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Date : 20161221

Dossier : IMM-2284-16

Référence : 2016 CF 1401

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

SEMRET KASA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi), visant une décision datée du 13 mai 2016 [la décision] de la Section d’appel de l’Immigration [la SAI ou le tribunal] de la Commission et du statut de réfugié rejetant l’appel formé par la demanderesse à l’encontre de la décision d’un agent d’immigration de ne pas délivrer un visa de résident permanent à son mari, M. Woldergabere [l’appelant], parce que leur mariage n’est pas authentique et visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi.

[2]               La demanderesse est née en Érythrée, mais elle est maintenant une citoyenne canadienne. Lorsque la demanderesse est arrivée au Canada, elle a présenté une demande d’asile qui a été rejetée. Elle a plus tard été parrainée par son premier mari. Elle a par la suite marié son second mari le ou vers le mois de décembre 2005 et elle l’a parrainé. Elle a ensuite divorcé d’avec son deuxième mari parce que, dit‑elle, il ne voulait pas avoir d’enfants.

[3]               Le 14 octobre 2011, la demanderesse et l’appelant se sont mariés en Ouganda. L’appelant aussi est né en Érythrée, mais il vit maintenant en Ouganda. Il avait auparavant été marié de 2002 à 2010 et il a deux fils, dont son ex-femme à la garde. En 2012, la demanderesse a présenté une demande en vue de parrainer son époux. La demanderesse a un enfant dont l’appelant serait le père et qui serait né au Canada en mai 2015. La demanderesse dit avoir conçu son enfant pendant le mois d’août 2014 alors qu’elle visitait l’appelant en Ouganda.

[4]               Par lettre datée du 22 avril 2014, l’agent d’immigration a refusé la demande de résidence permanente de l’appelant estimant qu’il ne pouvait, au titre du paragraphe 4(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227, être considéré comme un époux au sens de la Loi. Le 8 mai 2014, la demanderesse a interjeté appel de cette décision devant la SAI.

[5]               Le 13 mai 2016, la SAI a rejeté d’appel et elle a conclu que la demanderesse n’avait pas établi selon la prépondérance des probabilités que le mariage était authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi. La SAI a tiré cette conclusion en raison de la présence de plusieurs incohérences dans le témoignage de la demanderesse, l’une des principales étant que l’appelant n’est pas le père de l’enfant, mais celui de son deuxième mari.

[6]               La demanderesse soulève deux questions. La première concerne des observations visant à contester le caractère raisonnable de l’appréciation de la preuve relative au caractère authentique du mariage par le tribunal. La deuxième concerne l’allégation selon laquelle son conseil aurait fait preuve d’incompétence en omettant d’introduire en preuve l’itinéraire de la demanderesse en vue de démontrer qu’elle était, comme elle le prétendait, en Ouganda avec son mari au mois d’août 2014, le mois auquel il est admis que l’enfant a été conçu. Or, à l’audience, il est devenu manifeste, au vu du passeport de la demanderesse, que le tribunal avait commis une erreur en concluant que la demanderesse n’était pas en Ouganda au mois d’août 2014. La décision doit donc être annulée et une nouvelle audience tenue.

[7]               La demanderesse a d’abord déclaré qu’elle était arrivée en Ouganda au mois de septembre 2014. Lorsque le commissaire lui a fait remarquer que cela signifiait que son enfant n’avait pas été conçu en Ouganda, où l’appelant réside, elle a dit avoir fait erreur et être arrivée en Ouganda le 11 juin 2014 et être retournée au Canada au mois d’octobre 2014. La date de son retour n’est pas contestée. À l’audience, elle a aussi précisé qu’elle était en mesure de produire en preuve un itinéraire confirmant que la demanderesse était arrivée en Ouganda le 11 juin 2014 ou d’obtenir une copie du billet d’avion indiquant cette même date. Le tribunal a ignoré la demande de présenter des éléments de preuve supplémentaires. Il a plutôt conclu que le conseil n’avait pas été en mesure de porter à son attention des endroits dans les documents confirmant un itinéraire et montrant que la demanderesse était en Ouganda au mois d’août 2014.

[8]               Le tribunal a par la suite examiné le passeport canadien de la demanderesse qui avait été produit en preuve. Il contenait un timbre d’entrée ougandaise imprécis, qui se trouvait, entouré de quatre autres timbres, au milieu de la page sept, avec des notes manuscrites concernant une prorogation de deux mois. Comme il est indiqué ci‑après, le timbre d’entrée était imprécis parce que le dernier chiffre de l’année n’y figurait pas : [traduction] « 11 juin 201[chiffre omis ou imprécis] ». Au lieu du chiffre manquant qui aurait permis de connaître l’année exacte de l’entrée figurait une inscription manuscrite tout aussi illisible en forme de « L » qui, si elle était censée représentée le chiffre « 4 », ne comportait pas de tiret descendant (ou il était couvert par une autre inscription – seules des photocopies du passeport ont été mises à la disposition de la Cour).

[9]               Le tribunal a rejeté les éléments de preuve de la demanderesse visant à établir sa présence en Ouganda et il a conclu qu’il était « impossible […] de savoir exactement à quel moment [la demanderesse] est arrivée en Ouganda en 2014 ou si elle s’y trouvait à la date présumée de la conception ». Le tribunal a conclu que faute de renseignements sur le père dans la déclaration de naissance vivante il était « plus probable que le contraire que le père du bébé est l’ex‑époux de [la demanderesse] et non [l’appelant] ».

[10]           À l’audience, l’avocat du défendeur a porté à l’attention de la Cour une version différente de la page sept du passeport de la demanderesse sur laquelle l’entrée imprécise du « 11 juin 201[? ] » ne figurait aucunement tout comme les notes manuscrites prorogeant le visa. C’est à ce moment que la Cour a compris qu’il existait deux photocopies du passeport de la demanderesse effectuées à différentes dates, un point dont il semble que le tribunal n’était pas au courant lorsqu’il a rendu sa décision.

[11]           La version ne comportant pas le timbre d’entrée imprécis a été produite par le ministre le 8 mai 2014 c’est-à-dire avant le 11 juin 2014 dans le dossier d’appel alors que la deuxième version a été produite le 28 avril 2016, lorsque la demanderesse a communiqué ses éléments de preuve. Comme cela est confirmé par le témoignage de la demanderesse et par la présence des autres timbres d’entrée et de sortie se trouvant dans le passeport, ainsi que la prorogation de deux mois écrite à la main, je conclus qu’il ne fait pas de doute que le timbre imprécis a été apposé le 11 juin 2014, ce qui suppose que la demanderesse était en Ouganda au moment de la conception de l’enfant.

[12]           Cette conclusion contredit la principale conclusion de la SAI que selon toute vraisemblance son deuxième mari est fort probablement le père de son enfant. Il semblerait plutôt que l’appelant est fort probablement le père de l’enfant conçu en Ouganda lorsque la demanderesse s’y trouvait. Non seulement cette conclusion mine la conclusion négative en matière de crédibilité, mais elle corrobore la thèse de la demanderesse selon laquelle elle s’est divorcée d’avec son second mari parce qu’il ne voulait pas avoir d’enfants. Cela rend le témoignage selon lequel l’appelant était prêt à fonder une famille avec elle plus plausible. De plus, le fait que l’enfant semble vraisemblablement être celui de l’appelant étaye la thèse de l’authenticité du mariage.

[13]           La Cour souhaite ajouter que le fait que le tribunal ait refusé d’accepter la demande de la demanderesse de produire des éléments de preuve documentaire additionnels – son itinéraire ou une copie de son billet d’avion en vue d’établir sa présence en Ouganda – suscite des préoccupations. La demanderesse a immédiatement reconnu son erreur et offert de fournir des éléments de preuve à l’appui de son témoignage selon lequel elle était en Ouganda en août 2014. Je note que le tribunal a mentionné dans sa décision qu’aucun itinéraire n’a été fourni pour étayer le témoignage de la demanderesse, ce qui amène la Cour à présumer que l’offre de la demanderesse à cet égard n’a pas été relevée par le commissaire. La confirmation par la compagnie aérienne de son voyage en Ouganda constituerait la meilleure preuve objective, mais cela mis à part, lorsqu’un fait, comme la présence de la demanderesse dans un autre pays, peut facilement être corroboré dans un court laps de temps, il incombe sans doute au tribunal de permettre que cela soit fait, à moins qu’il n’y ait de bonnes raisons de ne pas le faire, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[14]           La Cour reconnaît que le tribunal s’est appuyé sur d’autres éléments de preuve pour tirer sa conclusion, mais il n’en demeure pas moins qu’il a accordé beaucoup de poids à la filiation de l’enfant pour rendre sa décision et notamment pour tirer ses conclusions factuelles ainsi que ses conclusions en matière de crédibilité. La décision doit donc être annulée et l'affaire entendue par un autre tribunal.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE CE QUI SUIT : la demande est accueillie; la décision est annulée et l'affaire renvoyée à un tribunal différemment constitué. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2284-16

 

INTITULÉ :

SEMRET KASA c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 DÉCEMBRE 2016

 

JUGeMENT ET MOTIFS :

LE jUGE ANNIS

 

DATE :

LE 21 DÉCembrE 2016

 

COMPARUTIONS :

Belinda Bozinovski

POUR LA DEMANDERESSE

 

Stephen Jarvis

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Belinda Bozinovski

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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