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Date : 20170208


Dossier : IMM-3133-16

Référence : 2017 CF 149

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2017

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

MUDALIGE DON HEWAGAMA MANIK MADAVA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  M. Mudalige Don Hewagama Manik Madava (le demandeur) sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié datée du 28 juin 2016.

[2]  La Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel logé par le demandeur contre la décision défavorable de sa demande d’asile devant la Section de la protection des réfugiés (la SPR). La Section de la protection des réfugiés a rejeté sa demande en raison de conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[3]  Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka. Il prétend être exposé à un risque de la part des services du renseignement de l’armée et de la police sri-lankaise, en raison de sa profession de journaliste et reporteur. La Section de la protection des réfugiés n’a pas cru son récit d’enlèvement et de torture.

[4]  Lors de l’audition relative à son appel à la Section d’appel des réfugiés, le demandeur a cherché à déposer de nouveaux éléments de preuve et a demandé qu’une audience ait lieu.

[5]  La Section d’appel des réfugiés a décidé que les nouveaux éléments de preuve, qui consistaient en des [traduction] « rapports mis à jour sur la situation dans le pays de 2016 » et d’articles concernant des demandeurs d’asile déboutés, ne satisfaisaient pas aux critères de [traduction] « nouveaux éléments de preuve » au sens du paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), et a refusé d’accorder une audience.

[6]  Dans sa décision, la Section d’appel des réfugiés a examiné les conclusions de la Section de la protection des réfugiés et a confirmé toutes les conclusions défavorables, concluant que le demandeur n’était pas crédible. Elle a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés et a rejeté l’appel.

[7]  La Section d’appel des réfugiés a fait référence à l’arrêt de la Cour d’appel fédérale dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica (2016), 396 DLR (4th) 527 (CAF). Elle a déclaré ce qui suit concernant son rôle de trancher l’appel interjeté par le demandeur :

[TRADUCTION] Dans Huruglica, la Cour a décidé que la SAR devait instruire l’affaire comme « une procédure d’appel hybride ». Elle doit examiner tous les aspects de la décision de la SPR et parvenir à une évaluation indépendante de la demande d’asile du demandeur, tout en faisant preuve de déférence à l’égard de la SPR uniquement quant aux questions pour lesquelles ce tribunal d’instance inférieur jouit d’un avantage particulier pour tirer une conclusion. Lorsque l’évaluation de la SAR s’éloigne de celle de la SPR, la SAR doit substituer sa propre décision.

[8]  Le demandeur fait désormais valoir que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur susceptible de révision en omettant d’évaluer sa demande indépendamment, comme l’exige l’arrêt Huruglica précité. Il soutient que la Section d’appel des réfugiés a simplement adopté les conclusions de la Section de la protection des réfugiés.

[9]  Le demandeur soutient également que la Section d’appel des réfugiés a commis une erreur en omettant d’accepter les « nouveaux éléments de preuve objectifs sur la situation dans le pays » comme nouveaux éléments de preuve.

[10]  Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration (le défendeur) soutient que la Section d’appel des réfugiés a traité la décision de la Section de la protection des réfugiés comme une décision reposant sur la crédibilité du demandeur, susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Il soutient que la Section d’appel des réfugiés a examiné attentivement les conclusions défavorables de la Section de la protection des réfugiés quant à la crédibilité et n’y a pas décelé d’erreur.

[11]  Le défendeur soutient qu’il était raisonnable que la Section d’appel des réfugiés exclue les nouveaux éléments de preuve étant donné qu’ils étaient disponibles avant l’audience de la Section de la protection des réfugiés.

[12]  La première question à aborder concerne la norme de contrôle. Je vais commencer avec la première norme de contrôle, soit celle que la Cour doit appliquer aux décisions de la Section d’appel des réfugiés.

[13]  La norme de contrôle appropriée pour la Cour lors du contrôle d’une décision de la Section d’appel des réfugiés est celle de la décision raisonnable; voir l’arrêt Huruglica précité, au paragraphe 35. Par conséquent, la Cour ne devrait pas intervenir si la décision de la Section d’appel des réfugiés est intelligible, transparente, justifiable et défendable au regard des faits et du droit : voir l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, au paragraphe 47.

[14]  Je passe maintenant à la deuxième norme de contrôle, soit celle que la Section d’appel des réfugiés doit appliquer aux appels logés contre une décision de la Section de la protection des réfugiés.

[15]  Lors du contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés, la cour de révision doit examiner la norme de contrôle appliquée par la Section d’appel des réfugiés à la décision de la Section de la protection des réfugiés. Dans l’arrêt Huruglica, précité, la Cour d’appel fédérale a dit ce qui suit au paragraphe 77 :

[...] Si je l’interprète en fonction du régime législatif et de ses objectifs, je ne trouve rien dans la LIPR qui justifie le recours à une norme du caractère raisonnable ou de l’erreur manifeste et dominante pour analyser les conclusions de fait, ou les conclusions mixtes de fait et de droit de la SAR (sic).

[16]  À la lumière des directives données par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, il n’y a habituellement que deux normes de contrôle, soit la norme de la décision raisonnable et celle de la décision correcte. Si la norme de la décision raisonnable ne s’applique pas, il ne reste que la norme de la décision correcte qui peut être appliquée par la Section d’appel des réfugiés lors de son examen de certaines questions soumises à la Section de la protection des réfugiés.

[17]  Au paragraphe 103 de l’arrêt Huruglica, précité, la Cour d’appel fédérale a conclu ce qui suit :

Au terme de mon analyse des dispositions législatives, je conclus que, concernant les conclusions de fait (ainsi que les conclusions mixtes de fait et de droit) comme celle dont il est question ici, laquelle ne soulève pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix, la SAR doit examiner les décisions de la SPR en appliquant la norme de la décision correcte. Ainsi, après examen attentif de la décision de la SPR, la SAR doit effectuer sa propre analyse du dossier afin de décider si la SPR a bel et bien commis l’erreur alléguée par l’appelant. Après cette étape, la SAR peut statuer sur l’affaire de manière définitive, soit en confirmant la décision de la SPR, soit en cassant celle-ci et en y substituant sa propre décision sur le fond de la demande d’asile. [...]

[18]  À mon avis, le paragraphe précité indique que la Section d’appel des réfugiés doit appliquer la norme de la décision correcte lorsqu’elle examine les décisions de la Section de la protection des réfugiés qui ne soulèvent pas la question de la crédibilité des témoignages de vive voix.

[19]  Après avoir examiné les observations écrites et orales des parties, je suis d’accord avec le demandeur qu’en l’espèce, la Section d’appel des réfugiés n’a pas effectué sa propre évaluation de la demande. Elle a plutôt fait référence aux conclusions précises tirées par la Section de la protection des réfugiés et les a simplement adoptées.

[20]  La Section d’appel des réfugiés a fait preuve de trop de déférence. Sa décision ne démontre pas clairement qu’elle a exercé un jugement indépendant. Dans la décision Khachatourian c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 182, le juge a conclu qu’un tel manquement constituait une erreur. À mon avis, la déférence excessive dont la Section d’appel des réfugiés a fait preuve constitue une erreur susceptible de révision.

[21]  Dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire que je traite de l’autre question soulevée.

[22]  Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour un nouvel examen conformément à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica, précité.

[23]  L’avocat du demandeur me demande de certifier la même question qui avait été proposée aux fins de certification dans Sinnaraja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 778, à savoir :

La SAR doit-elle démontrer un certain degré de déférence envers les conclusions de la SPR relatives à la crédibilité? Le cas échéant, quel degré de déférence doit-elle démontrer?

[24]  L’avocat du défendeur s’oppose à la certification de la question.

[25]  Je souscris aux observations du défendeur à ce sujet.

[26]  L’erreur dans la présente instance ne repose pas sur la crédibilité du témoignage du demandeur. La question proposée aux fins de certification n’est pas déterminante de la présente demande de contrôle judiciaire et ne sera pas certifiée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La demande de contrôle judiciaire est autorisée, la décision est annulée et l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvel examen, conformément à la décision rendue par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 369 DLR (4th) 527 (CAF). Il n’y a aucune question à certifier.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour d’août 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3133-16

 

INTITULÉ :

MUDALIGE DON HEWAGAMA MANIK MADAVA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 janvier 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Robert Israel Blanshay

Pour le demandeur

 

Suzanne M. Bruce

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robert Israel Blanshay

Société professionnelle

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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