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Date : 20170126


Dossiers : T-2149-14

Référence : 2017 CF 104

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 26 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

FRAC SHACK INC. ET FRAC SHACK INTERNATIONAL INC.

demanderesses/

défenderesses reconventionnelles

et

AFD PETROLEUM LTD.

défenderesse/

demanderesse reconventionnelle

JUGEMENT ET MOTIFS

Table des matières

I. Les actes de procédure 4

II. Sommaire des issues de la présente action 5

III. Contexte 7

A. Les parties 7

B. Renseignements technologiques généraux 8

1) Fracturation hydraulique 8

2) Avitaillement moteur en marche 10

C. Le brevet 567 12

IV. Témoins des faits de Frac Shack 16

A. Jeffery Todd Van Vliet 16

B. Peter Chernik 20

C. Scott Van Vliet 22

D. David Lamberton 22

E. Bruce D. Garland 24

V. Témoins experts de Frac Shack 25

A. Douglas G. Smith 25

B. Kevin P. Matiasz 26

C. Colleen Basden 27

VI. Témoins des faits d’AFD 28

A. Shane R. Ohman 28

B. Dennis Brodersen 30

C. Michael Power 31

D. Dale Reimer 33

E. Mark Bader 37

F. Curtis Small 38

VII. Témoins experts d’AFD 40

A. Richard N. Berry 40

B. Andrew Colin Harington 41

VIII. Questions préliminaires – Admissibilité des rapports d’expertise 42

A. Rapports de contrefaçon et de validité de Douglas Smith et de Kevin Matiasz 42

1) Objection selon le critère de l’arrêt Mohan 42

2) Contre-preuve irrecevable 45

B. Rapport d’expertise de Richard Berry 46

C. Conclusion – Questions préliminaires 47

IX. L’interprétation des revendications 48

A. Dates pertinentes 49

B. Personne moyennement versée dans l’art 49

C. Les connaissances générales courantes 52

D. L’art antérieur 56

E. Termes des revendications nécessitant une interprétation 58

1) Le terme « automatique » 58

2) Le terme « bouchon d’avitaillement » 62

3) Le terme « chantier » 67

4) Le terme « disposition des soupapes » 69

5) L’expression « pompe reliée à une conduite » 71

X. Principes du droit se rapportant à l’utilité, à l’évidence et à la contrefaçon 72

A. L’utilité – Le caractère suffisant 72

B. L’utilité – La portée excessive des revendications 74

C. L’évidence 75

D. La contrefaçon 76

XI. Le caractère suffisant du brevet 567 77

XII. La portée excessive des revendications du brevet 567 79

A. Le détecteur de niveau de carburant 79

B. La soupape dans l’ensemble à carburant 80

C. Le terme « chantier » 82

D. Aucun emplacement précis 85

E. Bouchon d’avitaillement fileté 85

F. Raccords rapides 86

G. Conclusion relative aux revendications de portée plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée 87

XIII. L’évidence 87

XIV. La contrefaçon 93

A. L’expression « pompe reliée à une conduite » 95

B. Bouchon d’avitaillement ou raccord d’avitaillement en carburant 96

C. Soupapes à commande automatique 98

D. Régulateur et avitaillement en carburant automatisé activé par le régulateur 99

E. Conclusion concernant la contrefaçon 101

XV. Réparation pécuniaire 102

A. Restitution des bénéfices 103

B. Calcul des bénéfices 106

1) Bénéfices bruts de la contrefaçon 108

2) Solution de substitution non contrefaisante 112

3) Conclusion 113

C. Redevance raisonnable pour la période préalable à l’octroi 114

D. Dommages-intérêts punitifs 117

XVI. Injonction 120

XVII. Dépens 120

I. Les actes de procédure

[1] La présente action porte sur la validité et la contrefaçon du brevet canadien 2 693 567, intitulé « Système et méthode d’alimentation en carburant » (le brevet 567). Le brevet 567 a été déposé le 16 février 2010, publié le 21 octobre 2010 et octroyé le 23 septembre 2014. Frac Shack Inc. (FSH) est titulaire du brevet 567.

[2] Les demanderesses dans la présente action sont FSH et Frac Shack International Inc. (FSI) (collectivement, Frac Shack ou les demanderesses). La défenderesse est AFD Petroleum Ltd. (AFD ou la défenderesse).

[3] Les demanderesses affirment que la défenderesse a contrefait les revendications 1 à 4, 7 à 13, 15 à 23 et 26 à 38 du brevet 567, en concevant et en exploitant un système d’alimentation en carburant, connu sous le nom de « système de ravitaillement en carburant sur place d’AFD » (la remorque de fracturation d’AFD).

[4] La défenderesse soutient que la remorque de fracturation d’AFD ne contrefait pas le brevet 567, et introduit une demande reconventionnelle selon laquelle le brevet 567 est invalide pour les motifs suivants : i) il est évident, ii) la divulgation dans le brevet est insuffisante ou iii) les revendications sont de portée plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée. La défense d’invalidité fondée sur l’ambiguïté a été abandonnée au procès.

[5] Les questions suivantes sont soulevées :

  • 1) Questions préliminaires :

    1. Faut-il radier certaines parties des rapports d’expert de Douglas Smith et de Kevin Matiasz?

    2. Faut-il radier tout ou partie du rapport d’expert de Richard Berry?

  • 2) La contrefaçon de brevet et la validité du brevet :

  1. La validité :

    1. Les revendications 1 à 38 du brevet 567 sont-elles invalides du fait que la divulgation est insuffisante pour qu’une personne moyennement versée en conception de systèmes de stockage de carburant et d’alimentation en carburant puisse reproduire l’invention présumée?

    2. Les revendications 1 à 38 du brevet 567 sont-elles invalides du fait qu’elles sont de portée plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée décrite dans le mémoire descriptif?

    3. Les revendications 1 à 38 du brevet 567 sont-elles invalides pour cause d’évidence?

  2. La contrefaçon :

  1. Les revendications 1 à 4, 7 à 13, 15 à 23 ou 26 à 38 du brevet 567 ont-elles été contrefaites par la remorque de fracturation d’AFD :

  1. avant le 23 septembre 2014;

  2. entre le 23 septembre et le 18 octobre 2014;

  3. ou après le 18 octobre 2014?

  • 3) Les mesures de redressement :

  1. Les demanderesses ont-elles droit à une injonction, à des dommages-intérêts ou à la restitution des bénéfices par la défenderesse?

II. Sommaire des issues de la présente action

[6] Les issues en l’espèce sont les suivantes :

  • 1) Questions préliminaires :

    1. Les rapports d’expert de Douglas Smith et de Kevin Matiasz sont acceptés dans leur intégralité.

    2. Le rapport d’expert de Richard Berry est accepté dans son intégralité.

  • 2) La contrefaçon de brevet et la validité du brevet :

  1. La validité :

    1. Les revendications 1 à 38 du brevet 567 sont suffisantes.

    2. Les revendications suivantes ont une portée plus vaste que n’importe quelle invention réalisée ou divulguée :

      1. les revendications 1 à 6 qui ne divulguent pas un détecteur de niveau de carburant;

      2. les revendications 16 à 18 et 32 à 37, qui divulguent l’utilisation sur un chantier et non l’utilisation durant les activités de fracturation à un site de forage;

      3. les revendications 20 à 26, qui divulguent un système d’alimentation en carburant, dont l’utilisation n’est pas limitée à un emplacement particulier.

    3. Les revendications 1 à 15, 19, 27 à 31 et 38 du brevet 567 ne sont pas évidentes.

    4. Les revendications 7 à 15, 19, 27 à 31 et 38 sont valides.

  2. La contrefaçon :

    1. Les revendications 10, 27, 29 et 30 sont valides, mais ne sont pas contrefaites par la remorque de fracturation d’AFD.

      1. Le brevet 567 a été délivré le 23 septembre 2014 et il n’y a pas eu de contrefaçon avant cette date.

      2. Il est reconnu par la défenderesse qu’AFD a contrefait les revendications 11 et 12 entre le 23 septembre et le 18 octobre 2014, ainsi que les revendications suivantes :

        1. la revendication 7;

        2. la revendication 8;

        3. la revendication 9;

        4. la revendication 13;

        5. la revendication 15, étant subordonnée à la revendication 13;

        6. la revendication 19, étant subordonnée à la revendication 16 ou 17;

        7. la revendication 28, étant subordonnée aux revendications 7, 8, 9 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);

        8. la revendication 31, étant subordonnée aux revendications 7, 8, 9, 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17) ou 28 (étant subordonnée aux revendications 7, 8, 9 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17));

        9. la revendication 38, étant subordonnée à la revendication 32.

      3. Les revendications suivantes ont été contrefaites par AFD après le 18 octobre 2014 :

        1. la revendication 7;

        2. la revendication 8;

        3. la revendication 11;

        4. la revendication 13, étant subordonnée à la revendication 11;

        5. la revendication 15, étant subordonnée à la revendication 13 (étant subordonnée à la revendication 11);

        6. la revendication 19, étant subordonnée à la revendication 16 ou 17;

        7. la revendication 28, étant subordonnée aux revendications 7, 8 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);

        8. la revendication 31, étant subordonnée aux revendications 7, 8, 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17) ou 28 (étant subordonnée aux revendications 7, 8 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17));

        9. la revendication 38, étant subordonnée à la revendication 32.

  • 3) Les mesures de redressement :

  1. Les demanderesses ont droit à une injonction, à la restitution des bénéfices pour la contrefaçon et à une redevance raisonnable pour l’utilisation faite par la défenderesse avant le 23 septembre 2014, de la manière précisée ci-après.

III. Contexte

A. Les parties

[7] FSH, une société constituée en Alberta, exerce ses activités à titre de fabricant et d’exploitant d’équipement destiné aux champs pétrolifères, y compris des systèmes d’alimentation en carburant pour le secteur pétrolier et gazier. Ses produits comprennent le système d’alimentation en carburant Frac ShackMC (le système Frac Shack), qui est la réalisation du brevet 567. FSH est titulaire du brevet 567.

[8] FSI est une société constituée en personne morale en vertu des lois du Canada, qui exerce ses activités à titre d’exploitant d’équipement destiné aux champs pétrolifères, y compris des systèmes d’alimentation en carburant pour le secteur pétrolier et gazier. FSI est une filiale en propriété exclusive de FSH et, pendant la période pertinente, était titulaire d’une licence de FSH relativement au brevet 567 et à la technologie du système Frac Shack. Les demanderesses commercialisent et exploitent le système Frac Shack au Canada.

[9] AFD, une société constituée en Alberta, exerce ses activités à titre de concepteur, de fabricant, d’exploitant, de distributeur et de vendeur de systèmes d’alimentation en carburant pour le secteur pétrolier et gazier. Ses produits comprennent la remorque de fracturation d’AFD.

B. Renseignements technologiques généraux

1) Fracturation hydraulique

[10] La fracturation hydraulique est un procédé qui consiste à injecter des fluides dans des trous de forage souterrains pour créer des voies permettant au pétrole ou au gaz naturel de remonter à la surface pour en maximiser l’extraction. La fracturation hydraulique est habituellement utilisée pour les « formations inhabituelles », dans lesquelles le forage horizontal est utilisé pour extraire le pétrole et le gaz naturel qui ne peuvent remonter librement à la surface.

[11] Pour créer des trous de forage horizontaux, il faut recourir à la fracturation hydraulique à forte intensité. À l’heure actuelle, les formations inhabituelles peuvent nécessiter de nombreuses étapes successives de fracturation hydraulique pour que les puits soient économiquement viables. Ce résultat s’obtient généralement par le recours aux traitements de fracturation hydraulique à haute charge, à forte intensité et à étapes multiples.

[12] Une exploitation de fracturation hydraulique dans les formations inhabituelles nécessite des fournitures en grande quantité – carburant, fluides de fracturation, produits chimiques et agents de soutènement (matières solides servant à maintenir les fractures artificielles ouvertes) – et de nombreuses pièces d’équipement portatives de grande taille. L’équipement portatif, qui comprend généralement au moins un moteur à diesel et un réservoir de stockage du diesel, est transporté sur place dans des remorques tirées par des tracteurs diesel. Une exploitation de gisements inhabituels de gaz naturel par fracturation hydraulique comptera de 24 à 30 semi-remorques sur place.

[13] Une exploitation de fracturation à un site de forage inhabituel comporte généralement des zones multiparois, qui peuvent contenir de 2 à 24 puits ou plus afin d’en accroître la viabilité économique. Idéalement, les activités de fracturation se déroulent 24 heures sur 24. L’exploitation est cependant soumise à une contrainte logistique, soit l’alimentation en carburant de chaque pièce d’équipement utilisée à un emplacement donné. Alors qu’une pénurie de carburant peut simplement immobiliser l’équipement en attendant le ravitaillement, elle peut aussi causer d’importants problèmes dans les trous de forage notamment, les dommages aux formations qui entraînent l’impossibilité d’achever les fractures, si la pénurie survient durant l’un des traitements par fracturation.

[14] Afin d’atténuer le risque de pénurie de carburant, les niveaux de carburant sont constamment surveillés et les réservoirs sont ravitaillés au besoin. La majorité des pièces d’équipement de fracturation sont équipées d’un réservoir à carburant pour assurer leur fonctionnement pendant trois ou quatre heures dans des conditions normales. Idéalement, le ravitaillement a lieu entre les traitements par fracturation. Cependant, dans certaines exploitations, les réservoirs à carburant doivent être ravitaillés pendant que l’équipement tourne, en raison du temps requis pour achever les traitements par fracturation. Le ravitaillement pendant que l’équipement de fracturation tourne s’appelle « avitaillement moteur en marche ».

2) Avitaillement moteur en marche

[15] Avant 2010, le ravitaillement de l’équipement de fracturation était effectué par un travailleur tirant une conduite chargée de carburant jusqu’au réservoir de chaque pièce d’équipement, dans lequel il injectait manuellement le diesel (avitaillement manuel moteur en marche). L’avitaillement manuel moteur en marche était et demeure une tâche dangereuse et difficile qui exige généralement qu’un travailleur ravitaille l’équipement pendant qu’il tourne. Il doit aussi travailler entre des pièces situées à environ un mètre de distance et utiliser du matériel de pompage fonctionnant à de hautes pressions.

[16] En raison des difficultés associées à l’environnement de fracturation et à la disposition de l’équipement, l’avitaillement manuel moteur en marche nécessite souvent une équipe de trois personnes : 1) un opérateur de conduite qui déverse le carburant dans le réservoir; 2) un transporteur de conduite qui aide à transporter la conduite entre les pièces d’équipement; et 3) un surveillant d’incendie qui est équipé de matériel de lutte contre les incendies en cas d’accident. Il arrive parfois qu’un quatrième travailleur se joigne à l’équipe, qui fait fonctionner l’équipement de pompage et met la pompe d’avitaillement hors tension au besoin.

[17] Le risque d’incendie associé à l’avitaillement manuel moteur en marche peut être très élevé sur certains chantiers de fracturation. Les vapeurs diesel peuvent s’échapper dans l’atmosphère lorsque les bouchons des réservoirs de carburant sont retirés. Les vapeurs de carburant sont plus lourdes que l’air et peuvent se déplacer sur des distances considérables jusqu’à des sources d’inflammation et de retour de flamme, ce qui accroît le risque d’incendie. Le diesel déversé ou en suspension peut aussi s’enflammer, surtout s’il est en étroite proximité avec un moteur diesel, dont la température peut excéder 400 C lorsqu’il tourne sous forte charge.

[18] Outre le risque d’incendie, il existe de nombreux autres risques potentiels pour la santé et la sécurité découlant de l’avitaillement manuel moteur en marche :

  1. Dangers liés au soulèvement :
    • On estime qu’une conduite de 100 pieds peut peser plus de 100 livres. Le poids des conduites, en plus de la friction résultant du glissage au sol, peut causer des fractures de stress répétées chez les opérateurs qui les déplacent d’un équipement à l’autre.
  2. Dangers liés au bruit :
    • Les travailleurs peuvent être exposés à des niveaux de bruit extrêmement élevés et doivent porter des protecteurs auditifs en couches multiples.
  3. Dangers liés aux espaces clos :
    • L’espace entre les pièces d’équipement haute pression est très étroit, c’est sans compter les risques de trébuchement selon les conditions météorologiques, le terrain et l’aménagement du chantier. Habituellement, les opérateurs n’ont qu’un seul point d’entrée et de sortie sécuritaire. La visibilité et la communication peuvent aussi poser problème.
  4. Dangers liés à la qualité de l’air :
    • Lorsque les bouchons sont retirés des réservoirs à carburant, des vapeurs diesel s’échappent dans l’air. Les opérateurs sont aussi exposés à l’échappement des moteurs, et l’air peut être sous-oxygéné ou suroxygéné.
  5. Dangers liés aux hautes températures :
    • Les moteurs diesel tournent à de très hautes températures. L’été, les opérateurs peuvent être exposés à des chaleurs excessives.
  6. Dangers de déversement :
    • Les déversements peuvent causer des dangers pour la santé et l’environnement et suscitent de sérieuses préoccupations pour les entreprises pétrolières et gazières et les fournisseurs de services de fracturation.

C. Le brevet 567

[19] Le brevet 567 porte sur un appareil et un procédé pour avitailler de l’équipement ou des réservoirs à carburant à des sites de forage. L’invention est résumée de la façon suivante aux pages 1 et 2 du brevet 567 :

[traduction] Un système et une méthode d’alimentation en carburant sont déposés pour réduire la probabilité qu’un réservoir à carburant d’un équipement à un site de forage soit à sec pendant la fracturation d’un puits. Un système d’alimentation en carburant est donc fourni pour alimenter en carburant les réservoirs d’un équipement à un site de forage pendant la fracturation d’un puits […]

Une méthode est aussi fournie pour alimenter en carburant les réservoirs d’un équipement à un site de forage en pompant le carburant à la source au moyen de conduites reliées à chaque réservoir et en régulant le débit de fluide dans chaque conduite indépendamment du débit des autres conduites.

[20] L’invention 567 est conçue pour remplacer le procédé standard de ravitaillement en carburant aux sites de forage durant les opérations de fracturation hydraulique d’un forage de puits, c’est-à-dire l’avitaillement manuel moteur en marche. Essentiellement, la technologie comprend un système et une méthode pour alimenter en carburant les réservoirs à partir d’une source de carburant, et plusieurs sorties de carburant sont rattachées aux conduites qui servent à alimenter indépendamment en carburant les réservoirs des pièces d’équipement individuelles situées sur le chantier.

[21] Le brevet 567 comporte cinq revendications distinctes.

[22] Revendication 1 :

[traduction] Un système d’alimentation en carburant pour alimenter en carburant les réservoirs de l’équipement à un site de forage pendant la fracturation d’un puits, ce système comprenant :

une source de carburant comptant plusieurs sorties de carburant;

une conduite rattachée à chaque sortie de carburant dans un ensemble de plusieurs sorties, chaque conduite étant reliée à un bouchon d’avitaillement sur chaque réservoir à carburant afin d’alimenter en carburant chaque réservoir;

une disposition des soupapes à chaque sortie de carburant servant à réguler le débit de fluide dans la conduite rattachée à chaque sortie de carburant.

[23] Revendication 11 :

[traduction] Une méthode d’alimentation en carburant des réservoirs sélectionnés de l’équipement à un site de forage pendant la fracturation d’un puits, cette méthode comprenant :

le pompage de carburant à partir de la source de carburant dans des conduites rattachées à chaque réservoir à carburant;

la régulation du débit de fluide dans chaque conduite indépendamment du débit dans les autres conduites; et

la régulation automatique du débit de fluide dans chaque conduite à la réception de signaux indiquant les niveaux de carburant dans les réservoirs à carburant.

[24] Revendication 16 :

[traduction] Un système d’alimentation en carburant pour alimenter automatiquement de nombreux réservoirs à carburant à un chantier, ce système comprenant :

une source de carburant comptant un collecteur ou plus raccordable à un réservoir à carburant principal ou plus par au moins une conduite carburant, et une pompe reliée à chaque conduite carburant pour pomper le carburant dans un réservoir principal ou plus jusqu’à un collecteur ou plus;

chaque collecteur dans l’ensemble de collecteurs compte de nombreuses sorties de carburant, et chaque sortie d’un ensemble de sorties de carburant est équipée d’un raccord de conduite;

chaque conduite comprenant une première extrémité et une deuxième extrémité, la première extrémité étant connectée à une extrémité correspondante d’un ensemble de sorties de carburant et la deuxième extrémité comprenant un raccord d’avitaillement en carburant qui est vissé à la deuxième extrémité d’une conduite d’un réservoir à carburant dans lequel le carburant est déversé;

une soupape automatique sensible aux signaux de commande électronique à chaque sortie de carburant;

un détecteur de niveau de carburant associé à chaque raccord d’avitaillement en carburant;

un régulateur sensible aux signaux transmis par chaque détecteur de niveau de carburant par un canal de communication particulier servant à acheminer les signaux de commande aux soupapes à commande automatique respectives.

[25] Revendication 20 :

[traduction] Un système d’alimentation en carburant pour alimenter en carburant un réservoir à carburant, ce système comprenant un régulateur et une source de carburant, laquelle compte une sortie de carburant ou plus, et chaque sortie comprenant :

une conduite fixée à la sortie, conduite étant connectée au bouchon d’avitaillement d’un réservoir à carburant pour l’avitaillement; une disposition des soupapes à la sortie de carburant pour réguler le débit de fluide dans la conduite à la sortie de carburant; et la disposition des soupapes comprenant une soupape à commande automatique à la sortie de carburant;

un bouchon comprenant un détecteur de niveau de carburant;

un régulateur sensible aux signaux transmis par le détecteur de niveau de carburant par un canal de communication servant à acheminer les signaux de commande aux soupapes à commande automatique.

[26] Revendication 32

[traduction] Un système d’alimentation en carburant pour l’avitaillement automatique en carburant de nombreuses pièces d’équipement à un chantier, comprenant :

un réservoir à carburant comptant un ou plusieurs collecteurs raccordables à une source de carburant;

chaque collecteur dans cet ensemble de collecteurs compte de nombreuses sorties de carburant, et chaque sortie d’un ensemble de sorties de carburant est équipée d’un raccord de conduite;

chaque conduite comprenant une première extrémité et une deuxième extrémité, la première extrémité étant connectée à une extrémité correspondante d’un ensemble de sorties de carburant et la deuxième extrémité comprenant un raccord d’avitaillement en carburant vissé à la deuxième extrémité d’une conduite d’un réservoir à carburant d’une pièce d’équipement dans lequel le carburant est déversé;

une soupape automatique sensible aux signaux de commande électronique à chaque sortie de carburant;

un détecteur associé à chaque ensemble de sorties de carburant, conduite et raccord d’avitaillement en carburant;

un régulateur sensible aux signaux transmis par chaque détecteur de niveau de carburant par un canal de communication particulier servant à acheminer les signaux de commande aux soupapes à commande automatique respectives.

IV. Témoins des faits de Frac Shack

A. Jeffery Todd Van Vliet

[27] M. Van Vliet est président et directeur de FSH et de FSI, et l’un des inventeurs du brevet 567. Par le passé, il était propriétaire et directeur d’Environmental Refueling Systems (ERS), l’entreprise à l’origine de FSH. À l’heure actuelle, ERS est une entreprise assurant l’achat, la vente, le transport, le stockage, la distribution et la livraison de carburant. L’une de ses activités principales est l’alimentation en carburant de chantiers, de campagnes de forage, d’importants projets de construction et de grands parcs de camions.

[28] M. Van Vliet a livré un témoignage sur l’historique de FSH et les liens entre ERS, FSH et FSI. Il a affirmé qu’ERS a commencé ses activités de ravitaillement en carburant sur les chantiers de fracturation en 2009, à la suite de l’appel d’un client demandant des services d’avitaillement manuel moteur en marche sur un chantier au nord de Fort Nelson. Il a décrit son expérience de l’avitaillement manuel moteur en marche sur ce chantier et ses réflexions au sujet de ce qu’il y avait vu qui, à son avis, n’avait aucun sens du point de vue de la sécurité, puisque le processus de sécurité relatif à l’avitaillement manuel moteur en marche consistait simplement à équiper le travailleur effectuant l’avitaillement manuel d’équipement de protection individuelle suffisant pour atténuer les risques liés à cet emploi.

[29] Après avoir été témoin des protocoles de sécurité sur ce premier chantier, M. Van Vliet et son frère ont décidé de remédier au problème posé par l’avitaillement manuel moteur en marche. Ils se sont fixé trois objectifs : 1) éloigner les travailleurs de la zone de surchauffe dangereuse; 2) réduire la quantité de carburant déversée sur le sol, qui peut causer des incendies et des dangers pour l’environnement; et 3) intégrer des redondances au système, de sorte que chaque système automatique comporte un système manuel parallèle en cas de défaillance mécanique. M. Van Vliet a fait savoir qu’il croyait personnellement qu’il était essentiel, pour l’exploitation pratique du système Frac Shack, d’y intégrer une commande manuelle pour que l’opérateur exerce, au besoin, une surveillance et un contrôle sur le système automatisé.

[30] M. Van Vliet a exposé les nombreuses conceptions envisagées pour le système Frac Shack, particulièrement l’emplacement des soupapes, la pression de fluide et les détecteurs de niveau de carburant. M. Van Vliet a précisé que la création du système Frac Shack avait suivi un processus de conception fortement itératif et qu’ils avaient connu quelques défauts de conception aux premières étapes. Cependant, dès janvier 2010, ERS a créé un prototype et, à l’été 2010, elle avait produit un système fonctionnel. M. Van Vliet a témoigné qu’en 2010, des ensembles du système Frac Shack avaient été exposés au Salon mondial du pétrole, ainsi que par Halliburton Energy Services (Halliburton) à Calgary. Il a aussi indiqué que le système Frac Shack avait été exposé au Salon mondial du pétrole de 2012, où des représentants d’AFD en avaient pris connaissance. Il se souvient qu’au Salon de 2012, il avait été présenté à l’un [traduction] « des frères Reimer », à Mark Bader et à Mike Power.

[31] M. Van Vliet a aussi mentionné le travail effectué pour une étude de cas, qui avait comparé l’efficacité de l’avitaillement manuel moteur en marche et du système Frac Shack pour Talisman Energy Inc., au Texas. Il a précisé que le procédé de fracturation utilisé, appelé [traduction] « bille et manchon », pouvait être utilisé en continu. Ce procédé, comparativement à l’ancien appelé [traduction] « bouchon et perforation », présentait l’avantage qu’il n’était pas nécessaire de réduire la pression de l’équipement de fracturation entre les étapes parce qu’il y avait un intervalle entre les étapes et le ravitaillement en carburant avait lieu pendant que le matériel de pompage demeurait sous pression. Il a témoigné que le système Frac Shack avait réduit l’intervalle entre les étapes, qui était passé d’une heure à quatre minutes, ce qui avait permis à l’entreprise de doubler le nombre d’étapes par jour et de réduire de deux semaines la durée du projet, générant ainsi des économies pour le producteur.

[32] Il a indiqué qu’une personne avertie serait en mesure d’assembler le système Frac Shack en utilisant des pièces de série, à l’exception de deux composants fabriqués par Frac Shack : le bouchon d’avitaillement et le collecteur de carburant. Il a également témoigné que les premiers ensembles du système Frac Shack, achevés en 2010, étaient toujours fonctionnels et étaient utilisés sur les chantiers en 2016.

[33] En contre-interrogatoire, il a reconnu que Frac Shack (ERS à l’époque) avait essayé de trouver un capteur adéquat en 2009-2010, avant de décider de combiner deux technologies de série pour parvenir à une solution. De plus, il a admis qu’ils avaient dû faire des essais sur trois différentes pompes pour déterminer celle qui exécuterait l’avitaillement sans surcharger le système.

[34] Il a expliqué que l’exploitation du système Frac Shack constituait l’unique activité de Frac Shack et Frac Shack America Inc. (FSA, qui n’est pas partie à la présente action). FSI possède actuellement 46 ensembles du système Frac Shack. Il a ajouté qu’en 2014, Frac Shack et FSA avaient exécuté toutes les commandes pour le système Frac Shack qu’elles avaient reçues et, depuis 2010, elles ont loué le système Frac Shack plus de 3 600 fois.

[35] La dernière fois que Frac Shack a fait du travail pour Trican Well Service Ltd. (Trican) remonte à février 2014. Trican est un client de Frac Shack depuis 2012 seulement. En outre, la relation entre Frac Shack et Calfrac Well Services Corp. (Calfrac) était intermittente, selon les producteurs pétroliers pour lesquels Calfrac travaillait. La dernière fois que Frac Shack a fait du travail pour Calfrac était en août 2015.

[36] M. Van Vliet a reconnu ne pas savoir quel procédé de ravitaillement en carburant Calfrac utilise actuellement. De plus, il a indiqué que certaines entreprises de fracturation estiment que l’avitaillement manuel moteur en marche est toujours un procédé de ravitaillement acceptable, et ce, que l’équipement dans la zone de surchauffe soit dépressurisé ou non. Il a précisé que les entreprises de fracturation ne disposaient pas d’une seule méthode adéquate pour établir une matrice des risques et qu’elles peuvent évaluer les risques différemment.

[37] M. Van Vliet a aussi reconnu que Frac Shack essayait d’obtenir du travail chez Trican et Calfrac depuis 2014 et 2015 respectivement, mais sans succès. Il a également précisé que Frac Shack avait pris une décision d’affaires d’offrir en location des ensembles du système Frac Shack indépendamment des ventes de carburant. Selon le prix fixé pour l’ensemble, en plus des frais de carburant, Frac Shack a estimé que la société Encana (Encana) qui utilise le système Frac Shack – elle compte deux ensembles sur son chantier – économiserait 20 $ par jour par rapport à l’avitaillement manuel en carburant moteur en marche.

[38] M. Van Vliet a été° un témoin franc et crédible.

B. Peter Chernik

[39] M. Chernik est ingénieur et membre de la Society for Petroleum Engineers. Avant de prendre sa retraite, il était directeur général de la Section de distribution de gaz naturel liquéfié chez Nexen/CNOOC Limited (Nexen), poste qu’il a occupé pendant sept ans. Il compte 39 années d’expérience dans le secteur pétrolier et gazier, et de 20 à 25 ans dans le domaine de la fracturation.

[40] M. Chernik a expliqué qu’aux premières heures de la fracturation, les entreprises foraient des puits verticaux mais, en 2006-2007, l’industrie a changé de sorte que les puits de gaz étaient principalement horizontaux. L’industrie devait réaliser des [traduction] « fractures en très grand nombre pour chaque puits horizontal ». Il a précisé qu’avant 2010, lorsque les travaux étaient de petite envergure, il y avait suffisamment de carburant dans les autopompes pour terminer le travail avant la dépressurisation et le ravitaillement en carburant. Toutefois, après que les travaux ont pris de l’ampleur, nécessitant de 20 à 25 autopompes fonctionnant simultanément, les travailleurs ont été obligés d’effectuer l’avitaillement manuel moteur en marche, car les autopompes tournaient constamment jour et nuit. L’intervalle entre les fracturations était d’environ 20 minutes seulement, ce qui ne laissait pas assez de temps pour ravitailler toutes les autopompes, sans suspendre les opérations pour le ravitaillement en carburant.

[41] M. Chernik a affirmé qu’il connaissait le système Frac Shack, car Nexen l’avait utilisé pour des milliers de travaux depuis 2011 environ. Il a décrit ce système comme une [traduction] « technologie qui répondait parfaitement aux besoins de [Nexen] », car il était beaucoup plus sécuritaire et efficace. De plus, le système avait permis de réduire l’espace entre les pièces d’équipement, réduisant ainsi la superficie des plateformes de forage. Il a témoigné que dès que la direction de Nexen avait pris connaissance de la technologie de Frac Shack, elle avait voulu l’utiliser sur ses chantiers, et estimait que le système Frac Shack fonctionnait de manière impeccable. À son avis, le principal facteur qui était intervenu dans le choix du système Frac Shack était la sécurité, le second facteur étant la capacité de travailler plus efficacement.

[42] En contre-interrogatoire, M. Chernik a expliqué pourquoi et comment les entreprises exécutaient de nombreuses fracturations aux sites de forage, et a reconnu que Nexen n’avait pas vraiment eu besoin de la technologie de Frac Shack avant 2009.

[43] M. Chernik a été un témoin franc et crédible.

C. Scott Van Vliet

[44] M. Scott Van Vliet est le chef de la direction d’ERS et l’un des inventeurs du brevet 567. Il a relaté sa première visite d’un chantier de fracturation de Schlumberger en 2009, au nord de Fort Nelson, dans le bassin de la rivière Horn. Il a affirmé qu’ERS livrait du carburant à partir du dépôt de carburant jusqu’aux plateformes de complétion, et ses travailleurs effectuaient l’avitaillement manuel moteur en marche pour ces exploitations.

[45] Il a témoigné qu’après avoir vu le procédé d’avitaillement manuel moteur en marche, il avait discuté des risques potentiels pour la sécurité avec son frère (M. Todd Van Vliet). Il a précisé qu’après avoir effectué le premier essai sur le prototype, ils avaient reconnu qu’ils devaient perfectionner le système Frac Shack. Pour ce faire, ils ont décidé de dériver la société FSH d’ERS, avec Todd Van Vliet à la barre. M. Scott Van Vliet a décidé de demeurer à ERS pour s’occuper des activités quotidiennes.

[46] M. Scott Van Vliet a fait savoir que le système Frac Shack était un produit prisé dans le commerce et un important produit sur le plan de l’efficacité et de la sécurité.

[47] M. Scott Van Vliet n’a pas été contre-interrogé, et il a été un témoin franc et crédible.

D. David Lamberton

[48] M. Lamberton est gestionnaire des solutions client et du marketing chez FSH depuis 2014. Auparavant, de 2013 jusqu’au début de 2014, il travaillait chez Encana comme analyste de produits de base, où il était chargé de l’approvisionnement direct de certains produits pour les exploitations de fracturation.

[49] M. Lamberton a témoigné qu’il avait pris part à la décision d’utiliser le système Frac Shack à Encana. Il a indiqué que l’entreprise considérait le système Frac Shack comme une nouvelle technologie novatrice, qui avait contribué à rendre les opérations plus sécuritaires. Il a précisé que la sécurité était un important facteur dans la décision d’Encana d’utiliser le système Frac Shack.

[50] Il a indiqué que lorsqu’il travaillait chez Encana, AFD avait fait des démarches auprès de son groupe à propos de sa remorque de fracturation. Il ne se souvenait pas des particularités du système de ravitaillement en carburant d’AFD, mais il se rappelle que la remorque de fracturation d’AFD était semblable au système Frac Shack.

[51] M. Lamberton a expliqué que dans son poste actuel chez FSH, il s’emploie principalement à promouvoir le système Frac Shack, à trouver de nouveaux débouchés et à gérer les relations avec la clientèle existante. Il a mentionné qu’il mettait en valeur les caractéristiques de sécurité et d’efficacité du système Frac Shack dans son argumentaire de vente auprès des clients, et que le système est commercialisé comme un service supérieur à un prix de prestige. Il a précisé qu’en moyenne, deux ensembles sont loués pour chaque plateforme.

[52] En contre-interrogatoire, il a mentionné que son équipe à Encana n’avait trouvé aucun avantage concret à remplacer le système Frac Shack par la remorque de fracturation d’AFD. Il a cependant précisé qu’il ne savait pas si les ingénieurs d’Encana avaient examiné le système d’AFD pour déterminer s’il répondait aux exigences techniques d’Encana.

[53] M. Lamberton a été un témoin franc et crédible.

E. Bruce D. Garland

[54] M. Garland est ingénieur et directeur principal des activités de forage et de complétion chez WesternZagros Resources. Avant son affectation à WesternZagros, il travaillait chez Nexen où, de 2009 à 2014, il a occupé le poste de gestionnaire des activités de forage et de complétion pour les projets de fracturation dans le bassin de la rivière Horn.

[55] Il a affirmé qu’il connaissait le système Frac Shack et, à son avis, il représentait une amélioration par rapport à l’avitaillement manuel moteur en marche. Il a témoigné que Nexen utilisait le système Frac Shack à l’été, à compter de 2009 – lorsque Calfrac a informé l’entreprise de la technologie – jusqu’en 2014 à tout le moins. En 2011, Nexen a décidé de séparer les contrats de ravitaillement en carburant et ceux avec des entrepreneurs de services de fracturation, pour passer un marché directement avec Frac Shack pour l’utilisation de son système.

[56] M. Garland ne se souvenait pas de problèmes liés à l’environnement ou à la sécurité causés par les ensembles du système Frac Shack. Durant son emploi chez Nexen, il a estimé que l’entreprise avait utilisé les ensembles pour plus d’un millier de travaux sur quatre ou cinq différentes plateformes. Il a déclaré que s’il avait le choix aujourd’hui, il utiliserait une technologie comme le système Frac Shack plutôt que l’avitaillement manuel moteur en marche pour ses avantages à la fois sur le plan de la sécurité et de l’efficacité. Il a témoigné qu’à son avis, le système Frac Shack était excellent et que Nexen avait également tiré des avantages en recueillant des données, qu’elle utilisait pour optimiser ses campagnes de fracturation.

[57] En contre-interrogatoire, M. Garland a reconnu n’avoir aucune connaissance des activités de Nexen à l’extérieur du bassin de la rivière Horn.

[58] M. Garland a été un témoin franc et crédible.

V. Témoins experts de Frac Shack

A. Douglas G. Smith

[59] M. Smith est titulaire d’un certificat en santé et sécurité au travail de l’Université de l’Alberta et professionnel de santé, sécurité et environnement (SSE) depuis 23 ans. M. Smith est expert-conseil en SSE dans le secteur pétrolier et gazier. Il est actuellement expert-conseil en sécurité pour une nouvelle technologie d’extraction de gaz naturel liquéfié (GNL), et coprésident du groupe d’étude de la pratique recommandée par l’industrie no 8, Pompage de liquides inflammables.

[60] Avant d’être expert-conseil autonome, M. Smith a travaillé sur place dans des entreprises pétrolières et gazières, dont GASFRAC Energy Services, Baker Hughes Canada Inc., et BJ Services Co. (maintenant filiale de Baker Hughes). Il cumule 37 ans d’expérience dans le secteur pétrolier et gazier. Il est un professionnel en sécurité agréé du Canada et membre de la Société canadienne de la santé et de la sécurité au travail. Il est aussi membre du groupe de discussion sur la sécurité des procédés de l’Institute of Hazard Prevention.

[61] M. Smith a été reconnu à titre d’expert en santé et sécurité sur les chantiers de fracturation, y compris les sites de forage. Une objection, selon le critère de l’arrêt Mohan, a été soulevée au sujet de la portée de son témoignage et de l’admissibilité des paragraphes 8 et 30 à 41 et des annexes A à C de son rapport d’interprétation et de contrefaçon, ainsi que de l’intégralité de son rapport de validité. Une objection liée à la division de la preuve a aussi été soulevée à propos des paragraphes 3 à 5, 54 à 91 et 106 à 110 de son rapport de validité.

B. Kevin P. Matiasz

[62] M. Matiasz a obtenu un baccalauréat ès sciences en génie géologique de l’Université de la Saskatchewan en 1997. Il est membre actif de l’Association des ingénieurs et des géoscientifiques de l’Alberta, membre de la Society of Petroleum Engineers, et coprésident du Comité de forage et de complétion chargé de la pratique recommandée par l’industrie no 24, Activités de fracturation.

[63] M. Matiasz est conseiller en complétion chez Kandor Consulting Inc. Avant son entrée en fonction à Kandor, il a travaillé chez Encana et Halliburton. À Halliburton, M. Matiasz a occupé les postes de spécialiste technique principal et de représentant commercial principal, où il était chargé du montage et du fonctionnement de l’équipement de fracturation. Il a occupé de nombreux postes chez Encana, dont celui de gestionnaire des opérations de complétion pour le secteur d’exploitation de Duvernay.

[64] M. Matiasz a été reconnu comme expert en génie de complétion dans le secteur pétrolier et gazier, y compris les fractures, la conception de tubes spiralés et l’avitaillement en carburant de l’équipement de fracturation à un site de forage. Une objection selon le critère de l’arrêt Mohan a été soulevée concernant la portée de son témoignage et l’admissibilité des paragraphes 10 à 17 et 41 à 73, de l’annexe E de son rapport d’interprétation et de contrefaçon et de l’intégralité de son rapport de validité. Une objection liée à la division de la preuve a aussi été soulevée à propos des paragraphes 6 à 8 et 44 à 45 de son rapport de validité.

C. Colleen Basden

[65] Mme Basden a obtenu un baccalauréat en comptabilité de l’Université de Waterloo. Elle est comptable agréée et comptable professionnelle agréée. Elle a été agréée spécialiste en comptabilité d’enquête et judiciaire par l’Institut Canadien des Comptables Agréés et spécialiste d’évaluation d’entreprise. Elle a également reçu un agrément en juricomptabilité.

[66] Mme Basden est associée chez KPMG s.r.l., où elle est première vice-présidente de Juricomptabilité KPMG inc. Elle a reçu des affectations variées se rapportant au calcul de pertes économiques dans le cadre de litiges.

[67] Mme Basden a été reconnue à titre d’experte de la comptabilité judiciaire, y compris le calcul de dommages-intérêts et la restitution des bénéfices; elle possède en outre une expérience des actions en contrefaçon de brevet.

VI. Témoins des faits d’AFD

A. Shane R. Ohman

[68] M. Ohman est gestionnaire chez Legacy Petroleum, où il est responsable des activités quotidiennes à Hinton, ainsi que de l’alimentation en carburant, de la maintenance et de la surveillance des opérations à distance à Grande Cache, en Alberta. Par le passé, il a travaillé chez Trican, soit de 2009 jusqu’au printemps 2015, comme travailleur sur le terrain, puis comme coordonnateur des activités de fracturation à Hinton.

[69] Il a témoigné que de 90 à 95 % du ravitaillement en carburant sur les chantiers de Trican en 2014 était effectué par l’avitaillement manuel moteur en marche. Il a précisé qu’à un moment donné, Trican avait commencé à utiliser le système Frac Shack, après que Shell Canada Limitée a conclu un marché avec Frac Shack pour un projet. Il ne pouvait se rappeler si d’autres clients de Trican utilisaient le système Frac Shack.

[70] M. Ohman a expliqué que pour atténuer les risques de sécurité posés par l’avitaillement manuel moteur en marche, Trican avait relié un grand réservoir de carburant à de nombreux « collecteurs en T » posés au sol, auxquels des conduites carburants d’un pouce et demi pouvaient être rattachées, qui étaient ensuite reliées aux autopompes des réservoirs. Ce changement avait permis de réduire la nécessité pour les opérateurs de tirer de lourdes conduites de carburant d’une pièce d’équipement à l’autre. Il a aussi indiqué que les travailleurs devaient passer moins de temps près des lignes haute pression, puisqu’ils pouvaient approcher les réservoirs à carburant du côté de la remorque.

[71] Il a mentionné qu’un inconvénient du système Frac Shack, d’après ce qu’il avait vu, était la mobilité réduite des ensembles, car ils étaient montés sur des palettes et, une fois installés, les autres pièces d’équipement devaient être massées tout autour. Il a aussi mentionné les problèmes de facturation qu’il avait éprouvés, puisque Frac Shack envoyait ses factures à Trican en retard, qui avait alors de la difficulté à effectuer les écritures à temps.

[72] M. Ohman a indiqué qu’en 2014, il avait pris part à la décision d’utiliser la remorque de fracturation d’AFD. La raison pour laquelle son équipe avait opté pour la remorque de fracturation d’AFD plutôt que le système Frac Shack était que la remorque d’AFD était plus mobile et pouvait être installée, après que les autres pièces d’équipement de fracturation avaient été assemblées. Il a aussi fait savoir qu’il était plus facile de traiter de questions commerciales avec l’entreprise. Il a témoigné qu’en 2014, Trican aurait opté pour l’avitaillement manuel moteur en marche si la remorque de fracturation d’AFD n’avait pas été disponible.

[73] En contre-interrogatoire, M. Ohman a reconnu qu’il ne savait pas que Frac Shack offrait un modèle sur remorque plus mobile. Il a aussi admis qu’il n’était pas dans l’intérêt de Trican d’accélérer les travaux de fracturation, car sa tarification était fonction de la période passée sur le chantier. Lorsqu’on lui a demandé de parler d’une chaîne de courriels, dont il recevait des copies et dans lesquels Trican demandait à Frac Shack de réduire ses prix, il ne pouvait se rappeler s’il avait lu les courriels en question.

[74] M. Ohman a livré un témoignage franc et factuel. Il a cependant admis qu’il ne se souvenait pas ou ne connaissait pas de nombreux détails sur les activités de Trican en 2014.

B. Dennis Brodersen

[75] M. Brodersen est propriétaire-exploitant de Legacy Petroleum. Il a précisé qu’à l’heure actuelle, l’entreprise s’occupe principalement de postes d’avitaillement, et de leur ravitaillement, à Wildwood, Edson, Hinton, Grande Cache et dans une autre région éloignée. Il a affirmé que le poste de ravitaillement à Grande Cache est un poste à [traduction] « carte d’accès ». Ce poste éloigné compte des réservoirs équipés de capteurs qui enregistrent les niveaux de carburant et les paiements. Il a témoigné que Legacy Petroleum sert n’importe quel secteur qui consomme du diesel ou de l’essence (p. ex. les exploitations agricoles, les installations de forage, les entreprises de construction routière, les chantiers de fracturation, etc.).

[76] M. Brodersen a indiqué que Legacy Petroleum effectue l’avitaillement manuel moteur en marche sur les chantiers de fracturation depuis 2006, et qu’il est actuellement un sous-traitant de Trican. Il a expliqué qu’à l’heure actuelle, l’équipement de fracturation tourne 24 heures sur 24. Pour atténuer les risques de sécurité sur les chantiers, son entreprise avait installé des « collecteurs en T » qui séparent les grandes conduites de ravitaillement en carburant en conduites plus petites, ce qui avait réduit le temps que les opérateurs passent dans la zone de surchauffe. Il a fait savoir que jusqu’à dix conduites pouvaient être reliées à un « collecteur en T », et différentes conduites pouvaient être désactivées si elles n’étaient pas nécessaires pour un ravitaillement particulier.

[77] Comme il l’a témoigné, bien que Legacy Petroleum soit responsable du transport du carburant à un emplacement et de l’installation des « collecteurs en T », la majorité des entreprises de fracturation, comme Trican, ont des travailleurs sur place pour effectuer l’avitaillement manuel moteur en marche. Selon son estimation, il aurait participé à des milliers d’opérations d’avitaillement manuel moteur en marche depuis 2006, dont plus de 500 pour Trican en 2014. Il a précisé qu’il n’avait jamais été obligé de suspendre ses activités à la suite d’un incident de sécurité.

[78] En contre-interrogatoire, M. Brodersen a reconnu que l’unique activité de Legacy Petroleum est la vente de carburant et que ce ne sont pas les travailleurs de l’entreprise qui sont exposés aux risques de l’avitaillement manuel moteur en marche. Il a aussi exprimé l’avis qu’un déversement mineur ou la vaporisation de diesel ne constituait pas un problème de sécurité grave.

[79] J’estime que ce témoin était crédible, mis à part son avis sur ce dernier problème de sécurité, où sont en cause le déversement ou la vaporisation de diesel.

C. Michael Power

[80] M. Power est vice-président, Région du Pacifique d’AFD, où il est entré en fonction en 2005 au poste de superviseur des opérations à Fort McMurray. À ce poste, il a supervisé les activités de ravitaillement en carburant des installations Horizon de Canadian Natural Resources Limited.

[81] En 2010, il a assumé les fonctions de gestionnaire des systèmes pétroliers à Fort Saskatchewan, où il gérait un réservoir à carburant complexe – le « lubetainer » – ou les aménagements de séparation d’hydrocarbures de surface. Il a expliqué qu’un « lubetainer » est un grand conteneur d’expédition comptant de nombreux réservoirs à carburant, volucompteurs, filtres et soupapes intérieurs, à partir duquel le carburant est distribué.

[82] En 2012, M. Power a assumé la charge de vice-président de l’expansion commerciale à AFD. Il a témoigné au sujet de l’historique d’AFD, précisant que les deux plus importants événements qu’elle avait récemment connus étaient l’acquisition d’une entreprise à Fort McMurray et sa percée sur le marché du carburant de détail. Il a aussi mentionné qu’en 2014 et 2015, AFD avait été nommée l’une des entreprises les mieux gérées au Canada, ainsi que l’un des employeurs canadiens les plus sécuritaires dans la catégorie du transport.

[83] Il a ajouté qu’AFD s’occupe principalement du ravitaillement en carburant dans les secteurs pétrolier, gazier, industriel, des oléoducs et de la construction routière. Il a témoigné que le principe directeur d’AFD était d’offrir un service à la clientèle supérieur, associé aux équipements et aux technologies novateurs, particulièrement dans les régions éloignées.

[84] En contre-interrogatoire, M. Power a affirmé qu’il avait assisté au Salon mondial du pétrole en 2010, 2011 et 2012. Il a aussi admis qu’il avait vu le système Frac Shack exposé au Salon en 2012, alors qu’il [traduction] « se tenait debout près de la porte, l’une de ces années, en train de parler à Mike Lovin », un ancien employé d’AFD qui a travaillé à Frac Shack de 2010 à 2012.

[85] M. Power a été un témoin franc et crédible.

D. Dale Reimer

[86] M. Reimer est vice-président, Région des Prairies, chez AFD. Avant de se joindre à AFD, il travaillait à DFI Corporation (DFI, maintenant DFI Inc.), une entreprise se spécialisant en fonçage et fondations. Durant son affectation à DFI, il a participé à la mise en place de la tuberie et en a géré la production.

[87] Après avoir travaillé quelques années chez AFD, il a été promu gestionnaire de la Division des réservoirs à Fort Saskatchewan, où il était chargé de l’approvisionnement en pièces et composants pour les produits d’AFD et du déploiement d’équipement sur les chantiers. En 2013, il a été promu à son poste actuel, où il gère cinq sections locales d’AFD, y compris la Division des réservoirs.

[88] Il a indiqué qu’il avait pris part à la conception et à la fabrication de la remorque de fracturation d’AFD et, avant de travailler à ce projet, il n’avait aucune expérience des activités de fracturation. Il a témoigné que la première idée envisagée par les concepteurs d’AFD était de connecter un réservoir principal de carburant à la conduite d’alimentation d’un moteur. Cette idée avait été rejetée, car l’entreprise aurait dû modifier l’ensemble du parc d’équipement. Il a décrit les systèmes de détection de niveau de réservoir, de pompage et d’arrêt volumétrique d’AFD, et a expliqué qu’il avait consulté le site Web de nombreuses entreprises d’outillage, comme Landel Controls et Banner, pour trouver les composants pour la remorque de fracturation d’AFD.

[89] Il a précisé que la soupape à commande manuelle dans la remorque de fracturation d’AFD est une vanne d’isolement, qui est utilisée durant les réparations. À sa connaissance, cette vanne n’est pas utilisée pour amorcer ou arrêter l’injection de carburant dans le réservoir d’aucun équipement de fracturation. Il a aussi témoigné qu’une [traduction] « fonction automatique » de la remorque de fracturation d’AFD avait été désactivée ou supprimée en octobre 2014, avant que la remorque soit déplacée au Texas. Il a précisé que cette fonction avait été supprimée en raison du présent litige et la remorque de fracturation d’AFD avait été par la suite la [traduction] « version à commande manuelle » de la remorque. La remorque avait été déplacée au Texas parce qu’AFD avait de la difficulté à conclure des contrats pour la remorque au Canada.

[90] Il a reconnu en contre-interrogatoire que les soupapes de la version à commande manuelle de la remorque de fracturation d’AFD sont ouvertes et fermées par un travailleur qui appuie sur un bouton du panneau de commande – c’est-à-dire les soupapes sont ouvertes et fermées à distance au moyen d’un signal électronique et non par un travailleur interagissant physiquement avec le mécanisme à soupape même. Il a reconnu qu’il se peut que les « fonctions automatiques » de la remorque de fracturation d’AFD aient été réactivées au Texas.

[91] M. Reimer a aussi décrit l’adaptateur, qui est un composant fixé à chaque extrémité de la conduite carburant pour la connexion au réservoir à carburant de l’équipement. Il a précisé que ce composant avait aussi été modifié pour le marché du Texas, c’est-à-dire que les [traduction] « crochets en J » servant à fixer l’adaptateur avaient été remplacés par de la corde et des tendeurs. En contre-interrogatoire, M. Reimer a reconnu qu’AFD avait parfois appelé son adaptateur un bouchon, qui servait à retenir le détecteur de niveau de carburant dans le réservoir, et qu’il s’agissait d’un connecteur universel entre la conduite et le réservoir.

[92] Puisque la conception et la construction de la remorque de fracturation d’AFD devaient obtenir une approbation réglementaire, l’entreprise avait engagé des ingénieurs, possédant les titres de compétences requis, pour concevoir et fabriquer la remorque. L’assemblage final de la remorque a eu lieu en mars 2013. M. Reimer a témoigné que les dépenses en immobilisations liées à la remorque de fracturation d’AFD s’élevaient à plus d’un million de dollars, sans compter les conséquences économiques de la perte d’un réservoir dans leur parc durant la construction de la remorque. Il a aussi estimé qu’AFD avait engagé des charges d’exploitation de près de 60 000 $ (p. ex. hébergement à l’hôtel pour les opérateurs, etc.) et des frais de réparation de 200 000 $ de la remorque alors qu’elle se trouvait toujours au Canada.

[93] M. Reimer a indiqué qu’en mars 2013, AFD publicisait la remorque auprès de toutes les entreprises de fracturation et pétrolières. Il a rapporté que la réponse initiale était empreinte de scepticisme, personne ne voulant l’essayer en premier. Pour persuader Trican d’utiliser la remorque de fracturation d’AFD, entreprise avec laquelle AFD entretenait une relation d’affaires, elle lui a offert la remorque à titre gratuit. Même si d’autres entreprises avaient témoigné de l’intérêt en 2014, Trican avait une [traduction] « prise ferme » sur la remorque, de sorte qu’AFD n’a pu l’utiliser pour d’autres clients.

[94] Il a témoigné qu’AFD continue d’effectuer l’avitaillement manuel moteur en marche et le marché pour ce procédé d’avitaillement demeure plutôt vigoureux. Il a cependant reconnu en contre-interrogatoire que les clients d’AFD demandaient un procédé de ravitaillement en carburant plus sécuritaire que l’avitaillement manuel moteur en marche et des demandes particulières avaient été présentées pour construire un produit comme la remorque de fracturation d’AFD.

[95] Il a reconnu en contre-interrogatoire qu’AFD publicisait sa remorque comme un [traduction] « système novateur » qui améliorait la sécurité des travailleurs en réduisant la durée d’exposition dans les zones de surchauffe. M. Reimer a également mentionné les documents qu’AFD avait soumis au gouvernement du Canada en 2013 pour obtenir une subvention de recherche et développement pour la remorque de fracturation d’AFD (demande faite dans le cadre du Programme d’encouragement fiscal à la recherche scientifique et au développement expérimental ou « demande RS-DE »), où elle mentionnait explicitement les obstacles à surmonter et l’innovation nécessaire pour la conception de la remorque.

[96] Dans sa demande RS-DE, AFD a aussi indiqué que l’avitaillement manuel moteur en marche était inefficace et dangereux en raison de dangers comme l’incendie, l’arrêt de la machinerie, les déversements de carburant, ainsi que pour la santé et la sécurité des travailleurs. M. Reimer a mentionné une vidéo, jointe aux documents de la demande de subvention, qui montrait un incendie dans l’équipement de fracturation sur un chantier. Il a reconnu que la vidéo visait à montrer les graves conséquences des accidents durant le ravitaillement en carburant et des déversements de carburant durant les opérations de fracturation. En contre-interrogatoire, il a affirmé qu’il ne savait pas comment l’incendie dans la vidéo s’était déclenché.

[97] Enfin, M. Reimer a admis qu’AFD avait reçu une mise en demeure de Lambert Law, le cabinet d’avocats qui représentait Frac Shack en 2012, à propos de la remorque de fracturation d’AFD. Pourtant, l’entreprise a poursuivi ses activités de développement.

[98] M. Reimer a été un témoin franc et crédible.

E. Mark Bader

[99] M. Bader est chef du secteur de Grande Prairie chez AFD. Il est entré en fonction à AFD en 2004, et a quitté l’entreprise en 2012 pour travailler chez All Peace Petroleum. Il a réintégré son poste chez AFD à Grande Prairie en 2014. Ses fonctions de chef de secteur consistent en la vente et la prospection de clients dans l’industrie qui ont besoin de carburant, comme les entreprises forestières et de construction, les exploitations pétrolières et les pipeliniers.

[100] Il a indiqué qu’il avait obtenu son premier emploi lié au ravitaillement en carburant des exploitations de fracturation à l’automne 2009 chez l’entreprise de fracturation Schlumberger, un sous-traitant de Quicksilver Resources. Il a expliqué qu’à l’époque, AFD effectuait l’avitaillement manuel moteur en marche roue à roue, un procédé selon lequel un camion-citerne se rendait sur un chantier pour alimenter directement chaque autopompe, où il se déplaçait au besoin pour accéder à l’équipement et attendait entre chaque avitaillement. Le camion-citerne s’immobilisait devant les ensembles-remorques pour chaque avitaillement en carburant.

[101] M. Bader a témoigné qu’en 2010, AFD avait conçu d’autres systèmes comme solution de rechange à l’avitaillement moteur en marche roue à roue. L’un de ces systèmes était équipé d’un [traduction] « raccordement multiple » comportant une conduite principale qui alimentait en carburant une série de conduites de plus petite taille reliées à un « collecteur en T », qui était fixé à l’avant des ensembles-remorques. En contre-interrogatoire, il a expliqué que l’utilisation de ce système exigeait encore qu’un travailleur pénètre dans la zone de surchauffe entre les autopompes, mais avait atténué les risques associés au déplacement de conduites lourdes d’un réservoir à l’autre.

[102] Il a témoigné qu’il avait géré un chantier sur lequel la remorque de fracturation d’AFD avait été utilisée, et il a décrit un déversement de carburant survenu durant le fonctionnement de la remorque. Il a expliqué que les opérateurs de la remorque avaient remplacé les sondes de jaugeage et le carburant avait baissé sous l’extrémité inférieure d’une sonde, après quoi l’opérateur avait rempli manuellement le réservoir et y avait injecté trop de carburant.

[103] En contre-interrogatoire, il a mentionné un document décrivant les risques sur les chantiers de fracturation. Il a reconnu qu’il y était indiqué que les opérateurs devaient fixer solidement les conduites, s’assurer qu’aucun déversement ou fuite ne se produise et serrer tous les bouchons d’avitaillement.

[104] M. Bader a été un témoin crédible.

F. Curtis Small

[105] M. Small est chef de secteur principal de Fort McMurray chez AFD, où il a commencé à travailler en 2011 au poste de chef de secteur de Hinton. À Hinton, il supervisait l’achèvement du système de carte d’accès (décrit ci-dessus), et était chargé de l’expansion commerciale et de la croissance de la clientèle d’AFD.

[106] Il a témoigné que Trican était un client d’AFD, qui utilisait fréquemment le système de carte d’accès à Hinton. Il a précisé qu’AFD fournissait du carburant du début à la fin des opérations de création de puits à un nombre de clients du secteur pétrolier et gazier, et qu’AFD ravitaillait en carburant l’équipement de fracturation à partir du terminal de Hinton en 2012 et 2013. À cette époque, le ravitaillement en carburant se faisait par avitaillement manuel moteur en marche.

[107] M. Small a précisé que la remorque de fracturation d’AFD avait été installée sur le chantier de Hinton au premier trimestre de 2013, afin d’en informer les clients comme Baker Hughes. Il a témoigné que Baker Hughes n’avait pas utilisé la remorque de fracturation, après quoi AFD l’avait installée sur le chantier de Trican. Il ne pouvait se rappeler la date exacte à laquelle la remorque avait été déplacée sur le chantier de Trican.

[108] Il a jouté qu’en mars ou avril 2014, le terminal Hinton d’AFD effectuait toujours l’avitaillement manuel moteur en marche pour Trican, qui utilisait la remorque de fracturation d’AFD à un autre endroit. Il se rappelle que le bureau de répartition de Trican avait contacté le terminal de Hinton pour s’informer de l’avitaillement manuel moteur en marche. Il ne savait pas si AFD avait fourni des services d’avitaillement manuel moteur en marche à Trican en 2015.

[109] M. Small a été un témoin franc et crédible.

VII. Témoins experts d’AFD

A. Richard N. Berry

[110] M. Berry est ingénieur de l’État du Texas et président de Richard N. Berry, P.E., Inc., une entreprise qui offre des services d’ingénierie dans les domaines des systèmes de carburant et du génie environnemental. Il a reçu un baccalauréat ès sciences en génie civil de la Texas A&M University en 1983.

[111] En 1992, il a commencé à travailler dans le secteur du ravitaillement en carburant, où il était chargé de la conception, de l’installation et de l’assainissement de réservoirs à carburant. En 1995, il a commencé à donner un cours sur l’installation et le retrait de réservoirs souterrains pour le service d’éducation en génie de la Texas A&M University. Depuis le lancement de Richard N. Berry, P.E., Inc. en 2000, M. Berry se spécialise dans la conception de systèmes de stockage et de distribution de carburant. Il a conçu des systèmes de carburant pour un large éventail d’applications terminales, y compris en aviation et en ce qui concerne les génératrices de secours, les chaudières pour installations industrielles, les carrières et les stations-service du secteur automobile.

[112] M. Berry a été reconnu à titre d’expert de la conception et de la construction de systèmes de stockage et de distribution de carburant. Une objection selon le critère de l’arrêt Mohan a été soulevée à propos de l’intégralité de son témoignage en raison de son manque d’expertise dans les activités de fracturation aux sites de forage.

B. Andrew Colin Harington

[113] M. Harington est directeur au bureau de Toronto du Brattle Group, où il est affecté au Service du contentieux et des conseils financiers. Il est titulaire d’un baccalauréat spécialisé en commerce et d’un diplôme d’études supérieures en comptabilité de l’Université du Cap, décerné en 1992. Il est comptable professionnel agréé, analyste financier agréé et expert en évaluation d’entreprise. Avant de joindre le Brattle Group, il était directeur principal chez Duff & Phelps Canada Limited (anciennement, Cole Valuation Partners Limited).

[114] M. Harington exerce la profession de comptable depuis plus de 23 ans, dont plus de 16 ans consacrés à l’évaluation de la propriété commerciale et intellectuelle et à la quantification de dommages-intérêts. Il a également corédigé le chapitre intitulé « Monetary Relief – Quantum » de l’ouvrage sous la direction de Ronald E. Dimock, Intellectual Property Disputes : Resolutions and Remedies (Carswell, 2012). Il est aussi l’auteur de deux monographies sur les dommages-intérêts et la restitution de bénéfices dans les affaires de propriété intellectuelle, publiées par Duff & Phelps Canada Limited. Il a comparu comme témoin expert à de nombreuses reprises, à la fois devant la Cour fédérale et la Cour supérieure de justice de l’Ontario.

[115] M. Harington a été reconnu à titre de comptable agréé, d’expert en évaluation d’entreprise et d’analyste financier agréé ayant de l’expertise en comptabilité d’enquête et juricomptabilité, en évaluation d’entreprise et en quantification de pertes dans les litiges en matière de propriété commerciale et intellectuelle.

VIII. Questions préliminaires – Admissibilité des rapports d’expertise

A. Rapports de contrefaçon et de validité de Douglas Smith et de Kevin Matiasz

[116] La défenderesse a soutenu que des parties des rapports d’expertise rédigés par MM. Smith et Matiasz ne répondaient pas aux critères d’admissibilité exposés dans l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9 [Mohan], et que des parties de leurs rapports de validité constituaient une contre-preuve irrecevable.

[117] La défenderesse a également soutenu que les parties suivantes des rapports de M. Smith devraient être exclues :

  1. Rapport d’interprétation et de contrefaçon (Rapport Smith no 1) – paragraphes 8 et 30 à 41 et les annexes A à C;

  2. Rapport de validité (Rapport Smith no 2) – intégralité du rapport.

[118] La défenderesse soutient que les parties suivantes des rapports de M. Matiasz devraient être exclues :

  1. Rapport d’interprétation et de contrefaçon (Rapport Matiasz no 1) – paragraphes 10 à 17 et 41 à 73, et annexe E;

  2. Rapport de validité (Rapport Matiasz no 2) – intégralité du rapport.

1) Objection selon le critère de l’arrêt Mohan

[119] Dans l’arrêt Mohan, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit à la page 20 : « [l]’admission de la preuve d’expert repose sur l’application des critères suivants : a) la pertinence; b) la nécessité d’aider le juge des faits; c) l’absence de toute règle d’exclusion; et d) la qualification suffisante de l’expert ». Pour qu’un expert soit suffisamment qualifié, il doit avoir « acquis des connaissances spéciales ou particulières grâce à des études ou à une expérience relatives aux questions visées dans son témoignage » (arrêt Mohan, à la page 25). De plus, pour qu’elles soient nécessaires pour aider le juge des faits, les connaissances doivent concerner les questions importantes de nature technique et dépasser l’expérience et les connaissances de la Cour (Uponor AB c Heatlink Group Inc, 2016 CF 320, au paragraphe 138 [Uponor]).

[120] La tâche d’un expert qualifié consiste à aider la Cour à déterminer qui est une personne moyennement versée dans l’art, ce qu’elle aurait su au moment pertinent (c.‑à‑d. les connaissances générales courantes), et les questions d’interprétation relatives aux brevets en litige. Il n’est pas nécessaire que les témoins se prononçant sur le sujet soient des personnes moyennement versées dans l’art, dans la mesure où ils peuvent présenter une preuve adéquate sur les connaissances d’une personne moyennement versée dans l’art au moment pertinent (Janssen-Ortho Inc c Novopharm Limited, 2006 CF 1234, au paragraphe 90; Halford c Seed Hawk Inc, 2006 CAF 275, au paragraphe 17).

[121] La défenderesse soutient que bien que MM. Smith et Matiasz possèdent une expertise des opérations sur un chantier de fracturation, ils ne possèdent pas d’expertise en conception de systèmes de carburant. La défenderesse fait donc valoir que ces deux experts ne sont pas suffisamment qualifiés pour exprimer un avis au sujet du brevet 567, car ce dernier porte sur un système et une méthode d’alimentation en carburant. La défenderesse soutient que le brevet 567 ne couvre nullement l’exécution d’activités de fracturation.

[122] Selon les demanderesses, le contexte de la fracturation à un site de forage est un élément clé du brevet 567. Elles font valoir que le libellé de la divulgation, ainsi que l’exposé de la fracturation qu’il renferme, réduit l’application du brevet 567 de façon à limiter l’application de la technologie à un chantier de fracturation ou, à tout le moins, aux applications pétrolières et gazières à un site de forage.

[123] Les demanderesses signalent également que M. Matiasz a conçu des systèmes d’alimentation en carburant, il comprend les exigences du ravitaillement en carburant durant les opérations de fracturation et il possède de l’expérience de l’avitaillement manuel moteur en marche et des considérations liées à la sécurité associées au ravitaillement en carburant. Elles avancent en outre que M. Smith a été cité à comparaître en qualité d’expert en santé et sécurité sur les chantiers de fracturation et que, bien qu’il ne soit pas une personne moyennement versée dans l’art relativement au contexte du brevet 567, il peut fournir une preuve à la Cour sur les connaissances d’une personne moyennement versée dans l’art sur la santé et la sécurité sur un chantier de fracturation.

[124] Il est évident que M. Matiasz possède des connaissances techniques, qui dépassent l’expérience de la Cour et portent sur les questions importantes en l’espèce. Il est un témoin qualifié dans les domaines du ravitaillement en carburant sur les chantiers de fracturation, du génie de complétion dans le secteur pétrolier et gazier, et de l’alimentation en carburant de l’équipement de fracturation à un site de forage. D’ailleurs, M. Smith est un expert des domaines de l’environnement, de la santé et de la sécurité sur un chantier de fracturation et du ravitaillement en carburant en général, ce qui le qualifie pour exprimer un avis sur l’équipement de ravitaillement en carburant pouvant mieux protéger la santé et la sécurité à un site de forage, ce qui est à tout le moins pertinent pour les présumés éléments inventifs divulgués dans le brevet 567. À ces causes, l’objection selon le critère de l’arrêt Mohan soulevée par la défenderesse est écartée.

2) Contre-preuve irrecevable

[125] Il est évident que les affidavits en réponse sont irrecevables, dans la mesure où ils divisent la preuve, sont argumentatifs ou répétitifs (AstraZeneca Canada Inc c Novopharm Limited, 2009 CF 902, au paragraphe 26; Merck-Frosst c Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 914, aux paragraphes 22 à 25).

[126] La défenderesse soutient que les demanderesses ont irrégulièrement divisé leur preuve en déposant les parties suivantes des rapports de validité de MM. Smith et Matiasz :

  1. Rapport Smith no 2 – paragraphes 3 à 5, 54 à 91 et 106 à 110;
  2. Rapport Matiasz no 2 – paragraphes 6 à 8 et 44 à 45.

[127] Les demanderesses font valoir que l’échéancier établi avant le procès, en plus des deux ordonnances rendues par le juge Lafrenière chargé de la gestion de l’instance – datées du 5 août et du 26 septembre 2016 – les autorisait explicitement à déposer la preuve comprise dans les rapports de validité de MM. Smith et Matiasz à titre de contre-preuve. Elles soutiennent que l’ensemble de l’information présentée dans les paragraphes en litige représente une réponse directe aux nouveaux renseignements fournis par la défenderesse dans les modifications qu’elle a apportées (à deux reprises) à la défense et demande reconventionnelle ou de la manière autorisée dans l’échéancier d’origine, ce qui les a amenées à produire des rapports d’experts en contre-preuve quant à la validité et une réponse à l’interprétation.

[128] Les demanderesses soutiennent que la défenderesse demandait effectivement à la Cour d’analyser de grandes sections des deux rapports afin de déterminer si chaque paragraphe était conforme à la portée de la contre-preuve.

[129] Puisque les demanderesses ont été autorisées à déposer des rapports d’experts en contre-preuve à propos de la validité, et que les paragraphes en litige renferment des renseignements sur l’identité des personnes moyennement versées dans l’art, les connaissances générales courantes des personnes versées dans l’art et l’état de la technique au moment pertinent, il ne s’agit manifestement pas de division de la preuve. Enfin, alors que la description du procédé de fracturation est quelque peu répétitive, la recevabilité en preuve de ces parties des rapports ne cause aucun préjudice à la défenderesse et n’a aucune incidence sur ma décision.

B. Rapport d’expertise de Richard Berry

[130] Les demanderesses soulèvent également une objection selon le critère de l’arrêt Mohan à propos du rapport d’expertise de M. Berry (l’affidavit Berry), alléguant qu’il n’était pas suffisamment qualifié à titre d’expert. À leur avis, M. Berry doit être considéré comme un témoin généraliste en raison de son manque d’expérience en fracturation. Bien qu’il possède plus de connaissances qu’un juge des faits ordinaire au sujet des opérations générales du ravitaillement en carburant, son niveau de connaissance du domaine particulier (le ravitaillement en carburant durant les activités de fracturation aux sites de forage) est insuffisant pour qu’il soit un expert validement qualifié. Les demanderesses affirment que les connaissances de M. Berry ne seraient d’aucune utilité véritable pour la Cour, puisqu’il était dissocié du contexte de la fracturation et de l’invention brevetée 567.

[131] La défenderesse estime que l’invention divulguée dans le brevet 567 est de portée plus vaste que les seuls chantiers de fracturation. Elle souligne le fait que les revendications 16, 20 et 32 ne se limitent pas aux chantiers de fracturation, mais s’appliquent en règle générale aux « chantiers », et soutient que même l’expérience antérieure des inventeurs du brevet 567 dans les activités de fracturation n’était pas appréciable. Elle affirme que l’art dont relève le brevet 567 se rapporte aux systèmes et méthodes d’alimentation en carburant, un domaine dans lequel M. Berry est incontestablement un expert.

[132] La défenderesse souligne à juste titre que les revendications du brevet 567 ne se limitent pas uniquement aux activités de fracturation aux sites de forage. Étant donné que le terme « chantier » est de portée plus vaste qu’un site de forage et que M. Berry possède des connaissances et de l’expérience des systèmes de carburant et d’alimentation en carburant à des chantiers génériques, il possède des connaissances et de l’expérience de certains aspects au sujet desquels il proposait de témoigner. Il satisfait ainsi au critère pour être qualifié à titre d’expert, à tout le moins dans la mesure où l’objet du brevet 567 englobe de façon générale les chantiers.

C. Conclusion – Questions préliminaires

[133] Compte tenu de ce qui précède, aucune partie des rapports d’expertise n’est exclue de la preuve. Toutes lacunes dans les connaissances et l’expérience des experts en ce qui concerne les questions d’interprétation particulières, les connaissances d’une personne moyennement versée dans l’art aux dates pertinentes et les connaissances générales courantes applicables ont été prises en compte dans l’appréciation de la preuve, comme il sera discuté ci-après.

IX. L’interprétation des revendications

[134] L’interprétation des revendications constitue une question de droit que seule la Cour doit trancher avant d’examiner les questions de contrefaçon et de validité. La même interprétation doit être appliquée aux questions de contrefaçon et de validité : Pfizer Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2005 CF 1725, au paragraphe 10, conf. par 2007 CAF 1.

[135] La Cour suprême du Canada a établi les règles d’interprétation des revendications dans une trilogie d’arrêts : Whirlpool Corp. c Camco Inc. 2000 CSC 67, aux paragraphes 49 à 55; Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66, aux paragraphes 44 à 54 [Free World Trust], et MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd. c Consolboard Inc., [1981] 1 RCS 504, au paragraphe 27 [Consolboard].

[136] Ces arrêts énoncent que :

  1. les revendications doivent être lues de façon éclairée et téléologique, avec un esprit désireux de comprendre du point de vue de la personne versée dans l’art à la date de la publication, et en tenant compte des connaissances générales courantes;
  2. le respect du libellé des revendications permet de les interpréter de la manière dont l’inventeur est présumé l’avoir voulu et d’une façon favorable à l’atteinte de l’objectif de l’inventeur, ce qui favorise à la fois l’équité et la prévisibilité;
  3. l’ensemble du mémoire descriptif devrait être pris en compte afin de s’assurer de la nature de l’invention, et l’interprétation des revendications, ne doit pas être indulgente ni dure, mais elle devrait plutôt être raisonnable et équitable tant pour le titulaire du brevet que pour le public.

A. Dates pertinentes

[137] La date pertinente pour l’interprétation des revendications du brevet 567 est la date de publication, soit le 21 octobre 2010.

B. Personne moyennement versée dans l’art

[138] MM. Smith et Matiasz ont tous deux avancé qu’une personne moyennement versée dans l’art serait une personne ayant de l’expérience des opérations sur place aux sites de forage, y compris les chantiers de fracturation hydraulique. La personne moyennement versée dans l’art, à leur sens, aurait aussi de l’expérience en matière de ravitaillement en carburant de l’équipement de fracturation, de façon à comprendre les dangers et les risques associés au ravitaillement en carburant, et serait au fait des conséquences graves d’une panne sèche de l’équipement. Ils ont tous deux avancé qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait probablement, mais non nécessairement, fait des études postsecondaires, possiblement dans un domaine de génie.

[139] M. Smith était d’avis qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait des connaissances en conception de matériel et des acquis relativement aux enjeux de sécurité à un site de forage. M. Matiasz a affirmé qu’une personne moyennement versée dans l’art serait expérimentée en conception et fonctionnement d’équipement. Il a témoigné que cette expérience en conception ne porterait pas nécessairement sur l’alimentation en carburant et l’expérience en conception permettant à une personne moyennement versée dans l’art de comprendre le fonctionnement de l’équipement de fracturation serait suffisante. Toutefois, en contre-interrogatoire, il a reconnu qu’une personne moyennement versée dans l’art serait probablement expérimentée en conception et fonctionnement de systèmes de ravitaillement en carburant.

[140] M. Berry a précisé qu’une exigence minimale visant une personne moyennement versée dans l’art serait un grade en génie ou un grade postsecondaire équivalent, et que cette personne aurait suivi des cours en dynamique des fluides et cumulé au moins quatre années d’expérience sous la supervision d’un ingénieur expérimenté dans les systèmes de stockage et de distribution de carburant. À son avis, une personne moyennement versée dans l’art aurait acquis de l’expérience sur le terrain et des connaissances des procédés en cause dans la fabrication, l’installation et le démarrage de systèmes de carburant. Selon M. Berry, il est crucial que la personne moyennement versée dans l’art possède de l’expérience sur le terrain, sinon il lui serait impossible d’évaluer le caractère adéquat d’une conception.

[141] Les trois experts étaient d’avis qu’une personne moyennement versée dans l’art posséderait certaines connaissances et de l’expérience de la conception d’équipement. Cependant, ils ne s’entendaient pas sur le nombre d’années d’expérience et les domaines d’expérience particuliers. M. Berry a affirmé qu’une personne moyennement versée dans l’art n’aurait pas besoin d’expérience en ravitaillement en carburant de l’équipement de fracturation, tandis que MM. Matiasz et Smith estimaient qu’il était essentiel qu’une personne moyennement versée dans l’art comprenne l’environnement d’une plateforme de fracturation.

[142] Je conviens avec MM. Matiasz et Smith qu’une personne moyennement versée dans l’art serait une personne qui comprend les dangers associés au ravitaillement en carburant de l’équipement de fracturation. Toutefois, il n’existe aucune preuve à l’appui de leur assertion qu’une personne moyennement versée dans l’art doit posséder une expérience effective du ravitaillement de l’équipement de fracturation. Je ne suis pas d’accord avec M. Matiasz qu’une expérience quelconque en conception d’équipement de fracturation serait suffisante. Le brevet 567 couvre un système d’alimentation en carburant, donc une personne moyennement versée dans l’art doit avoir acquis de l’expérience en conception d’équipement de ravitaillement en carburant pour les applications visées par le brevet 567, à savoir l’équipement de ravitaillement en carburant utilisé dans les activités de fracturation à un site de forage.

[143] D’ailleurs, je ne suis pas d’accord avec M. Berry qu’une personne moyennement versée dans l’art doit posséder au moins un grade postsecondaire en génie ou dans un domaine similaire. La preuve produite par M. Reimer, qui a témoigné qu’il s’était procuré de nombreux composants pour la remorque de fracturation d’AFD, étaye la conclusion qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait acquis une expérience appréciable dans le secteur pétrolier et gazier tenant lieu d’études postsecondaires.

[144] Ayant tenu compte de l’ensemble de la preuve déposée devant la Cour, je conclus qu’une personne moyennement versée dans l’art, dans le contexte du brevet 567 :

  1. serait titulaire d’un grade postsecondaire en génie ou d’un grade similaire et aurait une certaine expérience pratique des activités de fracturation, de sorte qu’elle comprenne clairement les dangers associés au ravitaillement en carburant et au ravitaillement de l’équipement de fracturation;
  2. pourrait ne pas avoir de diplôme officiel, mais aurait acquis une expérience appréciable (de cinq à dix ans ou plus) dans le secteur pétrolier et gazier et une expérience particulière du fonctionnement de l’équipement de fracturation et du ravitaillement en carburant de cet équipement, de sorte qu’elle comprenne clairement les dangers associés au ravitaillement en carburant et au ravitaillement de l’équipement de fracturation.

C. Les connaissances générales courantes

[145] Les connaissances générales courantes sont les connaissances générales que possède une personne moyennement versée dans l’art aux dates pertinentes pour apprécier le caractère évident et interpréter les revendications du brevet.

[146] La Cour définit en quoi devraient consister les connaissances générales courantes dans la décision Eli Lilly and Company v. Apotex Inc., 2009 CF 991, conf. par 2010 CAF 240, au paragraphe 97 (adoptée de l’arrêt General Tire & Rubber Co v Firestone Tyre & Rubber Co, [1972] RPC 457 (UKHL), aux pages 482 et 483) :

1) Les connaissances générales courantes se distinguent de ce que le droit des brevets considère comme des connaissances publiques. Les connaissances publiques sont théoriques et englobent chacun des mémoires descriptifs publiés, bien qu’il soit peu vraisemblable qu’il soit consulté, quelle que soit la langue dans laquelle il est rédigé. Par ailleurs, les connaissances générales courantes sont dérivées d’une conception rationnelle de ce qui serait en fait connu par une personne adéquatement versée dans l’art, qui existerait réellement et qui ferait bien son travail.

2) Les connaissances générales courantes englobent les mémoires descriptifs qui sont bien connus de ceux qui sont versés dans l’art. Dans certains secteurs d’activités, la preuve peut indiquer que tous les mémoires descriptifs de brevets font partie des connaissances pertinentes.

3) Les connaissances générales courantes n’incluent pas forcément des documents scientifiques, peu importe le tirage ou le lectorat d’un article en particulier. La divulgation dans un article scientifique devient une connaissance générale courante lorsqu’elle est connue de manière générale et acceptée sans hésitation par la majorité de ceux qui pratiquent l’art en question.

4) Ne constitue pas une connaissance générale courante un élément qui a fait l’objet d’un écrit, mais qui n’a jamais, dans les faits, été utilisé dans un art en particulier.

[147] M. Berry a exprimé l’avis que les connaissances générales courantes au moment pertinent, tant aux fins de l’interprétation des revendications que de l’appréciation de l’évidence, comprennent :

  1. les types courants de carburant et les codes applicables aux carburants;
  2. certains types courants de systèmes de distribution de carburant;
  3. les types courants de pièces d’équipement utilisées dans les systèmes de distribution de carburant et par les fabricants de ces pièces d’équipement;
  4. les approches et méthodes de conception courantes, y compris les calculs à effectuer pour concevoir des systèmes de distribution de carburant.

[148] M. Berry était aussi d’avis qu’une personne moyennement versée dans l’art serait informée des exigences matérielles relatives aux différents types de carburant et des divers codes applicables à la construction de systèmes de stockage et de distribution de carburant (p. ex. les codes de norme NFPA 30, 70, 407 et 418). M. Berry estimait que les règlements sur la santé et la sécurité et les pratiques exemplaires en matière de conception feraient partie des connaissances générales courantes, mais il n’a pas affirmé qu’une expérience précise des activités de fracturation était nécessaire.

[149] Selon M. Smith, une personne qualifiée aurait des connaissances de l’avitaillement manuel moteur en marche, des types d’équipement nécessitant un ravitaillement en carburant sur un chantier de fracturation, et des dangers associés à l’avitaillement moteur en marche. Il estimait que les connaissances générales courantes engloberaient les exigences réglementaires visant les sites de forage, les pratiques recommandées dans le secteur pétrolier et gazier, les pratiques d’atténuation des risques sur les sites de forage, et le Règlement sur le transport des marchandises dangereuses.

[150] M. Smith n’était pas d’accord avec M. Berry qu’une personne serait considérée comme une personne moyennement versée dans l’art si elle n’avait pas de connaissances de l’environnement propre à un chantier de fracturation. De plus, il n’était pas d’accord que les connaissances générales courantes engloberaient les carburants autres que ceux de la classe II (c.-à-d. la classe de carburants à laquelle appartient le diesel) puisque l’essence ordinaire et d’aviation ou le propane ne sont pas des sources de carburant pour la fracturation hydraulique. Il n’était pas d’accord que les codes mentionnés par M. Berry feraient partie des connaissances générales courantes, car bon nombre de ces normes se rapportent à des installations fixes de ravitaillement en carburant. Enfin, il a affirmé que la connaissance des systèmes courants de ravitaillement en carburant, comme ceux de l’aviation et du commerce, ne ferait pas partie des connaissances générales courantes, car ces environnements diffèrent de l’environnement où a lieu le ravitaillement en carburant sur un chantier de fracturation, et cette connaissance n’était donc pas pertinente.

[151] Selon M. Matiasz, les connaissances générales courantes engloberaient les activités de fracturation et la nature de l’environnement où est exploité l’équipement de fracturation. Le ravitaillement manuel en carburant et l’avitaillement manuel moteur en marche sont des procédés de ravitaillement qui feraient partie des connaissances générales courantes. Il a convenu avec M. Smith que les systèmes de ravitaillement en carburant du secteur de l’aviation ne feraient pas partie des connaissances générales courantes, puisque différents types de carburants et d’installations fixes sont en cause. De même, les systèmes de ravitaillement en carburant et les génératrices de détail seraient exclus des connaissances générales courantes.

[152] La défenderesse soutient que, selon l’expérience des inventeurs, la connaissance des opérations de fracturation ne serait pas comprise dans les connaissances générales courantes d’une personne moyennement versée dans l’art. Elle soutient également que les inventeurs, qui étaient les dirigeants d’ERS, avaient de l’expérience du ravitaillement en carburant, mais non de la fracturation. Elle ajoute que M. Reimer, l’un des concepteurs et fabricants de la remorque de fracturation d’AFD, n’avait aucune expérience personnelle de l’équipement de fracturation ni de connaissances des conséquences de fond d’une panne sèche de l’équipement de fracturation.

[153] Je ne souscris pas à la position de M. Berry et de la défenderesse que la fracturation et le ravitaillement en carburant de l’équipement de fracturation seraient exclus des connaissances générales courantes d’une personne moyennement versée dans l’art. Puisque les inventeurs ont dû engager un expert-conseil pour s’informer des activités de fracturation et M. Reimer travaillait avec une équipe qui avait des connaissances du ravitaillement en carburant durant les activités de fracturation, cela dénote qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait eu certaines connaissances des activités de fracturation. De plus, j’estime que l’avis de M. Berry sur ce que constituent des connaissances générales courantes est peu convaincant, compte tenu de son manque de connaissance et d’expérience de la fracturation aux sites de forage.

[154] Compte tenu de la preuve présentée par les témoins de faits et experts, j’estime que les connaissances générales courantes à la date pertinente pour le brevet 567 comprennent les suivantes :

  1. la connaissance générale des activités de fracturation et de l’environnement d’une plateforme de fracturation;
  2. la connaissance des dangers associés au ravitaillement en carburant, particulièrement ceux associés aux systèmes d’avitaillement manuel moteur en marche;
  3. la connaissance générale des carburants de classe II;
  4. la connaissance des exigences réglementaires relatives au transport et à la distribution de carburant aux installations temporaires de ravitaillement en carburant.

D. L’art antérieur

[155] M. Berry a exprimé l’avis que les types d’accessoires et de composants utilisés dans les systèmes de stockage et de distribution de carburant, qui étaient disponibles en 2010, étaient utilisés et offerts depuis des décennies. Il a ajouté que la détermination des composants et de la disposition appropriée d’un système de distribution de carburant aurait constitué une norme de pratique courante d’un ingénieur qualifié, car il s’agit d’un problème élémentaire de bilan massique. Il estimait donc que les systèmes de distribution de carburant multipoints existants, comme ceux utilisés dans les stations-service et les systèmes de génératrice de détail, feraient partie de l’art antérieur pertinent.

[156] La défenderesse soutient que le « système de raccordement multiple » d’AFD, décrit par M. Bader comme une série de « collecteurs en T » qui sépare une conduite principale en conduites de plus petite taille, ferait partie de l’art antérieur pertinent. Le système de raccordement multiple a permis de réduire le temps que les opérateurs doivent passer dans la zone de surchauffe – d’après le trajet à faire pour se rendre aux réservoirs à carburant – et a atténué les dangers associés au transport de conduites lourdes entre les pièces d’équipement de fracturation. Donc, le système de raccordement multiple d’AFD a permis d’effectuer l’avitaillement manuel moteur en marche plus facilement et de manière plus efficace et sécuritaire que l’ancien procédé d’avitaillement au moyen d’une conduite unique.

[157] Comme il a été exposé dans l’affidavit Berry, et aux paragraphes 10 à 13, 15 et 17 à 19 de la défense et demande reconventionnelle, modifiée à deux reprises, la défenderesse soutient que les systèmes d’alimentation en carburant de nombreux réservoirs d’équipement ou de véhicules étaient tous connus avant 2010. Ces systèmes comprenaient : 1) un réservoir à carburant principal; 2) une conduite entre le réservoir principal et un collecteur ou distributeur; 3) des soupapes sur le collecteur ou distributeur pour réguler le débit sortant du collecteur ou distributeur; 4) des conduites ou boyaux fixés aux soupapes et reliés à l’équipement ou aux véhicules à ravitailler en carburant; et 5) un raccord entre les réservoirs à carburant de l’équipement ou des véhicules et les conduites ou boyaux. La défenderesse allègue donc que le brevet 567 couvre des pièces et composants courants dans une disposition courante pour produire un résultat connu, prévu et prévisible. J’expose en partie ci-dessous ma décision au sujet de la pertinence de l’allégation relative à l’art antérieur.

E. Termes des revendications nécessitant une interprétation

[158] Les experts sont d’accord pour dire que la majorité des termes utilisés dans le brevet 567 devraient être interprétés selon leur sens habituel. La Cour doit cependant interpréter plusieurs termes comme ils sont utilisés dans le contexte de l’invention 567 : « automatique », « bouchon d’avitaillement », « chantier », « disposition des soupapes », et « pompe reliée à une conduite ».

1) Le terme « automatique »

[159] Les revendications 8, 11, 16, 20 et 32 renvoient à des soupapes à commande automatique et à la distribution automatique de carburant. Il est indiqué ce qui suit au paragraphe 15 de la divulgation :

[traduction] Dans une réalisation comportant des soupapes à commande automatique 58, le poste de commande 56 peut comprendre un ordinateur classique, un dispositif d’entrée (clavier) et un ou plusieurs écrans. Dans une réalisation manuelle, l’opérateur peut disposer d’un pupitre de commande des soupapes comptant des commutateurs individuels pour la télécommande des soupapes 58, et le pupitre de commande des soupapes, ou autre, peut comprendre des voyants ou écrans indiquant le niveau de carburant dans chaque réservoir.

[160] Le paragraphe 22 de la divulgation indique ce qui suit :

[traduction] Durant le ravitaillement en carburant sur un chantier de fracturation, les soupapes à commande manuelle 28 peuvent demeurer ouvertes, et l’opérateur peut transmettre un signal électrique pour l’ouverture des soupapes à commande automatique 58 en utilisant le pupitre pertinent (non illustré) qui est relié aux soupapes 58.

[161] Selon M. Berry, la distribution automatique de carburant s’entend d’un système conçu pour fonctionner sans intervention humaine afin d’amorcer ou d’arrêter l’écoulement de carburant dans le système. Il ajoute que c’est le régulateur qui amorce ou arrête l’écoulement du carburant après la réception d’un signal du détecteur de niveau de carburant. En revanche, il estime qu’un opérateur transmettant des signaux au système consisterait en un système manuel d’alimentation en carburant, et si l’opérateur doit appuyer sur un bouton pour ouvrir ou fermer une soupape, il s’agit alors d’une soupape à commande manuelle.

[162] M. Smith a fait valoir qu’une personne moyennement versée dans l’art comprendrait les termes « automatique » et « à commande automatique » relativement à un système qui remplace un procédé manuel de ravitaillement. À son avis, le but de la fonction automatique est d’éviter qu’un opérateur se trouve aux réservoirs à carburant pendant le ravitaillement. Donc, le terme « automatique » désigne toute méthode de télécommande pour ouvrir une soupape sans le recours à un opérateur activant physiquement le mécanisme à soupape.

[163] En contre-interrogatoire, M. Smith a précisé qu’il croyait qu’un système automatique de ravitaillement en carburant pouvait être séparé des soupapes à commande automatique, c’est-à-dire qu’un opérateur recevrait l’information d’un système automatique, mais actionnerait manuellement les soupapes pour distribuer le carburant. M. Smith a donné une définition d’« automatique », à savoir tout système dans lequel l’information transmise par les détecteurs des réservoirs est acheminée soit au régulateur à logique programmée ou à un opérateur pour amorcer ou arrêter le ravitaillement en carburant. Il a cependant reconnu que cette définition n’était pas compatible avec le paragraphe 15 de la divulgation.

[164] M. Matiasz était d’accord avec M. Smith qu’une personne moyennement versée dans l’art comprendrait le terme « automatique » en référence à l’avitaillement manuel moteur en marche. Il a affirmé que la distribution automatique de carburant s’effectue au moyen de soupapes à commande électrique, qui sont activées automatiquement par un régulateur ou un opérateur. Par comparaison, une soupape à commande manuelle doit être activée par un opérateur, c’est-à-dire que celui-ci doit se rendre sur place pour l’ouvrir ou la fermer physiquement. Fait intéressant, dans ses observations finales, la défenderesse a retenu la définition proposée par M. Matiasz d’une soupape à commande manuelle, qui doit être activée en tournant le volant de manœuvre.

[165] M. Matiasz a affirmé ceci : [traduction] « [a]utrement dit, le terme “automatique” employé dans le brevet 567 signifie “à distance” et est utilisé en opposition au procédé de ravitaillement manuel en carburant […] ». Il n’était pas d’accord avec l’interprétation faite par M. Berry du terme « automatique » par rapport au terme « manuel ». Il a exprimé l’avis qu’un système dans lequel un opérateur enfonce un bouton pour amorcer ou arrêter le ravitaillement en carburant est un système automatique, dans la mesure où le bouton transmet un signal électronique à la soupape pour l’ouverture ou la fermeture.

[166] En contre-interrogatoire, M. Matiasz a reconnu que son rapport renfermait une erreur et l’énoncé suivant décrivant la distribution automatique de carburant : [traduction] « permettre l’alimentation en carburant sur un chantier de fracturation, qui s’effectue sans qu’un opérateur active les soupapes des réservoirs à carburant de l’équipement », aurait dû être formulé ainsi : [traduction] « sans qu’un opérateur active les soupapes du collecteur ». Toutefois, il n’a pas changé d’avis, à savoir qu’une soupape ouverte ou fermée par un moyen autre qu’une intervention physique directe d’un opérateur est une soupape à commande automatique.

[167] Le paragraphe 15 de la divulgation réfute en partie l’avis de M. Smith, à savoir que le simple fait de recevoir l’information transmise par un détecteur automatise le système de ravitaillement en carburant. Il réfute également l’avis de M. Matiasz, selon lequel le terme « automatique » est synonyme de « télécommande ». Toutefois, le paragraphe 22 de la divulgation distingue clairement les soupapes à commande manuelle des soupapes électroniques à commande automatique, ce qui tend à étayer une interprétation téléologique favorable aux experts des demanderesses de ce que constitue le ravitaillement automatique en carburant.

[168] De plus, les revendications 9, 12 et 26 divulguent un système où le régulateur est sensible à un signal indiquant un faible niveau de carburant, qui amorce l’injection de carburant dans un réservoir indépendamment des autres réservoirs, ainsi qu’à un signal de niveau élevé qui met fin à l’injection. Cela dénote qu’il s’agit d’un type additionnel et distinct de commande des soupapes par le régulateur, en plus du niveau de contrôle divulgué dans l’expression « soupapes à commande automatique ».

[169] Donc, dans le contexte du brevet 567, après avoir tenu compte du témoignage des experts et donné une interprétation téléologique à l’expression « soupape à commande automatique », je conclus que celle-ci signifie toute soupape qui est activée à distance au moyen d’un signal électrique. De même, je conclus que l’expression « distribution automatique de carburant » signifie un procédé d’alimentation en carburant dans lequel un opérateur n’est pas tenu de pénétrer dans la zone de surchauffe d’un chantier de fracturation ou de se placer à côté des réservoirs à carburant avec une conduite carburant pour le ravitaillement manuel en carburant, mais que ce procédé a lieu par la télécommande des soupapes automatiques pour réguler le débit de carburant déversé par les conduites reliées aux réservoirs de l’équipement.

2) Le terme « bouchon d’avitaillement »

[170] Les revendications 1, 5, 7, 10, 13 à 15, 17, 20 et 24 renvoient à un bouchon d’avitaillement, qui est utilisé pour rattacher une conduite à un réservoir à carburant aux fins de l’avitaillement en carburant.

[171] Le bouchon d’avitaillement est décrit au paragraphe 14 de la divulgation dans les termes suivants :

[traduction] Chaque bouchon d’avitaillement 26 est équipé d’un coupleur pour fixer le bouchon d’avitaillement 26 à un réservoir 12, et ce coupleur est habituellement formé d’un raccord fileté. Le bouchon d’avitaillement 26 comprend un col 44 fileté qui est vissé de la façon habituelle au réservoir à carburant 12, et une extrémité supérieure 46.

[172] M. Berry a exprimé l’avis que selon l’acception courante, un bouchon d’avitaillement est un dispositif servant à fermer un réservoir à carburant pour prévenir les corps étrangers d’y pénétrer et pour éviter les déversements de carburant hors du réservoir. Il a fait savoir qu’il n’avait jamais entendu l’expression « bouchon d’avitaillement » utilisée pour décrire un objet quelconque sans raccord fileté ou coupleur quart de tour qui est fixé uniquement au moyen de ce coupleur. Il estime donc qu’une personne moyennement versée dans l’art considérerait comme une exigence essentielle que le bouchon d’avitaillement compte un coupleur qui scelle mécaniquement le bouchon à un coupleur correspondant sur le réservoir à carburant. Toutefois, lorsqu’on lui a demandé durant l’interrogatoire principal d’expliquer le terme « coupleur », M. Berry a seulement affirmé qu’un coupleur était [traduction] « un moyen quelconque de fixer mécaniquement un bouchon d’avitaillement », sans mentionner le scellement du réservoir. Enfin, il a affirmé qu’une personne moyennement versée dans l’art interpréterait le terme « bouchon d’avitaillement » comme étant interchangeable avec un raccord d’avitaillement en carburant (terme utilisé dans les revendications 16 et 32).

[173] M. Smith était d’accord avec M. Berry que le but du bouchon d’avitaillement était de fermer les réservoirs à carburant pour prévenir l’introduction de débris et les déversements. Il ne croyait cependant pas qu’un bouchon devait nécessairement compter un coupleur fileté ou quart de tour. Il a précisé qu’il existe de nombreux moyens efficaces de fixer les bouchons en place, y compris les chevilles expansibles et les barres placées en travers des bouchons. De plus, il ne croyait pas que le bouchon d’avitaillement devait assurer l’étanchéité mécanique, puisqu’il n’est pas utilisé durant le transport. Il a ajouté qu’un bouchon non scellé pouvait aussi prévenir l’accumulation de débris et les déversements, et a mentionné que le paragraphe 14 de la divulgation mentionne seulement que le bouchon d’avitaillement est utilisé « préférablement » pour sceller le réservoir.

[174] Selon M. Matiasz, le bouchon d’avitaillement a un usage double, qui consiste à fixer la conduite et le détecteur de niveau de carburant aux réservoirs à carburant et à limiter l’entrée de contaminants dans les réservoirs. À son avis, le bouchon d’avitaillement doit être équipé d’un coupleur pour le fixer au réservoir, mais le coupleur n’est pas nécessairement un raccord fileté, car il doit s’ajuster à différents types de cols de raccordement des réservoirs. Il a ajouté qu’il n’était pas nécessaire que le bouchon d’avitaillement scelle mécaniquement le réservoir, mais il doit être fixé ou vissé au réservoir pour que la conduite et le détecteur ne glissent pas hors du réservoir durant le ravitaillement en carburant.

[175] Selon la défenderesse, une fonction essentielle du bouchon d’avitaillement est la prévention des déversements (voir la revendication 13, [traduction] « la méthode exposée dans la revendication 11 ou 12 vise en outre à prévenir le déversement de chaque réservoir à carburant, en facilitant l’injection de carburant dans chaque réservoir au moyen d’un bouchon d’avitaillement fixé au réservoir »). Elle a soutenu que pour exécuter cette fonction, le bouchon d’avitaillement doit nécessairement sceller les réservoirs à carburant de l’équipement. La défenderesse a affirmé que la fonction de scellement était justement la raison d’être du bouchon d’avitaillement, et a souligné que chaque exemple de bouchon d’avitaillement utilisé sur un chantier de fracturation, dont avaient discuté MM. Smith et Matiasz, servait à sceller les réservoirs à carburant en question.

[176] M. Smith était d’avis que le bouchon d’avitaillement prévenait les déversements en éliminant le besoin d’insérer une buse dans les réservoirs à carburant durant le ravitaillement, puis de la retirer une fois le ravitaillement terminé, et il remplissait aussi cette fonction parce que le détecteur de niveau de carburant y était logé. Il a également expliqué que l’un des moyens par lesquels le bouchon prévenait les déversements est qu’il élimine le besoin d’insérer manuellement la buse de la conduite dans les réservoirs à carburant. Lorsqu’on lui a demandé en contre-interrogatoire si le bouchon d’avitaillement pouvait effectivement prévenir les déversements, M. Smith a affirmé qu’il ne prévenait pas les déversements dans tous les cas, notamment en cas de défaillance du détecteur.

[177] M. Matiasz a indiqué que le bouchon d’avitaillement prévient les déversements de carburant en fixant les conduites aux réservoirs. Il a répété qu’en l’absence d’un moyen de fixer les conduites, celles-ci pouvaient se dévisser durant le ravitaillement en carburant, provoquant un déversement. Il a aussi noté que le bouchon d’avitaillement prévient les déversements en fixant le détecteur de niveau de carburant au niveau correctement étalonné, ce qui évite le trop-plein des réservoirs. Il estimait aussi que le bouchon d’avitaillement réduisait la possibilité qu’un opérateur cause un déversement de carburant. En contre-interrogatoire, M. Matiasz n’a pas dérogé à son avis que le bouchon d’avitaillement prévient les déversements en fixant la conduite et le détecteur. À son avis, il n’était pas nécessaire que le bouchon d’avitaillement scelle les réservoirs à carburant de l’équipement pour remplir sa fonction de prévention des déversements.

[178] La défenderesse a aussi soutenu que le terme « bouchon d’avitaillement » devait être interprété seulement comme incluant un bouchon fixé par filetage aux réservoirs de l’équipement.

[179] Les demanderesses ont cité le paragraphe 14 du mémoire descriptif qui précise ce qui suit : [traduction] « chaque bouchon d’avitaillement 26 est équipé d’un coupleur […] et ce coupleur est habituellement formé d’un raccord fileté » à titre de preuve que les inventeurs titulaires du brevet 567 avaient envisagé d’autres moyens de fixer le bouchon. Elles soulignent aussi le témoignage de M. Van Vliet, selon lequel l’intention des inventeurs était que le bouchon soit adaptable à différents types de réservoirs à carburant et, qu’à cette fin, ils ont envisagé d’autres moyens de fixation du bouchon. Il était en outre évident d’après le témoignage des experts qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait eu connaissance de nombreux différents moyens de fixer un bouchon à un réservoir.

[180] À la lecture de l’intégralité du brevet 567 avec un esprit désireux de comprendre, et compte tenu du témoignage des experts, je n’estime pas qu’il soit nécessaire que le bouchon d’avitaillement scelle les réservoirs à carburant de l’équipement afin de prévenir les déversements. Je conclus que l’expression « bouchon d’avitaillement » décrit tout dispositif qui est fixé ou vissé, par un moyen quelconque, au col des réservoirs à carburant de l’équipement, dans lequel le carburant est versé et qui limite l’entrée de contaminants dans les réservoirs et prévient les déversements, dans des conditions normales de fonctionnement, en fixant les conduites aux réservoirs de l’équipement et en positionnant le détecteur de niveau de carburant.

[181] En outre, je n’estime pas que le terme bouchon d’avitaillement soit synonyme de raccord d’avitaillement en carburant – il suffit de lire la revendication 17 subordonnée, qui précise que les bouchons d’avitaillement sont un type de raccord d’avitaillement en carburant, pour parvenir raisonnablement à cette conclusion.

3) Le terme « chantier »

[182] Les revendications 16 et 32 visent un système d’alimentation en carburant servant à la distribution automatique de carburant à un chantier.

[183] M. Berry était d’avis que le terme « chantier » était très vaste et comprenait toutes sortes d’établissements où des personnes travaillent, y compris les stations-service commerciales et les installations aéronautiques. MM. Smith et Matiasz n’étaient pas d’accord avec l’interprétation du terme « chantier » et ce qu’il englobait.

[184] M. Smith a observé qu’il existe de nombreuses différences entre les opérations sur les chantiers de fracturation et dans les stations-service commerciales ou les installations aéronautiques. Par exemple, sur un chantier de fracturation, le ravitaillement en carburant s’effectue alors que l’équipement est en marche, et l’équipement à ravitailler est transporté à des zones spécialement désignées pour l’accès au système de carburant. Il estimait que le brevet 567 devrait être interprété dans le contexte du ravitaillement en carburant moteur en marche, car il vise à réduire les dangers associés à ce mode de ravitaillement. Il a cependant reconnu en contre-interrogatoire que le brevet 567 devrait couvrir uniquement les activités de fracturation et qu’il ne considérerait pas comme une contrefaçon une réalisation du brevet 567 visant des chantiers, comme celle qui serait utilisée dans le ravitaillement en carburant d’une génératrice.

[185] M. Matiasz a affirmé que, dans le contexte du brevet 567, un chantier est un [traduction] « emplacement comptant un matériel portable qui demeure semi-stationnaire et où s’effectue en continu le ravitaillement en carburant de nombreuses pièces d’équipement durant leur fonctionnement ». Il a précisé que les chantiers de fracturation sont de nature unique, car l’équipement est transporté à un endroit éloigné, monté en étroite proximité avec d’autres pièces d’équipement et fonctionne 24 heures sur 24 pendant de nombreux jours consécutifs. À son avis, une personne moyennement versée dans l’art, d’après son expérience, serait portée à interpréter le terme « chantier » comme présentant des caractéristiques similaires à celles d’un chantier de fracturation.

[186] Quoi qu’il en soit, les demanderesses ont également observé que le terme « chantier » devrait se limiter aux applications pétrolières et gazières. MM. Smith et Matiasz étaient tous deux d’avis qu’à la lecture du brevet 567, ils avaient fixé leur attention sur les activités de fracturation aux sites de forage. Je ne peux convenir que l’expression « chantier » désigne uniquement un site de forage. Le libellé du brevet 567 montre clairement que les sites de forage diffèrent des chantiers. La teneur du libellé des revendications 1 et 11, par opposition aux revendications 16 et 32, dénote clairement que l’intention des inventeurs était d’interpréter différemment les sites de forage, y compris les chantiers de fracturation, et les chantiers. Conclure le contraire serait déraisonnable et consisterait davantage à faire une lecture avec un esprit désireux de soulever l’incompréhension. De plus, bien que M. Smith ait estimé que les applications à l’extérieur du domaine de la fracturation ne seraient pas contrefaisantes, la Cour ne dispose d’aucune preuve démontrant que les inventeurs du brevet 567, en renvoyant aux « chantiers » dans les revendications contestées, aient voulu limiter l’utilisation de leur invention aux sites de forage où se déroulaient des activités de fracturation.

[187] M. Matiasz a précisé qu’il y a trois étapes à la production de pétrole ou de gaz naturel : le forage, la complétion du puits et la production. La fracturation a lieu durant l’étape de la complétion. Les témoins des faits et les experts ont établi dans leur témoignage que les chantiers de fracturation constituent un environnement unique présentant des dangers particuliers. Il est impossible de déterminer clairement, d’après la preuve produite à l’instruction, si cet environnement unique et ces dangers seraient reproduits à d’autres endroits. Quoi qu’il en soit, la preuve démontre que ce sont les caractéristiques d’un chantier de fracturation – un endroit semi-permanent éloigné, et les dangers associés au ravitaillement continu en carburant en utilisant des conduites pressurisées ou du carburant réchauffé dans un environnement particulier – qui sont pertinentes pour l’interprétation du brevet 567.

[188] Puisqu’il n’y a rien dans le mémoire descriptif du brevet 567 permettant de préciser le sens ou autrement d’interpréter de manière téléologique le terme « chantier », de la manière suggérée par les experts des demanderesses, je ne suis pas disposé à le faire. Par conséquent, les revendications mentionnant des chantiers (les revendications 16 et 32) doivent être interprétées comme étant de portée excessive, comme il est discuté ci-après.

4) Le terme « disposition des soupapes »

[189] Les revendications 1 et 20 divulguent une [traduction] « disposition des soupapes à [chaque] sortie de carburant qui régule le débit du carburant dans la conduite à [la] sortie de carburant ». Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si l’ensemble des soupapes dans la disposition de soupapes – particulièrement les soupapes à commande manuelle divulguées dans les revendications 3, 18, 22 et 37 du brevet 567 – devait être utilisé pour réguler le débit du carburant durant le fonctionnement de l’ensemble.

[190] Les demanderesses sont d’avis que la disposition des soupapes est une combinaison d’une ou de plusieurs soupapes à commande manuelle ou automatique située à la sortie de carburant. Elles soutiennent que chaque soupape doit seulement offrir au système la capacité de réguler le débit de fluide, mais n’est pas nécessaire pour réguler le débit de fluide pendant le fonctionnement de l’ensemble, c.-à-d. qu’il se peut que les soupapes soient des soupapes de sécurité pour empêcher le débit de fluide dans une conduite particulière.

[191] La défenderesse affirme que pour réguler le débit, les soupapes comprises dans la disposition des soupapes doivent amorcer et arrêter l’écoulement de carburant dans les réservoirs de l’équipement. La défenderesse allègue que si une soupape était constamment ouverte durant le fonctionnement et fermée uniquement pour les réparations, elle ne fait alors pas partie de la disposition des soupapes.

[192] La revendication 3 indique ce qui suit : [traduction] « [l]e système d’alimentation en carburant décrit à la revendication 2, dans lequel chaque disposition de soupapes compte une soupape à commande manuelle ». Un libellé similaire se trouve dans les revendications 18, 22 et 37, et dénote que, dans ces réalisations, la soupape à commande manuelle est la seule qui se trouve à la sortie de carburant et ne régule donc pas l’amorce et l’arrêt du débit de fluide.

[193] En contre-interrogatoire, M. Matiasz a indiqué qu’une bonne pratique de conception consiste à avoir une soupape à commande manuelle, qui est utilisée parallèlement à chaque soupape à commande automatique et sert de soupape de « sécurité » en cas de défaillance du système automatique. Il a cependant précisé que la soupape de sécurité ne serait pas utilisée pour réguler le débit de fluide durant le ravitaillement en carburant.

[194] À ces causes, je conclus que les soupapes comprises dans la disposition des soupapes sont celles qui servent uniquement à réguler le débit de carburant dans les réservoirs de l’équipement durant le ravitaillement. Les soupapes qui sont utilisées comme soupapes de sécurité ou de secours ne font pas partie de la disposition des soupapes.

5) L’expression « pompe reliée à une conduite »

[195] Les revendications 2, 16 et 21 portent que le système d’alimentation en carburant comprend une [traduction] « pompe reliée à une conduite » ou une [traduction] « pompe sur chaque conduite à carburant ». Les parties ne s’entendent pas au sujet de l’endroit où la « pompe reliée à une conduite » est située par rapport au réservoir principal et au collecteur.

[196] M. Berry n’a pas exprimé d’avis sur la façon d’interpréter l’expression « pompe reliée à une conduite ». Selon M. Smith, pour que la pompe soit « reliée à la conduite », la pompe doit être adjacente au réservoir à carburant principal et placée devant le collecteur, mais ne peut être située à l’intérieur du réservoir à carburant principal. M. Matiasz a affirmé que si la pompe comprend une conduite pour extraire le carburant du réservoir principal et le transporter au collecteur, alors elle est « reliée à la conduite », quel que soit son emplacement par rapport au réservoir principal.

[197] Puisque M. Smith n’a pas d’expérience en génie ou en conception de systèmes de ravitaillement en carburant, j’estime que le témoignage de M. Matiasz est plus convaincant. Je conclus donc qu’une « pompe reliée à une conduite » désigne une pompe qui est située à un endroit quelconque, de sorte qu’elle comporte une conduite pour extraire le carburant du réservoir principal et le transporter au collecteur.

X. Principes du droit se rapportant à l’utilité, à l’évidence et à la contrefaçon

A. L’utilité – Le caractère suffisant

[198] Le régime des brevets a pour assise un marché entre l’inventeur et le public : « l’inventeur obtient, pour une période déterminée, un monopole sur une invention nouvelle et utile en contrepartie de la divulgation de l’invention de façon à en faire bénéficier la société » (Teva Canada Ltée c Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, au paragraphe 32 (Teva)). L’objet du mémoire descriptif est de permettre à une personne moyennement versée dans l’art de fabriquer l’objet de façon à la rendre disponible au public à la fin de la période de monopole (Teva, précité, au paragraphe 33).

[199] Le paragraphe 27(3) de la Loi sur les brevets, LRC (1985), c P-4 porte que :

Le mémoire descriptif doit :

a. décrire d’une façon exacte et complète l’invention et son application ou exploitation, telles que les a conçues son inventeur;

b. exposer clairement les diverses phases d’un procédé, ou le mode de construction, de confection, de composition ou d’utilisation d’une machine, d’un objet manufacturé ou d’un composé de matières, dans des termes complets, clairs, concis et exacts qui permettent à toute personne versée dans l’art ou la science dont relève l’invention, ou dans l’art ou la science qui s’en rapproche le plus, de confectionner, construire, composer ou utiliser l’invention;

c. s’il s’agit d’une machine, en explique le principe et la meilleure manière dont son inventeur en a conçu l’application;

d. s’il s’agit d’un procédé, expliquer la suite nécessaire, le cas échéant, des diverses phases du procédé, de façon à distinguer l’invention d’autres inventions;

[200] Le critère à appliquer pour déterminer si la divulgation est complète est énoncé dans l’arrêt Pioneer Hi-Bred Ltd c Canada (Commissaire des brevets), [1989] 1 RCS 1623, aux pages 1637 à 1638 [Pioneer Hi-Bred] ainsi :

Le demandeur doit divulguer tout ce qui est essentiel au bon fonctionnement de l’invention. Afin d’être complète, celle-ci doit remplir deux conditions : l’invention doit y être décrite et la façon de la produire ou de la construire définie [...] Le demandeur doit définir la nature de l’invention et décrire la façon de la mettre en opération. Quant à la description, elle doit permettre à une personne versée dans l’art ou le domaine de l’invention de la construire à partir des seules instructions contenues dans la divulgation [...] et d’utiliser l’invention, une fois la période de monopole terminée, avec le même succès que l’inventeur, au moment de sa demande.

(Renvois omis)

[201] Tant l’application des connaissances générales courantes au moment pertinent que les essais courants sont permis pour permettre à la personne moyennement versée dans l’art de faire fonctionner l’invention (Gilead Sciences Inc c Idenix Pharmaceuticals Inc, 2015 CF 1156, au paragraphe 421; Pioneer Hi-Bred, précité, à la page 1641). Enfin, la Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Consolboard, aux pages 519 et 520, a affirmé que : « si l’invention consiste seulement en une combinaison nouvelle d’éléments ou d’appareils connus, cette combinaison est suffisamment décrite si les éléments ou appareils dont elle se compose sont tous nommés, si le mode d’opération en est donné et si le nouveau résultat utile qu’elle doit procurer est signalé ».

B. L’utilité – La portée excessive des revendications

[202] Le paragraphe 27(4) de la Loi sur les brevets porte que « [le] mémoire descriptif se termine par une ou plusieurs revendications définissant distinctement et en des termes explicites l’objet de l’invention dont le demandeur revendique la propriété ou le privilège exclusif ». Selon un principe bien établi, la revendication d’un brevet peut être déclarée invalide parce que sa portée est excessive ou plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée (Pfizer Canada Inc c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 209, au paragraphe 115 [Pfizer]; Amfac Foods Inc c Irving Pulp & Paper Ltd (1986), 12 CPR (3d) 193 (CAF).

[203] Les revendications valides ne doivent pas être de portée plus vaste que : 1) l’invention nouvelle et utile, de la manière réalisée par l’inventeur; ou 2) l’invention décrite dans le brevet (Pfizer, précité, au paragraphe 116). La Cour doit donc se demander si les revendications se lisent bien en fonction de ce qui a été divulgué et illustré dans le mémoire descriptif et les dessins (Pharmascience Inc c Pfizer Canada Inc, 2011 CAF 102, aux paragraphes 40 et 41).

C. L’évidence

[204] De plus, l’évidence doit être établie pour chacune des revendications (Zero Spill Systems (International) Inc c Heide, 2015 CAF 115, au paragraphe 85). Le critère d’évidence à quatre volets exposé dans les décisions Windsurfing/Pozzoli a été précisé par la Cour suprême du Canada dans Apotex Inc c Sanofi-Synthelabo Canada Inc, 2008 CSC 61 [Sanofi], au paragraphe 67 :

1. a) Identifier la « personne versée dans l’art »;

b) Déterminer les connaissances générales courantes pertinentes de cette personne;

2. Définir l’idée originale de la revendication en cause, au besoin par voie d’interprétation;

3. Recenser les différences, s’il en est, entre ce qui ferait partie de « l’état de la technique » et l’idée originale qui sous-tend la revendication ou son interprétation

4. Abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences constituent‑elles des étapes évidentes pour la personne versée dans l’art ou dénotent‑elles quelconque inventivité?

[205] L’évidence est un critère difficile à satisfaire, et lorsqu’un expert est engagé pour témoigner devant une cour, il doit se méfier de sa sagesse rétrospective (Bridgeview Manufacturing Inc c 931409 Alberta Ltd (Central Alberta Hay Centre), 2010 CAF 188, au paragraphe 50 [Bridgeview]). Il n’est pas juste vis‑à‑vis la personne revendiquant une invention de combinaison de décomposer la combinaison en ses éléments pour conclure que, chacun de ceux‑ci étant bien connu, la combinaison est nécessairement évidente (Bridgeview, précité, au paragraphe 51). La question qui se pose est d’établir si la personne versée dans l’art, selon l’état de l’art et les connaissances générales courantes à la date revendiquée de l’invention, peut réaliser directement et sans difficulté l’invention du brevet (Beloit Canada Ltée c Valmet OY, (1986), 8 CPR (3d) 289, à la page 294).

D. La contrefaçon

[206] Afin de déterminer si une revendication donnée d’un brevet est contrefaite, la Cour doit en donner une interprétation téléologique, puis déterminer si le produit qui emporterait contrefaçon est visé par les revendications du brevet (Mobil Oil Corp c Hercules Canada Inc (1995), 63 CPR (3d) 473, au paragraphe 289; arrêt Free World Trust, aux paragraphes 48 et 49). Dans l’arrêt Free World Trust, au paragraphe 30, le juge Binnie a exposé six propositions à prendre en compte dans l’interprétation des revendications afin de déterminer s’il y a contrefaçon, de façon à obtenir un résultat juste et prévisible :

1. La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.

2. Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.

3. La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.

4. Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue.

5. Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

a. en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;

b. à la date à laquelle le brevet est publié;

c. selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou

d. conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

e. mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.

6. Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.

XI. Le caractère suffisant du brevet 567

[207] La défenderesse soutient que le brevet 567 décrit les composants du système d’alimentation en carburant en termes trop vastes et génériques pour constituer une divulgation suffisante. Elle a désigné deux composants en particulier qui, à son avis, ne sont pas suffisamment décrits : 1) la ou les pompes et 2) le ou les détecteurs de niveau de carburant.

[208] Selon la défenderesse, la divulgation ne renferme pas de description du type de pompe utilisé ou de la façon dont la pompe est commandée dans le système. La défenderesse allègue que la demande RS-DE d’ERS démontre qu’il avait été difficile de trouver une pompe adéquate, soulignant qu’une personne moyennement versée dans l’art n’aurait pas été en mesure de réaliser l’invention en se fondant uniquement sur le brevet 567. En ce qui concerne le détecteur de niveau de carburant, la défenderesse signale qu’ERS avait dû le modifier pour les besoins de l’invention.

[209] Les experts ont cependant tous convenu qu’ils pourraient réaliser l’invention du brevet 567 en se fondant sur la divulgation.

[210] M. Berry a exprimé l’avis que sa personne moyennement versée dans l’art (c.-à-d. une personne ayant suivi une formation en génie) aurait examiné le brevet 567 et, ayant recueilli des renseignements généraux sur les réservoirs, [traduction] « serait parvenue à réaliser les pompes et autres composants ». M. Smith a témoigné qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait su comment calculer la taille adéquate de la pompe ou de la soupape ou aurait obtenu ce renseignement auprès d’un fournisseur ou fabricant de pompes. M. Matiasz a affirmé qu’il était de pratique courante en ingénierie d’examiner et de comparer des composants au moment de la conception d’un système, et une personne moyennement versée dans l’art aurait été en mesure de déterminer les pompes et conduites adéquates.

[211] Concernant le détecteur de niveau de carburant, M. Smith estimait qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait pu identifier plusieurs détecteurs convenables en se basant sur l’information contenue dans le brevet 567 et les connaissances générales courantes. En contre-interrogatoire, il a cependant reconnu qu’il aurait été nécessaire de mener certains essais. M. Matiasz a témoigné que pour recenser un détecteur convenable, une personne moyennement versée dans l’art aurait dû considérer un certain nombre de facteurs, dont la complexité de la conception recherchée, la proximité entre le détecteur et le récepteur, et le bloc d’alimentation à utiliser. Il a admis qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait probablement dû consulter des fournisseurs, mais a précisé qu’il s’agissait d’une procédure courante pour construire un système.

[212] Les demanderesses ont également signalé que bien que les inventeurs fabriquent un détecteur de niveau de carburant, il s’agit uniquement de la combinaison de deux technologies de série, dont les marques sont explicitement divulguées dans le brevet 567.

[213] Par conséquent, compte tenu du témoignage des experts – particulièrement celui de M. Matiasz qui a exposé de la façon la plus crédible et la plus convaincante ce qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait compris à la lecture du brevet 567 à la date pertinente –, je conclus que le brevet 567 n’est pas invalide pour cause d’insuffisance.

XII. La portée excessive des revendications du brevet 567

[214] La défenderesse avance six arguments pour établir la portée excessive de certaines revendications du brevet 567 :

  1. les revendications 1 à 6 ne renferment pas le détecteur de niveau de carburant visé;
  2. les revendications 11 à 15 n’incluent pas la soupape de commande à l’endroit requis dans l’ensemble de ravitaillement en carburant;
  3. les revendications 16 à 18 et 32 à 37 ne limitent pas l’invention à son utilisation à un site de forage, mais définissent plutôt l’endroit comme un chantier;
  4. les revendications 20 à 26 ne limitent pas l’invention à son utilisation à un endroit déterminé;
  5. les revendications 1 et 20 ne limitent pas le bouchon d’avitaillement à un bouchon comportant un raccord fileté;
  6. les revendications 1, 13, 17, 20 et 32 ne précisent pas que les conduites sont reliées au moyen d’un raccord rapide.

[215] Les demanderesses soutiennent que les allégations de la défenderesse relatives à la portée excessive des revendications constituent une tentative illégitime de restreindre les inventeurs aux réalisations privilégiées de l’invention 567 et une interprétation injuste du brevet 567.

A. Le détecteur de niveau de carburant

[216] Les revendications 1 à 6 divulguent une invention sans cependant mentionner de détecteur de niveau de carburant, qui est un composant permettant à un opérateur ou à un régulateur à logique informatique de surveiller à distance le niveau de carburant dans un réservoir de l’équipement. Sans ce détecteur, un opérateur devrait pénétrer dans la zone de surchauffe pour vérifier le niveau de carburant dans un réservoir et surveiller physiquement le remplissage du réservoir afin d’éviter un débordement.

[217] La défenderesse affirme que selon M. Van Vliet, l’un des inventeurs du brevet 567, le but de l’invention était de réduire les dangers de l’avitaillement manuel moteur en marche en éloignant les personnes de la zone de surchauffe. En outre, MM. Smith et Matiasz ont exprimé l’avis que l’un des aspects novateurs de l’invention 567 était de reconnaître et de réduire les dangers de l’avitaillement manuel moteur en marche. La défenderesse soutient que parce que l’un des éléments essentiels de l’invention est l’éloignement des travailleurs de la zone de surchauffe, une invention qui ne précise pas de moyen de surveiller le niveau de carburant n’est d’aucune utilité.

[218] Je suis du même avis. Sans un moyen de surveiller à distance le niveau de carburant dans un réservoir de l’équipement, l’invention 567 est de portée plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée. Je conclus que les revendications 1 à 6, qui ne renferment pas de détecteur de niveau de carburant, sont invalides puisque leur portée est excessive.

B. La soupape dans l’ensemble à carburant

[219] Les revendications 11 à 15 divulguent un procédé d’alimentation en carburant et précisent que ce procédé consiste à [traduction] « réguler automatiquement le débit de fluide dans chaque conduite à la réception de signaux indiquant les niveaux de carburant dans les réservoirs à carburant ».

[220] La défenderesse fait valoir que le libellé de ces revendications expose un procédé par lequel le débit de fluide est régulé par une soupape à l’extrémité de la conduite reliée au réservoir de l’équipement, par opposition au réservoir d’alimentation. Dans ce cas, les conduites seraient pressurisées par le débit de carburant, ce qui accroîtrait le risque d’incendie, dans l’éventualité d’une perforation ou d’une fuite par piqûre d’une conduite. La défenderesse fait valoir que puisque les inventeurs ont décidé délibérément de situer les soupapes de commande dans le réservoir principal dans la description et les autres revendications (c.-à-d. les sorties de carburant dans les revendications 1, 20 et 32, et au paragraphe 12 de la description), il en découle que les revendications 11 à 15, faisant allusion à une situation où les conduites seraient pressurisées, sont de portée plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée.

[221] Les demanderesses avancent que le libellé des revendications, qui divulgue que les soupapes se situent aux sorties de carburant, ne limite pas l’emplacement des soupapes au réservoir principal. Elles soulignent les revendications qui divulguent que les sorties de carburant se trouvent dans le ou les collecteurs (p. ex. les revendications 2, 4 et 16). Elles mentionnent également le témoignage de M. Van Vliet, qui a affirmé que les inventeurs avaient envisagé plusieurs différents endroits où situer les soupapes, y compris n’importe où le long des conduites et à l’extrémité des conduites reliées au réservoir de l’équipement.

[222] Le témoignage de M. Van Vliet démontre que les inventeurs ont conçu l’invention exposée dans les revendications 11 à 15. Alors qu’il n’est peut-être pas optimal, du point de vue de la sécurité, de situer les conduites pressurisées à un endroit quelconque de l’invention, qu’une invention, ou l’une de ses parties, soit optimale n’est pas pertinente pour la question de savoir si la portée des revendications est excessive (Pfizer, au paragraphe 117).

[223] De plus, bien que le libellé du mémoire descriptif décrive l’endroit privilégié où situer certaines sorties et soupapes, il ne précise pas qu’elles doivent être situées à un endroit particulier dans le système. Une personne moyennement versée dans l’art, ayant les connaissances générales courantes à la date pertinente, saurait où placer les soupapes afin de faire fonctionner l’invention comme l’entendait l’inventeur et d’une façon utile.

[224] Ainsi, je n’estime pas que les revendications 11 à 15 sont de portée excessive pour avoir omis de préciser l’emplacement des soupapes.

C. Le terme « chantier »

[225] Comme il a été discuté ci-dessus à la section sur l’interprétation des revendications, de nombreuses questions ont été soulevées à propos de l’interprétation du terme « chantier ». Selon la défenderesse, toutes les revendications qui mentionnent le recours à un chantier – les revendications 16 à 18 et 32 à 37 – sont de portée excessive, car l’objet du brevet 567 est d’améliorer la sécurité et l’efficacité du ravitaillement en carburant à un site de forage, particulièrement sur un chantier de fracturation.

[226] Les deux revendications indépendantes 16 et 32 divulguent [traduction] « un système d’alimentation en carburant pour la distribution automatique de carburant à de nombreux [réservoirs à carburant de l’équipement] sur un chantier […] ».

[227] Les demanderesses soutiennent qu’il faut comprendre le terme « chantier » dans le contexte des activités de fracturation. Elles font également valoir que la Cour devrait « interpréter » le libellé comme limitant les revendications 16 et 32 aux chantiers dans le secteur pétrolier et gazier. Elles avancent donc que les revendications ne sont pas de portée excessive, car des chantiers pourraient également éprouver les problèmes posés par une pénurie de carburant et les dangers associés au ravitaillement en carburant moteur en marche, comme envisagé par les inventeurs du brevet 567.

[228] Toutefois, l’objection soulevée par les demanderesses à propos du témoignage d’expert de M. Berry repose sur l’argument que son manque d’expérience des chantiers de fracturation le rend inapte à exprimer un avis sur le brevet 567. Cela dénote une interprétation du brevet 567 qui se limite aux sites de forage, puisque M. Berry peut être un expert en ravitaillement en carburant sur des chantiers, selon une interprétation correcte.

[229] La preuve produite par les témoins au procès démontre clairement que certains emplacements couverts par le terme « chantier » peuvent ne pas présenter les mêmes contraintes relatives à l’espace occupé par l’équipement ou les dangers sur un chantier de fracturation. De nombreux témoins des faits et experts ont souligné les conditions et les risques propres à un chantier de fracturation. MM. Smith et Matiasz ont exprimé l’avis que l’inventivité du brevet 567 résidait en partie dans le fait qu’il avait permis le ravitaillement en carburant simultané de nombreux réservoirs, réduisant ainsi le temps qu’un opérateur doit passer dans la zone de surchauffe.

[230] Le brevet 567 ne mentionne pas d’utilisation de l’invention 567 autre que la fracturation. M. Matiasz a indiqué que lorsqu’il a lu le brevet 567 [traduction] « il était clair dans mon esprit que l’intention du brevet était les [chantiers de fracturation] ». De plus, le terme « chantier » peut englober des emplacements où une seule pièce d’équipement doit être ravitaillée en carburant à un moment donné et où il n’y a pas de zone de surchauffe en raison du type d’équipement. Enfin, le fait que les demanderesses demandent à la Cour d’interpréter le libellé de façon à restreindre la portée des revendications est une autre indication que leur portée est excessive.

[231] Dans certaines affaires, les brevetés et leurs représentants comparaissent devant la Cour pour demander la validation des revendications qui sont rédigées à dessein dans une portée plus vaste que l’invention conçue, réalisée ou fabriquée par les inventeurs. Ils espèrent obtenir la protection la plus large possible pour des inventions non évidentes et utiles, sachant que si certaines revendications sont de portée excessive, les revendications subordonnées, dépendantes et de portée plus restreinte, ou les autres revendications indépendantes de portée plus restreinte, peuvent résister à l’examen de la Cour. La Cour interprète les revendications « afin qu’un traitement équitable soit accordé à la fois au breveté et au public » (soulignement ajouté; arrêt Free World Trust, au paragraphe 50). Ainsi, les revendications de portée excessive ne doivent pas, et ne devraient pas, être confirmées en « interprétant » un libellé ou des limitations qui ne sont pas compris dans la teneur des revendications à interpréter, en faisant une lecture équitable et téléologique du mémoire descriptif à l’appui du brevet. Rien dans le brevet 567 ne justifie l’interprétation restrictive que font les demanderesses du terme « chantier ».

[232] Je conclus que les revendications 16 à 18 et 32 à 37, qui portent sur un système d’alimentation en carburant utilisé sur un chantier, sont de portée plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée.

D. Aucun emplacement précis

[233] Les revendications 20 à 26 divulguent un système d’alimentation en carburant, dont l’utilisation ne se limite pas à un emplacement précis.

[234] L’invention divulguée dans ces revendications pourrait donc être utilisée à des stations-service commerciales, à des installations aéronautiques et à d’autres endroits, en plus des sites de forage et des activités de fracturation menées à ces emplacements. Comme il a été discuté ci-dessus, l’invention 567 porte sur un système d’alimentation en carburant aux sites de forage pendant la fracturation de puits. Donc, les revendications 20 à 26 sont de portée excessive.

E. Bouchon d’avitaillement fileté

[235] La défenderesse soutient également que les revendications 1 et 20 sont de portée excessive, car les inventeurs n’ont pas inventé de bouchon d’avitaillement qui serait fixé par un moyen autre que le filetage, comme il a été divulgué dans les revendications.

[236] Comme il a précédemment mentionné, un bouchon d’avitaillement, dans le contexte du brevet 567, peut être fixé aux réservoirs à carburant de l’équipement par un autre moyen que le filetage. Je suis d’accord avec les demanderesses qu’il s’agit d’une tentative de limiter l’invention à ce qui est décrit comme la réalisation privilégiée. Donc, je conclus que les revendications divulguant le bouchon d’avitaillement ne sont pas de portée plus vaste que l’invention réalisée ou revendiquée parce qu’elles ont omis de limiter le moyen de fixation du bouchon à un coupleur fileté.

F. Raccords rapides

[237] La défenderesse soutient que les revendications 1, 13, 17, 20 et 32 sont de portée trop vaste parce qu’elles ne précisent pas que les conduites sont reliées au bouchon d’avitaillement au moyen d’un raccord rapide. Les demanderesses avancent que bien que les inventeurs aient finalement utilisé les raccords rapides et donnent les raccords rapides comme un exemple de moyen de fixer les conduites aux bouchons d’avitaillement, une personne moyennement versée dans l’art aurait connu plusieurs différents moyens de relier les conduites et les bouchons d’avitaillement, selon l’état de la technique et les connaissances générales courantes.

[238] M. Van Vliet a témoigné que les inventeurs avaient envisagé des dispositifs de blocage à came et à vide, comme substituts du raccord rapide. M. Smith était d’avis qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait facilement compris que la connexion pourrait se faire au moyen d’un raccord fileté, à came, à rainure, union ou autre.

[239] À mon avis, cette allégation de portée excessive est semblable à l’argument pour établir l’interprétation correcte du terme « bouchon d’avitaillement ». Par conséquent, je conclus que les revendications 1, 13, 17, 20 et 32 n’ont pas une portée excessive pour avoir omis de divulguer un raccord rapide.

G. Conclusion relative aux revendications de portée plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée

[240] Selon l’interprétation correcte des revendications du brevet 567, je conclus que les revendications 1 à 6, 16 à 18, 20 à 26 et 32 à 37 sont invalides parce qu’elles sont de portée plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée.

XIII. L’évidence

[241] Les experts s’entendent pour dire que les composants individuels couverts par le brevet 567 étaient tous connus et établis dans l’état de la technique en octobre 2010. M. Van Vliet a témoigné qu’il serait facile de se procurer tous les éléments, sauf le bouchon d’avitaillement et le détecteur de niveau de carburant, auprès de fournisseurs réputés.

[242] La défenderesse fait valoir que parce que tous les composants sont utilisés selon leur usage habituel, l’invention est évidente. Elle soutient que l’invention était évidente puisque M. Berry, avant de prendre connaissance du brevet 567, avait été en mesure de concevoir un système de ravitaillement en carburant qui était essentiellement semblable à l’invention 567 (pièce M de l’affidavit Berry). De plus, la défenderesse soutient qu’en général, l’utilisation des systèmes d’alimentation automatique en carburant ne présentait pas un caractère de nouveauté, puisque ces systèmes étaient utilisés depuis de nombreuses années avant 2010 pour des applications telles que les génératrices de secours pour le ravitaillement en carburant.

[243] Les demanderesses estiment que l’invention 567 est une combinaison novatrice des éléments individuels revendiqués et une solution novatrice au problème posé par la présence d’opérateurs dans la zone de surchauffe pour y ravitailler manuellement en carburant l’équipement utilisé pour les activités de fracturation aux sites de forage. Elles soulignent la preuve produite par les témoins des faits qui travaillent ou ont travaillé dans le secteur de la fracturation et qui a démontré qu’aucun acteur de ce secteur n’avait pensé à éloigner les opérateurs de la zone de surchauffe dangereuse avant le 21 octobre 2010, c’est-à-dire la date pertinente pour l’appréciation du caractère évident.

[244] M. Smith a fait savoir que selon l’état de la technique avant le 21 octobre 2010, l’opérateur du système de ravitaillement en carburant devait porter de plus en plus de pièces d’équipement de protection individuelle. Il estimait donc que l’idée originale du brevet 567 résidait dans la création d’un système et d’un procédé pour offrir un moyen sécuritaire et efficace de ravitailler à distance l’équipement de fracturation pendant qu’il tournait. À son avis, l’idée originale des revendications indépendantes (c.-à-d., les revendications 1, 11, 16, 20 et 32) était de créer un système de carburant portable pouvant être déployé à des endroits éloignés afin d’alimenter en carburant de nombreuses différentes pièces d’équipement sans mettre un opérateur en danger.

[245] M. Matiasz était essentiellement d’accord avec M. Smith. Il a observé que l’idée originale résidait dans un système et une méthode qui avaient amélioré les opérations de ravitaillement en carburant durant les activités de fracturation aux sites de forage, ainsi que l’efficacité du ravitaillement en carburant aux emplacements semi-permanents et éloignés de ravitaillement en carburant, ce qui avait sensiblement réduit le temps que les opérateurs devaient passer dans la zone de surchauffe durant le ravitaillement.

[246] En revanche, M. Berry croyait qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait considéré le brevet 567 comme une conception normale et ordinaire d’un système de stockage et de distribution de carburant, et qui ne se limitait pas nécessairement aux activités de fracturation aux sites de forage.

[247] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, M. Berry ne possède pas d’expérience des activités de fracturation et de l’équipement de fracturation, et n’est pas en mesure de reconnaître les dangers particuliers associés au ravitaillement en carburant sur les chantiers de fracturation. Son avis sur ce qui aurait constitué une invention dans le secteur de la fracturation en 2010 est donc moins convaincant que les avis de MM. Smith et Matiasz. Je conviens que l’idée originale du brevet 567 réside dans la conception d’un système et d’une méthode de ravitaillement en carburant efficace et sécuritaire de nombreuses pièces d’équipement à des sites de forage éloignés et semi-permanents, de façon à éloigner les opérateurs de la zone de surchauffe pendant les activités de fracturation à ces emplacements.

[248] Les témoignages des témoins des faits, qui travaillaient tous dans l’industrie de la fracturation dans un poste quelconque en 2010, ont confirmé que l’état de la technique antérieur à l’invention 567 était l’avitaillement manuel moteur en marche.

[249] Il existe de nombreuses différences entre l’avitaillement manuel moteur en marche et le système divulgué dans le brevet 567, dont la plus importante est qu’un opérateur n’est plus tenu de demeurer dans la zone de surchauffe dangereuse durant le ravitaillement en carburant. De plus, le témoignage de M. Garland a confirmé la conclusion qu’il existait d’autres différences, y compris la possibilité d’accroître l’efficacité des opérations de fracturation et de recueillir des données exactes sur le ravitaillement en carburant durant la fracturation.

[250] Bien que des éléments de preuve aient été présentés à la Cour, selon lesquels un nombre d’entreprises de ravitaillement en carburant amélioraient l’avitaillement manuel moteur en marche en ajoutant des « collecteurs en T » ou en utilisant le « système de raccordement multiple », qui ont réduit certains risques liés au levage qui sont associés au ravitaillement en carburant, ces méthodes n’ont pas éliminé les dangers dans la zone de surchauffe. Les témoignages des témoins des faits de Frac Shack corroborent la conclusion qu’une personne moyennement versée dans l’art n’aurait pas trouvé les revendications 1 à 15, 19, 27 à 31 et 38 du brevet 567 évidentes à la lumière de l’art antérieur.

[251] Par exemple, M. Chernik a affirmé que le système Frac Shack, comparé à l’avitaillement manuel moteur en marche, était comme [traduction] « le jour et la nuit. Il n’y a aucune comparaison ». De même, M. Lamberton a témoigné qu’Encana avait choisi d’utiliser le système Frac Shack parce qu’il s’agissait [traduction] « d’une nouvelle technologie novatrice qui nous a permis de rendre nos opérations plus sécuritaires en éloignant les travailleurs de la zone de surchauffe ainsi qu’en augmentant l’efficacité ».

[252] Par ailleurs, ce qui est convaincant pour la Cour, AFD a admis au gouvernement du Canada, dans sa demande RS-DE présentée pour l’exercice 2012, qu’elle avait dû surmonter plusieurs difficultés de conception et qu’elle avait entrepris une recherche et une expérimentation pour créer sa remorque de fracturation. M. Reimer a admis qu’AFD avait indiqué dans sa demande RS-DE qu’elle avait dû innover pour concevoir la remorque.

[253] Enfin, la défenderesse soutient qu’un schéma du système de ravitaillement en carburant, conçu pour la présente action par M. Berry, alors qu’il ne possédait aucune connaissance du brevet 567 (pièce M de l’affidavit Berry), constituait une preuve qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait pensé que l’invention 567 était évidente. Toutefois, comme l’a observé l’avocat des demanderesses, M. Berry avait reçu pour instruction de [traduction] « concevoir un système de carburant qui pourrait simultanément alimenter en carburant de nombreux réservoirs dans des véhicules ou des pièces d’équipement ». Ces instructions étaient fondées sur la sagesse rétrospective, contre laquelle la Cour d’appel fédérale met en garde dans l’arrêt Bridgeview, au paragraphe 50.

[254] Il serait donc incorrect de suggérer que M. Berry a proposé l’idée originale du brevet 567. Il n’était pas dans la position d’une personne moyennement versée dans l’art car, en 2010, personne ne se souciait de résoudre les problèmes associés à l’avitaillement manuel moteur en marche en recourant à une technologie comme l’invention 567. Le fait qu’un système semblable à l’invention 567 a été facilement conçu par M. Berry, une fois la question cernée, dénote que la question elle-même – comment concevoir un système de carburant qui peut simultanément alimenter de nombreuses pièces d’équipement sur un chantier de fracturation – n’était pas évidente.

[255] De plus, la conception de M. Berry aurait raté, comme il l’a dit, 5 % du brevet 567, y compris le bouchon d’avitaillement, composant qu’il a reconnu comme inventif. Parce que sa conception ne comprenait pas le bouchon d’avitaillement et le détecteur de niveau de carburant associé, il fallait prévoir une conduite de retour pour rediriger le carburant du réservoir de l’équipement vers le réservoir principal, afin de prévenir un débordement. M. Matiasz a témoigné que la conduite de retour ne serait pas souhaitable du point de vue de la sécurité dans un site de forage, car elle aurait suscité un risque de trébuchement supplémentaire sur un chantier de fracturation. De plus, sans le bouchon d’avitaillement, la conception de M. Berry illustrée dans la pièce M aurait nécessité la modification des réservoirs à carburant de l’équipement afin de fixer les conduites. M. Matiasz a expliqué que les entreprises, comme Encana, auraient été réticentes à modifier les réservoirs à carburant de leur équipement en raison des dépenses en immobilisations initiales et du temps à consacrer aux modifications, durant lequel l’équipement serait immobilisé.

[256] Par conséquent, selon la preuve factuelle et le témoignage des témoins experts, je conclus que les revendications 1 à 15, 19, 27 à 31 et 38 du brevet 567 ne sont pas évidentes.

XIV. La contrefaçon

[257] Les demanderesses affirment que les revendications 1 à 4, 7 à 13, 15 à 23 et 26 à 38 du brevet 567 sont contrefaites par la remorque de fracturation d’AFD. Compte tenu de ma conclusion relative à l’invalidité des revendications 1 à 6, 16 à 18, 20 à 26 et 32 à 37, seules les revendications valides suivantes doivent être prises en compte relativement à la contrefaçon :

  1. les revendications 7 à 9;

  2. la revendication 10, étant subordonnée aux revendications 7 à 9;

  3. les revendications 11 à 13;

  4. la revendication 15, étant subordonnée aux revendications 11 à 13;

  5. la revendication 19;

  6. la revendication 27, étant subordonnée aux revendications 7 à 10 ou 19;

  7. la revendication 28, étant subordonnée aux revendications 7 à 9 ou 19;

  8. la revendication 29, étant subordonnée aux revendications 8, 9 ou 19;

  9. la revendication 30, étant subordonnée :

    1. à l’une ou l’autre des revendications 7 à 10 ou 19,

    2. à la revendication 27, étant subordonnée aux revendications 7 à 10 ou 19,

    3. à la revendication 28, étant subordonnée aux revendications 7 à 9 ou 19,

    4. à la revendication 29, étant subordonnée aux revendications 8, 9 ou 19;

  10. la revendication 31, étant subordonnée :

    1. à l’une ou l’autre des revendications 7 à 10 ou 19,

    2. à la revendication 27, étant subordonnée aux revendications 7 à 10 ou 19,

    3. à la revendication 28, étant subordonnée aux revendications 7 à 9 ou 19,

    4. à la revendication 29, étant subordonnée aux revendications 8, 9 ou 19,

    5. à la revendication 30, étant subordonnée aux revendications 7 à 10, 19 et 27 (étant subordonnée aux revendications 7 à 10, 19), 28 (étant subordonnée aux revendications 7 à 9 ou 19) et 29 (étant subordonnée aux revendications 8, 9 ou 19);

  11. la revendication 38.

(collectivement, les revendications valides).

[258] Comme il a été mentionné précédemment, le brevet 567 compte cinq revendications indépendantes : 1, 11, 16, 20 et 32. Les revendications subordonnées sont les suivantes :

  • § les revendications 2 à 10, étant subordonnées à la revendication 1;

  • § les revendications 12 à 15, étant subordonnées à la revendication 11;

  • § les revendications 17 à 19, étant subordonnées à la revendication 16;

  • § les revendications 21 à 26, étant subordonnées à la revendication 20;

  • § les revendications 27 à 31, étant subordonnées aux revendications 1, 16 ou 20;

  • § les revendications 33 à 38, étant subordonnées à la revendication 32.

[259] Au procès, l’avocat des demanderesses a estimé qu’il y avait 952 différentes combinaisons de revendications indépendantes et subordonnées dans le brevet 567, qui créeraient une invention utile. Au bénéfice de la Cour, les parties se sont entendues pour dire que la remorque de fracturation d’AFD contenait les éléments suivants, qui représentent une combinaison des éléments contestés (dont il est question ci-après), qui pourraient emporter contrefaçon des revendications valides :

Un système d’alimentation en carburant pour alimenter en carburant les réservoirs des pièces d’équipement à un site de forage durant la fracturation d’un puits, comportant ce qui suit :

  • a) une source de carburant comptant plusieurs sorties de carburant;

  • b) une conduite à chaque sortie de carburant d’un ensemble de nombreuses sorties de carburant;

  • c) une source de carburant comptant au moins un réservoir à carburant principal et un collecteur relié au moyen d’une conduite au réservoir à carburant principal;

  • d) certaines ou toutes les sorties de carburant étant situées sur le collecteur;

  • e) une source de carburant comptant au moins un réservoir à carburant principal et deux collecteurs;

  • f) chaque collecteur étant relié au moyen d’une conduite au réservoir à carburant principal;

  • g) de nombreuses sorties de carburant étant situées sur chaque collecteur;

  • h) un écran pour recevoir l’information transmise par les détecteurs de niveau de carburant indiquant le niveau de carburant dans chaque réservoir à carburant durant le remplissage (divulgué dans la revendication 28);

  • i) le système d’alimentation en carburant monté dans une remorque à un site de forage pendant la fracturation d’un puits (divulgué dans la revendication 31).

[traduction] Une méthode d’alimentation en carburant des réservoirs sélectionnés de l’équipement à un site de forage pendant la fracturation d’un puits, cette méthode comprenant :

  • a) le pompage de carburant à partir de la source de carburant dans des conduites rattachées à chaque réservoir à carburant;

  • b) la régulation du débit de fluide dans chaque conduite indépendamment du débit dans les autres conduites.

[260] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si la remorque de fracturation d’AFD contient les éléments suivants :

  1. une pompe reliée à une conduite – sans laquelle aucune des revendications 7 à 10 (étant subordonnées aux revendications 2 à 4), 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17), et 27 à 31 (étant subordonnées aux revendications 7 à 10 (étant subordonnées aux revendications 2 à 4) ou 19 (étant subordonnée aux revendications 16 ou 17) n’est contrefaite;
  2. un bouchon d’avitaillement ou un raccord d’avitaillement en carburant – qui contrefait les revendications 7, 13, 15, 19 (étant subordonnée aux revendications 16 ou 17) et 38 (étant subordonnée à la revendication 32);
  3. des soupapes à commande automatique – qui contrefont les revendications 8 et 19 (étant subordonnée aux revendications 16 ou 17) et 38 (étant subordonnée à la revendication 32);
  4. un régulateur – qui contrefait les revendications 8, 19 (étant subordonnée aux revendications 16 ou 17) et 38 (étant subordonnée à la revendication 32);
  5. le ravitaillement en carburant automatisé commandé par un régulateur – qui contrefait la revendication 9;
  6. des raccords rapides entre les conduites et le bouchon d’avitaillement – qui contrefont la revendication 10;
  7. le débit de fluide à commande automatique – qui contrefait la revendication 11;
  8. le débit de fluide automatisé – qui contrefait la revendication 12;
  9. de nombreux réservoirs à carburant principaux – qui contrefont la revendication 27, étant subordonnée aux revendications 7 à 10 et 19;
  10. un régulateur qui enregistre le niveau de carburant de chaque réservoir à carburant – qui contrefait la revendication 29, étant subordonnée aux revendications 8, 9 ou 19;
  11. un manomètre à chaque sortie de carburant – qui contrefait la revendication 30, étant subordonnée aux revendications 7 à 10, 27 (étant subordonnée aux revendications 7 à 10 ou 19), 28 (étant subordonnée aux revendications 7 à 9 ou 19) et 29 (étant subordonnée aux revendications 8, 9 ou 19).

A. L’expression « pompe reliée à une conduite »

[261] Les pompes de la remorque de fracturation d’AFD sont situées dans le réservoir principal. La défenderesse soutient que cela signifie que les pompes ne sont pas « reliées à une conduite ».

[262] En contre-interrogatoire, M. Smith a convenu qu’une pompe située dans un réservoir à carburant ne pouvait être considérée comme étant « reliée à une conduite », et a exprimé l’avis que la remorque de fracturation d’AFD n’emportait pas contrefaçon de la « section sur les pompes » du brevet 567.

[263] Comme je l’ai indiqué précédemment, M. Matiasz a émis un avis contraire qui était plus convaincant que celui de M. Smith. Il estimait qu’une personne moyennement versée dans l’art aurait considéré une pompe comportant une conduite carburant à ses deux extrémités comme une « pompe reliée à une conduite », quel que soit son emplacement par rapport au réservoir principal. M. Reimer a admis en contre-interrogatoire que, bien que les pompes soient en suspension dans le réservoir principal, elles comportent une conduite qui est submergée dans le réservoir pour aspirer le carburant, et une conduite de sortie.

[264] Selon une interprétation correcte, je conclus que l’expression « pompe reliée à une conduite » désigne une pompe située à un endroit quelconque qui comporte une conduite pour aspirer le carburant dans le réservoir principal et le transporter au(x) collecteur(s).

B. Bouchon d’avitaillement ou raccord d’avitaillement en carburant

[265] La remorque de fracturation d’AFD comprend un composant que la défenderesse décrit comme l’« adaptateur AFD », soit une pièce de la remorque de fracturation d’AFD qui établit la connexion aux réservoirs à carburant de l’équipement. La défenderesse soutient que l’adaptateur AFD n’est pas fixé en place ni par un coupleur ni par un composant pour prévenir les déversements. Selon le témoignage de M. Reimer, l’adaptateur est fixé aux réservoirs à carburant des pièces d’équipement au moyen d’un crochet en J ou d’une attache en caoutchouc. Ainsi, l’adaptateur AFD n’est pas fixé au réservoir de l’équipement, mais sert à fixer la conduite à carburant aux réservoirs et à limiter la quantité de contaminants qui pénètrent dans les réservoirs. Le détecteur de niveau de carburant est aussi situé sur l’adaptateur AFD.

[266] Je conclus que l’expression « bouchon d’avitaillement » décrit tout dispositif qui est fixé ou vissé, par un moyen quelconque, au col des réservoirs à carburant de l’équipement, dans lequel le carburant est versé et qui limite l’entrée de contaminants dans les réservoirs et prévient les déversements, dans des conditions normales de fonctionnement, en fixant les conduites aux réservoirs de l’équipement et en positionnant le détecteur de niveau de carburant.

[267] Une question a aussi été soulevée durant le procès, à savoir si la défenderesse avait désigné ou non l’adaptateur AFD comme un « bouchon ». Le libellé des revendications doit être interprété de façon éclairée et en fonction de l’objet afin de définir le monopole, et la décision relative à la contrefaçon d’une revendication est fondée sur l’interprétation d’un composant et non sur son appellation, à moins qu’il soit défini d’une manière raisonnablement précise dans le mémoire descriptif du brevet. Toutefois, une preuve documentaire a été produite au procès montrant qu’AFD avait appelé l’adaptateur AFD un bouchon à différents stades du développement de la remorque de fracturation d’AFD, y compris dans la demande RS-DE présentée au gouvernement, où AFD l’a appelé « bouchon universel ».

[268] Ayant examiné la conception et la fonction de l’adaptateur AFD, je conclus qu’il contrefait :

  1. la revendication 7;

  2. la revendication 13;

  3. la revendication 15, étant subordonnée à la revendication 13;

  4. la revendication 19, étant subordonnée à la revendication 16 ou 17;

  5. la revendication 28, étant subordonnée à la revendication 7 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);

  6. la revendication 31, étant subordonnée aux revendications 7, 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17) ou 28 (étant subordonnée à la revendication 7 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);

  7. la revendication 38, étant subordonnée à la revendication 32.

C. Soupapes à commande automatique

[269] Le 18 octobre 2014, la défenderesse a modifié la remorque de fracturation d’AFD en enlevant le programme logique de régulation, après quoi une intervention humaine était nécessaire pour amorcer et arrêter le débit de carburant. La défenderesse a affirmé que la [traduction] « version 2 » de la remorque de fracturation d’AFD est une « version manuelle » de la remorque.

[270] La défenderesse a admis qu’avant le 18 octobre 2014, la remorque de fracturation d’AFD fonctionnait de sorte que le régulateur était programmé pour gérer le ravitaillement en carburant en réponse aux signaux de niveau faible ou élevé de carburant reçus du réservoir de chaque pièce d’équipement (version 1), ce qui contrefait à tout le moins la revendication 11 du brevet 567. M. Reimer a admis en contre-interrogatoire que l’intention de la défenderesse était de concevoir un système automatisé de ravitaillement en carburant.

[271] Précédemment, j’ai conclu que l’expression « soupape à commande automatique » signifie toute soupape activée à distance au moyen d’un signal électrique. Durant le procès, les demanderesses ont projeté une vidéo montrant un opérateur d’AFD qui ouvrait ou fermait les soupapes de la version 2 de la remorque de fracturation d’AFD. La vidéo montrait un opérateur assis à un écran dans la cabine de la remorque, au moyen duquel il surveillait le détecteur de niveau de carburant dans le réservoir de chaque pièce d’équipement afin de déterminer s’il devait procéder au ravitaillement d’un réservoir donné. Lorsqu’un réservoir devait être ravitaillé, l’opérateur appuyait sur un bouton à l’écran, qui transmettait un signal électrique à la soupape visée pour l’ouvrir. Une fois le ravitaillement terminé, l’opérateur appuyait sur un bouton pour fermer la soupape en question.

[272] La vidéo montrait que les soupapes dans la version 2 de la remorque de fracturation d’AFD étaient ouvertes et fermées à distance au moyen d’un signal électrique. Par conséquent, elles sont comprises dans l’expression « soupape à commande automatique » selon une interprétation correcte. De façon analogue, la version 2 de la remorque de fracturation d’AFD est un système qui contrôle automatiquement le débit de fluide. Ainsi, les versions 1 et 2 de la remorque de fracturation d’AFD contrefont :

  1. la revendication 8;

  2. la revendication 11;

  3. la revendication 19, étant subordonnée à la revendication 16 ou 17;

  4. la revendication 28, étant subordonnée à la revendication 8 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);

  5. la revendication 31, étant subordonnée aux revendications 8, 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17) ou 28 (étant subordonnée à la revendication 8 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);

  6. la revendication 38, étant subordonnée à la revendication 32.

D. Régulateur et avitaillement en carburant automatisé activé par le régulateur

[273] Le programme logique de régulation avait été retiré de la version 2 de la remorque de fracturation d’AFD. La défenderesse soutient donc que la version 2 de la remorque ne comportait pas de régulateur, comme il a été divulgué dans le brevet 567. Il n’est cependant pas contesté que la version 2 de la remorque de fracturation d’AFD est équipée d’un écran affichant les niveaux de carburant dans les réservoirs, avec lequel un opérateur contrôle le procédé de ravitaillement en carburant en interagissant avec l’interface graphique utilisateur.

[274] Les demanderesses soutiennent que le numéro de référence du régulateur désigne également le poste de commande, ce qui donne à penser que le brevet 567 compte deux types de régulateurs. Elles avancent donc que le régulateur qui est essentiel, dans le contexte du brevet 567, est le dispositif qui peut recevoir et envoyer des signaux et qui comporte un écran.

[275] La comparaison des revendications 8 et 9 révèle qu’il y a deux niveaux de contrôle envisagés dans le brevet 567. La revendication 8 divulgue un régulateur qui est sensible aux signaux du détecteur de niveau de carburant et qui transmet des signaux de commande aux soupapes visées. La revendication 9 divulgue un régulateur qui est sensible au niveau de carburant dans le réservoir d’une pièce d’équipement et qui est programmé pour effectuer le ravitaillement en carburant sans l’intervention d’un opérateur, c.-à-d., un système ayant un programme logique de régulation du ravitaillement en carburant automatisé qui est activé par un régulateur. Par conséquent, seul le régulateur décrit dans la revendication 8 est essentiel dans les versions 1 et 2 de la remorque de fracturation d’AFD. La fonction de ravitaillement en carburant automatisé activé par un régulateur, divulguée dans la revendication 9, était seulement présente dans la version 1 de la remorque de fracturation d’AFD et n’est donc pas contrefaite par la version 2 de la remorque.

[276] Ayant examiné le régulateur (c.-à-d. l’écran et l’interface) des versions 1 et 2 de la remorque de fracturation d’AFD, je conclus qu’il contrefait :

  1. la revendication 8;
  2. la revendication 19, étant subordonnée à la revendication 16 ou 17;
  3. la revendication 28, étant subordonnée à la revendication 8 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);
  4. la revendication 31, étant subordonnée aux revendications 8, 19 (étant subordonnée aux revendications 16 ou 17) ou 28 (étant subordonnée aux revendications 8 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);
  5. la revendication 38, étant subordonnée à la revendication 32.

E. Conclusion concernant la contrefaçon

[277] De plus, les revendications 6, 14 et 25 divulguent un bouchon d’avitaillement équipé d’un reniflard comportant une conduite dirigée vers le bas qui, selon les demanderesses, n’ont pas été contrefaites, car ce composant ne se trouve pas dans la remorque de fracturation d’AFD. La défenderesse souligne aussi un nombre de caractéristiques revendiquées dans le brevet 567, pour lesquelles elle soutient qu’aucune preuve n’a été produite au procès démontrant, selon la prépondérance des probabilités, qu’elles faisaient partie de la remorque de fracturation d’AFD : la soupape à commande manuelle dans les revendications 3, 18, 22 et 37; le raccordement à sec à la sortie de carburant dans la revendication 10; les nombreux réservoirs principaux dans la revendication 27; le régulateur qui enregistre les volumes de carburant dans les revendications 29 et 34; l’ensemble de collecteurs comptant plus d’un collecteur dans la revendication 33; et le manomètre dans les revendications 30, 35 et 36. Je suis d’accord et je conclus que ces revendications n’ont pas été contrefaites.

[278] La défenderesse reconnaît que jusqu’au 18 octobre 2014, l’exploitation de la version 1 de la remorque de fracturation d’AFD a contrefait ou est réputée avoir contrefait les revendications 11 et 12 du brevet 567. De plus, les revendications suivantes ont été contrefaites :

  1. la revendication 7;
  2. la revendication 8;
  3. la revendication 9;
  4. la revendication 13;
  5. la revendication 15, étant subordonnée à la revendication 13;
  6. la revendication 19, étant subordonnée à la revendication 16 ou 17;
  7. la revendication 28, étant subordonnée aux revendications 7, 8, 9 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);
  8. la revendication 31, étant subordonnée aux revendications 7, 8, 9, 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17) ou 28 (étant subordonnée aux revendications 7, 8, 9 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17));
  9. la revendication 38, étant subordonnée à la revendication 32.

[279] La seule différence entre les versions 1 et 2 de la remorque de fracturation d’AFD est le retrait du programme logique de régulation.

[280] D’après mon analyse ci-dessus, je conclus que la version 2 de la remorque de fracturation d’AFD contrefait :

  1. la revendication 7;

  2. la revendication 8;

  3. la revendication 11;

  4. la revendication 13, étant subordonnée à la revendication 11;

  5. la revendication 15, étant subordonnée à la revendication 13 (étant subordonnée à la revendication 11);

  6. la revendication 19, étant subordonnée à la revendication 16 ou 17;

  7. la revendication 28, étant subordonnée aux revendications 7, 8 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);

  8. la revendication 31, étant subordonnée aux revendications 7, 8, 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17) ou 28 (étant subordonnée aux revendications 7, 8 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17));

  9. la revendication 38, étant subordonnée à la revendication 32.

XV. Réparation pécuniaire

[281] Compte tenu du moment de la contrefaçon dans la présente action, il y a deux périodes distinctes à considérer afin de déterminer la réparation pécuniaire adéquate :

  1. Période préalable à l’octroi – la période préalable au 23 septembre 2014;
  2. Période subséquente à l’octroi – du 24 septembre au 13 décembre 2014.

A. Restitution des bénéfices

[282] Le recours en equity consistant en la restitution des bénéfices « sert d’outil de dissuasion et de mécanisme de justice réparatrice dans le monde commercial » (Varco Canada Limited et al c Pason Systems Crop et al, 2013 CF 750, au paragraphe 398 [décision Varco]). Les recours en equity sont de nature discrétionnaire. Toutefois : « [à] défaut d’une preuve qu’il existe un obstacle à l’obtention d’une mesure de redressement d’equity, un demandeur peut s’attendre à ce que le redressement qu’il sollicite lui soit accordé en conformité avec les principes régissant sa disponibilité » (Apotex Inc. c Bristol-Myers Squibb Co, 2003 CAF 263, au paragraphe 14). Dans l’arrêt Philip Morris Products S.A. c Marlboro Canada Limitée, 2016 CAF 55, la Cour d’appel fédérale a conclu, au paragraphe 17, que les bénéfices provenant de la contrefaçon constituent la source de l’enrichissement injustifié du contrefacteur.

[283] Que la restitution des bénéfices constitue ou non une réparation adéquate est fonction des circonstances de l’affaire et est laissée à la discrétion de la Cour (Merck & Co Inc c Apotex Inc, 2006 CAF 323, au paragraphe 133). La liste des facteurs à prendre en considération pour déterminer si une restitution des bénéfices est appropriée comprend :

  1. la conduite du breveté, y compris s’il y a eu retard dans l’introduction de l’action (Unilever PLC et al c Proctor & Gamble Inc et al (1993), 47 CPR (3d) 479, au paragraphe 525, conf. par (1995), 61 CPR (3d) 499 (CAF) [Unilever]);
  2. la conduite du contrefacteur, y compris s’il a sciemment contrefait le brevet; la seule défense étant l’invalidité du brevet (Varco, aux paragraphes 406 à 408);
  3. la question de savoir si le breveté a réalisé l’invention revendiquée par le brevet au Canada (Unilever, précité, au paragraphe 525).

[284] Les demanderesses soutiennent que la défenderesse n’a pas produit de preuve convaincante établissant qu’une restitution des bénéfices ne devrait pas être attribuée. De plus, elles font valoir qu’elles avaient dûment indiqué sur leurs technologies « brevet en instance » dès le début de la mise en marché et qu’elles avaient agi équitablement et promptement tout au long de l’instance. Elles avancent qu’au contraire, la défenderesse s’est comportée de manière inéquitable en contrefaisant sciemment le brevet, apportant un changement mineur dans le fonctionnement de sa remorque de fracturation afin de contourner le brevet 567, et avait installé l’ensemble au Texas malgré l’action en cours.

[285] La défenderesse soutient que jusqu’à l’octroi du brevet 567, le 23 septembre 2014, elle a agi en toute légalité et qu’aucun acte répréhensible ne peut lui être reproché avant l’octroi du brevet 567. La défenderesse a reconnu qu’en 2012, les demanderesses l’avaient informée de la demande de brevet en instance, mais la défenderesse fait savoir que les demanderesses ne l’ont pas avisée, avant d’engager la présente action, que le brevet 567 était sur le point d’être octroyé ou qu’il l’avait été. La défenderesse soutient également que la modification entre les versions 1 et 2 de la remorque de fracturation d’AFD n’était pas, selon la description des demanderesses, un acte de mauvaise foi, mais plutôt une tentative de mettre fin à la contrefaçon. Enfin, la défenderesse affirme que l’ensemble avait simplement été déplacé au Texas par suite d’un manque de travail au Canada et non pour tenter de le déplacer à l’extérieur du ressort de la Cour.

[286] Par ailleurs, la défenderesse soulève trois points qu’elle demande à la Cour de prendre en considération dans sa décision, à savoir si la restitution des bénéfices est le redressement approprié :

  1. La vente de carburant ne fait pas partie du modèle d’entreprise de Frac Shack. M. Van Vliet a témoigné qu’ERS, lorsqu’elle a créé FSH et FSI, avait décidé de maintenir les activités de vente de carburant. Par conséquent, la défenderesse fait valoir que les demanderesses ne devraient pas avoir droit aux bénéfices réalisés sur la vente de carburant par la défenderesse.
  2. Puisque FSI est la société exploitante et FSH détient seulement la propriété intellectuelle, la brevetée, seule demanderesse dans la présente action jusqu’en octobre 2015, n’exploitait pas le brevet au moment pertinent.
  3. La Cour devrait tirer une conclusion défavorable à l’encontre des demanderesses et conclure que le système Frac Shack n’est pas couvert par les revendications du brevet 567, puisqu’aucune preuve n’a été produite au procès à l’appui du fait que le système Frac Shack est une réalisation du brevet 567.

[287] Bien qu’il soit indéniable que les actes de la défenderesse n’étaient pas illégaux jusqu’au 23 septembre 2014, il est fallacieux de sa part d’affirmer que la lettre l’avisant du statut en instance du brevet 567 était insuffisante pour la prévenir qu’elle était en voie de porter atteinte aux droits de propriété intellectuelle des demanderesses. Les questions de l’utilisation faite par FSH et la courte période de contrefaçon ne sont pas des arguments convaincants pour lesquels les demanderesses ne devraient pas avoir droit à la restitution des bénéfices. En outre, les deux parties ont soulevé des objections selon le critère de l’arrêt Mohan, mais ces objections ont été rejetées.

[288] Je refuse également de tirer une conclusion défavorable du fait que les demanderesses n’ont pas produit de preuve d’expert démontrant que le système Frac Shack était visé par le brevet 567. M. Van Vliet a présenté une preuve détaillée concernant la construction et l’exploitation du système Frac Shack. L’avocat de la défenderesse ne l’a pas contre-interrogé en vue de déterminer si le système Frac Shack était une réalisation du brevet 567. De plus, M. Berry n’a pas produit de preuve à l’appui de la conclusion que le système Frac Shack n’était pas une réalisation du brevet 567.

[289] Enfin, Frac Shack n’est pas une entreprise de vente de carburant. Une preuve a été produite au procès selon laquelle la défenderesse avait réduit le coût de la location de la remorque à Trican dans au moins un contrat de ravitaillement en carburant. Toutefois, il n’y avait aucune preuve à l’appui de la conclusion que la défenderesse n’aurait pas exécuté ce contrat en utilisant l’avitaillement manuel moteur en marche, si la remorque de fracturation d’AFD n’avait pas été disponible. Par conséquent, je conclus qu’il n’est pas approprié de restituer aux demanderesses les bénéfices que la défenderesse a générés sur la vente de carburant découlant de l’utilisation de la remorque de fracturation d’AFD.

[290] Compte tenu des arguments de la défenderesse, je conviens avec les demanderesses qu’il n’y a aucune raison pour laquelle ces dernières ne seraient pas autorisées à demander la restitution des bénéfices, à l’exclusion des bénéfices réalisés sur les ventes de carburant.

B. Calcul des bénéfices

[291] Un inventeur a seulement droit à la partie des bénéfices réalisés par le contrefacteur qui est directement attribuable à son utilisation de l’invention brevetée (Monsanto Canada c Schmeiser, 2004 CSC 34, au paragraphe 101 [Monsanto]). S’il existe une solution de substitution non contrefaisante, le montant que doit payer la partie contrefaisante est calculé selon la méthode du profit différentiel. Il s’agit de l’écart entre les bénéfices réalisés par le contrefacteur qui sont attribuables à l’utilisation de l’invention et les bénéfices qu’il aurait réalisés en recourant à la meilleure solution non contrefaisante (Monsanto, précité, au paragraphe 102).

[292] Dans un cas où il n’existe pas de solution de substitution non contrefaisante, le contrefacteur doit restituer tous les bénéfices générés par suite de l’acte contrefaisant, moins les dépenses légitimes qu’il a engagées (Apotex Inc c Lundbeck A/S, 2013 CF 192, aux paragraphes 282 à 283).

[293] Dans le contexte de la présente affaire, le terme « bénéfices » signifie les bénéfices additionnels au cours de la période postérieure à l’octroi, avant impôts et intérêts antérieurs au jugement, qu’a effectivement réalisés AFD sur l’utilisation de sa remorque de fracturation, dans la mesure où ces bénéfices sont supérieurs à ceux qui pouvaient être et auraient été générés par l’utilisation d’une solution de substitution non contrefaisante disponible.

[294] Dans la décision Varco, au paragraphe 417, le juge Michael Phelan a affirmé que lorsque la Cour applique la « méthode du profit différentiel », elle tient compte de six facteurs :

1. Lien de causalité : il doit exister un lien causal entre les profits réalisés et la contrefaçon;

2. Profit brut de la contrefaçon : montant correspondant à la différence entre les revenus bruts attribuables à la contrefaçon et les coûts différentiels qui y sont associés;

3. Solution non contrefaisante : existence ou non d’une telle solution;

4. Restitution : en l’absence d’une solution non contrefaisante, un montant équivalent au profit brut calculé en 2) est versé au titulaire de brevet;

5. Profit brut de la non‑contrefaçon : ce facteur n’est pertinent que s’il existe une solution non contrefaisante;

6. Restitution (nette) : ce facteur n’est pertinent que s’il y a un écart entre le profit brut de la contrefaçon et le profit brut de la non‑contrefaçon.

[295] Comme il a été discuté précédemment, il existe un lien de causalité entre les bénéfices que la défenderesse a réalisés sur la location de la remorque de fracturation d’AFD durant la période de contrefaçon et ses activités de contrefaçon.

1) Bénéfices bruts de la contrefaçon

[296] Les experts en comptabilité s’entendent généralement sur la méthode pour calculer les bénéfices bruts. Toutefois, il existe deux points de désaccord : 1) le calcul du nombre de jours de location en septembre; et 2) le calcul de la dépréciation.

[297] M. Harington n’était pas d’accord avec le fait que Mme Basden utilise le 1er octobre 2014 comme date estimative du début de la contrefaçon. Il estimait que parce qu’un calcul exact pouvait être effectué à compter du 24 septembre 2014, ces jours devraient être comptabilisés.

[298] En septembre 2014, la remorque de fracturation d’AFD a été louée pendant 16 jours, dont 7 jours qui ont suivi le 24 septembre 2014. Par conséquent, il ajouterait une part de 7/16e des bénéfices réalisés par la défenderesse en septembre aux bénéfices générés durant la période d’octobre au 13 décembre 2014. Je conviens qu’il est approprié d’ajouter les bénéfices générés en septembre 2014 aux bénéfices bruts de la contrefaçon.

[299] Le principal point de désaccord entre M. Harington et Mme Basden était la méthode utilisée pour calculer la dépréciation de la remorque de fracturation d’AFD. Le terme « dépréciation » est utilisé en comptabilité pour décrire la réduction de la valeur d’un actif au fil du temps, surtout en raison de l’usure. Le calcul de la dépréciation repose sur deux hypothèses : la durée de vie économique escomptée de l’actif et le rythme auquel la dépréciation se produit pendant la durée de vie escomptée de l’actif. Mme Basden et M. Harington n’étaient d’accord sur aucune de ces deux hypothèses.

[300] Selon Mme Basden, la durée de vie économique estimative de la remorque de fracturation d’AFD serait de dix ans. Elle a témoigné qu’elle était parvenue à cette conclusion en se fondant sur la preuve présentée par M. Smith à propos de la durée de vie économique escomptée de l’équipement de fracturation. Elle s’est aussi fondée sur son expérience de l’équipement utilisé dans le secteur minier.

[301] M. Harington a conclu que la durée estimative proposée par Mme Basden était trop longue et a plutôt estimé que la durée de vie économique escomptée appropriée serait de six ans. Il est parvenu à cette estimation en se fondant sur les états financiers vérifiés de Frac Shack, selon lesquels Frac Shack estimait que la durée de vie utile de son équipement se situait entre trois et dix ans. Il a aussi tenu compte du modèle de tarification de Frac Shack au Canada pour le système Frac Shack, qui a été élaboré en fonction d’une durée de vie économique hypothétique de trois ans, et de la correspondance interne de Frac Shack, où une durée de vie économique de quatre ans était présumée. Il a fait remarquer que la défenderesse n’avait pas fourni de documentation indiquant la durée de vie économique escomptée de la remorque de fracturation d’AFD.

[302] Durant l’audience, M. Van Vliet a témoigné que le premier ensemble du système Frac Shack (A1) était toujours fonctionnel et qu’il avait été utilisé dans le Dakota du Nord aussi récemment qu’à l’été 2016, soit six ans après son achèvement. Aucune preuve n’a été présentée au procès indiquant que l’ensemble A1 avait fait l’objet d’une remise à neuf majeure ou qu’il avait besoin de beaucoup plus d’entretien que les ensembles plus récents. D’ailleurs, il n’y a pas de preuve qui porterait la Cour à conclure que la durée de vie économique escomptée de la remorque de fracturation d’AFD serait plus courte.

[303] D’après la preuve fournie par M. Van Vliet et les avis d’expert formulés à la fois par Mme Basden et M. Smith, je conclus que la durée de vie économique escomptée de la remorque de fracturation d’AFD est de huit ans, aux fins du calcul de la dépréciation.

[304] En ce qui concerne le taux de dépréciation, Mme Basden a utilisé la méthode linéaire, qui présume que la valeur d’une pièce d’équipement diminue également chaque année pendant sa durée de vie économique escomptée. Elle a affirmé que la méthode linéaire est l’approche à privilégier pour un actif, comme la remorque de fracturation d’AFD, qui n’est pas destiné à la revente et qui génère des revenus qui augmentent au fil du temps. À son avis, la dépréciation d’un tel actif n’est pas une attribution de valeur, puisqu’il n’y a pas de valeur de revente, mais plutôt une répartition des coûts, dont le but est de rapprocher les coûts et les revenus pour générer des bénéfices.

[305] Elle estime que la méthode linéaire est plus efficace pour rapprocher les revenus, car il est attendu que les revenus d’un nouvel ensemble augmenteront avec le temps. Elle a aussi témoigné que les sociétés minières utilisent généralement la méthode linéaire pour calculer la dépréciation de l’équipement, comme les camions à benne.

[306] En contre-interrogatoire, Mme Basden a précisé que ses calculs de la dépréciation ne comprenaient pas les coûts de réparation ou de remplacement pendant la durée de vie économique escomptée de l’ensemble. Elle a ajouté que selon sa méthode, si un remplacement ou une réparation avait lieu, un composant particulier serait capitalisé au moment de la réparation et la dépréciation serait à nouveau calculée. Elle a expliqué que ses calculs ne tenaient pas compte de l’entretien ordinaire qui serait nécessaire pendant la durée de vie de dix ans de l’ensemble. Elle a cependant affirmé que les frais d’entretien n’ont pas été intégrés au modèle de dépréciation à titre estimatif, mais qu’elle avait plutôt proposé d’utiliser les frais d’entretien exacts, au moment pertinent, que lui avait fournis la défenderesse.

[307] Selon M. Harington, il était plus exact de déprécier la remorque de fracturation d’AFD selon la « méthode du taux dégressif » ou la « méthode de ventilation proportionnelle à l’ordre numérique inversé des périodes ». Il a affirmé que ces méthodes produisaient une estimation plus raisonnable aux fins du calcul des bénéfices, car, en général, la valeur d’un véhicule diminuait considérablement [traduction] « à sa sortie de la salle d’exposition » et durant les premières années de sa durée de vie économique escomptée, et parce que les frais d’entretien doivent être intégrés au modèle de dépréciation. Il a ajouté que la dépréciation supérieure durant les premières années équilibre les frais d’entretien plus élevés durant les dernières années, ce qui maintient le coût annuel de possession constant durant la vie utile de l’actif. M. Harington a exprimé l’avis que, d’un point de vue commercial, la méthode du taux dégressif était préférable, sinon le coût de possession augmenterait en raison des frais d’entretien lorsque l’actif atteint la fin de sa durée de vie.

[308] Selon le témoignage des experts, je conclus que les bénéfices bruts doivent être calculés comme suit :

  1. inclure le nombre de jours de location en septembre, calculé selon la formule proposée par M. Harington;
  2. calculer la dépréciation selon une formule mitoyenne entre l’estimation de la durée de vie économique escomptée de la remorque de fracturation d’AFD établie par Mme Basden et l’estimation de M. Harington (c.-à-d. huit ans) en utilisant la méthode du taux dégressif proposée par ce dernier.

[309] La Cour demande aux parties de parvenir à une entente à propos du calcul des bénéfices bruts en tenant compte de ce qui précède. Si elles ne peuvent s’entendre, elles sont invitées à présenter des observations à la Cour dans un délai de deux semaines suivant la date du jugement en l’espèce.

2) Solution de substitution non contrefaisante

[310] La défenderesse soutient que l’avitaillement manuel moteur en marche est une solution de substitution non contrefaisante à l’utilisation de la remorque de fracturation d’AFD. AFD a cité un nombre non négligeable d’éléments de preuve selon lesquels de nombreuses entreprises, y compris les entreprises de fracturation Trican et Calfrac, effectuent toujours l’avitaillement manuel moteur en marche, malgré la disponibilité du système Frac Shack. M. Ohman a cependant admis qu’il n’était pas dans l’intérêt d’une entreprise de fracturation d’utiliser un procédé de ravitaillement en carburant plus efficace, car celle-ci était payée en fonction du temps passé dans l’exploitation.

[311] Les demanderesses font valoir qu’un système posant un risque considérable à la sécurité et à la santé des travailleurs ne peut représenter une véritable solution de substitution non contrefaisante, puisque le but de l’invention est de réduire les risques pour les opérateurs. Quelques-uns des témoins des faits de la défenderesse ont indiqué qu’ils n’avaient pas éprouvé de problèmes avec le ravitaillement manuel en carburant moteur en marche. Ils estimaient donc que les deux procédés de ravitaillement en carburant étaient plus ou moins interchangeables. Quoi qu’il en soit, M. Brodersen a admis que son avis sur l’interchangeabilité de l’invention 567 et de l’avitaillement manuel moteur en marche était en partie fondé sur le fait que ses employés n’étaient pas obligés de se rendre dans une zone de surchauffe.

[312] Je conviens avec les demanderesses que l’avitaillement manuel moteur en marche ne constitue pas une solution de substitution non contrefaisante à l’utilisation de l’invention 567. Même si les accidents imputables à l’avitaillement manuel moteur en marche sont rares, il n’en demeure pas moins que la réduction du risque d’accident représente une nette amélioration par rapport au système de ravitaillement en carburant moteur en marche, parce que les conséquences d’un accident peuvent être mortelles ou causer des millions de dollars de dommages aux exploitations de fracturation.

3) Conclusion

[313] Puisque l’avitaillement manuel moteur en marche n’est pas une solution de substitution non contrefaisante à l’utilisation de l’invention 567, les facteurs cinq et six de la décision Varco ne sont pas pertinents pour le calcul des bénéfices. Par conséquent, les bénéfices bruts réalisés par AFD, du 24 septembre au 13 décembre 2014, sur la location de sa remorque de fracturation, à l’exclusion des bénéfices associés à ses ventes de carburant, doivent être restitués aux demanderesses.

C. Redevance raisonnable pour la période préalable à l’octroi

[314] En ce qui concerne les ventes effectuées par un contrefacteur que le breveté n’aurait pas réalisées, le breveté a droit à une redevance raisonnable (Jay-Lor International Inc c Penta farm systems ltd, 2007 CF 358, au paragraphe 119 [Jay-Lor]). Le breveté a aussi droit à une « redevance raisonnable pour la contrefaçon au cours de la période d’accessibilité au public » (Jay-Lor, précitée, au paragraphe 120). Les parties conviennent qu’une redevance raisonnable représente l’indemnité appropriée pour les demanderesses durant la période préalable à l’octroi.

[315] Le montant de la redevance raisonnable est basé sur le taux qu’auraient négocié un concédant consentant et un titulaire de brevet consentant, lors d’une négociation unique à la veille de la contrefaçon (Merck & Co Inc. c Apotex Inc., 2013 CF 751, aux paragraphes 150 et 155, conf. par 2015 CAF 171). Dans la décision Jay-Lor, la juge Judith Snider a conclu que l’approche des bénéfices anticipés mènera à la meilleure estimation de la redevance raisonnable (Jay-Lor, au paragraphe 149).

[316] Les deux experts conviennent que les facteurs énoncés par le juge Darrel Heald dans la décision Alliedsignal Inc c du Pont Canada Inc (1998), 78 CPR (3d) 129, au paragraphe 34, étaient pertinents pour le calcul du taux de la redevance raisonnable :

1. Présence sur le marché de produits concurrents;

2. Avantages offerts par le produit breveté par rapport aux produits contrefaits de la concurrence;

3. Avantages offerts par le produit contrefaisant par rapport au produit breveté;

4. Position du détenteur de brevet sur le marché;

5. Position du contrefacteur sur le marché;

6. Part de marché du détenteur de brevet avant et après l’arrivée sur le marché du produit de contrefaçon;

7. Taille du marché avant et après l’arrivée sur le marché du produit de contrefaçon;

8. Capacité du détenteur de brevet à fabriquer des produits additionnels.

[317] M. Harington a fait savoir que les clients n’étaient pas intéressés à la technologie de Frac Shack ni à la remorque de fracturation d’AFD. Il a ajouté que la disponibilité de l’avitaillement manuel moteur en marche comme solution de substitution non contrefaisante aurait une grande incidence sur le taux que Frac Shack pourrait négocier. De plus, il a fixé la date de la « première contrefaçon » à mars ou avril 2011, lorsqu’AFD avait commencé à construire sa remorque, plutôt qu’en septembre 2014, lorsque la défenderesse a contrefait pour la première fois le brevet 567. Compte tenu de ces facteurs, le taux de redevance estimatif serait de 10 %.

[318] Mme Basden a affirmé que, dans le cas d’une technologie brevetée, une fourchette de redevance généralement acceptée est de 25 à 33,3 %, quelle que soit la technologie en cause. Elle a conclu que la concession d’une licence à la défenderesse représenterait une concurrence directe pour Frac Shack. Elle a cependant souligné que Frac Shack aurait intérêt à accroître la sensibilisation sur le marché. Elle a en outre reconnu que les coûts en capital pour fabriquer une remorque de fracturation d’AFD sont considérables, de sorte que la défenderesse peut ne pas avoir accepté une licence à un taux de redevance élevé. Mme Basden a estimé que le taux de redevance négocié aurait été de 29 %.

[319] M. Reimer a témoigné que lorsque la défenderesse avait reçu la lettre l’informant que le brevet 567 était en instance, le PDG d’AFD, Parker McLean, n’a pas mis fin au développement de la remorque de fracturation et AFD n’a pas envisagé de négocier avec Frac Shack à ce moment ni lorsque le brevet 567 a été octroyé. Cet élément de preuve rend la thèse de M. Harington, selon laquelle la date pertinente pour la négociation était mars ou avril 2011, peu convaincante.

[320] M. Harington a aussi tenu compte de la disponibilité de l’avitaillement manuel moteur en marche comme solution de substitution. Comme il a été discuté précédemment, je n’estime pas que l’avitaillement manuel moteur en marche constitue une solution de substitution non contrefaisante à l’utilisation de l’invention divulguée dans le brevet 567. À la lumière du témoignage de M. Van Vliet, j’estime que Frac Shack n’aurait pas non plus considéré la disponibilité de l’avitaillement manuel moteur en marche comme un facteur important dans ses négociations.

[321] À ce titre, je préfère les hypothèses sur lesquelles s’est fondée Mme Basden, et je conclus que le taux de redevance de 29 % qu’elle propose est approprié. Ni Mme Basden ni M. Harrington n’avaient accès aux revenus de location réels d’AFD durant la période préalable à l’octroi. La Cour demande donc aux parties de parvenir à une entente sur le montant de l’indemnité raisonnable que la défenderesse doit verser aux demanderesses, en tenant compte : 1) des bénéfices de location réels réalisés par la défenderesse durant la période préalable à l’octroi (à l’exclusion des bénéfices générés de la vente de carburant); 2) d’un taux de redevance estimatif de 29 %; et 3) des intérêts antérieurs au jugement.

[322] Si elles ne peuvent s’entendre, elles sont invitées à présenter des observations à la Cour dans un délai de deux semaines suivant la date du jugement en l’espèce.

D. Dommages-intérêts punitifs

[323] L’avocat des demanderesses a fait valoir que des dommages-intérêts punitifs et exemplaires doivent être accordés en l’espèce. Je ne suis pas d’accord.

[324] Exceptionnellement, des dommages-intérêts punitifs peuvent être accordés lorsque la « mauvaise conduite du défendeur est « malveillante, opprimante et abusive » et « qu’elle choque le sens de dignité de la cour ». : Hill c Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 RCS 1130, au paragraphe 196. Les trois objectifs des dommages-intérêts punitifs sont le châtiment, la dissuasion et la dénonciation, qui visent à punir le fautif au lieu d’indemniser la partie lésée (Whiten c Pilot Insurance Co, 2002 CSC 18, au paragraphe 43 [Whiten]).

[325] Dans l’arrêt Whiten précité, le juge Binnie, au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, a examiné d’autres ressorts de common law et a dégagé dix principes généraux pour aider les décideurs à comprendre l’application des dommages-intérêts punitifs dans le système de justice du Canada (Whiten, aux paragraphes 66 à 77). Ces principes peuvent se résumer ainsi :

  1. Les dommages-intérêts punitifs sont attribués dans des circonstances exceptionnelles, lorsque la conduite des défendeurs mérite d’être condamnée par la cour.
  2. Les objectifs des dommages-intérêts punitifs sont le châtiment, la dénonciation et la dissuasion.
  3. Les dommages-intérêts punitifs doivent être évalués en tenant compte des autres amendes ou sanctions imposées au défendeur.
  4. Les termes « abusif »« oppressif », « malveillant », etc. ne sont d’aucun secours pour déterminer si des dommages-intérêts punitifs doivent être accordés.
  5. Les dommages-intérêts punitifs, d’une somme la moins élevée possible pour accomplir les buts visés, sont rationnels si leur attribution favorise la réalisation de l’un des objectifs du droit.
  6. Il est rationnel d’imposer des dommages‑intérêts punitifs au fautif lorsque le montant des dommages-intérêts compensatoires ne représenterait rien d’autre que le coût d’un permis lui permettant d’accroître ses bénéfices tout en bafouant de façon inacceptable les droits d’autrui, d’ordre juridique ou fondés sur l’equity.
  7. Pour déterminer le montant des dommages-intérêts punitifs, il faut s’attarder à la conduite du défendeur et non à la perte du demandeur.
  8. La règle cardinale en matière de quantum est la proportionnalité.
  9. Les jurys doivent recevoir davantage d’indications et d’assistance des juges afin de déterminer s’il y a lieu d’attribuer des dommages-intérêts punitifs et leur quantum.
  10. Une cour d’appel peut intervenir lorsque les dommages-intérêts punitifs attribués excèdent la limite maximale d’une réponse rationnelle et mesurée.

[326] Le juge Binnie a en outre affirmé que de nombreux facteurs peuvent influer sur la gravité du caractère répréhensible de la conduite d’un défendeur, dont les suivants (Whiten, au paragraphe 113) :

1) le fait que la conduite répréhensible ait été préméditée et délibérée;

2) l’intention et la motivation du défendeur;

3) le caractère prolongé de la conduite inacceptable du défendeur;

4) le fait que le défendeur ait caché sa conduite répréhensible ou tenté de la dissimuler;

5) le fait que le défendeur savait ou non que ses actes étaient fautifs;

6) le fait que le défendeur a tiré profit ou non de sa conduite répréhensible;

7) le fait que le défendeur savait que sa conduite répréhensible portait atteinte à un intérêt auquel le demandeur attachait une grande valeur.

[327] En l’espèce, les demanderesses soutiennent que la conduite d’AFD mérite d’être condamnée par la Cour et que ses actes sont nettement répréhensibles. Les demanderesses affirment qu’AFD : 1) s’est appropriée l’invention 567 et l’a mise en marché comme si s’était la sienne; 2) était au courant de la demande de brevet présentée par Frac Shack; 3) a mis en marché sa remorque de fracturation comme une technologie novatrice; et 4) a soumis des documents au gouvernement indiquant que la technologie de sa remorque de fracturation était novatrice. De plus, les demanderesses avancent que la défenderesse a déplacé sa remorque de fracturation à l’extérieur du ressort de la Cour, lorsque la présente action a été engagée, afin de les empêcher de demander qu’une ordonnance soit rendue pour la restitution de la remorque. Enfin, elles estiment que la Cour devrait tenir compte du fait que la défenderesse était au courant de leur demande de brevet dès 2012 et statuer que la période d’inconduite a commencé à ce moment.

[328] La preuve produite au procès a démontré que les actes emportant contrefaçon de la défenderesse sont répréhensibles et sa conduite mérite d’être condamnée par la Cour. La période de contrefaçon était courte, et une grande partie des activités de commercialisation de la remorque de fracturation d’AFD, que soulignent les demanderesses, ont eu lieu avant la date d’octroi du brevet 567. De plus, bien que les actes de la défenderesse, qui a déplacé sa remorque de fracturation au Texas, soient discutables, les demanderesses n’ont produit aucune preuve démontrant, selon la prépondérance des probabilités, que cela avait été fait pour les empêcher d’obtenir entière réparation et qu’il ne s’agissait pas simplement d’une décision d’affaire d’AFD. En fait, en déplaçant la remorque de fracturation d’AFD à l’extérieur du Canada, AFD cherchait probablement à atténuer ses dommages et à mettre fin à la contrefaçon.

[329] Par conséquent, après avoir tenu compte des actes de la défenderesse et des objectifs du droit visés par les dommages-intérêts punitifs, je conclus qu’il n’y a pas de circonstances en l’espèce justifiant l’attribution de dommages-intérêts punitifs.

XVI. Injonction

[330] Les demanderesses ont droit à une injonction permanente interdisant à la défenderesse de poursuivre la contrefaçon du brevet 567.

XVII. Dépens

[331] Puisque les demanderesses ont obtenu gain de cause dans la présente affaire, je ne vois pas pourquoi les dépens ne devraient pas suivre l’issue de la cause, qui doivent être évalués suivant la fourchette médiane de la colonne IV du tarif B. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant des dépens, elles peuvent présenter des observations à ce sujet à la Cour dans un délai de deux semaines suivant le jugement.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

  1. Les revendications suivantes du brevet 567 sont invalides :

    1. les revendications 1 à 6, qui ne divulguent pas de détecteur de niveau de carburant, sont de portée plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée;

    2. les revendications 16 à 18 et 32 à 37, qui divulguent l’utilisation sur un chantier et non dans le cadre d’activités de fracturation à un site de forage, sont de portée plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée;

    3. les revendications 20 à 26, qui divulguent un système d’alimentation en carburant, dont l’utilisation ne se limite pas à un emplacement précis, sont de portée plus vaste que l’invention réalisée ou divulguée.

  2. Les revendications 7 à 15, 19, 27 à 31 et 38 sont valides.

  3. Entre le 23 septembre et le 18 octobre 2014, les revendications suivantes ont été contrefaites par AFD :

    1. la revendication 7;
    2. la revendication 8;
    3. la revendication 9;
    4. les revendications 11 à 13;
    5. la revendication 15, étant subordonnée à la revendication 13;
    6. la revendication 19, étant subordonnée à la revendication 16 ou 17;
    7. la revendication 28, étant subordonnée aux revendications 7, 8, 9 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);

h. la revendication 31, étant subordonnée aux revendications 7, 8, 9, 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17) ou 28 (étant subordonnée aux revendications 7, 8, 9 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);

i. la revendication 38, étant subordonnée à la revendication 32.

  1. Après le 18 octobre 2014, les revendications suivantes ont été contrefaites par AFD :

    1. la revendication 7;

    2. la revendication 8;

    3. la revendication 11;

    4. la revendication 13, étant subordonnée à la revendication 11;

    5. la revendication 15, étant subordonnée à la revendication 13 (étant subordonnée à la revendication 11);

    6. la revendication 19, étant subordonnée à la revendication 16 ou 17;

    7. la revendication 28, étant subordonnée aux revendications 7, 8 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);

    8. la revendication 31, étant subordonnée aux revendications 7, 8, 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17) ou 28 (était subordonnée aux revendications 7, 8 ou 19 (étant subordonnée à la revendication 16 ou 17);

    9. la revendication 38, étant subordonnée à la revendication 32.

  2. Les demanderesses ont droit à une injonction, à la restitution des bénéfices générés par la contrefaçon et à une redevance raisonnable pour l’utilisation faite avant le 23 septembre 2014 par la défenderesse, dont le montant sera calculé conformément aux présents motifs.

  3. Les demanderesses n’ont pas droit à des dommages-intérêts punitifs.

  4. Les dépens de l’instance suivent l’issue de la cause et doivent être évalués selon la fourchette médiane de la colonne IV du tarif B. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant des dépens, des observations écrites concises à ce sujet, d’au plus cinq pages, doivent être présentées à la Cour au plus tard dans les 14 jours suivant la date du présent jugement.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 31e jour d’août 2020

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2149-14

INTITULÉ :

Frac Shack Inc et al. c AFD Petroleum Ltd

LIEU DE L’AUDIENCE :

EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 28 NOVEMBRE AU 1ER DÉCEMBRE 2016

LES 5 ET 6 DÉCEMBRE 2016

LE 12 décembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

LE 26 janvier 2017

COMPARUTIONS :

Christopher Kvas

Adrian Lambert

Pour les demanderesses

David Reive

Marie Dussault

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

PIASETZKI NENNIGER KVAS LLP

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

 

MILLER THOMSON LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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