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Date : 20170111


Dossier : IMM-2269-16

Référence : 2017 CF 32

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 11 janvier 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

ALEKSI BRATCHULI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Aleksi Bratchuli (le demandeur) a présenté une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, le 5 mai 2016 (la décision), par laquelle la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur en concluant que cette demande était manifestement non fondée.

[2]               Le demandeur affirme qu’il est né dans une région de la Géorgie située près de la frontière avec l’Ossétie du Sud et qu’il parle le géorgien avec un accent ossète.

[3]               Les grands-parents du demandeur vivaient en Ossétie du Sud et son père leur rendait souvent visite. Des gens du village ayant remarqué ces déplacements ont cru que son père appuyait l’Ossétie du Sud contre la Géorgie. Selon le demandeur, son père a été impliqué dans une bagarre avec le chef de la police locale (Patashuri), un autre agent de police (Zurabashvili) et un autre homme géorgien, le 12 décembre 2006. Le demandeur mentionne que son père est décédé ce jour-là, des suites de ses blessures. Lorsque le frère du demandeur a porté plainte auprès du bureau du procureur, le demandeur et son frère ont tous deux reçu des menaces des policiers.

[4]               Le demandeur mentionne également que son frère a été impliqué dans une autre bagarre avec Patashuri et Zurabashvili, le 18 juillet 2014, et que son frère est décédé à l’hôpital à la suite de cette agression.

[5]               Le demandeur a alors déposé une plainte auprès du bureau du procureur et du bureau de l’ombudsman. Cependant, en octobre 2014, il a reçu un appel de Zurabashvili dans lequel ce dernier l’informait qu’il serait le prochain à mourir s’il ne retirait pas ses plaintes. Le demandeur ajoute que Patashuri, Zurabashvili et quatre autres hommes l’ont attaqué le 21 décembre 2014, devant sa maison à Tbilisi, et l’ont frappé jusqu’à ce qu’il perde conscience. Des voisins ont entendu la bagarre. À l’hôpital, le demandeur a indiqué à la police le nom des personnes qui l’avaient battu, et la police a promis de faire enquête.

[6]               Après avoir obtenu son congé de l’hôpital, le demandeur a trouvé refuge chez un ami, mais, le 15 avril 2015, Patashuri, Zurabashvili et deux autres hommes se sont présentés au domicile de son ami et l’ont de nouveau battu. Le demandeur s’est réveillé à l’hôpital et a été interrogé par la police. En mai 2015, le demandeur dit s’être rendu au bureau du ministère des Affaires internes de Tbilisi pour demander de l’aide. On lui a dit qu’une enquête était en cours, mais le dossier a par la suite été fermé. C’est à ce moment que le demandeur et son épouse ont décidé de quitter la Géorgie. Le demandeur a rencontré un passeur en Turquie et il est arrivé à Vancouver le 22 septembre 2015.

[7]               Il est indiqué dans le dossier que le demandeur a été interrogé à plusieurs reprises par les agents d’immigration à son arrivée au Canada (les entrevues au point d’entrée). Un interprète géorgien était présent pour toutes les entrevues. On lui a aussi donné l’occasion d’écrire, dans sa propre langue, les motifs de son voyage au Canada (la déclaration).

I.                    Décision de la SPR

[8]               La SPR a conclu que le demandeur avait produit trois documents frauduleux, soit : le certificat de décès de son frère, une photographie de la pierre tombale de son frère et une lettre de l’ombudsman de la Géorgie.

[9]               Le défendeur a tenté de vérifier le certificat de décès du frère en entrant son numéro de série dans un site Web du gouvernement géorgien. Ce processus a révélé que ce numéro correspondait en fait au certificat de décès du père du demandeur, et non à celui de son frère. Le demandeur a indiqué qu’il s’agissait d’une erreur du gouvernement géorgien, mais il n’a fourni aucun autre élément de preuve pour corriger cette erreur, bien qu’il ait été informé du problème plusieurs mois avant la tenue de l’audience. La SPR a également remarqué que les certificats de décès du père et du frère étaient très différents. Ainsi, le certificat de décès du frère ne comportait pas de code à barres, comme celui du père, ni le même sceau de l’État, même s’il a été délivré par le même organisme gouvernemental, peu de temps après celui du père.

[10]           La SPR a aussi estimé que la photographie de la pierre tombale du frère en Géorgie avait été altérée, car le chiffre « 4 » correspondant à la date du décès était inscrit dans un style numérique qui différait de celui des autres chiffres sur la pierre tombale, ainsi que de celui du chiffre « 4 » figurant sur la pierre tombale de son père. La SPR a conclu que la photographie avait été altérée dans le but d’induire le tribunal en erreur en lui faisant croire que l’année du décès était 2014.

[11]           Le demandeur a également présenté une lettre de l’ombudsman de la Géorgie, pour appuyer ses allégations selon lesquelles il avait activement cherché à obtenir la protection de l’État en Géorgie. Il est indiqué dans cette lettre qu’une plainte a été reçue du demandeur le 5 juin 2015. Cependant, sur son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA), le demandeur a déclaré que c’est en 2014 qu’il a demandé à l’ombudsman de faire enquête. Et, plus loin dans sa déclaration, le demandeur mentionne le 12 décembre 2006 comme date à laquelle il a déposé sa plainte.

[12]           Le demandeur a été incapable d’expliquer ces divergences.

[13]           Durant les entrevues au point d’entrée (PDE) et dans sa déclaration, le demandeur a soutenu que son frère avait été tué en 2000 et que son père l’avait été en 2006. Cependant, sur son formulaire FDA, il a indiqué que son frère avait été tué en 2014 et son père, en 2006. Le demandeur a rejeté la responsabilité de ces erreurs sur l’interprète; la SPR a toutefois rejeté cette explication, car c’est le demandeur lui-même qui avait rédigé la déclaration, dans sa propre langue.

[14]           Durant les entrevues au point d’entrée, le demandeur a également déclaré que son frère avait été poussé dans l’eau par des fêtards et qu’il était mort noyé. Or, sur son formulaire FDA, il a déclaré que son frère avait été battu à mort par des policiers.

[15]           Interrogé au point d’entrée sur les raisons pour lesquelles il ne pouvait retourner en Géorgie, le demandeur a répondu qu’il craignait d’être attaqué par des gens au hasard sur la rue, et qu’il lui arrivait de se battre; cependant, sur son formulaire FDA, le demandeur a indiqué qu’il craignait la police géorgienne, en mentionnant précisément les noms Patashuri et Zurabashvili. Le demandeur a expliqué qu’il n’avait pas voulu communiquer les noms des policiers de Géorgie aux agents de l’Agence des services frontaliers du Canada, car il craignait que cette information soit transmise en Géorgie. La SPR n’a pas accepté cette explication, estimant que le demandeur aurait dû tout au moins indiquer aux autorités frontalières qu’il craignait la police en général, puisqu’il s’agissait d’un élément central de sa demande d’asile.

[16]           La SPR a reconnu que le demandeur pouvait présenter un trouble de stress post-traumatique, un syndrome post-commotion cérébrale et un grave trouble dépressif, comme le mentionne le psychiatre dans son avis médical. Elle doute toutefois que ces problèmes soient le résultat des deux passages à tabac mentionnés sur le formulaire FDA.

II.                 Les questions en litige

A.                 La SPR a-t-elle omis d’évaluer l’incidence des problèmes de santé du demandeur sur sa capacité de fournir des éléments de preuve?

B.                 La SPR a-t-elle omis de nommer un représentant désigné, alors qu’une telle nomination était clairement requise?

C.                 La SPR a-t-elle commis une erreur en établissant que le chiffre « 4 » sur la photo de la pierre tombale de son frère avait été altéré?

III.               Analyse et conclusions

A.                 La SPR a-t-elle omis d’évaluer l’incidence des problèmes de santé du demandeur sur sa capacité de fournir des éléments de preuve?

[17]           Deux avis médicaux ont été présentés à la SPR, l’un produit par un psychiatre et l’autre par un omnipraticien. Le premier a conclu que le demandeur avait des pertes de mémoire, ainsi que de la difficulté à se concentrer, à mettre de l’ordre dans ses pensées et à se souvenir de dates et de chronologies précises. Le dernier a mentionné, entre autres, que le demandeur avait de la difficulté à se concentrer et à se souvenir de chiffres, de dates et d’événements récents. La SPR a admis ces faits, mais ne croit pas que ces symptômes aient été causés par les coups reçus des policiers. Selon moi, cette conclusion est raisonnable.

B.                 La SPR a-t-elle omis de nommer un représentant désigné, alors qu’une telle nomination était clairement requise?

[18]           Le demandeur soutient que seule une grave dépression peut expliquer le fait qu’il a fourni aux autorités canadiennes des versions aussi divergentes des événements; de même, l’avocat du demandeur fait valoir qu’il s’agit de la seule explication rationnelle, et que l’avocat précédent et la SPR auraient dû reconnaître ce fait.

[19]           Le demandeur estime qu’il aurait dû avoir droit à un représentant désigné lors de l’audience devant la SPR.

[20]           Je ne suis toutefois pas convaincue par ces observations, car aucun élément de preuve de l’avocat du demandeur, de la SPR ou de l’un des deux médecins l’ayant examiné ne laisse croire que le demandeur souffrait d’une perte de conscience des réalités.

C.                 La SPR a-t-elle commis une erreur en établissant que le chiffre « 4 » sur la photo de la pierre tombale de son frère avait été altéré?

[21]           Je ne peux me prononcer sur le caractère raisonnable ou non de la conclusion de la SPR concernant la photographie. Cependant, même si cette conclusion était déraisonnable, il s’agirait d’une erreur sans importance. Les autres incohérences dans les éléments de preuve suffisent pour conclure que la décision est raisonnable.

IV.              Question à certifier

[22]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2269-16

INTITULÉ :

ALEKSI BRATCHULI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 NOVEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 11 JANVIER 2017

COMPARUTIONS :

Victor Pilnitz

Pour le demandeur

Alison Engel-Yan

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Victor Pilnitz

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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