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Date : 20161229


Dossier : IMM-236-15

Référence : 2016 CF 1415

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Brown

ENTRE :

EVGENIY CHECHKALIUK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée par Evgeniy Chechkaliuk (demandeur), en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR), à l’égard de la décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, le 18 novembre 2014, dans laquelle la SPR a conclu que le demandeur n’était pas un réfugié au sens de la Convention, ni une personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR (décision).

[2]               Le demandeur se représente lui-même. Il n’a pas comparu à l’audition de sa demande de contrôle judiciaire, que ce soit en personne ou par l’entremise d’un avocat, bien que les documents lui aient été régulièrement signifiés et que son nom ait été appelé dans la salle d’audience et dans le couloir, avant et après une brève pause qui a été prise pour attendre son arrivée.

[3]               Le demandeur est un demandeur d’asile d’origine ukrainienne âgé de 60 ans. Il a allégué au départ craindre d’être persécuté et de subir un préjudice de la part de membres d’un parti politique rival dirigé par Viktor Yanoukovytch (PPVY) en raison de ses propres activités politiques et du fait qu’il est membre du parti rival Nadony RUH Party (NRP), un groupe pro-occidental. Il soutient également qu’il est une personne à protéger au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[4]               Dans le témoignage qu’il a rendu devant la SPR, le demandeur a toutefois uniquement mentionné la persécution par un groupe de personnes connu sous le nom des sept frères Butsruniuk (les 7BBS), avec qui il avait apparemment un différend à propos d’une somme qu’il leur devait en raison de marchandises que les 7BBS lui auraient fournies. Il n’a pas mentionné les 7BBS dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) et lorsqu’il a été interrogé au sujet de cette omission, il a expliqué qu’il souffrait de violents maux de tête à l’époque, parce qu’il avait été battu, et qu’il avait oublié de mentionner cette information. Il a également déclaré qu’il avait craint de parler à qui que ce soit de ce qui lui était arrivé par peur que cela nuise à sa famille en Ukraine. Le demandeur allègue que les 7BBS ont appelé sa femme et lui ont dit qu’ils savaient où il se trouvait, et que, même si rien n’est arrivé à sa femme ou à ses enfants, quelqu’un avait lancé une pierre sur la voiture de son fils. Il affirme avoir pensé se rendre en Pologne ou en Allemagne, mais que les 7BBS ont des agents en Tchécoslovaquie et qu’ils [traduction] « peuvent vous retrouver n’importe où ». Ce n’est que par la suite que le demandeur a déclaré dans son témoignage que les 7BBS travaillaient pour un parti d’opposition lorsque Yanoukovytch est arrivé au pouvoir.

[5]               Le demandeur s’est rendu en Turquie par autobus en mai 2012 en passant par la Bulgarie et la Roumanie. Pendant qu’il s’y trouvait, il a acheté un faux passeport turc. Il s’est rendu au Canada avec ce passeport en juin 2012 et a demandé l’asile en août 2012.

[6]               D’après l’avocat qui représentait le demandeur à l’audience de la SPR, l’exposé circonstancié du demandeur a changé en raison de l’évolution continuelle de la situation politique en Ukraine; essentiellement, la situation politique sur laquelle repose la demande d’asile du demandeur, dans son FRP, avait perdu toute pertinence au moment de l’audience devant la SPR. C’est pourquoi, au moment de cette audience, sa crainte d’être persécuté concernait uniquement certains « éléments criminels » – à savoir les 7BBS.

[7]               Le 18 novembre 2014, la SPR a entendu la demande d’asile du demandeur et l’a rejetée. La crédibilité a été la question déterminante. La SPR a estimé que le demandeur n’était pas un témoin crédible et a rejeté sa demande d’asile pour ce motif.

[8]               La SPR a étayé ses conclusions en matière de crédibilité sur plusieurs éléments. Premièrement, le récit du demandeur a évolué, passant d’un risque de persécution politique à un différend commercial avec les 7BBS au sujet d’argent qu’il aurait dû verser pour des marchandises fournies. Deuxièmement, la SPR a noté qu’il avait attendu trois ans avant de quitter l’Ukraine, élément qui concerne manifestement un risque subjectif de persécution; elle a conclu que ses allégations ne concordaient pas avec les documents relatifs à la situation dans le pays et a tiré une conclusion générale défavorable en matière de crédibilité, en se basant notamment sur le comportement du demandeur et sur la façon dont il avait répondu aux questions. Enfin, la SPR a noté que le demandeur n’avait pas demandé l’asile en Bulgarie, en Roumanie ou en Turquie, comme il aurait pu le faire.

[9]               En conclusion, la SPR a déclaré ce qui suit :

[14] Au moment de trancher l’issue de la présente demande d’asile, j’ai constaté que le demandeur d’asile n’avait pas d’emblée identifié les 7BBS comme ses agents de persécution. Je considère donc comme non valide sa prétendue crainte bien fondée de persécution basée sur des motifs politiques. Il soutient craindre avec raison d’être persécuté, mais son comportement et ses agissements contredisent ses prétentions. Je constate que, dans ses efforts pour échapper aux actes de persécution et préjudices de ses agresseurs, quels qu’ils soient, le demandeur d’asile s’est rendu en Turquie en passant par la Bulgarie et la Roumanie, mais n’y a pas demandé l’asile. J’attire l’attention sur le fait que si le demandeur d’asile avait vraiment craint d’être persécuté et de subir des préjudices comme il le soutenait, il aurait pu s’enfuir plus tôt de l’Ukraine. Or, il a plutôt choisi de faire une présentation erronée en achetant un passeport frauduleux en Turquie afin de pouvoir se rendre au Canada et y faire une demande d’asile. Selon la décision Maldonado de la Cour fédérale, « [q]uand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter ».

[15] En me fondant sur les éléments de preuve et le témoignage produits dans le cadre de la demande d’asile, je tire une inférence défavorable quant à la crédibilité du demandeur d’asile à titre de témoin, et celle de son récit. Je n’ai pu prêter foi à ce récit faute d’explication logique de sa part pouvant justifier les omissions, contradictions, incohérences et divergences constatées entre sa déposition écrite et son témoignage de vive voix. J’estime que, selon la prépondérance des probabilités, il n’a pas fait l’objet de persécution ou de préjudices par suite de ses activités politiques ainsi qu’il l’a soutenu dans sa déposition écrite. Je juge également insuffisants les éléments de preuve produits selon lesquels il aurait été persécuté ou aurait subi des préjudices aux mains des 7BBS. Par conséquent, j’estime qu’il n’y a pas de possibilité sérieuse que le demandeur d’asile soit persécuté ou subisse des préjudices aux mains de membres du PPVY ou des 7BBS dans l’éventualité de son retour en Ukraine.

[Notes de bas de page omises.]

[10]           Quant à la norme de contrôle, la Cour suprême du Canada a déclaré, dans Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux paragraphes 57 et 62 (Dunsmuir), qu’il n’est pas nécessaire d’effectuer une analyse de la norme de contrôle lorsque « la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier ». La question de la crédibilité appelle un examen selon la norme de la raisonnabilité : Rahal c. Canada (MCI), 2012 CF 319 au paragraphe 22 (Rahal). Le défendeur soutient que les conclusions de la SPR en matière de crédibilité appellent la plus grande retenue : Rahal aux paragraphes 22, 42; Zaree c. Canada (MCI), 2011 CF 889 au paragraphe 6.

[11]           Dans l’arrêt Dunsmuir, au paragraphe 47, la Cour suprême du Canada a expliqué ce qui était attendu d’une cour de révision qui applique la norme de contrôle de la décision raisonnable :

La cour de révision se demande dès lors si la décision et sa justification possèdent les attributs de la raisonnabilité. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[12]           À mon avis, la présente demande de contrôle judiciaire est mal fondée. La demande du demandeur a été rejetée en raison de conclusions en matière de crédibilité et des preuves relatives aux conditions dans le pays. Les conclusions en matière de crédibilité sont au cœur de la compétence de la SPR en matière d’établissement des faits et d’appréciation de la preuve. Il est significatif que le demandeur ne conteste aucune des conclusions en matière de crédibilité dans les actes de procédure déposés devant la Cour.

[13]           Le demandeur a soutenu qu’un témoignage rendu sous serment est présumé vrai, mais il est possible de réfuter cette présomption, comme cela a été le cas ici, lorsqu’il existe des motifs de mettre sa véracité en doute : Maldonado c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1979), [1980] 2 CF 302, 31 NR 34 (C.A.F.). J’estime qu’il n’y a pas d’erreur susceptible de révision dans les déductions tirées par la SPR parce qu’elles étaient fondées sur la preuve. En outre, le temps écoulé avant de demander l’asile est un motif qui permet de mettre en doute l’existence d’une crainte subjective (élément qu’il incombait au demandeur d’établir) : Antrobus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 3 au paragraphe 10; Goltsberg c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 886 au paragraphe 28 (« Une conclusion défavorable sur la crédibilité peut se fonder sur tout aspect du témoignage du demandeur, ainsi que sur les actions de celui-ci, comme la présentation tardive de sa demande d’asile au Canada […]. La présentation tardive de la demande d’asile ou le défaut de présenter une telle demande constitue un facteur important pour l’évaluation du bien-fondé de la demande »); Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1070 au paragraphe 21 (« Quant au délai à revendiquer, il s’agissait certainement d’un élément que le tribunal pouvait considérer pour apprécier la crédibilité du demandeur, même s’il ne pouvait s’agir d’un facteur déterminant en soi […] Il est vrai que la crainte subjective du demandeur, dont il sera parfois permis de douter compte tenu du délai à revendiquer, n’entre pas en considération dans le cadre de l’article 97 de la Loi. Il n’en demeure pas moins que le risque objectif auquel se dit confronté le demandeur doit s’appuyer sur une histoire crédible. »); Ngwenya c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 156 au paragraphe 19 (« Les réfugiés ne sont pas obligés de demander l’asile dans le premier pays où ils arrivent; toutefois, le fait de ne présenter aucune demande à la première occasion qui s’avère sécuritaire peut entacher leur crédibilité »); Gamassi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 194 FTR 178 au paragraphe 6, 103 ACWS (3d) 815 (CFPI) (« Le retard à revendiquer le statut de réfugié qui n’est pas expliqué, comme dans le présent cas, constitue un facteur important dans la détermination de l’absence de crainte subjective de persécution »); Huerta c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1993), 157 N.R. 225, 40 A.C.W.S. (3d) 487 (C.A.F.).

[14]           Pris dans leur ensemble, les motifs de la SPR sont justifiés, transparents et intelligibles. Ils font partie des issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[15]           Le défendeur, qui a présenté à la Cour des arguments concernant le bien-fondé de la présente demande, n’a pas proposé de question à certifier et j’estime qu’il n’y en a pas.

[16]           Il y a donc lieu de rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Il n’y a pas de question à certifier.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.         Aucune question n’est certifiée.

3.         Aucuns dépens ne sont accordés.

« Henry S. Brown »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-236-15

 

INTITULÉ :

EVGENIY CHECHKALIUK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 NOVEMBRE 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 29 DÉCEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Evgenity Chechkaliuk

(représenté par lui-même)

POUR Le demandeur

Lucan Gregory

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Représenté par lui-même

POUR Le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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