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Date : 20170130


Dossier : T-893-16

Référence : 2017 CF 117

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

À Ottawa (Ontario), le 30 janvier 2017

En présence de monsieur le juge en chef Crampton

ENTRE :

MAZIN HELMY AL-OBEIDI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Mazin Helmy Al-Obeidi, est un citoyen de l’Iraq. Il a demandé la citoyenneté canadienne après avoir obtenu l’asile au Canada et son droit d’établissement à titre de résident permanent.

[2]  À l’époque où il a déposé sa demande de citoyenneté, trois critères s’appliquaient, que l’on appelait généralement les critères du « mode d’existence centralisé », de la décision Koo et de la « présence effective ». Ce dernier critère était axé sur la présence effective du demandeur au Canada pendant un minimum de 3 ans (ou 1 095 jours) sur les 4 ans précédant sa demande. Les deux autres critères étaient de nature beaucoup plus qualitative (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 576, aux paragraphes 37 à 41 [Huang]).

[3]  Dans les observations présentées à l’appui de sa demande, M. Al-Obeidi avait demandé qu’elle soit examinée en fonction du critère de la présence effective. La juge de la citoyenneté a accédé à sa demande. Sa décision commande la retenue (Huang, précitée, au paragraphe 25) et, de toute façon, elle n’est pas attaquée dans la présence instance. Elle s’est attachée à établir si M. Al-Obeidi avait résidé au moins 1 095 jours au Canada entre le 6 mars 2008 et le 6 mars 2012 (la période en cause).

[4]  La juge de la citoyenneté a finalement rejeté la demande de M. Al-Obeidi après avoir conclu qu’il était [TRADUCTION] « impossible de déterminer le nombre de jours de présence effective du demandeur au Canada durant la période en cause ». Compte tenu de cette conclusion, la juge de la citoyenneté a tranché que M. Al‑Obeidi ne s’était pas acquitté de la charge qui lui incombait d’établir qu’il avait résidé au moins 1 095 jours au Canada pendant la période en cause.

[5]  M. Al-Obeidi réclame l’annulation du rejet de sa demande de citoyenneté (la décision) pour les deux motifs suivants :

  • La juge de la citoyenneté a tiré une conclusion déraisonnable et potentiellement déterminante de l’issue de sa demande en statuant qu’un relevé de paie du 31 mars 2011 prouvait son absence du Canada avant cette date.

  • La juge de la citoyenneté a commis une erreur de droit susceptible de contrôle en n’incluant pas les jours de déplacement au départ et à destination du Canada dans le calcul du nombre de jours de présence effective de M. Al-Obeidi au Canada.

[6]  Pour les motifs exposés ci-dessous, la présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

I.  Disposition législative applicable

[7]  Aux fins de la présente demande, la disposition législative applicable est l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, LRC 1985, c C-29 (la Loi), dans sa version en vigueur à la date ou M. Al-Obeidi a déposé sa demande de citoyenneté. L’alinéa 5(1)c disposait alors :

Loi sur la citoyenneté, LRC (1985), ch C-29

Citizenship Act, RSC, 1985 c C-29

Attribution de la citoyenneté

 

Grant of citizenship

 

5 (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

 

5 (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

 

a) en fait la demande;

(a) makes application for citizenship;

 

b) est âgée d’au moins dix-huit ans;

 

(b) is eighteen years of age or over;

 

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

 

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

 

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

 

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;

 

d) a une connaissance suffisante de l’une des langues officielles du Canada;

(d) has an adequate knowledge of one of the official languages of Canada;

 

e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;

(e) has an adequate knowledge of Canada and of the responsibilities and privileges of citizenship; and

f) n’est pas sous le coup d’une mesure de renvoi et n’est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l’article 20.

(f) is not under a removal order and is not the subject of a declaration by the Governor in Council made pursuant to section 20.

II.  Norme de contrôle

[8]  Les parties soutiennent que les deux questions soulevées par M. Al-Obeidi sont susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Lorsqu’elle examine une décision selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit déterminer si la décision appartient « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[9]  Il m’apparaît clair que la norme de la décision raisonnable s’applique à la première question soulevée par M. Al-Obeidi parce qu’elle touche essentiellement aux faits (Dunsmuir, précité, aux paragraphes 51 à 54; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Purvis, 2015 CF 368, au paragraphe 22).

[10]  La seconde question formulée par M. Al-Obeidi porte plutôt sur l’interprétation de la « loi constitutive » du tribunal dont relève la juge de la citoyenneté ou d’une loi étroitement liée à son mandat. Il est présumé que la norme de la décision raisonnable s’applique dans ce contexte, à moins que la norme applicable n’ait été fixée par la jurisprudence et que celle-ci ne contredise pas l’évolution récente des principes de common law en matière de contrôle judiciaire (Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, au paragraphe 22 [Ville d’Edmonton]; Agraira c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, aux paragraphes 48 à 50).

[11]  La jurisprudence dominante semble militer pour l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable à l’interprétation de l’article 5 de la Loi par un juge de la citoyenneté (Huang, précitée, aux paragraphes 13 à 25). Cela dit, le consensus ne semble pas assez clair pour que la question soit considérée comme réglée. En conséquence, je dois présumer qu’il est nécessaire de passer à la seconde étape de l’analyse et donc de m’en tenir à la simple présomption que l’interprétation de l’article 5 de la Loi par un juge de la citoyenneté s’examine selon la norme de la décision raisonnable.

[12]  Cette présomption peut être réfutée dans deux situations. C’est le cas si l’interprétation législative en litige relève de l’une des quatre catégories assujetties à la norme de contrôle de la décision correcte : les questions constitutionnelles; les questions de droit qui revêtent une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui se situent hors du domaine d’expertise du décideur; les questions portant sur la délimitation des compétences respectives de tribunaux spécialisés concurrents; les questions touchant véritablement à la compétence, qui sont exceptionnelles  (Wilson c Énergie Atomique du Canada Ltée, 2016 CSC 29, aux paragraphes 38 à 40, 70 et 71; Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada c Canada (Procureur général), 2014 CSC 40, au paragraphe 55).

[13]  Je ne crois pas que l’interprétation de l’article 5 de la Loi, et notamment du passage « chaque jour de résidence au Canada » au sous-alinéa 5(1)c)(ii), soulève une question visée par l’une des quatre catégories susmentionnées. Autrement dit, je ne crois pas que l’interprétation de ce passage soulève une question constitutionnelle, l’un des deux types de questions de compétence décrites précédemment, ni l’une des questions « rares » et « exceptionnelles » qui revêtent une importance capitale pour le système juridique (Commission scolaire de Laval c Syndicat de l’enseignement de la région de Laval, 2016 CSC 8, au paragraphe 34; McLean c Colombie-Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, au paragraphe 26 [McLean]). En fait, l’interprétation de ce passage constitue « un point technique d’interprétation législative dans un contexte très précis » (McLean, précité, au paragraphe 28).

[14]  La présomption de l’application de la norme de contrôle de la décision raisonnable ne résiste pas non plus si le contexte indique une intention du législateur de faire jouer la norme de la décision correcte (McLean, précité, au paragraphe 22). Dans l’arrêt Kinsel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 126, aux paragraphes 27 à 34 et 82 [Kinsel], ainsi que dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kandola, 2014 CAF 85, aux paragraphes 42 à 45 [Kandola], qui portaient respectivement sur l’interprétation des paragraphes 3(3) et 3(1) de la Loi par des délégués du ministre, la Cour d’appel fédérale a conclu que la présomption de l’assujettissement à la norme de contrôle de la décision déraisonnable était écartée. La Cour a statué que la norme de la décision correcte s’appliquait, et que la présomption selon laquelle la norme de la décision raisonnable joue pouvait être « aisément réfutée » (Kinsel, précité, aux paragraphes 28 à 30; Kandola, précité, au paragraphe 42). Dans les deux arrêts, la Cour écarte la présomption de l’applicabilité de la norme de contrôle de la décision raisonnable en se fondant sur les facteurs suivants :

  • l’absence de clause privative;

  • la nature de la question en litige, qui dans les deux cas relevait purement de l’interprétation législative et ne comportait aucune marge discrétionnaire;

  • « [l’]absence de tout élément dans la structure ou l’esprit de la Loi dont il ressort que la Cour doit faire preuve de retenue à l’égard de la décision du délégué sur une telle question » (Kinsel, précité, aux paragraphes 28 à 30; Kandola, précité, au paragraphe 44; non souligné dans l’original).

[15]  Cela dit, pour ce qui concerne l’article 5 de la Loi, le droit absolu d’appel à notre Cour qui était prévu au paragraphe 14(5) a été remplacé récemment par un droit de contrôle judiciaire subordonné à l’autorisation de la Cour (paragraphe 22.1(1)). Suivant le paragraphe 22.1(2), notre Cour doit statuer sur les demandes de contrôle judiciaire à bref délai et selon la procédure sommaire. De plus, l’intervention de la Cour d’appel fédérale est possible seulement si le juge de notre Cour a certifié dans sa décision que l’affaire soulève une question grave de portée générale et s’il a énoncé cette question. À mon avis, le législateur a apporté ces modifications parce qu’il souhaitait resserrer l’obligation de retenue à l’égard des décisions des juges de la citoyenneté fondées sur l’article 5 de la Loi. Bien entendu, il se peut que la retenue ne soit pas appropriée pour toutes les questions susceptibles de contrôle judiciaire. N’empêche, la plus grande retenue qui doit être accordée à bon nombre de décisions des juges de la citoyenneté constitue un facteur pertinent dans le cadre d’une analyse contextuelle.

[16]  La Cour suprême du Canada a précisé que cette retenue peut même être nécessaire à l’égard d’une question d’interprétation législative grave et de portée générale (Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, au paragraphe 44).

[17]  De plus, au paragraphe 46 de l’arrêt Mouvement laïque québécois c Saguenay (Ville), 2015 CSC 16, la Cour suprême semble vouloir renforcer la présomption de l’application de la norme de la décision raisonnable aux questions d’interprétation législative en faisant observer que cette présomption peut être réfutée « lorsqu’une analyse contextuelle révèle une intention claire du législateur de ne pas protéger la compétence du tribunal à l’égard de certaines questions » (non souligné dans l’original). Ainsi, la présomption paraît immuable sauf s’il existe une intention claire de ne pas imposer la retenue.

[18]  Plus récemment, dans l’arrêt Ville d’Edmonton, la Cour suprême ne semble pas préconiser l’analyse contextuelle pour trancher ces questions, en faisant valoir qu’elle « peut être source d’incertitude et d’interminables litiges au sujet de la norme de contrôle applicable » (Ville d’Edmonton, précité, au paragraphe 35).

[19]  Il convient aussi de mentionner que dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Young, 2016 CAF 183, au paragraphe 4, la Cour d’appel fédérale a statué que l’interprétation de l’article 5.1 de la Loi par un agent des visas est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. La conclusion de la Cour est simple : « Puisqu’il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision administrative, la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable, comme nous l’enseigne Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190 [Dunsmuir], sous réserve de certaines exceptions dont aucune ne s’applique en l’espèce. »

[20]  Compte tenu de ce qui précède, j’estime que notre Cour doit appliquer la norme de la décision raisonnable pour se prononcer sur l’interprétation donnée par la juge de la citoyenneté au passage « un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent » du sous-alinéa 5(1)c)(ii) de la Loi. Je souligne toutefois que ces considérations ne sont pas déterminantes de l’espèce puisque ma décision à l’égard de la première question qu’a soulevée M. Al-Obeidi rend superflu l’examen par notre Cour de sa question sur l’interprétation législative.

III.  Discussion

A.  La juge de la citoyenneté a-t-elle tiré une conclusion déraisonnable concernant le relevé de paie du 31 mars 2011 produit par M. Al-Obeidi?

[21]  M. Al-Obeidi soutient que la juge de la citoyenneté a conclu déraisonnablement que le relevé de paie du 31 mars 2011 prouve qu’il a été absent du Canada pendant la période de 27 jours s’étendant du 4 au 31 mars 2011, et que cette conclusion peut avoir été déterminante dans l’issue de sa demande.

[22]  Je ne suis pas d’accord.

[23]  La juge de la citoyenneté a tiré une conclusion fondée sur les faits pertinents avant de commencer son analyse. Elle a notamment considéré comme faits pertinents les nombreux départs du Canada de M. Al-Obeidi durant la période en cause.

[24]  Dans cette partie de la décision, la juge de la citoyenneté observe que M. Al-Obeidi a reconnu que le rapport sur les antécédents de voyage du Système intégré d’exécution des douanes (SIED) ne comporte aucune inscription corroborant son retour allégué au Canada le 4 mars 2011 après un voyage à l’étranger. La juge souligne cependant qu’il a produit des relevés de paie qui confirment sa présence effective au Canada à compter du 31 mars 2011. Elle a déduit de ces faits que M. Al-Obeidi se trouvait à l’étranger pendant la période de 27 jours s’étendant du 4 au 31 mars 2011.

[25]  Il s’agit d’une erreur de la juge puisque le relevé de paie du 31 mars 2011 indique que M. Al-Obeidi a travaillé 89 heures pendant la période de paie « 03/31/2011 ». Selon les autres relevés de paie versés au dossier certifié du tribunal, M. Al-Obeidi était payé toutes les deux semaines, mais il a pu être payé sur une base mensuelle à certaines périodes. Il est difficile de tirer cette question au clair à partir des dossiers de paie incomplets qui ont été fournis par M. Al-Obeidi. Quoi qu’il en soit, il semble que M. Al-Obeidi a travaillé 89 heures à un moment donné avant le 31 mars 2011. De toute évidence, la juge de la citoyenneté a commis une erreur en considérant que les relevés de paie confirment sa présence effective au Canada à compter du 31 mars 2011 seulement.

[26]  Cette erreur n’est toutefois pas fatale puisque le relevé de paie du 31 mars 2011 ne dit pas quand exactement M. Al-Obeidi est rentré au Canada en mars 2011, ni à partir de quand il a commencé à cumuler les 89 heures de travail en question. Le relevé de paie du 15 avril 2011 indique qu’il a travaillé 86 heures au cours de la période de 2 semaines s’étendant du 1er au 15 avril 2011. Il est donc possible que M. Al-Obeidi ait travaillé les 89 heures pour lesquelles il a été rémunéré au mois de mars de cette année-là durant une période de 2 semaines, qui aurait pu s’étendre du 16 au 31 mars 2011. Le problème vient de l’impossibilité de savoir la date exacte à laquelle M. Al-Obeidi a recommencé à travailler après son retour au Canada ce mois-là.

[27]  Plus important encore, le relevé de paie du 31 mars 2011 ne nous renseigne pas sur la date de son retour au Canada. Tout ce que révèle ce relevé de paie est qu’il a commencé à travailler avant le 31 mars 2011. Il est fort possible qu’il ait travaillé pendant deux semaines seulement, soit du 16 au 31 mars 2011.

[28]  L’important ici est que même si la juge de la citoyenneté avait compté ces 17 jours pour établir la période de présence effective, il resterait 10 ou 11 jours (soit la période du 4 au 15 mars 2011) dont les relevés de paie ne rendent pas compte. À lui seul, cet écart pourrait être fatal à la demande de M. Al-Obeidi puisqu’il a établi seulement 1 098 jours de présence effective au Canada durant la période en cause (c’est-à-dire 1 460 jours moins 362 jours d’absence : dossier certifié du tribunal, à la page 267).

[29]  M. Al-Obeidi a aussi soutenu qu’il était déraisonnable de la part de la juge de la citoyenneté de ne pas considérer que le timbre de sortie de l’Iraq apposé dans son passeport le 3 mars 2011 confirmait son entrée alléguée au Canada le lendemain.

[30]  Je ne suis pas d’accord. Il était raisonnable pour la juge de la citoyenneté de s’abstenir de tirer cette conclusion. M. Al-Obeidi aurait très bien pu, à cette date, se rendre dans un autre pays et y rester un certain temps avant de rentrer au Canada plus tard en mars.

[31]  M. Al-Obeidi a aussi tenté de faire reconnaître que sa confirmation de réservation corroborait son allégation. Là encore, la juge de la citoyenneté pouvait raisonnablement écarter ce document au motif qu’il n’attestait pas que M. Al-Obeidi avait vraiment voyagé à la date qui y figure. À preuve, une autre confirmation de réservation fournie par M. Al-Obeidi concernant un autre voyage de retour au Canada était inexacte, comme il l’a admis lui-même quand il a produit ce document à l’appui de sa demande (dossier certifié du tribunal, à la page 75).

[32]  En résumé, il n’était pas déraisonnable de la part de la juge de la citoyenneté de conclure que le relevé de paie du 31 mars 2011, le timbre de sortie apposé à l’aéroport international de Bagdad le 3 mars 2011 et la confirmation de réservation n’établissaient pas, pris isolément ou ensemble, que M. Al-Obeidi était entré au Canada le 4 mars 2011, tel qu’il l’a allégué. Cette conclusion faisait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[33]  M. Al-Obeidi ne s’est pas acquitté de la charge qui lui incombait de fournir des éléments de preuve plus convaincants à l’appui de sa demande. Je reconnais que son passeport a été saisi par l’Agence des services frontaliers du Canada, et que certains des timbres sont illisibles sur la copie de ce passeport qui lui a été remise. Cependant, durant l’audition de la présente demande, l’avocat de M. Al-Obeidi a concédé qu’aucun timbre n’atteste une entrée au Canada le 4 mars 2011, et que ni lui ni M. Al-Obeidi ne pouvaient en expliquer la raison, ni pourquoi aucune entrée à cette date n’est consignée au rapport du SIED sur ses antécédents de voyage. L’avocat a seulement mentionné que M. Al-Obeidi ignorait ce qui s’est passé ce jour-là. Par conséquent, il était raisonnablement loisible à la juge de la citoyenneté de conclure que M. Al-Obeidi ne s’est pas acquitté de la charge qui lui incombait de donner une preuve de son retour au Canada le 4 mars 2011 afin d’établir qu’il avait résidé au Canada au moins 1 095 jours durant la période en cause.

B.  La juge de la citoyenneté a-t-elle commis une erreur de droit susceptible de contrôle en n’incluant pas les jours de déplacement au départ et à destination du Canada dans le calcul du nombre de jours de présence effective de M. Al-Obeidi au Canada?

[34]  M. Al-Obeidi soutient que la juge de la citoyenneté a commis une erreur en excluant cinq jours de déplacement au départ et cinq jours à destination du Canada du nombre total de jours de présence effective au Canada durant la période en cause. Il fait valoir que si ces 10 jours de déplacement avaient été inclus dans le calcul, il aurait établi qu’il avait résidé un total de 1 098 jours au Canada durant la période en cause, c’est-à-dire 3 de plus que le minimum requis de 1 095 jours.

[35]  Il n’est pas nécessaire d’examiner le raisonnement suivi par la juge de la citoyenneté pour trancher cette question puisque le résultat n’a eu aucune incidence sur sa conclusion définitive

[36]  comme quoi il était [traduction] « impossible de déterminer le nombre de jours de présence effective du demandeur au Canada durant la période en cause ». Sur la base de cette conclusion, la juge a statué que M. Al-Obeidi ne s’était pas acquitté de la charge qui lui incombait d’établir qu’il avait été effectivement présent au Canada au moins 1 095 jours durant la période en cause.

[37]  Cette conclusion s’est imposée après qu’elle eut constaté que les documents fournis par M. Al-Obeidi ne permettaient pas d’établir la durée de ses absences du Canada, plus particulièrement parce qu’il n’avait pas produit de document de voyage ou de carte d’embarquement corroborant ses déclarations concernant deux dates de départ du Canada et une date de retour (en mars 2011) (dossier certifié du tribunal, aux pages 24 et 27).

[38]  Par conséquent, même si la juge de la citoyenneté avait inclus chacun des jours de déplacement de M. Al-Obeidi au départ et à destination du Canada au cours de la période en cause, elle aurait quand même abouti à la conclusion que les documents fournis à l’appui de sa demande de citoyenneté ne permettaient pas de déterminer le nombre de jours durant lesquels il avait été effectivement présent au Canada. La raison en est que le nombre de jours pour lesquels il subsistait une incertitude dépassait de loin les 3 jours que M. Al-Obeidi affirmait avoir été présent au Canada en sus du minimum requis de 1 095 jours. C’est ce qui ressort clairement de l’exposé présenté au paragraphe 28 ci-dessus concernant l’incertitude autour de la date de retour de M. Al-Obeidi au Canada en mars 2011.

IV.  Conclusion

[39]   Il n’était pas déraisonnable de la part de la juge de la citoyenneté de conclure que le relevé de paie du 31 mars 2011, le timbre de sortie apposé à l’aéroport international de Bagdad le 3 mars 2011 et la confirmation de réservation ne corroborent pas, pris isolément ou ensemble, l’allégation de M. Al-Obeidi d’être entré au Canada le 4 mars 2011. Cette conclusion faisait partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[40]  Il n’était pas non plus déraisonnable pour la juge de la citoyenneté de conclure que les documents fournis par M. Al-Obeidi à l’appui de sa demande de citoyenneté ne permettaient pas de déterminer la durée de ses absences du Canada.

[41]  Compte tenu de cette conclusion, il n’est pas nécessaire d’examiner la question soulevée par M. Al-Obeidi concernant l’interprétation correcte du sous-alinéa 5(1)c)(ii) de la Loi en ce qui a trait aux jours de voyage de déplacement pour sortir du Canada et y revenir. Effectivement, même si chacun de ces jours avait été pris en compte dans le calcul de la période de présence effective de M. Al-Obeidi au Canada, le résultat aurait excédé de 3 jours seulement les 1 095 requis et aurait été nettement insuffisant pour combler le déficit attribuable aux jours pour lesquels la juge de la citoyenneté a raisonnablement conclu qu’il subsistait de l’incertitude.

[42]  Par conséquent, la présente demande sera rejetée.

[43]  À la fin de l’audition de la présente instance, M. Al-Obeidi a proposé une question à certifier concernant la question d’interprétation législative qu’il a soulevée. Cependant, puisqu’elle n’a aucune incidence en l’espèce, il serait inopportun de certifier la question proposée par M. Al-Obeidi


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. La présente demande est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de novembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-893-16

 

 

INTITULÉ :

MAZIN HELMY AL-OBEIDI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 décembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE EN CHEF CRAMPTON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 30 janvier 2017

 

COMPARUTIONS :

Douglas Cannon

Pour le demandeur

 

Brett Nash

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Elgin Cannon & Assoc.

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 

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