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Date : 20170125


Dossier : IMM-2873-16

Référence : 2017 CF 92

Montréal (Québec), le 25 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

GUY-THEOPHILE KIPRE

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature de l’affaire

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] à l’encontre de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, datée du 14 juin 2016, en vertu du paragraphe 111(1) de la LIPR, de rejeter l’appel du demandeur et de confirmer la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] du 14 août 2015, selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR.

II.                Faits

[2]               Le demandeur, âgé de 33 ans, est citoyen de la Côte d’Ivoire. Il a une conjointe ainsi qu’une fille âgée de 12 ans et un fils âgé de six ans en Côte d’Ivoire. Il est arrivé au Canada avec une troupe de danseurs le 28 mai 2015 et a demandé l’asile quelques jours plus tard.

[3]               Selon son récit, le demandeur serait affilié au parti d’opposition, le Front populaire ivoirien [FPI], il aurait milité pour sensibiliser les jeunes de son quartier en 2010 et en 2011. À l’arrivée au pouvoir du parti Rassemblement des républicains [RDR], les militants du FPI ont été la cible de persécution par les Forces républicaines de Côte d’Ivoire [FRCI]. Le demandeur se serait réfugié au Ghana d’avril à septembre 2011 et serait rentré en Côte d’Ivoire après une accalmie politique.

[4]               À l’approche des élections présidentielles d’octobre 2015 en Côte d’Ivoire, les violences commises par les forces du parti au pouvoir (RDR) envers les militants du parti d’opposition (FPI) ont repris. Le demandeur allègue avoir commencé à craindre pour sa vie en mars 2015 et avoir contacté un passeur pour fuir la Côte d’Ivoire. Le 10 mai 2015, alors qu’il n’était pas chez lui, les FRCI se seraient présentés à son domicile et, ne le trouvant pas, auraient saccagé les lieux.

[5]               Le demandeur se serait alors caché chez un ami dans un autre quartier de la ville jusqu’à ce que le passeur organise son départ pour le Canada le 28 mai 2015. Entretemps, le 15 mai 2015, les FRCI se seraient présentés une seconde fois à son domicile, toujours à sa recherche, et ne l’y trouvant pas, auraient malmené les membres de sa famille. Le demandeur n’aurait eu connaissance de cet événement que vers le 20 juin 2015, soit après le dépôt de son Formulaire de demande d’asile [FDA].

III.             Décision

A.                Décision de la SPR du 14 août 2015

[6]               Le 14 août 2015, la SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur, estimant qu’il n’était pas crédible. Le tribunal a reproché de nombreuses omissions et contradictions au récit contenu au FDA et au témoignage du demandeur. Il allègue avoir entamé des démarches auprès d’un passeur le 5 mars 2015 pour quitter la Côte d’Ivoire alors qu’il a présenté, dans une demande de visa pour le Canada, une lettre d’invitation datée du 2 mars 2015 pour participer à un festival tenu à Québec. De plus, la SPR a jugé non crédibles les événements des 10 et 15 mai 2015, considérant que le demandeur n’en avait pas eu connaissance et que les documents présentés n’étaient pas fiables. La plainte de la conjointe du demandeur porte la curieuse date du 31 juin 2015 et ne concorde pas avec le certificat médical présenté en ce qui a trait à la durée de son incapacité temporaire de travailler. Ensuite, la SPR note que le demandeur est identifié comme étudiant sur sa carte de membre du FPI, alors qu’il a terminé ses études en 2006; par conséquent, elle n’a pas accordé aucune valeur probante à cette carte. Finalement, le demandeur a déclaré à une agente de l’Agence des services frontaliers du Canada ne pas connaître les autres membres de la troupe de danse avec qui il voyageait au Canada, alors qu’il était en contact étroit avec eux sur les réseaux sociaux. D’ailleurs, la preuve ayant démontré que le demandeur affichait ouvertement ses activités sur les réseaux sociaux, la SPR a conclu que le demandeur ne démontrait pas un comportement compatible avec celui d’un demandeur d’asile craignant pour sa vie. Par ailleurs, la SPR a rejeté des éléments de preuve issus de la presse ivoirienne, considérant que des articles antérieurs de ce même média concernant le demandeur avaient été fabriqués afin de faciliter l’obtention de son visa. De la même façon, la SPR a rejeté les documents présentés par le demandeur considérant la facilité d’obtenir des documents falsifiés.

[7]               Enfin, subsidiairement, la SPR a conclu à l’absence d’un risque prospectif pour le demandeur advenant son retour en Côte d’Ivoire, considérant son profil politique limité et l’absence de preuve de persécution politique contre les partisans du FPI simplement en raison de leur appartenance à ce parti.

B.                 Décision de la SAR du 14 juin 2016

[8]               Le 14 juin 2016, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’a ni la qualité de réfugié au sens de la Convention en vertu de l’article 96 de la LIPR ni la qualité de personne à protéger en vertu de l’article 97 de la LIPR.

[9]               En vertu du paragraphe 110(4) de la LIPR, la SAR a refusé d’admettre certains documents soumis par le demandeur comme nouveaux éléments de preuve. En l’occurrence, un article de journal relatant des circonstances et une situation différentes de celles du demandeur a été rejeté. D’autres documents – des extraits de presse – ont été admis, sans toutefois se révéler suffisants pour justifier la tenue d’une audience devant la SAR en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR.

[10]           Après examen de la décision de la SPR, écoute de l’enregistrement de l’audience et analyse de l’ensemble de la preuve au dossier, la SAR a confirmé les conclusions de la SPR quant à l’absence de crédibilité du demandeur. D’abord, la SAR a estimé qu’il y a une contradiction dans le témoignage du demandeur quant au début de ses contacts avec le passeur et que ses explications ne sont pas raisonnables. Ensuite, compte tenu des omissions, des contradictions et des invraisemblances relatives aux deux incidents qui seraient survenus les 10 et 15 mai 2015, la SAR a conclu qu’il était raisonnable que la SPR n’accorde aucune valeur probante aux éléments entourant cette partie du récit du demandeur. Finalement, la SAR a conclu que l’examen fait par la SPR des articles de presse ivoiriens et des documents produits par le demandeur pour l’obtention d’un visa canadien était raisonnable, considérant la facilité à fabriquer de fausses nouvelles et de faux documents. Toutefois, la SAR a estimé que la SPR avait commis une erreur non déterminante en ne donnant aucune valeur probante à la carte de militant du FPI du demandeur.

[11]           Après examen de la preuve documentaire et de la preuve disponible devant la SPR, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’il était personnellement exposé à un risque de torture, à une menace à sa vie ou à un risque de traitements cruels advenant son retour en Côte d’Ivoire. Par conséquent, la SAR a maintenu la décision de la SPR.

IV.             Observations des parties

A.                Prétentions du demandeur

[12]           Le demandeur reproche également à la SAR d’avoir erré en n’admettant pas certains nouveaux éléments de preuve, rejetant des articles de journaux qui démontraient que les militants des partis d’opposition étaient violemment réprimés par le parti au pouvoir. Selon le demandeur, bien que les situations relatées soient différentes de celle qu’il a vécue, ces articles faisaient tout de même état de la violence subie par les militants du FPI, qui sont persécutés sans égard à leur profil ou à leur poste au sein du parti.

[13]           Le demandeur prétend que la décision de la SAR de confirmer les conclusions de la SPR quant à sa crédibilité est déraisonnable. Selon lui, la SAR a erré en concluant que l’erreur commise par la SPR de ne pas donner de valeur probante à sa carte de membre du FPI n’était pas déterminante. Son implication au sein du FPI serait cruciale pour expliquer sa crainte et sa décision de quitter le pays. Ensuite, la SAR n’aurait pas accordé assez de poids aux explications du demandeur concernant d’une part, les dates de contact avec le passeur et de ses démarches de visa, et d’autre part, les anomalies relatives aux événements qui seraient survenus en mai 2015. Enfin, elle aurait conclu que les faits rapportés par le journal Le Bélier étaient de fausses nouvelles, et ce, sans aucune preuve.

[14]           Quant au risque prospectif encouru, le demandeur reproche à la SAR ses conclusions contraires à la documentation objective sur la Côte d’Ivoire. Il argue que les militants du PRI, dont il fait partie, sont personnellement ciblés et persécutés par les forces ivoiriennes liées au parti au pouvoir.

B.                 Prétentions du défendeur

[15]           Le défendeur allègue que la SAR a décidé à bon droit de ne pas admettre certains documents comme nouveaux éléments de preuve en raison de leur manque de pertinence, selon les critères établis dans Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 [Raza]. En outre, les nouveaux éléments de preuve admis par la SAR ne justifiaient pas la tenue d’une audience, car ils n’étaient pas suffisants pour démontrer que le demandeur serait exposé à un risque personnel advenant son retour en Côte d’Ivoire et qu’ils n’étaient donc pas susceptibles de justifier que sa demande d’asile soit accueillie.

[16]           Le défendeur prétend qu’il était loisible à la SAR de rejeter les explications insatisfaisantes du demandeur quant au début de ses contacts avec le passeur et aux événements qui seraient survenus en mai 2015, compte tenu des contradictions dans son témoignage. Il était également raisonnable que la SAR doute de la véracité des articles du Bélier et ne leur accorde aucune valeur probante. Malgré qu’elle ait conclu, contrairement à la SPR, que l’on puisse accorder de la valeur probante à la carte de membre du FPI du demandeur, la SAR était fondée de juger que cette erreur n’était pas déterminante.

[17]           Le défendeur avance qu’après l’étude de la preuve documentaire objective, il était raisonnable que la SAR décide que le demandeur n’avait pas le profil des personnes et circonstances relatées dans la preuve et qu’il n’était pas personnellement à risque en Côte d’Ivoire.

V.                Questions en litige

[18]           Les questions en litige dans la présente cause sont les suivantes :

1)      La SAR a-t-elle erré en fait et en droit en refusant certains nouveaux éléments de preuve?

2)      La SAR a-t-elle erré en fait dans son interprétation de la crédibilité du demandeur?

3)      La SAR a-t-elle erré en fait et en droit en concluant à l’absence d’un risque prospectif pour le demandeur?

[19]           L’interprétation faite par la SAR des dispositions de la LIPR quant à l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve est soumise à la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh]).

[20]           L’appréciation de la crédibilité du demandeur par les tribunaux spécialisés est soumise à la norme de la décision raisonnable et commande une certaine déférence de la Cour (Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CSC 40 [Mugesera]).

[21]           Les conclusions de la SAR relatives à l’absence d’un risque prospectif sont également soumises à la norme de la décision raisonnable.

VI.             Dispositions pertinentes

[22]           Le paragraphe 110(4) de la LIPR prévoit :

Éléments de preuve admissibles

Evidence that may be presented

110 (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110 (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

VII.          Analyse

[23]           Pour les motifs suivants, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

A.                La SAR a-t-elle erré en fait et en droit en refusant certains nouveaux éléments de preuve?

[24]           La loi prévoit qu’un demandeur puisse présenter de nouveaux éléments de preuve selon certains critères, l’un d’eux étant la pertinence (Singh et Raza, ci-dessus). Or, en l’espèce, la SAR a déterminé que les articles du Ivoirebusiness ne relataient pas de circonstances semblables à celles vécues par le demandeur et qu’ils n’étaient pas utiles. Il était donc raisonnable que la SAR l’exclue.

B.                 La SAR a-t-elle erré en fait dans son appréciation de la crédibilité du demandeur?

[25]           Notre Cour a maintes fois réitéré devoir faire preuve de déférence envers les tribunaux spécialisés ayant la possibilité d’évaluer directement la crédibilité des demandeurs d’asile (Mugesera, ci-dessus).

[26]           La Cour estime que la SAR a raisonnablement conclu à l’absence de crédibilité du demandeur. Elle a confirmé la décision de la SPR, tirant à son tour des inférences défavorables des contradictions et omissions du témoignage du demandeur. Les omissions, les contradictions et les incohérences relevées par la SAR justifient les conclusions énoncées. La SAR a fait une analyse minutieuse et complète de la preuve et a clairement justifié son raisonnement. La décision de la SAR est une solution rationnelle acceptable, qui appartenait aux issues possibles (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, [2008] 1 RCS 190, 2008 CSC 9).

C.                 La SAR a-t-elle erré en fait et en droit en concluant à l’absence d’un risque prospectif pour le demandeur?

[27]           La Cour ne peut se ranger aux arguments du demandeur quant au risque prospectif encouru. Bien que la preuve documentaire fasse état d’actes de violence commis à l’endroit de militants du FPI, il était raisonnable que la SAR conclue que le demandeur n’était pas personnellement à risque en Côte d’Ivoire, considérant que son profil ne correspond pas aux circonstances et aux personnes persécutées, selon la preuve. Le demandeur n’a pas présenté d’arguments suffisants pour justifier l’intervention de la Cour.

VIII.       Conclusion

[28]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2873-16

 

INTITULÉ :

GUY-THEOPHILE KIPRE c LE MINISTRE DE L'IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 25 janvier 2017

 

COMPARUTIONS :

Toni Jedid

 

Pour la partie demanderesse

 

Caroline Doyon

 

Pour la partie défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Toni Jedid, avocat

 

Pour la partie demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour la partie défenderesse

 

 

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