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Date : 20170208

Dossier : T-2171-15

Référence : 2017 CF 155

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 février 2017

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

JULIUS VARADI

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Le demandeur, M. Julius Varadi, est pilote professionnel et travaille comme commandant de bord d’aéronefs civils depuis environ 35 ans. Le poste qu’occupe M. Varadi exige qu’il ait accès à des zones d’accès restreint dans des aéroports et qui sont réservées aux employés qui ont reçu une habilitation de sécurité du ministre des Transports (le ministre) aux termes des dispositions de la Loi sur l’aéronautique, LRC (1985), c A-2 (la Loi), de ses règlements et des politiques adoptées en vertu de celle-ci. Jusqu’à tout récemment, M. Varadi avait reçu l’approbation pour recevoir l’habilitation de sécurité en matière de transport (HST), afin de travailler comme pilote à l’aéroport international Pierre-Elliott Trudeau à Montréal.

[2]  Au début de l’année 2015, la Gendarmerie royale canadienne (GRC) a envoyé un rapport au Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (le Programme HST) de Transports Canada concernant quatre incidents impliquant M. Varadi, où M. Varadi a proféré par courriel des menaces de mort contre divers organismes. Le Programme HST a pour but d’empêcher que des gestes illégaux perturbent les systèmes de transport. Conformément au Programme, les pilotes professionnels tels que M. Varadi doivent recevoir leur HST et répondre aux critères de vérifications approfondies des antécédents pour pouvoir exercer leur profession.

[3]  À la réception du rapport de la GRC, Transports Canada a enquêté sur la question et, en octobre 2015, l’organisme consultatif d’examen d’habilitation de sécurité en matière de transport (l’organisme consultatif) est arrivé à la conclusion que M. Varadi [traduction] « était sujet ou pouvait être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ». En décembre 2015, après avoir examiné le rapport de la GRC, les observations de M. Varadi, et la recommandation de l’organisme consultatif, la directrice générale de la sûreté de l’aviation à Transports Canada (la directrice générale), agissant au nom du ministre, a décidé de révoquer et d’annuler l’HST de M. Varadi (la décision).

[4]  M. Varadi s’est adressé à la Cour pour obtenir le contrôle judiciaire de la décision. Il fait valoir que la décision est déraisonnable et fondée sur diverses conclusions de fait erronées. M. Varadi affirme s’être attendu en toute légitimité que Transports Canada n’annule pas son HST qui venait d’être renouvelée en 2014. Enfin, M. Varadi prétend que l’organisme consultatif et la directrice générale ont violé les règles d’équité procédurale en ne lui donnant pas une chance équitable de répondre aux actes qui lui étaient reprochés et qu’ils n’ont pas adéquatement pris en considération le grave préjudice qu’a causé la décision à sa vie, étant donné que la révocation de son HST entraînait la perte de son emploi de pilote.

[5]  La demande de contrôle judiciaire déposée par M. Varadi soulève quatre questions : 1) la décision délivrée par la directrice générale était-elle raisonnable?; 2) existait-il une attente légitime que Transports Canada n’annule pas l’HST de M. Varadi?; 3) la directrice générale a‑t‑elle manqué à son devoir d’équité procédurale à l’endroit de M. Varadi?; et 4) la directrice générale devait-elle envisager d’autres mesures moins intrusives que l’annulation de l’HST de M. Varadi?

[6]  Pour les motifs ci-après, je dois refuser la demande de M. Varadi. Je ne peux conclure que la décision d’annuler l’HST de M. Varadi était déraisonnable. Au contraire, la décision tient compte de la preuve, et constitue une issue pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Je conclus que la décision possède tous les attributs nécessaires de justification, de transparence et d’intelligibilité, et qu’elle appartient aux issues possibles acceptables offertes à la déléguée du ministre. Je conclus aussi que la doctrine de l’attente légitime ne s’applique pas au présent dossier et que, à tout moment, M. Varadi a été traité équitablement et a eu de multiples occasions de répondre aux arguments présentés contre lui. En outre, la déléguée du ministre n’était tenue à aucune obligation expresse ou implicite de prendre en considération toute mesure autre que l’annulation recommandée par l’organisme consultatif. Par conséquent, notre Cour n’a aucune raison de modifier la décision.

II.  Résumé des faits

A.  Contexte factuel

[7]  M. Varadi est pilote professionnel et commandant de bord d’aéronefs civils depuis le début des années 1980. Il a reçu sa première habilitation de sécurité en 2009, et l’HST de M. Varadi a été renouvelée par Transports Canada en 2014.

[8]  Au début du mois de janvier 2015, la Section du filtrage sécuritaire (SFS) de la GRC a acheminé un rapport de vérification des antécédents criminels sur M. Varadi à Transports Canada. Le rapport de la GRC signalait quatre incidents distincts se rapportant à M. Varadi entre 2007 et 2013, dévoilés par suite de vérifications de routine menées par la GRC à l’appui du Programme HST. Le rapport révélait ce qui suit :

[traduction]

A.  En février 2007, M. Varadi a envoyé un courriel par l’intermédiaire du site Web de Service Canada qui était le suivant : « Je viens de tuer, une grosse crises [sic] de bitch, du gouvernement du Canada » et affirmait ne pas avoir terminé. Des courriels subséquents ont été acheminés par M. Varadi, qui formulaient des commentaires méprisants qui évoquaient les femmes et le Régime de pensions du Canada. La GRC a fait enquête, mais le dossier a été conclu sans qu’aucune accusation ne soit portée.

B.  En octobre 2010, M. Varadi a envoyé un courriel à la Sûreté du Québec depuis son site Web, pour réagir à une arrestation qui faisait les manchettes dans l’actualité. Le courriel se lisait ainsi : [traduction] « En passant, froggie, la descente chez l’idiot qui a envoyé des messages par Internet te rend encore plus con au cas où tu n’aurais pas compris, on ne veut pas vivre dans ta société québécoise alors va te faire foutre et tu peux bien mourir. Malheureusement, nous, les importés, sommes pris avec cette propriété, et tu n’aimes pas les importés, n’est-ce pas? Tu peux faire une descente au 18 des Lilas à Kirkland et te retrouver dans les nouvelles nationales. Ça me fera plaisir de vous dénoncer pour ce que vous êtes, de stupides nazis. Au revoir, Julius Varadi. » Aucune accusation n’a été portée contre M. Varadi à l’époque.

C.  En septembre 2011, M. Varadi a commencé à envoyer des courriels haineux à Pratt & Whitney Inc. En février 2012, il a envoyé un courriel au président de Pratt & Whitney indiquant que celui-ci devait être [traduction] « pendu, abattu par un peloton d’exécution ou encore mieux, décapité ». Un autre courriel disgracieux a suivi en mars 2012. Suivant ces courriels, M. Varadi a été interrogé par les policiers et s’est engagé à ne pas troubler l’ordre public.

D.  En octobre 2013, M. Varadi a envoyé un message sur le formulaire de mise en contact en ligne de l’Association des pilotes d’Air Canada, lequel indiquait que [traduction] : « La prochaine fois que je vois un idiot d’Air Canada me chier sur la tête, je vais certainement exploser et faire quelque chose qui me vaudra la prison à vie. Je ne suis qu’un homme. J’ai beaucoup de problèmes, je ne fais pas partie de la famille royale d’Air Canada. Vous chiez sur la tête de l’humanité, et c’est parce que vous êtes supérieur. Tu me chies sur la tête, je te tranche la gorge. Au revoir. Julius Varadi. » À l’occasion d’une rencontre interne de sécurité avec Air Canada suivant cet incident, M. Varadi a été informé des conséquences potentielles de ses gestes, mais aucune autre mesure n’a été prise par Air Canada.

[9]  Le 22 janvier 2015, suivant la réception du rapport de la GRC, Transports Canada a envoyé une lettre d’avis à M. Varadi, pour le prévenir que son HST faisait l’objet d’un examen en raison de ces quatre incidents (la lettre d’avis). La lettre d’avis informait M. Varadi que les renseignements compromettants découverts par la GRC, et qui n’étaient pas disponibles auparavant, avaient soulevé des inquiétudes quant à son aptitude à conserver son habilitation de sécurité. L’intégralité des renseignements présentés dans le rapport de la GRC était présentée dans la lettre. La lettre d’avis invitait aussi M. Varadi à présenter tout renseignement complémentaire se rapportant aux circonstances entourant les incidents, y compris toute circonstance atténuante. La lettre d’avis donnait aussi des détails sur le processus d’examen suivi par Transports Canada. À cet égard, M. Varadi était informé sur l’existence et le rôle de l’organisme consultatif qui aidait le ministre à accorder, à suspendre et à annuler les habilitations de sécurité, et a reçu un lien vers une version en ligne de la politique du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport (la politique du Programme HST). M. Varadi a aussi été informé que tout renseignement qu’il présentait ferait l’objet d’une considération attentivement dans la prise de la décision concernant son habilitation de sécurité. Enfin, il était informé du numéro de téléphone d’une personne avec qui communiquer s’il souhaitait parler de la situation.

[10]  M. Varadi a initialement reçu un délai de 20 jours suivant la réception de la lettre d’avis pour présenter des renseignements complémentaires à Transports Canada, mais deux prolongations officielles de ce délai lui ont ultérieurement été accordées. Entre le 26 janvier 2015 et le 14 septembre 2015, M. Varadi a envoyé un total de 79 courriels et a appelé Transports Canada quatre fois pour poser des questions, donner des renseignements et formuler des commentaires sur l’examen de son habilitation de sécurité mené par Transports Canada.

[11]  L’organisme consultatif s’est rassemblé le 2 octobre 2015 pour examiner les allégations portées contre M. Varadi et prendre connaissance des observations présentées par ce dernier, avant de faire une recommandation à la directrice générale. Le rôle de l’organisme consultatif est d’examiner les renseignements et de faire des recommandations au ministre se rapportant à la décision d’accorder, de refuser, d’annuler ou de suspendre les habilitations. Dans le procès‑verbal de la réunion tenu en octobre 2015, l’organisme consultatif a d’abord relevé que M. Varadi n’avait jamais fait l’objet d’une condamnation criminelle. Ensuite, il a examiné le rapport de la GRC et la participation de M. Varadi aux activités liées aux menaces qu’il avait proférées contre diverses entités. L’organisme consultatif a délibéré sur les quatre incidents en détail, et a relevé que les réactions de M. Varadi aux événements en question étaient [traduction] « graves, ne relevaient pas de la réaction pondérée, étaient disproportionnées et excessives ». Il soulignait aussi le crescendo des menaces formulées par courriel par M. Varadi, jusqu’à la menace de trancher la gorge d’une victime en octobre 2013.

[12]  L’organisme consultatif est arrivé à la conclusion que, selon la prépondérance des probabilités, M. Varadi [traduction] « était sujet ou pouvait être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ». L’organisme consultatif a indiqué avoir pris connaissance des multiples observations écrites présentées par M. Varadi, mais que M. Varadi n’a pas donné de renseignements suffisants pour dissiper les inquiétudes. L’organisme consultatif a de ce fait recommandé au ministre d’annuler l’habilitation de sécurité de M. Varadi.

[13]  La directrice générale, agissant en sa capacité de déléguée du ministre, a ensuite mené un examen indépendant du dossier de M. Varadi et décidé d’annuler l’HST de M. Varadi pour des motifs qui étaient, essentiellement, les mêmes que ceux énoncés par l’organisme consultatif. La décision a été communiquée à M. Varadi dans une lettre envoyée le 4 décembre 2015.

B.  La décision

[14]  Dans sa décision, la directrice générale a expliqué qu’elle avait annulé l’HST de M. Varadi après avoir examiné son dossier, y compris les renseignements indiqués dans la lettre d’avis de janvier 2015, les multiples observations de M. Varadi, la recommandation de l’organisme consultatif, et la politique du Programme HST.

[15]  La directrice générale s’est reportée aux renseignements concernant les quatre incidents, les décrivant comme des [traduction] « incidents liés à de graves menaces et des comportements de harcèlement à l’endroit des institutions publiques » et a relevé que ces événements soulevaient des inquiétudes sur le [traduction] « jugement, la fiabilité et le sérieux » de M. Varadi. La déléguée du ministre a aussi remarqué que la série de courriels envoyés à Air Canada, au gouvernement du Canada et à la Sûreté du Québec traduisait un [traduction] « accroissement des menaces ».

[16]  Plus particulièrement, la directrice générale a formulé des commentaires sur deux courriels qui posaient problème. Elle évoque d’abord un courriel envoyé en février 2012 au président de Pratt & Whitney, et cité les lignes où M. Varadi déclarait que le président devrait être [traduction] « pendu, abattu par un peloton d’exécution ou, encore mieux, décapité ». Ensuite, la directrice générale rappelle le courriel envoyé en octobre 2013 par l’intermédiaire du formulaire de mise en contact en ligne de l’Association des pilotes d’Air Canada, dans lequel M. Varadi affirme que la prochaine fois qu’un employé d’Air Canada ferait quelque chose qui lui déplaira, il explosera probablement et posera un geste qui lui vaudra une peine d’emprisonnement à vie.

[17]  Ensuite, la directrice générale mentionne l’affirmation de M. Varadi que ces courriels relevaient du sarcasme, en indiquant toutefois qu’elle estime néanmoins que les menaces proférées par M. Varadi étaient explicites et devaient être prises au sérieux. La décision rappelle aussi que les réactions de M. Varadi étaient excessives et sans commune mesure avec les événements qui les avaient déclenchées. La directrice générale s’adresse aussi à M. Varadi en ces termes : [traduction] « vous avez reconnu que certains de vos gestes étaient causés par le fait qu’il vous arrive de vous mettre en colère, de “sortir de vos gonds” et “d’exploser”, et que vous avez eu des idées meurtrières ». La directrice générale a ajouté que, même après avoir été réprimandé et averti des répercussions de ses gestes, M. Varadi n’en a pas moins continué d’envoyer des courriels menaçants et perturbants, sous prétexte qu’il était en colère.

[18]  La déléguée du ministre a donc conclu qu’il y avait raison de croire, selon la prépondérance des probabilités, que M. Varadi [traduction] « était sujet ou pouvait être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile », contrevenant aux objectifs de la politique du Programme HST. Les renseignements complémentaires présentés par M. Varadi n’ont pas été considérés comme suffisants pour atténuer ces inquiétudes. Pour ces motifs, l’HST de M. Varadi a été annulée.

C.  Cadre législatif et réglementaire

[19]  La délivrance ou l’annulation d’une habilitation de sécurité est régie par la loi, ses règlements, et les politiques qui s’y rattachent. Les procédures et les principes directeurs connexes du Programme HST sont définis par l’article 4.8 de la Loi, les articles I.1 à I.8 de la politique du Programme HST et d’autres dispositions des normes du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport, qui portent sur l’habilitation de sécurité.

[20]  Les principes applicables aux dossiers d’habilitation de sécurité ont été bien résumés par le juge Leblanc dans les décisions Henri c Canada (Procureur général), 2014 CF 1141, aux paragraphes 7 à 9, et dans Sargeant c Canada (Procureur général), 2016 CF 893 [Sargeant], aux paragraphes 26 à 29. Les extraits pertinents de la décision Sargeant indiquent ce qui suit :

[26]  En matière d’habilitation de sécurité, la Cour a affirmé trois principes importants.

[27]  Premièrement, l’article 4.8 de la Loi confère au ministre un large pouvoir discrétionnaire d’accorder, de suspendre ou d’annuler une habilitation de sécurité, qui l’autorise à prendre en considération tout facteur qu’il juge pertinent (décision Thep‑Outhainthany c. Canada (Procureur général), 2013 CF 59, au paragraphe 19, 425 FTR 247 [Thep-Outhainthany]; décision Brown c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au paragraphe 62 [Brown]).

[28]  Deuxièmement, puisque la sécurité aérienne est une question de grande importance et que l’accès aux zones réglementées est un privilège, et non un droit, le ministre, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré par l’article 4.8, peut pencher du côté de la sécurité du public, ce qui signifie qu’en évaluant les intérêts de la personne touchée et la sécurité du public, l’intérêt du public a préséance (décision Thep‑Outhainthany c. Canada, au paragraphe 17; décision Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160, aux paragraphes 53 et 59, 313 FTR 309 [Fontaine]; décision Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323, au paragraphe 14; décision Rivet c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, au paragraphe 15, 325 FTR 178).

[29]  Troisièmement, dans de telles affaires, l’accent est mis sur la propension des employés des aéroports à s’engager dans des activités susceptibles d’avoir une incidence sur la sécurité aérienne, ce qui exige une perspective large et tournée vers l’avenir. En d’autres termes, la politique « n’exige pas que le ministre croie selon la prépondérance des probabilités qu’un individu “commettra” un acte qui “constituera” un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou qu’il “aidera ou incitera” toute autre personne à commettre un acte qui “constituerait” une intervention illicite pour l’aviation civile, mais seulement qu’il soit “sujet” à le faire » (décision MacDonnell c. Canada (Procureur général), 2013 CF 719, au paragraphe 29, 435 FTR 202 [MacDonnell]; décision Brown, au paragraphe 70). Par conséquent, le refus ou l’annulation d’une habilitation de sécurité « ne requiert qu’une conviction raisonnable, selon la prépondérance des probabilités, qu’une personne est sujette ou susceptible de commettre un acte qui peut être préjudiciable pour l’aviation civile » (décision Thep-Outhainthany, précitée, au paragraphe 20). Toute conduite susceptible de mettre en doute le jugement, la fiabilité et l’honnêteté d’une personne constitue par conséquent un motif suffisant pour refuser ou annuler une habilitation de sécurité (décision Brown, au paragraphe 78; décision Mitchell c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1117, aux paragraphes 35 et 38 [Mitchell]).

[21]  La politique du Programme HST décrit le processus à suivre en cas de refus, d’annulation ou de suspension d’une HST, y compris le droit de la personne concernée d’être informée des allégations et de présenter des observations. La question est initialement soumise à l’organisme consultatif, qui soumet à son tour une recommandation au ministre ou à son délégué (qui, en l’espèce, est la directrice générale). À la réception de la recommandation de l’organisme consultatif, le ministre prend la décision finale de refuser ou d’annuler l’HST d’une personne (Sattar c Canada (Transports), 2016 CF 469 [Sattar], au paragraphe 6; Salmon c Canada (Procureur général), 2014 CF 1098 [Salmon], aux paragraphes 71 à 81).

[22]  Aux termes de l’article 4.8 de la Loi, le ministre a le pouvoir discrétionnaire d’accorder, de refuser, de suspendre ou d’annuler une habilitation de sécurité. Le ministre exerce ce pouvoir discrétionnaire conformément à la politique du Programme HST. L’objet du Programme est d’empêcher les actes illégaux de perturber l’aviation civile en n’accordant l’habilitation de sécurité qu’aux personnes qui répondent aux normes définies dans la politique. L’objet énoncé dans la politique du Programme HST, à l’article I.4, est d’empêcher l’entrée non contrôlée dans les zones règlementées d’un aéroport par toute personne, entre autres, « que le ministre croit, en s’appuyant sur les probabilités, être sujette ou susceptible d’être incitée à : commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile; aider ou inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile ».

D.  La norme de contrôle

[23]  La jurisprudence a déjà établi la norme de contrôle applicable à toutes les questions soulevées dans la demande de M. Varadi. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de procéder à une analyse détaillée pour déterminer la norme de contrôle appropriée (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 62).

[24]  Il est désormais acquis en matière jurisprudentielle que les décisions d’annulation d’une habilitation de sécurité doivent être évaluées selon la norme de contrôle de la décision raisonnable (Henri c Canada (Procureur général), 2016 CAF 38 [Henri CAF], au paragraphe 16; Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c Farwaha, 2014 CAF 56 [Farwaha], aux paragraphes 84 à 86); Rudd c Canada (Procureur général), 2016 CF 686 [Rudd], au paragraphe 10; Mitchell c Canada (Procureur général), 2015 CF 1117, au paragraphe 15, conf. par 2016 CAF 241; Clue c Canada (Procureur général), 2011 CF 323, au paragraphe 14). D’ailleurs, vu la nature hautement spécialisée de la procédure d’annulation de l’HST et l’expertise particulière de l’organisme consultatif et du ministre qui rend les décisions à ce sujet, le ministre a droit à un niveau élevé de retenue (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], au paragraphe 13; Shabbir c Canada (Procureur général), 2014 CF 1020, au paragraphe 28).

[25]  Lorsque la Cour examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse tient à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, et les conclusions du décideur ne devraient pas être modifiées tant que la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47). Selon la norme de la décision raisonnable, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et si la décision est étayée par une preuve acceptable qui peut être justifiée en fait et en droit, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable (Newfoundland Nurses, au paragraphe 17).

[26]  Quant à la révision des questions d’équité procédurale, elle est assujettie à la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa], au paragraphe 43; Rudd, au paragraphe 11; Weekes c Canada (Procureur général), 2015 CF 853, au paragraphe 9). Celle-ci dicte que la Cour doit s’assurer que la démarche empruntée a atteint le niveau d’équité exigé dans les circonstances de l’espèce (Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1, au paragraphe 115). Par conséquent, la question soulevée par l’obligation d’agir avec équité n’est pas tant de savoir si la décision était « correcte », mais plutôt de savoir si le processus suivi par le décideur était équitable (Aleaf c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 445, au paragraphe 21; Makoundi c Canada (Procureur général), 2014 CF 1177, au paragraphe 35).

[27]  L’obligation d’équité compte deux composants : le droit d’être entendu et le droit à une audience impartiale. La nature et la portée de l’obligation varient toutefois selon le contexte factuel que doit étudier l’organisme administratif, ainsi que la nature des litiges qu’il doit résoudre (Baker c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker], aux paragraphes 25 et 26). Dans tous les cas, toutefois, les questions relatives à l’équité procédurale ne créent pas de droits substantiels, mais concernent plutôt le processus suivi par le décideur (Baker, au paragraphe 26). L’attente légitime est un élément d’équité procédurale.

III.  Analyse

A.  La décision est raisonnable

[28]  M. Varadi a d’emblée affirmé que la décision était déraisonnable et [traduction] « fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont [le tribunal] disposait » (Motta c Canada (Procureur général), [2000] ACF no 27 (QL), au paragraphe 13). Il affirme que, à titre de pilote professionnel et commandant de bord d’aéronefs civils, il n’a jamais été visé par aucun bris de sécurité ou de sûreté. M. Varadi fait valoir que, considérés dans leur contexte, les courriels incriminants ne constituent pas la preuve qu’il représentait une menace à l’atteinte des objectifs de la loi ou de ceux du Programme HST. M. Varadi remarque aussi que les notes internes de la GRC qualifient ses dires d’[traduction] « allusions cyniques ».

[29]  Plus précisément, M. Varadi déplore que la décision lui ait attribué un aveu, qu’il dit ne pas avoir fait, d’avoir eu des idées meurtrières, une affirmation qui n’est fondée sur aucune preuve. M. Varadi prétend aussi que les faits ont été incorrectement interprétés dans la décision puisque le rapport de la GRC indiquait incorrectement que ses commentaires faits à la Sûreté du Québec en octobre 2010 se rapportaient à l’arrestation d’un individu qui avait menacé des professeurs, tandis que son courriel n’était pas lié à cet événement. M. Varadi plaide aussi que, alors que le ministre avance que ses courriels avaient été envoyés spontanément, le courriel adressé à l’Association des pilotes d’Air Canada en 2013 avait été déclenché par un graffiti pornographique tracé sur la cabine de pilotage d’un avion. M. Varadi déplore enfin le commentaire de l’organisme consultatif selon lequel, après l’événement d’octobre 2010, se rapportant à Pratt & Whitney, M. Varadi s’était engagé à ne pas troubler l’ordre public.

[30]  Je ne suis pas d’accord avec les observations de M. Varadi.

[31]  Le dossier indique clairement que M. Varadi a proféré des menaces contre la vie d’autrui dans diverses correspondances. Dans un courriel rédigé en 2007, il affirmait avoir tué une « bitch » du gouvernement du Canada. En 2010, son courriel à la Sûreté du Québec contenait les mots [traduction] « va te faire foutre et tu peux bien mourir ». En 2011, ses courriels au président de Pratt & Whitney exprimaient exactement qu’il devait être pendu, abattu par un peloton d’exécution ou, mieux encore, décapité. Enfin, en 2013, son message à l’Association des pilotes d’Air Canada était acerbe : [traduction] « [t]u me chies sur la tête, je te tranche la gorge ». La déléguée du ministre a donc eu raison de constater, d’après la preuve, que M. Varadi avait des [traduction] « idées meurtrières ». La seule lecture des courriels de M. Varadi révèle sans ambiguïté que ses choix de mots étaient explicites et sans équivoque, faisant ouvertement allusion à la mort de leurs destinataires.

[32]  À l’audience devant la Cour, l’avocat de M. Varadi a insisté sur ce que la directrice générale avait qualifié d’[traduction] « idées meurtrières » de M. Varadi, et affirmé que la décision attribuait incorrectement à M. Varadi l’aveu d’avoir eu de telles idées. Je ne me rallie pas à l’interprétation de l’avocat quant à cet aspect de la décision. Ainsi que l’a relevé le ministre, l’observation faite par la directrice générale ne vise pas un aveu écrit de M. Varadi, et n’est en fait pas citée à ce titre; il s’agit plutôt d’un constat de fait d’après les courriels de M. Varadi. Vu les énoncés explicites répétés par M. Varadi sur le meurtre d’êtres humains ([traduction] « va te faire foutre et tu peux bien mourir », le fait de [traduction] « décapiter » le président de Pratt & Whitney et de lui [traduction] « trancher la gorge »), il n’était certainement pas déraisonnable pour la directrice générale d’en arriver à la conclusion que, de la lecture de ces courriels de M. Varadi, se dégageaient des [traduction] « idées meurtrières ».

[33]  Pour ce qui est des allégations que le contexte dans lequel M. Varadi a envoyé son message à la Sûreté du Québec ne se rapportait pas à l’arrestation d’une personne qui avait exprimé son intention de tuer un ancien professeur, qu’un motif valide avait inspiré le courriel de M. Varadi à Air Canada et qu’il se soit véritablement engagé à ne pas troubler l’ordre public après l’incident lié à Pratt & Whitney, je ne m’émeus pas des arguments de M. Varadi puisque je ne considère pas comme importants ni pertinents ces facteurs dans la décision. Peu importe le contexte sous-jacent aux messages, la teneur des courriels demeure la même : ce sont les écrits réels de M. Varadi qui ont pesé dans la décision et qui ont donné lieu aux inquiétudes de la directrice générale. Le contexte dans lequel M. Varadi a proféré ses menaces par courriel n’a reçu aucune considération et n’a même pas été mentionné dans la décision. En outre, je relève que M. Varadi a eu de nombreuses occasions de contextualiser ses courriels menaçants, ce qu’il a fait dans des douzaines de courriels qu’il a acheminés à Transports Canada et à l’occasion de quatre appels téléphoniques chez ce dernier. Il est expressément indiqué, dans les recommandations de l’organisme consultatif et dans la décision, que les observations et les explications de M. Varadi ont été prises en compte.

[34]  Qui plus est, M. Varadi a reconnu avoir proféré des menaces dans ses multiples courriels.

[35]  Je suis sensible au fait que M. Varadi n’a aucun casier judiciaire et n’a jamais été associé à aucune activité criminelle. Je constate aussi que M. Varadi n’a jamais commis d’acte de nature à perturber directement l’aviation civile, et qu’il n’a jamais eu l’intention de le faire. Toutefois, ce n’est pas sur cette question que la déléguée du ministre devait rendre une décision. Il est certes possible que, pour M. Varadi, ses propos extravagants, ses mots explosifs et son langage agressant aient exprimé simplement sa colère et sa frustration, mais la directrice générale devait décider si, selon la prépondérance des probabilités, ces courriels lui donnaient raison de croire que M. Varadi était sujet ou pourrait être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. Elle a conclu que c’était bien le cas. La directrice générale a expressément reconnu la déclaration de M. Varadi selon laquelle ses commentaires se voulaient sarcastiques et des [traduction] « allusions cyniques », mais cela n’a pas suffi à apaiser ses inquiétudes compte tenu du ton et des mots choisis par M. Varadi dans ses courriels.

[36]  La norme de la décision raisonnable porte sur la justification, la transparence et l’intelligibilité de la décision contestée et son appartenance aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit. Elle oblige la Cour à faire preuve de retenue face aux conclusions du décideur administratif et prévoit qu’il ne revient pas à la Cour de faire un nouvel examen de la preuve et qu’elle doit se garder de remplacer par son avis celui du tribunal administratif (Dunsmuir, au paragraphe 47). Cela est encore plus vrai dans le contexte d’une habilitation de sécurité en matière de transport où il faut faire preuve d’une grande déférence à l’égard de l’expertise du ministre dans l’administration des dispositions législatives applicables. Comme l’a souvent rappelé la Cour suprême, la déférence est de mise lorsqu’un décideur agit à l’intérieur de son champ d’expertise spécialisé (Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, au paragraphe 46).

[37]  La cour de révision doit considérer les motifs dans leur ensemble, conjointement avec le dossier (Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36 [Agraira], au paragraphe 53; Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3). Qui plus est, un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34, au paragraphe 54). La Cour doit aborder les motifs en « essayant de les comprendre, et non pas en se posant des questions sur chaque possibilité de contradiction, d’ambiguïté ou sur chaque expression malheureuse » (Ragupathy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CAF 151, au paragraphe 15).

[38]  Ces issues raisonnables tirent leur essence du contexte de la décision (Dunsmuir, au paragraphe 64). Dans le présent dossier, ce contexte repose sur de multiples facteurs, « notamment le vaste pouvoir discrétionnaire dont jouit le ministre pour prendre en considération tout facteur pertinent, le fait que le ministre n’ait besoin que de croire, selon les probabilités, qu’une personne est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile, et la nature intrinsèquement prédictive et prospective d’une évaluation des risques » (Mitchell c Canada (Procureur général), 2016 CAF 241, au paragraphe 7). En outre, en soupesant les intérêts de la personne visée et la sécurité publique, les intérêts du public dans la sécurité aérienne doivent prévaloir (Sargeant, au paragraphe 28).

[39]  Suivant mon examen de la décision et de la preuve, je conclus qu’il était raisonnablement loisible à la directrice générale de conclure que la conduite de M. Varadi soulevait des inquiétudes sur son jugement, sa fiabilité et la confiance qu’il devait inspirer. Considérant que, dans un domaine d’une importance telle que celui de la sécurité aérienne, les mauvaises décisions peuvent avoir de graves conséquences (Farwaha, au paragraphe 92), je suis convaincu que la conduite menaçante de façon répétée de M. Varadi suffisait à soulever chez l’organisme consultatif et la directrice générale des questions sur le jugement de M. Varadi, sa fiabilité et la confiance qu’il devait inspirer, et à justifier la révocation de son habilitation de sécurité. Les conclusions sont suffisamment justifiées et rationnelles compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée au décideur. Dans ces circonstances, une Cour saisie du contrôle ne peut substituer la solution qu’elle juge elle-même appropriée à celle qui a été retenue (Khosa, au paragraphe 59).

[40]  L’annulation d’une habilitation de sécurité en matière de transport est une décision « très imbue de faits, de politiques, de décisions discrétionnaires, d’appréciations subjectives et d’expertise », ce qui fait en sorte que la directrice générale jouit d’une vaste marge d’interprétation de ce qu’englobent les issues acceptables et rationnelles (Paradis Honey Ltd c Canada, 2015 CAF 89, au paragraphe 137). Je ne relève rien dans le dossier dont je suis saisi qui me permettrait de conclure que la décision n’appartient pas à ces issues.

B.  Attente légitime

[41]  M. Varadi affirme aussi s’être attendu en toute légitimité et raisonnabilité que Transports Canada n’annule pas son HST en raison des événements antérieurs à 2014 (lorsque son HST a été renouvelée pour cinq ans). En fait, affirme M. Varadi, les quatre courriels posant problème et sur lesquels reposait la décision ont été communiqués entre 2007 à 2013, tandis que l’HST de M. Varadi a été renouvelée en 2009 et en 2014. M. Varadi prétend que « la théorie de l’expectative légitime est parfois considérée comme une forme de préclusion » et que cette doctrine peut s’appliquer aux cas où le gouvernement « était au fait de la conduite en cause ou qu’il s’est fié à son détriment » (Centre hospitalier Mont-Sinaï c Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41 [Mont-Sinaï], au paragraphe 30).

[42]  Il ne s’agit ni de la bonne interprétation ni de la bonne compréhension de la doctrine de l’attente légitime.

[43]  D’abord, d’un point de vue factuel, les événements reprochés n’ont pas été portés (et n’auraient pu être portés) à l’attention de Transports Canada avant que ne soit reçu le rapport de la GRC en janvier 2015, puisque des vérifications de routine menées par la SFS n’ont été effectuées qu’après le renouvellement, en 2014, de l’HST de M. Varadi. Cela a été expressément reconnu dans la lettre d’avis de janvier 2015 envoyée à M. Varadi : le rapport de la GRC avait révélé des renseignements défavorables qui n’étaient pas disponibles avant cette date. Autrement dit, aucune communication n’a été transmise à aucun moment à M. Varadi laissant entendre que son habilitation de sécurité ne pourrait pas être révoquée en raison d’événements antérieurs à la vérification des antécédents aux fins du renouvellement de son habilitation de sécurité en 2014.

[44]  Ensuite, aucune facette de la doctrine de l’attente légitime n’implique l’existence d’une attente que des faits ou des événements antérieurs au renouvellement d’une habilitation de sécurité ne seraient pas pris en considération par le ministre. Les « expectatives ne doivent pas entrer en conflit avec le mandat légal de l’autorité publique » (Mont-Sinaï, au paragraphe 29). L’attente légitime ne peut autrement permettre d’entraver le pouvoir discrétionnaire d’un décideur qui applique la loi (Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 RCS 525, aux pages 557 et 558). Un principe important de la doctrine de l’attente légitime est qu’elle ne peut s’appliquer pour contredire une interdiction prévue par la loi dans le cadre d’un processus pour lequel elle est envisagée (Lidder c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 212 (CAF), au paragraphe 28). En aucun cas, une autorité publique ne peut « se placer en conflit par rapport à ses obligations et négliger les exigences du droit » (Nshogoza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1211, au paragraphe 42; Oberlander c Canada (Procureur général), 2003 CF 944, au paragraphe 24). Autrement dit, la doctrine « ne peut pas servir à contredire l’intention clairement exprimée du législateur » de conférer la compétence à un décideur (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Dela Fuente, 2006 CAF 186, au paragraphe 19).

[45]  Non seulement Transports Canada ne connaissait pas la situation compromettante de M. Varadi jusqu’après la réception du rapport de la GRC en janvier 2015, mais il serait aussi contraire à l’objet du Programme HST, qui est d’assurer la sécurité tout en empêchant les actes illégaux de perturber l’aviation civile, d’accepter que les événements qui ont eu lieu avec le dernier renouvellement de l’HST, mais qui étaient inconnus à ce moment, ne devraient pas être pris en considération par le ministre.

[46]  Troisièmement, la doctrine de l’attente légitime s’inscrit dans les règles d’équité procédurale. Ainsi, elle ne prévoit que des protections procédurales et ne crée pas de droits substantifs (Baker, au paragraphe 26). La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Agraira, a récemment redéfini le statut actuel de la doctrine, aux paragraphes 94 à 97 [souligné dans l’original] 

[94] La théorie des attentes légitimes constitue la facette particulière de l’équité procédurale qui nous occupe dans le présent pourvoi. Cette doctrine a trouvé de solides assises en droit administratif canadien dans Baker, où la Cour a statué qu’il s’agit d’un facteur qu’il faut prendre en compte pour déterminer les exigences de l’obligation d’équité procédurale de la common law. Si un organisme public a fait des déclarations au sujet des procédures qu’il suivrait pour rendre une décision en particulier, ou s’il a constamment suivi dans le passé, en prenant des décisions du même genre, certaines pratiques procédurales, la portée de l’obligation d’équité procédurale envers la personne touchée sera plus étendue qu’elle ne l’aurait été autrement. De même, si un organisme a fait une représentation à une personne relativement à l’issue formelle d’une affaire, l’obligation de cet organisme envers cette personne quant à la procédure à suivre avant de rendre une décision en sens contraire sera plus rigoureuse.

[95] Les conditions précises à satisfaire pour que s’applique la théorie de l’attente légitime sont résumées succinctement comme suit dans un ouvrage qui fait autorité intitulé Judicial Review of Administrative Action in Canada :

[traduction] La caractéristique qui distingue une attente légitime réside dans le fait que celle-ci découle de la conduite du décideur ou d’un autre acteur compétent. Une attente légitime peut donc découler d’une pratique officielle ou d’une assurance voulant que certaines procédures soient suivies dans le cadre du processus décisionnel, ou qu’il soit possible de prévoir une décision favorable. De même, l’existence des règles de procédure de nature administrative ou d’une procédure que l’organisme a adoptée de son plein gré dans un cas particulier, peut donner ouverture à une attente légitime que cette procédure sera suivie. Certes, la pratique ou la conduite qui auraient suscité une attente raisonnable doivent être claires, nettes et explicites. (D. J. M. Brown et J. M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (feuilles mobiles), §7:1710; voir également Centre hospitalier Mont-Sinaï c. Québec (Ministre de la Santé et des Services sociaux), 2001 CSC 41 (CanLII), [2001] 2 R.C.S. 281, par. 29; Canada (Procureur général) c. Mavi, 2011 CSC 30 (CanLII), [2011] 2 R.C.S. 504, par. 68.) [Non souligné dans l’original.]

[96] Récemment, dans l’arrêt Mavi, le juge Binnie a expliqué ce que l’on entend par des affirmations « claires, nettes et explicites » en établissant une analogie avec le droit contractuel (par. 69) :

En général, on juge suffisamment précise pour les besoins de la théorie de l’attente légitime l’affirmation gouvernementale qui, si elle avait été faite dans le contexte du droit contractuel privé, serait suffisamment claire pour être susceptible d’exécution.

[97] L’impossibilité que la théorie de l’attente légitime constitue la source de droits matériels lui apporte une restriction importante (Baker, par. 26; Renvoi relatif au Régime d’assistance publique du Canada (C.-B.), [1991] 2 R.C.S. 525, p. 557). En d’autres mots, « [l]orsque les conditions d’application de la règle sont remplies, la Cour peut [seulement] accorder une réparation procédurale convenable pour répondre à l’expectative “légitime” » (S.C.F.P. c. Ontario (Ministre du Travail), 2003 CSC 29, [2003] 1 R.C.S. 539, par. 131 (je souligne)).

[47]  La doctrine protège le droit à une procédure équitable, et non le droit à un résultat donné. De ce fait, M. Varadi ne peut se fonder sur la doctrine de l’attente légitime pour revendiquer un droit substantif à un résultat en particulier du traitement de son habilitation de sécurité.

[48]  Pour tous ces motifs, je ne trouve aucun fondement à l’argument de M. Varadi sur l’attente légitime, et l’avocat de M. Varadi n’a d’ailleurs pas présenté cet argument à l’audience devant la Cour.

C.  Il n’y a pas eu de déni d’équité procédurale

[49]  M. Varadi prétend aussi ne pas avoir été informé des faits qui lui étaient reprochés et que, dans le processus qui a mené à l’annulation de son HST, l’organisme consultatif et la directrice générale ont violé les règles d’équité procédurale. Il observe que le manque d’information communiquée par Transports Canada, la GRC et la Sûreté du Québec ont rendu impossible pour lui de répondre à leurs allégations concernant les incidents reprochés. Afin de pouvoir y répondre, M. Varadi affirme qu’il aurait dû obtenir des renseignements complémentaires, notamment sur la constitution du dossier à son encontre et sur les faits sur lequel il reposait.

[50]  Je ne suis pas d’accord. Je ne me rallie pas à l’opinion de M. Varadi et constate plutôt l’absence de violation des principes d’équité procédurale dans le traitement de son dossier.

[51]  La nature et la portée de l’obligation d’équité procédurale sont souples, et varient selon les attributions du tribunal administratif et sa loi habilitante. Le niveau et la teneur de l’obligation d’équité procédurale dépendent du contexte propre à chaque cas. L’obligation d’équité procédurale vise à garantir que les décisions administratives sont le fruit d’une procédure équitable et ouverte, qui est adaptée au type de décision et à son contexte légal, institutionnel et social et qui offre aux personnes visées par la décision la possibilité de présenter leurs points de vue et leurs éléments de preuve intégralement afin qu’ils puissent être considérés par le décideur (Baker, aux paragraphes 21 et 22).

[52]  Dans l’arrêt Baker, la Cour suprême du Canada définit une liste non exhaustive de cinq facteurs à considérer pour mesurer l’obligation d’équité procédurale dont il convient de faire preuve dans une situation donnée : 1) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir; 2) la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit l’organisme en question; 3) l’importance de la décision pour les personnes visées; 4) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision; et 5) le respect des choix de procédure de l’organisme (Baker, aux paragraphes 23 à 28). Dans tous les cas, l’exigence porte sur le processus suivi et non sur les droits substantiels reconnus par le décideur.

[53]  La jurisprudence a établi que dans les cas de révocation d’une habilitation de sécurité déjà accordée, l’obligation d’équité, même si elle ne dépasse que légèrement le niveau minimal, n’en demeure pas moins au bas de l’échelle (Sattar, au paragraphe 25; Meyler c Canada (Procureur général), 2015 CF 357 [Meyler], aux paragraphes 27 et 28; Brown c Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, aux paragraphes 84 et 85; Pouliot c Canada (Transports), 2012 CF 347, aux paragraphes 9 et 10). L’obligation d’équité procédurale demeure donc minime, même si la personne dont l’habilitation de sécurité est révoquée a droit à un niveau plus élevé d’équité procédurale qu’une autre personne dont la demande a simplement été refusée (Salmon, au paragraphe 46).

[54]  Les litiges sur le niveau d’équité procédurale à accorder dans le contexte d’une annulation d’une habilitation de sécurité ont récemment fait l’objet d’un examen et d’une décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Henri CAF : l’équité procédurale exige uniquement que les personnes dans la situation de M. Varadi soient informées des faits allégués, et qu’elles aient droit à ce « que l’on permette véritablement aux personnes dans sa situation de répondre aux éléments de preuve contre elles, et que l’on prenne en considération cette réponse » (Henri CAF, au paragraphe 35). Même si la Cour d’appel fédérale a reconnu que la décision de révoquer une habilitation de sécurité est d’une « immense importance pour cette personne », surtout lorsque l’emploi d’une personne dépend du maintien d’une habilitation de sécurité, elle rappelle que ce n’est là qu’un des facteurs à prendre en considération pour déterminer le contenu de l’obligation d’équité procédurale du ministre envers un demandeur (Henri CAF, au paragraphe 23). La Cour d’appel fédérale a jugé que « la nature de la décision et le régime législatif militent en faveur de niveaux réduits d’équité procédurale », même si la perte d’un emploi peut avoir des conséquences importantes (Henri CAF, au paragraphe 25).

[55]  M. Varadi connaissait tous les faits présentés à l’organisme consultatif et à la déléguée du ministre, et a eu de nombreuses occasions d’y répondre. Il a été informé des allégations contre lui dans la lettre d’avis et a été invité à y répondre. En effet, avant l’examen du dossier par l’organisme consultatif, M. Varadi avait été informé de tous les aspects préoccupants, et a été encouragé à présenter des observations écrites relevant toutes les circonstances entourant ces événements, et à donner tous les renseignements pertinents, notamment les circonstances atténuantes. De janvier à septembre 2015, M. Varadi a envoyé des douzaines de courriels et a fait de multiples appels téléphoniques pour poser des questions et donner des renseignements. Il ne fait aucun doute que le dossier a été présenté à M. Varadi et on a accordé à ce dernier suffisamment de temps pour y répondre, d’autant plus qu’il a bénéficié de deux prolongations du délai initialement imparti. Ses observations ont été dûment prises en considération par l’organisme consultatif et la directrice générale.

[56]  Aucun élément du processus suivi avant de rendre la décision ne permet donc d’affirmer qu’il y a eu manquement à l’obligation d’équité envers M. Varadi. Au contraire, les procédures prévues dans la politique du Programme HST ont été suivies. L’organisme consultatif a pris en considération les renseignements défavorables et les observations de M. Varadi, et a fait sa recommandation à la directrice générale. En se fondant sur cette recommandation et son examen du dossier de M. Varadi, la déléguée du ministre a pris la décision finale d’annuler l’HST de M. Varadi.

[57]  Plus particulièrement, la demande d’accès à l’information présentée par M. Varadi à la GRC a été accueillie et M. Varadi a reçu les documents. Transports Canada a attendu qu’il reçoive les documents et a invité M. Varadi à présenter tout autre renseignement pertinent. Aucune preuve n’indique que les demandes de renseignements présentées par M. Varadi n’ont pas fait l’objet de réponses, ou qu’il n’a pas reçu tous les documents demandés. En fait, M. Varadi ne mentionne aucun document particulier qu’il n’aurait pas reçu. La preuve indique plutôt que M. Varadi a reçu des réponses à ses demandes aux termes de la Loi sur l’accès à l’information et de la Loi sur la protection des renseignements personnels en juillet 2015, et dans un courriel en date du 10 août 2015.

[58]  Compte tenu de ce qui précède, je ne peux constater aucun défaut de procédure. Tout comme dans l’arrêt Henri CAF, l’ensemble du processus était équitable d’un point de vue procédural.

[59]  La jurisprudence citée par M. Varadi ne lui est d’aucun secours, puisque les décisions auxquelles il se réfère portent avant tout sur des situations où l’habilitation de sécurité du demandeur était révoquée en raison de l’association du demandeur à des activités criminelles, et non à des comportements personnels du demandeur. C’est dans ce contexte où les demandeurs se sont fait révoquer leur habilitation de sécurité pour des motifs d’association que les violations de l’obligation d’équité procédurale se sont produites. Contrairement à la situation de M. Varadi, où il a proféré en son nom personnel des menaces graves et mortelles à autrui, les personnes dont l’habilitation de sécurité était en jeu dans les jugements sur lesquels se fonde M. Varadi n’avaient posé aucun geste contestable à titre personnel. En fait, c’était uniquement en raison de leurs relations ou associations que le décideur a révoqué leur habilitation de sécurité.

[60]  Dans la décision Rudd, des observations auraient éventuellement pu mener à la conclusion que le demandeur entretenait des liens indirects avec les Hell’s Angels et un club de motards. De même, dans la décision Imerovik c Canada (Procureur général), 2016 CF 940, l’habilitation de sécurité avait été révoquée en raison de l’association de la demanderesse à trois individus, à savoir son fils, son mari et un tiers dont l’affiliation à un groupe criminalisé était connue. Contrairement à l’espèce, dans lequel M. Varadi a proféré des menaces directes et répétées à diverses personnes en faisant usage de messages graphiques et acerbes, aucune preuve ne démontrait que M. Rudd ou Mme Imerovik avait déjà commis un acte criminel ou adopté un comportement répréhensible. Ils n’ont été trouvés coupables que par association. Je relève les situations comparables dans les décisions Sattar, Britz c Canada (Procureur général), 2016 CF 1286, et Meyler dans lesquelles des habilitations de sécurité ont été révoquées en raison des liens entretenus par les demandeurs avec des criminels ou de leurs activités criminelles.

[61]  Chaque dossier se rapportant à la révocation ou au refus d’une habilitation de sécurité doit se fonder, dans une très large mesure, sur les faits, et ne peut être considéré hors de son contexte. Dans chaque dossier, le rôle du ministre est d’établir s’il existait des motifs raisonnables de croire que, selon la prépondérance des probabilités, une personne « est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ». Ainsi que le relève la Cour d’appel fédérale, le régime législatif attribue au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire (Henri CAF, au paragraphe 25). L’article 4.8 prévoit simplement que le ministre « peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité ». Alors que la Cour ne devrait pas « respecter aveuglément » l’interprétation d’un décideur, elle devrait résister à la tentation d’intervenir et d’usurper la spécialité conférée par le législateur à l’organisme administratif (Dunsmuir, au paragraphe 48). C’est le cas en l’espèce.

D.  Aucune autre mesure ne devait être considérée

[62]  Enfin, en faisant valoir son argument sur la violation de l’équité procédurale, M. Varadi souligne que la directrice générale n’a pas suffisamment pris en considération les répercussions de la décision sur sa vie. M. Varadi se fonde sur la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Baker dans laquelle elle rappelle la prise en compte de « l’importance de la décision pour les personnes visées » (Baker, au paragraphe 25). M. Varadi ajoute que ce critère avait été appliqué dans le contexte de l’annulation d’une habilitation de sécurité devant la Cour d’appel fédérale (Henri CAF, au paragraphe 23). Il plaide aussi l’exigence d’une « justice de haute qualité [...] lorsque le droit d’une personne d’exercer sa profession ou de garder son emploi est en jeu » (Kane c Cons. d’administration de l’U.C.B., [1980] 1 RCS 1105, à la page 1113.

[63]  M. Varadi affirme que, compte tenu des conséquences importantes de l’annulation de l’HST pour lui, d’autres mesures plus conciliantes auraient dû être envisagées par la directrice générale, puisque la décision mène à une fin abrupte et inattendue de sa carrière de plus de 35 ans comme pilote, tout en portant atteinte à sa dignité personnelle. M. Varadi prétend en effet que le Programme HST prévoit un accroissement de plus en plus strict de mesures et de sanctions à l’appui de l’équité procédurale, et que d’autres mesures ayant une incidence moindre sur sa vie pouvaient être appliquées, mais n’ont pas été envisagées par l’organisme consultatif et la directrice générale avant d’annuler son habilitation de sécurité.

[64]  Je ne suis pas d’accord.

[65]  Malgré les arguments étayés par l’avocat de M. Varadi, il n’existe aucune obligation expresse ou implicite de viser les mesures les moins intrusives ou préjudiciables dans le contexte d’une décision discrétionnaire telle que celle qui est en jeu dans le présent dossier. En fait, l’avocat de M. Varadi a reconnu à l’audience devant la Cour qu’il ne pouvait s’appuyer sur aucune jurisprudence pour faire valoir ce postulat.

[66]  M. Varadi a relevé les « mesures de précaution » prévues à l’article II.39 de la politique du Programme HST. Toutefois, ces mesures ne sont pas applicables au présent dossier puisqu’elles visent les demandes présentées pour obtenir l’habilitation de sécurité, et non les annulations d’une habilitation de sécurité déjà accordée.

[67]  Je reconnais que des normes élevées de justice doivent être appliquées lorsqu’une décision a une incidence sur la capacité d’une personne à continuer d’exercer sa profession. Je suis aussi sensible aux 35 années de carrière de M. Varadi sans aucun incident de sécurité et le préjudice qui lui sera causé par la révocation de son habilitation de sécurité après sa longue carrière de commandant de bord d’aéronefs civils. Je comprends aussi que, compte tenu de ce qui s’est déroulé, M. Varadi exprime ses regrets d’avoir envoyé ses courriels perturbants. Toutefois, la directrice générale n’était tenue à aucune obligation, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, de prendre acte des mesures de précaution relevées par M. Varadi. J’ajouterais que même la disposition citée par M. Varadi indique uniquement que l’organisme consultatif (et non la directrice générale ou le ministre) « peut » recommander l’une des mesures de précaution. En l’espèce, l’organisme consultatif n’a pas même estimé qu’il convenait de recommander une telle mesure au ministre, choisissant plutôt l’annulation.

[68]  L’approche préconisée par M. Varadi serait aussi contraire aux objectifs de la politique du Programme HST. Il est acquis en matière jurisprudentielle que la règle générale concernant les pouvoirs discrétionnaires veut que [traduction] « le pouvoir discrétionnaire soit employé à l’appui des politiques et objets de la loi applicable » (Sara Blake, Administrative Law in Canada, 5e éd.; Markham : LexisNexis, 2011, à la page 100). Dans le contexte d’un pouvoir discrétionnaire, la question consiste par conséquent à savoir si le pouvoir discrétionnaire a été exercé « ”légalement” et [TRADUCTION] d’une manière conforme aux principes qui se dégagent de la “politique et des objets énoncés dans la Loi” applicable » (Oakwood Development Ltd c St‑François Xavier, [1985] 2 RCS 164, au paragraphe 16). La portée du pouvoir discrétionnaire dépend toujours de « l’objet et [du] but de la disposition législative » (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Cha, 2006 CAF 126, au paragraphe 19). L’objet de la politique du Programme HST est clairement énoncé à son paragraphe I.1, qui est de « prévenir les actes d’intervention illicite dans l’aviation civile en accordant une habilitation aux gens qui répondent aux normes dudit programme ». Le paragraphe I.4(4) indique aussi son intention de « prévenir l’entrée non contrôlée de toute personne [...] qui [...], selon la prépondérance des probabilités, est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ».

[69]  Dans le présent dossier, le fait d’accorder à M. Varadi une sanction plus indulgente que l’annulation de son HST, même au constat qu’il « est sujet ou peut être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile », aurait été, à mon avis, contraire à l’objet de la politique du Programme HST, à la prévention d’actes d’intervention illicites pour l’aviation civile, et à la protection du public.

[70]  Par conséquent, je ne trouve aucun fondement à la prétention de M. Varadi que la directrice générale n’a pas concilié son pouvoir discrétionnaire aux faits précis figurant au dossier, à la disponibilité de méthodes moins punitives de rendre compte de ses préoccupations, et aux antécédents vierges de M. Varadi en matière de sécurité comme pilote après plus de 35 ans.

[71]  Je me permets de relever un dernier point. En soupesant la sécurité publique et les intérêts de M. Varadi du point de vue des autres considérations énoncées dans ses observations, il était loisible à la directrice générale de faire prévaloir les intérêts du public. En effet, ainsi que l’a récemment affirmé le juge Manson dans la décision Sattar, « le ministre est autorisé à favoriser la sécurité du public lorsqu’il pèse le pour et le contre des intérêts du demandeur à pouvoir accéder aux zones règlementées d’un aéroport, qui est accordé comme un privilège et non comme un droit » (Sattar, au paragraphe 41). C’est ce que la directrice générale a fait dans le présent dossier.

IV.  Conclusion

[72]  Pour les motifs précédemment explicités, la décision appartient aux issues raisonnables au regard de la loi et de la preuve qui a été présentée à la directrice générale, agissant à titre de déléguée du ministre. La norme de la décision raisonnable exige seulement que la décision faisant l’objet d’un contrôle judiciaire appartienne aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. C’est le cas en l’espèce. En outre, je ne constate aucune violation des principes de justice naturelle, et je suis convaincu que les droits fondamentaux de M. Varadi ont été respectés tout au long du processus suivi par l’organisme consultatif et la déléguée du ministre.

[73]  Je reconnais que les conséquences de la décision de révoquer l’habilitation de sécurité de M. Varadi soient très graves. D’une part, il est malheureux que la colère et la frustration de M. Varadi l’aient amené à exprimer les pensées meurtrières, accablantes et troublantes contenues dans les courriels relevés par la GRC. Toutefois, je n’ai pas comme attribution de faire le nouvel examen des événements qui ont mené à la décision, ni de soupeser la preuve qui a été présentée à l’organisme consultatif et à la directrice générale. Mon rôle est de décider si le processus administratif qui a mené à la décision de la directrice générale et son résultat étaient raisonnables et équitables sur le plan procédural. Après avoir examiné la décision et la preuve, je ne saurais affirmer que ce n’est pas le cas.

[74]  Le procureur général du Canada agit pour le ministre, et sollicite les dépens liés à la présente demande. Le défendeur ayant eu gain de cause en l’espèce, il aura droit aux dépens. Toutefois, je conclus qu’une somme forfaitaire de 1 000 $, débours inclus, serait raisonnable en l’espèce, vu l’ensemble des circonstances entourant la question et considérant les facteurs définis au paragraphe 400(3) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens de 1 000 $ sont accordés au défendeur.

« Denis Gascon »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 5e jour de juin 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2171-15

INTITULÉ :

JULIUS VASARI c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDITION :

Le 19 septembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

Le 8 février 2017

COMPARUTIONS :

Adam Eidelmann

Pour le demandeur

Lisa Maziade

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Eidelmann Avocat Inc.

Avocats

Dorval (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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