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Date : 20170125


Dossier : IMM-2517-16

Référence : 2017 CF 93

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 25 janvier 2017

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

NGOZI BENSON OGBONNA

demanderesse

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Résumé

[1]  La demanderesse est une citoyenne du Nigéria qui est arrivée au Canada en mai 2007. En mars 2009, elle demande l’asile alléguant qu’elle craint être arrêtée, détenue et torturée par les autorités nigériennes parce que l’homme qui était alors son époux était membre du Mouvement pour l’actualisation de l’État souverain du Biafra (MASSOB) qu’elle appuyait. La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté sa demande le 30 mai 2011 et, le 12 octobre 2011, sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour.

[2]  En janvier 2016, la demanderesse a déposé une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). En plus de réitérer ses craintes d’être persécutée par les autorités nigériennes en raison de l’adhésion de son ex-mari au MASSOB, elle allègue être exposée à un risque parce qu’elle est chrétienne et qu’elle a parlé contre les actions de Boko Haram, notamment en ce qui concerne l’enlèvement des jeunes filles de Chibok. Elle affirme qu’elle continuera de le faire et, qu’en conséquence, elle attirera l’attention de Boko Haram et sera persécutée.

[3]  La demande d’ERAR de la demanderesse a été rejetée le 11 avril 2016. L’agent d’ERAR a d’abord conclu que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle serait exposée à un risque par les autorités nigériennes au Nigéria en raison de la participation de son ex-mari au MASSOB. L’agent d’ERAR a également conclu que la demanderesse n’avait pas présenté d’élément de preuve démontrant que Boko Haram serait intéressé par la demanderesse ou qu’il possédait la capacité ou l’influence nécessaire pour la trouver si elle retournait au Nigéria.

[4]  La demanderesse conteste maintenant la décision de l’agent d’ERAR et affirme que l’agent a commis une erreur susceptible de révision en interprétant mal sa nouvelle preuve et en n’en tenant pas compte.

II.  Analyse

[5]  La décision d’un agent d’ERAR, y compris son évaluation des éléments de preuve, est une question mixte de fait et de droit susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Mbaraga c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 580, au paragraphe 22 [Mbaraga]; Kulanayagam c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 101, au paragraphe 21 [Kulanayagam]). Au moment d’examiner une décision selon la norme du caractère raisonnable, la Cour doit prendre en considération le bien-fondé, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi que l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]; Dunsmuir c. New Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

A.  Risque posé par le MASSOB

[6]  La demanderesse affirme que l’agent d’ERAR a mal interprété la preuve en se fiant aux conclusions de la SPR sur sa crainte du MASSOB, plutôt que d’analyser la nouvelle preuve qu’elle avait fournie au soutien de sa demande d’ERAR. Plus précisément, la demanderesse affirme que l’agent d’ERAR n’a pas analysé la déclaration qu’elle avait formulée dans sa demande d’ERAR qui expliquait comment les risques la concernaient directement et personnellement. Enfin, la demanderesse allègue que l’agent d’ERAR a mal analysé ou n’a pas analysé son nouvel élément de preuve documentaire sur le traitement actuel des membres du MASSOB.

[7]  La Cour a conclu que dans le cas des demandeurs du statut de réfugié déboutés, l’évaluation des risques devant être effectuée à l’étape de l’ERAR n’est pas un réexamen de la décision de la SPR; elle est plutôt limitée à une évaluation des nouveaux éléments de preuve (Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, au paragraphe 12 [Raza]; Kulanayagam au paragraphe 23; Mbaraga au paragraphe 23). L’agent d’ERAR peut validement rejeter des éléments de preuve présentés par un demandeur s’ils concernent les mêmes risques que ceux qu’a évalués la SPR et que le demandeur ne peut pas prouver que les faits pertinents, tel qu’ils se présentent à la date de la demande d’ERAR, soient sensiblement différents des faits constatés par la SPR (Raza, au paragraphe 17).

[8]  Par conséquent, il était raisonnable pour l’agent d’ERAR de regarder la décision de la SPR afin de vérifier quels risques la demanderesse avait fait valoir devant la SPR. Après avoir noté que le risque allégué par la demanderesse avait été examiné par la SPR, l’agent d’ERAR a ensuite examiné à juste titre sa nouvelle preuve et il a conclu que les lettres écrites par les amies et les membres de la famille de la demanderesse ne contenaient aucun nouveau renseignement que la SPR ne disposait pas déjà. Ainsi, l’agent d’ERAR leur a accordé peu d’importance de la preuve que la demanderesse était confrontée à un risque personnel.

[9]  L’agent d’ERAR a également examiné la déclaration figurant dans la demande d’ERAR de la demanderesse. Elle a affirmé qu’elle était mariée à l’un des chefs du MASSOB et que l’une des stratégies des agents du gouvernement était de torturer et de punir les épouses, les enfants ou la famille proche des chefs ciblés du MASSOB pour les faire capituler. Elle a aussi affirmé que plusieurs de ses amies, qui sont les épouses des chefs ciblés du MASSOB, ont été torturées et tuées. Cependant, l’agent d’ERAR a finalement conclu que même si l’ex-mari et le fils de la demanderesse avaient été détenus par les autorités en décembre 2008, la demanderesse n’était plus mariée à son ex-mari et rien dans le dossier ne montrait que depuis cette date, ses enfants qui résident au Nigéria avaient été arrêtés, détenus ou maltraités en raison de l’adhésion de leur père au MASSOB. Concluant que la demanderesse n’avait pas établi qu’elle serait exposée à un risque au Nigéria aux mains des autorités nigériennes en raison de la participation de son ex-mari au MASSOB, l’agent d’ERAR a accordé peu d’importance aux articles de presse et aux rapports sur les droits de la personne présentés par la demanderesse.

[10]  La demanderesse n’a pas persuadé la Cour que l’agent d’ERAR avait commis une erreur susceptible de révision concernant la preuve de la demanderesse et le risque posé par le MASSOB. L’agent d’ERAR a conclu de manière raisonnable que la demanderesse n’avait pas démontré un nouveau risque. Ce risque a été évalué et rejeté par la SPR et la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la demanderesse a été refusée par la Cour.

[11]  Par ailleurs, la déclaration de la demanderesse figurant à sa demande d’ERAR sur laquelle elle s’est fondée comme nouvelle preuve n’établit pas qu’elle s’expose à un risque. Sa déclaration parle d’épouses ayant été prises pour cibles. La demanderesse n’a pas pu relever d’élément de preuve au dossier qui démontre que les ex-épouses étaient autant à risque. Enfin, les événements sur lesquels se fonde la demanderesse pour étayer un risque personnel sont survenus en 2008. Elle n’a pas produit d’éléments de preuve démontrant que depuis 2008, les membres de sa famille qui sont toujours au Nigéria ont été la cible du MASSOB en raison de l’abonnement de leur père au MASSOB. Sur la preuve présentée par la demanderesse, la conclusion de l’agent d’ERAR était raisonnable et l’intervention de la Cour n’est pas justifiée.

B.  Risque posé par Boko Haram

[12]  La demanderesse affirme également que l’agent d’ERAR a mal interprété sa preuve concernant sa crainte du Boko Haram. Elle allègue que sa preuve démontrait que : 1) Boko Haram aurait la capacité d’étendre le chaos partout au pays s’il réussissait à gagner le contrôle du nord-est du Nigéria; 2) elle était active et elle s’est exprimée contre Boko Haram au Canada et ce n’est qu’une question de temps avant que Boko Haram ne la trouve si elle retourne à Lagos; 3) Boko Haram était présent à Lagos, car il a attaqué une église locale au Nigéria et douze (12) de ses membres ont été arrêtés.

[13]  L’agent d’ERAR a examiné, considéré et évalué adéquatement la prétention de la demanderesse selon laquelle elle s’exposait à un risque parce qu’elle s’était exprimée et qu’elle continuerait de s’exprimer contre Boko Haram. L’agent d’ERAR a explicitement reconnu avoir lu les lettres écrites par les amies de la demanderesse qui affirment qu’elle s’était exprimée contre les pratiques de Boko Haram et contre l’enlèvement des jeunes filles de Chibok. Toutefois, tout en reconnaissant que la demanderesse puisse avoir de fortes convictions à propos de la situation au Nigéria en ce qui concerne Boko Haram, l’agent d’ERAR a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré en quoi exprimer ses préoccupations à des amis attirerait l’attention de Boko Haram sur elle au Nigéria.

[14]  L’agent d’ERAR a aussi reconnu que Boko Haram avait été accusé de tenter d’altérer la composition religieuse et ethnique du nord-est du Nigéria, mais il a conclu d’après son évaluation de la preuve documentaire objective que la menace ne semble pas sérieuse à l’extérieur du nord du Nigéria. Notant que la famille de la demanderesse habite à Lagos, dans le sud du Nigéria, l’agent d’ERAR a finalement conclu que la demanderesse n’avait pas présenté d’élément de preuve démontrant que Boko Haram serait intéressé par la demanderesse ou qu’il possédait la capacité ou l’influence nécessaire pour la trouver si elle retournait au Nigéria.

[15]  La demanderesse n’a pas démontré que l’évaluation de la preuve par l’agent d’ERAR était déraisonnable. La preuve sur laquelle la demanderesse s’appuie pour démontrer la présence de Boko Haram à Lagos est hypothétique et elle laisse même penser que la protection de l’État est efficace sur le plan opérationnel puisque des membres de Boko Haram ont été arrêtés par les autorités.

[16]  Les observations de la demanderesse ayant été examinées, elle demande essentiellement à la Cour de réexaminer la preuve dont disposait l’agent d’ERAR et d’arriver à une conclusion différente. Ce n’est pas le rôle de la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire (Kadder c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 454, au paragraphe 15; Kulanayagam, au paragraphe 31; Khosa, au paragraphe 61).

[17]  Pour tous les motifs qui précèdent, la Cour conclut que la conclusion de l’agent d’ERAR selon laquelle la demanderesse n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour appuyer l’une ou l’autre de ses prétentions est raisonnable, car elle appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. Par conséquent, la Cour ne trouve aucune raison d’intervenir dans la décision de l’agent d’ERAR.

[18]  Aucune question de portée générale n’a été proposée par les parties. Aucune question ne sera certifiée.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2517-16

INTITULÉ :

NGOZI BENSON OGBONNA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 janvier 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JANVIER 2017

COMPARUTIONS :

Birjinder Mangat

Pour la demanderesse

Galina Bining

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mangat Law Office

Calgary (Alberta)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

Pour le défendeur

 

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