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Date : 20170111


Dossier : IMM-2533-16

Référence : 2017 CF 36

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2017

En présence de madame la juge Simpson

ENTRE :

RODOLF PLENISHTI

VERA PLENISHTI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Rodolf et Vera Plenishti (les demandeurs) présentent une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision datée du 27 avril 2016 par laquelle un agent d’immigration principal (l’agent) a rejeté leur demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR). La demande est présentée en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR).

[2]               Vera Plenishti, la demanderesse principale, est une citoyenne de l’Albanie âgée de 53 ans. Son fils, Rodolf Plenishti, est un citoyen de l’Albanie âgé de 24 ans. La demanderesse principale a deux autres enfants qui ne sont pas parties à cette procédure. Il s’agit de Silvana et de Mario.

[3]               La demanderesse principale allègue que, le 21 janvier 1998, deux hommes de la famille Sadiku ont exigé que sa famille quitte leur propriété. Après une altercation, l’un des hommes a abattu le mari de la demanderesse principale, Gjelosh Plenishti. Un homme membre de la famille de la demanderesse principale s’est vengé en tuant un homme membre de la famille Sadiku le 5 mars 2001. La demanderesse principale allègue que, le 10 mars 2001, la famille Sadiku a envoyé un message indiquant qu’elle tuerait tous les membres de la famille Plenishti, y compris les femmes et les enfants.

[4]               La demanderesse principale et ses trois enfants ont fui l’Albanie et sont arrivés aux États-Unis le 31 mars 2001. Là, elle a présenté une demande d’asile qui a été rejetée et, lorsqu’elle a été confrontée à l’expulsion, est venue au Canada.

[5]               La demanderesse principale et les trois enfants ont présenté une demande d’asile au Canada. Sa demande a été rejetée le 13 décembre 2012.

[6]               Silvana a quitté le Canada le 14 août 2014, et Mario est parti le 7 octobre 2014. Les demandeurs affirment que Silvana et Mario demeurent aux États-Unis.

[7]               La Section de la protection des réfugiés (SPR) a rejeté la demande d’asile des demandeurs parce qu’ils ont présenté des documents frauduleux et en raison de leur manque de crédibilité. Cependant, lors de la présentation de la présente demande, les avocats des deux parties ont convenu que les conclusions de la SPR étaient erronées.

I.                    La question en litige

[8]               La question est de savoir si l’évaluation par l’agent de nouveaux éléments de preuve sous la forme d’une lettre de M. Demrozi datée du 6 novembre 2015 (la lettre) était déraisonnable. M. Demrozi est le chef de police à Shkoder, où la vendetta a commencé.

[9]               Les parties pertinentes de la lettre sont ainsi rédigées :

[traduction]

La présente a été faite pour confirmer que le 21 janvier 1998 une vendetta a commencé entre les familles SADIKU et PLENISHTI du village de Suka-Dajc de la municipalité de Shkoder; le citoyen Gjelosh Plenishti a été tué à cette date.

Au cours de l’année 2001, la famille de Gjelosh Plenishti a quitté le village et, en date d’aujourd’hui, aucune mesure n’a été prise à l’égard de cet incident, par conséquent, il est préférable que cette famille ne revienne pas au village; ils sont voisins de la famille SADIKU et de nouveaux conflits peuvent survenir qui peuvent être dangereux pour la vie des membres des deux familles; il y a de nombreux cas où la vengeance pour le même problème s’exerce même après 20 ou 30 ans.

Il est très important que ces deux familles ne se rencontrent pas.

[10]           La demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas compris que le chef de police a dit que la vendetta n’est pas résolue, que l’un des meurtriers est toujours en fuite et que les demandeurs ne doivent pas rentrer au village parce que la police ne peut pas les protéger contre la violence qui est susceptible de se poursuivre même après de nombreuses années.

[11]           La demanderesse prétend que la lettre signifie que l’État a reconnu son incapacité à assurer une protection et que l’ERAR doit être accordée.

[12]           Cependant, le défendeur affirme que, parce que M. Demrozi n’a pas avisé les demandeurs de ne pas retourner en Albanie, mais les a seulement avertis de rester loin de leur village, il est déraisonnable de considérer la lettre comme une concession signifiant que l’État est incapable d’assurer la protection des demandeurs.

[13]           À mon avis, l’appréciation de la lettre qu’a faite l’agent était déraisonnable parce qu’il :

  1. ne tient pas compte du fait que l’avertissement de ne pas retourner au village constitue une déclaration confirmant l’incapacité de l’État d’assurer une protection étant donné que l’Albanie est un pays relativement petit;
  2. critique la lettre pour un manque de détails tout en reconnaissant que d’autres documents nomment le suspect;
  3. critique la lettre du fait qu’elle ne contient aucune mise à jour du statut de la vendetta et n’explique pas pourquoi le suspect n’a pas été poursuivi. Cependant, rien ne démontre que M. Demrozi s’est vu demander de fournir ces renseignements.
  4. En outre, l’agent ne semble pas avoir tenu compte du fait que la lettre mentionne que la vendetta pourrait bien se poursuivre.

[14]           Les conclusions de l’agent sur la protection de l’État sont également déraisonnables parce qu’il n’accorde aucune importance au meilleur élément de preuve. Il provient de l’ombudsman de l’Albanie. Il soutient que les efforts des autorités pour protéger les familles ou prévenir les vendettas meurtrières sont « insuffisants ». L’agent a plutôt mis l’accent sur les efforts législatifs pour améliorer la situation.

[15]           L’agent a également émis l’hypothèse voulant que, contrairement à la preuve, Silvana et Mario soient retournés en Albanie. Il critique ensuite l’absence de tout élément de preuve démontrant qu’ils soient visés par la vendetta. Cela était de toute évidence déraisonnable.

[16]           Enfin, la description que l’agent fait des faits sous-tendant la vendetta illustre qu’il n’a pas semblé comprendre la gravité de l’affaire. Il dit que le mari de la demanderesse principale avait connu [traduction] « des tensions dans le passé ». En fait, il a été assassiné.

[17]           Pour toutes ces raisons, la demande est accueillie.

II.                 Question à certifier

[18]           Aucune question n’a été proposée aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR accueille la présente demande. La demande d’ERAR sera traitée à nouveau par un autre agent.

« Sandra J. Simpson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2533-16

INTITULÉ :

RODOLF PLENISHTI, VERA PLENISHTI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 novembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge SIMPSON

DATE DES MOTIFS :

Le 11 janvier 2017

COMPARUTIONS :

M. Raoul Boulakia

Pour les demandeurs

M. Gordon Lee

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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