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Date : 2016122


Dossier : T-400-16

Référence : 2016 CF 1408

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 décembre 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

RICHARD TUDOR PRICE

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Richard Tudor Price, sollicite le contrôle judiciaire, en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7 (la LCF), de la décision datée du 12 février 2016 par laquelle M. Brian Gray, sous-ministre adjoint (SMA) d’Agriculture et Agroalimentaire Canada (AAC), a fait droit au grief initial que M. Tudor Price a présenté en 2011, conformément à l’article 208 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, art. 2 (LRTFP) et a accordé la mesure de redressement initialement demandée.

I.  Aperçu

[2]  M. Tudor Price souhaite soumettre la décision de M. Gray à un contrôle judiciaire parce que, selon lui, il n’a eu gain de cause qu’en partie. Il soutient que cette décision, bien que rendue en sa faveur, n’est pas raisonnable car : M. Gray s’est borné à régler le grief initial et a conclu que les autres allégations, arguments et redressements demandés débordaient le cadre du grief, et les motifs qu’il a invoqués pour faire droit au grief n’expliquent pas comment il est arrivé à la décision et sont inintelligibles.

[3]  M. Tudor Price soutient que des informations qui lui ont été fournies après qu’il a pris sa retraite d’AAC en juin 2011 ont apporté un éclairage différent à la situation, telle qu’il la connaissait à l’époque, et ont révélé, notamment, que des cadres supérieurs s’étaient comportés de manière trompeuse et avec mauvaise foi en lien avec son évaluation du rendement relative à l’année 2010-2011. Il soutient maintenant que sa démission, donnée en 2011, devrait être nulle et sans effet et qu’on devrait le réintégrer à son poste antérieur avec rétroactivité de salaire, en plus de plusieurs autres mesures de redressement, dont des dommages-intérêts.

[4]  Bien qu’il soit inusité de solliciter le contrôle judiciaire d’une décision favorable, il semble que M. Tudor Price veuille une autre possibilité de faire examiner ses allégations supplémentaires et son grief d’une plus grande portée. Il suggère que la Cour donne des directives précises en vue d’un nouvel examen de son grief et/ou en vue d’un jugement déclaratoire exigeant qu’un nouveau décideur examine ses allégations et ses demandes de redressement supplémentaires, ou prescrive que l’on accorde des mesures de redressement supplémentaires.

[5]  Bien que M. Tudor Price soit manifestement insatisfait de la manière dont des cadres supérieurs d’AAC se sont comportés durant les dernières années de sa longue carrière dans la fonction publique, et insatisfait aussi du processus de règlement des griefs, la présente demande de contrôle judiciaire n’est axée sur que la question de savoir si la décision de M. Gray est raisonnable.

[6]  Pour les motifs plus détaillés qui suivent, je conclus que la décision de M. Gray est raisonnable. Ce dernier a conclu de manière raisonnable que les allégations supplémentaires qu’évoquait M. Tudor Price débordaient le cadre du grief initial, que les délais prévus pour modifier le grief étaient expirés et qu’AAC n’avait pas consenti à modifier le grief. Il a conclu aussi de manière raisonnable qu’il y avait lieu de faire droit au grief initial de M. Tudor Price. Bien qu’ils soient concis, les motifs de M. Gray permettent à la Cour de déterminer que la totalité des éléments de preuve ont été pris en compte et compris. Ces motifs saisissaient l’essentiel du grief initial de M. Tudor Price, qui a été modifié en octobre 2011. M. Gray a accordé la mesure de redressement correspondante et appropriée.

[7]  Les mesures de redressement que M. Tudor Price continue de demander sont manifestement redondantes. Maintenant qu’il a obtenu ce qu’il souhaitait au départ, soit la cote de rendement « Atteint » et des rajustements de salaire et de pension, les mesures de redressement correspondant aux allégations supplémentaires, même si ces dernières avaient été établies devant l’instance compétente, n’ont pas de raison d’être. Comme il l’a lui-même indiqué, la contrepartie a été accordée. Il ne peut pas recevoir à la fois une rémunération au rendement et des redressements de salaire et de pension et être réintégré rétroactivement avec salaire pour la période écoulée depuis 2011 (période pendant laquelle il ne travaillait pas et touchait sa pension).

[8]  Par ailleurs, les autres allégations de M. Tudor Price, dont la tromperie et la mauvaise foi d’AAC, ont été examinées par la Commission des relations de travail dans la fonction publique (la CRTFP) en 2012 et celle-ci a jugé qu’elles étaient sans fondement. Notre Cour a confirmé la décision de la CRTFP.

[9]  M. Tudor Price a sollicité un contrôle judiciaire à trois occasions précédentes, toutes en lien avec des décisions découlant de la même série de circonstances. Il a aussi indiqué à la Cour qu’il continue de poursuivre d’autres actions, dont une demande de contrôle judiciaire concernant le rejet d’un grief ultérieur dans lequel sont formulées contre AAC les mêmes allégations de mauvaise foi, de faute dans l’exercice d’une charge publique et d’autres délits.

[10]  Dans sa décision, M. Gray accorde la mesure de redressement que M. Tudor Price souhaitait obtenir au départ et remet ce dernier dans la situation où il s’attendait à se trouver au moment de prendre sa retraite. M. Tudor Price devrait envisager d’accepter le succès qu’il a obtenu dans le cadre de son grief. Il est au mieux des intérêts des deux parties que la décision soit considérée comme définitive.

[11]  Les motifs du jugement qui suivent ont trait à la majeure partie des observations de M. Tudor Price, lesquelles ont toutes été examinées avec soin et sont, de ce fait, assez longues.

II.  Contexte

[12]  Pour situer l’affaire dans son contexte, voici un résumé de toutes les procédures de règlement des griefs que M. Tudor Price a engagées. Une description semblable a été faite par la juge Elizabeth Heneghan dans la décision Price c Canada (Procureur général), 2015 CF 696 [Price 2015] ainsi que par le juge Simon Fothergill dans la décision Price c Canada (Procureur général), 2016 CF 649 [Price 2016].

[13]  M. Tudor Price est entré au service de la fonction publique en 1975. Il a commencé à travailler à AAC en 1982 et y a exercé des fonctions de direction (niveau EX 1) à partir de 1986.

[14]  Dans la fonction publique, les cadres supérieurs sont évalués une fois par année. Le Programme de gestion du rendement pour les cadres supérieurs prévoit plusieurs cotes de rendement, depuis « Pas en mesure d’évaluer » jusqu’à « Surpassé », de pair avec une série de critères permettant de déterminer quelle cote devrait s’appliquer. Ces cotes servent à déterminer les primes de rendement accordées à ceux qui se situent au sommet de leur échelle salariale.

[15]  En 2010, M. Tudor Price était en train de négocier une mutation de préretraite à une autre direction générale, mutation qui était subordonnée à un engagement de sa part à prendre sa retraite dans un délai de deux ans. Lors de discussions concernant sa cote de rendement concernant l’année 2009‑2010, il a rencontré Mme Catherine MacQuarrie, qui, à cette époque, occupait le poste de SMA, Ressources humaines. M. Tudor Price relate que la SMA MacQuarrie et lui ont convenu que sa cote de rendement « Atteint– » (c.-à-d. « Atteint moins ») pour 2009-2010 serait relevée à « Atteint ». Ils ont également convenu que s’il obtenait une évaluation de rendement favorable des deux directeurs généraux dont il relevait pour l’année financière 2010-2011, sa cote de rendement pour cette année-là serait « Atteint » et qu’il prendrait sa retraite le 30 juin 2011 au plus tard. M. Tudor Price a qualifié cette mesure d’« immunité » contre une cote de niveau inférieur.

[16]  M. Tudor Price a pris sa retraite le 30 juin 2011.

[17]  Le 2 août 2011, on l’a informé que sa cote de rendement pour la période d’examen 2010‑2011 était « Atteint – ». Ce résultat se soldait par une prime de rendement inférieure de 4 760 $ à celle qui était prévue pour la cote « Atteint » et il allait avoir une incidence sur la pension qu’il toucherait dorénavant.

Le grief initial

[18]  Le 5 août 2011, M. Tudor Price a présenté un grief par courriel, demandant que l’on change sa cote de rendement pour « Atteint ». Il a modifié ce grief par courriel le 4 octobre 2011.

[19]  Son courriel indiquait que la cote « Atteint – » pour l’année 2010-2011 était contraire à l’entente qu’il avait conclue avec la SMA MacQuarrie. Il a écrit que sa lettre de démission était subordonnée à la mise en application de l’entente.

[20]  M. Tudor Price a demandé que sa cote pour 2010-2011 soit changée pour « Atteint », que l’on préserve les documents qu’il avait transmis par courrier électronique en attendant que le grief soit réglé et qu’on lui fournisse des renseignements sur les prochaines mesures à prendre au cas où son grief serait rejeté.

[21]  Le 30 septembre et le 4 octobre 2011, M. Tudor Price a envoyé au SMA Steve Tierney des courriels contestant la raison qui avait été invoquée pour la cote « Atteint – », laquelle raison était liée à des préoccupations concernant des projets relatifs à la Saskatchewan et à Terre-Neuve. M. Tudor Price a signalé qu’on ne lui avait pas parlé de ces préoccupations avant d’évaluer son rendement.

[22]  Dans son courriel daté du 4 octobre 2011, M. Tudor Price écrit : [traduction« J’aimerais que l’inexactitude de ces allégations, la façon injuste dont elles ont été soumises à des SMA sans que je le sache ou sans rétroaction, ainsi que l’atteinte injustifiée à ma réputation soient examinées dans le cadre du grief ».

La première décision, la décision de la CRTFP et les demandes de contrôle judiciaire déposées en 2013 et en 2015

[23]  Le grief de M. Tudor Price a été rejeté le 24 février 2012 par Mme Johanne Bélisle, SMA, Direction générale des ressources humaines.

[24]  M. Tudor Price a ensuite soumis son grief à la CRTFP. Cette dernière a conclu qu’elle n’avait pas compétence, en vertu du paragraphe 209(1) de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, LC 2003, c 22, article 2 (LRTFP), pour se prononcer sur un grief relatif à une évaluation de rendement ou à une rémunération au rendement. La CRTFP n’a relevé aucune preuve de mauvaise foi, de mesure disciplinaire déguisée ou de licenciement pour toute autre raison de la part d’AAC, ce qui aurait pu faire tomber le grief sous le coup de l’article 209 (Tudor Price c Administrateur général (Ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire), 2013 CRTFP 57 [Price 2013]).

[25]  La juge Mary Gleason a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Tudor Price contre la décision de la CRTFP sans préjudice de son droit de soumettre à un contrôle judiciaire la décision rendue par AAC au dernier palier de la procédure de règlement des griefs (Richard Tudor Price c Conseil du Trésor (Canada)( Ministère de l’Agriculture et de l’Agroalimentaire) (31 mars 2014), Ottawa T-1074-13 (CF) [Price 2014]). Elle a conclu que la CRTFP n’avait pas commis d’erreur en concluant que le grief ne pouvait pas être renvoyé à l’arbitrage car il n’avait pas trait à un licenciement ou à une mesure disciplinaire.

[26]  M. Tudor Price a obtenu une prorogation du délai prescrit pour solliciter le contrôle judiciaire de la décision rendue au dernier palier de la procédure de règlement des griefs, et il l’a fait.

[27]  Le 1er juin 2015, la juge Heneghan a conclu que la SMA Bélisle s’était fondée sur des documents qui n’avaient pas été communiqués à M. Tudor Price – plus précisément le document intitulé [traduction] « Rendement au travail de l’auteur du grief – Explication » – et qu’il y avait eu, de ce fait, un manquement à l’équité procédurale (Price 2015). Elle a infirmé la décision, en signalant que « l’affaire sera réexaminée à la lumière des présents motifs » (paragraphe 38).

[28]  Le grief a été réexaminé par M. Gray, à la suite d’une nouvelle audience tenue en janvier 2016.

Les observations de M. Tudor Price à M. Gray

[29]  M. Tudor Price a rédigé un exposé d’une longueur de 27 pages en prévision de la nouvelle audition de son grief. Le défendeur convient qu’étant donné qu’il n’y a aucune transcription de cette audience, cet exposé reflète les observations que M. Tudor Price a soumises à M. Gray.

[30]  Dans ses observations, M. Tudor Price a fait un compte rendu très détaillé de l’entente conclue avec la SMA MacQuarrie au sujet de ses cotes de rendement pour les années 2009-2010 et 2010-2011, de la notification qui lui a été faite (après qu’il a pris sa retraite) de la cote « Atteint – », de même que des diverses explications que la haute direction lui a fournies.

[31]  Un grand nombre des observations portaient sur sa cote de rendement concernant l’année 2009-2010, qui ne faisait pas l’objet du grief. Notamment :

  • M. Tudor Price a contesté le fondement de sa cote « Atteint – »;
  • M. Tudor Price a demandé à M. Gray de conclure que son emploi avait pris fin à cause des agissements de gestionnaires supérieurs d’AAC entre les mois d’avril 2010 et de juin 2011, qui, dans l’ensemble, équivalaient à obtenir sa démission par tromperie. Cela avait consisté, notamment, à lui fournir de fausses informations de mauvaise foi, ce qui avait pour effet d’annuler sa démission, de porter atteinte à sa réputation et de lui occasionner des frais et des dommages-intérêts;

[32]  M. Tudor Price a affirmé que l’élément déclencheur avait été une décision antérieure d’abaisser sa cote de rendement concernant l’année 2009-2010. Il a qualifié l’entente conclue avec la SMA MacQuarrie de [traduction« compromis » dans le cadre duquel il avait renoncé à la chance de travailler dans une autre direction générale, il avait renoncé à des congés de maladie accumulés et s’était engagé à prendre sa retraite en juin 2011, en échange d’une immunité contre l’abaissement de ses cotes de rendement concernant les années 2009-2010 et 2010-2011. Il a déclaré que si on ne l’avait pas induit en erreur au sujet des critères relatifs à sa cote de rendement concernant l’année 2009-2010, il n’aurait peut-être pas accepté cette entente. Il a ajouté que si on l’avait informé,  avant qu’il prenne sa retraite, que sa cote de rendement pour l’année 2010-2011 serait « Atteint – », il aurait [TRADUCTION« probablement » retiré sa lettre de démission.

[33]  M. Tudor Price a demandé plusieurs mesures de redressement, dont les suivantes :

  • que M. Gray conclue que son « licenciement » avait été involontaire;
  • qu’on le réintègre à un poste de niveau EX 1 rétroactivement à juin 2011;
  • qu’on lui accorde le salaire, les avantages sociaux et la rémunération à risque pour les années 2011-2012 à 2015-2016, avec intérêts;
  • qu’on annule sa cote de rendement concernant l’année 2010-2011, que la cote « Atteint » s’applique, que la différence de rémunération au rendement (4 760 $) soit payée avec intérêts et que sa pension soit rajustée en conséquence;
  • les dépens liés à la totalité de son litige;
  • des frais de déplacement et des frais occasionnés par la tenue d’un bureau à domicile, d’un montant total de 24 000 $;
  • des dommages-intérêts généraux, spéciaux et majorés pour diffamation , atteinte à sa réputation, déclarations inexactes et frauduleuses et enquête négligente (tout cela en plus des montants susmentionnés), faute dans l’exercice d’une charge publique, y compris entrave à la procédure et rupture de contrat de mauvaise foi.

L’action en responsabilité délictuelle : Price 2016

[34]  Avant de recevoir la décision de M. Gray, M. Tudor Price a lancé une action et déposé une déclaration dans laquelle il alléguait qu’AAC avait eu une conduite délictuelle, ce qui incluait le fait que les [traduction« mesures prises par des fonctionnaires d’AAC dans le cadre du traitement de son grief en 2011 constituent une faute dans l’exercice d’une charge publique ». Le procureur général a demandé que la déclaration soit radiée.

[35]  Dans la décision Price 2016 (précitée), le juge Fothergill a conclu ce qui suit (au paragraphe 34) :

[traduction] Je suis convaincu que le processus de règlement des griefs que prévoit la LRTFP constitue le seul mécanisme par l’entremise duquel M. Tudor Price peut solliciter un redressement pour les mauvais traitements que ses supérieurs et son employeur lui ont fait censément subir. Il convient donc de radier la déclaration dans son intégralité sans autorisation de modification (Bron). La question de savoir si AAC a réglé comme il faut la totalité des allégations et des mesures de redressement dont M. Tudor Price a fait état dans son grief est une autre affaire, et elle sera examinée dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire qu’il a déposée en même temps (dossier de la Cour no T-400-16).

La référence T-400-16 désigne la présente demande de contrôle judiciaire concernant la décision de M. Gray.

III.  La décision faisant l’objet du présent contrôle

[36]  Dans sa décision datée du 12 février 2016, M. Gray a fait droit au grief initial et conclu que la cote de rendement de M. Tudor Price pour la période d’examen de 2010-2011 devrait être changée pour « Atteint » et que son salaire et ses prestations de retraite devraient être rajustés en conséquence.

[37]  M. Gray a fait remarquer que l’objet du grief était la cote de rendement « Atteint – » qui ne correspondant pas à l’entente que M. Tudor Price avait convenue avec la SMA MacQuarrie, à savoir que sa cote ne serait pas inférieure à « Atteint ». M. Gray a pris acte de la modification apportée au grief en octobre 2011 pour demander que les raisons invoquées pour cette cote, la manière dont ces raisons avaient été communiquées à d’autres SMA d’AAC, de même que la présumée atteinte à la réputation de M. Tudor Price, soient prises en considération dans le cadre de son grief.

[38]  M. Gray a fait remarquer que tous les documents qui avaient été soumis au décideur ont été fournis à M. Tudor Price, dont le document intitulé [traduction] « Rendement au travail de l’auteur du grief – Explication », qui ne lui avait pas été communiqué antérieurement. M. Tudor Price a également eu la possibilité d’y répondre.

[39]  M. Gray a fait remarquer qu’il répondait seulement au grief déposé le 5 août 2011, et modifié le 4 octobre 2011. Il a reconnu que M. Tudor Price avait soulevé à la nouvelle audience des allégations supplémentaires et réclamé des mesures de redressement supplémentaires dont il n’avait pas fait état dans son grief initial ou dans la modification apportée en octobre 2011. M. Gray a reconnu qu’AAC n’avait pas consenti à d’autres modifications. Il a signalé la demande de dépens de M. Tudor Price, mais a conclu que l’instance devant laquelle demander les dépens était le tribunal ou l’office applicable et que la Cour fédérale avait adjugé des dépens en juin 2015.

[40]  M. Gray a indiqué qu’il avait pris en considération [traduction« la totalité des renseignements fournis en rapport avec la nouvelle audition de votre grief, y compris les arguments que vous avez présentés au sujet de la cote de rendement concernant l’année 2010-2011. Je conclus qu’il aurait fallu vous faire part de votre cote de rendement avec plus d’explications et d’éclaircissements. En conséquence, je fais droit à votre grief initial ainsi qu’aux mesures correctives demandées ».

[41]  M. Gray a prescrit que la cote de rendement de M. Tudor Price soit changée pour « Atteint » et que l’on apporte les rajustements appropriés à son salaire et à sa pension.

IV.  Les questions en litige

[42]  M. Tudor Price soutient que M. Gray a commis une erreur en ne traitant pas des allégations de mauvaise foi et d’atteinte à sa réputation, en omettant de traiter de l’allégation selon laquelle sa démission n’était pas valide parce qu’elle avait été obtenue par tromperie, en soutenant le refus d’AAC de modifier son grief afin d’y inclure des allégations supplémentaires, en fournissant des motifs insuffisants et en omettant de prendre en compte des mesures de redressement supplémentaires, dont sa réintégration et des dommages-intérêts pour atteinte à sa réputation.

[43]  M. Tudor Price soutient que la Cour devrait faire droit à sa demande de contrôle judiciaire et renvoyer son grief à AAC en vue de la tenue d’une nouvelle audience complète, en prescrivant de prendre en considération la totalité de ses allégations formulées et des mesures de redressement demandées.

[44]  Il soutient, subsidiairement, qu’il est peut-être inutile de renvoyer une fois de plus son grief en vue d’une nouvelle décision parce que le processus de règlement des griefs est dysfonctionnel. Il ajoute que la présente demande de contrôle judiciaire devrait être transformée en une action en dommages-intérêts conformément au paragraphe 18.4(2) de la LCF afin qu’il puisse poursuivre ses demandes de dommages-intérêts contre AAC pour faute dans l’exercice d’une charge publique ainsi que d’autres délits.

[45]  M. Tudor Price soulève de nombreuses questions, mais celle qu’il convient de trancher dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire consiste à déterminer le caractère raisonnable de la décision de M. Gray. Premièrement, s’il était raisonnable que M. Gray limite sa décision au grief initial et, deuxièmement, si la décision de M. Gray de faire droit au grief initial était raisonnable, en ce sens que les motifs invoqués étaient intelligibles et indiquaient pourquoi la décision avait été rendue.

V.  La norme de contrôle applicable

[46]  C’est la norme de la raisonnabilité qui s’applique aux décisions rendues au dernier palier de la procédure de règlement des griefs (Peck c Parcs Canada, 2009 CF 686, au paragraphe 20; Hagel c Canada (Procureur général), 2009 CF 329, aux paragraphes 19 à 27, conf. par Hagel c Canada (Procureur général), 2009 CAF 364).

[47]  Le rôle de la présente Cour, au stade du contrôle judiciaire, consiste à déterminer si la décision :

[…] fait partie des « issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, par. 47). Il peut exister plus d’une issue raisonnable. Néanmoins, si le processus et l’issue en cause cadrent bien avec les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, la cour de révision ne peut y substituer l’issue qui serait à son avis préférable.

(Canada (Citoyenneté et de Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59)

[48]  Le caractère insuffisant des motifs d’une décision n’est pas une raison indépendante pour faire droit à une demande de contrôle judiciaire. Dans l’arrêt Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses], la Cour suprême du Canada a donné des précisions sur les exigences qui sont énoncées dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir]; elle a signalé (aux paragraphes 14 à 16) que le décideur n’est pas tenu d’indiquer dans ses motifs la moindre raison ou le moindre argument, ni la totalité des détails. Le décideur n’est pas non plus tenu de tirer une conclusion explicite sur chacun des éléments qui mènent à la conclusion finale. Les motifs doivent être « […] être examinés en corrélation avec le résultat et ils doivent permettre de savoir si ce dernier fait partie des issues possibles » (paragraphe 14). De plus, s’il y a lieu, les tribunaux peuvent examiner le dossier « […] pour apprécier le caractère raisonnable du résultat » (paragraphe 15).

[49]  M. Tudor Price a souligné une décision plus récente de la Cour suprême du Canada : Canada (Procureur général) c Igloo Vikski Inc., 2016 CSC 38, au paragraphe 18 [Igloo Vikski], dans laquelle le juge Brown a décrit en ces termes la norme de contrôle de la raisonnabilité (ou « décision raisonnable ») :

Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable s’intéresse au caractère raisonnable du résultat concret de la décision ainsi qu’au raisonnement qui l’a produit. Le raisonnement doit démontrer « la justification de la décision, […] la transparence et […] l’intelligibilité du processus décisionnel » (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, par. 47). Le résultat concret et les motifs, examinés ensemble, doivent servir à démontrer que le résultat appartient aux issues possibles (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre‑Nerre‑et‑Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708, par. 14). Si l’insuffisance des motifs d’un tribunal administratif ne justifie pas à elle seule le contrôle judiciaire, il faut néanmoins que les motifs « expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (Newfoundland Nurses, par. 18, citant Société canadienne des postes c. Alliance de la Fonction publique du Canada, 2010 CAF 56, [2011] 2 R.C.F. 221, par. 163 (le juge Evans, dissident), inf. par 2011 CSC 57, [2011] 3 R.C.S. 572).

[Non souligné dans l’original]

VI.  Le fait que M. Gray ait limité sa décision au grief initial est-il raisonnable?

Les observations du demandeur

[50]  M. Tudor Price soutient que M. Gray a commis une erreur en concluant que le défaut d’AAC de consentir à ce que le grief soit modifié était raisonnable.

[51]  Il soutient que les exigences officielles d’un grief ne sont pas d’ordre pratique et sont incompatibles avec la politique générale selon laquelle les griefs doivent être réglés de manière informelle et rapide. Il ajoute que son grief initial n’avait pas à être présenté sous une forme particulière et il se demande pourquoi AAC devrait maintenant se fonder sur des délais officiels. Il ajoute qu’il arrive souvent que les auteurs d’un grief affinent leur grief jusqu’au moment où celui-ci est tranché.

[52]  Il signale que la juge Heneghan a conclu qu’il y avait eu un manquement à l’équité procédurale dans le règlement de son grief et qu’elle a ordonné que l’« affaire » soit réexaminée (Price 2015), au paragraphe 38). L’« affaire », comme il le soutient, a plus d’extension que son grief initial et qu’il était en droit de soulever de nouvelles allégations, de nouveaux arguments et de nouveaux éléments de preuve en lien avec l’« affaire ».

[53]  M. Tudor Price invoque l’arrêt Chopra c Canada (Procureur général), 2015 CAF 206, au paragraphe 8 [Chopra], dans lequel la Cour d’appel a conclu que le nouvel examen serait une nouvelle décision et que l’appelant pourrait invoquer de nouvelles questions à la nouvelle audience.

[54]  M. Tudor Price soutient aussi, ou subsidiairement, que ses allégations supplémentaires ne sont pas vraiment nouvelles. Il ajoute que la nature de son grief n’a pas changé et qu’AAC était au courant des allégations. Il invoque la décision Canada c Rinaldi, [1997] ACF No 225 (QL) (1re inst.) [Rinaldi], dans laquelle la Cour a comparé le libellé du grief initial et les allégations formulées au stade de l’arbitrage et a conclu que la nature du grief n’avait pas changé, signalant que l’employeur était au courant depuis le début des allégations.

[55]  Il ajoute que sa demande de réintégration n’est pas un nouveau redressement parce que cela faisait implicitement partie de son grief initial; sa démission était la contrepartie de l’obtention d’une cote « Atteint ».

[56]  M. Tudor Price soutient qu’AAC était au courant de ses allégations depuis son renvoi à la CRTEFP. De plus, il a établi et a envoyé un [traduction« aperçu » des allégations, y compris la tromperie et la duplicité d’AAC, à Mme Christine Buwalda, la conseillère en ressources humaines d’AAC, le 8 septembre 2015. Il soutient que ces allégations reflètent mieux la conduite dont il est aujourd’hui pleinement au courant et qu’il est nécessaire d’accorder des redressements plus importants en vue de corriger les torts qu’il allègue.

[57]  M. Tudor Price reconnaît que, dans l’échange de courriels avec AAC à l’automne de 2015 au sujet de l’audience de réexamen, AAC a indiqué que l’on ne prendrait pas en considération ses nouvelles allégations. Il reconnaît avoir compris qu’AAC restreindrait le grief et exclurait les questions découlant de renseignements qui lui avaient été communiqués après l’audition de son premier grief. Il explique que c’est la raison pour laquelle il a lancé une action contre AAC en vue d’obtenir un redressement pour, notamment, faute dans l’exercice d’une charge publique, négligence et mauvaise foi de la part d’AAC.

[58]  M. Tudor Price explique de plus qu’il a présenté à AAC un nouveau grief, fondé sur la décision du juge Fothergill (Price 2016), qui a radié sa déclaration et conclu que ses allégations découlaient de son statut d’employé et que, de ce fait, les redressements qu’il demandait ne pouvaient être examinés que dans le cadre du processus de règlement de grief. Le nouveau grief allègue, notamment, qu’il y a eu mauvaise foi et tromperie pour l’amener à démissionner, qui sont les mêmes allégations que celles qui sont énoncées dans la déclaration qui a été radiée. Ce grief a été rejeté sans la tenue d’une audience. Il a sollicité le contrôle judiciaire de ce rejet.

[59]  Il explique qu’il continue d’avancer les mêmes allégations dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire parce que le juge Fothergill a fait remarquer que c’était là le moyen de décider si M. Gray avait réglé de manière appropriée la totalité des allégations et des redressements.

Les observations du défendeur

[60]  Le défendeur soutient que M. Gray a limité avec raison sa décision aux allégations formulées dans le grief initial de 2011 ainsi qu’aux redressements que M. Tudor Price avait demandés à ce moment-là. Les allégations de tromperie et de faute dans l’exercice d’une charge publique équivalent à un grief tout à fait nouveau, sont présentées après l’expiration du délai applicable et, en tout état de cause, ont été examinées par la CRTEFP.

[61]  Le défendeur signale que le Règlement sur les relations de travail dans la fonction publique, DORS/2005-79 prescrit un délai de 35 jours pour déposer un grief à compter de la date où l’on prend connaissance de la présumée contravention. Ce court délai est destiné à permettre de trancher ou de régler rapidement une affaire.

[62]  Les délais peuvent être prorogés sur entente des parties ou à la suite de la demande de l’une des parties au président de la Commission des relations de travail et de l’emploi dans la fonction publique (l’ancienne CRTFP). Le défendeur signale qu’AAC a souscrit à la modification que M. Tudor Price a effectuée en octobre 2011, mais qu’il n’a manifestement pas souscrit à son [traduction« aperçu » de 2015, qui comportait de nombreuses allégations nouvelles. Mme Buwalda a indiqué à M. Tudor Price, par écrit, trois mois avant l’audience de janvier 2016, que les nouvelles allégations ne seraient pas prises en considération. Il n’a pas été convenu de proroger le délai, pas plus que M. Tudor Price n’a présenté une demande au président de la CRTEFP pour proroger le délai.

[63]  M. Gray a pris acte des allégations supplémentaires mais a conclu de manière raisonnable qu’AAC n’avait pas consenti à examiner ces questions.

[64]  Par ailleurs, l’auteur d’un grief ne peut pas ajouter de nouvelles demandes. Faire droit aux nouvelles allégations dans le cadre du grief serait contraire au principe du caractère définitif. Il serait préjudiciable pour AAC que l’on soit constamment appelé à répondre à de nouvelles allégations.

[65]  Le défendeur conteste l’argument de M. Tudor Price selon lequel les employés peuvent modifier la nature de leur grief pendant la procédure de règlement de grief (Boudreau c Canada (Procureur général), 2011 CF 868, au paragraphe 20).

[66]  Le défendeur signale aussi que les allégations que maintient M. Tudor Price (mauvaise foi, tromperie, mesures disciplinaires et faute dans l’exercice d’une charge publique) ne sont appuyées par aucune preuve. Les prétentions de M. Tudor Price reposent uniquement sur sa perception – peut-être erronée – de la manière dont les cotes sont fixées et sur ses hypothèses sur qui a dit quoi à qui.

[67]  Par ailleurs, la CRTEFP a examiné ces allégations en détail, les a rejetées et a conclu que la retraite de la fonction publique de M. Tudor Price était volontaire.

[68]  Pour ce qui est des redressements demandés, le défendeur soutient que M. Tudor Price n’a pas établi qu’il avait subi des dommages quelconques parce que M. Gray, dans sa décision, n’avait pas traité de façon exhaustive de sa cote « Atteint – ».

La décision de M. Gray de limiter son examen au grief initial est raisonnable

[69]  M. Gray a conclu de manière raisonnable que M. Tudor Price ne s’était pas conformé au délai prescrit pour solliciter une modification de son grief. L’AAC n’a pas accepté que l’on modifie le grief d’août 2011 après la modification d’octobre 2011, pas plus que M. Tudor Price n’a demandé au président de la CRTEFP une modification de délai en vue de déposer un nouveau grief. Les délais prescrits ne sont pas des formalités inutiles. Ils sont essentiels pour offrir un cadre de règlement des griefs et pour permettre au défendeur de savoir à quoi il doit répondre.

[70]  M. Tudor Price a reconnu qu’il savait qu’AAC n’examinerait pas les allégations supplémentaires; il a donc lancé une action en vue de poursuivre les mêmes demandes. Il a également reconnu avoir compris la décision du juge Fothergill, qui radiait sa déclaration; cependant, il continue de faire valoir que les mêmes allégations devraient être prises en considération dans le cadre du présent contrôle judiciaire et que M. Gray a commis une erreur en n’en tenant pas compte.

[71]  Les allégations supplémentaires que soulève M. Tudor Price, même si elles découlent indirectement de son insatisfaction à l’égard de sa cote de rendement pour 2011 et du processus de règlement de griefs qui a suivi, n’étaient pas les questions qui étaient soulevées dans le grief initial. Contrairement à ce que déclare M. Tudor Price, ces allégations supplémentaires sont d’une nature différente de celle de son grief initial. Il ne s’agit pas d’améliorations par rapport au grief initial, qui avait trait au fait qu’AAC avait renié l’entente conclue au sujet de sa cote de rendement. Même si AAC avait été avisé officieusement des allégations supplémentaires en raison des longues observations présentées par M. Tudor Price dans le cadre de ses demandes de contrôle judiciaire, cela n’oblige pas AAC à en traiter. L’auteur d’un grief ne peut pas continuer d’ajouter des allégations nouvelles et différentes jusqu’à la date de l’audition du grief. Une telle approche fait qu’il est impossible pour un défendeur de répondre et cela usurpe à la fois le processus de règlement de grief informel et plus formel.

[72]  L’observation de M. Tudor Price selon laquelle il aurait fallu interpréter de manière large son grief parce que dans sa décision (Price 2015), la juge Heneghan a prescrit que l’« affaire » soit réexaminée repose sur une mauvaise compréhension du sens du mot « affaire ». Cette décision était fondée uniquement sur un manquement à l’équité procédurale. La juge Heneghan s’est servie de la terminologie habituelle pour prescrire qu’il fallait réexaminer la même question ou la même décision considérée comme erronée au stade du contrôle judiciaire en raison d’un manquement à l’équité procédurale. L’« affaire » dont le nouvel examen a été ordonné était le grief initial d’août et d’octobre 2011.

[73]  Contrairement aux allégations de M. Tudor Price, al juge Heneghan n’a pas souscrit à ses dernières. La juge Heneghan a conclu que la communication du document intitulé [traduction] « Rendement au travail de l’auteur du grief – Explication » aurait pu influencer la manière de trancher le grief, mais il ne s’agit pas là d’une acceptation des observations de M. Tudor Price sur le bien-fondé de ses allégations. La juge Heneghan a clairement indiqué qu’il n’était pas nécessaire qu’elle traite du caractère raisonnable de la décision (Price 2015, au paragraphe 32).

[74]  L’arrêt Chopra (précité) n’étaye pas l’argument de M. Tudor Price selon lequel M. Gray a commis une erreur. M. Chopra avait invoqué plusieurs arguments à l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, et la Cour fédérale avait fait droit à la demande en se fondant sur un seul argument, sans traiter des autres, et a renvoyé l’affaire au même arbitre en vue d’une nouvelle décision. La Cour d’appel a conclu que le nouvel examen du grief de M. Chopra serait une nouvelle décision et que ce dernier pouvait remettre en litige les questions que le juge de la Cour fédérale n’avait pas examiné.

[75]  Contrairement à l’allégation de M. Tudor Price, l’arrêt Chopra n’étaye pas son argument selon lequel il était en droit de soulever de nouvelles allégations au stade du réexamen de son grief. L’arrêt Chopra n’établit pas le principe que de nouvelles questions peuvent être soulevées lors du réexamen d’un grief parce que le réexamen donnera lieu à une nouvelle décision. Le point soulevé dans cet arrêt est que les arguments qui ont été avancés mais non examinés au stade du contrôle judiciaire pourraient être soulevés de nouveau lors du réexamen. Dans la présente affaire, entre autres différences, M. Tudor Price ne cherche pas à invoquer de nouveaux arguments à l’appui de son grief initial; il souhaite plutôt soulever de nouvelles allégations.

[76]  Le fait que M. Tudor Price invoque la décision Rinaldi (précitée) à l’appui de sa position selon laquelle M. Gray a commis une erreur en omettant de traiter des allégations supplémentaires n’étaye pas plus sa position.

[77]  Dans la décision Rinaldi, le juge Marc Noël a fait remarquer que la Cour devrait examiner le libellé du grief en vue de déterminer si les allégations formulées au stade de l’arbitrage avaient eu pour effet « […] de modifier son grief original au point d'en changer la nature et d'en faire un nouveau grief » (au paragraphe 26). Le juge Noël a conclu que les deux griefs de M. Rinaldi, déposés en même temps, dénotaient clairement qu’il considérait à la fois sa mise à pied et l’abolition de son poste comme une mesure disciplinaire illégale.

[78]  Le contexte (un arbitrage, par exemple) et les faits énoncés dans la décision Rinaldi sont nettement différents. Le grief initial de M. Tudor Price avait trait à l’incapacité d’AAC d’honorer l’entente qu’il avait conclue avec la SMA MacQuarrie en vue d’obtenir une cote de rendement « Atteint ». M. Tudor Price a tenté de requalifier son grief pour licenciement en se fondant sur des renseignements qu’il avait recueillis après avoir déposé son grief, mais ces allégations sont d’une nature différente de celle du grief initial. Par ailleurs, AAC n’a pas été informé de ces allégations en 2011; les allégations ont plutôt évolué et se sont développées jusqu’au moment de la nouvelle audience en 2016.

[79]  M. Tudor Price a reconnu dans ses observations auprès de la Cour que son différend a maintenant trait à la question de savoir si sa démission a été obtenue par tromperie et, de ce fait, est nulle, et s’il faudrait prévoir des redressements supplémentaires. À mon avis, il a reconnu que la nature de son grief a considérablement changé.

[80]  M. Tudor Price a lui-même indiqué qu’il avait prévu de prendre sa retraite et qu’il avait tout d’abord négocié une mutation préretraite en 2010, subordonnée à sa retraite en 2011. Cela mine davantage ses allégations selon lesquelles sa démission a été provoquée par la conduite d’AAC.

[81]  De plus, il était raisonnable que M. Gray refuse de prendre en considération des allégations qui avaient déjà été tranchées par la CRTEFP en 2013. Comme il a été mentionné plus tôt, cette dernière a entendu des éléments de preuve de vive voix et a clairement rejeté les allégations formulées dans la décision Price 2013. La Commission a fait remarquer, aux paragraphes 48 et 52 :

J’en conclus que l’argument de mauvaise foi du fonctionnaire est fondé sur une série d’hypothèses qu’il a émises, dont aucune n’a été démontrée à l’aide de preuves convaincantes, et qu’il lui manquait la crédibilité nécessaire pour inclure le grief dans le champ d’application de l’article 209 de la Loi.

[…]

Ce qui s’est dégagé de ce cas n’était pas que le travail des membres de la haute direction était motivé par de la mauvaise foi ou un désir de punir ou d’imposer des mesures disciplinaires à l’employé pour un motif autre que son rendement. Il s’agissait plutôt de l’effort collectif du Comité qui était spécifiquement chargé d’examiner et d’approuver les évaluations de rendement d’un groupe de cadres supérieurs avant d’attribuer des notes de rendement à chacun d’eux, sous réserve de l’approbation de la sous-ministre.

[Non souligné dans l’original.]

[82]  La juge Gleason a rejeté la demande de contrôle judiciaire de M. Tudor Price concernant la décision de la CRTEFP, signalant que [traduction« la décision de la CRTFP selon laquelle l’affaire n’avait pas trait à un licenciement ou à une mesure disciplinaire est inattaquable » (Price 2014, au paragraphe 3).

[83]  La présente demande de contrôle judiciaire n’est pas le mécanisme qui convient pour faire valoir de nouveau qu’AAC a agi de mauvaise foi. Cette question a été réglée par la CRTFP. De plus, ces demandes en responsabilité délictuelle comportent des normes de preuve précises qui exigent plus que de simples affirmations fondées sur une insatisfaction à l’égard de la conduite de la direction.

[84]  Le grief de M. Tudor Price reposait sur le fait qu’AAC n’avait pas respecté l’entente qui lui aurait accordé une cote de rendement « Atteint ». Les renseignements que M. Tudor Price a réunis sur la façon dont les cotes de rendement sont fixées ainsi que sur les critères supplémentaires concernant la portée et la complexité du travail accompli par rapport à d’autres personnes faisant partie du même groupe et du même niveau ne changent pas le fondement de son grief. Le fait que M. Tudor Price n’était pas au courant des critères relatifs aux cotes de rendement ou le fait que les critères aient changé sans préavis après la rédaction de son entente de gestion du rendement sont peu pertinents pour le fondement de son grief. Il a fondé ce dernier sur le fait qu’AAC n’ait pas respecté l’entente selon laquelle on lui accorderait une cote « Atteint » pour 2010-2011 et qu’il démissionnerait en juin 2011, et non sur le fait que son rendement réel méritait une cote « Atteint » en fonction de critères objectifs.

[85]  M. Gray a accordé le redressement qui correspondait au grief initial, c’est-à-dire le fait qu’AAC n’ait pas respecté l’entente. S’il existait une telle entente – ce qu’AAC n’a pas admis – celle-ci aurait été respectée en accordant à M. Tudor Price une cote de rendement « Atteint ». Il s’agit là du redressement précis que demandait M. Tudor Price et c’est celui que M. Gray a ordonné. Même si ce dernier n’a pas conclu que l’entente existait, il a implicitement admis qu’il fallait respecter la manière dont M. Tudor Price avait compris l’entente. Le rôle de M. Gray a donc consisté à rétablir M. Tudor Price dans la situation dans laquelle il aurait été – ou aurait dû être – au moment de prendre sa retraite, d’après la présumée entente.

VII.  La décision de M. Gray de faire droit au grief initial est-elle raisonnable? Les motifs sont-ils intelligibles?

Les observations du demandeur

[86]  M. Tudor Price soutient que même si l’un de ses redressements a été accordé en partie, les motifs n’expliquent pas comment M. Gray en est arrivé à sa décision; en conséquence, la décision est déraisonnable.

[87]  M. Gray a conclu que l’évaluation du rendement de M. Tudor Price aurait dû être communiquée avec [traduction« plus d’explications et d’éclaircissements ». M. Tudor Price soutient que cette conclusion ne répond pas à son allégation selon laquelle AAC a délibérément retenu des renseignements au sujet de sa cote de rendement jusqu’après sa démission et que, en agissant de la sorte, il a provoqué sa démission par tromperie.

[88]  M. Tudor Price soutient que les motifs peu détaillés et vagues de M. Gray ne permettent pas à la Cour de déterminer si la décision est justifiée, transparente et intelligible. Il se fonde sur l’arrêt Igloo Vikski, précité, au paragraphe 18, concernant l’application des principes énoncés dans les arrêts Dunsmuir et Newfoundland Nurses. Il soutient que les raisons de M. Gray n’expliquent pas le fondement de la décision, et que cette dernière est donc déraisonnable.

Les observations du défendeur

[89]  Le défendeur soutient que M. Gray a expliqué pourquoi il faisait droit au grief et que les motifs sont suffisants pour permettre à la Cour de déterminer que la décision est raisonnable.

[90]  Le défendeur soutient que le caractère approprié des motifs n’est pas une raison isolée pour contester la décision. Les motifs de la décision doivent être considérés dans leur ensemble et au regard du dossier.

[91]  Le défendeur soutient par ailleurs que les agents administratifs chargés de rendre des décisions ne sont pas tenus de fournir des motifs détaillés dans la même mesure où un office ou un tribunal administratif sont censés le faire. Par ailleurs, les décideurs, qu’il s’agisse d’agents, d’offices ou de tribunaux, n’ont pas à traiter de toutes les questions que soulève un demandeur. Le défendeur invoque l’arrêt Construction Labour Relations c Driver Iron Inc., 2012 CSC 65, au paragraphe 3, où la Cour suprême du Canada a fait remarquer :

La Commission n’était pas tenue de traiter expressément de toutes les interprétations possibles de ces dispositions. Notre Cour a insisté sur le fait qu’un tribunal administratif n’a pas l’obligation d’examiner et de commenter dans ses motifs chaque argument soulevé par les parties. La question que doit trancher le tribunal judiciaire siégeant en révision demeure celle de savoir si la décision attaquée, considérée dans son ensemble, à la lumière du dossier, est raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, [2011] 3 R.C.S. 708).

La décision de faire droit au grief est raisonnable et les motifs permettent à la Cour de tirer cette conclusion

[92]  Les motifs qu’a invoqués M. Gray pour faire droit au grief initial de M. Tudor Price sont succincts, mais ils permettent néanmoins à la Cour de conclure que la décision est raisonnable. Conformément à l’arrêt Newfoundland Nurses, les motifs peuvent être lus de pair avec le dossier en vue d’évaluer la raisonnabilité de l’issue. Au paragraphe 16, la Cour a résumé sa directive :

En d’autres termes, les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables.

[93]  Dans les arrêts Lemus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114, aux paragraphes 34 et 35, et D’Errico c Canada (Procureur général), 2014 CAF 95, au paragraphe 13, la Cour d’appel fédérale a signalé que dans les affaires qui comportent des motifs succincts, la décision qu’a rendue la Cour suprême du Canada dans l’affaire Newfoundland Nurses constitue l’arrêt décisif.

[94]  Dans l’arrêt Igloo Vikski, la Cour suprême du Canada a réitéré les principes énoncés dans les arrêts Dunsmuir et Newfoundland Nurses et a confirmé que le caractère suffisant des motifs ne justifie pas à lui seul le contrôle judiciaire, mais que les motifs doivent « expliquent de façon adéquate le fondement de sa décision » (paragraphe 18).

[95]  Les motifs de M. Gray me permettent de comprendre pourquoi il a fait droit au grief initial et a prescrit que l’on accorde la cote « Atteint » pour l’année 2010-2011 ainsi que les rajustements nécessaires au salaire et aux prestations de retraite de M. Tudor Price. Cette conclusion appartient aux issues acceptables. Les motifs, même s’ils sont succincts, expliquent suffisamment le fondement de la décision.

[96]  M. Gray a déclaré qu’il avait pris en considération [traduction« tous les renseignements fournis à l’égard de la nouvelle audition du grief, y compris les arguments présentés au sujet de la cote de rendement attribuée pour 2010-2011 ». M. Gray n’était pas tenu d’exposer toutes les allégations et tous les arguments que M. Tudor Price avait formulés dans les motifs ou pour tirer une conclusion sur chacune d’elles ou d’eux (Newfoundland Nurses, aux paragraphes 14 à 16). Il n’était pas tenu non plus de revoir les allégations qui avaient été tranchées devant la CRTFP en 2013.

[97]  Comme il a été indiqué, le grief initial de M. Tudor Price était fondé sur le défaut d’AAC de respecter l’entente qu’il avait conclue avec la SMA MacQuarrie, à savoir qu’il obtiendrait une cote de rendement « Atteint » et qu’il prendrait sa retraite en juin 2011. Les motifs de M. Gray répondent au nœud du grief initial de M. Tudor Price. Plus précisément, qu’AAC n’a pas reconnu une entente antérieure, qu’il n’a pas informé M. Tudor Price de sa cote avant qu’il prenne sa retraite et qu’il a donné des explications différentes quant à la raison pour laquelle une cote d’un niveau inférieur avait été attribuée.

[98]  La décision de M. Gray répond à ce que M. Tudor Price demandait – que l’entente soit respectée et que la cote aurait dû lui être communiquée avec plus d’explications et d’éclaircissements et, implicitement, en temps opportun. À mon avis, cela répond de manière succincte au grief, tel que modifié, de M. Tudor Price.

[99]  Les raisons différentes qu’AAC a données pour expliquer la cote inférieure de M. Tudor Price, que ces raisons soient valables ou non, n’étaient pas le fondement de son grief. Le grief de M. Tudor Price était que l’entente n’avait pas été respectée. Il voulait la contrepartie de sa retraite planifiée en 2011, c’est-à-dire une cote « Atteint » et le rajustement de son salaire. Grâce à la décision de M. Gray, il a obtenu ce qu’il demandait. Peu importe qu’AAC ait informé M. Tudor Price avant qu’il prenne sa retraite ou par la suite que sa cote était « Atteint – » en raison de préoccupations au sujet d’un projet particulier ou d’un changement dans les critères de dotation, cela n’avait aucune incidence, sinon peu, sur son grief, qui était axé sur le défaut d’AAC de respecter l’entente. N’eût été de cette dernière, AAC aurait pu l’emporter en justifiant la cote de rendement en se fondant sur les mêmes critères que ceux qui s’appliquent à tous les autres employés. Néanmoins, et comme l’a signalé M. Gray, AAC aurait dû expliquer la cote à M. Tudor Price.

VIII.  Les dépens

[100]  M. Tudor Price s’est représenté lui-même dans la présente affaire et a avancé de nombreux arguments, et le défendeur a été appelé à tous y répondre.

[101]  Le défendeur signale que les allégations de M. Tudor Price comportaient de sérieuses prétentions injustifiées de fraude et de parjure, qui sont des infractions prévues au Code criminel. Le défendeur soutient que des allégations aussi simples sont assimilables à un abus de procédure et justifient une adjudication de dépens plus élevée.

[102]  Je suis d’accord que des prétentions aussi sérieuses ne devraient pas être faites à la légère et que, en l’espèce, il s’agissait bien d’allégations directes sans aucune preuve à l’appui. Si l’on accorde à M. Tudor Price le bénéfice du doute, il est possible que ces allégations aient été faites sans qu’il ait bien compris les éléments de ces infractions. Je signale que M. Tudor Price n’a pas soulevé ces allégations dans ses observations orales.

[103]  Le défendeur a droit aux dépens, mais n’a pas produit de mémoire de frais. J’exerce mon pouvoir discrétionnaire et j’accorde des dépens d’un montant forfaitaire de 1 500 $, mais je suis conscient que cette adjudication ne reflète pas adéquatement les dépens que le défendeur a engagés pour répondre à la présente demande de contrôle judiciaire.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Des dépens forfaitaires sont adjugés au procureur général, d’un montant de 1 500 $, débours et intérêts inclus.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

[Nom du traducteur]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-400-16

 

INTITULÉ :

RICHARD TUDOR PRICE c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 5 OCTOBRE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DU JUGEMENT:

LE 22 DÉcembrE 2016

 

COMPARUTIONS :

Richard Tudor Price

POUR LE demandeur

 

Christine Langill

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

AUCUN

 

POUR LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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