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Date : 20161122


Dossier : T-1709-15

Référence : 2016 CF 1293

Ottawa (Ontario), le 22 novembre 2016

En présence de monsieur le juge Roy

ENTRE :

DEVEN SCHMIT

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               M. Deven Schmit cherche à faire casser une décision rendue à son égard par un Président indépendant quant à une infraction disciplinaire dite grave qu’il aurait commise. Au moment de la commission de ladite infraction, M. Schmit était détenu dans un pénitencier fédéral, à Donnacona, au Québec. L’infraction dont il se serait rendu coupable est documentée dans un « Rapport de l’infraction d’un détenu et avis de l’accusation » qui porte, dans son cas, le numéro 008844. La seule précision qui est fournie est que M. Schmit « est rapporté pour s’être fait un masque. » La seule description de l’objet qui est donnée au document est « masque fait avec drap bleu et morceau de suède. »

[2]               La Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch 20 [la Loi] prévoit quelles sont les infractions disciplinaires. Ici, la décision a été prise de porter l’accusation en vertu de l’alinéa m) de l’article 40 qui se lit de la façon suivante :

Infractions disciplinaires

Disciplinary offences

40 Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

40 An inmate commits a disciplinary offence who

[...]

[...]

m) crée des troubles ou toute autre situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier, ou y participe;

(m) creates or participates in

[EN BLANC/BLANK]

(i) a disturbance, or

[EN BLANC/BLANK]

(ii) any other activity

[EN BLANC/BLANK]

that is likely to jeopardize the security of the penitentiary;

[3]               Prétendant que la décision rendue est déraisonnable et que des accros à l’équité procédurale ont été commis, le demandeur demande la révision judiciaire en vertu du paragraphe 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch F-7, de la décision concluant à sa culpabilité par un Président indépendant.

I.                   Les faits

[4]               Une bagarre a eu lieu, dans le gymnase de l’institution, le 16 juin 2015. Le demandeur s’y trouvait. Il ne semble pas que les autorités aient pu établir sa participation à cet incident puisqu’aucune accusation n’a été portée à cet égard. Malgré cela, le demandeur a été placé en isolement préventif dès le 16 juin 2015.

[5]               Le 17 juin 2015, des gardiens de l’établissement ont procédé à une fouille de la cellule du demandeur et y ont trouvé un objet parmi des vêtements se trouvant dans le fond de la cellule occupée par M. Schmit. C’est de cet objet dont il est question dans la présente affaire. Comme noté à la formule 008844, on allègue que l’objet trouvé est un masque. Cependant, pour une raison qui n’a jamais été expliquée convenablement, ledit objet a été détruit et les autorités pénitentiaires n’ont pas pris le soin d’en prendre des photographies avant sa destruction. L’explication donnée à l’audience par le fonctionnaire qui présente le cas au Président indépendant est quelque peu confuse. On peut lire à la page six des transcriptions le passage suivant :

THE ASSESSOR:

Yeah. Okay. I can, -- I can tell that we, -- we don’t have any pictures. We don’t have the mask as we usually do with brew, alcohol, and some evidence that we don’t need to keep for security purpose. We just destroy them and that mask has been destroyed. It has been shown at the first (1st) hearing. And right now we, -- we don’t have the, -- the, -- the evidence with us. It’s up to you, Mr. President...

[TRADUCTION]

L’ASSESSEUR:

Oui, d’accord. Je peux, -- je peux vous dire que nous, -- nous n’avons pas de photographies. Nous n’avons pas le masque comme c’est généralement le cas avec la broue, l’alcool et certains éléments de preuve qu’il ne nous est pas nécessaire de conserver pour des raisons de sécurité. Nous les détruisons tout simplement et le masque a été détruit. Il a été montré à la première (1re) audience. Et maintenant nous, -- nous n’avons pas la, -- la, -- la preuve avec nous. C’est à vous de décider, M. le Président...

Il semble maintenant établi que l’objet n’a pas été montré à une audience précédente et on comprend mal comment un objet pareil pourrait avoir été détruit pour des raisons de sécurité. De fait, il n’est pas clair du passage cité que des raisons de sécurité sont même invoquées. Quoiqu’il en soit, il en est résulté que le Président indépendant a dû se satisfaire de la description de l’objet qui a été faite par l’un des agents qui a procédé à la fouille pour conclure qu’il s’agissait d’un masque de confection artisanale.

[6]               La description donnée par l’agent n’est pas des plus limpides. Il semblerait que l’objet soit une semelle de botte d’environ dix pouces de longueur, de couleur noire, qui était en « tissus (sic) semi-cuir ». Ladite semelle, qui serait utilisée à l’intérieur de chaussures, aurait une largeur d’environ quatre pouces. Il semble que des lanières faites à partir de draps étaient apposées de chaque côté de la semelle. Le témoin indique qu’il n’y aurait pas eu de trou percé pour permettre de voir mais plutôt : « Euh! à mon souvenir il y avait des petits trous comme (inaudible) qu’on a dans les semelles, là. Des semelles de bottes, là » (transcriptions, page 17).

[7]               Au mieux, la preuve présentée par l’agent est que le demandeur aurait pu se cacher le nez et la bouche. Je note d’ailleurs que le témoignage de l’agent était constamment « amélioré » par l’intervention de l’assesseur (le fonctionnaire qui devait présenter la preuve) qui venait corriger et amplifier le témoignage de celui qui avait fait la fouille. C’est d’ailleurs l’un des reproches qui a été fait par le défendeur.

[8]               Malgré que l’avocate du demandeur ait déclaré à l’audience que son client n’entendait pas témoigner, le Président indépendant l’a interrogé, insistant qu’il avait le pouvoir de ce faire et qu’il agit ainsi à l’intérieur de la discrétion qu’il aurait. Son rôle étant celui d’un inquisiteur, il était autorisé à questionner le demandeur. De toute façon, l’échange n’aura produit qu’une dénégation de la part de M. Schmit qu’il ait été en possession d’un tel objet (« I didn’t have anything like that in my cell » ([traduction] « Je n’avais rien de semblable dans ma cellule »), transcriptions, page 64). Au mieux, le demandeur a indiqué qu’il n’avait pas été accusé d’avoir participé à la bagarre et que, s’il avait eu un tel masque, il aurait dû l’utiliser à ce moment-là pour cacher son identité (transcriptions, page 73), tentant ainsi de démontrer qu’il n’était pas en possession.

II.                La décision attaquée

[9]               La décision rendue à l’audience n’est pas facile à lire. Rendue oralement, il en résulte, comme c’est souvent le cas, des propos quelque peu décousus. Quoiqu’il en soit, le Président indépendant commence par référer aux « objets interdits » dont la définition est prévue à l’article 2 de la Loi (en anglais « contraband ») et aux objets prohibés par directive ou ordre écrit. Il n’est pas clair en quoi cela est pertinent à sa décision outre que d’expliquer pourquoi les fouilles auraient lieu. Le Président indépendant n’a pas cherché à expliquer pourquoi ces dispositions relatives à la possession interdite n’ont pas été utilisées. Le Président indépendant semble s’être satisfait de ce que quelque chose qui s’apparentait à un masque ait été identifié par le seul témoin entendu comme étant un masque (transcriptions, page 84). Par ailleurs, le Président indépendant s’est satisfait que l’objet tel que décrit peut être qualifié de masque parce qu’il cache la figure en entier ou en partie. Qui plus est, le Président indépendant déclare que le masque

[...] peut être partiel. Il peut être de toutes sortes, - ça peut prendre toutes sortes de formes, un masque. C’est tout ce qui peut rendre, -la définition la plus simple. C’est tout ce qui peut rendre l’identification d’une personne, grâce à son visage, difficile ou parfois impossible. Un masque c’est, - c’est simplement ça. C’est pas, - c’est pas compliqué. C’est pas quelque chose de technique, c’est quelque chose qui, - qui est de commune renommée comme étant un objet qui permet de se cacher partiellement ou totalement la figure.

(Transcriptions, pages 85-86)

[10]           Le Président indépendant se déclare donc satisfait qu’il s’agit bien d’un masque et que ce masque a été trouvé dans la cellule occupée par M. Schmit puisque le détenu doit, selon le Président indépendant, « être responsable, il est automatiquement et sans réserve, responsable de, - des objets qui sont à l’intérieur de sa cellule »; le demandeur est donc coupable.

[11]           Étant en droit administratif, le Président indépendant ajoute d’abondant qu’il ne s’agit pas d’une affaire où la mens rea doit être présente. Il déclare que « [c]e n’est pas l’intention coupable, je n’ai même pas à discuter de ça. Ce que j’ai à discuter c’est des faits. C’est une question factuelle » (transcriptions, page 88). Ainsi, pour le Président indépendant, tout ce qui doit être prouvé est l’actus reus.

[12]           Il m’apparaît assez clair que ce dont M. Schmit a été trouvé coupable est d’avoir été en possession d’un masque et rien d’autre. On peut lire à la page 89 des transcriptions : « I find you guilty because I have no doubt in my mind that this thing was in, -- in your cell. Whether it was put there by you or not... ». Ayant été interrompu par l’avocate du demandeur, le Président indépendant continue :

I find you guilty. I don’t, -- I’m, -- I’m not telling you that you were, -- you’re the worst person in the world. I’m just telling you that you had something that was called a mask and that was found in your possession in the cell that you occupy and for which you have the full responsibility at all times... I don’t have to be convinced that you had the intention of using it, That you did want to do something wrong with it or something like that. But something that was subse..., -- that could be used to do something of that nature was found and this is sufficient, according to the law that we, -- which is called kind of administrative law, it is, -- it is different. You don’t have to be, -- have a, -- an intention, a bad intention about that. I don’t know about that. I’m not, -- I’m not inquiring about that. It didn’t know, -- I don’t know what you wanted to do with that. I don’t, -- I have no idea.

But what I know is that it was there. That it could be used in a way that was, -- that could be dangerous for the security of the institution. It could be used for that. I’m not saying that was your intention, but that could be done and this is the fact that I have to establish and those facts are established and that’s why I find you guilty. [Je souligne.]

[TRADUCTION]

Je vous déclare coupable. Je ne, -- Je, -- Je ne vous dis pas que vous avez été, -- vous êtes la pire personne au monde. Je vous dis simplement que vous aviez un objet appelé un masque et qui a été trouvé en votre possession dans votre cellule et pour laquelle vous êtes entièrement responsable en tout temps... Je n’ai pas à être convaincu que vous aviez l’intention de l’utiliser, que vous vouliez faire quelque chose de mal ou de semblable avec cet objet. Mais quelque chose qui était subse..., -- qui pouvait être utilisé pour faire quelque chose du genre a été trouvé et cela suffit, selon la loi que nous, -- que l’on appelle un genre de droit administratif, c’est, -- c’est différent. Vous n’avez pas à être, – à avoir, -- une intention, une mauvaise intention à ce sujet. Je ne sais pas ce qu’il en est. Je ne, -- Je ne me pose pas cette question. Il ne le savait pas, -- Je ne sais pas ce que vous vouliez faire avec cela. Je n’en ai, -- Je n’en ai aucune idée.

Mais ce que je sais c’est qu’il était là. Qu’il pouvait être utilisé d’une manière qui était, -- qui pouvait être dangereuse pour la sécurité de l’établissement. Il pouvait servir à cette fin. Je ne dis pas que c’était votre intention, mais que cela était possible et ce fait est celui que je dois établir et qui est établi et c’est pourquoi je vous déclare coupable. [Je souligne.]

Essentiellement, le demandeur est trouvé coupable d’être en possession d’un objet, que le décideur considère être un masque, mais sans l'avoir vu, tel masque pouvant être utilisé d’une manière qui pourrait être dangereuse pour la sécurité du pénitencier.

III.             Prétentions des parties

[13]           Le demandeur prétend à deux types d’erreur. Il prétend que la décision de le reconnaître coupable est déraisonnable. Il prétend aussi à violation de l’équité procédurale du fait que : a) la preuve matérielle a été détruite; b) le Président indépendant a forcé le demandeur à répondre à ses questions, et; c) les interventions à répétition de l’assesseur sont des accros à l’équité procédurale.

[14]           Reconnaissant que la norme de la raisonnabilité est celle qui prévaut pour les questions autres que celles d’équité procédurale, le demandeur dit que la mens rea requise pour la commission de l’infraction n’a pas été démontrée. Il eut fallu, selon cet argument, que soit démontré que le demandeur a voulu mettre en danger la sécurité du pénitencier. Comment une semelle de botte peut-elle mettre en danger la sécurité du pénitencier? Ledit objet ne permettait pas à une personne de voir puisqu’il n’avait pas été confectionné pour permettre que les yeux puissent faire leur travail.

[15]           Le demandeur, sans citer d’autorité, prétend que l’intention de mettre en danger la sécurité de l’établissement est un élément constitutif de l’infraction, la simple présence d’un objet interdit n’étant pas suffisante. On note d’ailleurs que l’alinéa 40 j) de la Loi parle de la possession d’objets interdits par directive du commissaire ou ordre écrit du directeur du pénitencier, ce qui n’est pas le cas à l’alinéa 40 m).

[16]           Quant aux atteintes à l’équité procédurale, le demandeur n’offre aucune autorité à l’appui de ses prétentions.

[17]           Du côté du défendeur, on prétend que la question à être résolue est de savoir si la décision du Président indépendant est raisonnable. Puisque l’infraction créée en serait une de responsabilité stricte, aucune intention criminelle n’a à être prouvée et la décision du Président indépendant était raisonnable.

[18]           Ayant par ailleurs indiqué que la question posée à la Cour était sujette au test de la décision raisonnable, la défenderesse admet néanmoins que les questions d’équité procédurale font l’objet d’une décision selon la norme de la décision correcte. Or, le Président indépendant était correct quant aux trois questions qui ont été soulevées par le demandeur. La preuve présentée par l’agent correctionnel quant à l’objet qu’il aurait saisi était suffisante. On ne saurait invoquer l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés (Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11) en matière carcérale et la défenderesse trouve refuge derrière la nature inquisitoire des procédures pour conclure que l’équité procédurale a été respectée.

IV.             Norme de contrôle et analyse

[19]           Les questions de faits et les questions mixtes de faits et de droit font l’objet d’une révision sur la base de la décision raisonnable. La jurisprudence à cet effet est abondante et unanime (Boucher-Côté c Canada (Procureur général), 2014 CF 1065, et la jurisprudence qui y est citée; Canada (Procureur général) c Blackman, 2016 CF 488). Pour ce qui est des questions relatives à l’équité procédurale, il est généralement reconnu qu’elles font l’objet d’une révision selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24, [2014] 1 RCS 502, au paragraphe 79). Mais encore faut-il qu’il s’agisse de questions relatives à l’équité procédurale.

[20]           La décision sous étude représente une question mixte de faits et de droit. Le demandeur est-il coupable de l’infraction reprochée? À mon avis, cette affaire doit être tranchée en faveur de M. Schmit. L’accusation dont il a fait l’objet, en vertu de l’alinéa 40 m), ne peut correspondre aux seuls faits qui ont été démontrés. La seule possession d’une chose ne peut être la création d’une situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier. De fait, le détenu a été reconnu coupable de l’utilisation éventuelle d’un objet, ce qui ne correspond pas au texte de l’alinéa 40 m). Ni la preuve, ni les motifs, ne justifient la condamnation.

A.                La décision est-elle raisonnable?

[21]           En effet, cette décision n’a pas les apanages de la raisonnabilité. Lorsque l’on examine plus attentivement la décision sous étude, on constate que l’infraction pour laquelle M. Schmit a été condamné en est une de possession d’un objet dont l’utilisation pourrait créer une situation susceptible de mettre en danger la sécurité de l’institution. Le passage cité au long au paragraphe 12 des présents motifs en est la preuve éloquente. C’était d’ailleurs la seule preuve présentée devant le Président indépendant. Essentiellement, le Président indépendant fait deux choses. Il constate la possession d’un objet qu’il est satisfait être un masque. Puis, il conclut qu’il s’agit d’un objet qui pourrait être utilisé d’une manière dangereuse pour la sécurité du pénitencier, sans par ailleurs conclure que le demandeur avait cette intention malveillante. Ce n’est pas nécessaire pour établir la culpabilité.

B.                 La déclaration de culpabilité

[22]           De ces seuls faits, le Président indépendant conclut que l’infraction prévue à l’alinéa 40 m) de la Loi a été prouvée. Cela est problématique sur plusieurs fronts :

a)                  la simple possession d’un objet interdit est déjà une infraction prévue spécifiquement ailleurs;

b)                  le comportement prohibé à l’alinéa 40 m) ne peut être la seule possession. Le libellé de l’alinéa est tout autre. La version anglaise du texte permet d’écarter toute équivoque;

c)                  en examinant le texte de l’alinéa 40 m), on ne peut que constater que les éléments constitutifs de l’infraction ne sont pas démontrés. Même si on voulait admettre que la possession est prohibée à l’alinéa 40 m), encore faudrait-il prouver que la possession crée les troubles ou la situation, ce qui en soi pourrait être difficile et n’a pas été fait en l’espèce. Le détenu n’est pas trouvé coupable d’une possession qui elle-même crée les troubles dont parle l’alinéa 40 m). Ce dont le détenu est trouvé coupable, c’est d’avoir un objet qui « could be used in a way that was, -- that could be dangerous for the security of the institution. It could be used for that. » ([TRADUCTION] « pouvait être utilisé d’une manière qui était, -- qui pouvait être dangereuse pour la sécurité de l’établissement. Il pouvait servir à cette fin ») Ainsi, le demandeur est reconnu coupable d’un comportement qui ne constitue pas l’actus reus de l’infraction.

(a)                Possession

[23]           La première difficulté était donc d’avoir constaté possession pour se satisfaire que cela peut constituer l’infraction décrite à l’alinéa 40 m). La Loi prévoit pourtant des alinéas où la possession de certains objets est prohibée. Ce n’est pas le cas de l’alinéa 40 m).

[24]           Les alinéas i) et j) de l’article 40 sont ceux dont il est question :

Infractions disciplinaires

Disciplinary offences

40 Est coupable d’une infraction disciplinaire le détenu qui :

40 An inmate commits a disciplinary offence who

[...]

[...]

i) est en possession d’un objet interdit ou en fait le trafic;

(i) is in possession of, or deals in, contraband;

j) sans autorisation préalable, a en sa possession un objet en violation des directives du commissaire ou de l’ordre écrit du directeur du pénitencier ou en fait le trafic;

(j) without prior authorization, is in possession of, or deals in, an item that is not authorized by a Commissioner’s Directive or by a written order of the institutional head;

L’objet interdit dont il est question à l’alinéa i) est lui-même défini à l’article 2 et il s’agit du pendant de la définition du mot « contraband ». Son texte s’en lit ainsi :

objets interdits

contraband means

a) Substances intoxicantes;

(a) an intoxicant,

b) armes ou leurs pièces, munitions ainsi que tous objets conçus pour tuer, blesser ou immobiliser ou modifiés ou assemblés à ces fins, dont la possession n’a pas été autorisée;

(b) a weapon or a component thereof, ammunition for a weapon, and anything that is designed to kill, injure or disable a person or that is altered so as to be capable of killing, injuring or disabling a person, when possessed without prior authorization,

c) explosifs ou bombes, ou leurs pièces;

(c) an explosive or a bomb or a component thereof,

d) les montants d’argent, excédant les plafonds réglementaires, lorsqu’ils sont possédés sans autorisation;

(d) currency over any applicable prescribed limit, when possessed without prior authorization, and

e) toutes autres choses possédées sans autorisation et susceptibles de mettre en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier. (contraband)

(e) any item not described in paragraphs (a) to (d) that could jeopardize the security of a penitentiary or the safety of persons, when that item is possessed without prior authorization; (objets interdits)

[25]           On aurait pu penser que l’alinéa e) de la définition aurait pu être celui qui est le plus susceptible d’être utilisé pour chercher à établir la culpabilité du demandeur en vertu de l’alinéa 40 i). Or, le demandeur n’est pas accusé d’avoir été en possession de l’objet interdit qui est défini à l’article 2. On peut soupçonner que ce qui rebute à l’utilisation de l’alinéa 40 i) est que, quoique le terme « objet interdit » ait une sens neutre en français, la connotation de l’équivalent anglais « contraband » est davantage chargée, ayant cet élément d’entrée illégale, clandestine. Pour les fins limitées de l’affaire sous étude, il suffit de voir la différence entre le texte de l’alinéa 40 i), qui proscrit une possession lorsqu’un objet a la caractéristique d’être susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier, et celui de l’alinéa 40 m) qui a une caractéristique semblable de mise en danger de la sécurité du pénitencier, mais ne traite aucunement de possession d’un objet.  La possession d’un objet susceptible de mettre en danger est prohibée à l’alinéa 40 i). Il faudrait donc que l’alinéa 40 m) prohibe autre chose que la possession susceptible de mettre en danger.

[26]           Quand le législateur veut prohiber la possession, il le dit. Ce dont le demandeur est accusé c’est d’avoir créé des troubles ou une situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier, aux termes mêmes de l’alinéa 40 m), et non la possession d’un objet susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier, selon l’alinéa 40 i). La possession est prohibée spécifiquement aux alinéas i) et j) de l’article 40.

(b)               L’alinéa 40 m) ne traite pas de possession

[27]           L’alinéa 40 m) prohibe un comportement précis : la création de troubles ou la création de toute situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier, ou la participation aux troubles ou à la situation. Il faut donc que la seule possession d’un objet puisse être la création d’une situation. Et c’est cette situation créée par le détenu qui doit être susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier. La notion de situation créée s’accommode mal de la seule possession d’un objet. La version anglaise de l’alinéa 40 m) elle parle d’une « activity » ou en français d’une « situation ». Ainsi, en anglais on parle de « creates or participates in [...] any other activity » ou en français « crée toute autre situation ou y participe ». L’Oxford Canadian Dictionary (Canada: Oxford University Press, 2001) définit « activity » comme étant « the condition of being active or moving about. b) the exertion of energy; vigorous action » ou en français comme « le fait d’être actif ou de se mouvoir b) le déploiement d’énergie; action vigoureuse  ».  On est loin, me semble-t-il, de la possession d’un objet, comme aux alinéas 40 i) ou j), qui elle est passive. Ce dont parle l’alinéa 40 m) est à l’évidence kinétique.

[28]           De plus, la notion de « any other activity », ou « autre situation », est associée à une « disturbance », ou « troubles », à l’alinéa 40 m), ce qui aide à en définir les contours (voir Interprétation des lois (Pierre-André Côté avec la collaboration de Stéphane Beaulac et Mathieu Devinat, Interprétation des lois, 4e éd, Montréal, Éditions Thémis, 2009), aux paragraphes 1166 et subséquents, et Sullivan and Driedger on The Construction of Statutes (Ruth Sullivan, Sullivan and Driedger on The Construction of Statutes, 4e éd, Markham, Butterworths Canada, 2002), au sujet de noscitur a sociis, pages 173 à 175). Ce n’est pas toute « activity » dont parle la version anglaise, mais de celle qui participe de la « disturbance ». En français, l’autre « situation » sera de la nature des « troubles ». La seule possession d’un masque ne crée pas une situation de la nature de troubles.

[29]           Dans la mesure où les versions française ou anglaise pourraient générer une certaine ambiguïté sur le sens réel, il faut tenter de trouver le sens commun aux deux versions. Comme le rappelait la majorité dans Merck Frosst Canada Ltée c Canada (Santé), 2012 CSC 3, [2012] 1 RCS 23, « il existe une règle d’interprétation des lois bilingues selon laquelle il faut retenir le sens commun à la version anglaise et à la version française » (para 203; voir aussi R c Daoust, 2004 CSC 6, [2004] 1 RCS 217, et R c SAC, 2008 CSC 47, [2008] 2 RCS 675).

[30]           En l’espèce, le sens commun, qui est aussi celui qui est sans équivoque, est révélé par le mot « activity » ou en français « situation »,  lui-même associé au mot « disturbance » ou en français « troubles ». C’est d’autant plus vrai que le sens plus passif équivalent ici à la simple possession d’un objet est rendu parfaitement par les alinéas 40 i) et j) de la Loi. Ainsi, le contexte de l’article en question mène aussi à donner aux mots « crée » ou « participe à toute autre situation » un sens actif que la simple possession d’un objet ne rend pas.

[31]           Tant le sens commun des deux versions de l’alinéa 40 m) que le contexte dans lequel il se trouve, où la possession d’objets est prohibée par des alinéas différents, nous amènent à la conclusion que c’est le sens du mot « activity » ou en français « situation » qui doit prévaloir. On pourrait ajouter que le texte parle de troubles ou situation créés ou auxquels quelqu’un participe ce qui suggère encore davantage que la seule possession d’un objet n’est ni la création de troubles, et encore moins la participation à ceux-ci.

[32]           La décision du Président indépendant parle d’un objet qui pourrait être utilisé d’une manière dangereuse. Il n’a nulle part conclu que la seule possession pouvait à elle seule être la création d’une situation elle-même susceptible de mettre en danger la sécurité. Il a plutôt cherché à le trouver coupable d’être en possession d’un objet dont l’utilisation pourrait être dangereuse. Cet énoncé me semble correspondre davantage à l’alinéa 40 i) où la possession de l’objet doit être susceptible de mettre en danger la sécurité d’une personne ou du pénitencier. Tant l’alinéa 40 m) que l’alinéa 40 i) requièrent que l’essence de l’infraction, la possession dans un cas ou la création ou la participation à une situation dans l’autre, soit susceptible de mettre en danger la sécurité. Cependant, dans un cas c’est la possession d’un objet qui est en jeu alors que dans l’autre c’est la création de trouble ou autre situation (« activity »). Qui est en possession d’un objet susceptible de mettre en danger la sécurité fera face à l’accusation sous 40 i); qui crée des troubles ou autre situation sera accusé sous 40 m). Quand la seule preuve est la possession d’un objet, sans la création de troubles ou autres situations, comme requis sous l’alinéa 40 m), l’accusation sous 40 m) est non avenue. D’avoir un objet qui pourrait être utilisé pour causer troubles et autres situations n’est pas créer les troubles ou autres situations ce qui était l’infraction imputée au demandeur.

[33]           Enfin, j’ajoute que ce que la Loi semble proscrire à l’alinéa 40 i), c’est la possession de l’objet, objet qui est lui-même susceptible de mettre en danger la sécurité de personnes ou du pénitencier. Ici, le détenu est trouvé coupable d’avoir eu un objet qui pourrait être utilisé pour mettre en danger, selon les termes mêmes utilisés par le Président indépendant.

(c)                Créer des troubles ou autre situation

[34]           De fait, la déclaration de culpabilité elle-même, quant aux faits qui sont reprochés, constitue cette troisième difficulté en l’espèce. Que ce soit sous 40 i), être en possession d’un objet susceptible de mettre en danger la sécurité, ou 40 m), créer des troubles ou mettre en danger la sécurité, les seuls faits reprochés en l’espèce sont la possession de quelque chose qui pourrait être utilisé à cette fin. Cela ne correspond pas au texte en vertu duquel l’infraction est portée, texte qui constitue l’actus reus que le législateur a choisi de proscrire. Les faits reprochés doivent correspondre au comportement prohibé par la loi.

[35]           Lorsqu’on se concentre sur l’alinéa 40 m) qui est la disposition invoquée en l’espèce, on ne voit pas d’adéquation entre les faits reprochés et l’infraction en cause. Les seuls faits prouvés semblent être, aux dires du décideur, que l’objet pourrait être utilisé pour mettre en danger la sécurité. C’est donc l’utilisation de l’objet qui pourrait mener aux troubles ou autre situation. Or, nous sommes alors bien en amont de l’infraction qui a été portée, qui requiert qu’il y ait création de troubles ou autre situation. Les seuls faits reprochés sont en amont de l’infraction telle que créée par le Parlement. Ce n’est pas la preuve de l’infraction reprochée, qui requiert la création même des troubles ou de la situation qui est elle-même susceptible de mettre en danger, qui a été faite ou, à tout le moins, qui a fait l’objet de la déclaration de culpabilité. C’est de l’utilisation possible éventuelle de cet objet. La situation (« activity ») n’a pas été créée. Elle ne le sera que si l’objet, le masque, est utilisé. Être en possession d’un masque n’est pas la création d’une situation, encore moins la création d’une « activity ». L’actus reus, constaté et démontré dans cette affaire, n’est pas l’actus reus de l’infraction reprochée.

[36]           J’ai reproduit de nombreux passages de la décision du Président indépendant pour bien déterminer que c’est de la possession d’un objet qu’on pourrait utiliser dont le demandeur a été trouvé coupable. Comme indiqué précédemment, si l’on reproche à quelqu’un d’être en possession d’un objet interdit ou que ce que l’on reproche c’est la possession d’un objet qui a été prohibée par une directive du commissaire ou un ordre du directeur du pénitencier, il faut alors que ce soit l’infraction qui est alléguée. Ce n’est pas le cas ici. Par ailleurs, la seule possession d’un objet n’est pas la création de troubles ou autre situation qui doivent être susceptibles de mettre en danger la sécurité du pénitencier. La possession d’un objet qui pourrait être utilisé pour la création de troubles correspond encore moins au texte créant l’infraction. Dit autrement, la simple possession qui a été constatée par le Président indépendant n’a pas fait l’objet de l’infraction spécifique possible à l’égard de la simple possession (alinéas 40 i) et j)), et cette seule possession ne crée pas des troubles ou autre situation, aux termes de 40 m). La possession d’un objet qui puisse éventuellement être utilisé pour créer troubles ou situation n’est pas non plus prohibée par l’alinéa 40 m).

C.                 La mens rea

[37]           La discussion autour de la possible mens rea pourrait venir de la confusion qui a émergé autour de la nature même de l’infraction qui était alléguée. L’assesseur a tenté de justifier l’accusation qui a été portée en ces termes :

All right, Mr. President, I will not have too much to say. The, -- the only thing I don’t wanna clarify, -- I just wanna clarify is the reason why I have put the accusation under 40M. Usually that kind of thing would be, -- would have probably been put under 40J. That was, -- that would be a non-authorized object, but because of the situation that, -- that happened the day before, because Mr. Schmit was involved in that situation, it means to me and the ipso, -- and ipso, Mr. President, is an investigator in here. So with the, -- with what we, -- the meeting what, -- that I had with them, I took two (2) days to put the accusation just to make sure that I, -- I make up my mind on that, 40M means that he created trouble or could create trouble that cause a problem for the security purpose, and the security of the institution :

“Create or participate in a disturbance or any activity that could jeopardize the security of the penitentiary or the institution, the facility.”

So that means that probably that mask was to create or was supposed to help to create a situation. And we think that Mr. Schmit wanted to have that mask for the sit..., -- to use during the situation that happened the day before. That’s why the accusation is under 40M instead of 40J. And for the, -- the rest of the, -- my allocution there, is the testimony of Mr. Villeneuve was pretty clear. He clar..., -- he clearly explained what he sees and what he saw and the mask was probably found, -- was surely found in that cell. And that’s all. [Je souligne.]

[TRADUCTION]

D’accord, M. le Président, je n’ai pas grand-chose à dire. La, -- la seule chose que je ne veux pas préciser, -- Je veux simplement préciser la raison pour laquelle j’ai fondé l’accusation sur l’alinéa 40 m). Généralement, ce type d’accusation aurait été, -- aurait probablement été fondé sur l’alinéa 40 j). C’était, -- cela aurait été pour un objet non autorisé, mais en raison de la situation qui, -- qui s’est produite la veille, parce que M. Schmit a participé à cette situation, cela signifie pour moi et l’ASPE, -- et l’ASPE, M. le Président, est un enquêteur ici. Donc après, -- après ce que nous, -- la rencontre quoi, -- que j’ai eu avec eux, j’ai pris deux (2) jours pour formuler l’accusation simplement pour m’assurer que je, -- Je décide que, l’alinéa 40 m) signifie qu’il a créé des troubles ou pouvait créer des troubles causant un problème lié à la sécurité, et à celle de l’établissement :

« Crée des troubles ou toute autre situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier ou de l’établissement, de l’installation, ou y participe. »

Donc cela signifie probablement que le masque visait à créer ou devait aider à créer une situation. Et nous sont d’avis que M. Schmit voulait avoir le masque pour la sit..., -- pour l’utiliser pendant la situation qui s’est produite la veille. C’est pourquoi l’accusation est fondée sur l’alinéa 40 m) plutôt que sur l’alinéa 40J. Et pour le, -- le reste de, -- mon allocution, est le témoignage de M. Villeneuve a été très clair. Il a préc..., -- il a clairement expliqué ce qu’il voit et ce qu’il a vu et le masque a probablement été trouvé, -- a sûrement été trouvé dans cette cellule. Et c’est tout. [Je souligne.]

(Transcriptions, pages 79-80)

[38]           M. Schmit n’était pas devant le tribunal disciplinaire pour la « situation » qui s’est produite le 16 juin 2015. Il n’a pas été accusé d’avoir participé à la bagarre survenue dans le gymnase de l’institution. Le masque, si c’est bien ce dont il s’agit, n’a rien à voir avec la bagarre survenue la veille de la fouille de la cellule de M. Schmit. Si M. Schmit avait participé à la bagarre, il aurait pu être accusé. Le dossier ne nous révèle pas pourquoi aucune accusation n’a été portée, mais on peut soupçonner à partir des propos de l’assesseur que c’est parce que la preuve disponible n’était pas adéquate.

[39]           Ce qui ressort des propos tenus par l’assesseur est que l’on cherchait à sanctionner de quelque façon le demandeur parce que le masque « was to create or was supposed to help to create a situation » ([TRADUCTION] « visait à créer ou devait aider à créer une situation »). On ne sait sur quelle base l’assesseur fait cette déclaration, mais cela semble être au cœur des préoccupations menant à l’accusation sous l’alinéa 40 m). De façon encore plus sérieuse, on confond la possession d’un objet qui pourrait être prohibée avec l’infraction invoquée contre M. Schmit qui est de créer des troubles ou une situation (« activity ») qui elle est susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier. Ce qui est prohibé est la création de la situation (« activity »). Cette déclaration ne pouvait qu’entretenir la confusion. Il n’a pas été révélé à l’audience devant le Président indépendant ou devant cette Cour en quoi un objet aussi rudimentaire que celui qui a été décrit par le témoin était de la nature de créer des troubles ou toute autre situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier. De toute manière, cela ne constitue pas l’infraction alléguée. Ce qui devait être démontré était que le demandeur avait créé des troubles ou une situation, en anglais il « creates a disturbance or any activity ». Comme l’assesseur et le Président indépendant l’ont dit, le masque aurait pu être utilisé lorsque des troubles ou autres situations seraient créés. C’est bien la preuve que le masque en soi ne crée rien.

[40]           Tant l’assesseur que le Président indépendant savent intuitivement qu’une difficulté se pose. L’assesseur plaide que le masque « was to create or was supposed to create a situation » ([TRADUCTION] « visait à créer ou devait aider à créer une situation »). Pourtant, le texte de l’infraction commande plutôt qu’il y ait la création directe de l’« activity that is likely to jeopardize the security of the penitentiary » ([TRADUCTION] « situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier »).  Le Président indépendant conclut quant à lui que le masque pourrait être utilisé d’une manière qui pourrait être dangereuse pour la sécurité. Dans les deux cas, intuitivement ils reconnaissent que la seule possession est courte. La possession de quelque chose ne crée rien, encore moins une situation (« activity »).

[41]           Il est important de rappeler que la loi requiert que la culpabilité soit établie hors de tout doute raisonnable sur la foi de la preuve présentée (para 43(3) de la Loi). Le fait que l’assesseur déclare que « [a]nd we think that Mr. Schmit wanted to have that mask for the sit... -- to use during the situation that happened the day before » ([TRADUCTION] « [e]t nous sommes d’avis que M. Schmit voulait avoir le masque pour la sit..., -- pour l’utiliser pendant la situation qui s’est produite la veille ») n’est aucunement de la preuve présentée à l’audience. C’est plutôt une conjecture. En fait, et ceci dit avec égard, c’est l’expression d’une mauvaise compréhension de ce en quoi consiste l’alinéa 40 m).

[42]           C’est cette confusion sur la portée de l’alinéa 40 m) qui a entraîné une discussion qui s’est avérée stérile au sujet de la présence de mens rea. Le Président indépendant a tout simplement déclaré qu’il n’avait qu’à se satisfaire de la possession d’un objet pour conclure à une utilisation éventuelle dangereuse pour la sécurité de l’établissement. On ne saura jamais comment et pourquoi cet objet constitue une situation susceptible d’être dangereuse. À ce compte, beaucoup d’objets pourraient se qualifier. À mon avis, c’était déraisonnable d’établir une équation entre la possession seule d’un objet et la création éventuelle d’une situation dangereuse. L’actus reus de l’infraction tel que libellé est tout autre. On ne peut aussi facilement passer du passif à l’actif.

[43]           Si je comprends l’argument présenté au nom du demandeur, encore faudrait-il que soit démontré spécifiquement que le détenu ait voulu créer une situation de mettre en danger la sécurité du pénitencier (mémoire des faits et du droit du demandeur, para 26). Ce serait aller trop loin.

[44]           Une fois l’alinéa 40 m) mieux compris, on voit que l’actus reus est la création de troubles ou autre situation (ou la participation à ces évènements) qui eux sont susceptibles de mettre en danger la sécurité. Ces troubles ou autre situation (« activity ») doivent être suffisamment graves pour être susceptibles de mettre en danger la sécurité du pénitencier. Ce n’est pas la mens rea proposée par le demandeur. Il n’est pas nécessaire de vouloir créer une situation de mettre en danger la sécurité du pénitencier. Il suffit qu’elle soit susceptible de le faire.

[45]           Le défendeur de son côté a plutôt prétendu que les infractions disciplinaires prévues à la Loi ne requièrent pas la démonstration de mens rea : elles seraient de responsabilité stricte (mémoire des faits et du droit du défendeur, para 37). C’est une affirmation surprenante parce que plusieurs des alinéas de l’article 40 comprennent des expressions qui relèvent typiquement de la plus haute mens rea : « délibérément » (alinéas c) et r) de l’article 40), « dans l’intention de » (alinéa 40 n)), « sachant qu’elle » (alinéa 40 r.1)). De plus, on y interdit le vol (alinéa 40 d)), les voies de fait (alinéa 40 h)), l’offre de pots-de-vin (alinéa 40 o)), toutes des infractions de droit commun avec intention criminelle. De prétendre comme le fait le défendeur que toutes les infractions sont contre le bien-être public, au sens de  R c Sault Ste Marie, [1978] 2 RCS 1299, n’a tout simplement pas été démontré.

[46]           Je suis loin d’être convaincu que toutes les infractions créées par l’article 40 de la Loi sont sans intention coupable. Mais je suis aussi loin d’être convaincu que le demandeur a raison que l’intention coupable en l’espèce, s’il doit y en avoir une, est l’intention spécifique de mettre en danger la sécurité de l’établissement.

[47]           Il en résulte ceci. Le demandeur prétend à une mens rea qui dépasse largement le texte. On ne peut trouver nulle part appui sur l’alinéa 40 m) pour inférer que le contrevenant doit vouloir mettre en danger la sécurité du pénitencier. On peut voir d’ailleurs le fardeau que cela représenterait pour l’institution. Le défendeur, se réclamant probablement de la présomption en matière du bien-être public que ce type d’infractions ne requiert pas la preuve de mens rea proprement dite (Lévis (Ville) c Tétreault; Lévis (Ville) c 2629-4470 Québec inc, 2006 CSC 12, [2006] 1 RCS 420, au para 16), déclare que les différentes infractions décrites à l’article 40 de la Loi sont toutes couvertes par la présomption. Il suffit d’établir les faits commis et l’accusé doit alors établir avoir fait preuve de diligence raisonnable pour éviter la condamnation. Ce ne semble pas exact non plus pour tous les alinéas de l’article 40.

[48]           Comme on l’a vu, certaines des infractions incluent des expressions qui sont indicatives de la nécessité de prouver une mens rea spécifique. Ce n’est pas le cas de l’alinéa 40 m). Peut-on voir d’autres indications du législateur sur l’existence de l’obligation de prouver la mens rea?

[49]           En l’absence de toute discussion à cet égard de la part des parties, et du fait que j’ai conclu que l’actus reus de l’infraction n’avait pas été raisonnablement prouvé en l’espèce, il ne serait pas approprié d’épiloguer davantage sur l’interprétation à donner au texte de l’alinéa 40 m). On peut penser que cette infraction a son importance pour le maintien de l’ordre et de la sécurité au sein d’un pénitencier. On ne devrait se prononcer que sur la base de faits établis où la question de la mens rea se pose vraiment (La Souveraine, Compagnie d’assurance générale c Autorité des marchés financiers, 2013 CSC 63, [2013] 3 RCS 756).

[50]           En faisant abstraction des difficultés d’interprétation qui ne sont nullement résolues par l’interprétation donnée par le défendeur, il y a en plus le caractère possiblement absurde et arbitraire où cette interprétation mène. Comme le note d’ailleurs le Président indépendant, tout peut devenir un masque : une manche de chemise, un t-shirt, un morceau de drap, un foulard... Du seul fait qu’un tel objet serait trouvé dans la cellule d’un détenu, par exemple un t-shirt, pourrait ainsi suffire à fonder une accusation que le détenu a créé « des troubles ou toute autre situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier. » Tout et rien deviennent la création d’une situation. Ce qui crée une situation est à l’évidence l’utilisation de la chose, pas la chose elle-même.

D.                La norme de la décision raisonnable

[51]           Il convient de rappeler que le tribunal administratif a droit à la déférence lorsqu’il interprète la législation qu’il est chargé d’appliquer. Déjà dans Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, la Cour donnait le ton en décidant que « [l]orsqu’un tribunal administratif interprète sa propre loi constitutive ou une loi étroitement liée à son mandat et dont il a une connaissance approfondie, la déférence est habituellement de mise » (para 54). Cette règle est devenue une présomption que l’interprétation d’une telle loi mérite la déférence (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, [2011] 3 RCS 654, au para 34).

[52]           En l’espèce, le tribunal administratif n’a pas cherché à donner son interprétation de l’article 40 en isolant une question de droit. Il s’est contenté d’agir comme si l’alinéa 40 m) traitait de possession ou, tout au mieux, que si le détenu avait un objet qui pouvait être utilisé dans la création d’une situation susceptible d’être dangereuse pour la sécurité de l’institution, l’infraction de 40 m) était commise hors de tout doute raisonnable.

[53]           Le décideur administratif est mieux placé pour choisir entre plusieurs interprétations raisonnables d’un même texte. Il se pourrait que des raisons de politique générale emportent un résultat plutôt qu’un autre (McLean c Colombie‑Britannique (Securities Commission), 2013 CSC 67, [2013] 3 RCS 895 [McLean], au para 33). Comme la décision dans McLean en fait foi, il est possible que deux interprétations d’un même texte soient raisonnables.

[54]           Mais encore faudrait-il qu’il y ait une autre interprétation raisonnable. Celle-ci, si elle existe, ne nous a pas été offerte. Les principes d’interprétation des lois continuent de s’appliquer, même pour le décideur administratif (Wilson c Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), 2015 CSC 47, [2015] 3 RCS 300, au para 19). Ici, les règles d’interprétation, dont la règle d’or voulant qu’« [a]ujourd’hui il n’y a qu’un seul principe ou solution : il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur » (Elmer A Driedger, Construction of Statutes, 2e éd, Toronto, Butterworths, 1983, à la page 87), ne peuvent justifier une condamnation sous l’alinéa 40 m) lorsque la seule preuve en serait une de possession d’un objet.

[55]           Comme j’ai tenté de l’expliquer, le sens ordinaire et grammatical des mots, y compris dans leurs versions française et anglaise, leur comparaison avec d’autres alinéas du même article 40 pour comprendre l’économie de la Loi, et l’obligation faite à la Loi de prouver la commission de l’infraction disciplinaire hors de tout doute raisonnable empêchent de conclure à la raisonnabilité d’une déclaration de culpabilité pour avoir créé des troubles ou une autre situation, là où la seule preuve en est une de possession d’un objet qu’on dit être un masque. Les seuls faits prouvés ne correspondent pas à l’infraction reprochée. La seule possession ne crée pas des troubles (« disturbance ») ou une autre situation (« activity ») susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier. La possession est prohibée ailleurs. Si la possession du demandeur ne pouvait faire l’objet d’une accusation sous 40 i) et 40 j), on ne peut voir comment cette possession peut correspondre au libellé de 40 m).

[56]           Et de toute manière, le comportement pour lequel le demandeur a été trouvé coupable est celui d’être en possession d’un objet dont l’utilisation éventuelle pourrait créer une situation susceptible de mettre en danger la sécurité du pénitencier. Cela ne correspond pas au comportement prohibé en vertu de l’alinéa 40 m).

E.                 Les allégations de violation de l’équité procédurale

[57]           Quant aux autres allégations faites par le demandeur, qui relèvent de la violation de l’équité procédurale, j’ai de la difficulté à comprendre en quoi l’équité procédurale aurait pu être affectée du fait que la preuve a été faite par voie du témoignage d’un individu, qui constitue une preuve directe, plutôt que la production de l’objet lui-même. L’utilisation d’une preuve que certains qualifieraient d’inférieure, soit le témoignage plutôt que l’objet lui-même, peut être source de doute raisonnable, surtout si le témoignage manque de précision sur la description de l’objet. Mais cela procède du doute raisonnable, pas de l’équité procédurale. En ces matières, le fardeau du demandeur est de démontrer que de ne pas avoir de doute raisonnable est en soi déraisonnable.

[58]           En matière criminelle, par exemple, il arrive très souvent que la preuve que la Couronne aimerait avoir n’est pas disponible. Elle peut quand même faire sa preuve autrement, par exemple, par voie de preuve circonstancielle (R c Monteleone, [1987] 2 RCS 154, à la page 164), dans la mesure où cette preuve établira la culpabilité hors de tout doute raisonnable (R c Charemski, [1998] 1 RCS 679). Ici, il n’a pas été prétendu devant la Cour que l’absence de l’objet soulevait en soi le doute raisonnable quant à la qualité de l’objet dit avoir été en la possession de M. Schmit. J’ajoute que la situation pourrait bien être différente, procédant d’une logique différente et de principes juridiques différents, si la preuve matérielle avait été détruite pour y substituer une preuve inférieure, peut-être inférieure mais plus difficile à contrer parce qu’elle est sur la base d’un témoignage. Telle façon de faire est abusive. Mais ces questions n’ont pas été soulevées.

[59]           Quant aux interventions répétées de l’assesseur alors qu’un témoin présentait son témoignage, je conviens que les procédures disciplinaires en milieu carcéral doivent être capables de souplesse pour disposer des questions en temps utile. Il eut été préférable, à mon avis, de laisser le témoin présenter sa preuve, sans l’intervention d’un assesseur pour ajouter ou corriger le témoignage. Cependant, on n’a pas démontré devant cette Cour que cette façon de faire avait été préjudiciable au demandeur puisque les faits de cette affaire sont très simples. Les interventions de l’assesseur étaient marginales. Elles pourraient être plus significatives dans d’autres contextes. Dans Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, [2009] 1 RCS 339, la Cour suprême reconnaissant que les questions de procédure sont examinées selon la norme de la décision correcte, il n’en demeure pas moins que « la prise de mesures est régie par les principes de common law, qui prévoient notamment l’abstention d’accorder réparation si l’erreur procédurale est un vice de forme et n’entraîne aucun dommage important ni déni de justice » (para 43). Ce serait le cas en l’espèce.

[60]           Il en est de même de l’intervention du Président indépendant pour questionner le demandeur alors même que son avocate avait indiqué qu’il ne voulait pas témoigner. Je rappelle l’article 38 de la Directive du Commissaire numéro 580, « Mesures disciplinaires prévues à l’endroit des détenus » :

38. Un détenu qui dépose un témoignage peut être interrogé par le président.

38. An inmate who gives evidence may be subject to questioning by the Chairperson.

En l’espèce, le demandeur a tout simplement indiqué qu’il n’était pas en possession de l’objet saisi et que s’il l’avait été, il aurait bien pu l’utiliser lors de la bagarre. La question plus fondamentale du droit au silence que pourrait peut-être reconnaître, selon une interprétation, l’article 38 n’a pas été invoquée adéquatement devant le Président indépendant et il serait imprudent de l’examiner sans l’assise factuelle requise et les arguments éclairés des parties. J’ajoute que la Cour d’appel fédérale a semblé reconnaître le droit de questionner celui qui est accusé dans Ayotte c Canada (Procureur général), 2003 CAF 429 :

[10]      La nature inquisitoire du processus disciplinaire en milieu carcéral peut entraîner pour le président du tribunal, qui est obligé de tenir une audition complète et impartiale, l'obligation d'interroger les témoins, incluant le prisonnier à qui l'infraction est reprochée : Re Blanchard and Disciplinary Board of Millhaven Institution and Hardtman, [1983] 1 C.F. 309 (C.F. 1ère inst.).

V.                Conclusion

[61]           La Cour conclut donc que la déclaration de culpabilité rendue contre le demandeur était déraisonnable. Dans Établissement de Mission c Khela, supra, on peut lire au paragraphe 74 :

[74]      À l’heure actuelle, une décision est considérée comme déraisonnable et, partant, illégale, si les droits à la liberté d’un détenu sont sacrifiés en l’absence de toute preuve, sur la foi d’une preuve non fiable, d’une preuve non pertinente ou d’une preuve qui n’étaye pas la conclusion, même si je n’exclus pas la possibilité qu’elle puisse également être déraisonnable pour d’autres motifs. La décision sur la fiabilité de la preuve exige de la déférence à l’égard du décideur, mais les autorités doivent tout de même expliquer en quoi la preuve offerte est digne de foi.

Ici, l’accusation portée ne correspond pas à la preuve qui est offerte. Au mieux le Président indépendant trouve le demandeur coupable parce qu’il a en sa possession un objet qui pourrait être utilisé à des fins dangereuses pour l’institution. Cette infraction ne correspond pas au texte de l’infraction invoquée. La preuve n’étaye pas la conclusion. La décision est donc illégale parce qu’elle est déraisonnable.

[62]           Le demandeur n’a pas demandé ses dépens. Aucun ne sera donc adjugé (Exeter c Canada (Procureur Général), 2013 CAF 134).


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  La décision du Président indépendant rendue le 9 septembre 2015 est annulée; il n’est pas approprié en l’espèce de retourner l’affaire pour une nouvelle détermination puisque c’est l’accusation même qui est déficiente;

2.                  Le dossier du demandeur doit être expurgé de toute référence à cette condamnation;

3.                  Aucun dépens n’est adjugé, le demandeur ayant requis que sa requête soit sans frais.

« Yvan Roy »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1709-15

 

INTITULÉ :

DEVEN SCHMIT c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 octobre 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ROY

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 NOVEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

Me Marie-Claude Lacroix

 

Pour le demandeur

 

Me Véronique Forest

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Marie-Claude Lacroix

Avocate

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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