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Date : 20170106


Dossier : T-1019-13

Référence : 2017 CF 5

Ottawa (Ontario), le 6 janvier 2017

En présence du Juge en chef

ENTRE :

ASICS CORPORATION

demanderesse

et

9153-2267 QUÉBEC INC.

défenderesse

9279-1292 QUÉBEC INC., JOSEPH NASSAR,
et JEAN-PIERRE NASSAR

tierce partie à la violation alléguée

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               En septembre 2016, la Cour a ordonné à la défenderesse [9153], à son président (Joseph Nassar), à son vice-président (Jean-Pierre Nassar) et à la société 9279-1292 QUÉBEC INC. [9279] d’expliquer pourquoi ils ne devraient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal pour violation d’un jugement rendu précédemment par la Cour [jugement par défaut].

[2]               Dans le jugement par défaut, la Cour déclarait entre autres que 9153 avait violé les droits de la demanderesse à l’égard de certaines marques de commerce, et elle enjoignait à 9153, ainsi qu’à ses dirigeants, administrateurs, actionnaires, mandataires, préposés, employés, ayants cause, ayants droit et à quiconque ayant une connexité d’intérêts avec la défenderesse ou étant sous son contrôle direct ou indirect, de cesser d’utiliser ou d’usurper les marques de commerce. Il enjoignait également à la défenderesse de remettre à la demanderesse ou de détruire, dans un délai de 30 jours, tous les produits en sa possession ou sous son contrôle dont l’utilisation contreviendrait à l’injonction. En outre, le jugement par défaut accordait à la demanderesse un montant de 43 500 $ en dommages-intérêt, majoré de la TVH et des intérêts applicables, pour violation passée, ainsi que des dépens de 6 000 $, payables sans délai.

[3]               Le 22 novembre 2016, à l’audience de justification [la première audience de justification], la demanderesse a consenti à une demande présentée par l’avocat de 9153, des particuliers susmentionnés [les deux particuliers] et de 9279 [collectivement appelés les auteurs présumés de l’outrage au tribunal] en vue de faire diviser l’audience afin de permettre à la Cour de se prononcer sur les allégations d’outrage au tribunal formulées contre 9153 et les deux particuliers avant d’examiner les allégations formulées contre 9279. Finalement, il a été décidé de traiter ces dernières allégations dans le cadre d’une audience distincte [la seconde audience de justification], qui aura lieu le 11 janvier 2017.

[4]               Pour les motifs exposés ci-dessous, j’ai conclu que 9153 et les deux particuliers ont démontré pourquoi ils ne devraient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal pour violation du jugement par défaut.

II.                Question préliminaire

[5]               Le 17 novembre 2016, la Cour a reçu de 9279 et des deux particuliers un dossier de requête sollicitant une ordonnance prévoyant les mesures suivantes :

                                i.            La division de l’audience de justification, décrite au paragraphe 3 des présents motifs.

                              ii.            Une audience distincte sur l’opposition de 9279 à l’exécution d’un bref de saisie-exécution délivré à deux différents commerces de détail à Montréal, les 11 et 12 août 2016 respectivement.

                            iii.            L’exclusion d’un affidavit, en date du 19 septembre 2016, déposé par M. Joseph Nassar [l’affidavit de M. Nassar] dans le cadre du dossier de requête de 9279 relatif à l’opposition à l’exécution du bref de saisie-exécution.

                            iv.            L’exclusion de la transcription du contre-interrogatoire de M. Nassar sur cet affidavit mené par la demanderesse le 22 septembre 2016, ainsi que des pièces à l’appui.

[6]               Cette requête a été signifiée  par voie électronique à la demanderesse, qui s’est opposée à la demande des auteurs présumés de l’outrage au tribunal de saisir la Cour de la requête dès le début de la première audience de justification, au motif qu’elle n’avait pas été dûment signifiée conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles] ou déposée à la Cour.

[7]               Étant donné que les mesures sollicitées dans la requête reposaient sur des considérations relatives à l’équité procédurale et aux droits constitutionnels de certains des auteurs présumés de l’outrage au tribunal, j’ai décidé d’accepter le dépôt de la requête et de l’entendre dès le début de la première audience de justification.

[8]               Quant aux mesures sollicitées dans la requête, il n’est plus nécessaire que je discute de la demande visant à faire diviser l’audience de justification, décrite au point i. du paragraphe 5, puisque la division a été effectuée avec le consentement de la demanderesse.

[9]               Cette division répond également aux préoccupations qui fondent de la demande décrite au point ii. du paragraphe 5, visant l’obtention d’une audience distincte sur l’opposition de 9279 à l’exécution d’un bref de saisie-exécution. Lors de la première audience de justification, l’avocat de la défenderesse a expliqué que les deux particuliers craignaient que, s’ils devaient être appelés à témoigner pour le compte de 9279 concernant son opposition à l’exécution du bref de saisie-exécution, ils pourraient être contraints en contre-interrogatoire de rendre un témoignage susceptible d’être auto-incriminant pour les fins de la requête en justification. L’avocat a soutenu que cela serait contraire au paragraphe 470(2) des Règles, qui dispose que « [l]a personne à qui l’outrage au tribunal est reproché ne peut être contrainte à témoigner ». Comme j’ai maintenant conclu que les deux particuliers ont démontré pourquoi ils ne devraient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal pour violation du jugement par défaut, ils n’ont plus à craindre l’auto-incrimination à cet égard.

[10]           Avant d’examiner la demande visant à exclure l’affidavit de M. Nassar, j’examinerai la demande, décrite au point iv. du paragraphe 5, visant à faire exclure la transcription du témoignage qu’il a donné en contre-interrogatoire le 22 septembre 2019, ainsi que les pièces à l’appui.

[11]           M. Nassar a participé à ce contre-interrogatoire avant d’être informé que la Cour lui avait ordonné, ainsi qu’à son frère, à 9153 et à 9279, de démontrer pourquoi ils ne devraient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal. Il ne savait pas encore non plus alors que cette ordonnance [l’ordonnance de justification] reportait expressément sine die la requête de 9279 en opposition au bref de saisie-exécution en attendant l’issue de l’audience pour outrage au tribunal. Ce n’est qu’à la fin de son contre-interrogatoire qu’il a reçu signification de l’ordonnance de justification. Il soutient qu’il n’aurait pas participé au contre-interrogatoire s’il en avait eu connaissance.

[12]           Lors de la première audience de justification, la demanderesse a expliqué qu’elle a procédé au contre-interrogatoire parce que celui-ci était déjà prévu lorsque l’ordonnance de justification avait été rendue trois jours auparavant, le 19 septembre 2016.

[13]           J’estime qu’il n’était pas justifié de contre-interroger M. Nassar avant de l’informer de l’existence de l’ordonnance de justification. À mon avis, la manière dont la demanderesse a procédé dans les circonstances était très douteuse et profondément inéquitable. Pour ce motif, j’ai accepté dès le début de la première audience de justification d’accueillir la demande visant à faire exclure du dossier de l’audience de justification la transcription du contre-interrogatoire et les pièces à l’appui. Il est entendu que ces documents doivent également être exclus du dossier de la seconde audience de justification à laquelle 9279 sera convoquée pour démontrer pourquoi il n’y a pas d’outrage au tribunal en ce qui concerne le jugement par défaut. Ces documents seront toutefois admissibles lors de l’audience relative à la requête en opposition au bref de saisie-exécution présentée par 9279. Je me contenterai simplement de préciser que je n’ai pas encore lu ces documents.

[14]           J’examinerai maintenant la demande, décrite au point iii. du paragraphe 5, visant à faire exclure l’affidavit de M. Nassar daté du 19 septembre 2016. Cet affidavit a été déposé à l’appui de la requête en opposition au bref de saisie-exécution présentée par 9279.

[15]           9279 soutient que l’affidavit de M. Nassar devrait être exclu du dossier de l’audience de justification, car l’admission de cette preuve contreviendrait au paragraphe 470(2) des Règles, qui interdit de contraindre à témoigner une personne à qui un outrage au tribunal est reproché, et à l’article 13 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [la Charte].Cette dernière disposition prévoit ceci : « Chacun a droit à ce qu’aucun témoignage incriminant qu’il donne ne soit utilisé pour l’incriminer dans d’autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires » [Non souligné dans l’original.]

[16]           Lors de la première audience de justification, la demanderesse a dit préférer aller de l’avant avec l’audience concernant 9153 et les deux particuliers, plutôt que de reporter cette partie de l’audience jusqu’à ce qu’elle et moi-même ayons eu l’occasion de réfléchir plus longuement à la demande visant à faire exclure l’affidavit de M. Nassar. La demanderesse a affirmé qu’elle n’avait pas besoin de cet affidavit pour appuyer ses allégations d’outrage au tribunal formulées contre 9153 et les deux particuliers (Transcription de l’audience tenue le 22 novembre 2016, aux pages 30-31).

[17]           Par conséquent, la seule question qu’il reste à trancher est celle de savoir si l’affidavit en question est admissible dans le cadre de la seconde audience de justification, qui visera uniquement à déterminer si 9279 devrait être reconnue coupable d’outrage au tribunal relativement au jugement par défaut.

[18]           Il est bien établi en droit que le droit de ne pas s’incriminer énoncé à l’article 13 de la Charte ne s’étend pas aux personnes morales (British Columbia Securities Commission c Branch, [1995] 2 RCS 3, au para 39). Cette conclusion, ainsi que le fait que l’affidavit de M. Nassar n’a pas été obtenu sous contrainte, comme prévu par le paragraphe 470(2) des Règles, sont déterminantes quant à la question de l’admissibilité de l’affidavit de M. Nassar dans le cadre de la seconde audience de justification.

[19]           Cependant, dans l’éventualité où la demanderesse souhaiterait présenter ultérieurement une autre requête en justification contre 9153 et les deux particuliers, fondée sur d’autres éléments de preuve, j’examinerai ci-après l’admissibilité de l’affidavit de M. Nassar relativement à ces auteurs présumés de l’outrage au tribunal. Je le ferai par souci d’économie judiciaire. Pour les motifs que j’expliquerai, je suis convaincu que cet affidavit serait admissible. En bref, l’affidavit n’a pas été obtenu sous contrainte comme prévu par le paragraphe 470(2) des Règles, et l’audience ne constituait pas une « autre procédure » au sens de l’article 13 de la Charte.

[20]           Les auteurs présumés de l’outrage au tribunal se fondent sur la décision Gennium Pharmaceutical Products Inc c Genpharm Inc, 2009 QCCS 1066, conf par 2009 QCCA 1691, aux para 18-19, pour étayer leur thèse selon laquelle une audience de justification constitue une procédure distincte de la procédure civile sous-jacente à l’origine des allégations d’outrage au tribunal. Dans cette décision, le juge Marc-André Blanchard est parvenu à cette conclusion après avoir fait les observations suivantes : (i) les parties à une audience de justification cèdent le contrôle de l’audience à la Cour; (ii) les protections spéciales accordées aux personnes tenues de fournir une justification (y compris le droit de ne pas s’incriminer et l’avantage du fardeau de preuve applicable en matière criminelle), ainsi que la nature différente de la décision demandée, transforment la nature du litige; et (iii) on trouve d’autres décisions au Québec dans lesquelles il a été conclu qu’une audience pour outrage au tribunal constitue une procédure distincte ou comporte une procédure distincte. On trouve toutefois peu ou pas d’analyse sur la question dans la jurisprudence que le juge Blanchard a citée à cet égard : Syndicat des Employés de l’Hôpital St-Michel Archange c Québec (Procureur général), [1977] CA 537, aux paras 7-8 (Qc); Modernfold (Bas St-Laurent) Ltée c New Castle Products (Canada) Ltd, [1972] CA 790, à la p 791 (Qc); Ace Holdings Corporation et al c La Commission des Écoles catholiques de Montréal, [1972] 2 RCS 268, à la p 272; Syndicat des employés de transport Dumont (CSN) c Nap Dumont Ltée, [1978] CA 530, au para 5 (Qc); Estrada c Young, 2005 QCCA 493, au para 15.

[21]           À mon avis, la jurisprudence sur laquelle s’appuie la demanderesse est plus convaincante.

[22]           Dans la décision Merck & Co c Apotex Inc, [1996] 2 CF 223 (1re inst) [Merck], le juge Mackay, qui siégeait à ce qui était alors la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada, a explicitement examiné la question de savoir si une procédure d’outrage au tribunal est distincte et différente de la procédure civile sous-jacente à l’origine des allégations d’outrage au tribunal. Dans cette affaire, la question était de savoir si les renseignements obtenus par la demanderesse [Merck] de la défenderesse [Apotex], conformément à une ordonnance judiciaire, pouvaient être utilisés par Merck contre Apotex dans une audience visant à justifier pourquoi Apotex ne devrait pas être reconnue coupable d’outrage au tribunal pour, entre autres choses, avoir violé une injonction permanente et d’autres conditions de l’ordonnance qui avait été rendue à la suite du procès dans le cadre d’une action en violation de brevet. À l’appui de son argument concernant la nature distincte de la procédure d’outrage au tribunal, Apotex a fait observer que : cette procédure commence par un processus différent; elle peut mettre en cause et mettait en cause en l’espèce des parties différentes; son objet est différent, puisque c’est un châtiment qu’on cherche à obtenir, plutôt qu’une indemnisation ou la protection de droits; enfin, des principes de droit différents sont applicables à l’action en violation de brevet (Merck, précitée, au para 48).

[23]           Le juge Mackay a néanmoins rejeté la demande d’Apotex visant à obtenir une ordonnance interdisant à Merck d’utiliser les renseignements contestés dans le cadre de l’audience de justification. Il est parvenu à cette décision après avoir conclu que « la procédure d’outrage au tribunal qui vise à faire respecter une ordonnance de la Cour, y compris par l’application d’un châtiment pour sa violation, fait partie intégrante de la procédure dans laquelle l’ordonnance a été rendue » (Merck, précitée, au para 49). Il a expliqué cette conclusion de la façon suivante :

La procédure pour outrage fait partie intégrante des moyens de contrainte de la Cour dans le procès relatif à l’action en violation de brevet, qui s’entend de l’engagement de celle-ci jusqu’à sa conclusion, y compris le jugement et son exécution. Cette procédure n’est pas séparée ou distincte de l’action en violation de brevet et elle est visée par l’engagement implicite. L’usage des renseignements dans cette procédure ne vise pas une fin connexe ou ultérieure, du point de vue de l’engagement implicite. (Merck, précitée, au para 53)

[24]           Pour arriver à sa décision, le juge Mackay a examiné et approuvé les décisions Apple Computer Inc c Minitronics of Canada Ltd, [1988] 2 CF 265 (1re inst) [Apple]; McClure c Backstein, 1987 CarswellOnt 416 (H Ct J) [McClure], et Crest Homes plc c Marks, [1987] AC 829, [1987] 2 All ER 1074 (HL) [Crest Homes].

[25]           La décision Apple avait aussi été rendue par la Section de première instance de la Cour fédérale du Canada de l’époque. Elle portait sur une audience visant à démontrer pourquoi les défendeurs (qui avaient agi comme défendeurs dans une action sous-jacente en violation de marque de commerce et de droit d’auteur) n’étaient pas coupables d’outrage au tribunal pour violation d’une ordonnance dans cette action civile. Pour parvenir à la conclusion que les défendeurs avaient commis un outrage au tribunal, le juge Strayer a admis certains documents qui avaient initialement été demandés en vertu d’une ordonnance Anton Piller, mais qui n’avaient pas été obtenus parce qu’ils avaient été mis sous garde par des douaniers – ces derniers avaient ensuite été contraints de les remettre à la demanderesse en vertu d’une ordonnance rendue en application du Code criminel, LRC 1985, c C-46. Les motifs du juge Strayer reposaient sur le cadre factuel de l’affaire dont il était saisi, mais il était implicite qu’il aurait également admis les documents en question s’ils avaient simplement été saisis en vertu d’une ordonnance Anton Piller (Apple, précitée, aux paras 36-37).

[26]           L’affaire McClure, précitée, portait sur une requête visant l’obtention d’une ordonnance d’outrage au tribunal présentée par le demandeur (créancier) contre le défendeur (débiteur), après violation par ce dernier d’une ordonnance lui demandant de se présenter pour répondre à des questions et donner suite à des engagements. La question pertinente pour l’affaire qui nous occupe était celle de savoir si le témoignage du débiteur fait dans le cadre de l’interrogatoire contesté et les divers affidavits qu’il avait déposés pouvaient être pris en compte dans le cadre de la requête visant l’obtention d’une ordonnance d’outrage au tribunal. Le juge Steele a conclu qu’une telle preuve était admissible dans le cadre de la requête. Après examen des questions soulevées par le débiteur fondées sur les articles 11 et 13 de la Charte, le juge Steele a conclu ce qui suit :

[traduction] En supposant que l’article 11 de la Charte s’applique, le fait que le débiteur ne peut être contraint de témoigner n’empêche pas la Cour d’examiner son témoignage rendu à l’interrogatoire et les divers affidavits qu’il a déposés. Le débiteur a soutenu que le témoignage qu’il a rendu à l’interrogatoire ne pouvait être pris en considération parce qu’il était incriminant dans une autre procédure et donc interdit par l’article 13 de la Charte. La procédure d’outrage au tribunal fait partie intégrante de l’ensemble de l’action civile, qui commence par l’introduction de l’action et se termine par un jugement et l’exécution de celui‑ci. Le témoignage fait antérieurement n’a pas été donné dans le cadre d’une procédure antérieure, mais dans le cadre de la même procédure. De toute façon, le témoignage fait dans une procédure civile n’est pas considéré comme « un témoignage incriminant » au sens de l’article 13. Le débiteur a choisi de se défendre dans l’action civile et il doit se conformer à la loi. L’article 13 ne le protège pas. (Voir Seaway Trust Co. c. Kilderkin Investments Ltd., 29 D.L.R. (4th) 456, page 470)

McClure, précité, au para 9. Voir également Blatherwick c Blatherwick, 2016 ONSC 2902, aux paras 42-45 [Blatherwick].

[27]           L’arrêt Crest Homes, précité, portait sur deux actions en violation du droit d’auteur intentées par la demanderesse contre les défendeurs. La Chambre des lords a reconnu le bien‑fondé de l’utilisation de renseignements, obtenus par suite d’une ordonnance Anton Piller rendue dans le cadre d’une seconde action, ainsi que d’affidavits souscrits par les défendeurs dans le cadre de cette action, dans une procédure d’outrage au tribunal faisant suite à la première action mettant en cause les mêmes parties et questions. Pour parvenir à cette conclusion, Lord Oliver d’Aylmerton a affirmé :

[traduction] Les mesures d’application et d’exécution ou de respect des ordonnances émises ou des engagements pris envers la cour font, à mon sens, autant partie intégrante de l’action que toute autre mesure prise à bon droit par le demandeur dans le cadre de la poursuite qu’il a intentée. La procédure normale lorsque l’outrage reproché est attribuable à une partie à l’action consiste à demander l’incarcération par requête dans cette action comme mesure accessoire. À mon avis, l’exécution de l’ordonnance de la cour dans le cadre de l’action dans laquelle la communication de la preuve est obtenue n’est en rien « collatérale » ou « étrangère » et il ne fait aucun doute selon moi que les documents communiqués lors de l’interrogatoire préalable effectué dans le cadre de l’action peuvent parfaitement être utilisés à bon droit dans le but de faire cette démarche sans aucunement porter atteinte à l’engagement implicite, et sans qu’il soit nécessaire d’obtenir au préalable la permission de la cour.

Crest Homes, précitée, page 1083.

[28]           Je suis d’accord avec le raisonnement exposé dans les décisions susmentionnées, à savoir qu’une audience de justification qui découle d’une allégation de violation d’une ordonnance dans le cadre d’une action civile sous-jacente fait partie intégrante de cette même action. Elle ne constitue pas une procédure distincte ni une « autre procédure ».

[29]           Compte tenu des faits particuliers de l’espèce, il serait anormal que les auteurs présumés de l’outrage au tribunal puissent volontairement déposer en preuve des affidavits en vue de s’opposer à un bref de saisie-exécution validement délivré, et ensuite empêcher la demanderesse d’invoquer la même preuve dans une audience visant à justifier pourquoi ils n’ont pas contrevenu au même jugement que la demanderesse cherchait à faire exécuter au moyen de ce bref de saisie-exécution. À mon avis, l’article 13 de la Charte n’accorde pas de protection à une telle preuve par affidavit antérieure déposée volontairement, produite dans le cadre de la même procédure. Il y a absence du « quid » pour justifier le « quo » à l’égard d’une telle protection (R c Nedelcu, 2012 CSC 59, aux paras 6-8, 91-92).

[30]           Pour conclure sur cette question préliminaire, j’ajouterai simplement que je reconnais que, si la preuve que l’on cherche à produire dans le cadre d’une audience de justification a été obtenue au cours d’une autre procédure, relative à une autre cause d’action, il est fort possible que l’article 13 s’applique (Merck & Co Inc c Apotex Inc, [1998] 3 CF 400, au para 21 (1re inst)).

III.             La première audience de justification - Analyse

[31]           Mon analyse relative à la première audience de justification est assez simple. La demanderesse a produit très peu de preuves d’une violation du jugement par défaut par 9153 ou les deux particuliers. À la seule exception du non-paiement des dommages-intérêts (plus intérêts) et des dépens prévus dans le jugement par défaut, la preuve présentée n’établit pas hors de tout doute raisonnable que 9153 ou les deux particuliers ont contrevenu au jugement. Quant au non-paiement des dommages-intérêts et des dépens, la demanderesse n’a pas établi que ses efforts pour obtenir ce paiement ont été tels que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de manière à déclarer 9153 ou les deux particuliers coupables d’outrage au tribunal pour ne pas avoir encore effectué un tel paiement. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire n’est pas justifié en l’absence d’une preuve démontrant que la demanderesse s’est efforcée de faire exécuter un jugement prévoyant le paiement de dommages-intérêts selon la procédure ordinaire, mais sans succès.

A.                Le droit

[32]           L’outrage civil comporte trois éléments qui doivent être établis hors de tout doute raisonnable. Premièrement, l’ordonnance ou le jugement dont on allègue la violation doit formuler de manière claire et non équivoque ce qui doit et ne doit pas être fait. Deuxièmement, la partie à qui l’on reproche d’avoir violé l’ordonnance ou le jugement doit avoir été réellement au courant de son existence. Troisièmement, la partie doit avoir intentionnellement commis un acte interdit par l’ordonnance ou le jugement, ou intentionnellement omis de commettre un acte comme l’ordonnance ou le jugement l’exige (Carey c Laiken, 2015 CSC 17, aux paras 32-35 [Carey]; article 469 des Règles).

[33]           En ce qui concerne le troisième élément, il suffit de prouver hors de tout doute raisonnable que l’auteur présumé de l’outrage civil a intentionnellement commis un acte, ou omis d’agir, en violation d’une ordonnance claire dont il avait connaissance. Il n’y a aucune exigence additionnelle d’établir une « intention de désobéir », c’est-à-dire le fait de vouloir désobéir à l’ordonnance ou au jugement en question ou de choisir sciemment de le faire (Carey, précitée, aux paras 39-42, 47).

[34]           Cependant, lorsque la violation alléguée est fondée sur une omission de se conformer à une ordonnance ou un jugement de payer une somme d’argent, une volonté de se soustraire à cette obligation de la part de l’auteur présumé de l’outrage doit être établie (Vidéotron Ltée c Industries Microlec Produits Électroniques Inc, [1992] 2 RCS 1065, au para 19 [Vidéotron]). Une telle intention de se soustraire peut être déduite d’un refus de payer et de fournir une explication légitime du défaut de paiement, malgré les occasions données pour le faire ou démontrer une incapacité de payer (Trans-High Corporation c Hightimes Smokeshop and Gifts Inc, 2015 CF 1104, paragraph 12; Canada (Ministre du Revenu national) c Money Stop, 2013 CF 133, aux paras 15, 18). Il n’appartient pas au demandeur d’établir de manière proactive une capacité de payer, mais plutôt à l’auteur présumé de l’outrage de faire valoir l’incapacité de payer en défense (North Arm Transportation Ltd c Gulf Kanayak, [1987] ACF no 1016 (QL) (1re inst) [North Arm]; Metaxis c Galaxias (The), [1998] ACF n355 (QL) (1re inst); Daigle c St-Gabriel de Brandon (Corp municipal de la paroisse), 1991 CanLII 3806, paragraphe 13 (CA Qc) [Daigle]; voir également l’alinéa 467(1)c) des Règles).

[35]           Lorsque les trois éléments nécessaires pour démontrer qu’il y a eu outrage au tribunal ont été établis, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire de refuser de reconnaître coupable d’outrage au tribunal l’auteur présumé de l’outrage. Pour décider si elle doit exercer ce pouvoir discrétionnaire, la Cour doit garder à l’esprit que le pouvoir de reconnaître une personne coupable d’outrage au tribunal doit être utilisé avec circonspection et avec une grande réserve, car il s’agit d’un pouvoir d’exécution de la loi de dernier recours, et non de premier, (Carey, précité, au para 36). Il ne sert pas simplement de moyen d’exécution des jugements (Vidéotron, précitée, au para 23). Avant que la Cour y ait recours, lorsque la violation en question concerne le non-paiement d’une somme d’argent, le demandeur devrait démontrer qu’il a tenté sans succès d’obtenir l’exécution de l’ordonnance ou du jugement de la manière habituelle (Daigle, précité, au para 9; Hyundai Motor America c Cross Canada Auto Body Supply (West) Limited, 2007 CF 120, au para 15).

B.                 Appréciation de la preuve

[36]           Selon le paragraphe 470(1), les témoignages dans le cadre d’une requête pour une ordonnance d’outrage au tribunal, sauf pour une requête visant à obtenir une audience de justification, sont donnés oralement, sauf directives contraires de la Cour.

[37]           Conformément à l’obligation à laquelle elle est tenue en vertu du paragraphe 470(1) des Règles, la demanderesse a présenté un témoin, M. Michael Kerr, qui est commis au contentieux dans le cabinet qui représente la demanderesse, Ridout & Maybee LLP.

[38]           Le témoignage de M. Kerr s’est résumé aux réponses qu’il a données aux questions des avocats concernant des documents qui étaient joints comme pièces à un affidavit daté du 14 septembre 2016 qu’il a souscrit et déposé dans le dossier de requête relatif à l’audience de justification.

[39]           En ce qui concerne les allégations de violation du jugement par défaut, il y avait cinq documents principaux, dont trois concernaient la signification du jugement par défaut, et deux, sa violation alléguée.

[40]           Les trois documents concernant la signification du jugement par défaut étaient des copies d’une télécopie de 21 pages [la télécopie], datée du 9 mai 2014, et deux confirmations de livraison reçues de FedEx par Ridout & Maybee LLP. La télécopie a été envoyée aux deux particuliers et à M. Gilbert Nassar au numéro de télécopieur figurant sur le site Web de « jbloom », alors que les deux confirmations de livraison indiquaient que les colis avaient été livrés à deux adresses distinctes mentionnées sur le site Web de jbloom. jbloom est le nom sous lequel 9153 faisait affaire entre le début de l’année 2006 et le début de l’année 2015. L’une des confirmations de livraison du colis a été signée par « M. Malo » le 20 mai 2014, alors que l’autre a été signée par « J. Nassar » le 16 mai 2014.

[41]           La télécopie consistait en une page couverture, une copie du jugement par défaut et une lettre de l’avocat de la demanderesse adressée à jbloom enterprise, aux deux particuliers et à M. Gilbert Nassar. M. Kerr a témoigné qu’il a trouvé les 21 pages de la télécopie, groupées en un seul document, dans les dossiers de Ridout & Maybee, et que la feuille de confirmation qui indique que 21 pages ont été envoyées [traduction] « est identique à toutes les autres feuilles de confirmation de télécopie que nous recevons ».

[42]           Pour ce qui est des confirmations de livraison de FedEx, M. Kerr a une fois de plus déclaré qu’elles ont été tirées des dossiers de Rideout & Maybee LLP. Il a ajouté qu’il n’a aucune confirmation de réception signée par les destinataires et que les confirmations qu’il détient sont le seul type de confirmation remis par FedEx lors de la livraison de colis.

[43]           La demanderesse s’est fiée au paragraphe 30(1) de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5, relatif aux pièces commerciales pour justifier l’admission en preuve de la télécopie et des confirmations de livraison de FedEx, car M. Kerr a déclaré que ce n’était pas lui qui avait envoyé la télécopie et qu’il n’avait aucun autre élément de preuve à présenter comme confirmation des livraisons de FedEx.

[44]           Abstraction faite des questions que les auteurs présumés de l’outrage au tribunal ont soulevées relativement à la signification, incluant la confirmation de livraison qui a été « signée » par « M. Malo », l’élément de preuve susmentionné suggère que le jugement par défaut a été signifié à M. Joseph Nassar, qui, selon les registres de 9153, est le président de cette société, le 9 ou le 16 mai 2014.

[45]           En ce qui concerne la violation alléguée du jugement par défaut, M. Kerr a, comme nous l’avons vu, été interrogé au sujet de deux documents. Ces deux documents figurent aux pièces D et E jointes à son affidavit. Le premier de ces documents, daté du 8 mai 2014, est une copie d’un certain nombre de pages tirées du site Web de jbloom, qui indiquaient que 9153 vendait des souliers portant la marque de commerce de la demanderesse, à savoir « Oliver Sneaker ». M. Kerr a déclaré qu’il avait trouvé des copies de ces pages dans les dossiers de Ridout & Maybee LLP.

[46]           Le deuxième document, daté du 10 juillet 2014, consistait également en un certain nombre de pages imprimées, tirées cette fois-ci d’une page archivée de la Wayback Machine d’Internet Archive. M. Kerr a déclaré qu’il ne se souvenait pas s’il avait imprimé ce document pour les dossiers de Ridout & Maybee LLP, mais qu’il était allé sur le site Web d’Internet Archive pour consulter ces pages.

[47]           Contrairement au premier document, les pages de ce deuxième document ne contenaient aucune image de souliers portant les marques de commerce de la demanderesse. L’une des pages faisait mention à trois différents endroits d’« Image de Oliver-Basket », ce qui, selon ce que la Cour croit comprendre, signifie [traduction] « image d’Oliver-Sneaker ». Ces mots semblent remplacer une image qui figurait dans la page originale du site Web. Toutefois, aucune image de souliers ou d’autres produits arborant les marques de commerce de la demanderesse ne figurait dans les pages imprimées, et il n’y avait aucune mention des numéros de modèle (F6188 et D8007) mentionnés dans le jugement par défaut ou du numéro de référence d’Oliver de jbloom (ME‑81001) mentionné dans l’ordonnance de justification.

[48]           Selon moi, ces deux documents n’établissent pas hors de tout doute raisonnable que 9153 où les deux particuliers ont violé les conditions du jugement par défaut après la date à laquelle le jugement leur a été signifié, quelque part entre les 9 et 16 mai 2014.

[49]           Le jugement par défaut interdisait à 9153 et aux deux particuliers d’utiliser ou d’usurper les marques de commerce de la demanderesse au Canada, d’attirer l’attention du public sur ses marchandises ou ses entreprises de manière à causer de la confusion entre les marchandises de la demanderesse et celles de 9153, de faire passer les marchandises ou les entreprises de 9153 pour celles de la demanderesse en utilisant les marques de commerce de la demanderesse, ou des variations de celles-ci, qui causent de la confusion, d’utiliser ces marques de commerce de manière à diminuer la valeur marchande liée à celles-ci et d’autoriser, inciter ou aider d’autres personnes à commettre l’un des actes susmentionnés.

[50]           De plus, le jugement par défaut enjoignait à 9153 et aux deux particuliers de remettre à la demanderesse, ou de détruire, tous les produits qu’ils avaient en leur possession, etc., qui iraient à l’encontre du jugement par défaut et de supprimer, dans le site Web de jbloom accessible à jbloomshoes.com, toute référence à ces produits.

[51]           Toutefois, les deux documents mentionnés ci-dessus ne démontrent pas hors de tout doute raisonnable que 9153 où les deux particuliers ont commis l’un ou l’autre des actes mentionnés dans le jugement par défaut après que la signification ait eu lieu quelque part entre les 9 et 16 mai 2014. En effet, ils ne démontrent pas, selon cette norme de preuve, que 9153 vendait vraiment des souliers ou d’autres produits portant les marques de commerce de la demanderesse, ou des marques semblables au point de créer de la confusion, ou vendait des souliers portant les numéros de modèle F6188 ou D8007, ou le numéro de référence ME‑81001 après le 8 mai 2014 (la date d’impression du premier document).

[52]           Reste à trancher la question du montant de 43 500 $ accordé en dommages-intérêts pour usurpation antérieure, auquel s’ajoutaient la TVH applicable, les intérêts avant et après jugement, et des dépens de 6 000 $, qui, selon le jugement par défaut, étaient [traduction] « payables sans délai et dont les défenderesses sont conjointement et  solidairement responsables ».

[53]           Il n’y a qu’une seule défenderesse dans la présente instance, à savoir 9153. C’est la seule partie à qui il a été ordonné d’exposer les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas être reconnue coupable d’outrage au tribunal pour ne pas avoir payé le montant des dommages-intérêts, majoré du montant des intérêts et des dépens, comme nous l’avons vu. Par conséquent, dans la présente requête visant l’obtention d’une audience de justification, cette violation particulière alléguée du jugement par défaut ne concerne que 9153.

[54]           Tel qu’il a été mentionné au paragraphe 34, l’auteur présumé d’un outrage au tribunal ne peut être reconnu coupable d’outrage au tribunal au motif qu’il n’a pas payé le montant d’un dédommagement pécuniaire à une autre partie, à moins qu’il n’ait été démontré hors de tout doute raisonnable qu’il avait l’intention de se soustraire à cette obligation. Cette intention de se soustraire à l’obligation peut être déduite d’un refus de payer et de fournir une explication légitime pour ce non-respect, malgré les occasions que l’auteur a eu de fournir une telle explication ou de démontrer une incapacité de payer. La demanderesse n’a pas à démontrer de façon proactive que les auteurs présumés de l’outrage au tribunal sont capables de payer. Il incombe plutôt aux auteurs présumés de l’outrage au tribunal de faire valoir en défense qu’ils sont incapables de payer.

[55]           Dans la mesure où la jurisprudence citée par la demanderesse (North Arm et Blatherwick, précitées; Innovation and Development Partners/IDP Inc c Canada, [1993] ACF no 1192 (QL) (1re inst); Agence du revenu du Canada c Bélanger, 2015 CF 35) est en conflit avec les enseignements de la Cour suprême sur ce point dans Vidéotron et Carey, précités, ces derniers arrêts l’emportent.

[56]           À la première audience de justification, la demanderesse n’a présenté aucun élément de preuve démontrant hors de tout doute raisonnable que 9153 avait refusé de payer le montant des dommages-intérêts susmentionné, majoré du montant des intérêts et des dépens, malgré le fait qu’elle a eu à plus d’une reprise la possibilité de fournir une explication légitime de la raison pour laquelle elle n’a pas payé le montant en question ou de démontrer qu’elle était incapable de payer. À l’exception des éléments de preuve relatifs à la signification du jugement par défaut et de la lettre de l’avocat de la demanderesse qui y était jointe, signification faite, comme nous l’avons vu, par télécopieur et par les deux livraisons de FedEx, rien ne prouve que la demanderesse a pris d’autres mesures afin d’obtenir le paiement du montant des dommages‑intérêts et des dépens avant d’avoir récemment tenté d’exécuter le jugement selon la manière habituelle. Pour ce qui est de ces récents efforts, la demanderesse n’a fourni des éléments de preuve qu’à l’égard de l’exécution du bref de saisie-exécution dans deux des points de vente de jbloom, les 10 et 11 août 2016. L’audition de la requête par laquelle les auteurs présumés de l’outrage au tribunal s’opposaient au bref de saisie-exécution est maintenant prévue pour le 11 janvier 2017. Dans ces circonstances, la demanderesse n’est pas en mesure d’établir hors de tout doute raisonnable qu’elle a tenté, sans succès, d’obtenir l’exécution du paiement du montant de 43 500 $ octroyé en dommages‑intérêts, majoré des intérêts et d’un montant de 6 000 $ pour les dépens, de la manière habituelle.

[57]           Par conséquent, je refuse à ce stade-ci de conclure que 9153 n’a pas respecté le jugement par défaut uniquement parce qu’elle n’a pas payé le montant de 43 500 $ en dommages‑intérêts, majoré des intérêts et d’un montant de 6 000 $ pour les dépens.

[58]           Je reconnais que la demanderesse a présenté des éléments de preuve démontrant qu’il y a eu échange de courriels, le 30 mai et le 3 juin 2013, entre M. Elliott Gold, un associé chez Ridout & Maybee LLP, et « Joseph » de jbloom Shoes. Compte tenu des conclusions que j’ai tirées relativement aux éléments de preuve examinés précédemment, je conclus que cet échange de courriels, qui est antérieur au jugement par défaut, a peu de valeur probante pour ce qui est de savoir si 9153 ou les deux particuliers devraient être reconnus coupables d’outrage au tribunal pour avoir violé le jugement par défaut.

[59]           Il en va de même de la déclaration de la demanderesse selon laquelle la Cour a rendu un jugement par défaut et délivré un bref de saisie‑exécution en faveur d’Adidas AG contre 9153, et en faveur d’Hummel Holdings A/S et autres contre 9153, relativement à des actes qui sont semblables à ceux qui ont mené au jugement par défaut, et au bref de saisie‑exécution contre 9153 dans la présente instance.

IV.             Conclusion

[60]           Pour les motifs susmentionnés, la demanderesse n’a pas démontré hors de tout doute raisonnable que 9153 et les deux particuliers ont commis un outrage au tribunal pour avoir violé le jugement par défaut. Autrement dit, 9153 et les deux particuliers ont démontré pourquoi ils ne devraient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal.

[61]           Dans son avis de requête relatif à la présente instance, la demanderesse a notamment sollicité la délivrance d’une ordonnance confiant les biens saisis en vertu du bref de saisie‑exécution – exécuté les 10 et 11 août 2016 – à la garde d’un huissier, afin d’éviter que ces biens restent sur place. Toutefois, au cours de l’audience, la demanderesse a convenu de maintenir le statu quo jusqu’à ce que je tranche les questions relatives aux allégations d’outrage au tribunal portées contre 9279 et à l’opposition au bref de saisie‑exécution des auteurs présumés de l’outrage au tribunal. Les biens saisis demeureront donc en place jusqu’à ce moment.

[62]           La demanderesse a également demandé le rejet de la requête de 9279 en opposition à l’exécution du bref de saisie-exécution daté du 10 août 2016. Cette demande est prématurée en ce moment. L’audition de cette requête est prévue pour le 11 janvier 2017.

[63]           Je réserve ma décision sur les dépens jusqu’à ce que le résultat de la deuxième audience de justification soit déterminé.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  9153 et les deux particuliers ont démontré pourquoi ils ne devraient pas être reconnus coupables d’outrage au tribunal pour avoir violé le jugement  par défaut.

2.                  La deuxième audience de justification aura lieu le 11 janvier 2017, juste avant l’instruction de la requête présentée par 9279 en opposition à l’exécution du bref de saisie‑exécution délivré par la Cour le 10 août 2016.

3.                  L’affidavit de M. Nassar sera admissible à la deuxième audience de justification ainsi qu’à l’audience de la requête mentionnée ci-dessus.

4.                  La transcription du contre‑interrogatoire de M. Joseph Nassar qui a eu lieu le 22 septembre 2016, et les pièces qui y sont jointes seront admissibles à l’audition de cette requête de 9279 mais pas lors de la deuxième audience de justification.

5.                  Les dépens seront déterminés après que le résultat de la deuxième ordonnance de justification soit déterminé.

« Paul S. Crampton »

Juge en chef


ANNEXE 1 – Dispositions législatives applicables

Règles des Cours fédérales

Federal Courts Rules

Outrage

466. Sous réserve de la règle 467, est coupable d’outrage au tribunal quiconque :

Contempt

466. Subject to rule 467, a person is guilty of contempt of Court who

a) étant présent à une audience de la Cour, ne se comporte pas avec respect, ne garde pas le silence ou manifeste son approbation ou sa désapprobation du déroulement de l’instance;

(a) at a hearing fails to maintain a respectful attitude, remain silent or refrain from showing approval or disapproval of the proceeding;

b) désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour;

(b) disobeys a process or order of the Court;

c) agit de façon à entraver la bonne administration de la justice ou à porter atteinte à l’autorité ou à la dignité de la Cour;

(c) acts in such a way as to interfere with the orderly administration of justice, or to impair the authority or dignity of the Court;

d) étant un fonctionnaire de la Cour, n’accomplit pas ses fonctions;

(d) is an officer of the Court and fails to perform his or her duty; or

e) étant un shérif ou un huissier, n’exécute pas immédiatement un bref ou ne dresse pas le procès-verbal d’exécution, ou enfreint une règle dont la violation le rend passible d’une peine.

(e) is a sheriff or bailiff and does not execute a writ forthwith or does not make a return thereof or, in executing it, infringes a rule the contravention of which renders the sheriff or bailiff liable to a penalty.

Droit à une audience

467 (1) Sous réserve de la règle 468, avant qu’une personne puisse être reconnue coupable d’outrage au tribunal, une ordonnance, rendue sur requête d’une personne ayant un intérêt dans l’instance ou sur l’initiative de la Cour, doit lui être signifiée. Cette ordonnance lui enjoint :

Right to a hearing

467. (1) Subject to rule 468, before a person may be found in contempt of Court, the person alleged to be in contempt shall be served with an order, made on the motion of a person who has an interest in the proceeding or at the Court’s own initiative, requiring the person alleged to be in contempt

a) de comparaître devant un juge aux date, heure et lieu précisés;

(a) to appear before a judge at a time and place stipulated in the order;

b) d’être prête à entendre la preuve de l’acte qui lui est reproché, dont une description suffisamment détaillée est donnée pour lui permettre de connaître la nature des accusations portées contre elle;

(b) to be prepared to hear proof of the act with which the person is charged, which shall be described in the order with sufficient particularity to enable the person to know the nature of the case against the person; and

c) d’être prête à présenter une défense.

(c) to be prepared to present any defence that the person may have.

Fardeau de preuve

(3) La Cour peut rendre l’ordonnance visée au paragraphe (1) si elle est d’avis qu’il existe une preuve prima facie de l’outrage reproché.

 

Ex parte motion

(2) A motion for an order under subsection (1) may be made ex parte.

Signification de l’ordonnance

(4) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’ordonnance visée au paragraphe (1) et les documents à l’appui sont signifiés à personne.

Service of contempt order

(4) An order under subsection (1) shall be personally served, together with any supporting documents, unless otherwise ordered by the Court.

Outrage en présence d’un juge

468. En cas d’urgence, une personne peut être reconnue coupable d’outrage au tribunal pour un acte commis en présence d’un juge et condamnée sur-le-champ, pourvu qu’on lui ait demandé de justifier son comportement.

Contempt in presence of a judge

468. In a case of urgency, a person may be found in contempt of Court for an act committed in the presence of a judge and condemned at once, if the person has been called on to justify his or her behaviour.

Fardeau de preuve

469. La déclaration de culpabilité dans le cas d’outrage au tribunal est fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable.

Burden of proof

469. A finding of contempt shall be based on proof beyond a reasonable doubt.

Témoignages oraux

470. (1) Sauf directives contraires de la Cour, les témoignages dans le cadre d’une requête pour une ordonnance d’outrage au tribunal, sauf celle visée au paragraphe 467(1), sont donnés oralement.

Evidence to be oral

470. (1) Unless the Court directs otherwise, evidence on a motion for a contempt order, other than an order under subsection 467(1), shall be oral.

 

Témoignage facultatif

(2) La personne à qui l’outrage au tribunal est reproché ne peut être contrainte à témoigner.

Testimony not compellable

(2) A person alleged to be in contempt may not be compelled to testify.

Assistance du procureur général

471. La Cour peut, si elle l’estime nécessaire, demander l’assistance du procureur général du Canada dans les instances pour outrage au tribunal.

Assistance of Attorney General

471. Where the Court considers it necessary, it may request the assistance of the Attorney General of Canada in relation to any proceedings for contempt.

Peine

472. Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner :

Penalty

472. Where a person is found to be in contempt, a judge may order that

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

(a) the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order;

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

(b) the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order;

c) qu’elle paie une amende;

(c) the person pay a fine;

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir;

(d) the person do or refrain from doing any act;

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

(e) in respect of a person referred to in rule 429, the person’s property be sequestered; and

f) qu’elle soit condamnée aux dépens.

(f) the person pay costs.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

T-1019-13

 

INTITULÉ :

ASICS CORPORATION c 9153-2267 QUÉBEC INC. et AL

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 22 novembre 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

le juge en chef CRAMPTON

 

DATE DE L’ORDONNANGE

ET DES MOTIFS :

LE 6 JANVIER 2017

 

COMPARUTIONS :

Kenneth D. Hanna

Christopher D. Langan

pour la demanderesse

 

Henri Simon

POUR LA DÉFENDERESSE ET LA PARTIE TIERCE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ridout & Maybee LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

pour la demanderesse

 

Henri Simon

Simon & Associés

Montreal, Quebec

pour la défenderesse ET LA PARTIE TIERCE

 

 

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