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Date : 20170126


Dossier : IMM-3097-16

Référence : 2017 CF 103

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 26 janvier 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

KEVIN EJIAFE AKPODUADO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision datée du 14 juin 2016 et par laquelle un agent des visas (l’agent) du Haut-Commissariat du Canada (HCC) d’Accra, au Nigéria, rejetait sa demande de résidence permanente au titre de la catégorie des travailleurs qualifiés (fédéral) [TQF] et le déclarait interdit de territoire au Canada pour une période de cinq ans pour fausse déclaration. La présente demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]  Le demandeur, un homme de 35 ans, est un citoyen du Nigéria. Il affirme avoir occupé le poste de responsable des encaissements à la Guaranty Trust Bank (GT Bank).

[3]  Le 10 octobre 2014, il a présenté une demande de résidence permanente à titre de TQF (sous le code 1212 de la Classification nationale des professions [CNP]).

[4]  La demande était accompagnée d’une lettre datée du 10 octobre 2014 et signée par le supérieur immédiat du demandeur, M. Timothy Agindotan (la lettre de recommandation). La lettre indique que depuis mars 2009, le demandeur occupait à temps plein le poste de responsable des encaissements à la GT Bank. La lettre mentionne également le salaire du demandeur, ainsi que ses tâches.

[5]  Le 10 octobre 2014, Tomiwa Akinbile, l’un des collègues du demandeur à la GT Bank a lui aussi présenté une demande de résidence permanente au Canada au titre de la catégorie des TQF. Même s’ils travaillaient dans deux succursales différentes de la GT Bank, le demandeur et son collègue étaient au courant de leurs démarches respectives et ont convenu d’utiliser les mêmes adresses de courriel et postales pour leur correspondance avec le HCC.

[6]  Le demandeur a reçu une lettre datée du 6 février 2015 dans laquelle il lui était annoncé que sa demande était admissible au traitement, et qu’un bureau des visas rendrait une décision définitive.

[7]  Comme le collègue du demandeur a également présenté une demande, l’agent des visas a reçu deux demandes de résidence permanente, chacune étant accompagnée de deux lettres de recommandation (les lettres) de deux employés de la même banque et portant la même date. Ce concours de circonstances a soulevé des doutes chez l’agent quant à l’authenticité des lettres.

[8]  La GT Bank a été invitée à confirmer leur authenticité. Dans une lettre datée du 28 juillet 2015, la GT Bank a répondu ce qui suit : [traduction] « Veuillez noter que les lettres n’ont pas été signées conformément à la politique de la Banque et que, par conséquent, nous ne pouvons donner de confirmation. » (le refus). La lettre était particulière, mais l’agent n’a pas cherché à savoir s’il fallait en déduire que le demandeur n’était pas responsable des encaissements à la GT Bank.

[9]  Le 30 juillet 2015, le demandeur et son collègue ont tous les deux envoyé des courriels à l’agent, depuis la même adresse, pour lui signifier qu’ils étaient au courant de ses démarches auprès de la GT Bank pour faire authentifier le contenu des lettres. Dans son courriel, le demandeur explique que la GT Bank avait vérifié auprès de son supérieur s’il avait bel et bien rédigé la lettre de recommandation, et que la démarche s’était soldée par un refus parce que les lettres n’émanaient pas du service des ressources humaines de la banque. Le courriel du demandeur explique en outre qu’il avait demandé à son supérieur d’écrire la lettre de recommandation parce que le service des ressources humaines ne fournissait pas de lettre contenant des renseignements tels que la description de son poste, requise pour la qualification au titre de la CNP 2012.

[10]  Étant donné le refus de la GT Bank d’authentifier la lettre de recommandation, le HCC a transmis au demandeur une lettre relative à l’équité procédurale datée du 15 mars 2016, laquelle renvoie à la lettre de recommandation et énonce notamment :

[traduction] Plus particulièrement, nous pensons que la lettre d’emploi de la GT Bank que vous avez fournie à l’appui de votre demande pourrait être frauduleuse.

[11]  Le demandeur a répondu à l’allégation de fraude dans une lettre datée du 18 mars 2016 (la réponse). Il y explique à nouveau qu’il avait demandé à son supérieur immédiat, M. Agindotan, de rédiger la lettre de recommandation parce que le formulaire IMM5612-E de Citoyenneté et Immigration Canada exige que les lettres doivent être « signées par l’agent ou le supérieur responsable » et inclure notamment les « principales responsabilités et tâches liées à chaque poste » occupé par le demandeur. Il réitère ce qu’il affirmait dans son courriel du 30 juillet 2015, c’est-à-dire que le service des ressources humaines de la GT Bank ne pouvait pas fournir une telle lettre.

[12]  Le demandeur a joint d’autres documents à sa réponse. Parmi ceux-ci se trouvent l’offre d’emploi initiale pour le poste d’agent adjoint aux opérations bancaires, une lettre de promotion confirmant sa promotion au poste d’agent aux opérations bancaires, ainsi qu’une lettre du service des ressources humaines de la GT Bank confirmant son titre d’agent des opérations bancaires. Le demandeur a soumis une Déclaration solennelle énumérant ses tâches, telles qu’elles étaient décrites dans la lettre de recommandation, et expliquant que la GT Bank ne fournirait pas de lettre contenant une description de son poste. Il a également produit les courriels échangés entre lui et le service des ressources humaines, qui y confirme qu’il ne fournirait pas la lettre demandée. Dans son courriel du 17 mars 2016, la GT Bank précise ce qui suit : [traduction« Nous ne fournissons pas de lettre donnant la description du poste occupé par le personnel actuel de la banque. »

[13]  La réponse soulève un nouveau problème : aucun des documents émanant de la GT Bank n’indique que le demandeur y occupe un poste de responsable des encaissements. Le seul document qui évoque son travail de responsable des encaissements est la Déclaration solennelle qu’il a lui-même déposée et qui est attestée par son supérieur, qui avait rédigé la lettre de recommandation dont la GT Bank avait refusé d’attester l’authenticité.

[14]  La réponse n’explique pas pourquoi le demandeur est désigné comme un agent aux opérations bancaires par la GT et comme un responsable des encaissements par son supérieur immédiat.

[15]  Dans les notes du Système mondial de gestion des cas (les notes), l’agent examine la réponse et affirme ce qui suit :

[traduction] Au vu de la preuve à jour, il semble que le demandeur principal n’ait jamais occupé le poste de responsable des encaissements. Le demandeur n’a pas su expliquer les divergences dans sa réponse. Je conclus donc que le demandeur principal a travaillé comme agent aux opérations bancaires à la GT Bank, mais je ne puis conclure qu’il y a occupé un poste de responsable des encaissements.

[Non mis en gras dans l’original.]

[16]  Dans les notes, l’agent confirme que le demandeur a été agent aux opérations bancaires à la GT Bank, mais le refus de celle-ci conduit l’agent à dire qu’aucune preuve crédible ne permet d’affirmer que le demandeur a été responsable des encaissements. L’agent a cependant reçu une confirmation écrite de la GT Bank de l’explication souvent répétée par le demandeur concernant la lettre de recommandation, savoir qu’il s’était adressé à son supérieur immédiat parce que le service des ressources humaines ne pouvait pas lui fournir cette lettre. Les notes n’indiquent pas si l’agent a tenu compte de cette explication.

[17]  La décision est datée du 14 juin 2016. En voici un extrait :

[traduction] Je ne suis pas convaincu que vous avez rempli la première, la deuxième et la troisième partie des exigences, car un examen de votre demande a soulevé des doutes quant à la question de savoir si vous avez réellement occupé un poste de responsable des encaissements. Une vérification rigoureuse a été effectuée pour éclaircir de manière concluante les doutes dont nous vous avons fait part concernant votre expérience professionnelle.

[…]

Je suis parvenu à cette conclusion parce que vous avez produit des documents contenant des erreurs et fourni des renseignements contradictoires à l’appui de votre demande. La lettre d’emploi initiale que vous avez soumise concernant votre expérience professionnelle à la GT Bank comporte des renseignements contradictoires par rapport à ceux qui figurent dans la lettre datée du 18 mars 2016 et d’autres documents que vous avez fournis en réponse à notre lettre relative à l’équité procédurale. Vous n’avez pas été en mesure d’expliquer ces divergences dans votre réponse à notre lettre relative à l’équité procédurale.

[Non souligné dans l’original.]

[18]  Le 17 juin 2016, après avoir été informé de la décision, le demandeur a écrit à l’agent pour déplorer le manque de clarté du passage de la lettre relative à l’équité procédurale sur le caractère apparemment [traduction] « frauduleux » de sa lettre de recommandation. Selon le demandeur, la véritable question est de savoir s’il a véritablement de l’expérience et s’il a exercé les tâches inhérentes au poste de responsable des encaissements. Cependant, cette question n’est pas posée.

[19]  Il demande également un délai de 15 jours pour soumettre des documents émanant de la Spring Bank, un autre employeur mentionné sur sa demande au titre de la catégorie des TQF. Il demande que sa qualification au titre de la catégorie des TQF fasse l’objet d’un nouvel examen fondé sur les documents qui seront transmis par la Spring Bank. Toutefois, rien au dossier ne permet de savoir si ces documents ont été produits.

[20]  Les notes révèlent que la dernière pièce de correspondance provenant du demandeur est un courriel (le dernier courriel) expliquant que le [traduction] « titre » de son poste est « agent aux opérations bancaires », et que sa « classe d’emploi » est « responsable des encaissements ». Il joint une page du manuel de la GT Bank pour attester l’existence de ces désignations. Effectivement, la désignation [traduction] « Agent aux opérations bancaires » y figure, mais ce n’est pas le cas de [traduction] « responsable des encaissements », « Titre » et « Classe d’emploi ». Enfin, le demandeur sollicite un nouvel examen de sa demande de résidence permanente fondée sur son expérience à la GT qui ne tiendrait pas pour acquis qu’il a fait de fausses déclarations quant aux faits (le nouvel examen).

I.  Les questions en litige

[21]  Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La lettre relative à l’équité procédurale a-t-elle bien informé le demandeur des doutes de l’agent?

  2. L’agent a-t-il envisagé le fait qu’un agent aux opérations bancaires pouvait être un responsable des encaissements?

  3. L’agent s’est-il fondé sur les éléments de preuve joints à la demande du collègue pour remettre en question la crédibilité du demandeur?

  4. L’agent a-t-il commis une erreur en omettant de faire un nouvel examen de la demande de résidence permanente du demandeur?

II.  La norme de contrôle

[22]  Les questions relatives à l’équité procédurale seront examinées selon la norme de la décision correcte. Les autres questions en litige seront examinées selon la norme de la décision raisonnable.

III.  Analyse et conclusions

A.  Première et troisième questions en litige

[23]  Au moment de la rédaction de la lettre relative à l’équité procédurale, le 15 mars 2016, les notes indiquent que l’agent entretenait des doutes après le refus de la banque. Le demandeur affirme que l’agent avait également évoqué des doutes concernant la crédibilité, nés du fait que son collègue et lui avaient déposé leur demande de résidence permanente et transmis des courriels aux mêmes dates. Les notes révèlent toutefois que l’agent avait examiné les deux demandes le jour de l’envoi de la lettre relative à l’équité procédurale, et qu’aucun des doutes exprimés ne donne à croire que la demande du collègue nuisait à celle du demandeur. De fait, les deux avaient un problème en commun, car la GT Bank avait également refusé de confirmer l’authenticité de la lettre de recommandation du collègue.

[24]  Quoi qu’il en soit, les pièces jointes à la réponse à la lettre relative à l’équité procédurale ont soulevé un nouveau problème, évoqué précédemment : dans tous les documents de la GT Bank, le demandeur est désigné comme un agent aux opérations bancaires. Cette désignation diverge du contenu de la lettre de recommandation et de la Déclaration solennelle signée par le demandeur et jointe à sa réponse, qui le désignent comme responsable des encaissements. La réponse ne donne pas d’explication sur ces divergences. Le demandeur fait maintenant valoir que, par souci d’équité, l’agent était tenu de lui transmettre une seconde lettre relative à l’équité procédurale pour lui faire part des nouveaux doutes que lui avaient suscités les divergences apparentes et inexpliquées dans les documents joints à sa réponse.

[25]  À mon avis, l’envoi d’une seconde lettre relative à l’équité procédurale serait revenu à faire un « rapport d’étape » au demandeur. L’agent n’a aucune obligation de ce genre.

[26]  Enfin, le demandeur reproche son manque de clarté à la lettre relative à l’équité procédurale. Il estime que le mot [traduction] « frauduleux » ne lui permettait pas de comprendre que la description d’emploi soulevait des doutes. Cette prétention ne me convainc pas. À mon avis, le mot « frauduleux » signifie que rien dans la lettre de recommandation n’était digne de foi, y compris la description du poste et des tâches du demandeur.

B.  Deuxième question en litige

[27]  C’est seulement après avoir été notifié de la décision que le demandeur a expliqué qu’il pouvait être à la fois agent aux opérations bancaires et responsable des encaissements. La page du manuel des employés de la GT Bank jointe au dernier courriel était supposée expliquer les désignations données à ses employées par la banque mais, pour les motifs énoncés au paragraphe 20 ci-dessus, le manuel s’est avéré inutile. L’agent ne disposait donc d’aucun document de la banque qui aurait pu l’aider à comprendre et à accepter l’explication du demandeur concernant les titres utilisés par la banque.

C.  Troisième question en litige

[28]  Les notes indiquent que le nouvel examen demandé dans le dernier courriel n’a pas été effectué. J’estime que cette omission confère un caractère déraisonnable à la décision à la lumière de certains faits inusités de la présente affaire :

  • Le demandeur travaille à la GT Bank.

  • La soumission d’une demande similaire de résidence permanente par l’un de ses collègues n’avait rien de douteux.

  • Il se peut que le refus de la GT Bank, à l’origine des problèmes du demandeur, ait été motivé par le non-respect de sa politique en matière de signature; il ne signifie pas forcément que le demandeur n’y était pas responsable des encaissements.

  • Le demandeur a informé l’agent que du personnel de contrôle interne de la GT Bank avait vérifié que son supérieur avait bel et bien rédigé la lettre de recommandation.

  • Le demandeur a expliqué que la GT Bank n’autorisait pas son service des ressources humaines à fournir la lettre de recommandation dont il avait besoin pour sa demande de résidence permanente, et il a fourni des documents à l’appui.

[29]  Dans le cadre du nouvel examen, l’agent devra communiquer directement avec le supérieur (par téléphone, de préférence) afin d’établir si la lettre de recommandation énonce exactement le titre du poste et les tâches du demandeur.

IV.  Conclusion

[30]  La demande sera accueillie.

V.  Question à certifier

[31]  Aucune question n’a été posée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande et exige un nouvel examen de la demande de résidence permanente du demandeur conformément au paragraphe 29 de la présente décision.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-3097-16

 

INTITULÉ :

KEVIN EJIAFE AKPODUADO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 25 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 26 janvier 2017

 

COMPARUTIONS :

Oluwakemi Oduwole

 

Pour le demandeur

Kevin Doyle

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Topmarke Attorneys LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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