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Date : 20170103


Dossier : T-1914-15

Référence : 2017 CF 8

[TRADUCTION FRANÇAISE]

 Ottawa (Ontario), le 3 janvier 2017

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

LESLEY JANSEN

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision rendue le 5 août 2015 par un comité d’appel de l’admissibilité du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) rejetant la demande d’indemnité d’invalidité présentée par la demanderesse aux termes de l’article 45 de la Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, L.C. 2005, ch. 21 (« Loi d’indemnisation des FC »).

Contexte

[2]               La demanderesse est une ancienne combattante des Forces canadiennes.  Elle est devenue militaire alors qu’elle était âgée de 17 ans, et elle a servi au cours de la période allant du 5 juillet 1972 au 26 octobre 1984.  Le 11 janvier 2013, la demanderesse a présenté une demande d’indemnité d’invalidité relativement à deux affections médicales alléguées : instabilité à la cheville droite et arthrose à la cheville gauche avec instabilité.

[3]               Dans une décision datée du 21 mai 2013, Anciens Combattants Canada (« ACC ») a refusé d’accorder une indemnité d’invalidité.  En ce qui concerne l’affection d’instabilité à la cheville droite, ACC a constaté que le questionnaire médical daté du 12 avril 2013 faisait mention d’une instabilité de la cheville droite comme diagnostic de la demanderesse. Toutefois, ACC n’a pas reconnu ce diagnostic, parce il était considéré en soir comme un symptôme d’une affection sous-jacente.  La preuve étudiée ne contenait pas suffisamment d’information médicale pour constituer un diagnostic de l’affection de la demanderesse ni pour confirmer la cause de son affection; comme la preuve médicale ne permettait pas d'arriver à un diagnostic, ACC n’a pas été en mesure de déterminer que la demanderesse souffrait d’une invalidité; cela signifiait donc que son affection médicale n’était pas survenue pendant son service au sein de la Force de réserve ou n’était pas directement liée à celui-ci.

[4]               En ce qui concerne l’arthrose à la cheville gauche avec instabilité, ACC a fait observer que le rapport de l’examen radiographique daté du 21 décembre 2012 et le questionnaire médical daté du 12 avril 2013 donnent le diagnostic, en ajoutant toutefois que la preuve examinée ne contenait pas suffisamment d’information médicale pour confirmer la cause de l’affection de la demanderesse, ce qui signifiait que son affection médicale n’était pas survenue pendant son service au sein de la Force de réserve ou n’était pas directement liée à celui-ci.

[5]               La demanderesse a interjeté appel de cette décision devant un comité de révision de l’admissibilité (« comité de révision ») du Tribunal des anciens combattants (révision et appel) (« TACRA »).  Le comité de révision a déclaré qu’il avait étudié toute la documentation au dossier, les arguments formulés par le Bureau de services juridiques des pensions au nom de la demanderesse, le témoignage de la demanderesse et la preuve nouvelle présentée par la demanderesse à l’audience.  Celle-ci comprenait une lettre du Dr Adam datée du 11 janvier 2014, laquelle relatait l’historique que la demanderesse avait établi de ses problèmes bilatéraux aux chevilles, ainsi que des lettres de la demanderesse datées du 27 février 2014, du 6 novembre 2013, du 7 octobre 2013 et du 18 août 2014, avec les pièces qui y étaient jointes.

[6]               Le comité de révision a conclu qu’il n’existait aucun élément de preuve médicale objectif datant de la même époque au sujet d’une blessure liée au service à la cheville droite ou à la cheville gauche et que les déclarations médicales qui avaient été signées par la demanderesse indiquaient qu’elle n’avait subi aucune blessure liée au service à la cheville ou autre pendant ses années de service.  Le comité de révision a également fait remarquer que la preuve faisait état de deux blessures non liées au service que la demanderesse avait subies aux chevilles en 1982 et 1985, mais sur ce point également, il a déterminé qu’il n’existait aucun élément de preuve médicale datant de la même époque au sujet de sa blessure liée au service pendant ses années de service.

[7]               Le comité de révision a rendu sa décision le 19 août 2014; il a confirmé la décision d’ACC et a refusé l’admissibilité à une indemnité d’invalidité pour les deux affections en se fondant sur l’insuffisance de la preuve qui avait pour objet d’établir un lien entre les affections alléguées et le service de la demanderesse dans la Force de réserve.

[8]               Le 15 juin 2015, la demanderesse a interjeté appel de la décision du comité de révision en déposant des observations écrites devant un comité d’appel de l’admissibilité (« comité d’appel ») du TACRA.  La demanderesse a présenté une nouvelle preuve médicale à l’appui de sa demande, à savoir l’avis d’expert médical fourni par son médecin, le Dr R. Cronin, en date du 2 mars 2015.

[9]               Le 14 juillet 2015, le comité d’appel a rendu sa décision par écrit dans laquelle il a confirmé les motifs du comité de révision. La Cour est saisie du contrôle de cette décision.

Décision faisant l’objet du contrôle

[10]           Le comité d’appel a conclu que la question dont il était saisi consistait à savoir si la demanderesse avait démontré que son instabilité à la cheville droite et son arthrose à la cheville gauche avec instabilité étaient survenues pendant son service militaire, si elles étaient directement liées à son service ou si elles avaient été aggravées par celui-ci.

[11]           Le comité d’appel a fait remarquer que le comité de révision était venu à la conclusion qu’il n’existait aucun élément de preuve médicale objectif datant de la même époque au sujet d’une blessure liée au service à la cheville droite ou à la cheville gauche.  Le comité de révision avait constaté que les déclarations médicales signées par la demanderesse indiquaient qu’elle n’avait pas subi de blessure à la cheville liée au service pendant son service au sein de la Force de réserve.  Le comité de révision a également pris bonne note d’une blessure grave à la cheville subie en 1982 au sujet de laquelle la demanderesse avait déclaré sous serment qu’elle était une blessure non liée au service.  De plus, elle a subi une blessure non liée au service en 1985 en jouant au badminton.

[12]           Le comité d’appel a pris acte du nouvel avis d’expert médical du Dr Cronin et des observations du Bureau de services juridiques des pensions, selon lesquels il existait une preuve raisonnable et crédible permettant de penser qu’il existait un lien entre le service de la demanderesse et ses affections alléguées aux chevilles; d’après eux, la nouvelle preuve médicale soulevait un élément d’incertitude qui devait être tranché en faveur de la demanderesse.

[13]           Dans son analyse, le comité d’appel a déclaré qu’il avait appliqué les exigences de l’article 39 de la Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18 (« Loi sur le TACRA »), qu'il a cité. Cela signifie que, dans son appréciation de la preuve dont il était saisi, le comité d’appel allait étudier les éléments de preuve sous le meilleur angle possible et qu’il allait trancher toute incertitude d’une manière favorable à la demanderesse.  Toutefois, cette disposition ne dégage pas les demandeurs du fardeau de prouver les faits nécessaires pour établir un lien entre l’affection alléguée et le service.  En outre, le comité d’appel n’était pas tenu d’admettre toute la preuve présentée par un demandeur s’il la jugeait non crédible, même en l’absence de toute preuve contraire (MacDonald c. Canada (Procureur général), [1999] ACF no 346 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 22 et 29; Canada (Procureur général) c. Wannamaker, 2007 CAF 126, aux paragraphes 5 et 6 [Wannamaker]; Rioux c. Canada (Procureur général), 2008 CF 991, au paragraphe 32).

[14]           Le comité d’appel a conclu que la preuve ne démontrait pas que l’affection alléguée était survenue pendant le service militaire de la demanderesse ou qu'elle était liée à celui-ci.  Plus particulièrement, il a repris à son compte les motifs du comité de révision.

[15]           Pour ce qui est de l’avis du Dr Cronin, le comité d’appel a jugé qu’il était essentiellement fondé sur l’historique que la demanderesse avait fourni.  Comme l’ont fait remarquer le comité de révision et le Dr Cronin, il n’y avait aucune indication de la part d’un expert médical au sujet des blessures à la cheville que la demanderesse a déclaré avoir subies au cours de son entraînement militaire.  Le comité d’appel a affirmé qu’il était raisonnable de déduire que si les blessures avaient été suffisamment graves pour provoquer ces effets à long terme, une consultation médicale aurait eu lieu et aurait été documentée.  Le comité d’appel a ajouté que le Dr Cronin n’avait rien dit au sujet des deux blessures non liées au service en 1982 et en 1985.  Le comité d’appel a conclu que l’avis du Dr Cronin n’était pas utile à la cause de la demanderesse.

[16]           Le comité d’appel a confirmé la décision du comité de révision qui refusait l’admissibilité à une indemnité d’invalidité en raison d’une invalidité liée à l’instabilité de la cheville droite et à l’arthrose de la cheville gauche avec instabilité.

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, L.C. 2005, ch. 21

Définitions

Definitions

2 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 (1) The following definitions apply in this Act.

due au service 

aggravated by service,

Se dit de l’aggravation d’une blessure ou maladie non liée au service qui est :

in respect of an injury or a disease, means an injury or a disease that has been aggravated, if the aggravation

a) soit survenue au cours du service spécial ou attribuable à celui-ci;

(a) was attributable to or was incurred during special duty service; or

b) soit consécutive ou rattachée directement au service dans les Forces canadiennes.

(b) arose out of or was directly connected with service in the Canadian Forces.

liée au service 

service-related injury or disease 

Se dit de la blessure ou maladie :

means an injury or a disease that

a) soit survenue au cours du service spécial ou attribuable à celui-ci;

(a) was attributable to or was incurred during special duty service; or

b) soit consécutive ou rattachée directement au service dans les Forces canadiennes. 

(b) arose out of or was directly connected with service in the Canadian Forces. 

Admissibilité

Eligibility

45 (1) Le ministre peut, sur demande, verser une indemnité d’invalidité au militaire ou vétéran qui démontre qu’il souffre d’une invalidité causée:

45 (1) The Minister may, on application, pay a disability award to a member or a veteran who establishes that they are suffering from a disability resulting from

a) soit par une blessure ou maladie liée au service;

(a) a service-related injury or disease; or

b) soit par une blessure ou maladie non liée au service dont l’aggravation est due au service.

 

(b) a non-service-related injury or disease that was aggravated by service.

Fraction

Compensable fraction

(2) Pour l’application de l’alinéa (1)b), seule la fraction — calculée en cinquièmes — du degré d’invalidité qui représente l’aggravation due au service donne droit à une indemnité d’invalidité.

 

(2) A disability award may be paid under paragraph (1)(b) only in respect of that fraction of a disability, measured in fifths, that represents the extent to which the injury or disease was aggravated by service.

Loi sur le Tribunal des anciens combattants (révision et appel), L.C. 1995, ch. 18

Principe général

Construction

3 Les dispositions de la présente loi et de toute autre loi fédérale, ainsi que de leurs règlements, qui établissent la compétence du Tribunal ou lui confèrent des pouvoirs et fonctions doivent s’interpréter de façon large, compte tenu des obligations que le peuple et le gouvernement du Canada reconnaissent avoir à l’égard de ceux qui ont si bien servi leur pays et des personnes à leur charge.

3 The provisions of this Act and of any other Act of Parliament or of any regulations made under this or any other Act of Parliament conferring or imposing jurisdiction, powers, duties or functions on the Board shall be liberally construed and interpreted to the end that the recognized obligation of the people and Government of Canada to those who have served their country so well and to their dependants may be fulfilled.

 

Règles régissant la preuve

Rules of evidence

39 Le Tribunal applique, à l’égard du demandeur ou de l’appelant, les règles suivantes en matière de preuve :

 

39 In all proceedings under this Act, the Board shall

a) il tire des circonstances et des éléments de preuve qui lui sont présentés les conclusions les plus favorables possible à celui-ci;

(a) draw from all the circumstances of the case and all the evidence presented to it every reasonable inference in favour of the applicant or appellant;

 

b) il accepte tout élément de preuve non contredit que lui présente celui-ci et qui lui semble vraisemblable en l’occurrence;

 

(b) accept any uncontradicted evidence presented to it by the applicant or appellant that it considers to be credible in the circumstances; and

c) il tranche en sa faveur toute incertitude quant au bien-fondé de la demande.

(c) resolve in favour of the applicant or appellant any doubt, in the weighing of evidence, as to whether the applicant or appellant has established a case.

 

Règlement sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, (DORS/2006-50)

Indemnité d’invalidité

Disability Awards

49 La demande d’indemnité d’invalidité est accompagnée des renseignements et documents suivants :

49 An application for a disability award shall include

a) tout dossier ou bilan médical concernant les blessures, les maladies, les diagnostics, l’invalidité ou toute augmentation du degré d’invalidité du militaire ou du vétéran;

 

(a) medical reports or other records that document the member's or veteran's injury or disease, diagnosis, disability and increase in the extent of the disability; and

50 Pour l’application du paragraphe 45(1) de la Loi, le militaire ou le vétéran est présumé démontrer, en l’absence de preuve contraire, qu’il souffre d’une invalidité causée soit par une blessure ou une maladie liée au service, soit par une blessure ou maladie non liée au service dont l’aggravation est due au service, s’il est établi que la blessure ou la maladie, ou leur aggravation, est survenue au cours :

50 For the purposes of subsection 45(1) of the Act, a member or veteran is presumed, in the absence of evidence to the contrary, to have established that an injury or disease is a service-related injury or disease, or a non-service-related injury or disease that was aggravated by service, if it is demonstrated that the injury or disease or its aggravation was incurred in the course of

a) d’un entraînement physique ou d’une activité sportive auquel le militaire ou le vétéran participait et qui était autorisé ou organisé par une autorité militaire ou, à défaut, exécuté dans l’intérêt du service;

(a) any physical training or sports activity in which the member or veteran was participating that was authorized or organized by a military authority, or performed in the interests of the service although not authorized or organized by a military authority;

b) d’une activité accessoire à une activité visée à l’alinéa a) ou s’y rattachant directement, y compris le transport du militaire ou du vétéran par quelque moyen que ce soit entre le lieu où il exerçait normalement ses fonctions et le lieu de cette activité;

(b) any activity incidental to or directly connected with an activity described in paragraph (a), including the transportation of the member or veteran by any means between the place at which the member or veteran normally performed duties and the place of the activity;

f) d’une opération, d’un entraînement ou d’une activité administrative militaire, soit par suite d’un ordre précis, soit par suite d’usages ou de pratiques militaires établis, que l’omission d’accomplir l’acte qui a entraîné la blessure ou la maladie, ou leur aggravation, eût entraîné ou non des mesures disciplinaires contre le militaire ou le vétéran;

(f) any military operation, training or administration, as a result of either a specific order or an established military custom or practice, whether or not a failure to perform the act that resulted in the injury or disease or its aggravation would have resulted in disciplinary action against the member or veteran; or

51 Sous réserve de l’article 52, lorsque l’invalidité ou l’affection entraînant l’incapacité du militaire ou du vétéran pour laquelle une demande d’indemnité a été présentée n’était pas évidente au moment où il est devenu militaire et n’a pas été consignée lors d’un examen médical avant l’enrôlement, l’état de santé du militaire ou du vétéran est présumé avoir été celui qui a été constaté lors de l’examen médical, sauf dans les cas suivants :

51 Subject to section 52, if an application for a disability award is in respect of a disability or disabling condition of a member or veteran that was not obvious at the time they became a member of the forces and was not recorded on their medical examination prior to enrolment, the member or veteran is presumed to have been in the medical condition found on their enrolment medical examination unless there is

a) il a été consigné une preuve que l’invalidité ou l’affection entraînant l’incapacité a été diagnostiquée dans les trois mois qui ont suivi l’enrôlement;

(a) recorded evidence that the disability or disabling condition was diagnosed within three months after enrolment; or

b) il est établi par une preuve médicale, hors de tout doute raisonnable, que l’invalidité ou l’affection entraînant l’incapacité existait avant l’enrôlement.

 

(b) medical evidence that establishes beyond a reasonable doubt that the disability or disabling condition existed prior to enrolment.

Questions en litige

[17]           La demanderesse énumère sept questions en litige, mais à mon avis, celles-ci peuvent toutes être résumées par la question de savoir si la décision du comité d’appel était raisonnable. Par conséquent, je reformulerais les questions en litige comme suit :

                    i.            À titre de question préliminaire, est-ce que des passages de l’affidavit de la demanderesse devraient être radiés?

                  ii.            La décision du comité d’appel était-elle raisonnable?

Norme de contrôle

[18]           La demanderesse fait valoir que la norme de contrôle est celle du caractère raisonnable pour certaines des questions qu’elle a soulevées (Wannamaker).  Toutefois, pour ce qui est des « questions juridiques normatives », le cas échéant, la norme de la décision correcte aurait préséance (Prairie Acid Rain Coalition v. Canada (Fisheries and Oceans), 2006 CAF 31).  Elle ajoute que la décision en cause soulève de pures questions de droit qui sont révisables selon la norme de la décision correcte.

[19]           Pour sa part, le défendeur fait valoir qu’il a déjà été établi que la norme de contrôle de la décision du TACRA était celle de la décision raisonnable et, par conséquent, qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle (Hynes c. Canada (Procureur général), 2012 CF 207, au paragraphe 22).  La norme du caractère raisonnable s’applique à l’interprétation qu’a faite le TACRA de la preuve médicale et à son appréciation de la crédibilité de la demanderesse (Balderstone c. Canada (Procureur général), 2014 CF 942, paragraphe 17). Cette norme s’applique également à la question de savoir si le TACRA a convenablement appliqué l’article 39 de la Loi sur le TACRA, ce qui constitue une question de droit et de fait (Wannamaker, au paragraphe 13).

[20]           Comme le défendeur, je suis d’avis que la norme de contrôle applicable est celle du caractère raisonnable.  C’est ce qui a déjà été établi dans les décisions invoquées par le défendeur et ailleurs (Anderson c. Canada (Procureur général), 2009 CF 1122, au paragraphe 23 [Anderson]; Moreau c. Canada (Tribunal des anciens combattants (révision et appel), 2013 CF 168, au paragraphe 24; Ryan v. Canada (Attorney General), 2016 FC 1246, au paragraphe 29; Ben-Tahir c. Canada (Procureur général), 2015 CF 881, au paragraphe 39 [Ben-Tahir]).  Cette norme s’applique également à l’interprétation de la preuve médicale et à l’appréciation de l’invalidité par le TACRA (Gilbert c Canada (Procureur général), 2012 CF 1112, au paragraphe 24; Ben-Tahir, au paragraphe 39; Beauchene c. Canada (Procureur général), 2010 CF 980, au paragraphe 21).

[21]           Même si la demanderesse soutient que les questions soulevées sont de pures questions de droit, elles concernent le critère juridique applicable (Ledcor Construction Ltd. c. Société d’assurance d’indemnisation Northbridge, 2016 CSC 37, au paragraphe 43).  Dans la mesure où la demanderesse conteste implicitement dans ses observations écrites le critère de la causalité dans le contexte de l’appréciation d’une indemnité d’invalidité sous le régime de l’article 45 de la Loi d'indemnisation des FC, essentiellement et comme nous le verrons ci-dessous, ses observations portent en réalité sur le traitement de la preuve par le comité d’appel et ne soulèvent pas de pures questions de droit.  La demanderesse ne remet pas non plus en cause une question d’interprétation de la loi; mais quoi qu’il en soit, le caractère raisonnable est présumé être la norme de contrôle quand un tribunal interprète sa loi constitutive (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, au paragraphe 34; Edmonton (Ville) c. Edmonton East (Capilano) Shopping Centres Ltd., 2016 CSC 47, au paragraphe 22; Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 54; Thomson v. Canada (Attorney General), 2016 FCA 253, au paragraphe 20).

Première question en litige : À titre de question préliminaire, est-ce que des passages de l’affidavit de la demanderesse devraient être radiés?

[22]           À l’appui de sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse a déposé un affidavit fait sous serment le 26 novembre 2015. Le défendeur soutient qu’il faudrait faire abstraction de certains passages de l’affidavit de la demanderesse.  Il fait remarquer que le paragraphe 81(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98 106, exige que les affidavits se limitent aux faits dont le déclarant a une connaissance personnelle et prévoit que la Cour peut radier des affidavits ou des parties de ceux-ci s’ils renferment une opinion, des arguments ou des conclusions de droit (Sharma c. Chemin de fer Canadien Pacifique, 2016 CF 135, au paragraphe 19 [Sharma]).  De plus, la preuve qui aurait pu être présentée au décideur administratif, mais qui ne l’a pas été, est irrecevable devant la cour de révision (Sharma, au paragraphe 20; Anderson, au paragraphe 13).

[23]           La demanderesse n'a pas répondu à cette observation, mais, à l’audience tenue devant moi, elle a admis que les passages contestés pouvaient être écartés.  Je conviens que cela est indiqué en l’espèce.

Deuxième question : La décision du comité d’appel était-elle raisonnable?

Position de la demanderesse

[24]           Les observations de la demanderesse sont un peu difficiles à suivre.  Je les ai résumées du mieux que j’ai pu ci-dessous.

                                i.            Déclarations médicales et directives médicales

[25]           La demanderesse fait valoir qu’en présence d’une preuve contraire, on ne devrait accorder aucune valeur probante aux déclarations médicales lors de la libération de la Force de réserve qui sont datées du 16 août 1972 et du 9 octobre 1984, à la déclaration médicale lors de l’enrôlement (ou de la mutation) datée du 10 juin 1992 ainsi qu’à la déclaration médicale datée du 6 mars 1996 (collectivement, les « déclarations médicales »), que le comité de révision a intitulées les « déclarations médicales » et qui sont toutes revêtues de la signature de la demanderesse.  Cette observation semble signifier que cette façon de procéder serait compatible avec le caractère réparateur de la Loi sur le TACRA.  Elle qualifie les déclarations médicales de non est factum par rapport à la portée de la législation, et elle ajoute que la Loi sur le TACRA a préséance sur celles-ci et permet de tenir compte de tout fait relatif à une blessure s’il est prouvé.  La demanderesse affirme que les déclarations médicales soulèvent une présomption réfutable et que le comité d’appel a commis une erreur en s’en remettant à celles-ci, compte tenu de l’existence à la même époque d’un diagnostic de faiblesse aux chevilles dans un certificat médical d’arrêt de travail daté du 22 novembre 1977.

[26]           La demanderesse soutient que les Directives médicales font de la [traduction] « déficience anatomique causée par la faiblesse aux chevilles » une blessure en soi.  Les Directives médicales n’ont pas été prises en considération dans le processus décisionnel, étant donné qu’on a accordé autant de valeur probante aux déclarations médicales.  Les Directives médicales ont été élaborées à la lumière d’études de groupes et doivent être étudiées en tenant compte de normes objectives.  Toute preuve directe sous forme d’avis médical, comme le certificat médical d’arrêt de travail de 1977 ou l’avis du D‑ Cronin, équivaut à une preuve subjective qui confère une certitude à la demande en confirmant le diagnostic de déficience causée par une faiblesse aux chevilles qui figure dans les Directives médicales.

                              ii.            Certificat médical d’arrêt de travail de 1977

[27]           La demanderesse allègue que les articles 49 et 50 du Règlement sur les mesures de réinsertion et d’indemnisation des militaires et vétérans des Forces canadiennes, DORS/2006-50 (le « Règlement »), précisent que toutes sortes d’éléments de preuve médicale sont probants, même s’ils n’ont pas été consignés dans le dossier médical pendant le service ou s’ils proviennent du dossier médical d’un médecin de cabinet privé.  Il était donc erroné d’écarter ou de considérer comme insignifiant le certificat médical d’arrêt de travail de 1977 produit par le Dr Kristjannson, car, selon la demanderesse, celui-ci mentionne sans équivoque le diagnostic de déficience causée par une « faiblesse aux chevilles ».  Il s’agissait d’un élément de preuve qui datait de la même époque que sa période de service et qui confirmait le diagnostic de traduction « déficience anatomique causée par une faiblesse aux chevilles » qui est reconnu par les Directives médicales.

                            iii.            Lien de causalité

[28]           Ce que je retiens des observations de la demanderesse, c’est que le comité d’appel a commis une erreur de compréhension ou de traitement du lien de causalité.  La demanderesse affirme qu’il était erroné de diviser le lien de causalité entre des blessures récidivantes de ligaments déchirés au genou et la faiblesse aux chevilles en deux périodes, l’une liée à la période de service entre 1973 et 1984 (la « première période ») et l’autre allant de 1984 à 2004 (la « dernière période »), quand la demanderesse servait dans la Réserve supplémentaire.  L’analyse de la vraisemblance a été entachée, parce que les blessures subies au cours de la dernière période ont été erronément prises en considération pour faire contrepoids aux blessures de la première période dans le but de rejeter une demande bien fondée.  De plus, il existait un diagnostic antérieur de faiblesse aux chevilles, comme en fait foi le certificat médical d’arrêt de travail de 1977.  Celui-ci couvrait les deux périodes, car il faisait état d’une blessure préexistante entre 1973 et 1977 et du lien de causalité qui en découlait.

[29]           La demanderesse allègue que, dans son raisonnement, le comité d’appel a admis implicitement un diagnostic de ligaments déchirés, mais qu’il l’a attribué à des blessures subies en 1982, lorsque la demanderesse a trébuché et est tombée d’un trottoir, et en 1985, lors d'une chute pendant qu'elle jouait au badminton, et qu’il les a traitées à tort comme des blessures non liées au service.  Toutefois, si le comité d’appel a implicitement admis le lien de causalité en ce qui concerne la dernière période, il est logique de penser que les blessures de la dernière période n’auraient pas pu se produire sans les chutes qu’elle avait faites au cours de la première période.  La récidive des blessures à la cheville en 1982 et en 1985 a découlé d’une aggravation due au service qui a été traitée erronément comme une blessure non liée au service à cause de l’erreur découlant de la division du lien de causalité.  Ce sont les articles 49 et 50 du Règlement qui traitent des blessures subies hors service.

[30]           La demanderesse fait valoir que la décision était incorrecte, déraisonnable et inéquitable, car elle ne tenait pas compte de l’importance des blessures hors service qui étaient le prolongement de l’instabilité causée par la faiblesse aux chevilles rattachées à la première période, comme le prévoient les Directives médicales.

[31]           La demanderesse ajoute que, dans le contexte d’une déficience bilatérale causée par une faiblesse à la cheville, le seuil plausible est naturellement plus bas [traduction] « à cause du programme d’exercices des aggravations liées et non liées au service lorsque les chevilles continuent à se déformer, compte tenu de la préexistence de l’affection attribuable à des ligaments déchirés et étirés ».

                            iv.            Traitement d’autres éléments de preuve

[32]           La demanderesse soutient que l’avis d’expert du Dr Cronin est fondé sur les pratiques médicales employées à l’époque pour traiter les entorses à la cheville, qu’il a résumées comme suit : [traduction] « endure et marche ».  De plus, c’est au défendeur qu’il incombait de documenter les blessures dans les états de service.  En outre, une fois que l’armée a obtenu le certificat médical d’arrêt de travail de 1977, elle aurait dû recommander que la demanderesse soit suivie par un médecin militaire.  Quoi qu’il en soit, l’article 49 du Règlement prévoit que tout élément de preuve probant autre que les états de service peut être probant pour renverser le fardeau qui était imposé à l’ancien combattant.

[33]           Par ailleurs, le Dr Cronin a corroboré l’avis justifiant le certificat médical d’arrêt de travail de 1977, et il a fait le lien avec la présence d’osselets dans le rapport de radiographie de 2015 qui confirme l’existence de vieilles blessures.  Étant donné qu’il n’a pas divisé le lien de causalité en deux périodes, [traduction] « il s’est alors dit d’avis que la présence de ligaments déchirés est toute proche pendant la période de service ».  Il s’est également dit d’avis que l’apparition d’arthrite était une probabilité.  La demanderesse fait valoir qu’il était erroné de rejeter entièrement son rapport.  Le comité d’appel aurait pu donner au Dr Cronin la possibilité de présenter une explication plus approfondie afin de surmonter toute incertitude suscitée par le manque de vraisemblance de son avis qui a été disséqué de manière inéquitable.

[34]           En dernier lieu, la demanderesse allègue qu’elle a présenté une preuve suffisante pour établir le diagnostic de « déficience anatomique causée par une faiblesse aux chevilles », compte tenu des blessures qu’elle avait subies pendant son service ou qui étaient rattachées à celui-ci.  On a injustement fait fi de la preuve à cause d’un manque de documentation dans les états de service, ce qui est incompatible avec l’esprit de la Loi sur le TACRA.

Position du défendeur

[35]           Le défendeur fait valoir que le comité d’appel a étudié toute la preuve et qu’il était raisonnable de sa part de conclure que la demanderesse n’avait pas établi un lien de causalité suffisant entre son service militaire et les affections qu’elle allègue, compte tenu de l’ensemble du dossier.

[36]           L’article 51 du Règlement crée une présomption réfutable de bonne condition physique.  Un ancien combattant qui demande une indemnité d’invalidité est présumé se trouver dans la condition médicale qui a été déterminée lors de son examen médical avant l’enrôlement, sauf s’il a été consigné une preuve que l’invalidité ou l’affection entraînant l’incapacité a été diagnostiquée dans les trois mois qui ont suivi l’enrôlement ou s’il est établi par une preuve médicale, hors de tout doute raisonnable, que l’invalidité ou l’affection entraînant l’incapacité existait avant l’enrôlement (l’article 51 est semblable au paragraphe 21(9) de la Loi sur les pensions, L.R.C. (1985), ch. P-6).  La demanderesse avait le fardeau de prouver les faits nécessaires, par prépondérance des probabilités, pour démontrer qu’elle était admissible à une indemnité.

[37]           Le comité d’appel s’est raisonnablement dit d’accord sur les motifs et les conclusions fondées sur la preuve du comité de révision qui avait étudié toute la preuve dont il était saisi, y compris le témoignage de la demanderesse au sujet des blessures aux chevilles qu’elle avait subies pendant son service militaire en 1973 et 1977.

[38]           Il était également raisonnable et conforme à ses obligations pour le comité d’appel d’étudier et d’apprécier toute la preuve devant lui, y compris les déclarations médicales faites par la demanderesse pendant sa carrière militaire (Hall c. Canada (Procureur général), [1999] ACF no 1800 (CA)).  Il n’existe aucune preuve démontrant que le comité d’appel aurait déclaré la demanderesse inadmissible à une indemnité à la lumière des déclarations médicales.  Il a plutôt étudié celles-ci dans le contexte de l’ensemble de la preuve.

[39]           Il était raisonnable de la part du comité d’appel de n’accorder aucune valeur probante à l’avis du Dr Cronin et de demeurer sceptique à l’égard de celui-ci.  Cet avis était fondé sur l’historique que la demanderesse avait fait de ses blessures de 1973 et 1977.  Il n’existait aucune preuve médicale remontant à cette époque, mais le Dr Cronin a spéculé que ces blessures étaient suffisamment graves pour avoir causé des séquelles à long terme.  Il était raisonnable de la part du comité d’appel de conclure que la demanderesse ne pouvait pas démontrer indirectement au moyen de la lettre du Dr Cronin ce qu’elle n’avait pas réussi à démontrer directement en invoquant la preuve.  De plus, le comité d’appel a tenu compte du fait que le Dr Cronin n’avait pas fait mention des blessures de 1982 et 1985.  Le Dr Cronin avait reçu un mémoire; il était donc au courant de ces blessures.  Il était raisonnable de la part du comité d’appel de prendre en considération le fait que le médecin n’avait pas fait référence à celui-ci et de conclure qu’il s’agissait d’une omission importante qui minait sa confiance dans son avis.

[40]           Le défendeur fait valoir que le comité d’appel a adéquatement tenu compte du certificat médical d’arrêt de travail de 1977, étant donné qu’il a expressément étudié et avalisé les motifs du comité de révision qui faisaient mention de ce document, contrairement aux observations de la demanderesse.  De plus, un tribunal est présumé avoir étudié l’ensemble de la preuve dont il était saisi, et le document se trouvait dans le dossier (Anderson, au paragraphe 24).  En outre, en l’absence de toute preuve médicale datant de cette époque, l’argument selon lequel le comité d’appel était tenu de considérer le document comme un « diagnostic » des affections alléguées n’est pas fondé.

Analyse

[41]           La question en litige devant le comité d’appel consistait à savoir si la demanderesse avait démontré que son instabilité à la cheville droite et son arthrose à la cheville gauche avec instabilité découlent de son service militaire, y sont directement liées ou ont été aggravées par celui-ci.  Il a conclu que la preuve n’avait pas démontré que les affections alléguées découlaient du service militaire de la demanderesse ou y étaient directement liées.  Deux motifs ont été formulés à l’appui de cette conclusion.  Premièrement, l’admission par le comité d’appel des motifs formulés par le comité de révision et, deuxièmement, les préoccupations que suscitait à son avis la lettre du Dr Cronin.

[42]           Quand elle a comparu devant moi, la demanderesse a fait valoir que de tels motifs restreints ne satisfaisaient pas à la norme du contrôle de novo. Même si je conviens qu’on en aurait certes attendu davantage de la part du comité d’appel, la demanderesse n’a produit aucune jurisprudence pour étayer sa proposition.  Quoi qu’il en soit, le comité d’appel a réalisé sa propre appréciation de la nouvelle preuve du Dr Cronin et il a formulé les motifs pour lesquels il n’en a pas tenu compte.  En outre, le comité d’appel a énoncé, ne serait-ce que de façon sommaire, les conclusions probatoires et les autres constatations du comité de révision qu’il a entérinées.

[43]           En ce qui concerne les motifs du comité de révision, ceux-ci ont été repris dans la preuve et dans les représentations de la demanderesse.  La demanderesse a allégué qu’elle n’éprouvait aucun problème aux chevilles lors de son enrôlement en juillet 1972, ce qui ne semble pas contredit.  Elle a allégué qu’elle avait subi une blessure en août 1973 pendant un entraînement à Wainwright, en Alberta, lorsqu’elle a mis le pied dans une tanière de marmottes.  En 1977, elle a subi une blessure à la cheville en courant dans le cadre de son entraînement physique militaire, et elle a demandé d’être traitée à cette époque.  En 1982, elle s’est blessée à la cheville en descendant d’un trottoir, et elle a eu besoin de soins médicaux; en 1985, elle s’est blessée à la cheville gauche en jouant au badminton.  Le comité de révision a constaté que la demanderesse croyait que ses affections aux chevilles avaient été causées par la rigueur de ses activités d’entraînement au sein de la Force de réserve.

[44]           Pour ce qui est des blessures de 1973 et 1977, le comité de révision a conclu qu’il n’avait été en mesure de trouver aucun élément de preuve médicale objectif et datant de l’époque d’une blessure à la cheville droite ou à la cheville gauche qui aurait été liée au service.  Il a fait remarquer que les déclarations médicales que la demanderesse avait signées indiquaient que celle-ci n’avait pas subi de blessure à la cheville liée au service pendant son service au sein de la Force de réserve entre juillet 1972 et octobre 1984.

[45]           En ce qui concerne les blessures de 1982 et 1985, le comité de révision a conclu que des éléments de preuve démontraient que la demanderesse avait subi une blessure grave à la cheville en 1982 et qu’elle avait déclaré sous serment qu’il ne s’agissait pas d’une blessure liée au service, à l’instar de la blessure subie au badminton en 1985.  Le comité de révision n’a pas été en mesure de trouver d’élément de preuve médicale datant de l’époque d’une blessure liée au service pendant son service au sein de la Force de réserve; par conséquent, il n’a pas pu conclure que le lien avec le service avait été établi.

[46]           Il a conclu que la preuve était insuffisante pour établir un lien entre les affections alléguées d’instabilité à la cheville droite et d’arthrose à la cheville gauche avec instabilité, d’une part, et le service de la demanderesse dans la Force de réserve, d’autre part.

[47]           La demanderesse soutient que le comité de révision, et par conséquent le comité d’appel, a accordé trop de valeur probante aux déclarations médicales, sans tenir compte d’autres éléments de preuve pertinents.  D’emblée, je dois affirmer que je ne suis pas du même avis que la demanderesse lorsqu’elle qualifie ces documents de [traduction] « dispenses » et lorsqu’elle soutient que le principe du non est factum trouve application en l’espèce (à l’appui de sa théorie, la demanderesse invoque les décisions Marvco Colour Research Ltd. c. Harris, [1982] 2 RCS 774; Gallant v. Fanshawe College of Applied Arts and Technology, [2009] OJ no 3977 (SCJ); Saskatchewan River Bungalows Ltd. c. La Maritime, Compagnie d’assurance-vie, [1994] 2 RCS 490).

[48]           La première déclaration médicale lors de l’enrôlement dans la Force de réserve, est une déclaration revêtue de la signature de la demanderesse indiquant qu’elle n’avait pas subi de blessure, d’affection ni de maladie attribuable à son service militaire entre son enrôlement le 5 juillet 1972 et la date de sa signature le 16 août 1972.  La deuxième déclaration médicale lors de sa libération de la Force de réserve indique la même chose, mais elle porte sur la période allant de son enrôlement, le 5 juillet 1972, jusqu’au 9 octobre 1984.  La déclaration médicale lors de l’enrôlement ou de la mutation, datée du 10 juin 1992, indique qu’à sa connaissance et pour autant qu’elle s’en souvenait, la demanderesse ignorait qu’elle souffrait d’une affection médicale ou qu’elle avait une limitation physique qui l’empêcherait de s’acquitter des tâches de mobilisation proposées ou qu’elle avait un profil médical inférieur à G4 04 lors de sa libération des Forces canadiennes.  La déclaration médicale pour les membres de la Réserve supplémentaire disponible, datée du 6 mars 1994, indique qu’à sa connaissance et pour autant qu’elle s’en souvenait, son profil médical n’était pas inférieur à G4 04 quand elle a été mutée du régiment F, qu’elle n’avait pas contracté d’affection médicale et qu’elle n’avait aggravé aucune affection ou limitation physique qui aurait pu l’empêcher de s’acquitter des tâches de mobilisation.

[49]           Ces documents datent de la même époque que le service militaire de la demanderesse, ils sont revêtus de sa signature et ils portent sur sa condition médicale.  À mon avis, le comité de révision était en droit de les considérer comme tels et de les apprécier en tenant compte des autres éléments de preuve dont il était saisi.  Ce qui est problématique pour la demanderesse à cet égard, c’est le fait que le comité de révision a également conclu qu’il n’existait pas de preuve médicale objective datant de l’époque d’une blessure à la cheville liée au service.

[50]           Cependant, la demanderesse soutient que cette position ne tient pas compte du certificat médical d’arrêt de travail de 1977, qui est daté du 22 septembre 1977.  Je ferais remarquer que ce document indique que la demanderesse a reçu des soins médicaux du Dr Kristjannson du 22 septembre 1977 jusqu’à une date « indéfinie » et qu’elle a été en mesure de retourner à l’école ou au travail à une date non précisée.  Sous la rubrique « Remarques », il est indiqué de « s’abstenir de courir et d’effectuer des exercices d’entraînement en raison d’une faiblesse aux chevilles ».  ACC s’est penché sur le certificat médical d’arrêt de travail de 1977 et a conclu qu’il indiquait que la demanderesse devait s’abstenir de courir et de participer aux exercices d’entraînement en raison d’une faiblesse aux chevilles, mais qu’il ne fait pas mention d’une blessure quelconque à la cheville gauche.  Le comité de révision a également admis cette preuve.  Le certificat médical d’arrêt de travail de 1977 ne faisait pas la preuve d’une blessure liée au service et ne confirmait certainement pas une blessure, de quelque nature que ce soit.

[51]           La demanderesse invoque également le certificat médical d’arrêt de travail de 1977 comme diagnostic contemporain de sa faiblesse aux chevilles.  À cet égard, il est bon de rappeler que, selon la définition de l’article 2 de la Loi d'indemnisation des FC, une blessure liée au service est une blessure consécutive ou rattachée directement au service dans les Forces canadiennes.  Le certificat médical d’arrêt de travail de 1977 ne porte tout simplement pas sur cette question.  Quoi qu’il en soit, contrairement à ACC, le comité de révision a admis le diagnostic proposé par la demanderesse.  C’était le lien entre les blessures et le service de la demanderesse dans la Force de réserve qui était problématique à ses yeux.

[52]           Dans le même ordre d’idées, l’article 50 du Règlement prévoit qu’un vétéran est présumé démontrer, en l’absence de preuve contraire, qu’il souffre d’une invalidité causée soit par une blessure liée au service, soit par une blessure non liée au service dont l’aggravation est due au service, s’il est établi que la blessure, ou son aggravation, est survenue au cours de l’une des activités énumérées.  La demanderesse a donc raison de dire que la présomption lui est favorable.  Toutefois, les déclarations médicales constituent une preuve contraire, et la seule preuve documentaire datant de l’époque ne démontre pas que la blessure de 1977 est survenue au cours de l’une de ses activités liées au service. Je ne relève aucune erreur dans la façon dont le comité d’appel a traité le certificat médical d’arrêt de travail de 1977.

[53]           Ce qui est plus problématique, à mon avis, c’est la manière dont le comité d’appel a traité la preuve en tenant compte de l’absence de toute preuve médicale contemporaine au sujet des blessures de 1973 et 1977.  Selon la preuve de la demanderesse, elle se serait blessée à la cheville au cours d’un entraînement en 1973, et en courant, en 1977, dans le cadre de son entraînement physique militaire.  Dans sa lettre du 7 octobre 2013, la demanderesse a affirmé qu’elle a consulté un étudiant en médecine à la suite de la blessure qu’elle avait subie à l’entraînement en 1973, parce qu’il n’y avait aucun autre médecin sur les lieux et qu’elle croyait qu’aucun document n’avait été classé au dossier au sujet de cette blessure, étant donné qu’elle n’avait pas été examinée par un médecin et que sa cheville n’avait pas été radiographiée.  Pour ce qui est de la blessure de 1977, elle a transmis le certificat médical d’arrêt de travail de 1977 à son unité, mais celle-ci n’a pas fait de suivi.

[54]           Devant le comité d’appel, la demanderesse a produit, à titre de nouvel élément de preuve, la lettre du Dr Cronin qui étayait le lien entre son service et les blessures qu’elle alléguait.  À cet égard, le Dr Cronin a indiqué que la demanderesse lui avait raconté comment ses deux blessures importantes aux chevilles étaient survenues pendant son entraînement militaire, lesquelles n’avaient apparemment pas été bien documentées dans ses dossiers médicaux et n’avaient pas été convenablement évaluées, à son avis.  Selon lui, [traduction] « il semblerait que les deux épisodes ont été traités comme ils l’étaient souvent dans l’armée, avec l’attitude “endure et marche” ».  Il a ajouté qu’il était enclin à croire la version des faits de la demanderesse à la lumière de sa propre expérience dans l’armée.  Il a conclu, en tenant compte de la preuve dont il disposait, que ses problèmes à la cheville avaient tout probablement été causés et certes aggravés par son service militaire.

[55]           Il est important de signaler que ni le comité de révision ni le comité d’appel n’ont remis en question la crédibilité de la demanderesse.  Selon sa preuve, les blessures de 1973 et de 1977 étaient survenues pendant son service.  Le comité de révision et le comité d’appel n’ont pas indiqué qu’ils avaient rejeté sa preuve.  Le comité de révision a déclaré qu’il avait « admis » son témoignage.  Il a ensuite relevé l’absence de toute preuve médicale contemporaine d’une blessure à la cheville liée au service.  Immédiatement après ces précisions, il a fait mention des déclarations médicales signées par la demanderesse dans lesquelles elle a indiqué qu’elle n’avait subi aucune blessure liée au service.  Cela donne à penser, compte tenu des déclarations médicales, que le comité de révision n’a pas reconnu comme un fait les blessures liées au service qui seraient survenues en 1973 et 1977.  Autrement dit, le témoignage de la demanderesse à ce sujet semble ne pas avoir été jugé crédible, parce qu’il était contredit par ses déclarations médicales. Le comité d’appel a également conclu que l’avis du Dr Cronin [traduction] « reposait essentiellement sur l’histoire relatée par l’appelante » et qu’il n’était pas utile à la cause de la demanderesse.

[56]           Dans la décision Lebrasseur c. Canada (Procureur général), 2010 CF 98 [Lebrasseur], la juge Tremblay-Lamer a conclu qu’il était déraisonnable de rejeter des rapports médicaux produits par le demandeur pour le motif qu’il était la source de l’information de laquelle ils étaient tirés :

[27]      Bien que le défendeur ait raison d’affirmer que le Tribunal a droit de tirer des conclusions sur la crédibilité et qu’il n’a pas à accepter tous les éléments de preuve qui lui sont présentés, sa conclusion au sujet des rapports médicaux présentés par le demandeur, selon laquelle celui-ci constituait la source des conclusions tirées par les professionnels de la santé, est non justifiée. Il ne suffit pas d’affirmer que les rapports en question sont fondés sur des faits rapportés par le demandeur parce qu’ils ne sont pas pour autant moins crédibles si cette version des faits est véridique. Le Tribunal n’a tiré aucune conclusion sur la crédibilité du demandeur; et pourtant, il n’a pas tenu compte de la conclusion favorable que le Comité a tirée quant à sa crédibilité. Par conséquent, le Tribunal n’a pas justifié sa décision d’écarter les rapports médicaux.

[57]           L’invalidité en cause dans Lebrasseur était l’anxiété et la dépression et ce raisonnement a donc été jugé « particulièrement déficient », mais le fait demeure que dans cette cause, ni le comité de révision ni le comité d’appel n’a tiré de conclusions claires au sujet de la crédibilité de la demanderesse.  À cet égard, si le comité d’appel avait conclu que le témoignage de la demanderesse quant à ses blessures liées au service n’était pas crédible, compte tenu des déclarations médicales contradictoires, il aurait été forcé de formuler clairement cette conclusion sur la crédibilité (Lebrasseur, au paragraphe 28; Powell c. Canada (Procureur général), 2005 CF 433, aux paragraphes 31 à 35 [Powell]; Dumas v. Canada (Attorney General), 2006 FC 1533, au paragraphe 31), sinon, il ne pouvait raisonnablement pas rejeter l’avis du Dr Cronin pour le motif qu’il était fondé sur l’historique fourni par la demanderesse.

[58]           Autrement dit, le comité d’appel n’était pas tenu d’admettre la preuve produite par la demanderesse s’il l’avait jugée non crédible, mais le nœud du problème repose dans le fait qu’il n’est pas arrivé à cette conclusion.

[59]           Le Dr Cronin a également signalé que les deux blessures liées au service n’avaient pas été documentées dans les dossiers médicaux de la demanderesse, et il a affirmé [traduction] qu’« il semblerait que les deux épisodes aient été traités comme ils l’étaient souvent dans l’armée avec l’attitude “endure et marche” ».  À mon avis, le comité d’appel avait aussi l’obligation de se pencher sur cette explication de l’absence de documentation ou d’en déduire une conclusion favorable (Powell, aux paragraphes 31 à 35, alinéa 39b) de la Loi sur le TACRA).

[60]           Le comité d’appel a aussi fait mention du fait que le Dr Cronin a admis qu’il n’existait aucune entrée médicale au sujet des blessures aux chevilles que la demanderesse a affirmé avoir subies dans le cadre de son entraînement militaire.  Il a ajouté qu’il était raisonnable de déduire qu’une consultation médicale aurait eu lieu et aurait été documentée si les blessures avaient été assez graves pour produire des effets à long terme.  À mon avis, cette déduction aurait été raisonnable si le Dr Cronin n’avait pas aussi mentionné qu’il était d’avis que la manière dont ces blessures avaient été traitées par l’armée était compatible avec sa propre expérience de l’armée. Le comité d’appel n’a pas tenu compte de cette opinion.

[61]           En ce qui concerne la proposition du défendeur selon laquelle le comité d’appel a eu raison d’accorder peu de valeur probante à l’avis du Dr Cronin pour le motif qu’il manquait de crédibilité en raison du fait qu’il avait omis de faire mention des deux blessures non liées au service, il n’est pas clair, à la lecture des motifs du comité d’appel, que celui-ci soit arrivé à une conclusion défavorable sur la crédibilité en raison de cette omission. Le comité d’appel indique seulement que le Dr Cronin n’a pas fait mention des deux blessures non liées au service subies en 1982 et en 1985. On ne peut savoir, en lisant ces motifs, si ou pourquoi le comité peut avoir écarté cette preuve au motif que les blessures antérieures n’y étaient pas mentionnées.

[62]           Compte tenu des erreurs décrites ci-dessus, je n’ai pas besoin de me pencher sur les observations de la demanderesse au sujet du lien de causalité.  Toutefois, je ferais remarquer que le comité d’appel ne paraît pas avoir étudié la preuve dans la perspective d’une blessure permanente ou cumulative, c’est-à-dire la possibilité que deux blessures jugées liées au service aient pu contribuer aux blessures subséquentes qui n’étaient pas liées au service.  Il se peut que le comité d’appel n’ait pas admis que les deux premières blessures étaient liées au service et qu’il ait estimé superflu d’effectuer une étude du lien de causalité avec les deux blessures les plus récentes. Toutefois, ses motifs ne l’indiquent pas clairement.  Le comité de révision et le comité d’appel n’ont jamais fait référence aux Directives médicales pour expliquer les raisons pour lesquelles elles ne s’appliquaient pas.

[63]           Pour les motifs susmentionnés, la décision sera renvoyée à un comité d’appel de l’admissibilité du TACRA composé différemment pour un nouvel examen.  Toutefois, je refuse de formuler les directives au TACRA que réclame la demanderesse, plus précisément de lui enjoindre d’annuler les déclarations médicales parce qu’elles ne sont pas obligatoires, de [traduction] « considérer son admissibilité en tenant compte des Directives médicales » et, [traduction] « si la certitude l’exige, de donner une possibilité à la demanderesse de produire une nouvelle preuve médicale ».

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision du comité d’appel est annulée et l’affaire est renvoyée pour nouvel examen par un comité d’appel différent qui tiendra compte des motifs de la présente décision.

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1914-15

 

INTITULÉ :

LESLEY JANSEN c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Winnipeg (Manitoba)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 décembre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 janvier 2017

 

COMPARUTIONS :

Vibhu Raj Jhanji

Pour la demanderesse

 

Susan Eros

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Vibhu Raj Jhanji

Jhanji Law

Winnipeg (Manitoba)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

 

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