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Date : 20170208


Dossier : IMM-3441-16

Référence : 2017 CF 151

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 8 février 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

ARTHMEEGAN VIGNESWARALINGAM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Nature de l’instance

[1]               Le demandeur a demandé le contrôle judiciaire d’une décision (la décision) de la Section d’appel de l’immigration (SAI) datée du 20 juillet 2016, par laquelle elle annule l’ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi contre lui et rejette son appel. La présente demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

II.                 Résumé des faits

[2]               Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka âgé de 34 ans et un résident permanent du Canada. Il a quitté le Sri Lanka alors qu’il était enfant et sa famille s’est vue accorder l’asile au Canada. Le demandeur est devenu résident permanent le 23 juillet 1996, à l’âge de 13 ans.

[3]               Le demandeur a été jugé interdit de territoire le 1er mars 2005. Une ordonnance d’expulsion a été émise à cette date. Le demandeur a interjeté appel devant la SAI, aux termes du paragraphe 63(3) de la LIPR.

[4]               Le 14 août 2007, la SAI a suspendu la mesure de renvoi, sous réserve de conditions durant quatre ans.

[5]               Le 9 février 2012, la SAI a accordé une autre année de sursis, sursis à réexaminer le ou après le 7 février 2013. Cependant, l’examen a été reporté cinq fois avant d’être finalement entendu le 10 juin 2016.

III.               Décision

[6]               La SAI a maintenu que la mesure de renvoi était valide du point de vue de la loi, mais que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour justifier le sursis. La SAI a pris en considération les facteurs suivants énoncés dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1985] D.S.A.I. no 636.

1.                  Gravité de l’infraction

2.                  Possibilité de réadaptation et risque de récidive

3.                  Temps passé au Canada

4.                  Degré d’établissement au Canada

5.                  Soutien de la famille et impact du renvoi sur la famille

6.                  Soutien de la communauté

7.                  Préjudice potentiel advenant un retour au pays d’origine

[7]               La SAI a souligné que [traduction] « comme l’appelant a le statut de personne à protéger, le dernier facteur, le préjudice advenant un retour dans son pays [...], n’est pas pertinent ».

1.                  Gravité de l’infraction

[8]               La SAI a traité la gravité de sa condamnation et de sa sentence pour agression armée comme un facteur aggravant.

2.                  Possibilité de réadaptation et risque de récidive

[9]               La SAI a estimé que le défaut du demandeur de s’occuper de ses problèmes récurrents avec l’alcool et les drogues [traduction] « fait ressortir un risque élevé de récidive et diminue ses chances de réadaptation ».

[10]           La SAI a également estimé que le demandeur avait enfreint les conditions de son sursis. Il a permis que ses problèmes d’alcool mettent les autres en danger, et a omis de respecter l’ordre public et d’avoir une bonne conduite. Il a été reconnu coupable d’avoir conduit un véhicule motorisé avec les facultés affaiblies et refusé de fournir un échantillon d’haleine en 2012. Il a été reconnu coupable d’avoir conduit un véhicule alors que son permis avait été suspendu en 2016. Il a admis avoir récemment acheté et consommé de la cocaïne d’une valeur de 350 $.

[11]           Le demandeur a communiqué un document daté du 5 novembre 2015, dans lequel il est affirmé qu’il a omis de suivre un programme de rééducation pour les conducteurs condamnés pour facultés affaiblies. Le demandeur et son épouse avaient précédemment témoigné qu’il avait cessé de boire, mais il semble évident qu’il a rechuté. Le demandeur a témoigné qu’il n’avait pas d’amendes impayées totalisant environ 400 $ en vertu de la Loi sur les permis d’alcool et de la Loi sur l’entrée sans autorisation de l’Ontario parce que Service Ontario lui a dit qu’il n’avait pas d’amendes impayées. La SAI a estimé que le témoignage du demandeur selon lequel ces amendes n’existaient pas était [traduction] « au mieux fallacieux » et [traduction« constitue un manque de respect pour le système de justice frôlant la dérision ».

3.                  Temps passé au Canada

[12]           Le demandeur est au Canada depuis 1996.

4.                  Degré d’établissement au Canada

[13]           Le demandeur a communiqué deux récentes offres d’emploi temporaire à temps plein, une recommandation d’un employeur non datée, et un unique talon de chèque de paye pour la période de paye se terminant le 29 avril 2015. Le demandeur a témoigné qu’on l’avait mis en congé d’invalidité de longue durée, mais n’a fourni aucun document à l’appui. La SAI a estimé que [traduction] « l’absence totale d’une preuve corroborante d’emploi depuis avril 2015 est un facteur aggravant [...]. »

[14]           Le demandeur a obtenu un diplôme d’études secondaires en 2013 et a entrepris un certificat d’études post-secondaires qui a été interrompu. La SAI a estimé que le degré d’établissement du demandeur était un facteur [traduction] « neutre »

5.                  Soutien de la famille et impact du renvoi sur la famille

[15]           La SAI a souligné que le demandeur a été marié, séparé, puis divorcé. Il a eu un total de quatre enfants, dont deux sont morts très jeunes. L’entente de séparation du demandeur indiquait que sa femme avait l’entière garde des enfants et n’avait pas droit à une pension. Cependant, le demandeur a produit une lettre de sa femme non datée, non notariée, indiquant qu’il fournissait un soutien de 500 $ par mois. Il n’a fourni aucun élément de preuve montrant que ces paiements se poursuivaient toujours.

6.                  Soutien de la communauté

[16]           Le demandeur a fourni une unique lettre d’une église, qui date de plus de 10 ans. Le manque d’éléments de preuve du soutien de la communauté a été un [traduction] « facteur aggravant ».

[17]           Aucun membre de la famille n’a témoigné à l’audience. La SAI a estimé qu’il n’y avait [traduction] « aucun élément de preuve convaincant du soutien continu de sa famille au Canada » et que selon la prépondérance des probabilités, l’impact de son renvoi sur sa famille serait minime.

Intérêt supérieur des enfants

[18]           La SAI a également pris en considération l’intérêt supérieur des deux enfants du demandeur. La SAI s’est dite satisfaite qu’il ait maintenu un contact régulier avec eux. Toutefois, il n’existait aucun élément de preuve convaincant d’un quelconque soutien financier. Alors qu’en général l’intérêt supérieur des enfants ne milite pas en faveur d’un renvoi, la SAI a jugé que ce facteur était « atténué » par les problèmes d’alcool et de drogues du demandeur. La SAI a conclu que le facteur de l’intérêt supérieur des enfants était au mieux un facteur [traduction« neutre ».

[19]           Le demandeur a affirmé qu’il avait des problèmes de santé mentale et qu’il pourrait souffrir d’un trouble de stress post-traumatique. Il a fourni le rapport d’un psychologue (le rapport) et a présenté à l’audience deux médicaments vendus sous ordonnance, sans aucun élément de preuve médical au sujet des troubles pour lesquels ils avaient été prescrits. La SAI a accordé peu de poids au rapport parce que les diagnostics n’étaient pas clairs et largement fondés sur les déclarations du demandeur. La SAI a estimé que le demandeur n’avait [traduction« pas fourni une preuve convaincante d’une condition mentale sous-jacente qui pourrait constituer un facteur atténuant ».

[20]           En résumé, la SAI a évalué six facteurs. Trois évaluations (gravité de l’infraction, possibilité de réadaptation et risque de récidive, et soutien de la communauté) ont mené à des conclusions très défavorables. Les trois autres conclusions étaient neutres ou [traduction] « au mieux » neutres, et ni ses enfants ni sa santé mentale n’ont constitué des facteurs atténuants.

[21]           La SAI a jugé que le demandeur n’avait pas réussi à montrer, [traduction] « au moment de l’audience [sic], une prépondérance d’éléments de preuve clairs et convaincants appuyant tout autre prolongement du sursis ». Étant donné que les considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas la mesure de réparation, la SAI a annulé l’ordonnance de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi et a rejeté l’appel.

IV.              La question en litige

L’analyse de la SAI était-elle raisonnable?

V.                 Analyse et conclusions

[22]           Le demandeur affirme que la décision était déraisonnable pour un certain nombre de motifs, y compris :

1.                  Le rejet du diagnostic de dépression indiqué dans le rapport.

2.                  Le défaut d’accepter ses explications selon lesquelles les membres de sa famille étaient absents en raison des nombreux reports de l’audience.

3.                  Le défaut d’apprécier la lettre de recommandation non datée de son employeur.

4.                  Le défaut de prendre en considération les observations de sa femme selon lesquelles il est [traduction] « un bon père ».

5.                  Le défaut de prendre raisonnablement en considération sa réadaptation.

[23]           Il n’est pas nécessaire d’aborder toutes ces questions parce que la première question est déterminante. L’avocat du demandeur affirme que le demandeur souffre de dépression et que cela explique la perte de son emploi, sa dépendance à l’alcool, sa tentative de suicide avec de la cocaïne et ses efforts sporadiques pour obtenir une aide psychiatrique. Le rapport indique ce qui suit :

[traduction] Durant la phase d’essai de l’évaluation, M. Vigneswaralingam a rempli l’Inventaire de dépression de Beck-II (IDB-II). Dans le BDI-II, le patient a démontré un très grand nombre de symptômes. De plus, le patient a rempli l’Inventaire d’anxiété de Beck (IAB), dont les résultats montraient un niveau d’anxiété important.

[24]           Toutefois, la SAI a estimé que le rapport ne fournissait pas un diagnostic clair et a affirmé que [traduction] « [...] l’appelant n’a pas fourni une preuve convaincante d’une condition mentale sous-jacente qui pourrait constituer un facteur atténuant ».

[25]           À mon avis, cette conclusion était déraisonnable parce qu’elle était contraire au rapport, qui indiquait plusieurs symptômes de dépression. Le défendeur a affirmé que ce n’était pas un diagnostic clair, mais je n’ai pas été convaincue par cet argument.

VI.              Décision

[26]           Pour cette raison, la demande sera accueillie.

VII.            Certification

[27]           Aucune question à certifier n’a été proposée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande de contrôle judiciaire, et l’affaire est renvoyée aux fins d’un nouvel examen par un autre commissaire de la SAI.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

Dossier :

IMM-3441-16

 

INTITULÉ :

ARTHMEEGAN VIGNESWARALINGAM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 7 février 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE :

Le 8 février 2017

COMPARUTIONS :

Aurina Chatterji

Pour le demandeur

John Provart

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Berger Professional Law Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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