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Date : 20170126


Dossier : IMM-2989-16

Référence : 2017 CF 102

Montréal (Québec), le 26 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ROSE KADJE

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION, RÉFUGIÉS ET CITOYENNETÉ CANADA

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre de la décision d’un agent d’immigration, en date du 30 juin 2016, de rejeter la demande de résidence permanente pour considérations humanitaires [demande CH] de la demanderesse, en application du paragraphe 25(1) de la LIPR.

II.                Faits

[2]               La demanderesse, âgée de 65 ans, est citoyenne du Cameroun et infirmière de profession. Elle a deux fils qui vivent au Canada; l’un est citoyen canadien, l’autre est résident permanent. Elle a également cinq petits-enfants et un neveu au Canada. Son mari, retraité, son troisième fils, médecin et certains de ses petits-enfants vivent toujours au Cameroun.

[3]               En mai 2011, la demanderesse est venue rendre visite à ses fils et à ses petits-enfants au Canada.

[4]               La demanderesse prétend avoir été hospitalisée à quelques reprises au Cameroun avant son arrivée au Canada. Des tests d’hépatite auraient été effectués et les résultats auraient tous été négatifs.

[5]               Quelque temps après son arrivée au Canada, la demanderesse, souffrante, aurait consulté un médecin – aux frais des membres de sa famille – et elle a obtenu des résultats indiquant qu’elle souffrait d’hépatite C.

[6]               Le 6 octobre 2011, la demanderesse a déposé une demande d’asile.

[7]               En mars 2012, la demanderesse a déposé une demande de résidence permanente pour considérations humanitaires.

[8]               En avril 2012, la demanderesse a subi une greffe du foie. Depuis, elle est soumise à un suivi médical serré. Elle souffre également de problèmes ophtalmologiques, en l’occurrence un œdème maculaire bilatéral, pour lesquels elle doit obtenir d’autres soins médicaux.

[9]               Le 11 juillet 2013, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile de la demanderesse.

[10]           Le 9 mars 2016, la demande CH de la demanderesse a été rejetée par un agent d’immigration. La demanderesse a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contre cette décision, mais l’autorisation a été rejetée par la Cour fédérale suite au défaut de la demanderesse de mettre son dossier en état.

[11]           Le 15 juin 2016, un agent d’immigration a accepté de rouvrir cette demande CH après avoir reçu une lettre du procureur de la demanderesse.

III.             Décision

[12]           Le 30 juin 2016, après avoir rouvert son dossier, un agent principal d’immigration a rejeté la demande CH de la demanderesse, maintenant la décision du 9 mars 2016.

[13]           L’agent a conclu que la demanderesse avait autant de liens familiaux au Canada qu’au Cameroun et qu’elle pourrait rester en contact avec les membres de sa famille établis au Canada par internet et par téléphone si elle rentrait au Cameroun.

[14]           L’agent a conclu que la demanderesse était venue au Canada afin de se faire soigner, sachant qu’elle souffrait de graves problèmes de santé et qu’elle obtiendrait de meilleurs soins au Canada qu’au Cameroun.

[15]           En ce qui a trait aux suites de la greffe de foie qu’elle a subie, l’agent considère que la demanderesse n’a pas démontré que les traitements et les médicaments requis par son état ne seraient pas disponibles au Cameroun. Il n’a pas accordé de valeur probante à la lettre d’un médecin camerounais, doutant de son authenticité. De plus, l’agent a trouvé que rien ne prouvait que des soins ne seraient pas disponibles dans les grandes villes du Cameroun, bien qu’ils soient inexistants en milieu rural. En outre, l’agent n’a pas été convaincu que d’autres médicaments ou des formes génériques soient inaccessibles au Cameroun. Enfin, l’agent a déterminé que, bien que le mari de la demanderesse n’ait qu’une pension mensuelle de 400 $, la demanderesse pouvait bénéficier d’un soutien financier considérable des membres de sa famille; sa famille au Canada serait financièrement en mesure de la soutenir et son fils au Cameroun également, sachant que comme médecin, il pourrait prendre sa mère en charge.

IV.             Observations des parties

A.                Observations de la demanderesse

[16]           La demanderesse soutient que la décision rendue par l’agent d’immigration est déraisonnable. L’argumentation de la demanderesse repose essentiellement sur l’interprétation erronée qu’aurait faite l’agent de la preuve médicale soumise lors de la réouverture de sa demande CH. D’abord, l’agent aurait erré en prétendant que la lettre du docteur camerounais n’était pas signée et qu’elle ne portait pas un sceau lisible. Ensuite, la demanderesse soutient que l’agent a commis une erreur en supposant que des médicaments antirejet pouvaient être disponibles dans la capitale et que les médicaments spécifiques pourraient être remplacés par d’autres médicaments, en l’occurrence, des génériques. Enfin, l’agent aurait erré en concluant que le coût de 900 $ par mois pour les médicaments et les frais de traitement de la demanderesse au Cameroun étaient ceux encourus des suites de la greffe du foie; il s’agit en fait des coûts liés aux autres problèmes de santé de la demanderesse.

[17]           Finalement, la demanderesse soutient que l’agent a erré en spéculant qu’elle pourrait rester en contact avec ses petits-enfants par internet ou par téléphone.

B.                 Observations du défendeur

[18]           Selon le défendeur, la décision rendue par l’agent d’immigration est raisonnable.

[19]           Le défendeur soutient qu’il était loisible à l’agent de conclure que le départ de la demanderesse compromettrait l’intérêt supérieur de ses petits-enfants, considérant que ceux-ci pourraient rester en contact avec elle par internet ou par téléphone. La demanderesse n’aurait soumis aucun document permettant à l’agent de conclure que leur intérêt supérieur serait compromis si elle quittait le Canada. Par conséquent, elle ne se serait pas déchargée de son fardeau de preuve (Owusu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2004] 2 RCF 635, 2004 CAF 38).

[20]           Le défendeur allègue de plus que la demanderesse n’avait pas démontré que les soins nécessaires à ses problèmes de santé – incluant ses problèmes ophtalmologiques et le suivi pour sa greffe de foie – ne seraient pas accessibles au Cameroun. Aucune preuve n’a été fournie par la demanderesse pour démontrer que les traitements ne seraient pas disponibles dans tout le Cameroun et non seulement en milieu rural. Considérant que ses proches la soutiennent déjà financièrement au Canada, il était loisible à l’agent de conclure qu’ils continueraient de le faire advenant son retour au Cameroun. Par conséquent, la décision de l’agent ferait partie des issues possibles et serait raisonnable.

V.                Question en litige

[21]           La question en litige soulevée dans le présent dossier est la suivante :

L’agent d’immigration a-t-il erré en fait en rendant une décision contraire à la preuve disponible?

[22]           La norme de contrôle applicable à la décision de l’agent d’accorder ou non une dispense pour des motifs d’ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable. Notre Cour doit faire preuve de déférence dans le contrôle judiciaire de la décision d’un agent d’immigration exerçant ce pouvoir discrétionnaire (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 RCS 817; Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]).

VI.             Dispositions pertinentes

[23]           Le paragraphe 25(1) de la LIPR prévoit des dispenses de la loi pour des considérations humanitaires.

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations — request of foreign national

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

VII.          Analyse

[24]           La Cour constate que malgré la lettre du médecin camerounais faisant état de l’absence de soins adéquats pour assurer la survie de la demanderesse suite à la greffe de foie subie, l’agent a tout de même considéré qu’elle pourrait y obtenir les médicaments et les traitements requis par son état :

[…] dans son lieu de résidence rurale en l’occurrence le village Bandjoun dans l’ouest du Cameroun, il n’existe pas de plateau technique pour son suivi au long cours. Son médicament anti rejet le prograf n’est pas disponible au pays et nécessite un dosage sérique pour le suivi. Dans le cadre du Cameroun et sur renseignement, aucun laboratoire n’effectue pour l’instant ledit dosage.

(Lettre du Dr Kamdem Philippe, à la p. 26 du dossier d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada)

[25]           Le médecin spécifie que le médicament antirejet de la demanderesse n’est pas disponible, et ce, dans l’ensemble du Cameroun et non seulement au village de Bandjoum. Les spéculations de l’agent quant à l’existence et à la disponibilité d’un médicament générique pouvant remplacer celui pris par la demanderesse ne s’appuient sur aucun élément de preuve au dossier.

[26]           Par conséquent, la décision rendue par l’agent est dépourvue de justification, de transparence et d’intelligibilité, et n’appartient pas aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir, ci-dessus, au para 47). La Cour conclut que l’agent d’immigration a erré dans son analyse de la preuve médicale soumise par la demanderesse. De ce fait, ses conclusions sont contraires à la preuve et la décision rendue est déraisonnable.

VIII.       Conclusion

[27]           La demande de contrôle judiciaire est accordée et l’affaire est retournée pour être reconsidérée par un autre agent d’immigration.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit accordée et l’affaire soit retournée pour être reconsidérée par un autre agent d’immigration. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2989-16

INTITULÉ :

ROSE KADJE c LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION, RÉFUGIÉS ET CITOYENNETÉ CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 janvier 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :

LE 26 janvier 2017

COMPARUTIONS :

Stéphane Handfield

Pour la partie demanderesse

Sherry Rafai Far

Pour la partie défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Handfield & Associés, avocats

Montréal (Québec)

Pour la partie demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour la partie défenderesse

 

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