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Date : 20170119


Dossier : IMM-2165-16

Référence : 2017 CF 64

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 19 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

AALIBEYGOM BADIHI

ALI KAMALI SARVESTANI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Mme Aalibeygom Badihi, le mari de Mme Badihi, et leur fils à charge, Ali Kamali Sarvestani, sont des citoyens de l’Iran qui sont arrivés au Canada en 2013. Le mari de Mme Badihi est décédé subitement au mois de janvier 2015. Mme Badihi et Ali ont présenté une demande d’asile au mois de juin 2015 au motif que Mme Badihi avait fait l’objet de discrimination et qu’elle avait été menacée et détenue par les autorités iraniennes en raison de ses opinions religieuses et politiques.

[2]  Avant d’arriver au Canada, les demandeurs sont allés aux Pays-Bas, où ils ont séjourné trois mois avec la fille de Mme Badihi qui habite ce pays. Ils sont ensuite allés au Royaume-Uni et y sont demeurés cinq mois avec l’un des fils de Mme Badihi. Ce n’est que par la suite que les demandeurs sont arrivés au Canada à l’invitation d’un autre fils de Mme Badihi. Ils n’ont pas demandé l’asile aux Pays-Bas ni au Royaume-Uni.

[3]  Au moment d’évaluer la demande, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR) a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité et à la crainte subjective des demandeurs du fait qu’ils avaient tardé à demander l’asile. La Section de la protection des réfugiés a aussi décelé des incohérences dans les éléments de preuve qui l’ont amenée à accorder peu d’importance à certains éléments de preuve documentaire et à tirer des conclusions défavorables supplémentaires quant à la crédibilité. La demande a été rejetée. La décision de la Section de la protection des réfugiés a été portée en appel devant la Section d’appel des réfugiés. La Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel en concluant que les demandeurs manquaient de crédibilité en général.

[4]  Les demandeurs font valoir que la Section d’appel des réfugiés n’a pas compris les circonstances liées à la présentation tardive de la demande et soutiennent que les conclusions défavorables quant à la crainte subjective et à la crédibilité étaient déraisonnables. Ils font aussi valoir que la Section d’appel des réfugiés a agi de façon déraisonnable en appliquant une vision canadienne du monde à l’examen de certains éléments de preuve et s’est concentrée sur des questions techniques mineures pour n’accorder que peu de poids aux éléments de preuve documentaire. Ils soutiennent également que la conduite de leurs représentants devant la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés équivaut à un manquement au principe d’équité procédurale.

[5]  La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. La Section d’appel des réfugiés a-t-elle rendu une décision déraisonnable?

  2. Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale en raison de l’incompétence et de la négligence alléguées de leurs anciens représentants juridiques?

[6]  Compte tenu des observations écrites et orales des demandeurs, je ne peux conclure que la décision de la Section d’appel des réfugiés était déraisonnable ou qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale. Je rejette donc la demande de contrôle judiciaire.

II.  Norme de contrôle

[7]  La norme de contrôle applicable lorsque la Cour examine une décision de la Section d’appel des réfugiés est celle de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35 [Huruglica]). La norme de contrôle de la décision correcte s’applique aux allégations d’incompétence ou de négligence lorsque des questions d’équité procédurale sont abordées (Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250, au paragraphe 27 [Galyas]).

[8]  Il convient de faire preuve de déférence à l’égard de l’issue à laquelle l’auteur de la décision est parvenu sur la foi des éléments de preuve. La Cour ne doit pas intervenir si la décision d’un décideur appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [Dunsmuir], au paragraphe 47).

III.  Analyse

A.  La Section d’appel des réfugiés a-t-elle rendu une décision déraisonnable?

[9]  Les demandeurs font valoir que la Section d’appel des réfugiés a mal interprété leurs éléments de preuve en se fondant sur leur retard à quitter l’Iran, sur leur défaut de demander l’asile aux Pays-Bas ou au Royaume-Uni et sur leur retard à demander l’asile après leur arrivée au Canada pour tirer des conclusions défavorables quant à la crainte subjective et à la crédibilité. De plus, Mme Badihi fait valoir que la Section d’appel des réfugiés a agi de façon déraisonnable en se fondant sur sa capacité d’obtenir un nouveau passeport iranien après son arrivée au Canada pour conclure qu’elle n’était pas recherchée par les autorités iraniennes. Elle fait aussi valoir qu’il était déraisonnable que la Section d’appel des réfugiés conclue qu’aucun élément de preuve crédible ne permettait d’admettre l’allégation de Mme Badihi selon laquelle elle est athée et que la Section d’appel des réfugiés s’est fondée sur des incohérences et des questions techniques mineures pour conclure que ses éléments de preuve documentaire n’étaient pas dignes de foi. Aucun de ces arguments ne m’a convaincu.

[10]  La Section d’appel des réfugiés a manifestement reconnu que son rôle consistait à évaluer soigneusement la décision de la Section de la protection des réfugiés, à effectuer sa propre analyse du dossier et à établir si la Section de la protection des réfugiés avait commis une erreur. Elle a souligné qu’elle devait appliquer la norme de la décision correcte à l’examen des conclusions mixtes de fait et de droit de la Section de la protection des réfugiés. Toutefois, elle a aussi reconnu que la Section d’appel des réfugiés peut retenir et respecter les conclusions de la Section de la protection des réfugiés lorsqu’il s’agit d’apprécier la crédibilité ou la valeur des témoignages de vive voix dans la mesure où la Section de la protection des réfugiés jouissait d’un avantage particulier par rapport à la Section d’appel des réfugiés pour tirer ces conclusions. Cette description du rôle de la Section d’appel des réfugiés est conforme aux principes qui se dégagent de la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Huruglica, au paragraphe 70.

[11]  La Section d’appel des réfugiés s’est ensuite penchée sur les conclusions de la Section de la protection des réfugiés et sur chacune des erreurs alléguées par les demandeurs.

[12]  En ce qui concerne la crainte subjective, la Section d’appel des réfugiés a constaté que l’explication des demandeurs quant au retard à quitter l’Iran était incompatible avec les renseignements figurant dans leur demande de visa. La Section d’appel des réfugiés a aussi abordé les raisons avancées pour justifier le défaut de demander l’asile aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, y compris la réticence du défunt mari de Mme Badihi de demander la protection en tant que réfugié. La Section d’appel des réfugiés a conclu que les personnes qui craignent pour leur vie n’hésitent pas à demander l’asile en raison du climat ou parce qu’elles croient que de meilleures possibilités peuvent exister ailleurs. En examinant le délai écoulé depuis l’arrivée au Canada, la Section d’appel des réfugiés a accepté le fait que le décès du mari de Mme Badihi ait pu entraîner un certain retard, mais qu’il n’explique pas toute la durée du retard. Je conclus qu’il était raisonnablement loisible à la Section d’appel des réfugiés de conclure que les demandeurs n’éprouvaient pas de crainte subjective.

[13]  En examinant la question du renouvellement du passeport, encore une fois, il n’était pas déraisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de conclure que la capacité de Mme Badihi à renouveler sans problème son passeport iranien était incompatible avec l’allégation selon laquelle les autorités iraniennes la recherchaient activement. Je ne souscris pas à la thèse des demandeurs selon laquelle la conclusion de la Section d’appel des réfugiés dénote l’adoption d’une vision canadienne des pratiques et procédures iraniennes. La Section d’appel des réfugiés a tiré sa conclusion après avoir examiné et pris en compte l’ensemble des éléments de preuve. Le point de vue de Mme Badihi selon lequel les éléments de preuve auraient dû être pris en compte ou soupesés différemment ne rend pas la décision de la Section d’appel des réfugiés déraisonnable.

[14]  Cette observation s’applique aussi à la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle Mme Badihi n’avait présenté aucun élément de preuve digne de foi pour étayer l’allégation voulant qu’elle soit athée. La Section d’appel des réfugiés a retenu la conclusion de la Section de la protection des réfugiés selon laquelle Mme Badihi avait prouvé qu’elle était athée, mais a jugé cette conclusion problématique. La Section d’appel des réfugiés a souligné que les nombreux éléments de preuve lacunaires relevés par la Section de la protection des réfugiés démontraient que les demandeurs manquaient de crédibilité en général, et que la Section de la protection des réfugiés n’avait pas expliqué pourquoi elle avait décidé de croire un certain aspect de la demande. En étudiant les nombreux problèmes liés à la crédibilité de Mme Badihi, la Section d’appel des réfugiés a conclu qu’elle souffrait d’un manque général de crédibilité et que la présomption de véracité [traduction] « a[vait] été réfutée de manière retentissante ». Il était raisonnable pour la Section d’appel des réfugiés de tirer cette conclusion.

[15]  En ce qui concerne les éléments de preuve documentaire, Mme Badihi qualifie de questions techniques ou d’erreurs mineures les incohérences mentionnées par la Section d’appel des réfugiés concernant la lettre d’un médecin faisant état de ses problèmes cardiaques. La Section d’appel des réfugiés a toutefois constaté que le contenu de la lettre ne concordait pas avec son témoignage concernant les dates de ses crises cardiaques, qu’elle ne comportait pas de date et qu’elle était celle d’un endocrinologue d’un centre de traitement de l’obésité. Il était raisonnablement loisible à la Section d’appel des réfugiés de conclure que ces incohérences n’étaient ni mineures ni d’ordre technique et de ne reconnaître aucune valeur probante au document.

[16]  Le traitement par la Section d’appel des réfugiés des éléments de preuve et ses conclusions quant à la crédibilité qui sont fondées sur les éléments de preuve à sa disposition appartenaient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

B.  Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale en raison de l’incompétence et de la négligence de leurs anciens représentants juridiques?

[17]  Le juge James Russell a établi le critère à appliquer pour examiner les allégations de représentation inefficace ou incompétente d’un avocat dans la décision Galyas, en formulant les observations suivantes au paragraphe 84 :

[84]  Il est généralement reconnu que si un demandeur souhaite établir un manquement à l’équité procédurale sur ce point, il doit :

a. corroborer l’allégation en avisant l’ancien conseil et en lui donnant la possibilité de répondre;

b. établir que les actes ou les omissions de l’ancien conseil relevaient de l’incompétence, indépendamment de l’avantage de l’analyse et de la sagesse rétrospectives;

c. établir que le résultat aurait été différent n’eût été l’incompétence.  [Sources omises]

[18]  Il incombe au demandeur de prouver chacun des éléments du critère de la représentation négligente pour démontrer qu’il s’est produit un déni de justice. Les parties ne contestent pas que le critère est très rigoureux. Comme le juge Richard Mosley l’a fait remarquer au paragraphe 9 de la décision Jeffrey c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 605 :

[9] […] La partie qui invoque l’incompétence doit établir qu’elle a subi un préjudice important et que ce préjudice découle des actions ou omissions du conseil incompétent. Il faut démontrer qu’il est raisonnablement probable que, n’eût été les erreurs commises par le conseil par manque de professionnalisme, l’issue de l’instance aurait été différente.

[19]  L’arrêt R. c G.D.B., 2000 CSC 22 de la Cour suprême du Canada établit ce qui suit au paragraphe 29 :

[29]  Dans les cas où il est clair qu’aucun préjudice n’a été causé, il n’est généralement pas souhaitable que les cours d’appel s’arrêtent à l’examen du travail de l’avocat. L’objet d’une allégation de représentation non effective n’est pas d’attribuer une note au travail ou à la conduite professionnelle de l’avocat.  Ce dernier aspect est laissé à l’appréciation de l’organisme d’autoréglementation de la profession.  S’il convient de trancher une question de représentation non effective pour cause d’absence de préjudice, c’est ce qu’il faut faire (Strickland c. Washington, 466 US 668 (1984), à la page 697).

[20]  En l’espèce, je conclus que l’élément de préjudice du critère n’a pas été établi.

[21]  Il est vrai que la Section d’appel des réfugiés a exprimé un doute quant à la qualité des observations écrites présentées en appel et observé que les erreurs alléguées n’étaient pas tout à fait claires. La Section d’appel des réfugiés a néanmoins [traduction] « […] tent[é] d’aborder les questions mentionnées [dans le mémoire d’appel] ». Les demandeurs n’ont pas fait valoir dans le cadre du présent contrôle judiciaire que la décision de la Section d’appel des réfugiés ne traite pas d’une question qui aurait dû être soulevée en appel ni qu’elle dénote un défaut d’évaluer un moyen d’appel en raison de la qualité des observations présentées par écrit.

[22]  La question déterminante devant la Section de la protection des réfugiés et la Section d’appel des réfugiés était celle de la crédibilité. Les principales conclusions concernant la crédibilité étaient quant à elles fondées sur les éléments de preuve des demandeurs. Les incohérences dans les éléments de preuve de Mme Badihi visant à justifier le temps mis à quitter l’Iran, les renseignements figurant dans la demande de visa canadien, son témoignage concernant les raisons du défaut de demander l’asile aux Pays-Bas et au Royaume-Uni, l’explication du temps mis à demander l’asile après l’arrivée au Canada, les éléments de preuve concernant le renouvellement du passeport et son explication changeante de son défaut d’obtenir des documents corroborants de son ancien avocat en Iran sont tous des exemples qui ont entraîné des conclusions défavorables quant à la crédibilité et, partant, une conclusion de [traduction« manque général de crédibilité ». Ces conclusions quant à la crédibilité n’étaient pas liées à la nature ni à la qualité de la représentation fournie et suffisaient pour étayer la conclusion de la Section d’appel des réfugiés selon laquelle les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

[23]  Les demandeurs font valoir qu’ils ont subi un préjudice en raison du défaut de leur avocat à présenter une demande à la Section de la protection des réfugiés les désignant comme personnes vulnérables ou de présenter à la Section de la protection des réfugiés des déclarations enregistrées sur vidéo. En avançant ces arguments, les demandeurs n’ont fourni à la Cour aucun élément de preuve indépendant et digne de foi démontrant le bien-fondé d’une désignation comme personne vulnérable ou en quoi la présentation de déclarations enregistrées sur vidéo aurait pu avoir une incidence sur les conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[24]  Puisque j’ai conclu que les demandeurs n’ont pas satisfait à l’élément de préjudice du critère, je n’ai pas à prendre en compte l’élément de la compétence. À cet égard, je souligne que le Barreau du Haut-Canada, qui a reçu la plainte portée par les demandeurs, est compétent pour étudier les plaintes conformément aux règles de déontologie professionnelle applicables.

IV.  Conclusion

[25]  La décision de la Section d’appel des réfugiés est raisonnable, et les demandeurs n’ont pas établi que l’issue aurait été différente, n’eût été l’incompétence de leurs représentants. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[26]  Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale et aucune question n’a été soulevée.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 26e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2165-16

 

INTITULÉ :

AALIBEYGOM BADIHI ET ALI KAMALI SARVESTANI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 9 janvier 2017

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 19 janvier 2017

 

COMPARUTIONS :

Bahar Karbakhsh-Ravari

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Suranjana Bhattacharyya

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bahar Karbakhsh-Ravari

Avocat

Markham (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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