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Date : 20170112


Dossier : T-782-16

Référence : 2017 CF 39

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

SAMAR EL SAYED

demanderesse

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit du contrôle judiciaire d’une décision datée du 21 avril 2016 par laquelle un agent [l’agent] de Citoyenneté et Immigration Canada occupant le poste de superviseur de la citoyenneté a rejeté la demande de citoyenneté canadienne de la demanderesse et imposé une période d’interdiction au cours de laquelle toute demande de citoyenneté qu’elle présentera dans un délai de cinq ans sera rejetée, le motif étant que la demanderesse avait fait une présentation erronée sur des faits essentiels en lien avec sa demande de citoyenneté.

[2]  Comme il est expliqué plus en détail ci-après, la présente demande est rejetée.

II.  Le contexte

[3]  La demanderesse, Mme Samar El Sayed, est citoyenne de l’Égypte. Elle est arrivée au Canada le 4 décembre 2001 à titre de résidente permanente et a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 15 juin 2013. Dans ce contexte, la période permettant d’évaluer le nombre de jours pendant lesquels elle avait résidé au Canada s’étendait du 15 juin 2009 au 14 juin 2013. Mme El Sayed a déclaré 1 422 jours de présence effective au Canada et 38 jours d’absence au cours de cette période. Dans sa demande, elle a déclaré qu’elle était femme au foyer et elle a laissé en blanc les sections concernant ses antécédents en matière d’instruction et d’emploi.

[4]  L’agent a envoyé par la suite à Mme El Sayed une lettre d’équité, alléguant que celle-ci avait fait une présentation erronée sur des faits essentiels dans sa demande et lui accordant un délai de réponse de trente jours. Elle a ensuite pris part à une audience avec l’agent le 10 février 2016. Ce dernier a informé la demanderesse qu’un compte LinkedIn portait le nom de « Samar Hegazy »; Mme El Sayed avait indiqué dans sa demande qu’il s’agissait là d’un nom qu’elle utilisait parfois. Le compte LinkedIn contenait des informations, y compris des antécédents en matière d’instruction et d’emploi, qui semblaient contredire celles qui étaient consignées dans la demande de Mme El Sayed ainsi que le nombre de jours qu’elle disait avoir passé au Canada. Elle a eu la possibilité de fournir des documents supplémentaires pour étayer sa prétention et réfuter les allégations d’une présentation erronée sur des faits essentiels. Mme El Sayed a fourni d’autres observations le 12 avril 2016.

[5]  Le 21 avril 2016, l’agent a rendu la décision sur laque le porte le présent contrôle judiciaire; il a rejeté la demande de citoyenneté de Mme El Sayed et lui a imposé la période d’interdiction visant la présentation de demandes futures.

[6]  Dans ses motifs de décision, l’agent a signalé que le compte LinkedIn indique que la demanderesse a travaillé dans le secteur bancaire à l’extérieur du Canada pendant la période pertinente, plus précisément auprès de la banque Mashreq, dans les Émirats arabes unis [les Émirats], à titre de chef de la planification et du développement des stratégies commerciales, Services bancaires aux particuliers, d’avril 2007 à avril 2009; à titre de vice-présidente, Services bancaires aux particuliers, Moyen-Orient et Afrique du Nord, auprès de la banque Arner, de février 2010 à juillet 2011, et, présentement, à titre de directrice administrative, Services bancaires aux particuliers, Moyen-Orient et Afrique, auprès d’UBP. L’agent a fait remarquer que Mme El Sayed a réfuté les éléments de preuve émanant du compte LinkedIn, disant qu’elle ne l’avait pas créé et que les informations étaient inexactes. Cependant, il a fait remarquer que Mme El Sayed n’avait pas réfuté les antécédents en matière d’instruction qui étaient inscrits dans le compte LinkedIn et qu’elle avait déclaré avoir effectivement fréquenté l’Université du Caire. Il a fait remarquer aussi qu’au moment où Mme El Sayed avait présenté sa première demande de résidence permanente au Canada, elle avait inscrit comme profession celle de banquier, ce qui concorde avec les emplois indiqués dans le compte LinkedIn. Mme El Sayed a soutenu que le compte appartenait à une autre personne du nom de Samar Hegazy, mais l’agent a fait remarquer qu’elle avait indiqué dans sa demande de citoyenneté qu’elle se faisait aussi connaître sous le nom de Samar Hegazy.

[7]  L’agent a examiné les preuves documentaires que Mme El Sayed avait fournies pour réfuter les allégations de présentation erronée sur des faits essentiels. Elle a produit une lettre du Service des ressources humaines de la banque Mashreq à Dubaï (Émirats), datée du 16 mars 2016 et indiquant qu’elle n’était pas au service de cette entreprise. Cependant, l’agent a relevé plusieurs incohérences dans la lettre, ce qui l’a amené à conclure que ce document n’était pas digne de foi : le nom de la demanderesse comportait une erreur d’orthographe, aucun employé associé au Service des ressources humaines n’y était mentionné, dans l’en-tête le logo de l’entreprise ne correspondait pas à celui qui apparaissait dans son site Web, et des numéros de téléphone et de télécopieur et une adresse qui y figuraient qui ne correspondaient pas à ceux qui apparaissaient dans le site Web. La lettre n’indiquait pas non plus si la Banque avait employé une personne du nom de « Samar Hegazy », et elle disait simplement que l’entreprise ne comptait aucun employé du nom de « Samar Elsayed ». L’agent a donc rejeté cette preuve et il a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que Mme El Sayed avait bel et bien été au service de la banque Mashreq au moins jusqu’en août 2009; elle avait ainsi fait une présentation erronée sur elle-même dans le cadre du processus d’obtention de la citoyenneté en omettant de déclarer de manière véridique ses antécédents de travail et ses absences du Canada.

[8]  En ce qui concerne les deux autres banques, dont le siège se trouve en Suisse, Mme El Sayed n’a pas pu obtenir des preuves écrites. Elle a plutôt produit une déclaration solennelle, dans laquelle elle attestait qu’elle n’avait été à l’emploi d’aucune de ces deux banques et que chacune d’elles lui avait confirmé de vive voix qu’elle n’avait aucune trace d’un ou d’une employée du nom de « Samar El Sayed ». L’agent a rejeté cette preuve à la lumière d’un article intitulé « Gulf Women – A Growing Segment » [Les femmes du Golfe – Un segment grandissant], qui comprenait une photographie de Mme El Sayed. À l’audience, l’agent lui a montré cet article et a signalé dans la décision qu’elle n’avait pas réfuté que l’article, qui citait une personne du nom de Samar Hegazy, s’était servi de sa photographie. Toutefois, Mme El Sayed a exprimé l’avis qu’il se pouvait que la photographie ait été utilisée à son insu. Se fondant sur cet article, sur les informations figurant dans le compte LinkedIn ainsi que sur le manque de preuves documentaires, l’agent a conclu que, selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse avait été au service de la banque Arner (Suisse). En l’absence de documents de l’UBP, l’agent a déterminé aussi que, selon la prépondérance des probabilités, elle avait travaillé pour cette entreprise en Suisse. Cela l’a amené à conclure de nouveau que la demanderesse avait présenté erronément les informations dans sa demande de citoyenneté.

[9]  L’agent a également passé en revue le relevé des entrées et des sorties concernant l’Égypte et les Émirats que Mme El Sayed avait fourni, de même que des courriels émanant de fonctionnaires suisses qui confirmaient qu’il n’existait pour la Suisse aucun relevé de contrôle. L’agent a fait remarquer que le relevé des voyages faits depuis les Émirats ne portait pas sur l’ensemble de la période pertinente et il a conclu que les relevés des voyages faits depuis les Émirats et l’Égypte étaient contredits par des preuves montrant que Mme El Sayed avait travaillé en Suisse entre le mois de février 2010 au moins et la fin de la période pertinente. Il a également signalé que, même si le passeport de Mme El Sayed, qui portait le numéro 4020972, indiquait avoir été renouvelé le 20 décembre 2008, le relevé des voyages concernant ses déplacements vers les Émirats indiquait qu’elle avait quitté Dubaï le 14 décembre 2008 et y était revenue le 22 décembre 2008.

[10]  Enfin, l’agent a signalé que Mme El Sayed n’avait déclaré que trois absences du Canada dans sa demande de citoyenneté et son questionnaire sur la résidence, des absences qui s’appliquaient toutes à des voyages faits depuis le Canada jusqu’à New York. Cependant, il a conclu que ces absences n’étaient pas étayées par des preuves figurant dans les passeports que Mme El Sayed avait fournis, faisant référence en particulier au fait que le code du point d’entrée aux États-Unis qui se trouvait dans son passeport indiquait qu’elle était arrivée d’un pays autre que le Canada. L’agent a donc déterminé que Mme El Sayed avait fait une présentation erronée sur ses absences déclarées au cours de la période pertinente et qu’elle avait peut-être retenu un autre passeport dans lequel se trouvaient des preuves de voyages faits au cours de cette période.

[11]  L’agent s’est donc dit convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que Mme El Sayed avait fait une présentation erronée sur des faits essentiels quant à un objet pertinent, risquant d’entraîner ainsi une erreur dans l’application de la Loi sur la citoyenneté, LRC (1985), c C‑29; il a donc rejeté sa demande en vertu de l’alinéa 22(1)e.1) et imposé une période d’interdiction de cinq ans en application de l’alinéa 22(1)e.2).

III.  Les questions en litige et la norme de contrôle applicable

[12]  La question de savoir si un agent de la citoyenneté a commis une erreur en concluant qu’un demandeur a fait une présentation erronée sur des faits essentiels dans sa demande de citoyenneté est susceptible de contrôle selon la norme de la raisonnabilité (voir Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), [2005] ACF No 1078, Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Sturabotti, 2009 CF 777).

[13]  Dans la présente demande de contrôle judiciaire, les parties soumettent, de par les arguments invoqués, les questions qui suivent à l’examen de la Cour :

  1. Est-il nécessaire que la demanderesse produise un affidavit personnel à l’appui de ses arguments?

  2. La décision de l’agent est-elle raisonnable?

IV.  Analyse

A.  Une question préliminaire

[14]  À titre préliminaire, Mme El Sayed demande que, dans la présente demande, l’intitulé de la cause soit modifié en vue de corriger l’orthographe de son nom pour « SAMAR EL SAYED ». Le défendeur ne s’y oppose pas, et la Cour est disposée à faire droit à cette demande.

B.  Est-il nécessaire que la demanderesse produise un affidavit personnel à l’appui de ses arguments?

[15]  Invoquant la décision Canada (Commission des droits de la personne) c Pathak, [1995] 2 RCF 455 (CA), ainsi que le paragraphe 12(1) des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, le défendeur exprime l’avis qu’il est nécessaire que la demanderesse produise un affidavit personnel et que, en l’absence d’un tel document, et donc d’une preuve quelconque fondée sur des connaissances personnelles, toute erreur dont la demanderesse fait état doit ressortir à la lecture du document. Le défendeur soutient donc que le gros des arguments de Mme El Sayed sont irréguliers et que la Cour ne devrait pas les examiner, car ils représentent une tentative pour offrir d’autres explications en réponse aux doutes de l’agent, et ce, sans preuve justificative.

[16]  L’affidavit déposé pour le compte de Mme El Sayed a été établi par un assistant juridique au service de ses avocats. Ce document se limite à joindre en tant que pièces des copies des documents qui constituaient une partie du dossier soumis à l’agent. Je ne vois rien d’irrégulier à ce que Mme El Sayed se fonde sur cet affidavit dans sa demande.

[17]  L’avocate du défendeur a expliqué à l’audience que le sujet de préoccupation principal, qui concerne l’absence d’un affidavit signé par Mme El Sayed, était lié au fait que la demanderesse avançait des arguments qui n’étaient étayés par aucun élément de preuve. À titre d’exemple, je signale que Mme El Sayed affirme que l’agent a omis de tenir compte du fait qu’il y avait plus de dix profils LinkedIn de personnes inscrits au nom de Samar Hegazy et de déterminer si la demanderesse était l’une de ces autres personnes. Mme El Sayed n’a fait référence à aucune preuve étayant l’affirmation selon laquelle il existe dix de ces profils. Cependant, en l’espèce, ma décision ne dépend pas de cet argument, ni de tout autre argument pour lequel les éléments de preuve à l’appui sont insuffisants. Je suis d’avis que le dossier soumis à la Cour est suffisant pour trancher la présente demande.

C.  La décision de l’agent est-elle raisonnable?

[18]  Mme El Sayed soutient que la conclusion de l’agent selon laquelle le profil LinkedIn est le sien repose sur des conclusions conjecturales et est donc déraisonnable. Elle fait valoir que n’importe qui peut créer un profil LinkedIn, et que rien n’explique pourquoi l’agent a cru que ce profil devait avoir plus de poids que son témoignage de vive voix. Elle conteste particulièrement le fait que l’agent se soit fondé sur des renseignements non sécurisés, qui circulent sur Internet. Elle fait valoir que ces renseignements ont servi de fondement à la conclusion de l’agent selon laquelle elle avait travaillé pour les banques étrangères mentionnées dans le profil LinkedIn et qu’ils ont contribué à l’analyse de l’agent selon laquelle les documents d’entrée et de sortie ainsi que le passeport qu’elle avait produits n’étayaient pas les absences au cours de la période de résidence pertinente qu’elle avait déclarées.

[19]  À l’audition de la présente demande de contrôle judiciaire, Mme El Sayed s’est fondée dans une large mesure sur la décision de la Cour ITV Technologies Inc. c WIC Television Ltd., 2003 CF 1056 [ITV], dans laquelle la juge Tremblay-Lamer a examiné la fiabilité et l’admissibilité d’éléments de preuve obtenus via Internet. Mme El Sayed a fait référence en particulier à l’analyse suivante, aux paragraphes 16 à 18 de cette décision :

[16]  Pour ce qui concerne la fiabilité d’Internet, je souscris à l’idée que, en général, les sites Web officiels, c’est-à-dire ceux qui sont créés et tenus à jour par l’organisme même, fournissent des renseignements plus fiables que les sites Web non officiels, c’est-à-dire ceux qui contiennent de l’information sur l’organisme mais sont offerts par des personnes physiques ou des entreprises.

[17]  À mon avis, les sites Web officiels d’organismes connus peuvent fournir des renseignements fiables qui seraient admissibles en preuve, de la même façon que la Cour peut se fier à Carswell ou à C.C.C. pour ce qui concerne la publication des décisions judiciaires, sans avoir à exiger une copie certifiée conforme du texte publié par l’arrêtiste. Par exemple, il est évident que le site Web officiel de la Cour suprême du Canada propose une version exacte des arrêts de ce tribunal.

[18]  Pour ce qui concerne les sites Web non officiels, je souscris à l’opinion de M. Carroll, selon laquelle la fiabilité de l’information provenant de tels sites dépend de divers facteurs, notamment une appréciation soigneuse de ses sources, la corroboration indépendante, le point de savoir si le contenu d’origine a pu être modifié et l’objectivité de la personne qui a mis cette information en ligne. Lorsque ces éléments ne peuvent être établis avec certitude, on ne devrait donner que peu de poids, voire aucun, à l’information provenant d’un site Web non officiel.

[20]  La décision ITV a été confirmée par la Cour d’appel fédérale (2005 CAF 96), même si, aux paragraphes 29 à 31, cette dernière a expressément refusé de prendre position sur la manière dont la Cour fédérale abordait les preuves disponibles via Internet.

[21]  Mme El Sayed a également renvoyé la Cour à une décision de la Cour du Banc de la Reine de la Saskatchewan : Thorpe c Honda Canada, Inc., 2010 CarswellSask 78, où, aux paragraphes 20 à 24, la Cour a dit de l’analyse faite dans la décision ITV à propos de la fiabilité des preuves disponibles via Internet qu’il s’agissait du critère auquel il fallait satisfaire pour que de telles preuves soient admissibles dans une instance judiciaire. Dans l’affaire 1429539 Ontario Ltd. c Café Mirage Inc., 2011 CF 1290, au paragraphe 82, le juge Mandamin s’est abstenu de se fonder sur des preuves disponibles sur Internet en l’absence d’une preuve d’expert sur leur fiabilité.

[22]  Mme El Sayed est d’avis que l’agent n’a pas entrepris d’analyser les facteurs énoncés au paragraphe 18 de la décision ITV et qu’il a donc commis une erreur en se fondant sur les preuves disponibles via Internet pour rejeter sa demande de citoyenneté. Elle reconnaît que, dans les instances en matière de droit administratif, les règles de preuve sont assouplies, mais elle soutient néanmoins qu’il est nécessaire de prendre en compte les facteurs énoncés dans la décision ITV avant de se fonder sur des preuves disponibles via Internet, même s’il ne s’agit pas d’une condition préalable à leur admissibilité.

[23]  Le défendeur signale que la décision ITV et les autres que Mme El Sayed a invoquées comportent toutes l’examen d’éléments de preuve par un tribunal, et non pas par un décideur administratif comme c’est le cas en l’espèce. Il ajoute que la décision ITV ne s’applique pas au rôle que joue un agent d’immigration qui étudie une demande de citoyenneté.

[24]  Je souscris à la position du défendeur sur ce point. Les règles officielles en matière d’admissibilité d’éléments de preuve, qui s’appliquent dans le cas d’une instance civile, ne s’appliquent pas à la présente affaire, car les tribunaux ont décrété à maintes reprises que dans les instances de nature administrative l’admissibilité des éléments de preuve est assouplie (voir les décisions Gil c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 172 FTR 255, au paragraphe 12; Ossé c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1552, au paragraphe 15). Les arguments de Mme El Sayed étaient davantage axés sur la fiabilité des éléments de preuve que sur leur admissibilité, mais elle n’a renvoyé la Cour à aucune source étayant sa position selon laquelle l’analyse faite dans la décision ITV s’applique même à l’égard des instances administratives.

[25]  La bonne façon d’aborder les questions semblables à celles que soulève Mme El Sayed est plutôt expliquée et démontrée par la décision Jahazi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 242 [Jahazi], où il était question du fait qu’un agent d’immigration s’était fondé sur des renseignements obtenus sur Internet, y compris auprès du site Web de source ouverte Wikipédia. Aux paragraphes 56 à 61, le juge de Montigny a examiné les arguments du demandeur selon lesquels l’agent avait commis une erreur en se fondant sur des éléments d’information recueillis aux fins du renseignement ainsi que sur des éléments d’information obtenus sur Internet qui, d’après le demandeur, étaient peu fiables. La Cour a pris acte des doutes relatifs à la fiabilité de ces éléments d’information mais a décrété que ces doutes ne devaient pas mener à la conclusion qu’il aurait fallu faire abstraction des éléments d’information. Il n’était pas loisible non plus à la Cour de déterminer le poids qu’il convenait d’accorder aux éléments de preuve. Il fallait plutôt tenir compte des doutes concernant la fiabilité des éléments de preuve au moment d’évaluer le caractère raisonnable des conclusions de l’agent.

[26]  Si je fais mienne cette approche, il est impossible de conclure que les conclusions que l’agent a tirées en l’espèce sont déraisonnables. Je suis conscient que la décision de l’agent a été nettement influencée par le contenu du profil LinkedIn établi au nom de Samar Hegazy, profil que Mme Sayed dit ne pas avoir créé et ne pas être exact. Cependant, l’agent lui a donné la possibilité de répondre à cette preuve, et les informations qu’elle a fournies avaient toutes trait à la question de savoir si les trois banques mentionnées dans le profil LinkedIn avaient une trace d’un ou d’une employée du nom de Samar El Sayed ou de Samar Elsayed. Ni la lettre émanant censément de la banque Mashreq ni la déclaration solennelle de Mme Sayed ne traitaient de la question de savoir si ces banques avaient employé une personne du nom de Samar Hegazy, le nom qui figurait dans le profil LinkedIn qui avait suscité les doutes de l’agent, après avoir constaté dans la demande de citoyenneté de la demanderesse qu’il s’agissait là d’un nom qu’elle employait.

[27]  L’agent s’est également fondé sur l’article de revue qui relatait un entretien avec Samar Hegazy, chef adjointe du bureau de la banque Arner chargé du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, et qui incluait une photographie de Mme El Sayed. Cette dernière a laissé entendre que la photographie avait peut-être été utilisée à son insu, et elle fait valoir dans la présente demande que cet article, à l’instar du profil LinkedIn, constituait une preuve Internet douteuse. Cependant, étant donné que l’article semble être une publication de la banque Arner, cet argument est moins convaincant que celui qui a trait au profil LinkedIn. Étant donné que l’article corrobore les informations figurant dans le profil LinkedIn et que Mme Sayed n’a pas produit de preuves concernant l’emploi de Samar Hegazy, je ne puis conclure que l’agent a agi de manière déraisonnable en concluant que Mme El Sayed avait bel et bien exercé un emploi auprès des banques mentionnées dans le profil et qu’elle avait donc fait une présentation erronée sur des faits essentiels dans sa demande de citoyenneté.

[28]  Je signale également que, dans sa plaidoirie, l’avocat de Mme El Sayed a qualifié de manquement à l’équité procédurale la façon dont l’agent avait traité les preuves obtenues via Internet, soutenant que l’agent était tenu de faire part à sa cliente non seulement des preuves obtenues via Internet mais aussi de preuves corroborantes ou d’expert à l’appui de leur fiabilité. Je suis conscient qu’une telle question serait susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte, mais cette position n’a selon moi aucun fondement. L’équité procédurale a été respectée en donnant à Mme El Sayed la possibilité de répondre aux preuves obtenues via Internet.

[29]  Ma conclusion, à savoir que les conclusions que l’agent a tirées au sujet des preuves concernant l’emploi de Mme El Sayed sont raisonnables, règle en grande partie les arguments qu’elle a invoqués au sujet des relevés des entrées et des sorties, car elle a fait valoir principalement que le fait que l’agent s’était fondé de manière déraisonnable sur les preuves d’Internet avait influencé ses conclusions sur ces relevés. Elle fait valoir aussi que l’agent s’est livré à des suppositions quand il a analysé ces documents, relativement à l’absence de timbres d’entrée aux États-Unis et à la présence du code du point d’entrée aux États-Unis dans son passeport, qui indiquait qu’elle arrivait d’un pays autre que le Canada. Ces arguments concernent la manière dont l’agent a apprécié les éléments de preuve, ce que la Cour n’a pas à mettre en doute. Je ne vois rien de déraisonnable dans cet aspect de l’analyse de l’agent.

V.  Question certifiée

[30]  Mme El Sayed propose que la Cour certifie la question suivante à titre de question de portée générale qui mérite que la Cour d’appel fédérale la prenne en considération :

Les critères relatifs à l’examen d’éléments de preuve obtenus via Internet, lesquels sont énoncés dans la décision ITV Technologies Inc. c WIC Television Ltd., 2003 CF 1056, s’appliquent-ils aux éléments de preuve produits dans une instance en matière de droit administratif?

[31]  Le défendeur s’oppose à la certification de cette question car il ne s’agit pas d’une question de portée ou d’application générales et elle ne serait pas déterminante en appel.

[32]  Ma conclusion et la suivante : les questions que Mme El Sayed a soulevées au sujet des éléments de preuve obtenus via Internet et dont il est question en l’espèce sont qualifiés à juste titre d’éléments de preuve liés à la manière dont l’agent a apprécié la preuve, ce qui est une question particulièrement propre aux faits d’une affaire individuelle et à l’égard desquels les principes applicables, tels qu’énoncés dans la décision Jahazi, sont bien établis. Je suis d’avis que la question proposée ne répond pas aux critères applicables en matière de certification, et je refuse de la certifier.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE :

  1. L’intitulé de la cause, dans la présente demande, est modifié afin de rectifier l’orthographe du nom de la demanderesse en le changeant pour SAMAR EL SAYED;

  2. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  3. Aucune question n’est certifiée en vue d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

[Nom du traducteur]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-782-16

INTITULÉ :

SAMAR EL SAYED c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 DÉCEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DU JUGEMENT :

LE 12 JANVIER 2017

COMPARUTIONS :

Yehuda Levinson

POUR LA DEMANDERESSE

Aleksandra Lipska

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Yehuda Levinson

Levinson & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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