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Date : 20170125


Dossier : IMM-2556-16

Référence : 2017 CF 87

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 25 janvier 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

STEPHEN ONYANGO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision d’un agent de l’immigration (agent) datée du 31 mai 2016 et par laquelle, après un nouvel examen, il a établi que les considérations humanitaires (CH) invoquées par le demandeur étaient insuffisantes pour justifier l’accueil de sa demande de résidence permanente. La présente demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]  Le demandeur est un citoyen du Kenya, âgé de 53 ans. En 1998, il a présenté une demande d’asile au Canada alors qu’il participait à un programme d’échange culturel parrainé par l’organisme Carrefour canadien international.

[3]  Le demandeur avait fait partie de la « brigade volante » de la police du Kenya, dont le rôle était de surveiller les adversaires politiques du gouvernement. Des éléments de preuve documentaires attestent l’implication de la brigade dans des exécutions sommaires et des actes de torture. Le 22 mars 2000, la demande d’asile du demandeur a été rejetée au motif que sa participation à des crimes contre l’humanité le privait du droit à la protection prévue à l’alinéa 1(f)a) de la Convention sur les réfugiés.

[4]  Durant la période où sa demande d’asile était en traitement, le demandeur était titulaire d’un permis d’études et il a obtenu un diplôme d’équivalence d’études secondaires en Ontario, ainsi qu’un diplôme en administration de la justice et de la sécurité exigeant une année d’études. Il a épousé Michelle, une citoyenne canadienne, le 9 juin 2001. Michelle a ensuite déposé une demande pour le parrainer.

[5]  Le 4 juillet 2002, le demandeur a été déclaré coupable de voies de fait causant des lésions corporelles. Il était alors gardien de sécurité dans une boîte de nuit. Selon ses dires, il avait agi en légitime défense, mais il a plaidé coupable sur l’avis de son avocat criminaliste. Après ces événements, la demande de parrainage a été rejetée.

[6]  Le demandeur a appris qu’il était séropositif après avoir subi l’examen médical réglementaire de l’immigration, le 7 janvier 2003.

[7]  Il a obtenu et renouvelé des permis de séjour temporaire successifs, et il a été gracié le 27 juillet 2007. Michelle a ensuite présenté une nouvelle demande pour le parrainer, mais elle est décédée le 20 octobre 2008. Le 12 janvier 2011, le demandeur a été informé que la seconde demande de parrainage avait été rejetée en raison du décès de sa conjointe.

[8]  Le 16 février 2011, le demandeur a déposé une demande fondée sur des considérations humanitaires.

[9]  L’examen des risques avant renvoi (ERAR) sollicité par le demandeur le 7 mars 2011 lui a été refusé le 14 avril 2011. Il a été expulsé vers le Kenya le 26 mai 2011. Il y réside toujours à l’heure actuelle. Ses deux filles, dans la mi-vingtaine et fin de la vingtaine, vivent aussi au Kenya.

[10]  Le 4 janvier 2013, la demande fondée sur des considérations humanitaires a été refusée (la décision initiale). Cependant, à l’issue d’un contrôle judiciaire, la Cour a tranché que la décision était déraisonnable au motif d’une évaluation lacunaire de l’établissement du demandeur, de sa capacité de payer les études de ses filles et de l’incidence de sa séropositivité sur sa vie au Kenya. Un nouvel examen a été exigé.

I.  La décision à l’issue du nouvel examen

[11]  Malgré les prétentions du demandeur selon lesquelles il aurait eu un emploi stable au Canada, l’agent a conclu que l’unique lettre soumise comme preuve de son historique d’emploi était insuffisante.

[12]  L’agent a également souligné que le demandeur prétendait avoir été propriétaire d’une maison à Windsor, mais qu’il n’a pas fourni [traduction] « d’élément de preuve documentaire […] pour corroborer » cette affirmation.

[13]  L’agent a examiné les documents suivants : 1) des lettres attestant la participation bénévole du demandeur à l’organisme Habitat pour l’humanité, aux Jeux olympiques spéciaux d’été et au Carrefour canadien international; 2) des lettres de la communauté kényane et de la loge des francs-maçons de Windsor faisant l’éloge de sa contribution; 3) des lettres d’amis témoignant de sa moralité; 4) ses diplômes d’études secondaires et collégiales. L’agent a conclu que le demandeur avait [traduction] « fait du bénévolat et été un membre actif de la communauté, et qu’il avait fait des études ».

[14]  L’agent souligne que durant les années passées au Canada, le demandeur a payé pour les études de ses filles adultes et qu’il a déployé beaucoup d’efforts pour continuer de leur fournir ce soutien après son retour au Kenya. L’agent a tenu compte de l’âge de ses filles et de l’absence de preuve qu’elles ne seraient pas en mesure de subvenir à leurs propres besoins. L’agent souligne en outre la préoccupation manifestée par le demandeur concernant le fait que s’il ne revient jamais au Canada, les enfants auprès de qui il a fait du bénévolat avant son expulsion pourraient en souffrir. Toutefois, conclut l’agent, [traduction] « les éléments de preuve objectifs dont je dispose sont insuffisants pour confirmer que des enfants ont souffert ou souffriront de cette situation ».

[15]  L’agent se dit aussi préoccupé par le fait que peu de documents ont été fournis relativement à la séropositivité du demandeur et à ses conditions de vie au Kenya. L’agent constate que des traitements médicaux n’ont pas été refusés au demandeur. Il a plutôt [traduction] « choisi de ne pas consulter un médecin en raison des coûts élevés ». Le demandeur [traduction] « continue le traitement prescrit par son médecin au Canada et achète ses médicaments en vente libre ». L’agent constate que le demandeur ne parle pas de stigmatisation par la société kényane en raison de sa séropositivité.

[16]  Il souligne en dernier lieu que le demandeur est moins bien nanti au Kenya et qu’il possède toujours une maison au Canada. Il conclut comme suit : [traduction] « Même si le demandeur a des difficultés financières au Kenya, le demandeur ne semble pas considérer la vente de sa maison de Windsor comme un objectif raisonnable. »

II.  Les questions en litige

  1. S’il n’en avait pas informé le demandeur, était-il déraisonnable pour l’agent de conclure que la preuve sur l’historique d’emploi et la possession d’une maison était insuffisante, d’autant plus que ces questions n’avaient pas été soulevées dans la décision initiale?

  2. Après avoir établi que la preuve était insuffisante pour attester que le demandeur possédait une maison à Windsor, était-il raisonnable pour l’agent de suggérer que la vente de cette maison résoudrait ses difficultés financières au Kenya?

III.  Analyse et conclusions

A.  Première question en litige

[17]  Le demandeur a présenté une demande fondée sur des considérations humanitaires le 11 février 2011 (la demande). La demande incluait l’avis suivant à la page 2 (de 3) :

[traduction] Vous devez fournir des preuves supportant toutes les déclarations faites sur ce formulaire.

[18]  Le demandeur a fourni une liste de ses employeurs, mais aucun document pour corroborer son historique d’emploi de 1998 à 2011, exception faite d’une lettre datée du 20 janvier 2011 indiquant qu’il a travaillé comme commissionnaire de septembre 2010 à janvier 2011. La lettre ne donne ni le salaire ni les heures travaillées.

[19]  Le demandeur a aussi affirmé qu’il avait acheté une maison à Windsor en 2007, mais il n’a fourni aucun document attestant cet achat.

[20]  Après qu’un nouvel examen a été exigé, le demandeur a reçu une lettre datée du 12 mai 2014 qui l’enjoint à transmettre toute observation écrite supplémentaire demandée dans les 30 jours suivants. L’avocat du demandeur a communiqué avec lui pour lui demander de transmettre les renseignements à jour sur les considérations d’ordre humanitaire invoquées.

[21]  Le courriel de réponse daté du 6 juin 2014 a été fourni à l’agent comme nouvel élément de preuve à prendre en considération dans le cadre du nouvel examen. Aucun document n’y était joint. Le courriel disait ce qui suit :

[traduction] Comme les traitements sont dispendieux, j’achète mes médicaments en vente libre et je suis la posologie prescrite par mon médecin à Windsor. Je n’ai pas subi d’autres contrôles des charges virales et autres parce qu’ils coûtent cher. Je préfère garder mon argent pour mes médicaments. Je ne vois pas un médecin régulièrement parce que je ne peux pas payer les frais de consultation. Ma situation financière est difficile. Je fais des petits boulots à temps partiel, ce qui fait que mon niveau de vie est beaucoup plus faible qu’il ne l’était au Canada. Je subviens encore aux besoins de mes filles, mais c’est extrêmement difficile. Je suis toujours propriétaire d’une maison à Windsor, mais le loyer me rapporte à peine de quoi couvrir les versements hypothécaires. Je n’ai aucun document attestant ma situation d’emploi parce que mes emplois sont temporaires. Mon vol a été payé par le gouvernement. J’avais demandé un délai jusqu’à la réception de ma paye pour acheter mon billet, mais ma demande a été refusée.

J’espère que ces renseignements vous donnent un portrait clair de ma situation.

[22]  Dans la décision initiale, l’agent reproduisait l’historique d’emploi du demandeur tel qu’il figurait dans la réponse à la question 17 de sa demande. Toutefois, l’agent ne dit pas si ces renseignements sont corroborés ou admis. Il ne fait aucune allusion à la maison que le demandeur prétend posséder à Windsor.

[23]  À mon avis, l’historique d’emploi et la propriété d’une maison n’ont pas été pris en compte dans la décision initiale. Cependant, même si ces renseignements avaient été admis et pris en compte, la prétention du demandeur aurait été réfutée étant donné qu’un nouvel examen consiste à reconsidérer la demande de novo. Un demandeur ne peut pas supposer qu’un agent chargé d’un nouvel examen tirera les mêmes conclusions que celles qui ont fondé la décision initiale, et il n’a pas droit à un avis si des conclusions différentes sont envisagées dans le cadre d’un nouvel examen.

B.  Deuxième question en litige

[24]  Le formulaire de demande est clair : des documents à l’appui devaient être fournis pour attester la propriété d’une maison. Ces documents n’ont pas été fournis, et l’agent a conclu que les éléments probants étaient insuffisants. Autrement dit, la preuve fournie ne satisfaisait pas à la norme. À mon avis, la conclusion ne disait pas que le demandeur ne possédait pas de maison, et elle n’empêche pas l’agent de revenir sur ce fait ultérieurement et de poser la question de savoir pourquoi le demandeur conservait une maison au Canada alors qu’il avait des difficultés financières au Kenya.

IV.  Question à certifier

[25]  Aucune question n’a été posée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2556-16

 

INTITULÉ :

STEPHEN ONYANGO c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 JANVIER 2017

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

LE 25 JANVIER 2017

COMPARUTIONS :

Jason Currie

Pour le demandeur

Meva Motwani

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jason Currie

Avocat

Windsor (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

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