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Date : 20170209


Dossier : IMM-3323-16

Référence : 2017 CF 162

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 février 2017

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

ANDREJ MANDRIC

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Andrej Mandric (le demandeur) en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR), à l’encontre d’une décision rendue le 30 juin 2016 par le gestionnaire du Programme d’immigration (l’agent) de l’ambassade du Canada à Vienne, par laquelle l’agent a rejeté la demande d’autorisation de revenir au Canada (ARC) du demandeur (la décision). La demande d’autorisation a été accueillie le 8 novembre 2016.

II.                 Faits

[2]               Le demandeur est un citoyen de la Croatie. Il est arrivé au Canada le 23 février 2013 et a demandé l’asile. Le demandeur a été visé par une mesure d’interdiction de séjour le 24 mars 2013, et sa demande d’asile a été rejetée en mai 2013. Le demandeur a finalement quitté le Canada le 1er février 2014, quelque neuf mois après la délivrance de la mesure d’interdiction de séjour. Par conséquent, le demandeur a été réputé expulsé.

[3]               Le demandeur a fait la rencontre de son épouse actuelle, qui est également son répondant (l’épouse du demandeur), en mars 2013. L’épouse du demandeur est une citoyenne canadienne qui vit au Canada depuis près de 30 ans. Elle travaille actuellement comme travailleuse sociale; elle possède une maîtrise dans ce domaine et espère obtenir son doctorat. C’est à cause de cette rencontre que le demandeur est resté au Canada après la date prévue par la mesure d’interdiction de séjour qui le visait; cette relation n’en était alors qu’à ses débuts et ils voulaient voir si elle évoluerait. Et c’est ce qui s’est produit. Le demandeur et son épouse se sont mariés (en Croatie, où il était retourné), en juillet 2014. L’authenticité du mariage a été évaluée et admise par un autre agent d’immigration à l’issue d’une entrevue.

[4]               Le demandeur et son épouse n’ont pas eu d’enfants ensemble. L’épouse du demandeur a cependant deux enfants d’un précédent mariage : un fils de 19 ans qui poursuit des études postsecondaires et que l’épouse du demandeur soutient sur les plans financier et affectif, ainsi qu’une fille de 28 ans à laquelle l’épouse apporte un soutien affectif. Les deux enfants résident au Canada.

[5]               Comme le demandeur a prolongé son séjour indûment après le rejet de sa demande par la SPR, il ne pouvait revenir au Canada sans une ARC. Il a donc présenté une demande à cette fin. Cette demande a été rejetée, et c’est ce rejet qui fait l’objet du présent contrôle judiciaire.

[6]               Parallèlement à la demande d’ARC présentée par le demandeur, l’épouse du demandeur a présenté une demande de parrainage afin que le demandeur obtienne le statut de résident permanent au titre du « regroupement familial ». La demande de parrainage a été rejetée parce que l’épouse du demandeur avait, à son insu, manqué à un engagement qu’elle avait pris durant les années 1990 à l’égard de son ex-beau-père et qui prévoyait le remboursement de toute prestation d’assistance sociale qu’il recevrait. Le rejet de la demande de parrainage n’est pas l’objet du présent contrôle judiciaire.

[7]               C’est le manquement à l’engagement de parrainage qui est crucial à l’examen de la présente demande. L’épouse du demandeur avait parrainé son ex-beau-père (son beau-père à l’époque) et s’était engagée à couvrir pendant dix ans toute prestation d’assistance sociale qui lui serait versée. La mère du demandeur et son ex-beau-père ont fini par divorcer. Selon le gouvernement ontarien, quelque temps après ce divorce, l’ex-beau-père a touché des prestations d’assistance sociale durant une période d’un an, soit de septembre 2001 à septembre 2002. Les sommes versées ont totalisé 5 438,38 $,

[8]               Les éléments de preuve présentés à l’agent ont permis d’établir que l’épouse du demandeur ne savait pas que son ex-beau-père avait touché des prestations, cela s’étant produit après le divorce de sa mère et de son ex-beau-père. Elle ne l’a appris que dans le cadre de sa demande de parrainage du demandeur, et elle a remboursé le montant intégral immédiatement après en avoir été informée.

[9]               Malheureusement, les notes du Système mondial de gestion des cas (SMGC), également présentées à l’agent, contenaient des renseignements selon lesquels l’épouse du demandeur : (1) a manqué à son engagement relatif aux prestations d’assistance sociale versées à ses deux parents (au pluriel), ce qui est faux puisque seul son ex-beau-père était concerné; et (2) a été en défaut pendant une période de six ans, soit du 24 août 2001 au 22 octobre 2007, ce qui est également erroné puisqu’il s’agit d’un an seulement, et non de six ans. Qui plus est, ni la date de début ni la date de fin indiquées dans le SMGC, soit le 24 août 2001 et le 22 octobre 2007, ne sont exactes.

[10]           Pourquoi les notes du SMGC comportent-elles autant d’erreurs, je l’ignore. La question en litige consiste en partie à déterminer si le demandeur devrait voir sa demande rejetée compte tenu de ces erreurs.

[11]           Nonobstant les affirmations selon lesquelles l’agent a agi de manière raisonnable, tant en prenant acte des notes du SMGC versées au dossier que dans son évaluation globale de la demande d’ARC du demandeur, il a également été admis que la lettre du gouvernement de l’Ontario, précisant les dates, le montant et la nature de l’endettement, était authentique. Bien qu’on ait laissé entendre qu’il pourrait y avoir d’autres manquements de la part du demandeur ne figurant pas au dossier, ces suggestions ne sont que pure hypothèse, d’autant que les éléments de preuve attestent au contraire que le répondant a remboursé sa dette, comme l’a constaté l’agent.

[12]           À mon humble avis, les renseignements dans le SMGC concernant le manquement à l’engagement du répondant sont non seulement erronés, mais ils constituent des erreurs monumentales, puisque à la fois les parties, les dates et la période sont fausses.

III.               Décision

[13]           Le 30 juin 2016, l’agent a rejeté la demande d’ARC présentée par le demandeur en vertu du paragraphe 52(1) de la LIPR. Les motifs énoncés ci-après figurent dans les notes du SMGC où il est à maintes fois fait référence au manquement à l’engagement. Ce manquement a rendu l’épouse du demandeur inadmissible à un parrainage, ainsi qu’il est indiqué dans des motifs distincts formulés à l’appui du rejet de la demande. L’importance du manquement à l’engagement s’est répercutée sur les faits et sur les motifs invoqués pour rejeter la demande d’ARC :

[traduction] La demande d’ARC a été examinée avec soin en tenant compte des renseignements figurant sur la demande et dans le Système de soutien des opérations des bureaux locaux [SSOBL] ou le SMGC. Le demandeur principal est de nationalité croate. Il est arrivé au Canada le 23 FÉVRIER 2013. Il a présenté une demande d’asile le jour même, en invoquant sa bisexualité. La mesure d’interdiction de séjour est entrée en vigueur le 24 MARS 29013 [sic]. La demande d’asile a été rejetée le 9 MAI 2013. Le départ a été confirmé le 1er FÉVRIER 2014 et les frais de renvoi ont été assumés par le transporteur aérien. Le demandeur principal est réputé avoir été expulsé. Le demandeur principal a rencontré son répondant en MARS 2013. Ils ont entamé une relation et ils se sont mariés en Croatie le 5 JUILLET 2014. La demande de parrainage pour les époux (CF1) a été présentée le 15 OCTOBRE 2014. Une décision défavorable a été rendue concernant l’admissibilité du répondant, car l’épouse du demandeur avait parrainé des parents [sic] dans le cadre d’une demande CF4 précédente et qu’elle avait pris à leur égard un engagement de parrainage de 10 ans. Les parents ont obtenu le droit d’établissement à titre de membres de la catégorie CF4 le 11 DÉCEMBRE 1992 et ils ont touché des prestations d’assistance sociale du 24 AOÛT 2001 au 22 OCTOBRE 2007 [sic]. Or, comme les prestations en question ont été versées durant la période visée par l’engagement de parrainage, et qu’elles n’ont pas été remboursées à la province, le répondant était en défaut par rapport à cet engagement préalable selon l’article 135 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (le Règlement). Le répondant n’était donc pas admissible aux termes du sous-alinéa 133(1)g)(i) du Règlement. Elle a choisi de poursuivre, malgré son inadmissibilité. Bien que les prestations aient été remboursées à la province en 2015, le répondant demeure inadmissible en vertu du sous-alinéa 133(1)g)(i), car l’épouse du demandeur était en défaut au moment où la demande de parrainage a été présentée.  Le demandeur principal a été interrogé le 24 MARS 2015 et l’agent chargé de son dossier a indiqué que le mariage lui semblait authentique. Le répondant a deux enfants d’un précédent mariage, lesquels sont aujourd’hui âgés de 19 ans et 28 ans. Le demandeur principal et le répondant n’ont pas eu d’enfants ensemble. Au moment d’examiner la demande d’ARC.). [sic] je tiens compte du fait que le demandeur principal est marié à une citoyenne canadienne et que l’agent chargé du dossier semble convaincu de l’authenticité de leur mariage. Cependant, le demandeur principal n’a pas quitté le pays dans le délai prescrit et il est réputé avoir été expulsé. De plus, l’épouse du demandeur n’est pas admissible pour agir à titre de répondant en vertu de l’alinéa 133(1)g)(i) du Règlement, car elle a manqué à un engagement antérieur. Lorsque je prends en compte le non-respect des lois sur l’immigration par le demandeur principal et son répondant et le fait que le répondant peut aller rejoindre le demandeur principal en Croatie et y vivre en tant qu’épouse d’un ressortissant croate sans subir de préjudice indu, la Croatie étant un État membre de l’Union européenne, je ne suis pas convaincu qu’il existe des motifs impérieux de délivrer une ARC pour permettre au demandeur principal de revenir au Canada. En rendant ma décision, j’ai également examiné la demande en tenant compte de l’intérêt supérieur des enfants; je note toutefois que les deux enfants du répondant, qui sont nés d’un mariage précédent, ont atteint l’âge adulte et que le demandeur et le répondant n’ont pas eu d’enfants ensemble. L’ARC est refusée. Le formulaire IMM 1202 et la lettre de rejet ont été préparés et signés [traduction]. 

[Non souligné dans l’original]

[14]           Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision.

IV.              Question en litige

[15]           La seule question à trancher est de déterminer si la décision de l’agent est raisonnable.

V.                 Norme de contrôle

[16]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a établi aux paragraphes 57 et 62 qu’il n’est pas nécessaire de se livrer à une analyse du critère de contrôle si « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La décision rendue par un agent d’immigration relativement à une demande d’ARC est sujette à un contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Lilla c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 568, au paragraphe 27, en présence de monsieur le juge Diner).

[17]           Au paragraphe 47 de l’arrêt Dunsmuir, la Cour suprême du Canada explique ce que doit faire une cour lorsqu’elle effectue une révision selon la norme de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

VI.              Analyse

[18]           Bien qu’un certain nombre de questions aient été abordées, notamment celle de l’équité procédurale, la question déterminante en l’espèce tient, à mon humble avis, au fait que l’agent s’est fondé sur des renseignements grossièrement erronés, à savoir la description erronée de la nature et de l’étendue de l’engagement relatif aux prestations d’assistance sociale. En résumé, je suis d’avis que les renseignements indiqués dans les notes du SMGC sont non seulement erronés, mais qu’ils constituent des erreurs monumentales, puisque à la fois les parties, les dates et la période sont fausses.

[19]           L’analyse des motifs commence par un énoncé de renseignements erronés sur les parties en cause, les dates et la durée. L’analyse qui en a découlé repose donc sur des fondements qui ne peuvent se justifier au regard du dossier.

[20]           Par conséquent, la décision repose sur des renseignements erronés, tant dans son analyse que dans sa conclusion :

[traductionDe plus, l’épouse du demandeur n’est pas admissible pour agir à titre de répondant en vertu de l’alinéa 133(1)g)(i) du Règlement, car elle a manqué à un engagement antérieur. Lorsque je prends en compte le non-respect des lois sur l’immigration par le demandeur principal et son répondant et le fait que le répondant peut aller rejoindre le demandeur principal en Croatie et y vivre en tant qu’épouse d’un ressortissant croate sans subir de préjudice indu, la Croatie étant un État membre de l’Union européenne, je ne suis pas convaincu qu’il existe des motifs impérieux de délivrer une ARC pour permettre au demandeur principal de revenir au Canada.

[Non souligné dans l’original]

[21]           L’agent tient compte d’abord des renseignements erronés en discutant de l’inadmissibilité de l’épouse du demandeur puis, quelques lignes plus tard, il mentionne précisément le « non-respect », en s’appuyant sur ces renseignements erronés pour justifier le rejet de la demande. L’utilisation de l’article défini « le » souligne le fait que l’agent ne faisait pas référence à un manquement en général, mais bien aux renseignements grossièrement erronés énoncés dès le début de la décision.

[22]           On me demande de faire abstraction de ces erreurs et de me fier au reste des motifs pour conclure au caractère raisonnable de la décision; cependant, il faudrait pour ce faire distinguer le vrai du faux. Les faits ne justifient ni n’appuient le rejet de la demande en raison du manquement à l’engagement invoqué, et se fier à des éléments de preuve aussi erronés va en fait à l’encontre du dossier. Les fondements factuels de ce que je considère comme un élément crucial de la décision, combinés à l’analyse et à la conclusion telles qu’elles ont été énoncées, font que je suis incapable de déterminer dans quelle mesure les renseignements grossièrement erronés au sujet du manquement à l’engagement ont influencé la décision. Je conclus que le caractère déraisonnable vicie la décision dans son intégralité et qu’il est risqué de la confirmer.

[23]           À mon humble avis, la décision va à l’encontre des éléments de preuve; elle n’appartient donc pas aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits, comme l’exige la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir. Par conséquent, le présent contrôle judiciaire doit être accueilli.

VII.            Question à certifier

[24]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et, à mon avis, aucune question ne se pose.

VIII.         Conclusions

[25]           La demande de contrôle judiciaire est accueillie. Il n’y a pas de question certifiée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire, la décision de l’agent est infirmée et l’affaire est renvoyée à un autre décisionnaire pour un nouvel examen, sans aucune question à certifier et sans ordonnance quant aux dépens.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3323-16

 

INTITULÉ :

ANDREJ MANDRIC c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

 

DATE :

Le 9 février 2017

 

COMPARUTIONS :

Patricia Wells

Pour le demandeur

 

Leanne Briscoe

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Patricia Wells Immigration Lawyers

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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