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Date : 20170104


Dossier : IMM-5038-15

Référence : 2017 CF 13

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

MARIA DIAZ CASTRO,

BRIGETTE LORENA BALLESTEROS DIAZ,

JULIETTE JOHANA ESPITIA DIAZ,

MARIAN ESPITIA DIAZ et

JUAN ALEJANDRO MONTOYA ESPITIA

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Mme Maria Brigitte Diaz Castro (la demanderesse principale), sa fille Brigette Lorena Ballesteros Diaz, sa nièce Juliette Johana Espitia Diaz, ainsi que les deux enfants de Juliette, Mariana Espitia Diaz et Juan Alejandro Montoya Espitia, (les demandeurs) sont citoyens de la Colombie. Ils sont arrivés au Canada en mars 2013 et ont demandé l’asile à leur arrivée, alléguant qu’ils avaient été pris pour cible par les Forces armées révolutionnaires de Colombie (les FARC).

[2]               La Section de la protection des réfugiés (la SPR) de la Commission de l’immigration et du statut du réfugié du Canada a rejeté la demande, au motif que certains aspects du témoignage de la demanderesse principale n’étaient pas crédibles et que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection adéquate de l’État. La Cour a confirmé la décision de la SPR dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[3]               Les demandeurs ont présenté une demande d’examen des risques avant renvoi (ERAR), assortie d’un certain nombre de documents à l’appui. Ils soutiennent qu’en rejetant leur demande, l’agent d’ERAR (l’agent) a commis une erreur, parce qu’il a omis de traiter de leur demande visant à obtenir la tenue d’une audience et que, au vu de la preuve, les conclusions relatives à la protection de l’État étaient déraisonnables. Ils demandent que la décision défavorable soit infirmée et l’affaire renvoyée en vue d’une nouvelle décision.

[4]               La présente demande soulève les questions suivantes :

A.                L’agent a-t-il dégagé et appliqué le bon critère lorsqu’il a examiné le caractère adéquat de la protection de l’État?

B.                 L’agent a-t-il commis une erreur en ne traitant pas de la demande visant à obtenir la tenue d’une audience?

[5]               Je suis d’avis que l’agent a appliqué un critère axé sur les efforts déployés par l’État lorsqu’il a examiné la question de la protection de l’État, et il y a lieu d’infirmer la décision pour cette seule raison. La demande est accueillie pour les motifs qui suivent.

II.                Norme de contrôle applicable

[6]               Le juge John O’Keefe, dans la décision Dawidowicz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 115, de même que le juge en chef Paul Crampton, dans la décision Ruszo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1004 (Ruszo), ont conclu que pour déterminer si un décideur a indiqué ou non le critère qu’il convient d’utiliser pour la protection de l’État, la Cour se doit d’appliquer la norme de la décision correcte.

III.             Analyse

A.                L’agent a-t-il dégagé et appliqué le bon critère lorsqu’il a examiné le caractère adéquat de la protection de l’État?

[7]               Aux dires du défendeur, l’agent a conclu de façon raisonnable que les demandeurs n’avaient pas réfuté la présomption de la protection adéquate de l’État. À l’appui de cette position, le défendeur signale qu’après avoir analysé un rapport de 2014 intitulé United States Department of State Human Rights Practices Report (Rapport du DE), l’agent a conclu que la Colombie s’occupe activement des problèmes de criminalité et de corruption liés aux FARC. Il soutient de plus que l’agent a bel et bien tenu compte de la preuve documentaire sur laquelle se fondaient les demandeurs pour faire valoir que la protection de l’État était inadéquate, mais il y a accordé peu de poids, car cette preuve n’avait pas trait aux risques personnalisés que couraient les demandeurs, pas plus qu’elle n’établissait qu’une personne quelconque en Colombie s’intéressait à eux de façon directe et constante. En fait, allègue-t-il, les demandeurs demandent à la Cour de soupeser de nouveau la preuve. Je n’en suis pas convaincu.

[8]               Après avoir passé en revue la preuve des demandeurs et déterminé qu’elle méritait peu de poids, l’agent a ensuite cité de longs extraits du Rapport du DE. Ces extraits font ressortir des problèmes en Colombie qui sont liés au système judiciaire en général et, plus précisément, à la capacité restreinte de l’État de poursuivre des individus accusés de violations des droits de la personne et d’assassinats extrajudiciaires. Les extraits font expressément référence aux FARC, et signalent l’implication des FARC dans la violation de droits à la vie privée de citoyens, des restrictions sur le plan des déplacements ainsi que la responsabilité de groupes armés illégaux dans la plupart des cas de déplacement forcé en Colombie. Le rapport fait état de récents efforts déployés par l’État sur le plan de la protection étatique des citoyens. On y fait mention d’efforts soutenus pour accroître les ressources du Bureau du procureur général, prioriser les affaires liées aux droits de la personne et mettre en œuvre une nouvelle stratégie à appliquer au moment d’analyser les affaires liées aux droits de la personne et à d’autres enjeux. Malgré ces efforts, le rapport conclut que [traduction] « un taux d’impunité élevé a néanmoins persisté ».

[9]               Dans la décision Harinarain c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1519, le juge O’Keefe déclare ceci, aux paragraphes 27 et 28 :

[27] […] la « protection adéquate » et les « sérieux efforts pour protéger [les] citoyens » sont deux choses différentes. L’une concerne la question de savoir si la protection est effectivement assurée dans un pays donné, tandis que les autres ne nous renseignent que sur celle de savoir si l’État a pris des mesures afin de garantir cette protection.

[28]      C’est une maigre consolation pour la personne qui craint d’être persécutée que son État ait fait des efforts pour la protéger si ceux‑ci ne sont pas ou guère suivis d’effet. C’est pourquoi la Commission doit évaluer dans sa réalité empirique le caractère adéquat de la protection de l’État.

[10]           L’agent a identifié correctement le fardeau qu’ont les demandeurs de produire une preuve claire et convaincante pour réfuter la présomption de la protection de l’État et l’obligation de s’adresser à ce dernier pour obtenir une protection dans les cas où l’on pourrait raisonnablement s’attendre à en bénéficier. Cependant, je ne suis pas convaincu que l’agent était conscient qu’au moment d’évaluer le caractère adéquat de la protection de l’État et la question de savoir si les demandeurs avaient satisfait au fardeau qu’ils devaient supporter, il était nécessaire de faire plus que d’examiner simplement les efforts déployés par l’État. Il n’a pas traité de la façon dont les efforts de l’État étaient susceptibles d’assurer une protection de niveau opérationnel aux demandeurs et aux personnes se trouvant dans une situation semblable, ce qui aurait été une étape nécessaire dans l’analyse si l’agent avait appliqué un critère axé sur le caractère adéquat de la protection de l’État (Camargo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1044, au paragraphe 35).

[11]           Le fait de n’avoir pas traité du caractère adéquat des efforts déployés par l’État sur le plan opérationnel est une erreur susceptible de contrôle et, pour ce seul motif, la demande est accueillie.

B.                 L’agent a-t-il commis une erreur en ne traitant pas de la demande visant à obtenir la tenue d’une audience?

[12]           Il n’est pas nécessaire que j’examine le fait que l’agent n’a pas traité de la demande visant à obtenir la tenue d’une audience orale. Je suis toutefois d’avis que ce défaut, dans le contexte précis de la présente demande, est troublant.

[13]           Si les demandeurs sollicitaient la tenue d’une audience orale, c’était en partie parce que la Cour, au stade du contrôle judiciaire de la décision de la SPR, avait établi que les conclusions défavorables que la SPR quant à la crédibilité étaient déraisonnables (Castro c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 132, aux paragraphes 9 à 11).

[14]           Dans la décision consécutive à l’ERAR, rien n’est dit au sujet de la demande visant à obtenir la tenue d’une audience orale, et la question n’est pas abordée. Il était peut-être bien raisonnablement loisible à l’agent de refuser une telle demande, mais le fait de ne pas en avoir pris acte ni d’en avoir traité, dans les circonstances uniques de l’espèce, mine la transparence de la décision.

IV.             Conclusion

[15]           Je suis d’avis que l’agent a commis une erreur au moment de traiter de la question de la protection de l’État et, pour cette raison, la décision est infirmée.

[16]           Les parties n’ont pas relevé de question de portée générale, et il ne s’en pose aucune.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande soit accueillie et l’affaire renvoyée à un décideur différent en vue d’une nouvelle décision. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5038-15

 

INTITULÉ :

MARIA DIAZ CASTRO, BRIGETTE LORENA BALLESTEROS DIAZ, JULIETTE JOHANA ESPITIA DIAZ, MARIAN ESPITIA DIAZ, JUAN ALEJANDRO ET MONTOYA ESPITIA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 OctobrE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge GLEESON

 

DATE DU JUGEMENT :

LE 4 JANVIER 2017

 

COMPARUTIONS :

RAOUL BOULAKIA

POUR LES DEMANDEURS

 

MONMI GOSWAMI

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Raoul Boulakia

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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