pas en jeu, puisque le demandeur n’avait soulevé aucun moyen reconnu par la Loi sur le MEDS et par la Division d’appel.

[40]  Sur la foi des éléments de preuve, il était raisonnable pour la Division d’appel de conclure que la demande d’autorisation d’interjeter appel présentée par le demandeur n’avait aucune chance raisonnable de succès parce que le résultat appartenait aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit devant la Division d’appel. Ainsi, le défendeur soutient qu’il y a lieu de rejeter la demande de contrôle judiciaire.

4)  Intitulé

[41]  Le défendeur sollicite une ordonnance par laquelle le défendeur désigné sera remplacé par le procureur général du Canada conformément à l’intitulé exact exigé par les Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

VIII.  DISCUSSION

A.  Dispositions générales

[42]  Le demandeur a invoqué les moyens ci-après dans le cadre de son appel interjeté auprès de la Division d’appel :

La division générale a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[43]  Le demandeur a invoqué les moyens d’appel ayant une chance raisonnable de succès suivants :

[traduction]

Connie Dyck, membre de la division générale de la section de la sécurité du revenu, a mal interprété les faits et mal compris la séquence des événements dans mon dossier. Elle croit que je n’ai pas fait assez d’effort pour soigner ma dépression et mon TROUBLE DE STRESS POST-TRAUMATIQUE et que j’ai improvisé et pris mes propres décisions concernant les médicaments que j’ai pris[.] Je n’ai jamais refusé un traitement, et tout défaut est non seulement le mien, mais aussi celui du système de soins de santé, qui a tardé à proposer les meilleures solutions qui pouvaient être offertes.)

[Erreurs dans l’original.]

[44]  Ces moyens sont exposés correctement dans la décision du 30 novembre 2015 de la Division d’appel qui fait l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire.

[45]  La Division d’appel a procédé à l’analyse suivante :

[8]  La thèse du demandeur ne convainc pas la division d’appel. Bien que le demandeur ait avancé que sa preuve a été mal interprétée, cet argument n’est pas étayé par la décision, qui démontre que le membre de la division générale a tenu compte du témoignage que le demandeur a livré au sujet de ses tentatives de soigner sa dépression et son trouble de stress post-traumatique. Le demandeur n’a pas non plus précisé les démarches qu’il a entreprises et dont le membre n’aurait pas tenu compte.

[9]  Contrairement à ce que prétend le demandeur, le membre a jugé qu’il y avait un motif valable de rejeter les explications que le demandeur a fournies des raisons pour lesquelles il n’a pas poursuivi les séances de traitement avec la Dre Jordan, lorsque cette dernière avait accepté d’agir pro bono (bénévolement) pour le traiter. La division d’appel ne relève aucune erreur dans l’évaluation que le membre a faite de cette preuve.

[10]  Le membre de la division générale a conclu que le demandeur avait cessé de prendre des médicaments régulateurs de l’humeur sans consulter la Dre Jordan. Le demandeur conteste cette conclusion de fait. Toutefois, il ne s’agissait pas de la seule conclusion de fait que la division générale avait tirée au sujet du défaut du demandeur de suivre les recommandations de traitement.

[11]  Le membre de la division générale a conclu que le demandeur n’avait pas non plus observé les recommandations de traitement faites par le Dr Kuzenko [sic], ni celles qu’avait formulées son médecin de famille, le Dr Ross. Ainsi, même si le membre de la division générale avait commis une erreur, ce que la division d’appel ne croit pas, cette erreur ne serait pas importante au point de changer le résultat de la décision. La division générale a bel et bien consigné que le demandeur avait témoigné qu’au jour de la date de l’audience, il n’avait pas observé les recommandations de traitement faites par le Dr Kuzenko [sic] au sujet de séances de counseling, même lorsque le Dr Kuzenko [sic] lui avait fourni une liste de ressources gratuites pour obtenir de telles séances de counseling dans la collectivité (paragraphe 12 de la décision). Par conséquent, la division d’appel n’est pas convaincue que le demandeur a soulevé une cause défendable à cet égard.

[46]  Le demandeur allègue dans sa demande de contrôle judiciaire les erreurs susceptibles de révision suivantes :

a.  Le Tribunal a été déraisonnable en concluant que M. Cvetkovski n’avait pas fait des efforts suffisants pour faire face à son invalidité;

b.  Le Tribunal a été déraisonnable en concluant que M. Cvetkovski n’avait pas tenu compte de l’avis de professionnels de la santé;

c.  Le Tribunal a été déraisonnable en concluant que M. Cvetkovski a refusé un traitement offert à titre gracieux;

d.  Le Tribunal a été déraisonnable en concluant que M. Cvetkovski avait cessé de prendre des médicaments

e.  Le Tribunal a commis une erreur lorsqu’il a refusé d’accorder à M. Cvetkovski l’autorisation d’interjeter appel de la décision du 30 novembre 2015.

[47]  Comme il ressort clairement du dossier, la Division d’appel a examiné l’appel du demandeur en fonction des moyens d’appel invoqués par lui, à savoir que la Division générale a contrevenu à l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS parce qu’elle a mal interprété les faits et mal compris la séquence des événements, en ce sens que le demandeur avait véritablement tenté de faire face à sa dépression et à son trouble de stress post-traumatique, et qu’il n’avait pas improvisé et pris sa propre décision concernant un médicament et n’avait jamais refusé de traitement. Étant donné que ces moyens d’appel étaient les seuls avancés par le demandeur devant la Division d’appel, la question dont la Cour est saisie dans le cadre de la présente demande est celle de savoir si la Division d’appel a commis une erreur en refusant d’accorder au demandeur l’autorisation d’interjeter appel.

[48]  En examinant la demande d’autorisation d’interjeter appel présentée par le demandeur, la Division d’appel a examiné la question de savoir si le dossier dont disposait la Division générale comportait un élément de preuve quelconque qui puisse fonder le moyen d’appel visé à l’alinéa 58(1)c) de la Loi sur le MEDS. Si la Division d’appel est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès, elle doit refuser d’accorder l’autorisation d’interjeter appel. Voir la décision Canada (Procureur général) c Hoffman, 2015 CF 1348, au paragraphe 44.

[49]  La question dont je suis saisi est celle de savoir si la décision de la Division d’appel de ne pas accueillir l’appel était raisonnable. Voir la décision Tracey c Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, aux paragraphes 17 à 23.

B.  Démarches insuffisantes pour faire face à l’invalidité

[50]  Le demandeur soutient que le « Tribunal » a été déraisonnable en concluant que les démarches du demandeur pour faire face à son invalidité étaient insuffisantes.

[51]  Afin d’étayer cet argument, le demandeur a porté à mon attention un élément de preuve selon lequel il a consulté Mme Golfman. Cet élément de preuve n’avait pas été porté à l’attention de la Division générale ni de la Division d’appel et n’est donc pas un élément dont la Cour est valablement saisie parce que les nouveaux éléments de preuve sont inadmissibles dans le cadre d’un contrôle judiciaire, sauf quelques exceptions qui ne s’appliquent pas en l’espèce. Voir l’arrêt Bernard, précité, aux paragraphes 31 et 32.

[52]  Le demandeur souligne que les éléments de preuve présentés à la Division générale indiquaient qu’il a consulté le Dr Ross et Mme Jordan. Le Dr Ross lui avait prescrit des médicaments pour traiter sa dépression et le demandeur affirme que Mme Jordan lui a fait savoir que sa protection d’assurance ne prévoyait pas un traitement suffisant et qu’elle ne pensait pas que des visites peu fréquentes pour la consulter seraient d’une quelconque utilité, de sorte que cela a effectivement mis fin à son traitement. Le demandeur ne cite aucun élément de preuve pour étayer ses prétentions concernant les propos de Mme Jordan à cet égard.

[53]  Comme la Division d’appel le fait remarquer dans sa décision, la Division générale a fondé ses conclusions à ce sujet sur les éléments de preuve suivants :

  • a) La Dre Kuzenko, une psychiatre du Health Science Centre que le demandeur a consultée une fois, a rédigé un rapport à l’intention du Dr Ross, le médecin de famille du demandeur et fourni la liste de nombreux services offerts gratuitement ou à faible coût dans la collectivité du demandeur;

  • b) Le Dr Ross a aussi recommandé que le demandeur obtienne des séances de counseling;

  • c) À la date de la décision, le demandeur n’avait pas suivi ces recommandations;

  • d) Le rapport du mois de mars 2014 de Mme Jordan a révélé qu’elle connaissait les problèmes liés à la protection d’assurance du demandeur, mais qu’elle était disposée à agir à titre gracieux pour traiter le trouble de stress post-traumatique du demandeur. À la date de la décision, le demandeur n’était pas retourné voir Mme Jordan et n’avait donc reçu aucun traitement pour son trouble de stress post-traumatique;

  • e) Le demandeur n’avait pas observé les recommandations de son médecin pour qu’il obtienne les soins spécialisés d’un conseiller ou d’un service de thérapie.

[54]  Comme la Division d’appel l’indique clairement dans sa décision, le demandeur n’a pas « précisé les démarches qu’il a entreprises et dont [la Division générale] n’aurait pas tenu compte » dans le cadre de son appel.

[55]  La décision de la Division générale est fondée sur la question fondamentale suivante :

[traduction]

[33]  Il ne fait pas de doute que le [demandeur] souffre de maladies et de restrictions considérables. Le problème, cependant, est que le [demandeur] n’a pas entrepris de démarches raisonnables pour atténuer ces maladies et pour y faire face.

[56]  La thèse du RPC est demeurée constante dans tous ses échanges avec le demandeur. Le RPC, dans sa décision du 18 avril 2013, a informé le demandeur que le RPC ne pouvait pas lui verser de prestations d’invalidité pour les raisons suivantes :

  Votre médecin a rapporté le 18 février 2013 que votre pronostic était faible; toutefois, il a aussi rapporté que vous n’avez aucune restriction et que vous êtes traité à l’aide de médicaments et de psychothérapie. On peut raisonnablement s’attendre à ce que votre état s’améliore et que vous puissiez reprendre un quelconque travail adapté à vos restrictions après une période de traitement convenable.

  Votre psychiatre a rapporté le 16 octobre 2012 que vous avez des problèmes de longue date auxquels vous devez faire face; il a aussi rapporté que vos symptômes se sont stabilisés et que vous avez mis en place plusieurs mécanismes d’adaptation positifs dans votre vie. Ces renseignements laissent croire que votre état continuera de s’améliorer et que vous pourrez reprendre un quelconque travail.

  Vous avez rapporté dans votre questionnaire daté du 16 octobre 2012 que vous attendez d’être aiguillé vers un conseiller. On peut s’attendre à une amélioration de votre état si vous suivez un traitement.

[57]  Ces mêmes points sont soulevés dans le résumé de la décision découlant du réexamen et la décision du 17 juillet 2013 :

Discussion :

Client âgé de 46 ans ayant reçu un diagnostic de dysthymie chronique et de trouble dépressif caractérisé. A terminé ses études secondaires et reçu une formation collégiale de spécialiste en soutien de réseau. Dernière occupation en tant qu’agent de sécurité. Date de fin de travail et date de la demande en mai 2012; dernière date possible du début de l’invalidité dans le cadre de la demande en décembre 2014. L’examen des renseignements au dossier ne démontre pas l’existence d’un trouble médical d’une gravité telle qu’il empêche l’exécution de tout type de travail dans un avenir prévisible, et la décision est confirmée.

  La Dre Kuzenko, psychiatre, rapporte le 16 octobre 2012 que le client a besoin de counseling au sujet d’expériences vécues dans son enfance et de problèmes constants liés à ces expériences, puisqu’elles sont à l’origine de sa dépression. Au cours d’une conversation téléphonique tenue avec le client le 16 juin 2013, il rapporte qu’il attend toujours un aiguillage approprié pour commencer le counseling et qu’il a retiré un certain succès du counseling en 1994, après quoi il a réussi à terminer ses études collégiales. Ces renseignements permettent de croire en l’existence d’un autre traitement susceptible de permettre une amélioration de l’état du client et un retour au travail dans un avenir prévisible.

  La Dre Kuzenko, psychiatre, recommande aussi plusieurs traitements pharmacologiques dans le rapport du 16 octobre 2012. Le client rapporte au cours d’une conversation téléphonique tenue le 16 juillet 2013 qu’il n’y a eu aucune modification ni aucun ajout à ses médicaments depuis l’évaluation et le rapport de la Dre Kuzenko. Ces renseignements permettent aussi de croire en l’existence d’autres possibilités thérapeutiques susceptibles de permettre une certaine amélioration des symptômes du client et un retour au travail dans un avenir prévisible.

  Étant donné que le client ne semble pas avoir déjà participé aux traitements recommandés par la Dre Kuzenko, psychiatre, dans le rapport du 16 octobre 2012, le client dispose encore de nombreuses possibilités thérapeutiques susceptibles d’entrainer une amélioration et un retour à un travail quelconque dans un avenir prévisible.

[58]  Le demandeur a exprimé clairement dans ses réponses qu’il croit qu’aucun traitement ne sera fructueux. Par exemple, il soutient ce qui suit dans l’appel qu’il a interjeté à la Division générale et reçu le 29 juillet 2013 :

[traduction]

Le 23 juillet 2013, j’ai reçu une lettre du RPC m’informant du rejet de mon appel interjeté à l’encontre de sa décision concernant l’obtention de prestations du RPC. L’explication fournie était que mon état ne répond pas au double critère d’être grave et prolongé. Si une période de plus de 20 ans d’échec continu à trouver une occupation convenable à long terme ne peut pas être considérée « de longue durée » et « grave » – je ne vois pas ce qui le sera.

L’autre justification invoquée pour la décision du RPC de rejeter mon appel était que je n’ai pas épuisé toutes les possibilités de traitement proposées par la Dre Kuzenko – une psychiatre que j’ai vue le 26 octobre 2012.

Bien, je suppose que toutes les possibilités de traitement ne pourraient jamais être épuisées – il doit y avoir des milliers de combinaisons de counseling et de médicaments qui peuvent être tentées.

Ce que j’essaie de dire, c’est que, selon mes expériences antérieures (le counseling et les traitements médicamenteux qui remontent à 1994), je n’ai aucune raison d’être optimiste quant à la possibilité qu’un futur traitement soit fructueux. Mme Charlotte St. John – l’évaluatrice médicale qui a pris la décision de rejeter mon appel – a mentionné l’exemple de mes séances de counseling précédentes en 1994 comme une raison d’être optimiste. Selon elle, le traitement que j’ai suivi en 1994 a réussi à améliorer mon humeur et m’a permis d’obtenir un diplôme d’études collégiales. Elle n’a pas constaté que mon diplôme d’études collégiales n’a rien fait pour améliorer mes chances d’avoir un emploi durable et à long terme.

Je suis aux prises avec cette maladie depuis plus de 30 ans maintenant – dont 20 ans ont été passés au Canada. Après 20 années de tentatives faites en me retrouvant dans différents types d’emplois et de professions – je m’avoue déjà vaincu. Le RPC peut être optimiste quant à mes chances de trouver une solution, et je dois dire qu’il existe toujours des possibilités, mais ces possibilités ne sont que théoriques dans certains cas. Mes antécédents des 20 dernières années ne laissent pas beaucoup de place à l’optimisme.

De plus, si j’ai déjà entretenu dans le passé un quelconque espoir que les choses pouvaient s’améliorer, cet espoir est pas mal disparu. Je n’ai plus du tout d’enthousiasme à l’idée de faire d’autres tentatives. J’ai tout essayé : des emplois à temps partiel, le secteur industriel, la sécurité et le travail comme technicien en électronique ou comme technicien en TI et d’autres petits boulots que j’ai faits au fil des ans. Mon état psychologique était à l’origine de mon échec dans tous ces emplois. La dépression grave m’a empêché de tisser des liens de tout genre au travail comme dans ma vie privée.

Pour ces raisons, je vous demande d’examiner de nouveau ma demande de prestations du RPC. Lorsque je suis venu au Canada à l’âge de 25 ans, je n’avais pas l’ambition de me retrouver un jour prestataire du RPC. Peu importe ce que sera votre décision, elle sera défavorable à mon égard – d’une manière ou d’une autre. Je vous demande de prendre une décision qui sera moins défavorable à mon égard. J’aurais préféré avoir pu conserver un emploi stable à long terme et être productif tant pour moi que pour la société. N’ayant pas réussi à le faire, je n’ai d’autre choix que demander l’aide du RPC.

[59]  Cette lettre ne fait pas mention des périodes d’emploi du demandeur et indique clairement que le demandeur ne s’intéresse qu’à détenir un [traduction] « emploi convenable et à long terme ». De plus, elle indique clairement que le demandeur, un homme intelligent de l’avis de ses médecins, croit que ses autoévaluations devraient l’emporter sur tout autre avis. Son découragement est tout à fait compréhensible, mais il a besoin que ses médecins déclarent qu’aucun traitement ne sera utile et qu’il est totalement incapable de détenir une occupation véritablement rémunératrice. Aucun des éléments de preuve médicale portés à l’attention de la Division générale et de la Division d’appel ne le déclare. C’est le demandeur qui a décidé qu’il ne vaut pas la peine d’essayer. Compte tenu de sa dépression et de son trouble de stress post-traumatique, il n’est pas étonnant qu’il se sente ainsi, mais son découragement fait partie de son trouble médical, et il devait produire des éléments de preuve médicale pour étayer sa thèse selon laquelle son état ne peut pas s’améliorer et qu’il est incapable de travailler. Il ne l’a pas fait.

[60]  Le rapport d’évaluation psychiatrique du 16 octobre 2012 adressé par la Dre Kuzenko au Dr Ross comporte les recommandations suivantes :

[traduction]

RECOMMANDATIONS

1)  J’ai discuté avec M. Cvetkovski de ma conviction selon laquelle les expériences qu’il a vécues dans son enfance et ses problèmes constants liés à ces expériences sont à l’origine de sa dépression. Je pense qu’il sera difficile pour lui d’améliorer sa dépression sans faire face à ces événements traumatisants de longue date. Il était très réfractaire au départ à l’idée d’obtenir des services de counseling pour examiner certains de ces problèmes, mais, après en avoir discuté davantage avec lui, je me suis demandé s’il commençait à accepter l’idée. J’ai proposé qu’il en discute davantage avec vous. S’il a droit à des séances de counseling aux termes d’un programme d’aide aux employés, je propose qu’il commence par demander l’aide de ce programme. S’il n’a pas accès à un tel programme, il pourrait tenter d’obtenir des services de counseling auprès d’un certain nombre de ressources dans la collectivité. Je joins la liste des services de counseling offerts gratuitement ou à faible coût dans la collectivité. Veuillez lui fournir cette liste et ne pas hésiter à l’utiliser pour aider tout autre patient qui pourrait avoir besoin de ces services. Comme vous pouvez le constater, il existe une variété de ressources offertes partout dans la ville. Dans le cas de M. Cvetkovski, cependant, je recommande plus précisément le Men’s Resource Centre comme point de départ. Veuillez aussi porter à son attention la liste des services offerts aux personnes en détresse figurant à la page 2 du document.

2)  Bien que je ne pense pas que M. Cvetkovski soit atteint du trouble bipolaire, il pourrait être raisonnable au stade actuel d’essayer un régulateur de l’humeur en tant qu’agent d’augmentation dans le traitement de la dépression réfractaire au traitement. Des éléments de preuve de niveau I justifient une augmentation à l’aide du lithium; une dose initiale possible serait 600 mg par jour pendant une semaine, pour passer à 900 mg aux heures indiquées pendant une semaine, et ensuite rajuster la dose jusqu’à l’atteinte de taux sériques adéquats. Veuillez noter que les taux sériques devraient être mesurés en fonction du taux minimal sur une période de 12 heures, de préférence au lever le matin. En l’absence de toute réaction après 3 à 4 semaines, des stratégies de rechange peuvent être envisagées. De plus, si M. Cvetkovski ne veut pas se soumettre à un bilan sanguin, des stratégies de rechange peuvent être envisagées.

3)  Des éléments de preuve de niveau I justifient l’ajout d’un traitement à l’aide de médicaments antipsychotiques atypiques pour la dépression réfractaire au traitement. Des essais aléatoires contrôlés par placebo ont démontré l’efficacité tant de l’aripiprazole que de l’olanzapine. L’aripiprazole a l’avantage de présenter moins d’effets secondaires métaboliques comparativement aux autres médicaments antipsychotiques atypiques. La dose quotidienne de départ serait établie à 2 mg. La documentation américaine sur l’usage de l’aripiprazole comme traitement d’appoint du trouble dépressif caractérisé indique une dose quotidienne recommandée de 5 à 10 mg.

4)  Une autre possibilité encore serait d’envisager l’augmentation à l’aide de la triiodothyronine, puisqu’elle a démontré des effets bénéfiques lors d’essais ouverts et d’ECR. Le traitement est habituellement initié à une dose quotidienne de 25 µg qui passe à 50 µg après une semaine au besoin. En l’absence de réponse après deux semaines à la dose accrue, une autre stratégie peut être envisagée. Ce médicament est généralement bien toléré et peut avoir l’avantage d’agir plus rapidement que certaines des autres stratégies que j’ai proposées; les éléments de preuve en sa faveur sont toutefois moins probants.

5)  M. Cvetkovski ne percevait aucun effet bénéfique du bupropion; j’ai toutefois été témoin d’un « biais de rappel » chez les patients qui autoévaluent leurs symptômes. Vous pourriez envisager l’usage d’une échelle normalisée de temps à autre, telle que l’Inventaire de dépression de Beck, pour mesurer de façon objective s’il connaît ou non une amélioration de ses symptômes. Les stratégies que j’ai mentionnées ci-dessus sont censées être des stratégies d’augmentation et non des stratégies de monothérapie; il devrait donc continuer de prendre un antidépresseur qui a démontré un effet positif quelconque. Si vous pensez que le bupropion a démontré un effet positif quelconque, je propose donc de maintenir sa dose actuelle et d’ajouter l’un des traitements complémentaires. De façon subsidiaire, vous pourriez lui prescrire à la place un autre médicament de première ligne, tel qu’un inhibiteur spécifique du recaptage de la sérotonine ou un inhibiteur de la recapture de la sérotonine et de la noradrénaline. Malheureusement, nous ne disposons pas du dossier complet de son traitement à Toronto. Si vous pouvez l’obtenir, cela pourrait vous donner une meilleure idée des médicaments dont il n’a pas encore fait l’essai. On compte toutefois parmi les agents qui présentent une supériorité démontrée la duloxétine, l’escitalopram, la mirtazapine, la sertraline et la venlafaxine.

6)  Si vous n’avez pas vérifié récemment sa fonction thyroïdienne, je recommande de le faire pour éliminer l’hypothyroïdie en tant que cause possible.

[61]  La lettre de la Dre Kuzenko, lue dans son ensemble, ne justifie pas l’absence d’espoir que le demandeur semble ressentir, et elle mentionne en fait : [traduction] « j’ai toutefois été témoin d’un “biais de rappel” chez les patients qui autoévaluent leurs symptômes ».

[62]  Il ressort clairement du dossier que la Division générale n’a pas été déraisonnable lorsqu’elle a conclu, sur la foi des éléments de preuve fournis, que le demandeur n’avait pas fait des efforts suffisants pour faire face à son invalidité, et que la Division d’appel n’a pas été déraisonnable lorsqu’elle a conclu que le demandeur n’avait pas démontré à cet égard que son appel aurait une chance quelconque de succès.

C.  Ne pas tenir compte de l’avis de certains professionnels de la santé

[63]  Le demandeur soutient que le « Tribunal » a été déraisonnable lorsqu’il a conclu que le demandeur n’avait pas tenu compte de l’avis de certains professionnels de la santé.

[64]  Le demandeur déclare qu’il n’a pas reçu la liste des ressources recommandées par la Dre Kuzenko et que, lorsqu’il en a pris connaissance, il en a parlé au Dr Ross, qui lui a dit qu’il ne lui avait pas fourni la liste parce qu’il ne pensait pas qu’elle serait utile au demandeur. Il déclare que le Dr Ross l’a toutefois informé du MRC, auquel il s’est rendu une fois, pour apprendre de l’un de ses représentants que le centre ne pouvait pas l’aider.

[65]  Le demandeur déclare ce qui suit dans son affidavit à l’appui de la présente demande au sujet de la liste de la Dre Kuzenko :

[traduction]

9  Puis, il y a le cas de la Dre Kuzenko, une psychiatre que j’ai vue à un moment donné au cours de l’automne de 2012. À entendre mes adversaires juridiques faire l’éloge du rapport de la Dre Kuzenko, on croirait qu’elle est la réincarnation de Carl Jung. Croyez-moi, elle ne l’est pas. Elle a l’audace de me déclarer en plein visage que ma lutte contre la dépression de plus de trois décennies n’était pas grave. À mes yeux, c’est un témoignage colossal d’une insensibilité qui frôle (en fait, qui atteint carrément) l’incompétence.

10  Apparemment, la Dre Kuzenko a produit une liste de recommandations sur la façon de faire face à mes troubles psychologiques. Je n’ai jamais vu cette liste. La Dre Kuzenko l’a fait suivre directement à mon médecin de famille, le Dr Frederick Ross. Lors de ma visite suivante chez le Dr Ross, après mon rendez-vous chez la Dre Kuzenko, il n’a même pas mentionné cette liste de recommandations. La raison en était qu’il n’était pas du tout impressionné par son rapport. Il a déclaré [traduction] « Il n’y a rien là-dedans », en voulant dire qu’il n’y avait rien d’utile dans le rapport de la Dre Kuzenko.

[Erreurs dans l’original.]

[66]  Ce témoignage n’est pas clair. Si le Dr Ross [traduction] « n’a même pas mentionné cette liste de recommandations », le demandeur n’a aucune façon de savoir qu’il n’était [traduction] « pas du tout impressionné par [le] rapport » et qu’il a déclaré [traduction] « ”Il n’y a rien là-dedans”, en voulant dire qu’il n’y avait rien d’utile dans le rapport de la Dre Kuzenko ». Le demandeur ne fournit aucun élément de preuve concernant une autre occasion où cette déclaration a été faite, ou la façon dont il a pris connaissance du rapport. Il est certainement au courant du rapport parce qu’il le dénigre dans son affidavit :

[traduction]

11  Mes adversaires juridiques semblent l’adorer, par contre. Ils prêchent le rapport de la Dre Kuzenko comme s’il s’agit de la bonne parole. Je vois certains des meilleurs psychologues du Manitoba, des personnes qui possèdent un doctorat en psychologie, comme Mme Jordan et Mme Golfman. Il semble pourtant que le plus grand péché que j’aie commis a été de ne pas voir certains des quelques conseillers mentionnés dans le rapport de la Dre Kuzenko. Mes adversaires juridiques semblent voir dans cette quantité une qualité en soi. Plus de conseillers je vois, meilleures sont mes chances de rétablissement. Ou plus de conseillers je vois, plus d’efforts mes adversaires juridiques devront mettre à trouver une excuse pour ne pas m’accorder la protection du RPC. Voilà comment je vois les choses.

[Erreurs dans l’original.]

[67]  Le demandeur exprime là des arguments et des opinions, et non des faits. Je ne dispose pas d’éléments de preuve suffisants qui étayent la prétention faite par le demandeur dans ses observations écrites voulant que le Dr Ross ait rejeté le rapport de la Dre Kuzenko ou que le demandeur n’ait pas pris pleinement connaissance des recommandations de la Dre Kuzenko.

[68]  De plus, il n’existe aucun élément de preuve qui étaye la prétention faite par le demandeur dans ses observations écrites selon laquelle il est allé au MRC et on lui a dit qu’on ne pouvait pas l’aider. Dans son affidavit du 27 janvier 2016, il ne mentionne pas le MRC. Le MRC n’est mentionné que dans son mémoire, au paragraphe 27 (et dans le rapport de la Dre Kuzenko à la première recommandation). Le demandeur prétend dans son mémoire que le MRC lui a dit qu’on ne prenait pas en charge les invalidités qu’il présentait. La décision de la Division générale donnait des précisions sur ce point :

[traduction]

L’appelant a déclaré qu’il s’est véritablement renseigné auprès de l’un des conseillers recommandés par la Dre Kuzenko qui offraient des services gratuits et qu’on lui a dit qu’on ne s’occupait que des problèmes liés à la violence familiale et à la toxicomanie. On lui a dit qu’on ne refuserait pas de le voir, mais qu’on ne croyait pas pouvoir lui être bien utile.

[69]  Le demandeur concède que Mme Jordan lui a offert d’agir à titre gracieux pour le traiter, mais qu’elle ne pensait pas, après quelques traitements, pouvoir lui fournir d’autres traitements.

[70]  Le demandeur offre le témoignage ci-après dans son affidavit pour étayer cette prétention :

[traduction]

6  Un autre argument soulevé par mes adversaires juridiques est que je n’ai pas fait d’efforts suffisants pour faire face à ma dépression, et que c’est donc la preuve que je n’ai pas de dépression. Ils prétendent que j’ai saboté ou empêché de quelque façon les efforts des professionnels de la santé dont j’ai demandé l’aide. Ils donnent l’exemple de Mme Cynthia Jordan – une psychologue qui a offert d’agir à titre gracieux pour donner son aide professionnelle – et prétendent que j’ai repoussé cette offre d’une certaine manière et que cela confirme que je n’ai pas fait face à ma dépression de façon adéquate.

7  Ce n’est tout simplement pas vrai. Mme Cynthia Jordan et moi reconnaissions que nous étions arrivés à la fin de ses séances de thérapie en ce qui concerne leur utilité. Alors, je suis passé à une nouvelle psychologue que je vois maintenant – Mme Rosalyn Golfman.

[Erreurs dans l’original.]

[71]  Aucun fait n’est cité pour étayer la prétention selon laquelle Mme Jordan pensait qu’elle était arrivée à la fin. On ne trouve rien dans les lettres de Mme Jordan pour étayer cette prétention, et il ne s’agissait pas d’un élément de preuve qui avait été porté à l’attention de la Division générale ou de la Division d’appel. Ainsi, il n’est pas pertinent quant au présent appel, même s’il avait été étayé de quelque façon. La lettre de Mme Jordan indique ceci : [traduction] « En raison de l’incertitude entourant sa protection d’assurance, les séances se sont tenues régulièrement, mais pas aussi fréquemment que nous l’aurions souhaité. » Elle indique aussi : [traduction] « Je prévois agir bénévolement pour le traiter une fois que son état se sera stabilisé grâce au nouveau médicament. »

D.  Cessation de la prise d’un médicament

[72]  Le demandeur déclare qu’il n’a cessé de prendre un médicament que parce qu’il n’aimait pas la sensation qu’il provoquait et qu’il a toujours consulté le Dr Ross lorsqu’il l’a fait.

[73]  Le témoignage du demandeur à ce sujet dans le cadre de la présente demande est le suivant :

[traduction]

13  L’autre péché mortel que j’ai commis, selon mes adversaires juridiques, est de cesser de prendre le médicament antipsychotique et psychorégulateur, qui, toujours selon eux, a été prescrit par Mme Jordan. Connaissent-ils au moins le fonctionnement du système de soins de santé canadien ici au Manitoba? Mme Jordan n’a pas prescrit ce médicament. Elle n’est pas autorisée à le faire. Elle l’a recommandé au Dr Ross, qui a en fait rédigé l’ordonnance. J’ai pris ce médicament pendant plus d’un an et, après m’être rendu compte qu’il fait de moi un mort-vivant, j’ai consulté le Dr Ross, qui a remplacé le médicament par le Cymbalta, qui est celui que je prends maintenant.

[74]  La Division générale a tiré la conclusion suivante :

[traduction]

[38]  Le tribunal a conclu que l’appelant avait omis de suivre les recommandations médicales manifestement adéquates de ses médecins traitants, ce qui a eu pour effet, et continue d’avoir pour effet, de nuire à sa santé. Le tribunal conclut que d’autres possibilités thérapeutiques sont offertes.

[75]  Le demandeur a rendu le témoignage ci-après à cet égard concernant le Cymbalta devant la Division générale :

[traduction]

[18]  L’appelant a déclaré au sujet du médicament régulateur de l’humeur que Mme Jordan lui a prescrit qu’il a cessé de le prendre parce qu’il n’aimait pas les effets. Il a déclaré que son médecin de famille avait prescrit le médicament Cymbalta il y a environ huit mois. Il a déclaré que ce médicament ne fonctionnait pas non plus; on lui a donc prescrit le médicament Pristiq pendant environ un à un mois et demi. Il pensait que cela ne fonctionnait pas; c’est pourquoi il a recommencé à prendre le Cymbalta.

[76]  Les déclarations faites par le demandeur dans son affidavit ne sont donc pas exactes quant aux conclusions de la Division générale. Le problème n’était pas qu’il avait cessé de prendre un médicament sans consulter Mme Jordan, mais plutôt que le demandeur [traduction] « avait omis de suivre les recommandations médicales manifestement adéquates de ses médecins traitants » de façon générale, et non pas le fait que Mme Jordan avait rédigé une ordonnance qu’il n’a pas suivie. Voilà pourquoi la Division d’appel déclare qu’[traduction] « il ne s’agissait pas de la seule conclusion de fait que la division générale avait tirée au sujet du défaut du demandeur de suivre les recommandations de traitement ».

E.  Erreurs commises dans la décision portant sur l’autorisation d’interjeter appel

[77]  Le demandeur soutient aussi de façon générale que la Division d’appel a commis une erreur lorsqu’elle a rejeté sa demande d’autorisation d’interjeter appel.

[78]  Cet argument repose en grande partie sur les éléments de preuve fournis dans le rapport de Mme Golfman, lequel n’avait pas été porté à l’attention de la Division générale ni de la Division d’appel et dont la Cour n’est pas valablement saisie.

[79]  Le reste de l’argument porte sur le désaccord concernant ce que les antécédents et les éléments de preuve médicale du demandeur révèlent sur sa capacité au travail. Il prétend qu’[traduction] « il est invalide au sens de la Loi sur le Régime de pensions du Canada ».

[80]  Cette question n’est toutefois pas celle que la Cour doit trancher. La Cour doit décider si la Division d’appel a commis une erreur susceptible de révision lorsqu’elle a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel du demandeur. Le désaccord exprimé par le demandeur concernant les conclusions de la Division générale et de la Division d’appel ne suffit pas pour établir l’existence d’une erreur susceptible de révision.

[81]  Comme le reconnaît le demandeur, [traduction] « aucun des professionnels de la santé n’a posé de pronostic concernant [sa] capacité à détenir une occupation régulière ». Mme Jordan déclare : [traduction] « Je ne prévois pas que M. Cvetkovski soit capable de travailler pendant au moins un an, s’il en est même alors capable ». Cela ne signifie pas, cependant, qu’il ne sera jamais possible pour lui de détenir une occupation régulière.

[82]  Il ne reste que le pronostic que le demandeur prononce lui-même dans ses observations écrites :

[traduction]

57.  M. Cvetkovski a été atteint de dépression pendant la plus grande partie de sa vie, et ce, malgré les traitements de professionnels de santé. Il a quitté son emploi et n’a pas pu retourner au travail. M. Cvetkovski soutient que son invalidité est grave et prolongée. Il n’y a aucun espoir à l’égard d’un futur retour au travail.

[83]  Tous les médecins du demandeur ont reconnu qu’il souffre de dépression et du trouble de stress post-traumatique et qu’il a besoin d’aide. Aucun d’eux n’a déclaré qu’[traduction] « [i]l n’y a aucun espoir à l’égard d’un futur retour au travail ». Le demandeur ne doit pas s’attendre à obtenir des prestations d’invalidité du RPC sur la foi de son autoévaluation.

[84]  Ce qui est plus important encore aux fins de la présente demande de contrôle judiciaire, cependant, le demandeur n’a pas établi que la Division d’appel avait commis une erreur susceptible de révision en examinant sa demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Division générale. En conséquence, je n’ai d’autre choix que de rejeter la demande dont je suis saisi.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. L’intitulé est modifié de façon à y substituer le procureur général du Canada comme unique défendeur.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 8e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T -2179-15

 

INTITULÉ :

DIMCE CVETKOVSKI c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

LE 16 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Stacey Ennis

 

Pour le demandeur

 

Hasan Junaid

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McRoberts Law Office LLP

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour le défendeur

 

 

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