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Date : 20170214


Dossier : T-1074-16

Référence : 2017 CF 185

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 février 2017

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

LENWORTH ROSE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  INTRODUCTION

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire fondée sur l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7 (Loi), de la décision du 31 mai 2016 (la décision) par laquelle la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté l’appel interjeté par le demandeur d’une décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

II.  RÉSUMÉ DES FAITS

[2]  Le 11 janvier 2011, le demandeur a déposé une demande de prestations d’invalidité au titre du Régime de pensions du Canada, LC 1985, c C-8 (RPC). Il avait cessé de travailler en raison des graves séquelles physiques et psychologies laissées par un accident de la route survenu le 24 juin 2004. Le 8 avril 2011, sa demande a été refusée au motif qu’il ne souffrait pas d’une invalidité grave et prolongée à la fin de sa période minimale d’admissibilité, soit le 31 décembre 2006, ni de façon continue par la suite. Le demandeur a réclamé une révision de la décision, mais le refus a été confirmé le 25 juillet 2011. Puis, le 9 août 2012, l’appel du demandeur a été entendu par le Bureau du commissaire des tribunaux de révision, qui a rendu une décision défavorable le 24 septembre 2012 (la décision de 2012).

[3]  Le 4 octobre 2012, le demandeur a transmis une demande d’autorisation d’appel par télécopieur à la Commission d’appel des pensions, qui n’a jamais instruit ladite demande.

[4]  Le 1er avril 2013, le Bureau du commissaire des tribunaux de révision et la Commission d’appel des pensions ont été remplacés par la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale en application de l’article 224 de la Loi sur l’emploi, la croissance et la prospérité durable, LC 2012, c 19.

[5]  Comme il n’avait pas reçu de réponse à sa demande d’autorisation d’appel, le demandeur a déposé une demande de prolongation de délai et d’appel de la décision de 2012, dont la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a accusé réception le 13 novembre 2013. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a refusé la demande de prolongation de délai le 8 avril 2014 après avoir établi que le demandeur n’avait pas soulevé de moyens d’appel permettant de croire qu’il avait une chance raisonnable de succès.

[6]  Le 29 avril 2014, le demandeur a soumis une seconde demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada. Cette demande a été refusée dans une lettre datée du 26 septembre 2014 (la décision de 2014) au motif que la décision de 2012 était définitive et exécutoire. Le demandeur s’est adressé au ministre pour qu’il reconsidère la décision de 2014; celui-ci a confirmé le refus le 31 décembre 2014.

[7]  Le 5 janvier 2015, le demandeur a interjeté appel de la décision de 2014 devant la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Le 6 août 2015, le défendeur a déposé une requête en rejet sommaire en faisant valoir que l’affaire était chose jugée. Par la voie d’une lettre datée du 17 septembre 2015, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a informé le demandeur de son intention d’accueillir la requête du défendeur. Le 6 octobre 2015, le demandeur a présenté des observations quant au fond de sa demande. Dans une décision datée du 9 novembre 2015, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a convenu avec le défendeur que l’affaire était chose jugée et elle a rejeté sommairement l’appel.

[8]  Le 23 novembre 2015, le demandeur a interjeté appel de la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale auprès de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale.

III.  DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[9]  Le 31 mai 2016, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a refusé au demandeur l’autorisation d’interjeter appel de la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale.

[10]  La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a commencé par examiner la question préliminaire soumise par le demandeur eu égard au défaut de la Commission d’appel des pensions d’entendre sa demande du 4 octobre 2012 en autorisation d’interjeter appel de la décision de 2012. Le demandeur avait produit en preuve une copie du bordereau de transmission par télécopieur ainsi que la demande d’autorisation d’appel, toutes deux datées du 4 octobre 2012. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a relevé que le bordereau de transmission par télécopieur semblait indiquer que [traduction] « la demande en autorisation d’interjeter appel a bel et bien été transmise le 4 octobre 2012 à la Commission d’appel des pensions ». Elle a conclu cependant que même si ces documents ajoutaient foi à la déclaration du demandeur concernant son appel de la décision de 2012, ils n’auraient aucune incidence sur sa décision puisque le paragraphe 66(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 (Loi sur le MEDS) prévoyait un délai d’un an pour obtenir l’annulation ou la modification d’une décision, et que ce délai était expiré.

[11]  La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a ensuite cherché à savoir si la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale avait commis une erreur en rejetant sommairement l’appel du demandeur. Elle a conclu que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale avait bien énoncé et appliqué la règle de droit découlant du paragraphe 53(1) de la Loi sur le MEDS, ainsi que le principe de la chose jugée. Le principe de la chose jugée s’applique aux dossiers dont les questions en litige et les parties sont les mêmes que ceux d’une décision antérieure et définitive. En l’espèce, la question en litige était l’admissibilité du demandeur à des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada à la fin de sa période minimale d’admissibilité, et elle avait déjà été tranchée. De plus, la décision de 2012 était définitive puisque la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale avait déjà refusé d’accorder une prorogation de délai pour interjeter appel. Finalement, les parties étaient les mêmes dans les deux dossiers.

[12]  La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté l’appel au motif que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale avait correctement appliqué le principe de la chose jugée, et qu’elle avait tout aussi correctement rejeté sommairement l’appel.

IV.  QUESTIONS EN LITIGE

[13]  Les questions suivantes semblent se dégager des observations du demandeur :

  • a) Le défaut d’examiner sa demande d’interjeter appel de la décision de 2012, transmise par télécopieur le 4 octobre 2012, a-t-il porté atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale?

  • b) S’il y a eu atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale, la décision de 2012 peut-elle être considérée comme définitive?

  • c) Si la décision de 2012 n’est pas définitive, le demandeur devrait-il être autorisé à interjeter appel de celle-ci ou, subsidiairement, faut-il ordonner l’examen de la demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada présentée en 2014?

[14]  Pour sa part, le défendeur formule comme suit les points en litige dans la présente demande :

  • a) La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a-t-elle rendu une décision raisonnable en rejetant la demande d’autorisation d’interjeter appel du refus sommaire de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale?

V.  NORME DE CONTRÔLE

[15]  Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a statué qu’une analyse de la norme de contrôle n’est pas toujours nécessaire. Lorsque la jurisprudence est claire quant à la norme de contrôle applicable à une question donnée, la cour de révision peut l’adopter. C’est uniquement lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble incompatible avec l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire que la cour de révision doit soupeser les quatre facteurs de l’analyse de la norme de contrôle (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48).

[16]  Lorsque l’équité procédurale est en cause, la norme de la décision correcte s’applique et commande une certaine déférence à l’égard du tribunal (Reinhardt c Canada (Procureur général), 2016 CAF 158, au paragraphe 14 [Reinhardt]).

[17]  La norme de contrôle des conclusions de fait du Tribunal et de l’interprétation de la Loi sur le MEDS est celle de la décision raisonnable (Reinhardt, précité, au paragraphe 15).

[18]  Si une décision est assujettie à la norme de la décision raisonnable, l’analyse s’attache à « la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, précité, au paragraphe 47; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59). Autrement dit, l’intervention de la Cour se justifie seulement si une décision est déraisonnable, c’est-à-dire si elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.  DISPOSITIONS LÉGISLATIVES APPLICABLES

[19]  Les dispositions suivantes de la Loi sur le MEDS s’appliquent en l’espèce :

Rejet

Dismissal

53 (1) La division générale rejette de façon sommaire l’appel si elle est convaincue qu’il n’a aucune chance raisonnable de succès.

53 (1) The General Division must summarily dismiss an appeal if it is satisfied that it has no reasonable chance of success.

Motifs

Decision

(2) Elle rend une décision motivée par écrit et en fait parvenir une copie à l’appelant et, selon le cas, au ministre ou à la Commission, et à toute autre partie.

(2) The General Division must give written reasons for its decision and send copies to the appellant and the Minister or the Commission, as the case may be, and any other party.

Appel à la division d’appel

Appeal

(3) L’appelant peut en appeler à la division d’appel de cette décision.

(3) The appellant may appeal the decision to the Appeal Division.

Modalités de présentation

Appeal — time limit

57 (1) La demande de permission d’en appeler est présentée à la division d’appel selon les modalités prévues par règlement et dans le délai suivant :

57 (1) An application for leave to appeal must be made to the Appeal Division in the prescribed form and manner and within,

b) dans le cas d’une décision rendue par la section de la sécurité du revenu, dans les quatre-vingt-dix jours suivant la date où l’appelant reçoit communication de la décision.

(b) in the case of a decision made by the Income Security Section, 90 days after the day on which the decision is communicated to the appellant.

Délai supplémentaire

Extension

(2) La division d’appel peut proroger d’au plus un an le délai pour présenter la demande de permission d’en appeler.

(2) The Appeal Division may allow further time within which an application for leave to appeal is to be made, but in no case may an application be made more than one year after the day on which the decision is communicated to the appellant.

Moyens d’appel

Grounds of appeal

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

58 (1) The only grounds of appeal are that

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

Décision

Decision

(3) Elle accorde ou refuse cette permission.

(3) The Appeal Division must either grant or refuse leave to appeal.

Délai

Time limit

66 (2) La demande d’annulation ou de modification doit être présentée au plus tard un an après la date où l’appelant reçoit communication de la décision.

66 (2) An application to rescind or amend a decision must be made within one year after the day on which a decision is communicated to the appellant.

VII.  THÈSES DES PARTIES

A.  La thèse du demandeur

[20]  Le demandeur se représente lui-même. Il affirme dans ses observations que la décision de 2012 n’était pas définitive et que, par conséquent, le principe de la chose jugée ne devrait pas s’appliquer à sa demande de 2014.

[21]  Il ajoute que le 4 octobre 2012, il a soumis une demande d’autorisation pour interjeter appel de la décision de 2012. Comme à ce moment la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale et la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale ont été substituées au Bureau du commissaire des tribunaux de révision et à la Commission d’appel des pensions, le demandeur suppose que sa demande a été égarée et aucune décision n’a été rendue.

[22]  Le demandeur a présenté une seconde demande d’autorisation d’appel, mais le délai de 90 jours était échu. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a refusé de lui accorder une prorogation de délai ainsi que l’autorisation d’interjeter appel. Le demandeur estime que le défaut d’examiner sa première demande d’autorisation d’interjeter appel a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale. Selon lui, il avait au moins droit à ce que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale ou la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale examine sa cause sur la foi des documents médicaux produits.

[23]  En 2014, après s’être vu refuser l’autorisation d’interjeter appel par la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, le demandeur a soumis une nouvelle demande de prestations d’invalidité au Régime de pensions du Canada. Cette seconde demande a été refusée sur la base du principe de la chose jugée, qui selon le demandeur a été appliqué à tort puisque le fait que sa demande d’autorisation d’appel n’a jamais été entendue empêche de considérer que la décision de 2012 était définitive.

B.  La thèse du défendeur

[24]  Le défendeur juge la décision raisonnable. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale n’a pas commis d’erreur en refusant d’entendre l’appel du demandeur au motif qu’il n’avait pas établi que la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale contenait des erreurs susceptibles d’appel conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS.

1)  Caractère définitif de la décision de 2012

[25]  La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale peut accorder une prorogation du délai pour présenter une demande d’autorisation d’appel si, conformément au paragraphe 57(2) de la Loi sur le MEDS, la demande est faite dans l’année suivant la communication de la décision attaquée. En l’espèce, le demandeur a saisi la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale de sa demande d’appel près de 14 mois après la date de la communication de la décision de 2012. Comme le refus de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale de proroger le délai et d’autoriser l’appel de la décision de 2012 n’a pas été porté en appel, on peut conclure que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a raisonnablement jugé que cette décision était définitive et exécutoire. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale est parvenue à la même conclusion après avoir réexaminé le caractère définitif de la décision.

[26]  Dans les observations qu’il a soumises à la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, le demandeur n’établit pas en quoi la conclusion de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale concernant le caractère définitif de la décision de 2012 est entachée d’une erreur susceptible d’appel conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS. Tout son argumentaire vise à établir qu’il avait droit à une prorogation de délai pour interjeter appel de la décision de 2012 et que, comme celle-ci ne peut être considérée comme définitive, sa demande est fondée et il peut en appeler de la décision. Aucun de ces arguments ne constitue un moyen d’appel selon le paragraphe 58(1), de sorte que la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale pouvait raisonnablement rejeter son appel.

2)  Le principe de la chose jugée

[27]  Il a été établi que le principe de la chose jugée s’applique particulièrement aux décisions du TSS (Belo-Alves c Canada (Procureur général), 2014 CF 1100). Suivant l’arrêt Danyluk c Ainsworth Technologies Inc., [2001] 2 RCS 460 (au paragraphe 25), trois conditions doivent être remplies pour justifier la préclusion découlant d’une question déjà tranchée : la question en litige est la même qui a été décidée antérieurement; la décision antérieure était finale; les parties au litige sont les mêmes. Le défendeur soutient que ces trois conditions sont remplies en l’espèce.

[28]  Lorsque la demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada de 2011 a été examinée, il s’agissait de déterminer si le demandeur était invalide au sens du Régime de pensions du Canada à la fin de sa période minimale d’admissibilité ou avant celle-ci. Les faits et les questions en litige n’ont pas changé depuis la demande de 2011 puisque le demandeur n’a fait aucune autre déclaration justifiant une modification de la période minimale d’admissibilité. Qui plus est, comme il a été mentionné précédemment, la décision de 2012 était définitive et exécutoire. Le demandeur a déposé sa demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision de 2012 après le délai prescrit, et sa demande de prorogation a été refusée. Il n’a pas contesté cette décision et, conséquemment, il a épuisé ses moyens d’appel. Finalement, le demandeur et le défendeur sont les mêmes dans les deux appels.

[29]  Au vu de ces faits et du droit applicable, la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale se devait d’appliquer le principe de la chose jugée pour mettre fin au litige entre les parties sur la question de l’invalidité. L’appel étant dénué de la moindre chance de succès, le rejet sommaire était la seule issue acceptable. Il faut donc considérer que la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a raisonnablement rejeté l’appel après avoir conclu que le demandeur n’avait pas établi que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale avait commis une erreur visée au paragraphe 58(1) de la Loi sur le MEDS.

3)  Rejet sommaire

[30]  L’article 53 de la Loi sur le MEDS autorise la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale à rejeter un appel de façon sommaire s’il ne présente aucune chance raisonnable de succès. La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale a informé le demandeur de son intention de rejeter sommairement son appel. Dans ses observations, le demandeur ne conteste d’aucune façon ce rejet sommaire.

[31]  Comme toutes les exigences de l’autorité de la chose jugée étaient remplies, il était raisonnable de la part de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale de rejeter sommairement l’appel du demandeur après avoir constaté qu’il n’avait aucune chance raisonnable de succès. La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a conclu que la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale avait correctement appliqué le principe de la chose jugée et donc correctement rejeté l’appel de façon sommaire. Aucune erreur de droit n’ayant été commise (alinéa 58(1)b) de la Loi sur le MEDS), il était raisonnable de la part de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale de rejeter l’appel du demandeur.

VIII.  DISCUSSION

[32]  Essentiellement, la thèse du demandeur est la suivante :

  • a) À la suite de la décision défavorable du Bureau du commissaire des tribunaux de révision du 24 septembre 2012 (l’audience avait eu lieu le 9 août 2012), le demandeur a interjeté appel auprès de la Commission d’appel des pensions.

  • b) La Commission d’appel des pensions a été remplacée par un autre organisme et n’a jamais rendu une décision sur l’appel du demandeur.

  • c) Selon toute vraisemblance, l’appel a été transféré au Tribunal de la sécurité sociale, qui a remplacé la Commission d’appel des pensions le 1er avril 2013.

  • d) Le demandeur n’a jamais eu l’occasion d’être entendu par le Tribunal, car sa demande d’autorisation d’appel a été égarée au cours de la transition de la Commission d’appel des pensions au Tribunal, qui s’est retrouvé avec un énorme arriéré de dossiers à traiter.

  • e) Étant donné que la demande de prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada n’a jamais été traitée, la décision faisant l’objet du contrôle devrait être écartée.

[33]  Le demandeur conteste également la conclusion de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale voulant que la question en litige soit chose jugée et demande à la Cour d’entendre [traduction] « qu’il a droit à des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada […] ».

[34]  Les faits ne corroborent pas la thèse du demandeur. L’appel déposé à l’ancienne Commission d’appel des pensions n’a pas été entendu parce que celle-ci a été remplacée par le Tribunal de la sécurité sociale le 1er avril 2013. Le 13 novembre 2013, le Tribunal de la sécurité sociale a accusé réception de la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision du 24 septembre 2012 par laquelle le Bureau du commissaire des tribunaux de révision refusait d’accorder des prestations du Régime de pensions du Canada au demandeur. Dans une décision rendue le 8 avril 2014, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel de la décision du Bureau du commissaire des tribunaux de révision du 24 septembre 2012, ainsi que la demande de prorogation du délai pour interjeter appel. Le demandeur ne s’est pas prévalu de son droit de contester la décision du 8 avril 2014 de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale devant notre Cour. Tous ses problèmes découlent du fait qu’il n’a pas contesté cette décision.

[35]  Plutôt que d’interjeter appel de la décision du 8 avril 2014 de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, le demandeur a soumis une seconde demande de prestations du Régime de pensions du Canada le 29 avril 2014. Dans cette dernière, les faits invoqués sont les mêmes que dans la première demande, et la date de la période minimale d’admissibilité reste le 31 décembre 2006. La seconde demande a été refusée au motif que la décision du 24 septembre 2012 du Bureau du commissaire des tribunaux de révision était définitive et exécutoire. Le ministre a révisé la décision et confirmé le refus le 31 décembre 2014.

[36]  Le demandeur a interjeté appel du refus de sa demande du 29 avril 2014 auprès de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale. Celle-ci a rejeté son appel le 9 novembre 2015 au motif qu’il portait sur une question déjà jugée (le demandeur n’avait pas interjeté appel de la décision définitive de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du 8 avril 2014, laquelle mentionnait les mêmes faits et de nouveau le 31 décembre 2006 comme date de période minimale d’admissibilité).

[37]  Le demandeur a interjeté appel de la décision de la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale du 9 novembre 2015 devant la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale, en invoquant les motifs suivants :

  • a) La Division générale du Tribunal de la sécurité sociale n’a jamais reçu sa demande d’appel soumise à la Commission d’appel des pensions, et il n’est pas juste qu’il soit privé de la possibilité de plaider sa cause.

  • b) Selon la prépondérance des probabilités, il serait raisonnable de penser que la Commission d’appel des pensions a commis une erreur et que le Tribunal de la sécurité sociale a omis de transférer le dossier.

  • c) Il y aurait déni de justice si on ne l’autorise pas à plaider sa cause en faisant valoir les documents médicaux antérieurs à la période minimale d’admissibilité de 2006.

[38]  Dans sa décision du 31 mai 2016, la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale rejette l’appel et formule les conclusions suivantes relativement à la pertinence des allégations que le demandeur tente maintenant de faire valoir devant notre Cour :

[traduction]

[8]  Une demande de prestations similaire a été déposée le 11 janvier 2011. Un tribunal de révision a examiné cette demande. Il a rendu sa décision le 9 août 2012. L’audition a eu lieu et la décision a été rendue après l’expiration de la période minimale d’admissibilité du demandeur.

[9]  La Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a refusé une demande de prorogation du délai pour interjeter appel de cette décision le 8 avril 2014.

[10]  Les parties et les questions en litige en l’espèce sont les mêmes que celles qui étaient en cause dans les procédures devant le tribunal de révision ayant abouti à la décision du 9 août 2012.

OBSERVATIONS

[11]  L’appelant n’a présenté aucune observation relativement à l’application du principe de la chose jugée[.]

[12]  Le défendeur a soutenu que l’appel n’avait aucune chance de succès puisqu’il portait sur une question déjà tranchée; le dossier devait donc être examiné selon le principe juridique de la chose jugée.

[39]  Les faits démontrent clairement que la demande formulée devant l’ancien Bureau du commissaire des tribunaux de révision n’a pas été égarée ou complètement mise à l’écart après son remplacement par le Tribunal de la sécurité sociale le 1er avril 2013. Le Tribunal de la sécurité sociale a examiné les demandes d’autorisation d’interjeter appel et de prorogation de délai, il les a refusées dans une décision rendue le 8 avril 2014, mais celle-ci n’a jamais été portée en appel par le demandeur. La décision comprend une analyse des critères habituels ouvrant droit à une prorogation de délai, qui pour la plupart étaient favorables au demandeur. Néanmoins, le Tribunal de la sécurité sociale a conclu que rien ne justifiait d’accorder une prorogation de délai et d’autoriser l’appel puisque le demandeur n’avait présenté aucun moyen d’appel :

[traduction]

[15]  Pour déterminer si un appelant a une cause défendable, le Tribunal doit tenir compte de la liste exhaustive de moyens d’appel figurant à l’article 58 de la Loi sur le MEDS.

[16]  En l’espèce, l’appelant ne fait aucune allusion à une erreur de fait ou de droit dans la conclusion du tribunal de révision. Par conséquent, l’appel ne peut être autorisé.

[17]  L’appelant a produit comme nouvel élément de preuve un rapport du Dr KaKar daté du 1er octobre 2012. L’introduction d’un nouvel élément de preuve n’étant pas reconnue comme moyen d’appel par la Loi sur le MEDS, la production d’un nouveau rapport médical n’offre pas au demandeur une chance raisonnable de succès en appel.

[...]

[19]  Toute demande de prorogation pour interjeter appel doit être examinée en fonction de tous les facteurs susmentionnés, mais l’importance relative accordée à chacun varie en fonction du dossier. Dans le dossier qui nous occupe, j’accorde une importance considérable au fait que le demandeur ne fait valoir aucun moyen d’appel lui conférant une chance raisonnable de succès. Il s’agit d’un élément primordial dans une demande d’autorisation d’interjeter appel. Faute d’un moyen d’appel, et malgré l’intention constante du demandeur d’interjeter appel et l’explication raisonnable de son retard, la présente demande doit être rejetée.

[Non souligné dans l’original.]

[40]  Autrement dit, le demandeur a voulu obtenir l’autorisation d’interjeter appel en produisant une nouvelle preuve médicale, mais il n’a fourni aucun moyen d’appel qui aurait justifié une prorogation de délai.

[41]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur ne parle pas du bien-fondé de la décision ni de la question centrale de l’autorité de la chose jugée. Il se borne à affirmer, sans en faire la preuve, que le bien-fondé de sa demande de prestations du Régime de pensions du Canada n’a jamais été examiné. Les faits sont pourtant clairs : le Bureau du commissaire des tribunaux de révision a examiné le bien-fondé de sa demande en 2011, et la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a refusé sa demande d’autorisation d’en appeler de cette décision le 8 avril 2014 – dans une décision définitive que le demandeur n’a jamais contestée – au motif qu’il n’y avait aucune raison d’accorder une prorogation de délai en l’absence d’une cause défendable en appel.

[42]  Dans une lettre d’appel établie le 15 novembre 2013 par les Medication Services au nom du demandeur, il est signifié au Tribunal de la sécurité sociale qu’il a une [traduction] « cause défendable ». Toutefois, comme aucun moyen d’appel défendable n’est formulé dans la lettre, il est aisé de comprendre la décision rendue par la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale le 8 avril 2014.

[43]  Le demandeur n’a pas contesté cette décision, apparemment parce qu’il a cru qu’il lui suffisait de présenter une seconde demande de prestations du Régime de pensions du Canada fondée sur les mêmes faits et la même période minimale d’admissibilité. Il attaque maintenant devant notre Cour la décision de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale exposant les motifs factuels et juridiques pour lesquels il ne pouvait pas procéder ainsi. Le demandeur fait complètement abstraction de ces motifs et de cette décision, mais l’analyse que j’en fais m’oblige à conclure qu’elle était raisonnable au vu des faits et du droit.

[44]  Le véritable contentieux du demandeur tient, et je le cite [traduction] « au cafouillage » lors de son appel lié à sa première demande de prestations du Régime de pensions du Canada, et au fait qu’il doit maintenant composer avec les conséquences alors que sa santé continue de se détériorer. Comme il ne peut pas travailler, il n’a pas les moyens de s’offrir les services d’un avocat. Si effectivement il y a eu [traduction] « cafouillage », il remonte à plusieurs années et notre Cour ne peut s’appuyer sur aucun dossier ou argument juridique pour procéder au contrôle judiciaire sollicité en l’espèce. J’ai seulement la décision du 31 mai 2016 de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale sous les yeux, et elle maintient le rejet sommaire prononcé par la Division générale du Tribunal de la sécurité sociale le 9 novembre 2015 au motif que l’appel portait sur une chose jugée. Notre Cour ne peut pas réviser cette décision en revenant sur la décision du 8 avril 2014 parce que le demandeur ne lui a pas demandé de la réviser et, de ce fait, elle doit être considérée comme une décision définitive concernant sa demande de prestations du Régime de pensions du Canada.

[45]  La situation du demandeur ne peut que susciter une immense sympathie, mais beaucoup de temps s’est écoulé et il est impossible à notre Cour de revenir sur des décisions anciennes qui n’ont pas été dûment portées en appel ou autrement contestées. Si vraiment il y a eu « cafouillage », selon les mots du demandeur, et si notre Cour pouvait examiner la question maintenant, elle ne pourrait pas rendre une décision parce que le dossier à sa disposition est incomplet. Le véritable problème vient du fait que le demandeur s’est représenté lui-même et que le délai pour obtenir réparation est depuis longtemps révolu. Cela dit, il ressort clairement du dossier que la demande de prestations du Régime de pensions du Canada a été traitée en 2012 et que, selon toute vraisemblance, la décision avait pour seul défaut d’avoir déçu le demandeur, comme l’on pouvait s’y attendre. Le demandeur souhaite que notre Cour réexamine le bien-fondé de sa demande initiale, mais ce n’est pas son rôle ici. En l’espèce, je suis saisie d’une demande de contrôle d’une décision reposant sur le principe de la chose jugée, mais le demandeur n’invoque aucun motif de contrôle.

[46]  C’est à grand regret que notre Cour doit rejeter la demande. Quand la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale a été saisie d’une demande de prorogation du délai pour interjeter appel de la décision du 9 août 2012 lui refusant des prestations d’invalidité, ni le demandeur ni les personnes qui ont agi en son nom n’ont expliqué les motifs de contestation de cette décision. En d’autres mots, aucun moyen d’appel n’a été formulé. Par conséquent, il n’y avait aucune raison d’autoriser l’appel. Le demandeur n’a pas contesté cette décision devant notre Cour.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE ce qui suit :

  1. La demande est rejetée.

  2. Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« James Russell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 15e jour de janvier 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1074-16

 

INTITULÉ :

LENWORTH ROSE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Lenworth Rose

 

POUR SON PROPRE COMPTE

 

Jennifer Hockey

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 

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