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Date : 20170116


Dossier : T-2566-14

Référence : 2017 CF 45

Ottawa (Ontario) le 16 janvier 2017

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

VINCENZO DEMARIA

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendereur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Vincenzo DeMaria, sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (Section d’appel) le 14 novembre 2014. La Section d’appel a confirmé la décision de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission) rendue le 18 juin 2014 révoquant la libération conditionnelle totale de M. DeMaria.

I.                   Aperçu

[2]               La Commission a conclu que M. DeMaria avait violé une condition de sa libération lui interdisant de s’associer à toute personne reconnue comme se livrant à des activités criminelles (la condition de non‑association). Plus précisément, la Commission a conclu que M. DeMaria s’était trouvé en présence de personnes membres du crime organisé traditionnel (COT) lors de deux mariages qui ont eu lieu dans sa famille le 25 février et le 23 juin 2012. Par conséquent, la Commission a conclu que lui permettre de purger sa peine sous surveillance dans la collectivité présenterait un risque inacceptable et elle a révoqué sa libération totale. La Section d’appel a confirmé la révocation.

[3]               M. DeMaria fait valoir que la Section d’appel a commis une erreur en concluant que la Commission s’était acquittée de l’obligation qui lui incombait en matière d’équité procédurale. M. DeMaria souligne que la Commission a refusé de fournir les renseignements supplémentaires sur lesquels elle s’est fondée, a refusé sa demande de troisième ajournement de l’examen de sa demande de libération conditionnelle, et a refusé de tenir une audience. M. DeMaria soutient que les refus, individuellement et collectivement, portent atteinte à l’obligation d’équité procédurale à laquelle la Commission était tenue envers lui.

[4]               Pour les motifs qui suivent, la demande est accueillie.

[5]               Il est important de souligner tout d’abord que la Commission des libérations conditionnelles est chargée de prendre des décisions à l’égard de la libération conditionnelle et de sa révocation et possède l’expertise pour le faire. La présente demande de contrôle judiciaire ne porte pas sur le bien‑fondé ou le caractère raisonnable de la décision de la Commission quant au risque à la sécurité publique posé par M. DeMaria; elle porte plutôt sur l’obligation d’équité procédurale à l’égard de M. DeMaria à laquelle la Commission est tenue dans le cadre du processus de prise de décision.

[6]               La portée de l’obligation à laquelle la Commission est tenue à l’égard de M. DeMaria est fondée sur le contexte pertinent, notamment le fait que le droit à la liberté de M. DeMaria, quoique restreint ou limité, était en jeu, que sa crédibilité était mise en doute, et que la Commission avait refusé l’ajournement de l’examen de sa demande de libération conditionnelle et pris une décision sans avoir été saisie de toutes ses observations en réponse. Compte tenu de ces circonstances, le refus de la Commission de tenir une audience a entraîné une atteinte à l’équité procédurale.

[7]               M. DeMaria avait envisagé un certain nombre d’options juridiques, dont certaines, comme il l’a reconnu, étaient stratégiques ou tactiques; ces options ont eu une incidence sur sa capacité à répondre aux nombreuses allégations liées à l’examen relatif à sa libération conditionnelle et elles l’ont mené à présenter sa demande d’ajournement de l’examen. Malgré cela, la Commission avait toujours une obligation d’équité procédurale à l’égard de M. DeMaria.

[8]               Comme je l’explique plus loin, si la Commission avait accueilli la demande de troisième ajournement afin d’accorder à M. DeMaria plus de temps pour présenter des observations plus exhaustives en réponse aux nombreuses allégations, le contexte aurait été différent et la tenue d’une audience n’aurait peut‑être pas été requise pour que l’obligation d’équité procédurale soit respectée.

[9]               La Section d’appel a commis une erreur en concluant que la Comission s’était acquittée de son obligation d’équité procédurale à l’égard de M. DeMaria. Par conséquent, la Commission doit trancher à nouveau la question de savoir si la libération conditionnelle de M. DeMaria doit être révoquée.

II.                Contexte

[10]           M. DeMaria a été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré en 1982 et il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité. Il a obtenu une libération conditionnelle de jour en 1989 et une libération conditionnelle totale en 1992. Il a vécu dans la collectivité, sous conditions, jusqu’à ce que sa libération conditionnelle soit suspendue en 2013.

[11]           M. DeMaria a été arrêté le 14 novembre 2013, sur la foi de renseignements recueillis par Service correctionnel Canada (SCC) selon lesquelles il avait violé une condition de sa libération conditionnelle. SCC a interrogé M. DeMaria le 18 novembre 2013, et a renvoyé ce dossier à la Commission des libérations conditionnelles, accompagné d’une évaluation en vue d’une décision (l’évaluation).

[12]           L’évaluation recommandait que la libération conditionnelle de M. DeMaria soit révoquée. L’évaluation mentionnait également que SCC possédait [traduction] « une grande quantité de renseignements policiers concluants » indiquant que M. DeMaria était un membre actif du COT et qu’il avait violé la condition de non‑association de sa libération conditionnelle. Aucun détail au sujet de ces renseignements policiers n’a été communiqué à M. DeMaria à l’époque.

[13]           La représentante de M. DeMaria a informé la Commission le 18 décembre 2013 et le 17 janvier 2014 que M. DeMaria avait l’intention de réfuter les allégations qui avaient été faites et il a demandé la divulgation des renseignements policiers.

[14]           SCC a rédigé un rapport sur les renseignements de sécurité (RRS) le 20 janvier 2014. Le contenu intégral du RRS n’a pas été communiqué à M. DeMaria, conformément au paragraphe 141(4) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, c 20 (la Loi). Cependant, SCC lui a fourni un résumé le 21 janvier 2014, dans la note no 9, aussi appelée [traduction] « Essenciel de l’évaluation en vue d’une décision – 2013‑12‑06 ».

[15]           Le 4 février 2014, la représentante de M. DeMaria a demandé à la Commission que d’autres renseignements soient communiqués et a demandé si M. DeMaria pourrait se voir accorder une audience.

[16]           Le 17 février 2014, la Commission a répondu qu’aucun renseignement supplémentaire ne serait divulgé avant l’examen de la libération conditionnelle et établi qu’elle évaluerait s’il y a eu communication de renseignements utiles lors de l’examen du dossier. La Commission a également confirmé que l’examen serait fait sur le fondement du dossier écrit.

[17]           Entre le 18 février 2014 et le 18 juin 2014, date de la décision de la Commission, M. DeMaria a présenté trois demandes d’ajournement de l’examen de sa libération conditionnelle en vertu du paragraphe 135(5) de la Loi. Les ajournements ont été accordés le 21 février et le 13 mai 2014. La Commission a indiqué dans la décision d’ajournement du 13 mai 2014 que l’examen aurait lieu au plus tard le 16 juin 2014. Le 11 juin 2014, la représentante de M. DeMaria a demandé un troisième ajournement en soulignant que l’on attendait l’issue de la demande d’habeas corpus dont était saisie la Cour supérieure de justice de l’Ontario et son incidence potentielle sur l’examen de la libération conditionnelle, que les questions en litige étaient complexes et qu’ils devaient disposer d’un délai supplémentaire afin de préparer des observations en réponse aux nombreuses allégations figurant dans la note no 9. Le 13 juin 2014, la Commission a rejeté la demande d’un troisième ajournement.

[18]           Le 17 juin 2014, la représentante de M. DeMaria a fourni à la Commission des observations écrites limitées, ainsi que le dossier de la demande d’habeas corpus présentée devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Les observations étaient axées sur les questions d’équité procédurale.

[19]           Le 18 juin 2014, la Commission a rendu sa décision, révoquant la libération conditionnelle totale de M. DeMaria.

III.             La décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[20]           Même si la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire est celle rendue par la Section  d’appel, la Cour doit examiner la décision sous‑jacente de la Commission des libérations conditionnelles. Le juge Letourneau a déclaré ce qui suit dans Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384 au para 10 :

Le juge est théoriquement saisi d’une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d’appel, mais lorsque celle‑ci confirme la décision de la Commission, il est en réalité appelé à s’assurer, ultimement, de la légalité de cette dernière.

Cette déclaration est particulièrement importante compte tenu du fait que les allégations à l’égard de l’équité procédurale sont axées sur les procédures de la Commission des libérations conditionnelles.

La décision de la Commission des libérations conditionnelles

[21]           La Commission a conclu que M. DeMaria avait violé la condition de non‑association de sa libération conditionnelle et que lui permettre de purger sa peine d’emprisonnement à perpétuité dans la collectivité poserait un risque inacceptable pour la société.

[22]           La Commission s’est fondée sur les renseignements contenus dans le dossier de SCC concernant M. DeMaria, notamment l’évaluation, le RRS, et la note no 9. La Commission a aussi examiné les observations écrites du 17 juin 2014 présentées par la représentante de M. DeMaria, Mme Orkin. La Commission a accepté les documents concernant la demande d’habeas corpus, mais elle a conclu qu’ils ne portaient pas sur les motifs de suspension de la libération conditionnelle totale.

[23]           En ce qui concerne les observations de M. DeMaria selon lesquelles la Commission avait violé son droit à l’équité procédurale, la Commission a conclu ce qui suit :

  1. Le refus d’accorder un troisième ajournement de l’examen de la libération conditionnelle de M. DeMaria ne portait pas atteinte à l’équité procédurale. Puisque deux ajournements avaient déjà été accordés, il disposait d’amplement de temps pour répondre à toute allégation défavorable devant la Commission.
  2. Les documents fournis étaient adéquats. Le résumé fourni dans la note no 9 ainsi que dans le court document d’information, daté du 13 février 2014, contenaient suffisamment de détails au sujet des violations de sa condition de non‑association.
  3. Il n’était pas obligatoire de tenir une audience. La Commission a souligné que le paragraphe 140(2) de la Loi prévoit qu’elle peut tenir une audience, mais elle a conclu avoir reçu [traduction] « tous les renseignements pertinents, convaincants et fiables dont elle avait besoin pour rendre une décision » au moyen d’un rapport écrit, y compris tous les renseignements fournis par SCC et les observations de M. DeMaria.

[24]           En ce qui concerne la question de savoir si le maintien de la libération conditionnelle de M. DeMaria constituerait un risque inacceptable pour la société, la Commission a conclu que les renseignements fournis par les nombreux services de police étaient fiables et convaincants. La Commission a expressément souligné que M. DeMaria avait assisté à deux mariages dans sa famille en 2012, que les policiers ont constaté la présence de deux membres connus du COT à ces mariages, et que M. DeMaria a eu l’occasion d’informer son surveillant de liberté conditionnelle qu’il s’était trouvé en présence de ces individus, mais il ne l’a pas fait. La Commission a conclu que ces renseignements étaient pertinents quant au risque que posait M. DeMaria.

La décision de la Section d’appel

[25]           À l’appui de son appel, la représentante et avocate de M. DeMaria, Mme Orkin, a présenté des observations détaillées datées du 18 août 2014, qui incluaient plusieurs affidavits. Les observations faisaient mention de la chronologie des décisions de SCC ayant trait aux différents griefs et contestations judiciaires de M. DeMaria, ainsi que des arguments détaillés concernant les trois questions relatives à l’équité procédurale. Les affidavits de M. DeMaria décrivent notamment son entrevue postérieure à la suspension, son habitude à déclarer à son agent de libération conditionnelle les contacts qu’il avait avec des personnes, l’avis fourni à son agent de libération conditionnelle au sujet de son intention d’assister aux mariages en février et en juin 2012, ce dont il se souvient des mariages, et son refus de reconnaître qu’il fréquentait les personnes désignées. L’affidavit de M. DeMaria portait également sur plusieurs autres allégations formulées dans la note no 9, notamment sur celles qui concernent ses intérêts commerciaux et ses liens avec d’autres personnes désignées.

[26]           Ces renseignements ne faisaient pas partie du dossier dont a été saisie la Commission et, par conséquent, ils n’ont pas été examinés par la Section d’appel. La Section d’appel s’est concentrée uniquement sur les allégations d’atteinte à l’équité procédurale.

[27]           La Section d’appel a conclu ce qui suit :

  1. La décision de la Commission de refuser à M. DeMaria un troisième ajournement de l’examen de son dossier était raisonnable. Compte tenu du temps écoulé entre la suspension de sa libération conditionnelle et la décision de la Commission (212 jours), il disposait de suffisamment de temps pour répondre aux allégations défavorables devant la Commission. De plus, son droit d’être entendu a été respecté parce que ses observations datées du 17 juin 2014 ont été examinées par la Commission.
  2. L’argument de M. DeMaria selon lequel le résumé des renseignements mentionnés dans la note no 9 ne constituait pas une communication adéquate n’était pas fondé. La Commission a fourni un résumé qui comprenait suffisamment de détails, notamment des dates, des lieux et des noms.
  3. La décision de la Commission de rejeter la demande d’audience de M. DeMaria était raisonnable. Le paragraphe 140(2) de la Loi accorde à la Commission le pouvoir discrétionnaire de déterminer si la tenue d’une audience est nécessaire. La Commission a conclu de façon raisonnable qu’elle possédait tous les renseignements nécessaires pour prendre une décision dans cette affaire. Aux termes du Manuel des politiques décisionnelles à l’intention des commissaires (le Manuel des politiques), à la section 11.1(5), à moins que la loi exige la tenu d’une audience, la Commission peut décider de tenir une audience fondée sur une évaluation de tout facteur pertinent, notamment le caractère sûr et convaincant des renseignements examinés, le caractère incomplet des renseignements ou l’incapacité de communiquer d’un délinquant.

IV.             Les questions en litige

[28]           M. DeMaria fait valoir que la Section d’appel a commis une erreur en concluant que la Commission avait satisfait à son obligation d’équité procédurale. Il soutient qu’il a subi un préjudice en ce qui concerne sa réponse aux allégations formulées contre lui en raison du manque de temps pour préparer ses observations et du refus de la Commission de tenir une audience.

[29]           Le défendeur soutient que la Section d’appel n’a pas commis d’erreur en concluant que la Commission s’était acquittée de son obligation d’équité procédurale. M. DeMaria connaissait, avec suffisamment de détails, les allégations portées contre lui et il disposait de siffusamment de temps pour répondre, mais il a choisi de ne pas se pencher sur le fondement des allégations. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de tenir une audience.

[30]           Lors du contrôle judiciaire, la Cour doit se concentrer sur la décision de la Commission afin de déterminer si elle a violé l’obligation d’équité procédurale à laquelle elle est tenue envers M. DeMaria dans les circonstances en ne fournissant pas de renseignements additionnels sur les allégations, en refusant d’accorder un troisième ajournement de l’examen de la libération conditionnelle de M. DeMaria, et en ne tenant pas d’audience pour permettre à M. DeMaria de répondre aux allégations.

V.                La norme de contrôle applicable

[31]           Il n’y a pas de désaccord sur le principe voulant que la question de savoir si le demandeur a bénéficié de l’équité procédurale doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43). Si l’on constate qu’il y a eu un manquement, un nouvel examen est habituellement requis, à moins que le résultat ne soit inévitable (Mobil Oil Canada Ltd c Office Canada‑Terre‑Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 RCS 202, et Cardina c Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643).

VI.             La Commission des libérations conditionnelles a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale en ne fournissant pas de renseignements additionnels sur les allégations?

Les observations du demandeur

[32]           M. DeMaria fait valoir que la Commission a commis une erreur en concluant que la note no 9 contenait suffisamment de détails pour lui permettre de connaître la preuve à réfuter, et la Section d’appel a commis une erreur en ne tirant pas cette conclusion.

[33]           M. DeMaria souligne que la note no 9 contenait de nombreuses allégations, notamment qu’il a été impliqué dans plusieurs enquêtes criminelles et activités remontant à 2001. Il soutient que la note no 9 fait mention de plusieurs autres personnes, mais manque de détails et de contexte relativement à sa prétendue implication avec ces personnes et ce manque de détails l’a empêché d’offrir une réponse complète aux allégations.

[34]           M. DeMaria allègue qu’il lui était impossible de savoir que la Commission des libérations conditionnelles mettrait l’accent sur sa présence à deux mariages et invoquerait celle‑ci pour conclure qu’il n’avait pas respecté sa condition de non‑association et révoquer sa libération conditionnelle. Il ajoute que même en ce qui concerne les deux mariages, la note no 9 n’indiquait pas s’il avait été vu à proximité des personnes désignées ou si on l’avait vu leur parler, et n’indiquait pas la manière dont il était [traduction] « associé » à ces personnes.

[35]           M. DeMaria allègue aussi que tous les renseignements qui figurent dans la note no 9 ont été pris en compte par la Commission. La Commission a conclu que les renseignements, notamment ceux provenant de plusieurs services de police, étaient fiables et convaincants. Ces renseignements ne portaient pas uniquement sur les deux mariages. Il soutient qu’il aurait dû recevoir des détails sur toutes les allégations.

[36]           M. DeMaria soutient également que la Commission a appliqué le mauvais critère juridique en ce qui concerne la dissimulation de renseignements. L’alinéa 141(4)b) de la Loi exempte la Commission de communiquer des renseignements, si elle a des motifs raisonnables de croire que celle‑ci mettrait en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier ou compromettrait la tenue d’une enquête licite. Il soutient que la Commission a appliqué un critère moins exigeant; elle s’est demandé si les renseignements pourraient mettre en danger la sécurité d’une personne ou compromettraient la tenue d’une enquête licite. Il souligne que la Commision des libérations conditionnelles ne s’est pas demandé si elle avait des motifs raisonnables de croire que l’un ou l’autre des trois critères avaient été satisfaits. Il n’y avait aucun risque de compromettre la tenue d’une enquête licite parce que tous les renseignements contenus dans la note étaient connus ou constituaient de « vieilles nouvelles » et M. DeMaria ne demandait pas le nom d’informateurs confidentiels.

Les observations du défendeur

[37]           Le défendeur soutient que la Commission s’est conformée à l’article 141 de la Loi. La note no 9 comprenait un résumé exhaustif contenant suffisamment de détails pour permettre à M. DeMaria de répondre aux renseignements sur lesquels se fondait la Commission. Celle‑ci ne s’est pas fondée sur les renseignements qui n’ont pas été communiqués à M. DeMaria.

[38]           Le défendeur ajoute que la Commission n’a pas commis d’erreur en ne communiquant pas le contenu du RRS parce qu’il contenait des renseignements de nature délicate, ayant trait aux enquêtes en cours, fournis par des informateurs confidentiels. De plus, le RRS fourni dans le cadre du DCT en avril 2016 démontre que le résumé était très exhaustif.

[39]           La Commission a axé sa décision sur la présence de M. DeMaria à deux mariages dans la famille, et tous les détails pertinents de ces événements ont été fournis dans la note no 9.  Bien que le résumé n’établisse pas si M. DeMaria a parlé aux personnes visées, celui‑ci possédait lui‑même cette information.

[40]           Le défendeur souligne que M. DeMaria a répondu aux allégations contenues dans la note no 9 à l’étape de l’appel, en août 2014, ce qui démontre qu’il possédait suffisamment de détails. Le défendeur ajoute que M. DeMaria a eu l’occasion de présenter les mêmes observations à la Commission, mais qu’il a refusé de le faire.

La Commission n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant de communiquer des renseignements additionnels.

[41]           La divulgation a pour but de permettre à la personne visée d’être informée de la preuve au dossier et d’avoir l’occasion d’y répondre (Mymryk c Canada (Procureur général), 2010 CF 632, aux paragraphes 16 et 31 [Mymryk]).

[42]           Le paragraphe 141(1) de la Loi énonce que la Commission fait parvenir au délinquant l’information qui doit être étudiée dans l’examen de son cas, ou un résumé de celle‑ci. Dans la décision Gough c Commission nationale des libérations conditionnelles, [1991] 2 CF 117 au para 18 [Gough], la Cour a souligné qu’il faut donner à l’individu suffisamment de détails pour lui permettre de répondre aux allégations. Dans la décision Mymryk (au para 17), la Cour a réitéré que « la justice fondamentale exige que la Commission fournisse au délinquant des renseignements pertinents sur lesquels elle entend faire reposer sa décision. » La Commission a établi que les dispositions de la Loi avaient été respectées et que des renseignements supplémentaires n’ont pas été communiqués parce que cela pouvait compromettre la sécurité d’une personne ou compromettre la tenue d’une enquête licite. Bien que M. DeMaria fasse valoir que la Commission n’a pas appliqué le bon critère et a appliqué un critère moins exigeant (« pouvait compromettre »), c’est‑à‑dire une possibilité, plutôt qu’un autre critère (« compromettrait »), soit une probabilité, la Commission a établi que les exigences du paragraphe 141(1) avaient été respectées. Même si la Commission a utilisé un libellé qui ne reflète pas la formulation précise du paragraphe 141(4), une comparaison de la note no 9 et du RRS caviardé faisant partie du DCT démontre que le résumé contenu dans la note no 9 était exhaustif et fournissait suffisamment de détails.

[43]           La note no 9 contient un grand nombre de renseignements qui remontent à 2001, notamment des renseignements sur les associés possibles du COT, les entreprises de M. DeMaria, les entreprises des membres de sa famille, les enquêtes policières pour fraude, le trafic de stupéfiants et des actes criminels impliquant plusieurs autres personnes, ainsi que d’autres renseignements laissant entendre que M. DeMaria était visé par certaines de ces enquêtes. La note no 9 ne se limitait pas à la présence de M. DeMaria aux deux mariages.

[44]           À cette époque, M. DeMaria devait répondre aux allégations et, lorsqu’il a demandé la divulgation de renseignements additionnels entre janvier et juin 2014, il ne savait pas que la Commission fonderait sa décision sur sa présence aux deux mariages. Cependant, la note no 9 comprenait suffisamment de détails pour permettre à M. DeMaria de répondre à toutes les allégations, et non simplement à celles relatives aux deux mariages.

[45]           Le fait de ne divulger qu’un résumé des renseignements pertinents n’entraînait pas un manquement à l’équité procédurale.

VII.          En refusant d’autoriser un troisième ajournement de l’examen de la libération conditionnelle de M. DeMaria, la Commission des libérations conditionnelles a‑t‑elle manqué à l’obligation d’équité procédurale à laquelle elle était tenue?

Les observations du demandeur

[46]           M. DeMaria fait valoir qu’en l’absence d’un motif raisonnable pour refuser sa demande, la Commission était tenue d’autoriser un troisième ajournement, compte tenu de l’obligation d’équité. La Commission a omis d’examiner les motifs de l’ajournement et elle a simplement conclu que M. DeMaria disposait de suffisamment de temps pour répondre aux allégations.

[47]           M. DeMaria fait valoir que le refus d’ajourner l’examen de sa libération conditionnelle a porté atteinte à sa capacité de présenter des observations complètes en réponse aux nombreuses allégations contenues dans la note no 9. Comme l’a expliqué sa représentante et avocate, Mme Orkin, dans sa lettre du 11 juin 2014, les questions étaient complexes, le dossier à examiner était volumineux, et d’autres procédures judiciaires (notamment sa demande d’habeas corpus) étaient en suspens et elles pouvaient avoir une incidence sur l’examen de sa libération conditionnelle, et toutes ces questions exigeaient son attention. Mme Orkin a expliqué en toute franchise qu’elle manquait de temps pour préparer des observations complètes, en raison des autres demandes auxquelles elle devait répondre et de la difficulté qu’elle avait à communiquer avec M. DeMaria pendant son incarcération, en raison d’un confinement permanent à l’Établissement de Collins Bay. Même s’il s’agissait d’une décision tactique de la part de M. DeMaria de présenter une demande d’habeas corpus à titre de recours non prévu dans d’autres processus ou griefs, il soutient que la Commission a omis d’examiner les motifs à l’appui de sa demande d’ajournement.

[48]           M. DeMaria souligne aussi que la lettre de Mme Orkin proposait les deux options suivantes : i) un ajournement jusqu’à ce qu’une décision soit rendue à l’égard de sa demande d’habeas corpus, ou ii) un ajournement jusqu’au 15 septembre 2014, afin de permettre à Mme Orkin de présenter des observations complètes en réponse à la note no 9.

[49]           M. DeMaria soutient qu’un équilibre doit être établi entre l’obligation alléguée de la Commission de rendre rapidement une décision relativement à la libération conditionnelle et son obligation de tenir une audience équitable et d’examiner tous les renseignements. L’ajournement de l’examen ne causait aucun préjudice à la Commission, puisque M. DeMaria demeurait incarcéré, mais les refus de la Commission de fournir des renseignements additionnels, d’ajourner l’examen de la libération conditionnelle et de tenir une audience a causé un préjudice au demandeur.

Les observations du défendeur

[50]           Le défendeur soutient que la Commission avait le pouvoir discrétionnaire de reporter ou d’ajourner un examen. La Cour ne peut pas réexaminer l’exercice raisonnable de ce pouvoir discrétionnaire.

[51]           Le défendeur fait valoir que le refus du troisième ajournement n’a pas porté atteinte au droit de M. DeMaria de présenter une défense pleine et entière. Le défendeur souligne qu’à partir du moment où M. DeMaria a reçu la note no 9, il disposait de presque cinq mois pour répondre aux allégations, ce qu’il n’a pas fait. Il a plutôt soulevé plusieurs questions et intenté d’autres procédures judiciaires.

[52]           Le défendeur soutient également que les motifs soulevés à l’appui des ajournements en février, en mai et en juin ont changé. M. DeMaria a fondé sa demande d’un troisième ajournement sur l’issue de sa demande d’habeas corpus présentée à la Cour supérieure de justice de l’Ontario. La Commission n’avait aucune obligation de traiter la procédure incidente (Prassad c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1989] 1 RCS 560, aux pages 571 et 572). De plus, la Commission savait que la jurisprudence avait établi que les cours supérieures provinciales n’avaient pas compétence pour instruire ce type de demande d’habeas corpus parce que la Loi prévoit une procédure complète pour l’examen de la décision de la Commission des libérations conditionnelles.

[53]           Le défendeur soutient que la Commission avait l’obligation de procéder à l’examen de la libération conditionnelle avec célérité.

La décision de la Commission des libérations conditionnelles de refuser l’ajournement, ainsi que son refus de tenir une audience a entraîné un manquement à l’équité procédurale

[54]           Le paragraphe 135(5) de la Loi prévoit que, une fois saisie du dossier, la Commission l’examine et rend une décision « au cours de la période prévue par règlement, sauf si, à la demande du délinquant, elle lui accorde un ajournement ou un membre de la Commission ou la personne que le président désigne nommément ou par indication de son poste reporte l’examen ».

[55]           Le paragraphe 163(3) du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92‑620 [le Règlement] énonce que « à moins qu’elle n’accorde un ajournement de l’examen à la demande du délinquant – la Commission rend sa décision dans les 90 jours suivant la date du renvoi du dossier […] »

[56]           Par conséquent, la Commission doit habituellement rendre sa décision dans les 90 jours du renvoi du dossier, à moins que le délinquant ne demande l’ajournement ou le report et que la Commission exerce son pouvoir discrétionnaire et accueille la demande.

[57]           Même si le défendeur soutient que la Commission a l’obligation de rendre avec célérité une décision finale relativement à une suspension de libération conditionnelle, la Loi et le Règlement établissent clairement que les demandes d’ajournement ou de report faites par un délinquant doivent être prises en compte.

[58]           Comme le reconnaît le défendeur, la Commission ne dispose d’aucun critère pour l’orienter dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire d’octroyer un report. Le Manuel des politiques, à la section 11.7 donne certaines directives quant au moment et à la raison pour laquelle un délinquant peut demander un report, mais il ne s’agit que d’exemples et ceux‑ci ne sont pas exhaustifs.

[59]           De plus, la section 11.7(9), du Manuel est ainsi libellée :

9. Lorsque la Commissiosn accepte de reporter un examen de maintien en incarcération ou un examen de postsuspension, cet examen doit être effectué dans les délais prévus par le RSCMLC, sauf si le délinquant demande un report plus long et comprend qu’il ne pourra être mis en liberté tant que la Commission n’aura pas rendu une décision finale.

[60]           En l’espèce, M. DeMaria a demandé un report plus long et il savait qu’il ne serait pas libéré avant qu’une décision soit rendue.

[61]           Comme c’est le cas pour tout exercice d’un pouvoir discrétionnaire, notamment un pouvoir conféré par la loi, celui‑ci doit être raisonnable et respecter l’équité procédurale (Ré : Sonne c Conseil du secteur du conditionnement physique du Canada, 2014 CAF 48 aux para 37 à 39).

[62]           Le défendeur fait valoir que les motifs cités dans les demandes d’ajournement ont changé au fil du temps et, dans une certaine mesure, cela est vrai. Cependant, les motifs soulevés par Mme Orkin au nom de M. DeMaria n’étaient pas incohérents. En outre, la Commission n’a pas examiné les divers motifs invoqués par Mme Orkin ou les options qu’elle proposait. La Commission ne s’est fondée que sur la procédure d’habeas corpus en cours et elle a conclu que M. DeMaria disposait de suffisamment de temps pour répondre aux allégations ayant mené à la suspension de la libération conditionnelle.

[63]           La Commission a déclaré ce qui suit [traduction] « vos assistants ont fourni un certain nombre de lettres en votre nom, dans lesquelles vous niez l’exactitude des renseignements fournis à la Commission par les policiers ou par SCC ». Cependant, ces lettres ne constituaient pas des observations en réponse à la note no 9.

[64]           La Section d’appel a conclu que, compte tenu du délai entre la suspension de la libération conditionnelle de M. DeMaria et la décision de la Commission, la décision de la Commission de refuser le report était raisonnable. La Section d’appel a souligné que les observations de M. DeMaria du 17 juin 2014 ont été examinées par la Commission et elle a conclu que son droit d’être entendu avait été respecté. Cependant, ces observations ne portaient que sur les questions d’équité procédurale.

[65]           Comme il a été mentionné ci-dessus, la note no 9 contenait de nombreuses allégations et il était dans l’intérêt de M. DeMaria de donner sa version relativement à tous les renseignements et allégations qui figuraient dans cette note, même si certains d’entre eux n’étaient pas du tout récents.

[66]           L’ajournement de l’examen de la libération conditionnelle n’occasionnait aucun préjudice à la Commission. L’hypothèse du défendeur selon laquelle l’obligation de rendre une décision rapidement lors de l’examen de la libération conditionnelle vise à conférer une protection à l’encontre des allégations de détention illicite ne me convainc pas. M. DeMaria était en détention lorsqu’il a présenté les demandes d’ajournement. Lui ou d’autres demandeurs n’auraient probablement pas gain de cause s’ils devaient prétendre que leur propre demande de rester en détention jusqu’à une date ultérieure, en attendant que la date de l’examen de leur libération soit fixée, constitue une détention illicite.

[67]           D’un côté, M. DeMaria disposait de cinq mois (et non de 212 jours, comme l’a noté la Section d’appel), à compter de la réception de la note de service no 9, pour présenter sa version des faits sur le fond. On lui a accordé deux ajournements. Il a posé des questions détaillées à la Commission, car il voulait obtenir des renseignements supplémentaires. Il a aussi choisi d’introduire, de manière simultanée, des instances parallèles devant la Cour supérieure de l’Ontario. D’un autre côté, il ne savait pas que la Commission mettrait l’accent sur sa présence à deux mariages plutôt que sur l’ensemble des allégations qui remontent à plus d’une décennie. Il a réitéré ses demandes de divulgation supplémentaire, d’ajournements et d’audition. Son avocate, Mme Orkin, a fait valoir plusieurs motifs à l’appui de la troisième demande d’ajournement, notamment que les questions étaient complexes, que le dossier de M. DeMaria était volumineux, qu’elle avait de la difficulté à communiquer avec lui à l’Établissement de Collins Bay (surtout en raison d’un confinement), qu’elle était tiraillée entre deux orientations pour ce qui est de la préparation des documents et qu’elle avait besoin de temps, au moins jusqu’au mois de septembre, pour présenter des observations à la Commission. La Commission n’a pas traité de tous les motifs soulevés par Mme Orkin dans sa lettre ni des solutions de rechange que cette dernière avait proposées, et elle n’a pas non plus relevé de faits qui pourraient lui porter préjudice si l’examen de la libération conditionnelle devait être ajourné, compte tenu du fait que M. DeMaria restait en détention.

[68]           La Commission a plutôt conclu que M. DeMaria disposait d’assez de temps pour présenter une réponse et que les lettres antérieures de Mme Orkin, jugées par la Commission comme réfutant l’exactitude des renseignements, étaient suffisantes. Cependant, les lettres auxquelles la Commission a renvoyé soulevaient de nombreuses questions et ne constituaient pas une réponse aux allégations. La Commission était bien au courant que les observations en réponse aux allégations n’avaient pas encore été présentées.

[69]           Dans la même veine, la conclusion de la Section d’appel selon laquelle la Commission avait examiné les observations du 17 juin 2014 manquait la cible, en ce sens que ces observations portaient uniquement sur les questions liées à l’équité procédurale et non sur les allégations.

[70]           Bien que la Section d’appel puisse avoir commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la Commission a exercé, de manière raisonnable, son pouvoir discrétionnaire de refuser l’ajournement, c’est ce refus, suivi du refus de la Commission d’ordonner la tenue d’une audience, comme il est expliqué ci‑dessous, qui a occasionné le manquement à l’équité procédurale.

VIII.       La Commission des libérations conditionnelles a‑t‑elle contrevenu à son obligation d’agir équitablement en n’ordonnant pas la tenue d’une audience pour permettre à M. DeMaria de donner sa version des faits relativement aux allégations?

Les observations du demandeur

[71]           M. DeMaria affirme qu’une audience devait être tenue, parce que la décision de la Commission de révoquer sa libération conditionnelle comportait des conclusions sur sa crédibilité, en plus d’avoir une incidence importante sur sa liberté.

[72]           M. DeMaria soutient que, dans la décision Joly c Canada (Procureur général), 2014 CF 1253, au para 79 [Joly], la Cour a conclu qu’une audience doit être tenue lorsque la crédibilité est en jeu lors de l’examen, et qu’une décision défavorable peut entraîner une longue période de réincarcération. Il prétend que ce principe devrait s’appliquer à sa situation.

[73]           M. DeMaria fait valoir que la note no 9 contenait des allégations à propos de sa crédibilité. En outre, plusieurs des allégations contenues dans la note no 9 étaient fondées sur des déclarations faites par des informateurs confidentiels, déclarations dont la fiabilité et le caractère exhaustif auraient dû être vérifiés dans le cadre d’une audience.

[74]           M. DeMaria relève aussi que le paragraphe 140(2) de la Loi, lequel confère dorénavant à la Commission le pouvoir discrétionnaire de tenir des audiences, plutôt qu’elle tienne une audience dans le cas de tels examens, a été déclaré inconstitutionnel par la Cour supérieure du Québec dans la décision Way c Commission des libérations conditionnelles du Canada, 2014 QCCS 4193 [Way].

[75]           M. DeMaria soutient que, sans égard aux dispositions de la loi, la common law exige que la Commission s’acquitte de son obligation en ce qui concerne l’équité procédurale, et que la portée de l’obligation est orientée par les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817 [Baker]. Il soutient que la Commission devait faire preuve d’un important degré d’équité procédurale, notamment en tenant une audience.

Les observations du défendeur

[76]           Le défenseur fait remarquer que le paragraphe 140(2) de la Loi confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience et que la Cour ne devrait pas intervenir à la légère relativement à l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire (Cougar Aviation Ltd c Canada (Ministre des Travaux publics et des Services gouvernementaux), [2000] ACF no 1946 au para 62 (CA); Xwave Solution Inc c Canada (Travaux publics et Services gouvernementaux), 2003 CAF 301 au para 13).

[77]           Le défendeur soutient que c’est à juste titre que la Section d’appel a conclu que, conformément aux directives énoncées dans le Manuel des politiques, la Commission peut tenir une audience en se fondant uniquement sur une appréciation de n’importe quel facteur pertinent, notamment la crédibilité et la force probante des renseignements, le caractère exhaustif des renseignements ou l’incapacité d’un contrevenant à communiquer.

[78]           Le défendeur soutient aussi qu’il incombe au contrevenant de démontrer à la Commission que la tenue d’une audience est nécessaire et que M. DeMaria ne l’avait pas fait. Par conséquent, la conclusion de la Commission selon laquelle elle disposait de tous les renseignements nécessaires, et de considérer les renseignements de la police comme étant fiables, en raison de l’absence de preuve contradictoire, était raisonnable. La décision stratégique de M. DeMaria de ne pas présenter d’observations quant au bien-fondé des allégations a fait en sorte que la Commission ne disposait d’aucune contestation en ce qui concerne le caractère exhaustif et la fiabilité des renseignements. S’il avait présenté des observations en réponse aux allégations pour contester le caractère exhaustif des renseignements ou leur fiabilité, la Commission aurait pu tenir une audience.

[79]           Le défendeur prétend que la liberté est un droit important, mais il fait valoir que celui‑ci n’est pas déterminant en ce qui concerne la nécessité de tenir une audience (Baker; Suresh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 1 [Suresh]). Le défendeur soutient que quatre des cinq facteurs énoncés dans l’arrêt Baker démontrent que l’équité procédurale n’exigeait pas la tenue d’une audience en l’espèce. Le statut non judiciaire de la Commission, les dispositions de la Loi, la capacité de la Commission de choisir sa propre procédure, ainsi que les recours en appel indiquent tous que celle-ci est tenue à une obligation d’équité procédurale allégée et, donc, elle n’est pas obligée de tenir une audience.

[80]           Le défendeur fait remarquer que la question de la suspension de la libération conditionnelle de M. DeMaria a été renvoyée à la Commission, pour qu’elle fasse l’objet d’un examen et d’une décision, que ce dernier a été avisé qu’il s’agirait d’un examen de documentation écrite, qu’il avait reçu, dans la note no 9, un résumé exhaustif des allégations et qu’il a pu, à sa demande, obtenir deux ajournements. M. DeMaria a choisi de ne pas répondre aux allégations. Il a présenté uniquement des observations très limitées, lesquelles ne traitaient pas des allégations sur le fond, et, par conséquent, la Commission avait le droit de se fonder sur les renseignements contenus dans la note no 9, lesquels, selon elle, étaient fiables et convaincants. Dans ce contexte, la Commission s’est acquittée de son obligation d’équité procédurale.

Le refus de la Commission des libérations conditionnelles de tenir une audience après son refus d’ajourner l’examen de la libération conditionnelle, était inéquitable d’un point de vue procédural.

La crédibilité et la liberté étaient en jeu

[81]           La décision de révoquer la libération conditionnelle de M. DeMaria mettait en jeu les droits qui lui sont garantis par l’article 7 de la Charte. Ce facteur, et d’autres, ont une incidence sur la portée de l’obligation d’équité procédurale.

[82]           On a accordé à M. DeMaria une libération conditionnelle complète, et ce, même s’il purge une peine d’emprisonnement à perpétuité. Il y a une grande différence entre le fait de purger une peine à perpétuité en détention et celui de purger cette peine en supervision dans la collectivité. C’est de ce point de vue qu’il convient d’examiner le droit, limité ou restreint, de M. DeMaria à la liberté.

[83]           Dans la décision Hewitt c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1984] 2 CF 357 (1e inst.), la Cour a mentionné (à la page 367) que « [l]e requérant conserve le droit de ne pas être privé de sa liberté très restreinte qu’est la libération conditionnelle si ce n’est en conformité avec les principes de justice fondamentale ». Dans la décision Gough, au para 15, la Cour a aussi mentionné ce qui suit en ce qui a trait au droit à la liberté des personnes en libération conditionnelle :

Il ne fait pas doute que la liberté du requérant est conditionnelle […] En même temps, on ne doute guère que le droit à la liberté conditionnelle du requérant se trouve, en l’espèce, en tête du spectre […] Le requérant jouit d’une libération conditionnelle totale, et ce, depuis plusieurs années […] La liberté d’un individu (même la liberté conditionnelle dont un libéré conditionnel jouit) compte beaucoup par comparaison avec les intérêts en concurrence.

[84]           Dans l’arrêt Singh et al c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration [1985] 1 RCS 177 [Singh], la Cour suprême du Canada a mis l’accent sur le fait que, lorsque lorsque les droits garantis par l’article 7 sont en jeu et que la crédibilité de la personne concernée est une question importante, la tenue d’une audience est généralement nécessaire. La Cour suprême a fait remarquer ce qui suit aux pages 213 et 214 :

Je pense en particulier que, lorsqu’une question importante de crédibilité est en cause, la justice fondamentale exige que cette question soit tranchée par voie d’audition […] je puis difficilement concevoir une situation où un tribunal peut se conformer à la justice fondamentale en tirant, uniquement à partir d’observations écrites, des conclusions importantes en matière de crédibilité.

[85]           La crédibilité de M. DeMaria était aussi clairement en cause.

[86]           La note no 9 comprend un éventail de renseignements remontant à 2001 à propos des liens de M. DeMaria avec le crime organisé; ses tractations d’affaires; les enquêtes sur d’autres personnes au sujet de fraude, de trafic de stupéfiants et de crimes violents, ainsi que des renseignements plus récents. La note no 9 donne à penser que M.  DeMaria est lié à ces personnes et elle contient plusieurs énoncés défavorables à propos de sa crédibilité.

[87]           Bien que le défendeur soutienne que la décision de la Commission repose exclusivement sur le fait que M. DeMaria a contrevenu à la clause de non-association lors de deux mariages, la Commission s’est fondée sur les énoncés défavorables en matière de crédibilité contenus dans la note no 9, et elle a tiré ses propres conclusions en matière de crédibilité. La note no 9 contenait des renseignements qui allaient bien au‑delà des deux mariages.

[88]           La note no 9 abordait à plusieurs reprises la question de la crédibilité de M. DeMaria. Elle mentionne notamment ce qui suit :

  • En ce qui concerne la déclaration de M. DeMaria, selon laquelle il ne se souvenait pas avoir vu une personne en particulier au mariage de juin 2012, et ne l’avait donc pas signalé à son agent de libération conditionnelle, la note mentionne ce qui suit : [traduction] « […] cela soulève des préoccupations à propos de la crédibilité de DEMARIA et de sa fiabilité en ce qui a trait au respect des conditions qui lui ont été imposées […] »
  • En ce qui concerne les renseignements remontant à 2003 et son contact avec M. Cortese, au sujet duquel M. DeMaria a déclaré qu’il pouvait avoir été présent à un mariage précédent (décrit comme une ancienne violation), la note mentionne [traduction« une fois de plus, cela soulève des préoccupations à propos de la crédibilité de DEMARIA et de son incapacité à dire la vérité […] »
  • En ce qui concerne les autres renseignements antérieurs, y compris les contacts allégués avec d’autres personnes et les affaires de M. DeMaria, la note mentionne que [traduction« DEMARIA n’a clairement pas été franc avec son EGC […] La crédibilité de DEMARIA et la fiabilité de sa déclaration pour ce qui est de respecter ses conditions et de rapporter des renseignements à son EGC, au besoin, sont douteuses ». En outre [traduction« les renseignements antérieurs confirment les préoccupations de l’EGC à propos du caractère douteux de la crédibilité de DEMARIA ».
  • En ce qui a trait à l’enquête pour fraude visant d’autres personnes et qui a eu lieu en 2003, la note mentionne que [traduction« les reçus de dépôt découlant d’une fraude d’assurance […] représentent d’autres préoccupations à propos de la crédibilité de DEMARIA ». En ce qui concerne une enquête pour fraude qui a eu lieu 2008, laquelle visait également d’autres personnes, la note mentionne que les liens de M. DeMaria avec ces personnes ne sont probablement pas une coïncidence [traduction« ce qui soulève une fois de plus la question des activités douteuses de DEMARIA ainsi que de sa crédibilité en général ».
  • Dans la conclusion, la note mentionne que [traduction« les renseignements fournis par toutes les sources présentent une tendance préoccupante, à savoir que  DEMARIA est cachottier et qu’il manque de crédibilité, puisqu’il y a beaucoup d’incompatibilités entre les rapports qu’il a lui-même rédigés et les renseignements collatéraux pour que ces incompatibilités soient considérées comme uniquement des coïncidences […] l’EGC croit que […] DEMARIA fait régulièrement montre d’un manque d’honnêteté et de transparence à propos de ses liens et de ses activités, autant antérieures qu’actuelles […] »

[89]           Bien que le défendeur soutienne que la décision Joly ne s’applique pas en l’espèce et que le résumé de la common law fait par le juge Diner en ce qui a trait aux audiences et à l’équité procédurale dans le contexte d’une décision relative à la révocation de la libération conditionnelle constitue une remarque incidente, la décision Joly est fondée sur les principes qui ont été établis par la jurisprudence antérieure.

[90]           Le juge Diner a conclu que la Commission avait manqué à son obligation relative à l’équité procédurale en ne tenant pas une audience. Les faits étaient différents de ceux de la présente affaire, en ce sens que l’examen de la libération conditionnelle de M. Joly avait commencé avant que la Loi soit modifiée pour supprimer l’exigence de tenir une audience et pour conférer à la Commission le pouvoir discrétionnaire de faire une telle chose. La question déterminante dans la décision Joly était l’application des dispositions transitoires de la Loi, lesquelles donnaient à M. Joly le droit à une audience.

[91]           Le juge Diner a ensuite conclu que les droits de M. Joly relatifs à l’équité procédurale ont aussi été violés au regard de la common law. Bien qu’il s’agisse d’une conclusion subsidiaire, le résumé du juge Diner de la common law, notamment son analyse des arrêts Singh, Suresh, Baker et Charkaoui c Canada, 2007 CSC 9, est raisonnable. Ces précédents continuent d’orienter la décision quant à la question de l’équité procédurale dont il convient de faire preuve envers les contrevenants dans des circonstances similaires.

[92]           Au paragraphe 79, le juge Diner a déclaré ce qui suit :

Lorsque la crédibilité est en jeu, comme c’est le cas en l’espèce, et qu’une décision défavorable débouche sur une longue période de réincarcération, le demandeur devrait à tout le moins avoir l’occasion de faire entendre sa version des faits en vertu du principe de l’équité procédurale.

[Non souligné dans l’original.]

[93]           Contrairement à ce que M. DeMaria a fait valoir dans son observation, le juge Diner, dans sa déclaration, ne va pas aussi loin que de dire qu’il faut tenir une audience dans les cas où la crédibilité et l’incarcération sont en jeu; il ne fait que dire que « l’occasion de faire entendre sa version des faits » doit lui être donnée. Cela reflète la jurisprudence prédominante. Le juge Diner a conclu, dans le contexte de la preuve dont il disposait, que la tenue d’une audience était nécessaire pour que M. Joly puisse faire entendre sa version des faits, et il a fait remarquer que M. Joly n’avait pas présenté d’observations écrites et qu’il s’attendait à ce qu’une audience soit tenue.

[94]           M. DeMaria était exposé à être de nouveau incarcéré, possiblement pour une période indéfinie, et sa crédibilité était contestée. La question est de savoir si la Commission lui a donné l’occasion de faire entendre sa version des faits.

La disposition de la Loi

[95]           Le paragraphe 140(2) prévoit uniquement que la Commission « peut décider » de tenir « une audience dans les autres cas non visés au paragraphe (1) ». La Section d’appel a invoqué le paragraphe 11.1(5) du Manuel des politiques et elle a conclu qu’il était raisonnable, de la part de la Commission, de conclure qu’elle disposait de tous les renseignements pour procéder à l’examen.

[96]           Le paragraphe 11.1(5) prévoit ce qui suit :

5. Dans les cas où la loi n’exige pas la tenue d’une audience, la Commission peut décider d’effectuer un examen par voie d’audience, en vertu du paragraphe 140(2) de la LSCMLC, s’ils estiment, dans les circonstances particulières du cas, qu’il faut tenir une audience pour clarifier des aspects pertinents du cas. Cela peut comprendre, notamment, les situations où :

a.         le caractère sûr et convaincant des renseignements examinés ne peut être évalué au moyen d’une étude du dossier;

b.         le dossier comprend des renseignements incomplets ou discordants qui sont pertinents à l’examen du cas et qui pourraient être clarifiés lors d’une audience;

c.         les renseignements au dossier indiquent que le délinquant a des problèmes (cognitifs, de santé mentale, physiques ou autres), qui empêchent de communiquer efficacement par écrit.

[97]           Le même Manuel prévoit, au paragraphe 11.1(2), que son objet est de « [g]uider les commissaires à tenir des audiences de qualité, tout en respectant l’obligation d’agir équitablement et en se conformant à la loi, à la jurisprudence et aux politiques applicables » [non souligné dans l’original].

[98]           Le défendeur soutient que M. DeMaria n’avait pas établi qu’une audience aurait dû être tenue. Cependant, aucune disposition de la Loi, du Règlement ou du Manuel des politiques ne donne à penser que le contrevenant doit établir qu’une audience doit être tenue ou convaincre la Commission en ce sens. Le Manuel des politiques mentionne que « la Loi n’exige pas une audience »; il reconnaît donc que la tenue d’une audience peut être obligatoire par application du paragraphe 140(1), d’autres dispositions législatives ou de la common law. Malgré que le paragraphe 140(2) confère au décideur le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience – et, en l’espèce, il n’est pas contesté que l’examen visant M. DeMaria relève du paragraphe 140(2) –plusieurs facteurs, en plus des orientations fournies par le Manuel des politiques, indiquaient qu’il était nécessaire de tenir une audience.

L’obligation d’équité procédurale prévue dans la common law

[99]           Dans l’arrêt Baker, précité, la Cour suprême du Canada a établi que l’obligation d’équité procédurale varie selon le contexte.

[100]       La juge L’Heureux-Dubé a énoncé une liste non exhaustive de facteurs et elle a mis l’accent sur le fait que la portée de l’obligation d’équité procédurale doit être établie selon le contexte propre de chaque situation. La juge L’Heureux-Dubé a réitéré que l’équité procédurale est fondée sur le principe selon lequel les personnes touchées par des décisions doivent avoir la possibilité de faire valoir leur position et que ces personnes ont droit à ce que les décisions ayant une incidence sur leurs droits et intérêts soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et transparent, « adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision » (Baker, au para 28).

[101]       Les facteurs en question comprennent la nature de la décision, la nature du régime législatif, l’importance de la décision pour la personne visée, les attentes légitimes de cette personne et le choix de procédure du décideur.

[102]       En ce qui concerne la nature de la décision et le processus adopté pour la prendre, l’arrêt Baker énonce que, plus le processus prévu ressemble à une prise de décision judiciaire, plus il est probable que l’obligation d’agir équitablement exigera des protections procédurales proches du modèle du procès (Baker, au para 23). Même si le processus adopté par la Commission dans les décisions relatives aux libérations conditionnelles est davantage inquisitoire que contradictoire, elle doit apprécier et pondérer la preuve dont elle dispose, et cela nécessite souvent des appréciations de crédibilité. En l’espèce, la Commission a pris acte des réfutations de M. DeMaria, mais elle n’a pas attendu qu’il lui transmette ses observations complètes. Néanmoins, la Commission a tiré des conclusions défavorables en matière de crédibilité en se fondant uniquement sur la preuve documentaire.

[103]       En ce qui concerne la nature du régime législatif, des protections procédurales plus importantes seront exigées lorsque la loi ne prévoit aucune procédure d’appel, ou lorsque la décision est déterminante quant à la question en litige et qu’il n’est plus possible de présenter d’autres demandes (Baker, au para 24). En l’espèce, la Loi prévoit le droit d’interjeter un appel à l’encontre de la décision de la Commission des libérations conditionnelles. En outre, la décision de la Section d’appel peut faire faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire à la Cour.

[104]       L’importance de la décision pour les personnes visées est un facteur important qui a une incidence sur la teneur de l’obligation d’équité procédurale.  Plus la décision est importante pour la vie des personnes visées et plus ses répercussions sont grandes pour ces personnes, plus les protections procédurales requises seront rigoureuses (Baker, au para 25). La décision de révoquer une libération conditionnelle est d’une grande importance. Comme il a été mentionné ci‑dessus, c’est la différence entre vivre dans la collectivité, sous réserve de conditions, tout en purgeant une peine de prison à perpétuité, et rester en détention en attendant une possibilité que la demande de libération conditionnelle soit examinée. La révocation de la libération conditionnelle peut aussi avoir une incidence défavorable sur toute demande de libération conditionnelle présentée par la suite.

[105]       Les attentes légitimes d’une personne qui conteste la décision ont aussi une incidence sur ce que l’obligation d’équité exige dans des circonstances données. Si la personne s’attend légitimement à ce qu’une certaine procédure soit suivie, l’obligation d’équité exigera cette procédure (Baker, au para 26). M. DeMaria demandait la tenue d’une audience dès janvier 2012, mais la Commission lui a clairement communiqué, en février 2012, que l’examen aurait lieu sur foi des documents écrits.

[106]       L’arrêt Baker énonce aussi que le choix de la procédure adoptée par le décideur devrait aussi être pris en compte et respecté, surtout quand la loi laisse au décideur la possibilité de choisir ses propres procédures, ou quand celui‑ci a une expertise dans le choix des procédures appropriées dans les circonstances (Baker, au para 27). Le paragraphe 140(2) de la Loi confère à la Commission le pouvoir discrétionnaire de tenir une audience, à moins que celle‑ci ne soit obligatoire, mais il ne contient aucun critère. Le Manuel des politiques donne certaines directives et rappelle aussi aux membres de la Commission qu’ils ont le devoir d’agir équitablement.

[107]       Le défendeur soutient que quatre des cinq facteurs énoncés dans l’arrêt Baker appuient l’argument selon lequel la Commission s’est acquittée de son obligation relative à l’équité procédurale dans le contexte global et qu’il n’était pas nécessaire de tenir une audience. Je suis d’avis que trois des cinq facteurs appuient un degré plus élevé d’équité procédurale. Néanmoins, la portée de l’obligation d’équité procédurale n’est pas déterminée en fonction d’un décompte des facteurs favorables de l’arrêt Baker. Il ne s’agit pas d’une liste exhaustive de facteurs et certains d’entre eux peuvent se voir accorder un poids plus important que les autres. Les facteurs énoncés dans l’arrêt Baker orientent les décideurs à propos de la portée et de la teneur de l’obligation d’équité procédurale, c.‑à‑d. quelles mesures doivent être prises pour respecter le principe selon lequel les personnes visées « doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position […] » (Baker, au para 28).

[108]       En l’espèce, la nature de la décision et la manière avec laquelle la Commission rend ses décisions, conjuguées avec l’importance de la décision pour M. DeMaria, exigent que le principe d’équité procédurale soit appliqué avec plus de rigueur que le minimum prévu.

[109]       Dans certains contextes, le décideur peut s’acquitter de son obligation d’agir équitablement en instruisant, de manière pleine et entière, une affaire par écrit (Baker, aux para 33 et 34), et ce, même lorsque les droits garantis par la Charte sont en jeu (Singh, à la page 213).

[110]       La Commission aurait pu s’acquitter de son obligation relative à l’équité procédurale sans tenir une audience si elle avait fait droit à la demande de M. DeMaria d’ajourner l’examen de sa libération conditionnelle et que M. DeMaria avait par la suite présenté des observations écrites plus détaillées en réponse aux nombreuses allégations, plutôt que des observations ne portant que sur des questions relatives à l’équité procédurale. Comme l’a fait remarquer le défendeur, les observations écrites de M. DeMaria, ainsi que son affidavit, ont été présentées à la Section d’appel en août 2014, et celles‑ci traitaient de la substance de la plupart des allégations. Cependant, la Commission des libérations conditionnelles avait refusé, deux mois auparavant, la troisième demande d’ajournement, laquelle visait la présentation de ces observations. La Section d’appel a examiné l’appel, lequel reposait sur le manquement à l’équité procédurale, en se fondant uniquement sur les renseignements figurant dans le dossier dont disposait la Commission. Le refus de la Commisson daté du 13 juin 2014 d’ajourner l’examen pour une troisième fois constitue donc une partie importante du contexte pertinent qui détermine la portée de l’obligation d’équité procédurale ainsi que la question de savoir si la tenue d’une audience était nécessaire.

[111]       Le fait que la liberté de M. DeMaria était en jeu, que sa crédibilité était attaquée et qu’il faisait l’objet de nombreuses allégations, à l’égard desquelles il croyait qu’il devait donner sa version des faits, sont tous des éléments qui composent ce contexte pertinent. Comme il a été mentionné, M. DeMaria ne savait pas que la Commission fonderait sa décision sur sa présence à deux mariages.

[112]       Dans les circonstances, après le refus de la troisième demande d’ajournement, une audience aurait dû être tenue pour permettre à M. DeMaria de répondre aux allégations et de traiter des conclusions en matière de crédibilité figurant dans la note no 9. Subsidiairement, si un ajournement avait été accordé pour une période raisonnable en vue de permettre à M. DeMaria de présenter ses observations en réponse à la note no 9 avant que la Commission eût tiré ses conclusions au sujet de sa crédibilité et de la fiabilité et du caractère convaincant des renseignements, la Commission n’aurait peut-être pas eu à tenir une audience pour s’acquitter de ses obligations en matière d’équité procédurale. Comme il a été mentionné, l’obligation d’équité procédurale varie en fonction du contexte, et si l’ajournement avait été accordé, le contexte aurait été différent.

[113]       Dans les circonstances de la présente affaire, la Section d’appel a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que la Commission s’était acquittée de son obligation en matière d’équité procédurale.

La validité constitutionnelle

[114]       La validité constitutionnelle de l’article 140 n’est pas en litige dans la présente affaire.

[115]       Dans la décision Way, précitée, la Cour supérieure du Québec a conclu que les modifications apportées à l’alinéa 140(1)d) de la Loi, qui supprimaient le droit à une audience dans certaines circonstances, violaient les droits garantis à l’article 7 de la Charte et que cette violation n’était pas justifiée au titre de l’article premier. La Cour d’appel du Québec a confirmé cette décision (Canada (Procureur général) c Way, 2015 QCCA 1576). La Cour suprême du Canada a accueilli une demande d’autorisation de pourvoi et ce pourvoi sera instruit l’an prochain. Le jugement de la Cour suprême du Canada quant à cette affaire pourrait préciser si les audiences doivent être tenues dans davantage de circonstances ou dans toutes les circonstances. Cependant, la demande de M. DeMaria est accueillie, parce qu’il y a eu violation de l’équité procédurale.

IX.             Conclusion

[116]       La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La Section d’appel a commis une erreur en concluant que la Commission des libérations conditionnelles s’était acquittée de son obligation en matière d’équité procédurale dans la situation bien précise de l’espèce. Par conséquent, un tribunal différemment constitué de la Commission des libérations conditionnelles devra décider à nouveau si la libération conditionnelle de M. DeMaria devrait être révoquée, après qu’elle lui eut donné une possibilité raisonnable de présenter des observations écrites en réponse à la note no 9 et/ou à la suite d’une audience.

[117]       Il ne s’agit pas d’une situation où la Cour peut conclure que, en l’absence du manquement à l’équité procédurale, la décision de révoquer la libération conditionnelle de M. DeMaria serait inévitable, et le défendeur n’a pas soulevé un tel argument.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Un tribunal différemment constitué de la Commission des libérations conditionnelles devra rendre une nouvelle décision concernant l’examen de la libération conditionnelle de M. DeMaria, conformément aux présents motifs.

« Catherine M. Kane »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2566-14

 

INTITULÉ :

VINCENZO DEMARIA c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 AOÛT 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DUJUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 16 janvier 2017

 

COMPARUTIONS :

Michael S. Mandelcorn

Simon King

POUR LE DEMANDEUR

VINCENZO DEMARIA

 

Sean Gaudet

Aysha Laldin

 

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael S. Mandelcorn

Avocat

Kingston, Ontario

Simon King

Avocat

Toronto, Ontario

 

POUR LE DEMANDEUR

VINCENZO DEMARIA

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

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