Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20170105


Dossier : IMM-793-16

Référence : 2017 CF 16

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2017

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

ELIRAN MORDECHAI ELIYAHU LAZAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Exposé de l’affaire

[1]               M. Eliran Mordechai Eliyahu Lazar (le demandeur, ou M. Lazar) est un ressortissant israélien. En mai 2014, il présente, au Canada, une demande de résidence permanente au titre de la catégorie de l’expérience canadienne (CEC). M. Lazar fait valoir à l’appui de sa demande, ses fonctions de cadre supérieur à la Gaya Cosmetic Industries Inc. (Gaya).

[2]               En janvier 2016, Citoyenneté et Immigration Canada demande à M. Lazar des renseignements concernant le permis d’exploitation de l’entreprise, la répartition de son actionnariat et son organigramme. Un mois environ après l’envoi de ces renseignements, sa demande de résidence permanente est rejetée. La lettre de rejet révèle que M. Lazar est actionnaire de Gaya, et précise que pour le calcul de la période d’expérience professionnelle au titre de la catégorie de l’expérience canadienne, ses périodes de travail autonome ne peuvent pas être prises en compte. L’agent d’immigration (l’agent) a en effet décidé que M. Lazar était un travailleur indépendant et que, cela étant, il ne répond pas aux exigences du programme de la catégorie de l’expérience canadienne. M. Lazar sollicite en l’espèce le contrôle judiciaire du refus opposé par l’agent. Selon lui, l’agent n’a pas tenu compte de certains éléments de preuve. Il serait parvenu à une conclusion déraisonnable et aurait manqué aux principes d’équité procédurale. Ce n’est pas mon avis.

[3]               L’agent a examiné de manière raisonnable les éléments de preuve qui lui étaient soumis, et sa décision de rejet était une issue acceptable au regard des faits et du droit. Je ne suis pas non plus persuadé qu’il y ait eu manquement à l’équité procédurale. Pour les motifs exposés ci-dessous, la demande est rejetée.

II.                Contexte de l’affaire

A.                La demande

[4]               À l’appui de sa demande présentée au titre de la CEC, M. Lazar invoquait son expérience en tant que cadre supérieur, catégorie d’emploi prévue par la Classification nationale des professions (code 0016).

[5]               Il a fait valoir, à cet égard, qu’il travaillait au Canada depuis avril 2012, versant à son dossier deux permis de travail couvrant les périodes allant d’avril 2012 à avril 2013 et de juillet 2013 à août 2015. Sur ces permis, Gaya figure à titre d’employeur. Il a également produit des documents fiscaux, ainsi qu’une lettre d’emploi confirmant qu’il travaillait effectivement pour Gaya, cette lettre précisant ses heures de travail et son salaire annuel, primes comprises. Dans le formulaire de demande, M. Lazar a répondu « Non » à la question lui demandant s’il était travailleur autonome.

[6]               En réponse à une demande de renseignements complémentaires, M. Lazar a fourni les statuts de l’entreprise, le registre des actionnaires et des documents précisant le nom des administrateurs et dirigeants de Gaya. D’après les renseignements ainsi fournis, M. Lazar est président de Gaya, dont il possède par ailleurs 90 % des actions.

B.                 La décision en cause

[7]               Motivant le rejet de la demande, l’agent a précisé que, selon l’article 87.1 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (RIPR), les demandeurs sont, pour ce qui est de leur expérience professionnelle, évalués selon le critère « réussite ou échec ».

[8]               L’agent a pris note de l’expérience dont M. Lazar faisait état en tant que cadre supérieur de Gaya, relevant cependant qu’il était, à 90 %, propriétaire de l’entreprise. L’agent a rappelé qu’aux termes de l’alinéa 87.1(3)b) du RIPR « les périodes de travail non autorisées ou celles accumulées à titre de travailleur autonome ne peuvent être comptabilisées pour le calcul de l’expérience de travail ». L’agent a conclu que M. Lazar était un travailleur autonome et qu’il ne répondait pas, par conséquent, aux exigences du programme de la CEC. La demande de résidence permanente a donc été rejetée.

III.             Norme de contrôle applicable

[9]               La conclusion de l’agent voulant que M. Lazar soit un travailleur autonome et qu’il n’ait pas, aux fins de la CEC, l’expérience voulue en tant que travailleur qualifié, est une question mixte de fait et de droit relevant de la norme de la raisonnabilité (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, [2008] 1 R.C.S. 190, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] aux paragraphes 51 et 53 et Parssian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 304 [Parssian] au paragraphe 17). Appelée, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, à se prononcer selon la norme de raisonnabilité, la Cour ne peut intervenir que si le processus décisionnel suivi par l’agent manque de justification, de transparence et d’intelligibilité, la décision en cause ne faisant pas partie des « […] issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[10]           Quant à la question de l’équité procédurale, les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, [2009] 1 R.C.S. 339 au paragraphe 43, et Parssian au paragraphe 17).

IV.             Analyse

A.                L’agent a-t-il omis de tenir compte de certains éléments de preuve?

[11]           M. Lazar affirme avoir fourni, à l’appui de sa demande, de solides preuves qu’il entretient avec Gaya une relation d’employé à employeur et que les éléments de preuve qu’il a versés au dossier démontrent qu’il n’est pas l’unique propriétaire de l’entreprise. Se fondant sur le registre des actionnaires, l’agent a néanmoins conclu que M. Lazar était un travailleur autonome. Dans le cadre de cette conclusion, l’agent n’a mentionné aucun des autres éléments preuve documentaires tout à fait pertinents, notamment des relevés T4 et une lettre d’emploi, éléments qui, aux termes mêmes du Guide opérationnel concernant les demandes présentées au titre de la CEC (le Guide opérationnel), constituent « […] pour la majorité des demandeurs de la CEC une preuve documentaire clé. ». Le demandeur fait valoir que l’agent n’a pas non plus mentionné que, dans le formulaire de demande, il avait répondu « Non » à la question concernant le travail autonome.

[12]           M. Lazar, invoquant à l’appui de son argument le jugement Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration [1998] ACF no 1425 [Cepeda-Gutierrez], affirme que le fait que l’agent n’ait rien dit des éléments de preuve directement pertinents allant à l’encontre de sa conclusion, permet à la Cour d’en déduire que l’agent a n’a pas tenu compte de ces éléments et d’en conclure que la décision en cause est, en conséquence, déraisonnable. Je n’en suis pas convaincu.

[13]           La décision Cepeda-Gutierrez pose effectivement le principe invoqué par M. Lazar, mais ce principe ne lui est, en l’espèce, d’aucun secours.

[14]           Nul ne conteste qu’il appartient à M. Lazar d’établir qu’il répond effectivement aux critères de la CEC. Ces critères comprennent une expérience professionnelle acquise dans le cadre d’un emploi auprès d’un tiers. Le Guide opérationnel cité par M. Lazar dans ses observations écrites précise les facteurs à prendre en compte pour décider si un demandeur est un employé ou un travailleur autonome. Aux termes mêmes du Guide opérationnel, cette évaluation est souvent difficile lorsqu’il s’agit d’évaluer l’emploi de professionnels, le Guide précisant que « […] les personnes qui sont propriétaires dans une mesure substantielle d’une entreprise par laquelle ils sont également employés, ou dont ils assurent le contrôle de gestion, sont généralement considérées comme des travailleurs indépendants ». Si, ainsi que nous l’avons vu, le Guide opérationnel précise que les renseignements fiscaux constituent pour la majorité des demandes de la CEC une preuve documentaire clé de l’existence d’une relation employeur-employé, que cela soit vrai dans la majorité des cas ne veut pas dire que cela soit vrai dans tous les cas sans exception.

[15]           L’agent a conclu, en l’occurrence, que le fait que M. Lazar soit propriétaire des neuf dixièmes de la société, et qu’il en soit par ailleurs le président, est décisif en ce qui concerne la question de la relation employeur-employé. Il est à présumer que pour parvenir à cette conclusion l’agent a pris en compte l’intégralité des éléments de preuve qui lui étaient soumis. Ayant conclu que le fait que M. Lazar soit, dans une mesure substantielle, propriétaire de l’entreprise dont il assurait par ailleurs le contrôle de gestion, est en l’occurrence déterminant, l’agent n’était aucunement tenu de se prononcer sur les autres preuves documentaires.

B.                 La décision en cause est-elle déraisonnable?

[16]           Selon M. Lazar, l’agent a eu tort d’amalgamer la question du travail autonome et celle de la propriété des actions de l’entreprise. Selon lui, l’actionnaire qui est en même temps employé par une entreprise, est un employé de celle-ci, car la situation juridique de l’entreprise est distincte de celle des actionnaires.

[17]           Si, au plan juridique, une entreprise constitue effectivement une entité distincte, la question de ce qui constitue un travail autonome aux fins de la CEC dépend de facteurs ayant à voir avec la propriété et le contrôle de l’entreprise. Cela ressort clairement des facteurs qui, selon le Guide opérationnel, doivent être pris en considération pour déterminer si un demandeur est un employé ou un travailleur indépendant. Le Guide opérationnel ne fait aucune distinction entre les entreprises constituées en sociétés par actions, en sociétés en nom collectif ou en commandite, et les entreprises individuelles. Le Guide opérationnel parle d’entreprises en général et s’arrête non pas à la structure de l’entreprise, mais à sa propriété et à son contrôle.

[18]           En l’occurrence, M. Lazar est propriétaire de la grande majorité des actions de Gaya, dont il est par ailleurs président. L’agent pouvait raisonnablement conclure au vu de ces faits qui ne sont pas contestés, qu’aux fins de la demande présentée au titre de la CEC, M. Lazar est effectivement un travailleur autonome. Cette décision n’a rien de déraisonnable.

C.                 Y a-t-il eu manquement aux principes d’équité procédurale?

[19]           Selon M. Lazar, étant donné les éléments de preuve attestant amplement sa qualité d’employé de Gaya, et le fait que, dans sa demande, il a déclaré ne pas être un travailleur autonome, l’agent était, avant de trancher, tenu de lui donner l’occasion de répondre aux objections de l’agent qui le tenait pour un travailleur indépendant. Il soutient par ailleurs qu’en rejetant les preuves qu’il avait fournies concernant l’existence, entre lui et l’entreprise, d’une relation d’employé à employeur, l’agent a implicitement mis en cause la crédibilité des éléments de preuve qu’il avait produits. D’après lui, le fait qu’on ne lui ait pas fourni l’occasion de répondre auxdites objections, a entraîné un manquement à l’équité procédurale. Ce n’est pas, encore une fois, mon avis.

[20]           Selon la jurisprudence, s’agissant d’une demande de visa : (1) il appartient au demandeur de produire une preuve suffisante à l’appui de sa demande; (2) l’obligation d’équité procédurale incombant aux agents des visas se situe à l’extrémité inférieure du registre; (3) un agent des visas n’est pas tenu d’aviser le demandeur des lacunes relevées dans la demande ou dans les documents fournis à l’appui de cette dernière; (4) enfin, l’agent des visas n’est pas tenu de fournir au demandeur l’occasion de dissiper ses préoccupations lorsque les documents présentés à l’appui de la demande sont obscurs, incomplets ou insuffisants pour permettre de convaincre l’agent que le demandeur se conforme aux exigences (Ansari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 849 au paragraphe 23, renvoyant à Hamza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 264).

[21]           Les doutes concernant la crédibilité, l’exactitude ou l’authenticité des renseignements fournis à l’appui d’une demande imposent souvent que l’on donne à un demandeur l’occasion d’y répondre (Madadi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 716, au paragraphe 6 citant Perez Enriquez c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1091 au paragraphe 26). La situation est autre, toutefois, en l’espèce. L’agent n’éprouvait aucun doute quant à la crédibilité de M. Lazar ou quant à l’authenticité des preuves fournies par celui-ci. L’agent a simplement estimé que les éléments de preuve versés au dossier lui permettaient de conclure qu’aux fins d’immigration, le contrôle que le demandeur exerce sur la société Gaya, son employeur, et le fait qu’il en est en grande partie propriétaire, portent à conclure que le demandeur est un travailleur autonome. Contrairement à ce qu’il en était dans Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 484, que M. Lazar invoque en l’espèce, il n’y a d’ambiguïté ni dans les éléments de preuve produits, ni dans les directives applicables. M. Lazar peut très bien ne pas être d’accord avec la décision en cause, mais cela ne rend pas cette décision déraisonnable, et n’entraîne aucune obligation de lui fournir l’occasion de répondre.

[22]           La question déterminante en l’espèce n’avait rien à voir avec la crédibilité ou avec des doutes quant à l’authenticité des renseignements fournis. Il n’y a pas eu manquement à l’équité procédurale.

V.                Question certifiée

[23]           L’avocate de M. Lazar a proposé la question suivante à des fins de certification :

[24]           [traduction]
Pour l’application de l’alinéa 87.1(3)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227, la personne qui travaille pour une société dont il est actionnaire majoritaire devient-il de ce simple fait un travailleur autonome?

[25]           Selon M. Lazar, la question est en l’occurrence concluante, et dépasse les seuls intérêts des parties, car elle soulève une question grave d’importance générale. Je ne peux retenir cet argument. Selon M. Lazar, la décision en cause veut dire que dans chaque cas où l’actionnaire majoritaire d’une entreprise travaille pour celle-ci, il sera tenu pour un travailleur autonome. Or, ce n’est ce que prévoient ni la législation en vigueur, ni le règlement, ni les guides versés au dossier de la présente demande. La décision a été prise, en l’occurrence, en vertu du pouvoir discrétionnaire de l’agent qui, après avoir examiné les éléments de preuve qui lui avait été soumis, est parvenu à une conclusion à laquelle la preuve lui permettait raisonnablement d’aboutir. La question posée n’est aucunement concluante en l’espèce et ne soulève aucune question grave d’importance générale. Je refuse donc de certifier la question proposée.

VI.             Conclusion

[26]           La décision défavorable de l’agent est une issue à laquelle il pouvait raisonnablement parvenir. La demande est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-793-16

 

INTITULÉ :

ELIRAN MORDECHAI ELIYAHU LAZAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 NOVEMBRE 2016

 

jugement et motifs :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 JANVIER 2017

 

COMPARUTIONS :

Jacqueline Swaisland

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Amina Riaz

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Tara McElroy

Avocate

Lorne Waldman Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.