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Date : 20170104


Dossiers : T-1927-15

T-1928-15

Référence : 2016 CF 1403

Ottawa (Ontario), le 4 janvier 2017

En présence de madame la juge Gagné

Dossier : T-1927-15

ENTRE :

BENOÎT RAYMOND, EN SA QUALITÉ D'ADMINISTRATEUR DE TRUE NORTH AVIATION INC.

demandeur

et

YVES BERNIER ET ALS (TOTAL DE 9 EX-EMPLOYÉS)

défendeurs

et

AÉRO-PHOTO (1961) INC., AU SOIN DE RAYMOND CHABOT INC., SYNDIC À L'ACTIF DE AÉRO-PHOTO (1961) INC.

 

défenderesse

Dossier : T-1928-15

ENTRE :

BENOÎT RAYMOND, EN SA QUALITÉ D'ADMINISTRATEUR DE HAUTS-MONTS INC.

demandeur

et

METE BALAM ET ALS (TOTAL DE 27 EX-EMPLOYÉS)

défendeurs

et

AÉRO-PHOTO (1961) INC., AU SOIN DE RAYMOND CHABOT INC., SYNDIC À L'ACTIF DE AÉRO-PHOTO (1961) INC.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS MODIFIÉS

I.  Survol

[1]  Je suis saisie d’une demande de contrôle judiciaire de deux décisions rendues par un arbitre nommé en vertu de l’article 251.12 du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2 [Cct]. L’arbitre a rejeté les appels de monsieur Benoît Raymond, en sa qualité d’administrateur de True North Aviation inc. et de Hauts-Monts inc., concernant les ordres de paiement émis contre lui par une inspectrice du Programme du travail de Ressources humaines et Développement des compétences Canada (maintenant Emploi et Développement social Canada). Ces ordres de paiement, en faveur des ex-employés de True North Aviation et de Hauts-Monts, sont aux montants respectifs de 61 825,20 $ et de 179 633,13 $.

II.  Faits

[2]  Le demandeur est l’ancien président-directeur général de Groupe Alta inc. Les défendeurs sont tous d’anciens employés de True North Aviation ou de Hauts-Monts, filiales de Groupe Alta. Groupe Alta et ses filiales exploitaient une entreprise dans les domaines de la foresterie, des télécommunications, et de l’industrie géospatiale.

[3]  Par jugement de la Cour supérieure du Québec rendu en date du 18 décembre 2009, PricewaterhouseCoopers inc. a été nommée séquestre aux biens de Groupe Alta et de ses filiales.

[4]  Le 25 février 2010, Groupe Alta et ses filiales ont fait faillite. En sa qualité de syndic à la faillite de Groupe Alta et de ses filiales, PWC a demandé à la Cour supérieure d’approuver la vente de la quasi-totalité des actifs des trois sociétés en faveur d’Aéro-Photo (1961) inc.

[5]  Le 11 mars 2010, la Cour supérieure a accueilli la requête du syndic et a autorisé ce dernier à accepter l’offre présentée par Aéro-Photo.

[6]  Dix-huit jours se sont écoulés entre la fin des opérations de Groupe Alta et de ses filiales et la reprise de celles-ci par Aéro-Photo.

[7]  Bon nombre des anciens employés de True North Aviation et Hauts-Monts ont été rappelés au travail par Aéro-Photo après la courte période d’inactivité, à l’exclusion du demandeur et des défendeurs.

[8]  En avril 2010, le demandeur a intenté contre Aéro-Photo, devant la Cour supérieure du Québec, une action en réclamation de l’indemnité de fin d’emploi prévue au contrat de travail l’unissant à Groupe Alta. Il invoquait le fait qu’en poursuivant les activités de Groupe Alta et de ses filiales, il y avait continuation du lien d’emploi et Aéro-Photo devait assumer toutes leurs obligations face aux employés.

[9]  Le 19 janvier 2011, l’inspectrice désignée par le ministère du Travail a délivré contre le demandeur, en sa qualité d’ancien administrateur des filiales de Groupe Alta, deux ordres de paiement des indemnités de fin d’emploi, indemnités de vacances, etc., dues aux défendeurs en leur qualité d’ex-employés de ces sociétés.

[10]  Le demandeur en a appelé de ces ordres de paiement et il a déposé, devant l’arbitre, une requête pour mise en cause forcée d’Aéro-Photo, laquelle a été accueillie. Du consentement des parties, l’appel a été suspendu jusqu’à ce qu’un jugement final soit rendu dans le dossier devant la Cour supérieure.

[11]  Le 12 avril 2012, la Cour supérieure a rendu son jugement rapporté à Raymond c Aéro-Photo (1961) inc, 2012 QCCS 1535, par lequel elle condamne Aéro-Photo à payer au demandeur l’indemnité de fin d’emploi prévue à son contrat de travail. Elle conclut qu’en application de l’article 2097 du Code civil du Québec, RLRQ c CCQ-1991 [CcQ], Aéro-Photo a continué l’entreprise exploitée par Groupe Alta et qu’en sa qualité d’ayant cause de l’employeur, elle est liée par le contrat d’emploi du demandeur. Cet article prévoit que :

2097. L’aliénation de l’entreprise ou la modification de sa structure juridique par fusion ou autrement, ne met pas fin au contrat de travail.

Ce contrat lie l’ayant cause de l’employeur.

[12]  La Cour supérieure a conclu qu’en dépit de la faillite de Groupe Alta et de ses filiales, les deux conditions énoncées par la Cour suprême dans l’arrêt Union des employés de service, local 298 c Bibeault, [1988] 2 RCS 1048, pour que cette disposition s’applique, étaient satisfaites : (i) il y a eu continuation de l’entreprise; et (ii) il existe un lien de droit entre les employeurs successifs.

[13]  Le premier critère est satisfait eu égard au fait qu’il existait chez Aéro-Photo un ensemble organisé de l’entreprise qui est substantiellement le même que celui de Groupe Alta et qu’elle a agi afin d’assurer sa continuité. Quant au lien de droit, la Cour supérieure a conclu qu’il existe même si la vente de l’entreprise s’est faite sous l’autorité d’un syndic de faillite. Les deux conditions de l’article 2097 du CcQ étant satisfaites, Aéro-Photo était liée par la convention d’emploi. Elle a été condamnée à payer au demandeur une indemnité de fin d’emploi de 659 322,49 $ et elle a porté ce jugement en appel.

[14]  Dans Aéro-Photo (1961) inc c Raymond, 2014 QCCA 1734 [Raymond CA], la Cour d’appel du Québec a confirmé le premier jugement et maintenu la condamnation en faveur du demandeur. Ce faisant, elle a confirmé que l’intervention d’un syndic de faillite ne brise pas le lien de droit existant entre les employeurs successifs, pour les fins de l’application de l’article 2097 du CcQ.

[15]  Aéro-Photo a fait session de ses biens en mars 2015, entre les mains du syndic Raymond Chabot.

III.  Décision contestée

[16]  Un peu plus d’un an après la décision de la Cour d’appel, l’arbitre a rendu ses décisions quant à la responsabilité du demandeur, en sa qualité d’administrateur des filiales de Groupe Alta, à l’égard des réclamations des défendeurs. Les deux décisions sont identiques sauf en ce qui a trait aux montants dus.

[17]  L’arbitre conclut que les ordres de paiement étaient tout à fait appropriés et justifiés et que l’article 2097 du CcQ ne pouvait être utilisé pour contrecarrer la responsabilité des administrateurs à l’égard des indemnités de fin d’emploi des ex-employés de True North Aviation et Hauts-Monts.

[18]  Selon lui, l’article 2097 du CcQ doit être interprété de façon à conférer aux salariés un recours additionnel pour le paiement des indemnités de fin d’emploi qui leur sont dues. Si l’on retenait la position du demandeur, soumet l’arbitre, les défendeurs n’auraient aujourd’hui aucun recours, compte tenu de la faillite d’Aéro-Photo et Azimuth.

[19]  Il s’appuie sur l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27, dans lequel le juge Iacobucci conclut qu’une interprétation équitable de la Loi sur les normes d’emploi de l’Ontario, LRO 1980, ch 137réside dans le fait que la faillite de l’employeur met fin au lien d’emploi et que les indemnités de licenciement et de fin d’emploi sont alors dues aux employés. N’eût été de la faillite d’Aéro-Photo, ajoute l’arbitre, le demandeur aurait pu faire valoir contre elle son recours récursoire (voir Bélanger c Moulin à papier de Portneuf inc, 2009 QCCA 98 où la Cour a conclu que l’article 45 du Code du travail du Québec, RLRQ c C-27 permet aux administrateurs d’une société en faillite d’exercer un recours subrogatoire contre l’acquéreur des actifs de la faillie, afin de recouvrer les indemnités payées aux employés en application de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC 1985, c C-44).

[20]  L’arbitre a donc rejeté les appels du demandeur et maintenu les ordres de paiement émis contre lui.

IV.  Questions en litige

[21]  Cette demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision d’un arbitre nommé en vertu de l’article 251.12 du Cct?

  2. L’arbitre a-t-il erré en concluant que le demandeur était responsable des indemnités de fin d’emploi des défendeurs, en application de l’article 251.18 du Cct?

V.  Analyse

[22]  Avant d’aborder l’analyse des questions en litige, je dois mentionner qu’aucun des défendeurs n’a produit, avant l’audition de la cause, son dossier du défendeur conformément à la règle 310 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106. Seule madame Michèle Dutil, défenderesse dans le dossier T-1928-15, était présente à l’audition. Je lui ai permis de faire des représentations et de déposer son dossier du défendeur et les pièces jointes. Outre la sentence arbitrale qui la concerne, elle a déposé la déclaration amendée du demandeur dans le dossier de la Cour supérieure.

A.  Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision d’un arbitre nommé en vertu de l’article 251.12 du Cct?

[23]  Le demandeur soutient que puisque le litige porte sur une question de droit échappant au domaine d’expertise de l’arbitre et qui revêt une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, la norme de contrôle applicable à la décision d’un arbitre nommé en vertu du Cct est celle de la décision correcte. Le demandeur s’appuie sur les décisions de cette Cour dans les affaires Abel c Asselin, 2014 CF 66 et Duverger c 2553-4330 Québec inc (Aéropro), 2015 CF 1131, dans lesquels on a jugé que la norme de la décision correcte s’appliquait à la décision d’un arbitre nommé en vertu du Cct, lorsqu’il est appelé à interpréter les termes d’un article du CcQ.

[24]  Avec respect, je ne partage pas l’avis du demandeur.

[25]  D’abord, dans Abel et Duverger, l’arbitre devait appliquer les dispositions du CcQ en matière de prescription. Sans convenir que la question de la prescription du recours de l’inspectrice ou de l’administrateur soit d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, je peux toutefois convenir qu’elle soit à l’extérieur du domaine d’expertise de l’arbitre.

[26]  Dans le cas qui nous occupe, l’arbitre devait, dans un premier temps, interpréter l’article 2097 du CcQ, que l’on retrouve au Chapitre Septième – Du Contrat de Travail. La Cour d’appel du Québec l’a fait pour lui, exactement dans le contexte qui se présentait à lui. Mais il devait également déterminer l’impact de cette interprétation sur les dispositions du Cct relatives à la responsabilité des administrateurs de sociétés pour les salaires et autres indemnités dues aux employés. Je suis d’avis que cette question est au cœur de son expertise et qu’elle n’a aucune importance capitale pour le système juridique dans son ensemble; elle n’a d’importance que dans un contexte spécifique de relations de travail, lorsqu’il y a transmission d’entreprise et non-respect des contrats de travail des employés du vendeur.  

[27]  Par ailleurs, le Cct contient une clause privative que l’on retrouve à ses paragraphes 251.12(6) et (7). Cela est un motif additionnel pour faire preuve de déférence à l’égard des conclusions de l’arbitre lorsqu’il interprète les dispositions du Cct et, de façon supplétive, le droit provincial en matière de relations de travail.

[28]  Donc, la décision d’un arbitre nommé en vertu de l’article 251.12 du Cct doit être examinée selon la norme de la décision raisonnable.

B.  L’arbitre a-t-il erré en concluant que le demandeur était responsable des indemnités de fin d’emploi des défendeurs, en application de l’article 251.18 du Cct?

[29]  Seuls deux ex-employés de Hauts-Mont ont témoigné devant l’arbitre.

[30]  Monsieur Robert Lemelin a expliqué qu’il a reçu de cette dernière un formulaire de cessation d’emploi, mais qu’il a été réengagé par Aéro-Photo quelques semaines plus tard. Ses conditions de travail étaient néanmoins moins avantageuses : son salaire était de 10 000 $ inférieur, il n’avait pas les mêmes avantages sociaux, son RÉER collectif a été fermé et l’assurance collective offerte était différente.

[31]  Madame Michèle Dutil a témoigné qu’elle a également reçu un formulaire de cessation d’emploi avec la mention « retour non prévu ». Contrairement à monsieur Lemelin, elle n’a jamais été rappelée au travail par Aéro-Photo.

[32]  Dans Raymond CA, la Cour d’appel du Québec n’avait à répondre qu’à la première question que l’arbitre était appelé à trancher en l’instance, soit celle d’interpréter l’article 2097 du CcQ dans le contexte où la transmission de l’entreprise se fait par l’intermédiaire d’un syndic de faillite. Elle l’a fait et l’arbitre se dit en accord avec ses conclusions.

[33]  La Cour d’appel n’avait pas à se pencher sur la seconde question à laquelle l’arbitre devait répondre, soit de déterminer l’impact de sa conclusion à l’effet qu’il y a eu continuation d’entreprise, sur les dispositions du Cct relatives à la responsabilité des administrateurs de sociétés pour les salaires et autres indemnités impayés des employés. Cette question ne se posait pas puisque monsieur Raymond est exclu de l’application du Cct par la définition d’employé que l’on retrouve à son paragraphe 3(1). En d’autres termes, la Cour d’appel n’avait pas à s’interroger sur la responsabilité des administrateurs de la faillie à l’égard des ex-employés de True North Aviation et de Hauts-Monts, en application des dispositions du Cct.

[34]  Je considère raisonnable la position prise par l’arbitre à cet égard.

[35]  D’abord, dans 2108805 Ontario inc c Boulad, 2016 QCCA 75, la Cour d’appel du Québec, sous la plume de la juge Bich, suggère que la portée de l’arrêt de la Cour dans Raymond CA pourrait être limitée aux faits singuliers de cette affaire, c’est-à-dire dans le contexte du conflit entre les deux groupes d’actionnaires de Groupe Alta et la façon avec laquelle le groupe auquel appartenait le demandeur a été tassé par le groupe ayant fondé Aéro-Photo. Au paragraphe 34 de ses motifs, la juge Bich énumère une série de questions demeurées sans réponse dans l’affaire Raymond CA – et qu’elle n’a pas non plus eu à répondre dans Boulad, dont celle de la responsabilité du cédant.

[36]  Par ailleurs, bien que dans l’affaire Bélanger, précitée, la Cour d’appel du Québec était saisie d’un appel d’un jugement ayant déclaré irrecevable le recours en garantie des administrateurs d’une société faillie, contre l’acquéreur des actifs de cette dernière, elle a néanmoins jugé qu’un tel recours en garantie existait. S’il existe, c’est que la continuation de l’entreprise en application de l’article 45 du Code du travail du Québec (au même effet que l’article 2097 du CcQ, mais applicable dans un contexte collectif de travail) n’exclue pas la responsabilité des administrateurs en vertu de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (dont les dispositions sont assimilables à celles du Cct).

[37]  L’arbitre avait devant lui la preuve que dans les faits, les contrats de travail des employés de True North Aviation et Hauts-Monts n’ont pas été respectés par Aéro-Photo. PWC - qui avait la saisine des actifs de l’employeur failli - et Aéro-Photo n’avaient d’ailleurs aucune intention de respecter les contrats de travail en vigueur. Voici comment la Cour d’appel dans l’affaire Raymond CA commente une certaine clause du contrat de vente intervenu entre eux :

[56]  Il est vrai que le contrat par lequel Aéro-Photo a acquis de PWC ce que PWC prétendait lui vendre contient une clause qui décrit l’objet de la vente et qui stipule que « [l]’Acheteur ne se porte pas acquéreur des entreprises Débitrices, ni ne poursuit ces entreprises et il n’acquiert aucun autre élément d’actif des Débitrices ». Ce document est revêtu au nom de PWC de la signature de Dominic Picard, dont la perception des choses, telle qu’elle ressort de l’extrait de témoignage cité plus haut au paragraphe [il a admis en contre-interrogatoire qu’afin de maximiser la réalisation, l’entreprise a été vendue as a going concern], ne semble guère compatible avec ce qu’affirme l’extrait du contrat que je viens de reproduire. De toute manière, une telle clause ne pourrait faire échec à l’article 2097 C.c.Q., qui est d’ordre public. Il en va de même de l’une des conclusions déclaratoires du jugement de la Cour supérieure qui, le 11 mars 2010, a approuvé la vente entre PWC et Aéro-Photo [citation omise].

[38]  Bien qu’une telle clause ne puisse faire échec à l’article 2097 du CcQ, elle démontre néanmoins l’intention des parties, laquelle s’est concrétisée dans les faits. Je suis d’avis que dans les circonstances, il était parfaitement raisonnable pour l’arbitre de s’appuyer sur les arrêts Rizzo et Bélanger pour conclure que les conditions de l’article 251.18 du Cct étaient remplies, à savoir :

(1)  L’employé a une créance à faire valoir en raison de salaire ou d’autres indemnités qui lui sont dues conformément à la Partie III du Cct;

(2)  La créance de l’employé a pris naissance au cours du mandat de l’administrateur; et

(3)  Le recouvrement de la créance auprès de la personne morale est impossible ou peu probable.

[39]  Si la faillite a mis un terme aux contrats d’emploi en vigueur, je ne peux retenir l’argument du demandeur à l’effet que la seconde condition de l’article 251.18 du Cct ne serait pas remplie. Cette conclusion est raisonnable même si les mêmes employés avaient eu un recours à faire valoir contre Aéro-Photo pour la forcer à respecter les contrats en vigueur ou à leur verser les indemnités de fin d’emploi et même si, n’eût été de la faillite d’Aéro-Photo, le demandeur aurait pu exercer contre elle un recours en garantie ou un recours récursoire.

[40]  Le demandeur plaide que s’il y a eu continuation d’entreprise et que l’acquéreur assume la responsabilité découlant des contrats d’emploi, sa propre responsabilité ne peut être retenue puisque la solidarité entre débiteurs ne se présume pas (paragraphe 1525(1) du CcQ). Sans avoir à trancher cette question en l’instance, je répondrais qu’au contraire, elle se présume entre les débiteurs d’une obligation contractée pour le service ou l’exploitation d’une entreprise (paragraphe 1525(2) du CcQ).

[41]  Finalement, lors de l’audition de la cause, j’ai demandé au procureur du demandeur s’il ne croyait pas qu’il y avait lieu de faire une distinction entre les ex-employés qui n’ont jamais travaillé pour Aéro-Photo et ceux qui ont travaillé successivement pour True North Aviation ou Hauts-Monts, et pour Aéro-photo, ce à quoi il n’a pas réellement répondu.

[42]  Il est vrai que dans l’arrêt Re Universal Aviation Services Corp and Marx (2012), 4 CCEL (4th) 72 (Can Adjud (CLC Part III)), un arbitre a annulé un ordre de paiement émis à l’encontre du vendeur d’une entreprise, au motif que l’entreprise avait été transférée à un acquéreur et que les employés visés ont travaillé successivement pour le vendeur et l’acquéreur. L’emploi des employés ayant été continué auprès de l’acquéreur, aucune indemnité n’était due par le vendeur.

[43]  Compte tenu de la norme de contrôle applicable aux décisions de l’arbitre, je suis d’avis que même à l’égard des ex-employés qui ont travaillé pour Aéro-Photo, la preuve devant l’arbitre lui permettait de raisonnablement conclure que les contrats de travail n’ont pas été maintenus. Les employés ont été rappelés au travail, certes, mais à des conditions différentes. L’acquéreur n’avait pas l’intention de respecter les contrats de travail en vigueur, mais plutôt de profiter d’une partie de la main-d’œuvre hautement qualifiée, nécessaire à l’exploitation de l’entreprise, à moindre coût.

VI.  Conclusion

[44]  Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire du demandeur sera rejetée. Puisque seule madame Michèle Dutil était présente lors de l’audition et puisque la Cour lui a accordé la permission de faire des représentations en dépit de son défaut de produire son dossier du défendeur dans les délais requis, aucuns dépens ne seront accordés.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont accordés.

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1927-15

INTITULÉ :

BENOÎT RAYMOND, EN SA QUALITÉ D'ADMINISTRATEUR DE TRUE NORTH AVIATION INC. c YVES BERNIER ET ALS (TOTAL DE 9 EX-EMPLOYÉS) ET AÉRO-PHOTO (1961) INC., AU SOIN DE RAYMOND CHABOT INC., SYNDIC À L'ACTIF DE AÉRO-PHOTO (1961) INC.

DOSSIER :

T-1928-15

INTITULÉ :

BENOÎT RAYMOND, EN SA QUALITÉ D'ADMINISTRATEUR DE HAUTS-MONTS INC. c METE BALAM ET ALS (TOTAL DE 27 EX-EMPLOYÉS) ET AÉRO-PHOTO (1961) INC., AU SOIN DE RAYMOND CHABOT INC., SYNDIC À L'ACTIF DE AÉRO-PHOTO (1961) INC.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 octobre 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 21 DÉCEMBRE 2016

DATE DES MOTIFS MODIFIÉS :

le 4 janvier 2017

COMPARUTIONS :

Jean-Sébastien Clourier

Andréanne Giguère

Pour le demandeur

Michèle Dutil

Robert Lemelin

Pour les DÉFENDEURS


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada

S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Québec (Québec)

Pour le demandeur

 

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