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Date : 20161221


Dossier : IMM-5160-16

Référence : 2016 CF 1406

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2016

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

MAKADOR ALI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  M. Ali a été placé sous la garde des services d’immigration en mars 2015. Conformément à la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (LIPR), la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a procédé à un contrôle de la détention tous les 30 jours depuis. La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 1er décembre 2016 par laquelle la Commission tranchait que M. Ali devait rester en détention aux motifs qu’il présente un risque de fuite et qu’il constitue un danger pour la société. M. Ali soutient que sa détention a désormais une durée indéterminée et que la Commission a tort de prétendre qu’il refuse de coopérer. Il estime n’avoir aucune obligation légale de participer aux démarches visant à l’expulser vers la Somalie et que son maintien en détention porte atteinte aux droits que lui garantit la Charte.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je conclus que la Commission a soupesé de manière adéquate les facteurs favorables et défavorables à la mise en liberté de M. Ali, et je trouve raisonnable la décision de la Commission de maintenir M. Ali en détention. La présente demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II.  Résumé des faits

[3]  M. Ali est né en Somalie et il est arrivé au Canada en tant que réfugié en 1996. Il a obtenu la qualité de résident permanent en 2001.

[4]  De 2001 à 2014, M. Ali a été reconnu coupable notamment d’infractions de possession d’une substance contrôlée, de vol et de voies de fait, d’avoir résisté à son arrestation, de manquement à un engagement, de méfait et de voies de fait, ainsi que d’entrave à un agent de police.

[5]  En 2009, l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a publié un rapport d’interdiction de territoire pour grande criminalité contre M. Ali. En septembre 2011, l’ASFC a publié un second rapport d’interdiction de territoire parce qu’elle soupçonnait M. Ali d’appartenir au gang de rue les « Bloods ».

[6]  Le 27 novembre 2013, alors qu’il était en liberté sous caution de la garde de l’immigration, M. Ali a été inculpé de tentative de meurtre, de voies de fait graves et de séquestration. Le 29 novembre 2013, l’ASFC a lancé un mandat d’arrestation contre M. Ali pour violation des conditions de sa mise en liberté.

[7]  En mars 2015, il a de nouveau été placé sous la garde de l’ASFC parce qu’elle avait estimé qu’il représentait un danger pour le public et présentait un risque de fuite. Même si les accusations criminelles de tentative de meurtre, de voies de fait graves et de séquestration ont été abandonnées, M. Ali est toujours sous la garde de l’immigration.

[8]  En décembre 2015, le ministre a publié un avis en application de l’alinéa 115(2)a) de la LIPR comme quoi M. Ali constituait un danger pour le public (avis de danger).

[9]  Des mesures de renvoi vers la Somalie ont été prises contre M. Ali, mais leur exécution a été retardée parce que le transporteur aérien qui dessert cette région a posé la condition que M. Ali signe un document. M. Ali refuse de signer ce document.

[10]  Une demande d’autorisation de contrôle judiciaire de la décision du 1er décembre 2016 a été accueillie de façon accélérée.

III.  Décision du 1er décembre 2016

[11]  Dans sa décision du 1er décembre 2016 concernant le contrôle de la détention de M. Ali, la Commission prend en compte les facteurs visés à l’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, soit le motif de la détention; sa durée; l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention; les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence, et l’existence de solutions de rechange à la détention.

[12]  La Commission précise qu’aucun document nouveau n’a été déposé. Elle a notamment pris en compte les déclarations de culpabilité antérieures pour des infractions liées aux drogues et à la violence commises par M. Ali. La Commission a aussi pris en considération les soupçons qui pèsent contre lui relativement à l’appartenance à un gang et son manquement aux conditions d’une mise en liberté dans le passé.

[13]  Selon elle, M. Ali refuse de coopérer en ne signant pas la déclaration du transporteur aérien et en n’acceptant pas de rencontrer les agents chargés du renvoi. En ce qui concerne le plan de libération que lui a soumis M. Ali, la Commission estime que c’est le même dont elle avait été saisie précédemment. Toutefois, quand il a été interrogé au sujet de ce plan, M. Ali a informé la Commission qu’il n’avait rencontré personne à ce sujet. En outre, aucune évaluation n’a été effectuée concernant ses problèmes de toxicomanie.

[14]   Même si la Commission reconnaît que M. Ali est détenu depuis longtemps, elle juge qu’en l’absence d’un plan approprié, sa libération n’est pas justifiée parce que la protection du public est toujours en jeu et qu’il présente un risque de fuite. Quant aux questions relatives à la Charte soulevées par M. Ali, la Commission a tranché qu’il n’y avait eu aucune violation.

IV.  Question en litige

[15]  Il n’est pas controversé entre les parties que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (voir Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Lunyamila, 2016 CF 1199 [Lunyamila], aux paragraphes 20 et 21). Par conséquent, la seule question à trancher est de savoir s’il était raisonnable de la part de la Commission de maintenir M. Ali en détention.

V.  Discussion

[16]  M. Ali soutient qu’il est déraisonnable pour la Commission de prétendre qu’il refuse de coopérer. Il fait valoir que cette description de son comportement a entraîné sa détention pendant une période indéterminée. Il ajoute que son refus de signer la déclaration solennelle du transporteur aérien a été mépris pour une absence de coopération puisque, fait-il valoir, il n’a aucune obligation légale de signer ce document. En outre, la signature du document pourrait mettre sa vie en péril en Somalie puisqu’il lui est demandé d’y identifier sa tribu. Il invoque à cet égard la décision Warssama c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1311 [Warssama].

[17]  Toutefois, les faits de l’espèce diffèrent de ceux de l’affaire Warssama, notamment parce que le maintien en détention n’y était pas justifié par l’existence d’un danger pour le public. En outre, la décision Warssama porte sur une période de détention beaucoup plus longue (57 mois).

[18]  En ce qui concerne le refus de signer un formulaire du transporteur aérien qui permettrait son renvoi, le juge en chef s’est récemment prononcé sur la question dans la décision Lunyamila (au paragraphe 85) :

Ceci dit, il vaut la peine de souligner que lorsque le détenu constitue un danger pour le public, l’esprit de la LIPR et du Règlement prévoit qu’un poids substantiel doit être accordé au maintien de la détention. Cela est encore plus vrai lorsqu’il semble que les conditions de libération qui permettraient d’éliminer presque complètement le danger que représente le détenu pour le public sur une base quotidienne n’ont pas été déterminées. Dans ces circonstances, et lorsque le détenu est en grande partie responsable de la durée de sa détention de par son refus de coopérer avec les efforts du ministre pour l’expulser du Canada, trois facteurs prévus à l’article 248 du Règlement militeraient fortement en faveur du maintien de la détention.

[19]  Cependant, l’absence de coopération de M. Ali ne se manifeste pas seulement par son refus de signer le document du transporteur aérien. M. Ali refuse catégoriquement de coopérer avec l’ASFC. Il a notamment refusé à deux occasions distinctes de rencontrer les agents chargés du renvoi au cours de la dernière période visée par le contrôle. Il s’agit de facteurs que la Commission est tout à fait fondée à considérer dans une ordonnance de maintien en détention.

[20]  Même si M. Ali estime que son maintien en détention est inconstitutionnel, ce n’est pas suffisant pour justifier une intervention. Le facteur déterminant en l’espèce est celui du danger pour le public (voir Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9, aux paragraphes 108 à 110; Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 876, aux paragraphes 25 et 26).

[21]  Après avoir pris en considération les problèmes de santé évoqués par M. Ali, la Commission a jugé qu’ils n’étaient pas assez graves pour justifier une intervention. Elle a en outre conclu que ces problèmes ne placeraient pas M. Ali à risque de subir un traitement cruel et inusité.

[22]  M. Ali soutient qu’il a présenté un plan de libération [traduction] « solide et viable », mais la Commission ne partage pas cet avis. Elle a jugé ce plan insuffisant, en faisant observer qu’il lui avait déjà été soumis. Par exemple, il y est prévu que M. Ali fréquentera l’école, alors qu’aucune disposition n’a été mise en place à cet égard. M. Ali affirme qu’il a des problèmes de toxicomanie, mais il n’est jamais question dans le plan d’un éventuel traitement ou service de counseling. La Commission s’est aussi inquiétée que M. Ali n’ait jamais eu de rencontre avec le pasteur Markel ou un autre intervenant de la Freedom House d’Ottawa, alors que ces rencontres sont présentées comme jouant un rôle central dans son plan de libération. Enfin, le plan ne fait aucune allusion au type de surveillance dont M. Ali devra faire l’objet après sa mise en liberté ou au responsable de cette surveillance. La Commission a raisonnablement tenu compte du plan, mais ses préoccupations sont légitimes.

[23]  Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau les éléments de preuve dont la Commission a été saisie (voir Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61). Les questions de savoir si M. Ali constitue un danger pour le public ou s’il risque de ne pas se présenter en vue de son renvoi relèvent du domaine d’expertise de la Commission, et son jugement mérite la déférence de la Cour.

[24]  La Commission était justifiée de maintenir M. Ali en détention, et sa décision appartenait aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (voir Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). Par conséquent, la décision est raisonnable.

VI.  Conclusion

[25]  Pour les motifs énoncés précédemment, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et les faits de l’espèce n’en soulèvent aucune.


JUGEMENT

LA COUR rejette la demande de contrôle judiciaire. Aucune question n’est certifiée.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de septembre 2019

Lionbridge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5160-16

INTITULÉ :

MAKADOR ALI c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 décembre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DES MOTIFS :

Le 21 décembre 2016

COMPARUTIONS :

Arghavan Gerami

Pour le demandeur

Thomas Finlay

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arghavan Gerami

Avocat

Ottawa (Ontario)

Pour le demandeur

Ministère de la Justice

Section du litige civil

Ottawa (Ontario)

Pour le défendeur

 

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