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Date : 20161221


Dossier : IMM-2972-16

Référence : 2016 CF 1402

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

CLAUDIA PATRICIA GOMEZ FLORES (ALIAS CLAUDIA PATRICI GOMEZ FLORES)

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                    Introduction

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la deuxième décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (la SPR), par laquelle la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse. La SPR avait rejeté la demande d’asile de la demanderesse une première fois, dans sa décision initiale; cette décision a toutefois été annulée par le juge Campbell qui a demandé un réexamen de l’affaire.

La demanderesse n’était pas représentée par un avocat en l’espèce, mais elle l’avait été lors des instances précédentes.

[2]               À l’appui de sa demande d’asile, la demanderesse a invoqué le travail qu’accomplissait son époux au Mexique au nom de l’Église catholique, ainsi que les risques qu’elle soit exposée à des menaces et à de la violence si elle retournait dans ce pays. (Elle disait également craindre du fait que les autres pourraient penser qu’elle était riche.)

Les fondements de la demande de la demanderesse sont les mêmes que ceux invoqués pour ces trois enfants dont les demandes d’asile ont été accueillies par la SPR.

II.                 Contexte

[3]               La demanderesse, une citoyenne du Mexique, est arrivée au Canada en 2007 munie d’un permis de travail valide. Elle était accompagnée de son époux, lui aussi détenteur d’un permis de travail valide. Son époux est retourné au Mexique en 2009 pour accomplir du travail communautaire au nom de l’Église catholique.

[4]               Le 26 juin 2014, la SPR a accordé le statut de réfugié à trois enfants de la demanderesse (décision relative aux enfants). Le quatrième enfant de la demanderesse a obtenu la résidence permanente au Canada au titre du parrainage d’un conjoint.

[5]               Dans sa décision relative aux enfants, la SPR a conclu que ces demandeurs étaient crédibles et que le travail de « missionnaire » de leur père, qui militait contre les gangs, les exposait à des risques directement liés aux liens qui existaient entre la famille et le travail du père. La SPR a examiné la demande en tenant compte de la situation dans le pays en cause et conclu que cette situation était conforme à ce qui était indiqué dans la demande d’asile des enfants. Dans sa décision, la SPR a également tenu compte des éléments de preuve documentaires sur les risques d’enlèvement et sur les activités des gangs, en particulier celles du gang Los Zetas.

Tous ces éléments ont amené la SPR à conclure que les enfants étaient exposés à des risques en raison du travail de leur père.

[6]               À la suite de la décision relative aux enfants, la demanderesse a présenté à son tour une demande d’asile en invoquant exactement les mêmes risques. Les incidents cités à l’appui de sa demande étaient pour la plupart survenus avant que soit rendue de la décision relative aux enfants, le 21 mai 2014.

[7]               Dans sa décision initiale (la première décision), la SPR a rejeté la demande d’asile de la demanderesse, en invoquant des questions de crédibilité, des incohérences et l’insuffisance de la preuve.

[8]               Lors de la révision judiciaire de la première décision, le juge Campbell a souligné le fait que la SPR avait accepté la revendication de la demanderesse selon laquelle elle était membre d’un groupe social, celui de la famille de son époux. La SPR a conclu que l’époux de la demanderesse et sa famille étaient exposés à des risques s’ils retournaient au Mexique.

La SPR a toutefois indiqué que la demanderesse devait mieux établir sa cause si elle espérait une décision favorable :

[traduction] Le tribunal accepte la déclaration faite par votre époux en 2012, selon laquelle lui et sa famille ont été menacés, mais il estime que cet élément de preuve ne suffit pas à établir que vous avez été ciblée par les Zetas, que vous êtes exposée à un risque prospectif de persécution en raison de votre relation avec votre époux ou, selon la prépondérance des probabilités, que vous êtes exposée à une menace à votre vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités.

[9]               Le juge Campbell a estimé que cette conclusion, qui était fondamentalement cruciale pour l’examen de la demande d’asile de la demanderesse, n’était pas intelligible parce qu’elle était entachée d’une incohérence interne. Le juge Campbell a donc ordonné le renvoi de l’affaire afin que soit rendue une nouvelle décision.

[10]           Dans sa décision rendue à l’issue du réexamen de l’affaire (la deuxième décision), la SPR a de nouveau rejeté la demande d’asile au motif que les éléments de preuve n’étaient pas suffisamment crédibles et dignes de foi pour rendre une décision favorable. La SPR a notamment relevé certaines cohérences dans la preuve visant à établir que l’époux devait vivre dans la clandestinité.

[11]           Au paragraphe 22 de sa décision, la SPR résume l’affaire comme suit :

[traduction] Dans cette affaire, la demande repose sur des éléments de preuve qui concernent des actes dont l’époux de la demanderesse a été victime au Mexique, une personne avec qui la demanderesse dit ne pas être en contact. [Commentaire du tribunal : Je note que les éléments de preuve sur les contacts familiaux concernent les contacts entre l’époux de la demanderesse et l’un de ses fils.] Ces éléments de preuve ont servi de fondement aux demandes d’asile des enfants, qui ont été accueillies, et ils ont depuis été complétés par des déclarations plus récentes. Cependant, aucune de ces déclarations ne repose sur des éléments précis.

[12]           Il est donc raisonnable de conclure que la SPR n’a pas jugé que les déclarations plus récentes étaient convaincantes. Cependant, la SPR a passé sous silence la décision relative aux enfants et la conclusion voulant que les membres de la famille de l’époux soient exposés à des risques.

III.               Analyse

[13]           Le défendeur soutient qu’il s’agit en l’espèce d’une question de crédibilité devant être examinée en regard de la norme de la décision raisonnable; or, la deuxième décision soulève en fait des questions liées à la fois à l’intelligibilité et au caractère raisonnable de la décision dans son ensemble.

[14]           Il était loisible à la SPR de traiter comme elle l’a fait les « nouvelles déclarations » présentées; cependant, la SPR a omis de tenir compte de l’importance de la décision relative aux enfants invoquée par la demanderesse.

[15]           La demanderesse est un membre de la famille proche de l’époux, au même titre que les enfants. Elle se trouve donc dans une « situation semblable » à celle des enfants, pour ce qui est des risques déjà reconnus par la SPR. On doit présumer que la demanderesse fait face aux mêmes risques que ceux auxquels sont exposées les personnes se trouvant dans une situation semblable, à moins de motifs justifiant l’établissement de distinctions entre les membres de la famille, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[16]           La SPR ne rejette pas la conclusion antérieure concernant le risque occasionné par le travail du père, ni les risques corrélatifs pour les membres de la famille, et elle n’en a même pas tenu compte.

[17]           Il importe peu que la décision soit qualifiée de non intelligible ou de déraisonnable du fait qu’on n’a pas tenu compte du risque pour les personnes dans une « situation semblable », ou qu’elle soit qualifiée d’injuste parce que la SPR a omis de formuler une conclusion précise au sujet de la décision relative aux enfants et de son incidence sur la présente espèce ou a omis de prendre en compte une question importante ou un fait important. Cette décision ne peut pas être validée, quelles que soient les lacunes relevées dans certains des éléments de preuve présentés.

[18]           Bien que cela ne soit certainement pas intentionnel, la recherche par la SPR d’autres incohérences et insuffisances pour étayer la première décision soulève des doutes quant à savoir si la deuxième décision est bien le résultat d’une nouvelle évaluation de l’ensemble de la preuve, ou si elle n’est pas plutôt une simple réaffirmation d’une décision qui avait été annulée par le juge Campbell.

IV.              Conclusion

[19]           Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, la décision de la SPR est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal pour que soit rendue une nouvelle décision.

[20]           Aucune question n’est soumise pour être certifiée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire, annule la décision de la Section de la protection des réfugiés et renvoie l’affaire à un autre tribunal pour que soit rendue une nouvelle décision.

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2972-16

 

INTITULÉ :

CLAUDIA PATRICIA GOMEZ FLORES (ALIAS CLAUDIA PATRICI GOMEZ FLORES) c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 décembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 décembre 2016

 

COMPARUTIONS

Claudia Gomez Flores

 

Pour la demanderesse

(Pour son propre compte)

Kathleen Pinno

Galina Bining

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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