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Date : 20170201


Dossier : T-1516-15

Référence : 2017 CF 127

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er février 2017

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision du ministre de la Santé qui a eu pour effet de rejeter la présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) d’Apotex pour les capsules de 100 mg du médicament Apo-progestérone.

[2]  La véritable question en litige concerne la mise sur pied d’un banc d’experts en toxicologie (banc de révision ou banc) à Santé Canada chargé de donner son avis sur le bien-fondé d’une décision initiale de publier un avis de non-conformité – retrait pour le médicament Apo-progestérone, et sa recommandation au représentant du ministre.

[3]  Le ministre de la Santé se préoccupait du fait que l’Apo-progestérone contenait des niveaux [traduction] « inhabituellement élevés » de l’ingrédient non médicinal laurylsulfate de sodium (SDS).

II.  Contexte

A.  Remarques liminaires

[4]  Apotex est le plus grand fabricant pharmaceutique du Canada, produisant plus de 300 produits pharmaceutiques. Il s’agit d’un fabricant de [traduction] « médicaments génériques » qui connaît bien le processus d’approbation réglementaire des produits pharmaceutiques.

[5]  Le ministre de la Santé (ministre) est responsable de l’administration de la Loi sur les aliments et drogues, LRC (1985), c F-27, et du Règlement sur les aliments et drogues, CRC, c 870. La vente d’une drogue nouvelle au Canada nécessite l’approbation ministérielle sous la forme d’un avis de conformité.

[6]  La décision quant à l’acceptabilité des présentations pour l’obtention d’un avis de conformité est déléguée au directeur général de la Direction des produits thérapeutiques (DPT). Dans le cas des médicaments génériques, les sociétés doivent présenter une PADN qui établit l’équivalence à un produit de [traduction] « référence » qui a été approuvé au Canada.

[7]  Le médicament d’Apotex, l’Apo-progestérone, devait être la version générique du produit de référence Prometrium. L’Apo-progestérone devait agir [traduction] « en tant qu’adjuvant à l’hormonothérapie substitutive postménopausique aux œstrogènes, pour réduire de façon considérable le risque d’hyperplasie et de carcinome de l’endomètre ». L’ingrédient médicinal dans les deux médicaments est une dose de 100 mg de progestérone.

[8]  La responsabilité primordiale du ministre dans le cadre de ce processus d’approbation de médicaments consiste à être convaincu de l’innocuité et de l’efficacité de la drogue nouvelle. À cette fin, la PADN doit contenir suffisamment de renseignements et de documents pour que le ministre puisse évaluer l’innocuité et l’efficacité. Par conséquent, le fabricant doit fournir des renseignements sur chaque ingrédient (médicinal ou non médicinal) ainsi que tout renseignement supplémentaire requis par le ministre.

[9]  En ce qui concerne une PADN, le directeur général agit selon les conseils du Bureau des sciences pharmaceutiques (BSP) de la DPT qui a la responsabilité opérationnelle d’évaluer chaque PADN. L’évaluation consiste en un examen des ingrédients pharmaceutiques actifs du médicament, du processus de fabrication et de tous les ingrédients du médicament quant à l’activité, la pureté, la stabilité et l’innocuité.

[10]  Après l’examen de la PADN, le directeur général peut approuver le médicament en délivrant un avis de conformité. Si le directeur général n’est pas convaincu, il avise la société, qui a alors la possibilité de compléter sa PADN.

[11]  Après un examen détaillé, lorsque le directeur général conclut que la présentation est insuffisante ou incomplète, il délivre un avis de non-conformité. Lorsque, après la réponse d’un promoteur à un avis de non-conformité, le directeur général est d’avis que la présentation est toujours insuffisante, il délivre un avis de non-conformité – retrait.

[12]  Lorsqu’il reçoit un avis de non-conformité – retrait, un fabricant peut demander que la décision soit révisée conformément à la Ligne directrice – Révision des décisions sur les présentations de drogues pour usage humain (Ligne directrice). Il s’agit d’un mécanisme officiel de règlement des litiges.

[13]  La Ligne directrice en vigueur pendant la période pertinente prévoyait que le directeur général devait établir les procédures appropriées. Le directeur général pouvait nommer un banc pour le conseiller sur le litige; ce banc pouvait être externe, ou il pouvait s’agir d’un comité consultatif scientifique existant ou d’un banc interne à Santé Canada.

[14]  La Ligne directrice indique que, si le promoteur dépose une demande auprès de la Cour fédérale pendant le processus de révision, cette révision prendra fin.

[15]  Peu importe le type de banc qui est établi, la révision d’une PADN – une contestation des faits – est présentée au BSP et au promoteur qui assiste à une réunion avec le banc, qui comprend des présentations officielles suivies d’une période de questions et de réponses.

Par la suite, le Bureau des sciences (BS) à la DPT prépare un résumé du processus et des renseignements examinés, y compris l’avis reçu. Il en tire une recommandation à l’intention du directeur général, qui décidera ensuite s’il doit confirmer ou non l’avis de non-conformité – retrait.

B.  Litige

[16]  Le 31 octobre 2012, Apotex a présenté sa PADN pour des capsules de 100 mg d’Apo‑progestérone. Elle a bien répondu aux demandes de renseignements sur les formes posologiques.

[17]  Le 8 janvier 2014, la DPT a envoyé une demande de clarification (clarifax) au sujet du [traduction] « niveau inhabituellement élevé » de SDS dans la formulation proposée. Le SDS est un ingrédient non médicinal qui a été utilisé comme excipient pendant plus de 50 ans au Canada et ailleurs dans le monde.

[18]  Le SDS constituait en xxx {§1} [1] par capsule et entraînait une ingestion quotidienne de SDS d’au plus xxxxxxxx [2] par jour.

[19]  Apotex a reconnu que l’utilisation de SDS selon ce degré de concentration serait problématique pour Santé Canada. Dans sa PADN, elle a invoqué le fait que la Food and Drug Administration (FDA) des États-Unis a approuvé un produit d’Apotex (Apo-cyclosporine) qui entraîne une ingestion quotidienne maximale encore plus élevée de SDS.

Apotex a reconnu que la quantité de SDS dans son médicament Apo-progestérone dépassait l’activité maximale indiquée dans l’Inactive Ingredient Guide de la FDA, une base de données d’ingrédients non médicinaux des produits approuvés par la FDA.

[20]  Toutefois, lorsqu’elle a invoqué l’approbation par la FDA de l’Apo-cyclosporine, Apotex n’a pas fourni de détails quant au dépôt auprès de la FDA de documents sur les niveaux de SDS et elle n’a pas fourni non plus le fondement de l’approbation de la FDA. La PADN ne comportait aucun renvoi aux autres produits commercialisés au Canada par Apotex – dont aucun n’a des niveaux de SDS comparables.

[21]  Le clarifax de Santé Canada du 8 janvier 2014 indiquait que les renseignements sur l’Apo-cyclosporine n’étaient pas acceptables étant donné que les deux médicaments avaient des caractéristiques considérablement différentes et que l’Apo-cyclosporine n’avait pas été approuvée au Canada.

[22]  Après une série d’échanges entre Apotex et Santé Canada, le ministre a envoyé un avis de non-conformité le 17 avril 2014.

[23]  Le 29 décembre 2014, le ministre a envoyé un avis de non-conformité – retrait.

[24]  Le 16 mars 2015, Apotex a présenté une demande de révision de l’avis de non-conformité – retrait. Elle a demandé une autre révision, l’annulation de l’avis de non-conformité – retrait et l’envoi d’un avis de conformité ou, subsidiairement, que l’affaire soit entendue par un banc externe.

[25]  Le directeur général a établi un banc interne de quatre personnes. Une réunion a été convoquée le 5 juin 2015, pendant laquelle Apotex a été interrogée sur trois études portant sur le SDS qui étaient disponibles en ligne, mais qu’elle n’a pas fournies. Il s’agit d’une partie de la plainte d’Apotex pour manquement à l’équité procédurale.

[26]  Avant la réunion, le président avait préparé des notes en vue d’une décision et les avait communiquées aux membres du banc. Il s’agit d’un autre élément de la contestation par Apotex quant à l’équité procédurale.

[27]  La question dont était saisi le banc concernait la question soulevée le 8 janvier 2014 – l’innocuité et l’efficacité de la drogue nouvelle contenant des niveaux de SDS auxquels Santé Canada avait renvoyé.

C.  Décision finale sur le SDS

[28]  À la suite de la réunion entre le banc et les représentants de Santé Canada et d’Apotex, le banc a publié son rapport le 16 juillet 2015, concluant que la preuve n’était pas suffisante pour appuyer la limite de xxxxxxx {§3} de [3] SDS (ingestion quotidienne maximale de xxxxxxxx {§4} [4] de SDS) dans les capsules d’Apo-progestérone proposée par Apotex.

[29]  La preuve était composée de plusieurs études à doses répétées sur les rats et d’une étude sur les chiens. Le Bureau du métabolisme, de l’oncologie et des sciences de la reproduction (BMOSR) avait déjà rejeté l’une des études, une étude sur les rats, qui suggérait qu’une limite quotidienne de xxxxxxxx {§5} [5] de SDS était acceptable. La conclusion du BMOSR avait mené à l’avis de non-conformité – retrait.

[30]  Le banc a révisé la preuve toxicologique relative au SDS, y compris le rapport de l’expert-conseil d’Apotex, SafeBridge Consultants, les rapports de révision du BMOSR et les évaluations relevant du domaine public.

[31]  Le banc a conclu que l’ensemble de la preuve relative à la toxicologie du SDS comportait de nombreuses lacunes, était en général de faible qualité et ne respectait pas les normes réglementaires actuelles.

[32]  En outre, le banc a choisi d’adopter une approche prudente quant à l’évaluation du SDS en raison du fait que la preuve avancée par Apotex était incomplète, parfois non publiée, et qu’elle ne respectait pas la bonne pratique de laboratoire. Il manquait des renseignements importants sur le SDS évalué et sur l’évaluation de l’effet toxicologique dans les études mentionnées par Apotex.

[33]  Le banc a également abordé le principal point de désaccord – la conclusion du BMOSR, susmentionnée, en ce qui concerne l’étude sur les rats. Il manquait des renseignements essentiels dans cette étude, et l’écart de données signifiait que le niveau de DSENO (dose sans effet nocif observé) n’était pas fiable.

[34]  Le banc a renvoyé à trois publications de l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et du National Industrial Chemicals Notification and Assessment Scheme (NICNAS), qui se trouvent dans leur site Web respectif, qui appuyaient la position du BMOSR. Ces documents étaient publics et n’ont pas été examinés par Apotex.

[35]  Toutefois, le banc était d’accord avec Apotex pour dire que les études sur le gavage des rats pouvaient ne pas être une méthode de détermination convenable de la toxicité du SDS (le gavage est l’alimentation forcée de l’animal par un tube qui se rend directement dans l’estomac).

[36]  Le banc a rejeté la position d’Apotex selon laquelle une étude d’un an sur les chiens devrait être acceptée plutôt qu’une étude sur les rats. L’étude sur les rats démontrait les effets sur le foie et les reins, alors que l’étude sur les chiens ne contenait pas les renseignements détaillés nécessaires pour réaliser une révision critique.

[37]  Enfin, le banc a conclu que l’approbation par la FDA des États-Unis des capsules de cyclosporine contenant du SDS n’était pas suffisante pour appuyer la prétention d’Apotex selon laquelle les niveaux d’Apo-progestérone étaient sécuritaires et efficaces. Le banc a d’abord conclu qu’il manquait des documents dans la demande et ensuite, que la DPT n’avait pas approuvé les niveaux d’excipient uniquement au motif que ces niveaux avaient été approuvés par des organismes réglementaires étrangers.

[38]  L’exposé qui précède des conclusions du banc indique que l’exercice qu’il a effectué était détaillé, technique et fondé sur les connaissances d’experts.

[39]  Par la suite, le BS a accepté la conclusion du banc recommandant que la PADN ne soit pas approuvée. Le BS a revu le rapport du banc et a ajouté quelques commentaires pour appuyer la recommandation.

[40]  Le directeur général a accepté la recommandation du banc de maintenir l’avis de non-conformité – retrait, ce qui avait été appuyé par le BS.

Dans une lettre en date du 16 juillet 2015, le directeur général a communiqué sa décision selon laquelle le niveau de SDS dans la formulation de l’Apo-progestérone [traduction] « n’est pas considéré comme admissible ». Il s’agit de la décision finale sur le SDS.

[41]  Apotex a fait d’autres tentatives pour obtenir un réexamen de la révision du banc; j’y reviendrai ci-dessous.

[42]  La demande de contrôle judiciaire a été déposée le 8 septembre 2015, plus de 30 jours après la décision finale sur le SDS.

III.  Discussion

A.  Question en litige

[43]  La demande de contrôle judiciaire comporte trois questions :

  1. La demande de contrôle judiciaire devrait-elle être rejetée parce qu’elle est hors délai?

  2. La décision finale sur le SDS a-t-elle été rendue de manière équitable du point de vue procédural?

  3. La décision finale sur le SDS est-elle raisonnable?

B.  Norme de contrôle

[44]  Il est bien établi que l’équité procédurale dans le processus de révision est assujettie à la norme de contrôle de la décision correcte (Apotex Inc c Canada (Santé), 2015 CF 1161, au paragraphe 55).

[45]  Il est également bien établi, ce que j’accepte en l’espèce, que la norme de contrôle applicable à la décision finale quant au SDS est celle de la décision raisonnable établie dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190 [Dunsmuir] : le « caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

C.  Hors délai

[46]  La question du délai n’a pas été soulevée avant la présentation des exposés des arguments. Apotex fait valoir que cela était injuste; toutefois, étant donné qu’une requête pour radier un contrôle judiciaire est très rarement accordée à l’étape préliminaire, il n’y avait rien d’injuste dans le comportement du défendeur.

[47]  Les éléments examinés, comme l’indique Apotex c Canada (Santé), 2012 CAF 322, au paragraphe 12, autorisation d’appel à la CSC refusée, 35209 (le 25 avril 2013), bien qu’ils ne soient pas exclusifs, comprennent la question de savoir si :

  • il y avait une intention constante de donner suite à la demande;

  • la demande est fondée;

  • le retard ne cause aucun préjudice aux défendeurs;

  • il y a une explication raisonnable pour le retard.

[48]  À la suite de la décision finale sur le SDS le 16 juillet 2015 (qui est la décision déterminante aux fins du contrôle judiciaire et du calcul du délai de 30 jours), le PDG d’Apotex a communiqué avec le directeur général pour lui faire part des opinions d’Apotex sur la procédure et, à la fin du mois de juillet, il a indiqué qu’il souhaitait le rencontrer pour qu’il réexamine la question.

[49]  Le 6 août 2015, le directeur général a indiqué qu’il n’était pas favorable à la demande d’Apotex et, le 27 août 2015, en réponse à des demandes semblables répétées, le directeur général a écrit de nouveau à Apotex pour l’informer que la situation n’avait pas changé.

[50]  Apotex a soutenu qu’elle avait en quelque sorte été amenée par le directeur général à croire qu’un réexamen de la révision pourrait se produire. Il s’agit d’une interprétation injuste et déraisonnable des mots et des actions du directeur général. Apotex est allée jusqu’à laisser entendre, selon deux jugements récents du juge Manson dans Apotex Inc c Canada (Santé), 2015 CF 1161, et Apotex Inc c Canada (Santé), 2016 CF 673, que Santé Canada était hostile à Apotex.

[51]  Ces deux décisions ne sont pas pertinentes et elles sont loin d’établir une telle hostilité, tout comme le présent dossier. Il s’agissait d’un plaidoyer désespéré pour justifier l’omission par Apotex de déposer à temps la demande devant la Cour.

[52]  Il était déraisonnable dans les faits pour Apotex de croire que le directeur général accorderait une autre révision, et il s’agissait d’une erreur de droit. Le directeur général était dessaisi au 16 juillet 2015, et il est déraisonnable de confondre une réponse négative polie à une attente d’une révision supplémentaire.

[53]  La preuve de la justification raisonnable du retard est très mince. Au mieux, le PDG d’Apotex croyait, de façon erronée mais honnête, que sa nouvelle demande de révision pourrait être acceptée.

[54]  Toutefois, comme cela semble être le cas, Apotex se trouvait devant un dilemme. Selon la Ligne directrice, si Apotex avait déposé sa demande de contrôle judiciaire, une révision (ou l’espoir de cette dernière) aurait pris fin parce que la Ligne directrice prévoit que le dépôt d’une demande devant la Cour fédérale met fin à toute révision.

[55]  Je suis disposé à accepter le fait qu’il s’agissait de la situation à laquelle faisait face Apotex et qu’il s’agit donc d’une explication raisonnable du retard.

[56]  Apotex a fait valoir que, si la réponse négative du 6 août est le début de la période de dépôt de 30 jours, elle a déposé sa demande à l’intérieur du délai de 30 jours (demande déposée après la fin de semaine de la fête du Travail).

[57]  Une intention constante de contester et l’existence d’un certain fondement pour le contrôle judiciaire sont clairement établies et n’ont pas été sérieusement contestées.

[58]  Le défendeur affirme que le retard lui cause un préjudice. Toutefois, il s’agit d’un préjudice théorique qui contrevient au principe du « caractère définitif des décisions ». Il n’y a pas de préjudice réel, c’est-à-dire que personne n’a pris de mesures à leur détriment en se fondant sur le caractère définitif de la décision. En outre, le retard est de courte durée (soit environ 22 jours).

[59]  Compte tenu de ces facteurs et de l’intérêt public important dans les décisions liées à la santé du public, la demande de prorogation du délai d’Apotex (si elle est nécessaire et elle l’est) est accueillie.

D.  Équité procédurale

[60]  En ce qui concerne les questions d’équité procédurale, elles sont examinées séparément du caractère raisonnable de la décision.

1)  Banc externe

[61]  Apotex fait valoir qu’il était injuste qu’un banc de révision externe n’ait pas été mis sur pied conformément à sa demande. Toutefois, rien dans la Ligne directrice ne crée une attente légitime pour une telle nomination. La Ligne directrice reconnaît le pouvoir discrétionnaire – il [traduction] « peut » être approprié de nommer un banc externe – que possède le directeur général. Comme la juge Kane l’a conclu dans Apotex Inc c Canada (Santé), 2013 CF 1217, au paragraphe 76, 445 FTR 64, il n’existe aucune règle absolue selon laquelle une révision devrait être faite par un banc externe.

[62]  Apotex n’a pas attaqué le processus de nomination, sauf pour faire valoir qu’il ne devait pas s’agir d’un banc externe.

[63]  Même si Apotex avait droit à un banc indépendant et impartial conformément à la Ligne directrice et qu’elle s’y attendait de façon légitime, cela ne signifie pas qu’elle avait droit à un banc externe (ou que seul un banc externe pouvait être indépendant et impartial). Les bancs internes étaient envisagés par la Ligne directrice dans la mesure où leur conduite (et leur décision ultime) était indépendante et impartiale.

[64]  Le banc devait agir en toute impartialité et je ne vois pas comment il s’est écarté de cette exigence.

[65]  L’équité du processus de révision doit tenir compte du fait qu’il s’agissait d’un banc d’experts qui a été nommé – un banc dont les connaissances et l’expertise des membres étaient essentielles au processus.

2)  Crainte raisonnable de partialité

[66]  Apotex se plaint du fait que le président du banc, lorsqu’il a créé un mémoire provisoire qu’il avait l’intention d’utiliser dans la décision finale, a démontré qu’il faisait preuve de fermeture d’esprit ou qu’il y avait une crainte raisonnable qu’il ait tranché l’affaire avant d’entendre Apotex.

[67]  Il y a un débat, même dans les cercles judiciaires, sur la question de savoir si un décideur devrait, pour utiliser une expression dépassée, [traduction] « mettre par écrit » sa décision avant une audience. Bien que la pratique privilégiée puisse être de ne pas le faire pour un grand nombre de préoccupations soulevées en l’espèce, la question de savoir si l’existence d’une [traduction] « ébauche » établit une crainte raisonnable de partialité dépend de la mesure dans laquelle la décision est coulée dans le béton.

[68]  En l’espèce, aucun élément de preuve n’indique que le président avait pris sa décision. Il est évident qu’il s’agissait de réflexions préliminaires et que lui-même et les autres membres du banc qui avaient une copie de l’ébauche ont gardé un esprit ouvert. En fait, le banc a accepté les observations d’Apotex en ce qui concerne une question (celle du gavage), alors que l’ébauche indiquait une autre conclusion. Le banc a tenu compte des nouveaux renseignements présentés.

[69]  À mon avis, une personne raisonnable qui adopte un point de vue réaliste, réfléchi et pratique des circonstances ne conclurait pas qu’un membre du banc trancherait probablement l’affaire de façon inéquitable. Les affaires invoquées par Apotex peuvent se distinguer selon leurs faits. C’est une chose de prendre des notes et de dresser des conclusions éventuelles (comme c’était le cas en l’espèce); c’en est une toute autre d’arriver à l’audience avec une ébauche de décision qui est pratiquement prête à être signée ou publiée.

[70]  Je ne trouve aucun fondement qui me permet de retenir la plainte d’Apotex.

3)  Possibilité de se faire entendre

[71]  Apotex se plaint du fait que le banc a effectué sa propre recherche et soulevé trois nouvelles études à l’audience, la privant ainsi d’une possibilité d’être entendue et d’aborder les études de l’OCDE, de l’ECHA et du NICNAS.

[72]  Étant donné la nature du réexamen – un examen factuel mené par des experts – on doit s’attendre à ce qu’un banc se renseigne sur l’« état de la technique » et examine éventuellement les sources bien connues (des experts du domaine) et publiques.

[73]  Apotex avait la même possibilité et elle avait la capacité, tant à l’interne que par l’entremise d’experts-conseils, de le faire.

[74]  En outre, interrogée au sujet des études à l’audience, Apotex n’a pas demandé de temps, à l’audience même ou à tout moment par la suite, pour se pencher sur ce qu’elle appelle maintenant de nouveaux éléments de preuve. Il y avait suffisamment de temps entre la fin de la réunion et de l’audience et la publication de la recommandation du banc pour demander une possibilité de formuler de nouvelles observations sur ces études. Une partie qui se croit victime d’un manquement à l’équité procédurale doit soulever cette question en première instance (Hennessey c Canada, 2016 CAF 180, aux paragraphes 20 et 21, 267 ACWS (3d) 479). Malgré qu’elle en ait eu amplement l’occasion, Apotex ne l’a pas fait.

[75]  Apotex insiste trop sur la demande d’un membre du banc au président pour qu’il lui envoie les études parce qu’elle ne les a pas trouvées. Il s’agit à peine d’une admission de confusion, et une telle demande n’établit pas que les études n’étaient pas bien connues ou publiques. Le fait de demander à la personne qui a les études de les faire parvenir n’est pas une preuve de documents cachés ou inconnus. Apotex n’a pas démontré qu’elle n’a pas pu trouver les publications ni qu’elle n’a pas pu exercer son droit de formuler des observations sur ces documents.

[76]  En outre, Apotex ne peut se plaindre de ne pas avoir été invitée à présenter des documents sur l’Apo-cyclosporine pendant la période de questions et réponses du banc. Apotex savait que la question relative à l’Apo-cyclosporine auprès de la FDA et les documents justificatifs à son égard et son bien-fondé étaient au cœur même de la présente affaire. Elle savait que les niveaux de SDS étaient problématiques pour Santé Canada.

Il revenait à Apotex de présenter sa cause et d’aborder ces questions. Ce n’était pas au banc d’établir ces points pour Apotex.

4)  Normes réglementaires

[77]  Enfin, pour ce qui est de ces questions d’équité procédurale, Apotex se plaint du fait que le banc, et plus tard le directeur général, ont conclu que, sur le plan juridique, la formulation [traduction] « ne respectait pas les normes réglementaires actuelles ». Apotex soutient que le banc ne pouvait formuler de conclusions juridiques et qu’il a omis d’indiquer les normes réglementaires précises en question.

[78]  Apotex interprète mal le renvoi du banc aux normes réglementaires. L’expression était utilisée dans le contexte de la preuve scientifique présentée par Apotex. La référence indique que la preuve d’Apotex et les études qu’elle a invoquées étaient déficientes dans les domaines de la bonne pratique de laboratoire, de la description du SDS et de l’évaluation des effets.

[79]  Le banc avait clairement le mandat de commenter la nature et la qualité de la preuve scientifique d’Apotex.

[80]  Par conséquent, la plainte d’Apotex en ce qui a trait au manquement au principe de justice naturelle et à l’équité procédurale n’est pas acceptée.

E.  Caractère raisonnable de la décision

[81]  Apotex affirme que la décision finale sur le SDS était déraisonnable parce qu’elle ne tenait pas compte de l’approbation des produits par la FDA qui contenaient du SDS et de l’expérience clinique connexe.

[82]  Les critères utilisés pour évaluer la décision finale sur le SDS avaient déjà été établis en référence aux critères de Dunsmuir. Comme je l’ai indiqué, la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de ce banc d’expert sur les questions de fait qui relèvent de son expertise.

[83]  Contrairement à la prétention d’Apotex selon laquelle l’approbation de la FDA n’a pas été prise en compte (ou qu’elle l’a été de façon inadéquate), le dossier démontre que le ministre, dans le cadre de ce processus, a continuellement soulevé la question des niveaux de SDS et offert de nombreuses possibilités à Apotex pour qu’elle fournisse des éléments de preuve afin d’établir que les niveaux élevés de SDS pouvaient être acceptés.

[84]  Depuis le début, les fonctionnaires de Santé Canada ont cherché à obtenir les détails, les documents et la justification qui sous-tendent l’approbation par la FDA de l’Apo-cyclosporine. Le banc a conclu que la DPT n’avait pas approuvé les niveaux d’excipient uniquement au motif qu’ils avaient été approuvés par des organismes réglementaires étrangers.

[85]  La pratique de la DPT est conforme à l’obligation du ministre d’être [TRADUCTION] « convaincu » de l’innocuité et de l’efficacité d’une nouvelle formulation. Le fait de simplement accepter une approbation étrangère, en l’absence d’une autorisation législative, reviendrait à renoncer à la responsabilité ministérielle.

[86]  L’Apo-cyclosporine est un médicament différent, utilisé à des fins autres et pour des patients différents. Il n’y avait rien de déraisonnable pour le banc ou le ministre d’exiger qu’Apotex, qui assumait le fardeau de la preuve, justifie l’acceptation des niveaux de SDS dans l’Apo-progestérone semblables à ceux présents dans l’Apo-cyclosporine.

[87]  Le banc a conclu qu’Apotex n’avait pas justifié sa position en ce qui concerne l’approbation par la FDA de l’Apo-cyclosporine. Il n’y a rien de déraisonnable dans cette conclusion, qui a été formulée dans le cadre du domaine d’expertise du banc.

[88]  Par conséquent, ce motif de contrôle est également rejeté.

IV.  Conclusion

[89]  Pour tous ces motifs, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire, le tout avec dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1516-15

 

INTITULÉ :

APOTEX INC. c LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 10 et 11 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1er février 2017

 

COMPARUTIONS :

Harry Radomski

Nando De Luca

Daniel G. Cohen

 

Pour la demanderesse

 

Karen Lovell

Andrea Bourke

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 



[1]   Renseignements confidentiels

[2]   Renseignements confidentiels

[3]   Renseignements confidentiels

[4]   Renseignements confidentiels

[5]   Renseignements confidentiels

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