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Date : 20161230


Dossier : IMM-918-16

Référence : 2016 CF 1418

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Gleeson

ENTRE :

CHIZOBA OZOMBA

DAVID CHIDIOGO OJINKEYA (MINEUR)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Mme Ozomba affirme être citoyenne du Nigéria. Son fils David est né aux États‑Unis et est citoyen de ce pays. Les demandeurs ont demandé l’asile à leur arrivée au Canada. La Section de la protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié [CISR] a rejeté leur demande. La SPR a conclu que Mme Ozomba n’avait pas établi son identité et que David n’avait pas établi qu’il éprouvait une crainte subjective ou objective de persécution.

[2]               Les demandeurs ont porté la décision de la SPR en appel devant la Section d’appel des réfugiés [SAR]. Ce faisant, Mme Ozomba a voulu déposer de nouveaux éléments de preuve concernant son identité devant la SAR. La SAR a refusé de recevoir les nouveaux éléments de preuve au motif qu’ils ne satisfaisaient pas aux exigences énoncées au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. L’appel a été rejeté.

[3]               Les demandeurs souhaitent obtenir l’annulation de la décision de la SAR et demandent à la Cour de reconnaître qu’ils ont la qualité de réfugié au sens de la Convention ou celle de personne à protéger. À titre subsidiaire, les demandeurs demandent que l’affaire soit renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision. Dans leurs observations écrites, les demandeurs soutiennent que la SAR a commis des erreurs : 1) en appliquant la mauvaise norme de contrôle à la décision rendue par la SPR; 2) en refusant d’admettre et d’examiner les nouveaux éléments de preuve; et 3) en ne leur accordant pas d’audience. Les demandeurs soutiennent en outre que la SAR a tiré une conclusion déraisonnable sur la question de l’identité.

[4]               Bien que les demandeurs avancent dans leurs observations écrites que la SAR a appliqué la mauvaise norme de contrôle, ils ne présentent aucun argument à l’appui de leur thèse. Les questions soulevées dans la demande sont les suivantes :

A.                La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve et en rejetant la demande d’audience?

B.                 La décision est‑elle raisonnable?

[5]               Je ne suis pas convaincu que la SAR a commis une erreur en traitant les nouveaux éléments de preuve présentés par les demandeurs ni en rejetant la demande d’audience. Les conclusions tirées par la SAR ne justifient pas l’intervention de la Cour. La demande est rejetée pour les motifs qui suivent.

II.                Norme de contrôle

[6]               La norme de contrôle applicable n’est pas contestée par les parties. Lorsque la Cour procède au contrôle d’une décision rendue par la SAR qui comporte des questions concernant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve aux termes du paragraphe 110(4) de la LIPR, la norme de la décision raisonnable s’applique (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 [Singh CAF], au paragraphe 29, et Ogundipe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 771, au paragraphe 19). Les conclusions tirées par la SAR sur les questions d’identité et de crédibilité sont des questions de fait également susceptibles de révision selon la norme de la décision raisonnable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kabunda, 2015 CF 1213 [Kabunda], au paragraphe 17).

III.             Analyse

A.                La SAR a‑t‑elle commis une erreur en refusant d’admettre les nouveaux éléments de preuve et en rejetant la demande d’audience?

[7]               La SAR a d’abord désigné les nouveaux éléments de preuve proposés, qui comprenaient :

A.                un certificat d’identité du gouvernement de l’État d’Enugu, au Nigéria [document A];

B.                 une lettre d’identification/d’attestation datée du 9 décembre 2015 [document B];

C.                 une lettre d’attestation de naissance de la Commission de la population nationale [document C];

D.                une lettre de l’Association de l’État d’Enugu [document D].

[8]               La SAR a relevé des incohérences dans les documents A et B et déterminé, selon la prépondérance des probabilités, que ces documents n’étaient pas authentiques. La SAR a conclu qu’elle ne leur accorderait que peu de poids, sinon aucun. Elle a également conclu que Mme Ozomba n’avait pas expliqué adéquatement pourquoi ces documents n’étaient pas disponibles avant l’audience de la SPR, au cours de laquelle l’identité de Mme Ozomba était un enjeu.

[9]               La SAR a relevé des fautes d’orthographe dans le document C et constaté aussi que ce document « diffère grandement de l’acte de naissance que [Mme Ozomba] a présenté à l’audience de la SPR ». Plus particulièrement, la SAR a noté que le document C avait été délivré par un autre État, à une autre date. La SAR a également conclu que le document D, une lettre d’une association établie à Toronto attestant que Mme Ozomba était membre de l’association et participait à ses activités de bienfaisance, n’indiquait pas comment l’identité de Mme Ozomba avait été établie. La SAR a fait remarquer que « [r]ien n’indique que la lettre est liée à l’appelante principale en particulier ».

[10]           La SAR a remarqué que chacun des documents présentés à titre de nouveaux éléments de preuve était postérieur à la décision de la SPR. La SAR a pris note de l’explication donnée par Mme Ozomba pour chacun de ces documents, à savoir qu’elle n’avait pas raisonnablement prévu que la SPR remettrait en cause la preuve d’identité qu’elle lui avait présentée et qu’elle avait donc obtenu d’autres documents pour établir son identité devant la SAR. La SAR a toutefois estimé que Mme Ozomba n’avait présenté aucun élément de preuve convaincant pour démontrer que les nouveaux éléments de preuve proposés n’existaient pas au moment où l’audience de la SPR s’était déroulée ou, s’ils existaient, pour expliquer les raisons pour lesquelles Mme Ozomba ne les aurait pas présentés à la SPR. La SAR a conclu que ces documents ne satisfaisaient pas aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR et n’étaient donc pas admissibles.

[11]           Mme Ozomba a présenté un autre élément de preuve à la SAR : un reçu et un itinéraire de Greyhound Canada pour un aller simple de Toronto à Ottawa. Selon Mme Ozomba, ce document montrait la tentative qu’elle avait faite pour obtenir un nouveau passeport à l’ambassade du Nigéria à Ottawa. La SAR n’en a pas tenu compte.

[12]           Ayant jugé que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admissibles, et après avoir passé en revue les paragraphes 110(3), 110(4) et 110(6) de la LIPR, la SAR a conclu qu’elle devait procéder sans tenir d’audience. Elle a donc rejeté la demande d’audience présentée par les demandeurs.

[13]           Les demandeurs soutiennent que tous les nouveaux éléments de preuve proposés auraient dû être admis. Ils affirment que les doutes formulés par la SAR relativement aux documents A et B reposaient sur des suppositions, et que la SAR aurait dû demander à un expert judiciaire d’évaluer l’authenticité des documents compte tenu de ces doutes.

[14]           En ce qui a trait au document C, les demandeurs affirment qu’il était déraisonnable pour la SAR de rejeter ce document au seul motif qu’il contenait une faute d’orthographe et avait été délivré dans un État autre que celui où était née Mme Ozomba. Les demandeurs soutiennent que n’importe quel organisme ou personne morale aurait pu faire des fautes d’orthographe et proposent une explication raisonnable à l’égard des différences constatées entre le document C et la documentation qui avait été présentée à la SPR. Enfin, les demandeurs affirment que l’exclusion de la lettre de l’Association de l’État d’Enugu était déraisonnable, tout comme l’omission de tenir compte de la preuve de transport de Toronto à Ottawa.

[15]           Les demandeurs se fondent sur la décision Abdullahi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1164, [Abdullahi] pour affirmer que le paragraphe 110(4) de la LIPR devrait être interprété comme s’il permettait l’admission de nouveaux éléments de preuve lorsque le demandeur est étonné que la preuve qu’il a présentée à la SPR n’était pas suffisante pour établir son identité. Ils ajoutent que si une audience leur avait été accordée, ils auraient pu répondre aux préoccupations de la SAR. Je ne suis pas d’accord.

[16]           La Cour d’appel fédérale a expliqué que, lorsque la SAR examine une demande d’admission de nouveaux éléments de preuve, « [i]l ne fait aucun doute que les conditions explicites mentionnées au paragraphe 110(4) doivent être respectées » (Singh CAF, au paragraphe 34). Aux termes de ces conditions explicites, une partie ne peut présenter à la SAR que des éléments de preuve 1) survenus depuis le rejet de la demande par la SPR; 2) qui n’étaient pas normalement accessibles; ou 3) qui étaient normalement accessibles, mais que la personne n’aurait normalement pas présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

[17]           Les demandeurs ne contestent pas le fait que les nouveaux éléments de preuve comme tels (par opposition aux documents qui contenaient ces éléments) existaient au moment de l’audience de la SPR. De plus, rien n’indique dans le dossier que les éléments de preuve existants n’étaient pas normalement accessibles aux demandeurs. En se fondant sur la décision Abdullahi, les demandeurs soutiennent plutôt qu’ils n’auraient pas raisonnablement pu prévoir que les éléments de preuve devaient être présentés. Toutefois, la décision Abdullahi porte sur une circonstance factuelle bien particulière, comme l’a récemment soulevé le juge Simon Fothergill dans la décision Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration) c Desalegn, 2016 CF 12, au paragraphe 23 :

[23]      La décision Abdullahi doit être interprétée dans son contexte factuel unique. Dans cette affaire, la SPR a chargé le demandeur de fournir un affidavit ou une lettre de son colocataire pour établir son identité. Le demandeur a remis une lettre. La SPR lui a ensuite reproché de ne pas avoir produit d’affidavit. Le juge Hughes a considéré cette situation comme déraisonnable puisque les deux options lui avaient été présentées. Abdullahi ne peut servir de précédent pour établir qu’un appelant devant la SAR peut présenter de nouveaux éléments de preuve chaque fois qu’il ou elle est surpris par la décision de la SPR [...]

[18]           La décision Abdullahi n’est d’aucun secours pour les demandeurs en l’espèce. La question de l’identité a clairement été soulevée devant la SPR, et il va de soi qu’il incombe au demandeur d’établir son identité. Ce faisant, le demandeur a l’obligation de présenter ses meilleurs arguments pour soutenir sa demande devant la SPR. Il n’est pas loisible au demandeur « [d’]attendre que la SPR ait rendu une décision défavorable pour présenter certains des documents requis et éléments de preuve pertinents » (Cabdi c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 26, au paragraphe 24). C’est exactement ce qui s’est produit ici.

[19]           La SAR n’a pas tenu compte du reçu et de l’itinéraire de Greyhound Canada montrant un aller simple de Toronto à Ottawa. Toutefois, ce document n’a aucune valeur lorsqu’il s’agit d’établir l’identité. Il montre simplement qu’un billet a été acheté en vue d’un déplacement. Il ne montre pas que le déplacement a eu lieu, que le but du voyageur était de se rendre à l’ambassade du Nigéria, ni que la délivrance d’un nouveau passeport a été refusée, comme l’affirme Mme Ozomba. Les demandeurs mentionnent que la SAR a fait abstraction de cet élément de preuve, mais ne soutiennent pas que l’omission en soi rend la décision déraisonnable. À mon avis, ce n’est pas le cas.

[20]           La SAR a examiné les nouveaux éléments de preuve proposés et les a analysés en détail. Ayant raisonnablement conclu que les conditions explicites énoncées au paragraphe 110(4) n’étaient pas respectées, la SAR n’avait pas le pouvoir d’admettre ces éléments de preuve (Singh CAF, aux paragraphes 34 et 35). Bien que la SAR ait également exprimé des réserves à l’égard de la crédibilité et de la fiabilité des documents A, B et C, le non‑respect des conditions explicites énoncées au paragraphe 110(4) de la LIPR permettait à lui seul de trancher la question.

[21]           Ayant déterminé que les nouveaux éléments de preuve n’étaient pas admissibles, la SAR a conclu raisonnablement qu’elle devait procéder sans tenir d’audience (paragraphes 110(3) et (6) de la LIPR et Singh CAF, aux paragraphes 48 et 71). La SAR n’a pas commis d’erreur en refusant d’admettre de nouveaux éléments de preuve et en rejetant la demande d’audience.

B.                 La décision est‑elle raisonnable?

[22]           L’identité d’un demandeur d’asile « est un élément primordial de toute demande d’asile », et la Cour ne devrait intervenir qu’avec prudence à l’égard des décisions rendues sur cette question (Kabunda, au paragraphe 18, citant Barry c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 8, au paragraphe 19, et Toure c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1189 [Toure], au paragraphe 32). Il incombe au demandeur d’établir son identité.

[23]           En l’espèce, la SAR a fait observer que les conclusions sur la crédibilité tirées par la SPR commandaient la déférence. Toutefois, la SAR a également procédé à une évaluation indépendante de la preuve et fourni les motifs de ses conclusions, y compris la conclusion selon laquelle la SPR avait eu raison de ne pas accepter une copie du passeport de qualité médiocre à titre de preuve d’identité compte tenu de l’impossibilité de vérifier son authenticité. La décision satisfait aux critères de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et appartient aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

IV.             Conclusion

[24]           La SAR a raisonnablement conclu que les nouveaux éléments de preuve des demandeurs n’étaient pas admissibles et que la demande d’audience devait être rejetée. La décision comme telle est raisonnable, et la demande est rejetée.

[25]           Les parties n’ont pas proposé de question à certifier, et aucune n’est soulevée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Patrick Gleeson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Johanne Brassard, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-918-16

 

INTITULÉ :

CHIZOBA OZOMBA, DAVID CHIDIOGO OJINKEYA (MINEUR) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 26 SeptembRE 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GLEESON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 30 DÉCEMBRE 2016

 

COMPARUTIONS :

Oluwakemi Oduwole

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Nimanthika Kaneira

 

POUR LE défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johnson Babalola

Topmarke Attorneys

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR Le défendeur

 

 

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