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Date : 20170116


Dossier : IMM-2215-16

Référence : 2017 CF 53

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 janvier 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

ANGEL YORDANOV STOILKOV

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Angel Yordanov Stoilkov (le demandeur) a sollicité le contrôle judiciaire d’une décision défavorable en date du 29 février 2016 (la décision relative à l’examen des risques avant renvoi) rendue pas un agent d’examen des risques avant renvoi (l’agent). La présente demande a été présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27.

I.  Résumé des faits

[2]  Le demandeur est un citoyen de la Bulgarie, âgé de 47 ans. Il affirme être d’origine rome. Il est arrivé aux États-Unis muni d’un visa et est ensuite entré illégalement au Canada avec son épouse et ses filles âgées de 26 et 9 ans. Ces dernières sont aussi citoyennes de la Bulgarie.

[3]  Le demandeur allègue qu’il a fait l’objet de discrimination du fait de son origine ethnique dans l’accès à ses études, au logement, à l’emploi et aux soins médicaux. Il affirme craindre la police. Il craint aussi les [traduction] « gardes du corps » d’un gestionnaire immobilier prénommé Boris.

[4]  Le demandeur et son épouse ont démarré une entreprise de vêtements d’occasion en 2003. Selon le demandeur, ils n’avaient pas d’autre choix que de se lancer eux-mêmes en affaires, parce que personne ne voulait les embaucher en raison de leur origine ethnique. Pour mener leurs activités, le demandeur et son épouse louaient un local dans un centre commercial.

[5]  En 2009, le centre commercial a été vendu, et le nouveau gestionnaire immobilier, prénommé Boris, avait des « gardes du corps » qui extorquaient de l’argent à tous les gens d’affaires roms au centre commercial, en disant que les « Tsiganes » doivent verser [traduction] « de l’argent pour leur protection » s’ils veulent faire des affaires en Bulgarie. Le demandeur soutient qu’ils ciblaient les Roms parce qu’ils savaient que ces derniers ne bénéficieraient d’aucune protection de l’État. Les Bulgares de souche qui louaient des locaux dans le centre commercial n’étaient pas tenus de verser de l’argent. Le demandeur soutient également que Boris avait augmenté illégalement le loyer à maintes reprises.

[6]  Le demandeur et d’autres gens d’affaires roms sont allés se plaindre à la police de l’extorsion et des augmentations de loyer illégales, mais la police a refusé de les aider.

[7]  Le 28 septembre 2009, la porte de leur boutique a été cadenassée par le propriétaire, et la plainte subséquente du demandeur déposée auprès de la police n’a pas été prise en compte. Après l’arrivée du demandeur dans la boutique en vue de récupérer ses biens, les « gardes du corps » de Boris ont commencé à le menacer, lui et sa famille. Ils ont quitté leur logement, et le demandeur s’est caché chez des amis roms, dans un autre village.

[8]  Le 10 mars 2011, en rentrant chez lui avec sa fille, le demandeur a été attaqué par l’un des « gardes du corps » de Boris (l’agression). Il soutient que ses assaillants ont fait allusion au fait qu’il avait refusé d’obéir aux ordres de Boris. Ils ont mentionné son retrait des biens de la boutique ainsi que sa plainte à la police, et lui ont dit qu’ils savaient où il habitait et qu’il devrait être prudent. Le demandeur soutient que le lendemain, il a de nouveau porté plainte à la police. Le policier était méprisant, mais il a accepté de rédiger un rapport lorsque le demandeur a menacé de parler à son supérieur.

[9]  Les menaces des « gardes du corps » se sont poursuivies, et, à la fin de mars 2011, le demandeur s’est rendu au poste de police pour s’informer de l’évolution de sa plainte. On lui a dit que [traduction] « les plaintes des Tsiganes ne sont pas une priorité ». En avril 2011, il a porté plainte au bureau du procureur au sujet de l’agression et de l’absence de réponse.

[10]  En mai 2011, le demandeur a reçu une citation à comparaître lui ordonnant de se présenter au poste de police pour la tenue d’une enquête (la citation à comparaître). À son arrivée, il a été conduit dans une pièce contiguë, où les policiers l’ont giflé à plusieurs reprises. Ils l’ont appelé le [traduction] « fameux agitateur gypsie » et lui ont demandé s’il croyait vraiment que le bureau du procureur lui viendrait en aide. Ils ont dit que Boris et ses amis allaient [traduction] « s’occuper » de lui et des membres de sa famille.

[11]  Peu après avoir été battu au poste de police, le demandeur a reçu une lettre du bureau du procureur l’informant de la fermeture de son dossier de plainte en raison de l’insuffisance de la preuve.

[12]  Le demandeur et sa famille craignaient pour leur vie, ils ont quitté leur domicile, ont amassé de l’argent pour s’enfuir de la Bulgarie et ont obtenu des visas pour se rendre aux États-Unis, où ils sont arrivés le 30 mars 2012. Ils ont ensuite traversé la frontière canadienne en empruntant une route sans surveillance. Ils ont été arrêtés par la GRC et ont demandé l’asile au point d’entrée situé à Stanstead, au Québec.

[13]  Le demandeur soutient que, depuis son départ de la Bulgarie, les « gardes du corps » de Boris ont harcelé et battu des membres de sa famille. Le 3 octobre 2013, les « gardes du corps » ont interrogé le frère du demandeur, Kiril, au sujet de ses allées et venues. Lorsque ce dernier a refusé de coopérer, ils l’ont battu. Kiril a reçu des soins médicaux et est allé porter plainte à la police. Les policiers ont refusé de rédiger un rapport. Le 5 août 2015, deux hommes se sont présentés au domicile de la mère du demandeur et l’ont interrogée de façon menaçante.

[14]  Le 11 novembre 2012, le demandeur a été accusé de possession d’un dispositif servant à commettre une fraude. Des accusations de fraude de plus de 5 000 $ et de vol d’identité ont aussi été portées par la suite. Le demandeur a été déclaré coupable des trois infractions le 16 septembre 2014.

[15]  Le 2 décembre 2014, le demandeur a été déclaré interdit de territoire au Canada pour grande criminalité au titre de l’alinéa 36(1) a) de la LIPR, parce qu’il avait été déclaré coupable d’une fraude au Canada, infraction punissable d’un emprisonnement maximal d’au moins dix ans. Sa demande d’asile était donc irrecevable conformément au paragraphe 112(3) de la LIPR et n’a pas été déférée à la Section de la protection des réfugiés. L’instance relative à la demande d’asile a donc pris fin et une mesure d’expulsion a été prise. Il demeurait toutefois admissible à un ERAR, et il a été sursis au renvoi dans l’attente de l’issue du présent contrôle judiciaire.

II.  Décision relative à l’examen des risques avant renvoi (ERAR)

[16]  La décision relative à l’ERAR rendue par l’agent démontre que ce dernier a examiné le Formulaire de renseignements personnels (FRP) du demandeur, sa demande d’ERAR et les observations de son avocat fournies dans le cadre de sa demande d’ERAR.

[17]  L’agent a reconnu que les documents relatifs à la demande d’ERAR apportaient des précisions sur les allégations formulées dans le FRP du demandeur. Les documents relatifs à la demande d’ERAR indiquaient que des personnes racistes étaient toujours à sa recherche, et décrivaient les incidents du 3 octobre 2013 concernant son frère et ceux du 5 août 2015 concernant sa mère. Le demandeur a aussi déclaré que les extorqueurs pourraient le retracer partout en Bulgarie et savent qu’il ne bénéficiera pas la protection de la police. Enfin, le demandeur a indiqué que les Roms de la Bulgarie font l’objet de discrimination systémique équivalant à de la persécution, et qu’il ne peut pas demander la protection de l’État en raison de la discrimination de la part de la police bulgare.

III.  Décision relative à l’ERAR

[18]  L’agent a fait remarquer qu’étant donné que les risques allégués par le demandeur dans sa demande d’asile n’avaient pas été pris en considération par la CISR, il examinerait tous les éléments de preuve présentés par le demandeur dans sa demande d’asile et sa demande d’ERAR.

[19]  L’agent a examiné : 1) le risque personnalisé pour le demandeur posé par Boris et les « gardes du corps », de même que l’extorsion; 2) la discrimination systémique à l’égard des Roms en Bulgarie.

[20]  Les parties conviennent que l’agent n’a pas tiré de conclusion défavorable quant à la crédibilité.

IV.  Risque personnalisé de la part de Boris et extorsion

[21]  Le demandeur a présenté deux documents de 2003 et de 2006 pour confirmer que son épouse était propriétaire de la boutique de vêtements. L’agent a toutefois conclu qu’étant donné qu’aucun document plus récent n’avait été fourni [traduction] « ces documents ne démontrent pas la vente des biens à Boris, en 2009 ». L’agent a donc accordé [traduction] « très peu de valeur probante » à l’allégation de risque de la part de Boris et de ses associés et à l’allégation voulant que Boris ait augmenté le loyer à maintes reprises.

[22]  Le demandeur a présenté les documents ci-après pour étayer son allégation d’agression par les « gardes du corps » de Boris, en mars 2011 :

  1. le certificat médical d’un médecin en Bulgarie daté du lendemain de l’agression;

  2. la copie d’une plainte manuscrite (la plainte) adressée à la police ce jour-là;

  3. une copie et la traduction de la citation à comparaître de la police;

  4. une copie et la traduction d’une note du bureau de police (la note de la police) datée du 28 juin 2011 indiquant que le dossier du bureau du procureur était fermé en raison de l’insuffisance de la preuve;

  5. une copie d’un courriel provenant de son frère Kiril en date du 13 août 2015;

  6. une copie et la traduction du rapport médical concernant Kiril;

  7. une copie de l’avis d’admission en qualité de réfugiée de sa belle-sœur;

  8. une lettre d’un psychologue canadien;

  9. une lettre de Ronald Lee, [traduction] « auteur, éducateur et conférencier », au sujet des Roms.

[23]  L’agent a examiné chaque document et a conclu que chacun d’eux avait très peu de valeur probante et que « dans l’ensemble », ils ne suffisaient pas à [traduction] « démontrer que le demandeur est exposé à un risque aux mains de Boris » ni à [traduction] « démontrer que le demandeur avait déposé une plainte à la police contre Boris, dont on n’a pas tenu compte en raison de l’origine ethnique du demandeur ».

[24]  Plus précisément, l’agent a conclu que, même si le certificat médical confirmait que le demandeur avait subi des blessures qui correspondaient au fait d’être frappé à l’aide d’un objet contondant, le médecin [traduction] « n’avait aucune connaissance personnelle des événements » et ne pouvait donc que confirmer la possibilité que des blessures aient été infligées, sans pouvoir [traduction] « préciser qui les avaient causées et la façon dont cela avait été fait ». L’agent a conclu que le certificat n’établissait pas à lui seul que le demandeur avait été attaqué par les « gardes du corps » de Boris.

[25]  L’agent a critiqué la plainte manuscrite déposée à la police parce qu’elle ne nommait ni Boris ni la personne qui avait prétendument attaqué le demandeur. De plus, les noms des voisins qui avaient prétendument entendu ses appels à l’aide n’étaient pas mentionnés.

[26]  L’agent a critiqué la citation à comparaître pour son défaut d’indiquer la raison pour laquelle le demandeur était tenu de se présenter au poste de police, et parce que le demandeur n’avait produit aucun élément de preuve pour corroborer son allégation selon laquelle la police l’avait cité à comparaître pour le menacer afin qu’il abandonne sa plainte.

[27]  La note de la police indiquait que le demandeur pouvait communiquer avec le bureau régional du procureur à Sofia s’il était en désaccord avec l’abandon de sa plainte en raison de l’insuffisance de la preuve. L’agent a toutefois mentionné que le demandeur n’avait pas fourni d’éléments de preuve indiquant qu’il l’avait fait ou étayant son allégation voulant que le dossier ait été abandonné en raison de son origine rome.

[28]  Dans le courriel de son frère, il était allégué que des individus qui cherchaient le demandeur avaient menacé leur mère, chez elle, que Kiril ne s’était pas encore remis d’avoir été battu et que le dossier de plainte de Kiril à la police avait été fermé. L’agent a mentionné que Kiril n’avait pas donné les noms des personnes qui l’avaient attaqué ni les motifs de l’attaque, et qu’il n’avait fourni aucun document à l’appui de sa plainte à la police. Il était donc impossible d’établir que l’attaque était liée à Boris. L’agent a accordé [traduction] « très peu de valeur probante » à ce document.

[29]  Le rapport médical concernant Kiril indiquait que ce dernier se plaignait de nausées, de douleurs abdominales et de vomissements à son admission et qu’il avait subi une intervention chirurgicale. Toutefois, le rapport n’indiquait pas en quoi cela était lié aux allégations. Très peu de valeur probante a été accordée à ce document.

[30]  L’admission en qualité de réfugiée de la belle-sœur du demandeur, datée du 10 décembre 2010, ne fournissait aucune explication quant aux motifs pour lesquels elle et sa famille avaient obtenu l’asile. Puisque le demandeur n’avait pas expliqué pourquoi sa demande était liée à celle de sa sœur, l’agent a conclu que ce document n’était pas pertinent.

[31]  La lettre de Gerald Devins, psychologue, était datée du 20 décembre 2014. Dans cette lettre, M. Devins indiquait que le demandeur était atteint d’un trouble dépressif majeur, qu’il avait besoin de traitements et que son état pourrait s’améliorer s’il était traité et soustrait à toute menace de renvoi. L’agent a accordé peu de valeur probante à la lettre, puisqu’elle était fondée sur le témoignage du demandeur au cours d’une seule entrevue et qu’elle n’établissait aucun lien entre l’état mental du demandeur et les risques allégués en Bulgarie.

[32]  La lettre de Ronald Lee, [traduction] « auteur, éducateur et conférencier », est datée du 29 septembre 2014. M. Lee a écrit qu’il connaissait le demandeur et sa famille depuis mai 2012 et que selon lui, en raison de leur origine rome, ils avaient subi de la persécution et de la discrimination systémique en Bulgarie. L’agent a accordé peu de valeur probante à la lettre parce qu’elle était fondée sur les déclarations que le demandeur avait faites à M. Lee, et non sur le fait que ce dernier avait une connaissance personnelle des faits.

[33]  L’agent a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il serait exposé à un risque personnel advenant son retour en Bulgarie.

V.  Persécution en raison de l’origine rome

[34]  L’agent a reconnu les allégations du demandeur selon lesquelles les Roms de la Bulgarie sont victimes de discrimination systémique dont l’effet cumulatif équivaut à de la persécution et qu’il ne peut pas bénéficier d’une protection « adéquate » de l’État en raison de la discrimination de la part de la police.

[35]  Il a toutefois conclu à l’existence de la protection de l’État. Selon lui, les nombreux documents présentés par le demandeur ainsi que [traduction] « d’autres sources objectives récentes » indiquent ce qui suit :

[traduction] « […] certaines sphères de la société bulgare, y compris la police, peuvent avoir fait preuve de discrimination envers les Roms par le passé et peuvent continuer à le faire de nos jours. Les autorités gouvernementales poursuivent toutefois leurs efforts pour offrir des services et des recours aux Roms. »

[36]  Plus précisément, l’agent a mentionné que la Bulgarie avait constitué une [traduction« Commission de la protection contre la discrimination », et que le groupe de travail sur l’Examen périodique universel du Conseil des droits de l’homme des Nations Unies avait rapporté qu’un cadre juridique solide était en place pour lutter contre les crimes motivés par la haine et la discrimination, et que les bureaux de procureurs avaient amélioré leur communication avec les autorités locales pour faire enquête sur de tels crimes.

[37]  De plus, l’agent a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté du « lourd fardeau » qui lui incombait d’[traduction« épuiser tous les recours possibles » dans son pays avant de demander l’asile. Cette conclusion reposait sur son appréciation selon laquelle la Bulgarie est une [traduction] « démocratie qui n’est pas parfaite, mais qui peut fonctionner ».

VI.  Questions en litige

[38]  À mon avis, les questions centrales sont les suivantes :

  1. L’agent a-t-il procédé à une évaluation raisonnable des éléments de preuve documentaire du demandeur?

  2. L’agent a-t-il procédé à une évaluation raisonnable du caractère adéquat de la protection de l’État?

VII.  Analyse et conclusions

A.  L’agent a-t-il procédé à une évaluation raisonnable des éléments de preuve documentaire du demandeur?

[39]  J’ai conclu que certains éléments importants de l’évaluation des éléments de preuve documentaire étaient déraisonnables. Par exemple :

  1. L’agent a reçu l’original et la traduction de deux documents indiquant que l’épouse du demandeur était propriétaire d’une boutique de vêtements de 2003 à 2006. L’agent les a toutefois rejetés parce qu’ils [traduction] « ne démontrent pas que le bien avait été vendu à Boris en 2009 ». Le premier problème soulevé par cette conclusion est le fait que le centre commercial n’a pas été vendu à Boris. Il était gestionnaire immobilier. Ensuite, il était déraisonnable de s’attendre à ce que le demandeur possède des documents démontrant le transfert de propriété du centre commercial. Les documents n’ont été produits que pour établir que l’épouse du demandeur était propriétaire d’une boutique en 2003 et en 2006 et qu’elle en était donc probablement propriétaire en 2009. Les documents auraient dû être acceptés pour ce motif.

  2. Je suis d’avis qu’il était déraisonnable de la part de l’agent de ne pas conclure que les documents du demandeur, pris ensemble, corroboraient dans une certaine mesure ses éléments de preuve portant sur l’agression du 10 mars 2011. Ces documents comprenaient :

  • a) un rapport médical du 11 mars 2011 concernant les blessures subies;

  • b) une plainte à la police du 11 mars 2011 concernant l’agression.

Aucun poids n’a été accordé au rapport médical parce qu’il reposait sur la description des événements par le demandeur, et la plainte a été critiquée pour son manque de précisions. Je suis d’avis que le rapport médical était important parce qu’il décrivait des blessures qui correspondaient à l’agression, et la plainte démontre que le demandeur a signalé l’agression sans délai. Si la police avait pris la plainte au sérieux, elle aurait eu le devoir de faire enquête et d’interroger le demandeur pour obtenir le récit complet de l’agression et des circonstances connexes. L’agent semblait croire que la plainte du demandeur aurait dû se lire comme un rapport de police complet. Il était particulièrement déraisonnable de critiquer le demandeur pour ne pas avoir inclus le nom et l’adresse du garde du corps dans la plainte lorsque rien n’indique qu’il possédait ces renseignements. Un interrogatoire de la police aurait remédié à son défaut de mentionner que son assaillant travaillait pour Boris et à son défaut de nommer les voisins et les témoins.

  1. L’agent critique aussi à tort le demandeur pour n’avoir présenté aucun élément de preuve établissant les renseignements qu’il avait tenté d’obtenir auprès de la police locale concernant l’enquête relative à l’agression. Selon son témoignage sous serment, la police l’a interrogé à la fin de mars 2011 et on lui a dit qu’elle avait d’autres dossiers plus urgents que le sien à traiter. Il a ensuite porté plainte au bureau du procureur. Cette plainte est corroborée dans la note de la police du 28 juin 2011 indiquant que son dossier avait été déféré au bureau du procureur, mais qu’il avait été fermé en raison de l’insuffisance de la preuve.

  2. Il y avait aussi certaines exigences de corroboration qui seraient impossibles à obtenir. Par exemple, l’agent a déclaré ce qui suit :

  • a) le demandeur aurait dû corroborer sa croyance selon laquelle la citation à comparaître avait été falsifiée;

  • b) il aurait dû présenter des éléments de preuve corroborant la fermeture de son dossier en raison de son origine rome;

  • c) il aurait dû présenter des éléments de preuve corroborant que le procureur avait délibérément fait abstraction de son dossier ou qu’il avait refusé de mener une enquête.

  1. L’agent critique le demandeur pour avoir inclus l’avis d’admission en qualité de réfugiée et le FRP de sa belle-sœur. Il affirme que le demandeur n’a pas expliqué la pertinence de ces documents. Toutefois, à la page 2 des observations de l’avocat fournies dans le cadre de la demande d’ERAR, datées du 19 août 2015, l’avocat déclare : [traduction] « Enfin, le FRP et la décision favorable […] sont présentés pour étayer l’origine rome du demandeur ».

[40]  Je suis d’avis que la présomption de véracité décrite dans la décision Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CA) ne s’applique pas en l’espèce, puisque le demandeur est entré illégalement au Canada et a été déclaré coupable de fraude. Dans ces circonstances, il était raisonnable de procéder à un examen minutieux des éléments de preuve et d’exiger certains éléments de preuve corroborants. Il était toutefois déraisonnable d’exiger la présentation d’éléments de preuve corroborants qui n’existent probablement pas ou qui seraient impossibles à obtenir, tels que ceux décrits précédemment. Il était également déraisonnable de commettre des erreurs de fait et de ne pas tirer de conclusions raisonnables lorsque les documents devaient être examinés dans leur ensemble.

B.  L’agent a-t-il procédé à une évaluation raisonnable du caractère adéquat de la protection de l’État?

[41]  Compte tenu de mes conclusions concernant l’évaluation des éléments de preuve, qui suffisent à elles seules à justifier l’octroi de la présente demande de contrôle judiciaire, je me contenterai de souligner certaines de mes préoccupations quant au traitement de cette question par l’agent :

  1. l’agent a imposé un lourd fardeau de preuve au demandeur pour qu’il démontre l’absence de protection de l’État parce que la Bulgarie est une démocratie pouvant fonctionner, même si elle est imparfaite. Je suis d’avis qu’une démocratie imparfaite ne justifie pas nécessairement l’imposition d’un lourd fardeau;
  2. l’agent n’a pas suffisamment traité de la question du caractère adéquat de la protection. Il s’est plutôt concentré sur les efforts déployés et les améliorations réalisées;
  3. l’agent n’a pas mentionné les rapports de police fournis par le demandeur, sa menace de citer un policier de grade supérieur à comparaître et sa plainte au bureau du procureur;
  4. l’agent n’a pas mentionné que le demandeur avait allégué avoir été battu par un policier et qu’il percevait les policiers (l’État) comme des agents de persécution.

VIII.  Question certifiée

[42]  Aucune question n’a été posée aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande et la demande d’ERAR est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 30e jour d’octobre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2215-16

INTITULÉ :

ANGEL YORDANOV STOILKOV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 NOVEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 16 JANVIER 2017

COMPARUTIONS :

Howard Gilbert

POUR LE DEMANDEUR

Hilary Adams

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Howard C. Gilbert

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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