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Date : 20161209


Dossier : T-200-15

Référence : 2016 CF 1362

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 9 décembre 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

MEDA AB, MEDA PHARMACEUTICALS LTD. ET VALEANT CANADA LP/VALEANT CANADA S.E.C.

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET PHARMASCIENCE INC.

défendeurs

et

OREXO AB

défenderesse/titulaire du brevet

VERSION PUBLIQUE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS

Table des matières

I.       Contexte. 3

A.         La demande sous-jacente. 3

B.         L’avis d’allégation (AA) 4

II.     Questions à trancher 6

A.         Résumé de la décision. 7

B.         Questions préliminaires. 7

1)         Les affidavits de MM. Fassihi et Davé. 7

2)         Allégation de « preuve guet-apens » de Pharmascience. 9

3)         Conclusion relative aux questions préliminaires. 17

III.       Fardeau de preuve. 18

IV.       Témoins experts des demanderesses. 19

A.         M. Loyd Allen, fils. 19

B.         M. Patrick J. Sinko. 20

V.     Témoins experts de Pharmascience. 21

A.         M. Yuriy Ososkov. 21

B.         M. Reza Fassihi 22

C.         M. John D. Smart 22

D.         M. Rajesh Davé. 23

VI.       Le brevet 988. 24

A.         La personne versée dans l’art 26

B.         Connaissances générales courantes. 26

1)         Troubles aigus et insomnie. 29

2)         Élaboration des formes pharmaceutiques. 29

3)         Comprimés à désintégration ou à dissolution rapide. 30

4)         Comprimés sublinguaux. 30

5)         Mélanges ordonnés. 31

6)         [Caviardé] 32

C.         Interprétation des revendications. 32

1)         Date pertinente. 32

2)         Termes des revendications devant être interprétés. 34

VII.     Antériorité. 39

VIII.   Le brevet 988 se heurte à une antériorité : le brevet 725. 40

IX.       Évidence. 45

X.         Portée excessive des revendications. 50

XI.       Utilité. 54

XII.     Contrefaçon. 58

XIII.   Le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette. 61

XIV.   Conclusion. 61

XV.     Dépens. 62

I.                   Contexte

A.                 La demande sous-jacente

[1]               Meda AB, Meda Pharmaceuticals et Valeant Canada LP (Valeant) (conjointement désignées comme les demanderesses) sont des « premières personnes » au sens des paragraphes 2(1) et 4(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (le Règlement MB(AC)).

[2]               Les demanderesses ont déposé des présentations de drogue nouvelle auprès du ministre de la Santé (le ministre) relativement à des comprimés sublinguaux à dissolution orale de tartrate de zolpidem à 10 et 5 mg (les comprimés SUBLINOX®); des avis de conformité (AC) relatifs aux présentations 140675 et 153453 (les présentations) ont été délivrés le 19 juillet 2011 et le 15 février 2012, respectivement.

[3]               Le 16 janvier 2014, les demanderesses Meda AB et Meda Pharmaceuticals, titulaires d’une licence à l’égard du brevet canadien no 2 629 988 (le brevet 988), ont demandé que celui-ci soit inscrit au registre des brevets relativement aux présentations précitées et aux comprimés SUBLINOX®. Le ministre a estimé que le brevet 988 était admissible à l’inscription relativement à ces présentations, et l’a inscrit le 28 janvier 2014. Le 8 janvier 2015, le registre des brevets a été mis à jour afin d’indiquer que Valeant, titulaire d’une sous-licence à l’égard du brevet 988, était la détentrice actuelle des AC et des numéros d’identification du médicament pour les comprimés SUBLINOX®.

[4]               Orexo AB est titulaire du brevet 988 (délivré au Canada le 7 janvier 2014 en vertu d’une demande fondée sur le Traité de coopération en matière de brevets (PCT), datée du 24 septembre 1999), et elle est partie à la demande d’interdiction présentée en vertu du paragraphe 6(4) du Règlement MB(AC).

[5]               Le 30 mai 2014, Pharmascience Inc. (Pharmascience), la défenderesse, a déposé une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN), demandé un AC à l’égard de ses comprimés sublinguaux à dissolution orale de tartrate de zolpidem à 5 et 10 mg (PMS-Zolpidem), et comparé les comprimés qu’elle présente aux comprimés SUBLINOX.

B.                 L’avis d’allégation (AA)

[6]               Le 23 décembre 2014, Pharmascience a signifié aux demanderesses une lettre qui se voulait un AA au titre des sous-alinéas 5(1)b)(iii) et 5(1)b)(iv) du Règlement MB(AC) concernant le brevet 988 et le zolpidem, l’ingrédient médicamenteux contenu dans ses comprimés PMS‑Zolpidem qui étaient comparés avec les comprimés SUBLINOX® des demanderesses.

[7]               L’AA comporte 87 pages et énumère plus de 200 documents dans l’annexe B qui lui est jointe. Ce document soulève de nombreux arguments concernant l’interprétation des revendications et des brevets, la non-contrefaçon et la validité du brevet 988 (sont notamment invoquées une « défense Gillette », l’antériorité, l’évidence, l’insuffisance, l’inutilité, la portée excessive, l’ambiguïté et l’inscription irrégulière du brevet).

[8]               À l’audience, Pharmascience a renoncé à ses allégations d’invalidité fondées sur l’insuffisance, l’ambiguïté et l’inscription irrégulière du brevet.

[9]               Les demanderesses ont introduit la demande d’interdiction le 12 février 2015, et cherchent à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de délivrer à Pharmascience un AC à l’égard de ses comprimés PMS-Zolpidem jusqu’à l’expiration du brevet 988 le 24 septembre 2019.

[10]           Le 11 septembre 2015, les demanderesses ont signifié à Pharmascience leur preuve composée des affidavits des trois personnes suivantes :

a)      M. Patrick J. Sinko;

b)      M. Loyd V. Allen, fils;

c)      Mme Sonica Soares (parajuriste chez Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP).

[11]           Le 11 décembre 2015, Pharmascience a signifié en réponse les affidavits des personnes suivantes :

a)      M. Reza Fassihi;

b)      M. John David Smart (signifié le 14 décembre 2015);

c)      M. Rajesh N. Davé;

d)     M. Yuriy Ososkov.

[12]           En mars 2016, les demanderesses ont signifié les affidavits suivants en réponse :

a)      affidavit de réponse de M. Allen;

b)      affidavit de réponse de M. Sinko.

[13]           En mars 2016, Pharmascience a signifié les affidavits suivants en réplique :

a)      affidavit de réplique de M. Fassihi;

b)      affidavit de réplique de M. Smart.

[14]           MM. Allen, Sinko, Fassihi, Smart et Davé ont été contre-interrogés au sujet de leurs affidavits en mars et avril 2016.

[15]           Les demanderesses sollicitent non seulement l’ordonnance interdisant au ministre de délivrer l’AC concernant les comprimés PMS-Zolpidem présentés par Pharmascience jusqu’à l’expiration du brevet 988, mais aussi une autre ordonnance radiant les affidavits de MM. Fassihi et Davé, au motif que l’avocate de Pharmascience a entravé, par sa conduite abusive, leur contre‑interrogatoire et le processus à un point tel que leur déposition devrait être rejetée.

[16]           En outre, les demanderesses soutiennent que, sur plus de 200 documents énumérés à l’annexe B, environ la moitié seulement sont examinés dans l’AA, et souvent sans grande précision, tandis que l’autre moitié ne sont cités au regard d’aucune des propositions avancées dans cet avis.

[17]           Par conséquent, les demanderesses contestent la preuve soumise par Pharmascience, telle qu’elle est présentée à l’annexe A de la présente décision, au motif qu’elle excède la portée de l’AA.

II.                Questions à trancher

[18]           Les questions à trancher en l’espèce sont les suivantes :

  1. Questions préliminaires
    1. Les affidavits de MM. Fassihi et Davé devraient-ils être radiés?
    2. La preuve de Pharmascience reproduite à l’annexe A outrepasse-t-elle les faits allégués dans l’AA et, par conséquent, est-elle entachée d’irrégularité?
  2. Validité

                                i.            L’allégation de Pharmascience concernant l’antériorité est-elle justifiée?

                              ii.            L’allégation de Pharmascience concernant l’évidence est-elle justifiée?

                            iii.            L’allégation de Pharmascience concernant l’inutilité est-elle justifiée?

                            iv.            L’allégation de Pharmascience concernant la portée excessive est-elle justifiée?

  1. Contrefaçon
    1. L’allégation de Pharmascience concernant l’absence de contrefaçon est-elle justifiée, et/ou la défense Gillette trouve-t-elle à s’appliquer?

A.                 Résumé de la décision

  1. Les affidavits de MM. Fassihi et Davé ne sont pas radiés.

La preuve reproduite à l’annexe A n’est pas entachée d’irrégularité.

  1. L’allégation de Pharmascience concernant :
    1. l’antériorité n’est pas justifiée;
    2. l’évidence n’est pas justifiée;
    3. l’inutilité n’est pas justifiée;
    4. la portée excessive de la revendication 1 est justifiée; pour le reste, l’allégation n’est pas justifiée.
  2. L’allégation de Pharmascience concernant l’absence de contrefaçon est justifiée.

B.                 Questions préliminaires

1)                  Les affidavits de MM. Fassihi et Davé

[19]           Les demanderesses ont soutenu que MM. Fassihi et Davé n’ont pas pu être sérieusement contre-interrogés en raison de la conduite abusive de l’avocate de Pharmascience. Elles citent à cet égard l’alinéa 97c) des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, qui prévoit : « [s]i une personne […] refuse […] de répondre à une question légitime […] la Cour peut ordonner la radiation de tout ou partie de la preuve de cette personne, y compris ses affidavits ». Les demanderesses invoquent également la compétence inhérente de la Cour de corriger les abus concernant ses propres procédures.

[20]           Je conviens avec Pharmascience que la soi-disant [traduction« conduite abusive » de ses avocates en ce qui a trait au contre-interrogatoire de M. Fassihi a consisté en fait à venir en aide à l’avocat des demanderesses qui confondait l’annexe A avec l’annexe B de l’AA, à s’assurer que le témoin avait compris la question, à indiquer que les numéros de documents de l’AA avaient été insérés pour faciliter les contre-interrogatoires, à aider l’avocat à prononcer le nom de certaines benzodiazépines, et à soulever une objection lorsque la question portait sur les agissements des inventeurs. Quant au reproche selon lequel l’avocate aurait suggéré des réponses, les exemples cités dans le mémoire des demanderesses consistaient en des demandes de clarification, des objections lorsqu’une question induisait le témoin en erreur ou qu’une autre se fondait sur des faits erronés, des demandes de précisons concernant le numéro de document de l’AA, des demandes faites au témoin pour qu’il examine le document visé par la question, et des objections concernant les questions touchant à l’enjeu ultime de la contrefaçon.

[21]           Quant aux trois refus qui sont le point de mire de l’allégation de conduite abusive soulevée dans le mémoire des demanderesses, l’avocat de ces dernières reconnaît, dans la transcription, qu’il n’était pas nécessaire de produire le texte Remington comme pièce puisque M. Fassihi avait déjà répondu à la question. Ce dernier a d’ailleurs répondu aux questions concernant Ativan.

[22]           S’agissant du contre-interrogatoire de M. Fassihi, on dénombre cinq objections dans une transcription de 165 pages. Quant à celui de M. Davé, il y en a trois sur une transcription de 165 pages également. Les demanderesses ont décidé de ne pas présenter de requête pour forcer les témoins à répondre aux questions visées par les huit objections. Elles n’ont pas non plus soumis de requête en radiation de la preuve présentée par MM. Fassihi et Davé, et se sont même appuyées sur leur déposition dans leur mémoire.

[23]           Par conséquent, même si ces interruptions et objections de la part de l’avocate de Pharmascience n’étaient pas toujours nécessaires ou utiles, elles n’étaient pas abusives.

2)                  Allégation de « preuve guet-apens » de Pharmascience

[24]           Les demanderesses ont fait remarquer que l’annexe B de l’AA déposée par Pharmascience énumère quelque 200 documents – comprenant plus de 10 000 pages, sans inclure les ouvrages – dont seuls 95 environ sont décrits dans le texte de l’AA.

[25]           Les experts de Pharmascience ont invoqué près d’un tiers des documents énumérés à l’annexe B, et 31 de ces citations renvoyaient à des documents qui ne sont pas mentionnés dans le texte de l’AA (les documents du tableau 1) (énumérés à l’annexe A, tableau 1 du mémoire des demanderesses). Par ailleurs, les demanderesses ont signalé trois cas dans lesquels les experts de Pharmascience auraient cité des documents en avançant d’autres propositions que celles qui sont énoncées dans l’AA (les propositions contestées) (énumérées à l’annexe A, tableau 2 du mémoire des demanderesses).

[26]           Les demanderesses ont fait valoir que les documents du tableau 1 et les propositions contestées constituent une preuve entachée d’irrégularité qui doit être radiée du dossier, car l’accepter reviendrait à autoriser Pharmascience à s’éloigner de la teneur de son AA, ce qui leur causerait un préjudice irréparable. Comme de nombreux documents de l’annexe B n’ont pas été analysés en détail, elles soutiennent par ailleurs que l’AA ne les a pas informées valablement des arguments qu’elles devaient réfuter, et que Pharmascience a scindé sa preuve.

[27]           Les demanderesses précisent qu’elles s’étaient réservé le droit, à l’audition de la requête en radiation qui a eu lieu en février 2016 (la requête en radiation), de contester pleinement la preuve de Pharmascience dans la mesure où celle-ci excédait la portée de l’AA. Elles avancent que les documents du tableau 1 et les propositions contestées constituent une « preuve guet-apens » qui élargit le fondement juridique et factuel exposé dans l’AA, et qui devrait être jugée inadmissible.

[28]           Pharmascience fait valoir que les documents du tableau 1 ne sauraient constituer une « preuve guet-apens » puisqu’ils sont tous énumérés dans l’AA, et qu’ils se rapportent tous à des faits évoqués dans cet avis. Par ailleurs, elle soutient que les propositions contestées n’introduisent pas vraiment de nouveaux faits dans la demande dont la Cour est saisie, puisqu’elles concernent toutes des faits évoqués dans l’AA.

[29]           Comme l’indique la version confidentielle modifiée des motifs et de l’ordonnance datée du 8 mars 2016, rendue à l’issue de la requête en radiation, la radiation d’une preuve est un recours extraordinaire à exercer rarement; lorsqu’un demandeur ne subira pas de préjudice qui ne puisse être dédommagé par l’octroi de dépens, il est préférable de laisser le dossier complet de preuve entre les mains du juge d’instruction (Meda c Pharmascience, 2016 CF 219, renvoyant à Proctor & Gamble Pharmaceuticals Canada Inc. c Canada (Ministre de la Santé), 2009 CF 113 [Proctor & Gamble] et Janssen-Ortho Inc. c Apotex Inc., 2010 CF 81).

[30]           Cependant, la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont toutes deux invariablement jugé que l’AA devait soulever tous les arguments factuels et juridiques que la partie qui l’a rédigé entend invoquer, et que l’introduction subséquente de nouveaux faits et arguments est entachée d’irrégularité, aussi drastique que cela puisse sembler ((Bayer Inc. c Cobalt Pharmaceuticals Co., 2013 CF 1061, au paragraphe 37 [Cobalt], conf. par 2015 CAF 116; Aventis Pharma Inc. c Mayne Pharma (Canada Inc.), 2005 CAF 50, au paragraphe 25 [Aventis]; AB Hassle c Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social), [2000] ACF no 855 (CAF), aux paragraphes 19, 21 et 23 [AB Hassle]).

[31]           Les arguments factuels et juridiques de l’AA doivent être soulevés d’une manière propre à satisfaire à l’exigence prévue au sous-alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement MB(AC) : « La seconde personne qui inclut l’allégation visée à l’alinéa (1)b) ou (2)b) doit […] insérer dans l’avis d’allégation […] un énoncé détaillé du fondement juridique et factuel de l’allégation ». Par cette disposition, le législateur voulait que tout le fondement factuel soit exposé dans la déclaration, plutôt que révélé à la pièce lorsque le besoin s’en fait sentir durant l’instance (arrêt AB Hassle, précité, au paragraphe 23).

[32]           L’AA doit contenir un énoncé détaillé du fondement factuel et juridique de chaque allégation soulevée en raison du régime inhabituel établi par le Règlement MB(AC) selon lequel les allégations sont avancées par la seconde personne, et la demande d’interdiction est intentée par le titulaire du brevet, qui formule ses arguments de manière à répondre aux allégations soulevées dans l’AA (arrêt Aventis, précité, au paragraphe 20). Les renseignements fournis doivent être suffisants pour permettre au titulaire de brevet de décider de manière éclairée s’il y a lieu de répondre à l’AA en présentant une demande d’ordonnance d’interdiction (AB Hassle c Apotex Inc., 2006 CAF 51, au paragraphe 4).

[33]           Les procédures relevant du Règlement MB(AC) sont conçues pour être expéditives. Le titulaire du brevet ne dispose que de 45 jours pour décider de la marche à suivre en réponse à l’AA (paragraphe 6(1)), et la question de savoir s’il est loisible au ministre de délivrer l’AC demandé doit être tranchée dans les 24 mois suivant le dépôt de l’AA par le titulaire du brevet. Par conséquent, le caractère suffisant des renseignements doit être évalué à la lumière des contraintes de temps liées au régime des AC (décision Cobalt, précitée, au paragraphe 32).

[34]           Cependant, il existe une distinction essentielle entre les faits exposés dans un document et le document lui-même. Un document ne peut être assimilé à un fondement factuel; par conséquent, il n’est pas interdit à une seconde personne d’invoquer des documents non cités dans l’AA. Ce qu’elle ne peut faire, c’est s’appuyer sur des faits qui n’ont pas été évoqués dans l’AA (Eli Lilly Canada Inc. c Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 178, au paragraphe 137; Proctor & Gamble, précitée, au paragraphe 12).

[35]           Enfin, il a été établi que l’absence d’un affidavit expliquant que le titulaire du brevet n’a pas pu décider s’il devait contester l’AA à cause de l’imprécision de cet AA est un facteur pertinent pour déterminer si de nouvelles questions n’ayant pas été soulevées dans l’AA lui ont été préjudiciables (Alcon Canada Inc. c Apotex Inc., 2014 CF 791, aux paragraphes 80 et 82). La Cour d’appel fédérale a confirmé que le défaut du titulaire de brevet de soumettre un affidavit peut être jugé « révélateur » lorsqu’il s’agit de statuer sur le caractère suffisant de l’AA (décision Alcon, précitée, au paragraphe 81).

a)                  Les documents du tableau 1

[36]           Personne n’a fait valoir que les documents du tableau 1 ont été présentés dans l’AA. La véritable question était de savoir si les experts ont cité ces documents d’une manière qui revenait à introduire des faits qui n’avaient pas été soulevés dans l’AA. Il y avait aussi une question connexe : les faits dont ces documents font état, mais qui n’ont pas été énoncés dans le corps de l’AA, ont-ils été soulevés dans l’AA conformément à l’exigence prévue au sous-alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement MB(AC)?

[37]           S’il s’agissait simplement de joindre le document pour que la mention d’un fondement factuel dans l’AA soit jugée suffisante, le titulaire du brevet se verrait imposer un fardeau excessif puisqu’il aurait à évaluer tous les faits susceptibles d’être attestés par un document du type de ceux qui figurent à l’annexe B. Cela va à l’encontre de l’objectif du régime établi par le Règlement MB(AC).

[38]           Un document simplement joint à un AA, et qui n’est évoqué d’aucune autre manière, ne peut pas être invoqué pour tous les faits qui peuvent en être tirés. Une pièce jointe sous forme de liste ou de tableau ne suffit pas pour remplir l’exigence prévue au sous-alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement MB(AC). Cependant, comme nous l’indiquions précédemment, l’interdiction de soulever de nouveaux faits ne signifie pas que les experts ne peuvent invoquer des documents non cités dans l’AA pour étayer des faits qui y sont clairement énoncés.

[39]           Les experts de Pharmascience, et en particulier M. Fassihi, ont fourni des descriptions de haut niveau et très génériques du contenu de chaque document. Par exemple, s’agissant du document 35 de l’annexe B (AA 35), M. Fassihi a déclaré (aux paragraphes 150 et 151 de son affidavit) :

[traduction] Il s’agit d’un article de 1983 sur les mélanges ordonnés qui analyse la terminologie concernant les mélanges de poudre, ce qui inclut les mélanges ordonnés, les mélanges aléatoires, le degré d’homogénéité et les poudres interactives.

Dans cet article, les auteurs analysent la nomenclature des mélanges ordonnés et indiquent que le terme « interactif » décrit plus fidèlement que le terme « ordonné » le mécanisme d’interaction, c’est-à-dire les aspects cohésifs entre les molécules porteuses et les fines particules du médicament.

[40]           Dans sa réponse à l’annexe A (RAA) du mémoire des demanderesses, Pharmascience affirme que ces faits avancés par M. Fassihi renvoient aux faits suivants décrits dans l’AA : 1) les mélanges ordonnés étaient connus; 2) les mélanges ordonnés diffèrent des mélanges aléatoires; 3) l’homogénéité ne s’obtient pas de la même manière par [caviardé] que par un mélange ordonné. Sa déclaration concerne manifestement le fait que les mélanges ordonnés étaient connus, et même si son synopsis n’établit pas clairement si l’AA 35 indique également que les mélanges ordonnés diffèrent des mélanges aléatoires, et/ou que [caviardé] produit différents degrés d’homogénéité que les mélanges ordonnés, il n’avançait pas de nouveaux faits.

[41]           Je ne suis pas convaincu que les déclarations des experts concernant les documents du tableau 1 présentent de nouveaux faits. Par conséquent, je ne pense pas qu’il convienne de les radier. Dans les rares cas où les déclarations de l’un des experts de Pharmascience soulevaient des faits excédant la portée de l’AA, elles n’ont reçu aucun poids dans la décision, puisqu’il aurait été inacceptable que Pharmascience se serve des documents du tableau 1 pour invoquer des faits outrepassant les déclarations factuelles explicitement contenues dans le corps de l’AA.

b)                  Les propositions contestées

[42]           La question clé au regard des propositions contestées était de savoir si Pharmascience a convenablement soulevé tous les faits décrits dans chaque document en évoquant les documents sous-jacents (cités comme AA 17, 54 et 128) dans le corps de l’AA, et si les faits en question pouvaient étayer l’un ou l’ensemble des arguments juridiques avancés dans l’AA.

[43]           Dans l’AA, la plupart des documents de l’annexe B sont évoqués sous la rubrique [traduction« Connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art ». Il s’agit d’une vaste catégorie, ce qui donne à penser que tous les documents sont propres à appuyer les arguments visant à contester la validité. Dans Eli Lilly Inc. c Apotex Inc., 2007 CF 455, au paragraphe 109, la juge Johanne Gauthier affirme :

Il est évidemment important pour la première personne de savoir exactement sur quel fondement la validité de son brevet est contestée, car le type de preuve qu’elle devra produire en dépend dans une large mesure. La nature de l’analyse et des moyens de preuve à opposer à des allégations d’invalidité est très différente selon qu’on invoque, d’une part, les motifs de l’antériorité ou de l’évidence, ou, d’autre part, ceux de l’insuffisance de l’exposé ou du défaut d’utilité.

[44]           Cependant, la rubrique [traduction« Connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art » se trouve placée entre deux autres qui concernent l’analyse relative à l’évidence : [traduction« Évidence » et [traduction« Le critère relatif à l’évidence ». Il était donc raisonnable d’inférer que les faits décrits dans ces documents ‒ sauf si le document était explicitement cité dans une autre partie de l’AA ‒ se rapportaient tous à une allégation d’évidence. Dans la mesure où l’un des experts de Pharmascience a cité une proposition qui divergeait de la teneur de l’AA, mais qui a été adoptée dans l’analyse relative à l’évidence, cette proposition était admissible. Le mode de divulgation des documents dans le corps de l’AA suffisait à informer les demanderesses que les faits décrits dans chaque document, y compris les propositions contestées, seraient avancés dans le cadre d’une analyse relative à l’évidence.

[45]           Sous les rubriques [traduction« Antériorité », [traduction« Insuffisance de la description » et [traduction« Absence d’utilité et de prédiction valable », Pharmascience renvoie à des documents précis de l’annexe B pour étayer ses arguments. Il y avait lieu d’examiner tous ces documents précis dans le cadre de l’analyse à laquelle ils se rapportaient. Cependant, lorsque Pharmascience a invoqué les documents AA 17, 54 et 128 ailleurs que dans la partie de l’AA où ils sont explicitement cités, relativement à un fait qui n’y est pas explicitement mentionné (p. ex., le document est cité dans la partie [traduction« Antériorité », mais pas dans celle qui a trait à l’absence d’utilité, et Pharmascience s’y réfère relativement à un fait non explicitement énoncé dans la rubrique [traduction« Absence d’utilité »), je n’ai accordé aucun poids à ces éléments de preuve, parce que l’AA n’a pas convenablement indiqué que le fait en question serait invoqué dans le cadre de cette analyse particulière. Par conséquent, il n’y avait pas lieu de radier les propositions contestées.

c)                  Préjudice et abus de procédure

[46]           Rien ne prouve que les demanderesses ont subi un préjudice à cause du manque de précisions de l’AA. Plus précisément, il est « révélateur » qu’elles n’ont pas soulevé d’objections plus vigoureuses à l’égard de la preuve fondée sur l’annexe B durant la requête en radiation, et qu’elles n’ont pas soumis d’éléments indiquant qu’elles n’auraient pas présenté la demande ou qu’elles ont eu du mal à décider s’il fallait le faire. Cependant, il est évident qu’un AA de ce type – dans lequel la liste des documents concernant l’art antérieur jointe en annexe est très longue, sans toutefois que ces documents soient toutes évoqués dans le corps de l’AA – pourrait entraîner dans d’autres cas des préjudices réels. Compte tenu du régime du Règlement MB(AC), il est important que l’AA contienne suffisamment de renseignements pour permettre au titulaire du brevet de prendre rapidement une décision éclairée. Une quantité écrasante de renseignements à traiter en une courte période peut être tout aussi problématique qu’une absence d’information.

[47]           Après avoir attentivement examiné l’AA, je ne suis pas convaincu qu’il y a eu abus de procédure.

3)                  Conclusion relative aux questions préliminaires

[48]           Le contre-interrogatoire de MM. Fassihi et Smart a donné lieu à des interruptions et des objections de la part de l’avocate de Pharmascience qui n’étaient pas toujours nécessaires ou utiles, ce qui a créé une situation moins qu’idéale. Cependant, ces interruptions n’ont pas empêché un contre-interrogatoire sérieux des experts de Pharmascience, et j’estime qu’elles n’étaient pas abusives.

[49]           Quant aux documents du tableau 1, j’estime qu’ils se rapportent à des faits exposés dans l’AA. Par ailleurs, les déclarations des experts concernant ces documents réitèrent en substance des faits soulevés dans l’AA, comme l’indique la RAA de Pharmascience. Lorsque les déclarations des experts allaient au-delà des faits explicitement soulevés dans l’AA, tels qu’ils sont soulignés dans la RAA de Pharmascience, je n’ai accordé aucun poids à ces faits précis.

[50]           Enfin, bien que les experts de Pharmascience aient fait valoir dans leurs affidavits des propositions légèrement différentes de celles qui figurent dans l’AA, ces propositions contestées semblent se rapporter dans les deux cas à la même analyse. Comme les documents sous-jacents ont été invoqués en détail dans l’AA, j’estime que les demanderesses ont obtenu assez d’information pour que tous les faits décrits dans les documents soient considérés comme exposés de manière suffisante et conforme à l’exigence prévue au sous-alinéa 5(3)b)(ii) du Règlement MB(AC).

III.             Fardeau de preuve

[51]           Le fardeau de preuve concernant la contrefaçon de brevet incombe à la partie qui allègue la contrefaçon (Monsanto Canada Inc. c Schmeiser, 2004 CSC 34, au paragraphe 29; Eli Lilly c Apotex, 2009 CF 991, au paragraphe 211, conf. par 2010 CAF 240 [Eli Lilly]; Merck & Co Inc. c Apotex, 2010 CF 1265, au paragraphe 135, conf. par 2011 CAF 363).

[52]           La présomption de validité prévue au paragraphe 43(2) de la Loi sur les brevets, LRC, 1985, c P‑, est faible; une fois que Pharmascience a produit une preuve « vraisemblable » pour la réfuter, le fardeau ultime est transféré aux demanderesses, qui doivent alors établir selon la prépondérance des probabilités que toutes les allégations d’invalidité avancées sont injustifiées (Abbott Laboratories c Canada (Ministre de la Santé), 2007 CAF 153, aux paragraphes 9 et 10; Hoffman-La Roche Ltd c Apotex Inc., 2013 CF 718, aux paragraphes 58 à 61).

IV.             Témoins experts des demanderesses

A.                 M. Loyd Allen, fils

[53]           M. Loyd V. Allen, fils, a obtenu un baccalauréat et une maîtrise en pharmacie du College of Pharmacy de l’Université d’Oklahoma en 1966 et 1970, respectivement. Il a effectué sa résidence en pharmacie hospitalière au US Public Health Service Hospital de Boston (Massachusetts) en 1967, et a obtenu un doctorat en sciences pharmaceutiques de l’Université du Texas à Austin en 1972.

[54]           M. Allen est actuellement le directeur général du Midwest Institute of Research and Technology, et est professeur émérite au College of Pharmacy de l’Université d’Oklahoma. Il est nommé comme inventeur dans treize brevets américains dans le domaine des formulations de médicaments, et il est l’auteur d’un grand nombre de publications (c.-à-d. plus de 200 publications expérimentales, 25 livres, chapitres et monographies et plus de 500 publications professionnelles, dont deux manuels de cours). Il est aussi le fondateur et l’actuel rédacteur en chef du International Journal of Pharmaceutical Compounding, il a été/est titulaire de multiples bourses prestigieuses de recherche postdoctorale et siège ou a siégé dans de nombreux comités.

[55]           M. Allen est un expert dans les domaines des formulations et des composés pharmaceutiques.

B.                 M. Patrick J. Sinko

[56]           M. Patrick J. Sinko a obtenu un baccalauréat en pharmacie du College of Pharmacy de l’Université Rutgers, New Brunswick (New Jersey) en 1982, ainsi qu’un doctorat en sciences pharmaceutiques du College of Pharmacy de l’Université du Michigan en 1988.

[57]           Il est actuellement vice-président associé de la recherche à l’Université Rutgers, et professeur distingué de sciences pharmaceutiques à l’Ernest Mario School of Pharmacy. Il occupe également la chaire en sciences pharmaceutiques et libération de médicaments dotée par Parke-Davis, ce qui correspond à un poste de professeur distingué. Il enseigne les sciences biopharmaceutiques et pharmaceutiques, la pharmacie physique et les systèmes de libération des médicaments.

[58]           Il est le responsable de publication et l’auteur principal des cinquième (2005) et sixième (2010) éditions du Martin’s Physical Pharmacy and Pharmaceutical Sciences. Il a publié 159 articles dans des revues scientifiques, 282 ouvrages, examens scientifiques et des chapitres. Il a été examinateur pour le compte de nombreuses publications scientifiques, a été ou est toujours titulaire de multiples bourses prestigieuses de recherche postdoctorale, et siège ou a siégé dans de nombreux comités.

[59]           M. Sinko est un expert dans les domaines des sciences et des formulations pharmaceutiques.

V.                Témoins experts de Pharmascience

A.                 M. Yuriy Ososkov

[60]           M. Yuriy Ososkov a obtenu un diplôme combinant un baccalauréat et une maîtrise en ingénierie de l’Institut des aciers et alliages de Moscou en 1991, et un doctorat en génie des matériaux de l’École polytechnique de Varsovie en 1997. Il est ingénieur agréé par l’Ordre des ingénieurs de l’Ontario.

[61]           Entre 2006 et 2015, M. Ososkov était employé par Exova Canada Inc., où il a occupé les fonctions de directeur jusqu’en février 2014, puis de scientifique principal des matériaux, caractérisation physique, à la Division des sciences de la santé. En tant que scientifique principal des matériaux, il était le responsable technique de la mise en place de services liés aux matériaux, comme la diffraction des rayons X, la microscopie électronique à balayage (MEB) et la spectroscopie des rayons X par dispersion d’énergie.

[62]           [Caviardé]

B.                 M. Reza Fassihi

[63]           M. Reza Fassihi a obtenu un baccalauréat en pharmacie de l’Université du Pendjab (Inde) en 1974, et un doctorat en sciences pharmaceutiques de l’Université Brighton (Angleterre) en 1978.

[64]           Il est actuellement professeur de sciences pharmaceutiques et de pharmacie industrielle à la School of Pharmacy de l’Université Temple à Philadelphie, et coprésident du Philadelphia Pharmaceutical Forum. Il est nommé comme auteur dans plus de 130 publications parues dans des revues à comité de lecture, et comme inventeur dans neuf brevets américains. Il est également sociétaire de l’American Association of Pharmaceutical Sciences et membre de l’American Association of Colleges of Pharmacy.

[65]           M. Fassihi est un expert en matière de formulations pharmaceutiques et a de l’expérience dans les domaines de la biopharmaceutique et de la pharmacocinétique.

C.                 M. John D. Smart

[66]           M. John D. Smart a obtenu un baccalauréat en pharmacie de la Brighton Polytechnic (aujourd’hui l’Université de Brighton) en 1979, et un doctorat en pharmacie de la Welsh School of Pharmacy (aujourd’hui le College of Cardiff de l’Université du pays de Galles) en 1983.

[67]           Il est actuellement professeur de sciences pharmaceutiques et directeur académique de pharmacie à la School of Pharmacy and Biomolecular Sciences de l’Université de Brighton. Il a co-rédigé 65 articles de recherche évalués par des pairs, et est nommé comme auteur/co-auteur de six chapitres d’ouvrages. Membre fondateur du Pharmacy Schools Council, il est également membre de la Royal Society of Chemistry, de la Royal Pharmaceutical Society et du comité consultatif d’experts de la Royal Society.

[68]           C’est un expert dans le domaine des formulations pharmaceutiques et, en particulier, dans celui des agents bioadhésifs.

D.                M. Rajesh Davé

[69]           M. Rajesh Davé a obtenu un baccalauréat technique en génie mécanique du Indian Institute of Technology de Bombay en 1978, ainsi qu’une maîtrise et un doctorat en génie mécanique de l’Université d’État de l’Utah en 1981 et 1983, respectivement.

[70]           Il est actuellement professeur distingué de génie chimique, biologique et pharmaceutique au New Jersey Institute of Technology. Il est le directeur fondateur du Research and Development Excellence Center, du New Jersey Center for Engineered Particulates, responsable de branche du New Jersey Institute of Technology, et responsable de l’axe de recherche et des tests de performance du National Science Foundation Engineering Research Center on Structured Organic Particular Systems. Membre électif de l’American Institute of Chemical Engineers et membre de l’American Association of Pharmaceutical Sciences, il est nommé comme auteur dans plus de cent articles évalués par des pairs.

[71]           M. Davé est un expert en matière de formulations transformées, ce qui inclut la micronisation et autres méthodes de formulation de médicaments peu solubles.

VI.             Le brevet 988

[72]           La date du dépôt international du brevet 988 est le 24 septembre 1999; il a été publié le 30 mars 2000 et expirera le 24 septembre 2019. Orexo AB est titulaire de ce brevet et a consenti à ce qu’il soit inscrit sur le registre des brevets relativement à SUBLINOX, le médicament novateur vendu par les demanderesses.

[73]           Le brevet 988 vise de nouvelles compositions pharmaceutiques sublinguales à début d’action rapide, destinées au traitement du trouble insomniaque aigu; il concerne des mélanges ordonnés de microparticules de principes actifs (PA) et de particules porteuses hydrosolubles, ainsi que des agents bio/mucoadhésifs, une méthode de fabrication de telles compositions, et leur utilisation dans la fabrication d’un médicament.

[74]           Le brevet 988 comporte une revendication indépendante et 21 revendications dépendantes. La revendication 1 indépendante est rédigée comme suit :

[traduction]
Revendication 1 :

Une composition pharmaceutique destinée au traitement de l’insomnie par administration sublinguale, comprenant un mélange ordonné de microparticules d’au moins un principe actif choisi parmi le diazépam, l’oxazépam, le zopiclone, le zolpidem, la propiomazine, la valériane, la lévomépromazine ou un peptide somnifère, principe actif qui adhère à la surface des particules porteuses, lesquelles sont hydrosolubles et plus grandes que lesdites microparticules, ainsi qu’un agent favorisant la bioadhésion et/ou la mucoadhésion.

[75]           Le résumé du brevet 988 décrit l’invention en ces termes :

[traduction] Est ici décrite une composition pharmaceutique destinée au traitement d’un trouble aigu. La composition est constituée d’un mélange ordonné essentiellement hydrosoluble d’au moins un principe actif sous la forme de microparticules qui adhèrent à la surface de particules porteuses, lesquelles sont nettement plus grandes que les particules du ou des principes actifs, et sont essentiellement hydrosolubles, en association avec un agent favorisant la bioadhésion et/ou la mucoadhésion. L’invention concerne également une méthode de préparation de la composition et son utilisation dans le traitement de troubles aigus.

[76]           Par conséquent, les éléments essentiels de la revendication 1 sont les suivants :

  1. une composition pharmaceutique destinée au traitement de l’insomnie par administration sublinguale;
  2. constituée d’un mélange ordonné de microparticules;
  3. d’au moins un PA choisi parmi le diazépam, l’oxazépam, le zopiclone, le zolpidem, la propiomozine, la valériane, la lévomépromazine ou un peptide somnifère;
  4. qui adhèrent à la surface des particules porteuses;
  5. lesquelles particules sont hydrosolubles et plus grandes que les microparticules de PA;
  6. et d’un agent favorisant la bioadhésion et/ou la mucoadhésion.

[77]           Les parties conviennent que chacun de ces éléments était connu dans l’art antérieur, mais les demanderesses soutiennent que leur combinaison est nouvelle, non évidente et utile.

[78]           Plus précisément, les demanderesses affirment que l’administration sublinguale et l’utilisation d’un mélange ordonné de PA qui adhère à la surface des particules porteuses, en association avec un agent favorisant la bioadhésion et/ou la mucoadhésion, étaient à la fois nouvelles et non évidentes. Sans surprise, Pharmascience fait valoir l’inverse.

A.                 La personne versée dans l’art

[79]           Les experts ont généralement convenu que la personne versée dans l’art au regard du brevet 988 doit détenir 1) un doctorat en sciences pharmaceutiques, ou dans un domaine équivalent, et une à deux années d’expérience dans l’élaboration de formulations pharmaceutiques orales; ou 2) un diplôme d’études supérieures dans un domaine autre que les sciences pharmaceutiques (c.-à-d. un doctorat en génie chimique, en chimie physique ou dans un domaine analogue), et trois à cinq années d’expérience dans l’élaboration de formulations pharmaceutiques orales.

B.                 Connaissances générales courantes

[80]           Les experts des demanderesses n’étaient pas prêts à convenir que la liste des déclarations figurant au paragraphe 108 de l’AA donnait une image exacte de la teneur des connaissances générales courantes de la personne versée dans l’art à l’époque pertinente.

[81]           M. Sinko a expliqué que même si les alinéas a) à m) du paragraphe 108 de l’AA renvoient à des concepts généraux qui auraient été connus de la personne versée dans l’art à l’époque pertinente, leur application aux problèmes abordés par le brevet 988 ne relevait pas des connaissances générales courantes. Il ajoute qu’à l’époque concernée, ces connaissances n’auraient pas permis d’établir un lien entre les renseignements figurant aux alinéas n à cc) du paragraphe 108, et a déploré que la liste ait été élaborée avec le bénéfice du recul.

[82]           M. Allen a expliqué que tous les articles et brevets énumérés dans l’AA faisaient individuellement partie des connaissances générales courantes, et qu’il s’agit d’une liste décousue qui n’établit aucun rapport évident entre les divers articles cités.

[83]           MM. Allen et Sinko ont convenu que les renseignements généraux issus de l’ouvrage de Lieberman et coll., Pharmaceutical Dosage Forms, Second Edition, 1989 (l’ouvrage Lieberman) auraient fait partie des connaissances générales courantes à l’époque pertinente. Cependant, ils estiment que la personne versée dans l’art n’aurait eu aucune raison de combiner les seize documents précis cités dans l’AA. Ils soulignent par ailleurs que l’ouvrage Lieberman contient beaucoup de données n’intéressant nullement le brevet 988, ou dont l’enseignement ne va pas dans le même sens que le brevet 988. D’après M. Sinko, l’ouvrage Lieberman indique clairement que l’administration sublinguale était rare, et qu’on en savait très peu à ce sujet à l’époque pertinente.

[84]           MM. Fassihi, Smart et Davé ont évalué la teneur des connaissances générales courantes suivant une autre approche que MM. Allen et Sinko, et leurs réponses reposaient sur les questions posées par l’avocate de Pharmascience plutôt que sur les renseignements figurant dans l’AA.

[85]           M. Fassihi a déclaré qu’en 1998, les comprimés à dissolution orale étaient connus, et qu’Ativan (lorazépam) était alors vendu comme comprimé sublingual à dissolution orale; la nécessité que de tels comprimés se dissolvent rapidement (en moins de trois minutes) aurait donc fait partie des connaissances générales courantes. D’après lui, les excipients standard de l’époque incluaient des agents de remplissage hydrosolubles et de puissants désagrégeants, et les excipients bio/mucoadhésifs connus comprenaient des polymères hydrophiles comme l’hydroxypropyl cellulose, la carboxyméthylcellulose, des carbomères et de la gomme adragante ou de la gélatine. Il affirme également que la personne versée dans l’art aurait eu une bonne connaissance des mélanges ordonnés et de leurs procédés de fabrication.

[86]           M. Smart a soutenu que les comprimés sublinguaux de nitroglycérine étaient connus des dizaines d’années avant la date pertinente, et que les formulations transmucosales connues contenaient du mannitol associé à de « super-désagrégeants » comme Ac-Di-Sol, et étaient élaborées à l’aide des procédés normaux de fabrication de comprimés fondés sur la granulation humide, la granulation sèche ou la compression directe. La personne versée dans l’art aurait eu connaissance des comprimés buccaux et sublinguaux de nitroglycérine à libération lente et des comprimés sublinguaux à dissolution rapide Ativan (lorazépam). Il estimait aussi que la personne versée dans l’art aurait su comment fabriquer un mélange ordonné.

[87]           M. Davé était d’avis que le procédé de fabrication et les avantages d’un mélange ordonné faisaient partie des connaissances générales courantes à l’époque pertinente.

[88]           Eu égard à la preuve présentée par les experts, voici ce qui relevait de l’art antérieur et des connaissances générales courantes.

1)                  Troubles aigus et insomnie

[89]           La personne versée dans l’art aurait eu des connaissances concernant les troubles aigus. Ce genre de trouble est traité par des interventions médicales d’urgence, générales et chirurgicales, plutôt que par des soins à long terme destinés aux affections chroniques. Les troubles aigus peuvent inclure la douleur et l’insomnie. L’insomnie est l’incapacité à dormir durant la période normalement réservée au sommeil, malgré l’absence d’obstacles externes (p. ex. bruit, lumière vive, etc.). Il existe deux grands types de traitement de l’insomnie : psychologique et pharmacologique.

[90]           À l’époque pertinente, il existait de nombreux médicaments pour traiter l’insomnie, y compris le diazépam (Valium), le lorazépam (Ativan), le zolpidem (Ambien) et le phénobarbital (Luminal). Ces médicaments se présentaient sous forme de comprimés et de gélules, d’élixirs et de sirops, de suppositoires, de gels transdermiques et/ou de crèmes.

2)                  Élaboration des formes pharmaceutiques

[91]           Depuis l’époque pertinente jusqu’à aujourd’hui, les médicaments sont généralement administrés dans le cadre d’une formulation, soit la combinaison du PA et d’au moins un excipient, c’est-à-dire un ingrédient non médicinal remplissant diverses fonctions pharmaceutiques (p. ex. solubilité, épaississement, dilution, émulsification, stabilisation, préservation, etc.). L’ajout d’excipients vise à produire des formes pharmaceutiques efficaces et attrayantes.

[92]           Si le médicament est destiné à un usage systémique et que son administration par voie orale est indiquée, les fabricants produisent généralement des comprimés ou des gélules parce qu’ils sont faciles à manipuler et pratiques aux fins d’auto-administration. La vaste majorité des comprimés offerts sur le marché à l’époque pertinente étaient pris par voie orale et devaient être avalés entiers pour que le principe actif soit absorbé dans le tractus gastro-intestinal. Les autres voies d’administration des comprimés comprenaient la voie sublinguale, buccale, rectale ou intravaginale.

3)                  Comprimés à désintégration ou à dissolution rapide

[93]           La personne versée dans l’art aurait su que la désintégration est un facteur important susceptible d’influencer la libération du médicament, son absorption dans le système et ses effets pharmacologiques subséquents. Les comprimés à désintégration ou à dissolution rapide (CDR) se caractérisent par leur capacité à se désintégrer ou à se dissoudre dans la bouche en une ou deux minutes. Ces CDR, proposés comme formes pharmaceutiques aux patients ayant de la difficulté à avaler des comprimés, faisaient partie des connaissances générales courantes.

4)                  Comprimés sublinguaux

[94]           L’administration de médicaments par la voie oromucosale, qui favorise une prompte absorption, une biodisponibilité élevée et un début d’action pharmacologique rapide, aurait été connue à l’époque pertinente. L’administration par voie oromucosale utilise la muqueuse buccale (la joue) ou sublinguale (sous la langue) comme site d’absorption. L’avantage de cette méthode est que le médicament pénètre la circulation systémique directement, en contournant le tractus gastro-intestinal et en évitant l’effet de premier passage hépatique. Ceci permet d’administrer efficacement les médicaments détruits par l’acide gastrique et/ou peu absorbés par les voies gastro-intestinales.

[95]           En 1998, cela faisait des décennies qu’on se servait de la muqueuse sublinguale pour l’absorption rapide de médicaments comme la nitroglycérine. La personne versée dans l’art aurait su que l’un des problèmes liés à la formulation des comprimés sublinguaux tenait au risque que le patient avale une partie de la dose avant que toute la substance active n’ait été libérée et absorbée localement. Elle aurait su également que certains éléments particuliers de la formulation devaient être pris en compte, tels que l’homogénéité de la dose, la désintégration rapide et les propriétés bioadhésives. Entre 1998 et 1999, seule une poignée de comprimés sublinguaux était disponible sur le marché.

5)                  Mélanges ordonnés

[96]           La personne versée dans l’art aurait su que la création d’un mélange ordonné était un moyen de produire une formulation très homogène. Un type de mélange ordonné est obtenu lorsque les petites particules de l’une des composantes du mélange se logent dans les irrégularités de surface ou adhèrent à la surface d’une plus grosse composante porteuse. Les mélanges ordonnés peuvent être obtenus par 1) des moyens mécaniques, 2) adhésion et 3) enrobage.

[97]           En pratique, des molécules porteuses grossières sont mélangées à une fine composante médicamenteuse assez longtemps pour que les particules du médicament adhèrent à la surface des molécules porteuses par l’effet des forces d’adhésion (c’est-à-dire des forces de tension de surface ou électrostatiques). Cette dispersion de la fine composante médicamenteuse sur les molécules porteuses crée un mélange dans lequel le médicament est également distribué entre les molécules porteuses, et où les agrégats de substance médicamenteuse sont rares.

6)                  [Caviardé]

[98]           [Caviardé]

[99]           [Caviardé]

C.                 Interprétation des revendications

1)                  Date pertinente

[100]       La date pertinente pour interpréter les revendications du brevet 988 est celle de la publication de la demande de brevet, soit le 30 mars 2000.

[101]       Malgré le désaccord des experts concernant les éléments essentiels des revendications du brevet 988, j’estime et conclus que les caractéristiques fondamentales de ces revendications sont résumées aux paragraphes 75 et 76 et 44 à 47 des affidavits de MM. Allen et Sinko, respectivement :

Reven-dication

Dépend des revendications

Éléments essentiels

1

S.O.

(i) Une composition pharmaceutique (ii) destinée au traitement de l’insomnie (iii) par administration sublinguale (iv) comprenant un mélange ordonné de (v) microparticules d’un principe actif (vi) choisi parmi un groupe comprenant le zolpidem (vii) qui adhère à la surface de particules porteuses (viii) lesquelles particules porteuses sont hydrosolubles et plus grosses que les microparticules de principe actif et (ix) d’un agent favorisant la bio/mucoadhésion.

2

1

L’agent de bio/mucoadhésion adhère à la surface des particules porteuses.

3

1-2

Le principe actif est le zolpidem.

4

1-3

Les microparticules de principe actif ont un diamètre moyen basé sur le poids < 10 µm.

5

1-4

Les particules porteuses ont un diamètre moyen de tamis de moins de 750 µm.

6

5

Les particules porteuses ont un diamètre moyen de tamis compris entre 100 et 600 µm.

7

1-6

Les particules porteuses sont fragiles et se fragmentent aisément en cas de compression.

8

1-7

L’agent favorisant la bio/mucoadhésion est choisi parmi un groupe composé de polymères acryliques, de dérivés de la cellulose, de polymères naturels ayant des propriétés bio/mucoadhésives, et de mélanges de ces substances.

9

8

L’agent favorisant la bio/mucoadhésion est choisi parmi un groupe composé de dérivés de la cellulose incluant la croscarmellose.

10

1-9

La composition contient également un surfactant pharmaceutiquement acceptable sous une forme finement dispersée et étroitement mélangée au(x) principe(s) actif(s).

11

10

Le surfactant représente 0,5 à 5 % de la masse de la composition.

12

10

Le surfactant représente 0,5 à 3 % de la masse de la composition.

13

10-12

Le surfactant est choisi parmi un groupe comprenant le laurylsulfate de sodium.

14

1-13

Les particules porteuses sont des glucides hydrosolubles et pharmaceutiquement acceptables et/ou des sels inorganiques.

15

14

Les particules porteuses sont constituées d’au moins une substance choisie parmi un groupe comprenant le mannitol.

16

1-15

Les particules porteuses sont aussi constituées d’au moins un agent désagrégeant.

17

16

L’agent désagrégeant est choisi parmi un groupe composé de la polyvinylpyrrolidone réticulée, le carboxyméthylamidon, l’amidon naturel, la cellulose microcristalline, la gomme cellulosique et leurs mélanges.

18

16-17

L’agent désagrégeant représente 1 à 10 % de la masse.

19

1-18

Aucun autre élément essentiel.

20

19

Aucun autre élément essentiel.

21

20

Aucun autre élément essentiel.

22

1-21

L’utilisation des compositions décrites dans l’une des revendications aux fins de la fabrication d’un médicament destiné au traitement de l’insomnie.

2)                  Termes des revendications devant être interprétés

a)                  Agent favorisant la bio/mucoadhésion

[102]       M. Fassihi a déclaré que le brevet n’expliquait pas bien en quoi un agent « favorisant la mucoadhésion » se distinguait d’un agent mucoadhésif, et que pour la personne versée dans l’art, les agents mucoadhésifs sont des agents qui adhèrent à la muqueuse et restent entiers pendant une longue période (p. ex. de 15 minutes à 10 heures). À son avis, la présence d’un agent favorisant la mucoadhésion n’a pas de sens dans un comprimé conçu pour se désintégrer et se dissoudre rapidement, puisque celui-ci n’aurait pas le temps d’adhérer à la muqueuse avant de se désintégrer.

[103]       Les demanderesses font valoir que les experts de Pharmascience se méprennent sur la fonction de l’agent favorisant la bio/mucoadhésion. MM. Fassihi et Smart affirment que cet agent a pour but de favoriser l’adhésion du comprimé sur la muqueuse sublinguale. Les demanderesses avancent que l’agent favorisant la bio/mucoadhésion n’est qu’un excipient qui crée un environnement local dans lequel les particules comprises dans la formulation adhèrent à la muqueuse après avoir été libérées en vue d’une absorption rapide.

[104]       Par ailleurs, MM. Allen, Sinko et Smart ont déclaré que [caviardé] peut agir à la fois comme un désagrégeant et un agent bio/mucoadhésif, comme le divulgue et le revendique le brevet 988. M. Fassihi estime en revanche que [caviardé] ne peut pas servir d’agent favorisant la bio/mucoadhésion ou d’agent bioadhésif parce qu’il s’agit d’un désagrégeant.

[105]       Les demanderesses invoquent l’alinéa 108(v) de l’AA [caviardé] et soutiennent que toute concession faite dans un tel document est contraignante à l’égard de Pharmascience : Teva Canada Innovation c Apotex Inc., 2014 CF 1070, au paragraphe 66; Merck & Co. c Pharmascience Inc., 2010 CF 510, aux paragraphes 95 et 96.

[106]       Je conviens avec les demanderesses que l’agent favorisant la bio/mucoadhésion n’est pas un excipient qui permet au comprimé d’adhérer à la muqueuse sublinguale. En interprétant le terme d’une manière téléologique, je conclus qu’un agent favorisant la bio/mucoadhésion est un excipient qui crée un effet local favorisant l’adhérence et l’absorption des particules de médicament dans la muqueuse.

[107]       Ayant examiné la preuve soumise par les parties et les documents concernant les agents bio/mucoadhésifs, je conviens que [caviardé]. Les modalités d’utilisation liées à un procédé sont un facteur qui a des répercussions importantes sur la nature de l’effet [caviardé], ainsi que nous l’analyserons plus en détail ci-après.

b)                  Mélanges ordonnés

[108]       Le résumé de l’invention 988 précise que la [traduction« composition sublinguale comprend un mélange ordonné d’au moins une substance porteuse bioadhésive et/ou mucoadhésive enrobée d’un ou de plusieurs agents pharmaceutiquement actifs sous forme de fines particules » (page 4, lignes 21 à 23).

[109]       La revendication 1 indique que l’invention comprend une composition pharmaceutique constituée d’un mélange ordonné de microparticules d’au moins un PA qui adhèrent à la surface de particules porteuses, et d’un agent favorisant la bioadhésion et/ou la mucoadhésion. Pour formuler la composition, le mémoire descriptif enseigne qu’il faut recourir à la technologie de formulation des mélanges ordonnés à dissolution rapide divulguée dans le brevet européen EPO 324725 (le brevet 725). Dans ces compositions, le médicament, sous une forme finement dispersée, recouvre la surface de particules porteuses nettement plus grandes (page 4, lignes 25 à 29).

[110]       Les experts ne s’entendaient pas sur la question de savoir si l’expression « mélange ordonné » englobait le produit issu du procédé de Pharmascience [caviardé]. Les experts de Pharmascience prétendent que [caviardé], et que [caviardé] empêcherait l’agent favorisant la bio/mucoadhésion de former un mélange ordonné avec le PA et les particules porteuses, [caviardé]. Les experts des demanderesses font valoir que le produit de Pharmascience serait suffisamment ordonné pour être considéré comme un mélange ordonné [caviardé].

[111]       Comme nous l’avons déjà indiqué, les mélanges ordonnés sont plus homogènes que les mélanges aléatoires puisque la dispersion des petites particules de PA sur les particules porteuses réduit leur agrégation dans le mélange. Dans un mélange ordonné idéal, les particules porteuses et celles de PA forment des unités ordonnées dans lesquelles l’écart-type de la quantité de PA entre des échantillons donnés de mélange est proche de zéro, pour autant que la taille de l’échantillon soit supérieure à celle d’une unité ordonnée. En pratique, les mélanges ordonnés atteignent un moindre degré d’homogénéité.

[112]       Malheureusement, le mémoire descriptif n’indique nulle part quel degré d’ordre est nécessaire pour constituer une composition pharmaceutique [traduction« comprenant un mélange ordonné ». Par ailleurs, les experts n’étaient pas d’accord sur le degré d’homogénéité nécessaire pour obtenir un mélange ordonné de microparticules de PA, de particules porteuses et d’agents favorisant la bio/mucoadhésion.

[113]       MM. Allen et Sinko prétendent qu’un mélange suffisamment ordonné sera formé [caviardé]. MM. Fassihi, Smart et Davé ne sont pas de cet avis, et croient que l’on ne peut pas obtenir une distribution uniforme de PA, de particules porteuses et de particules favorisant la bio/mucoadhésion [caviardé], étant donné que [caviardé] produit un mélange qui ne sera pas suffisamment homogène pour être considéré comme un mélange ordonné. Plus précisément, les experts de Pharmascience font valoir que [caviardé].

[114]       De plus, l’avocate de Pharmascience invite instamment la Cour à conclure que les déclarations faites dans le cadre d’une demande de brevet étranger (européen) correspondant et qui intéressent l’interprétation de l’expression « mélange ordonné » devraient être prises comme un aveu contre intérêt. Plus précisément, les déclarations donnant à penser [caviardé].

[115]       La Cour suprême du Canada a très clairement indiqué que de telles déclarations, faites durant le traitement de demandes de brevets canadiens ou étrangers, ne sont ni pertinentes ni admissibles relativement à l’interprétation des termes utilisés dans les brevets canadiens en cause (Free World Trust c Électro Santé Inc., 2000 CSC 66 [Free World Trust]). Lesdites déclarations sont également non pertinentes au regard des connaissances générales courantes à prendre en compte.

[116]       Ceci est particulièrement vrai des procédures de délivrance de brevet étranger qui font intervenir d’autres canons d’interprétation et lois et où une jurisprudence différente a été élaborée, et où les doctrines applicables diffèrent du droit canadien des brevets. Si les parties estiment qu’une autre approche devrait être adoptée en cette matière au Canada, et que des notions telles que la doctrine américaine du file wrapper estoppel [préclusion fondée sur les notes apposées au dossier] devraient s’appliquer ici, la Cour n’est pas le forum indiqué pour effectuer un tel changement – des modifications législatives seraient requises.

[117]       Après avoir examiné les documents et la preuve d’expert invoqués par les parties et donné une interprétation téléologique à l’expression « mélanges ordonnés », je conclus que de tels mélanges seront pour l’essentiel forcément dépourvus d’eau et que le PA sera substantiellement et uniformément distribué sur la surface des particules porteuses; en d’autres termes, le degré d’ordre doit être important dans toute la composition et le PA doit être substantiellement désagrégé.

VII.          Antériorité

[118]       En plus des articles cités à l’annexe B du corps de l’AA, dont elle allègue qu’ils faisaient partie des connaissances générales courantes, Pharmascience cite 209 antériorités.

[119]       Aucun des experts des demanderesses n’a analysé cette liste en détail dans son rapport.

[120]       M. Allen a déclaré avoir brièvement examiné tous ces documents, à l’exception des « file wrappers », qui échappaient selon lui à son domaine d’expertise, et n’a relevé qu’un seul article d’intérêt : Shojaei, A.H., « Buccal Mucosa As a Route for Systemic Drug Delivery : A Review », (1998) J Pharm Pharmaceut Sci 1(1) : 15-30 [Shojaei, 1998]. D’après son résumé, cet article de synthèse décrit la cavité buccale comme une voie d’administration privilégiée des médicaments en vue d’une libération systémique. Le document souligne certains des avantages de l’administration buccale, compare cette voie à l’administration sublinguale, et conclut que la muqueuse buccale est supérieure à la muqueuse sublinguale pour ce qui est de la libération des médicaments.

[121]       Selon M. Sinko, trois articles cités à l’annexe B de l’AA sont dignes d’attention : Harris, D. et coll., « Drug Delivery via the Mucous Membranes of the Oral Cavity », (1992) J Pharm Sci 81 : p. 1 à 10; Shojaei, 1998; G. Hunt, P. Kearney et I.W. Kellaway, Drug Delivery system : Fundamentals and Techniques, Chapter 11 Mucoadhesive Polymers in Drug Delivery Systems, (Chichester : Elis Horwood, 1987) à la page 180. Ces trois articles préconisent de ne pas utiliser la muqueuse sublinguale comme site d’absorption aux fins de la libération de médicaments.

[122]       L’avocate de Pharmascience a remis à MM. Fassihi, Smart et Davé la série de brevets et de publications cités à l’annexe B, et leur a demandé à chacun de choisir les documents qu’ils estimaient pertinents au regard du brevet 988 et qui expliquaient l’invention revendiquée dans celui-ci. L’avocate de Pharmascience leur a également demandé si la personne versée dans l’art aurait été en mesure de trouver les brevets et les publications à l’issue d’une recherche raisonnablement diligente.

[123]       Les trois experts de Pharmascience ont déclaré que la personne versée dans l’art aurait été en mesure d’obtenir les documents fournis à l’aide d’une recherche normale (c’est-à-dire en consultant le Merck Index, le Chemical Abstracts, des ouvrages et des revues scientifiques, des organismes internationaux de délivrance de brevets et des bibliothèques universitaires). M. Fassihi a retenu 26 antériorités différentes qui lui ont semblé pertinentes et de nature à expliquer certains aspects du brevet 988. M. Smart a relevé 55 publications et brevets conformes à ce critère. Enfin, M. Davé a sélectionné 16 publications susceptibles d’enseigner à la personne versée dans l’art le moyen d’élaborer des mélanges ordonnés.

VIII.       Le brevet 988 se heurte à une antériorité : le brevet 725

[124]       Il y a antériorité lorsque la réalisation de l’art antérieur contrevient nécessairement au brevet sous examen. La divulgation et le caractère réalisable sont requis pour qu’un document faisant état de l’art antérieur constitue une antériorité à l’égard d’une revendication (Apotex Inc. c Sanofi-Synthelabo, 2008 CSC 61, aux paragraphes 25 à 27 [Sanofi]) :

  1. le brevet précédent doit divulguer l’objet qui contreferait le brevet sous examen s’il était réalisé, de telle sorte que la personne versée dans l’art prenant connaissance du brevet précédent saurait, sans effectuer d’essais successifs, s’il divulgue l’invention revendiquée;
  2. la personne versée dans l’art serait en mesure de réaliser l’invention divulguée par le brevet précédent, sans trop de difficultés, mais moyennant peut-être un nombre raisonnable d’essais successifs.

[125]       Le paragraphe 37 de l’arrêt Sanofi, précité, explique ce que constitue un nombre raisonnable d’essais successifs :

[…] Le caractère excessif des difficultés dépend de la nature de l’invention. Par exemple, lorsque celle‑ci relève d’un domaine technique où les essais sont monnaie courante, le seuil de ce qui constitue une difficulté excessive tend à être plus élevé que lorsque des efforts moindres sont la norme. […] L’expérimentation ou les essais successifs ne doivent cependant pas se prolonger, et ce, même dans un domaine technique où ils sont monnaie courante. Aucune limite n’est fixée quant à la durée des efforts consacrés; toutefois, les essais successifs prolongés ou ardus ne sont pas tenus pour courants.

[126]       Le 1er janvier 1989, le brevet 725 a été déposé auprès de l’Office européen des brevets, le 13 janvier 1988 étant revendiqué comme une date de priorité suédoise; il a été publié le 19 juillet 1989. C’est le seul document invoqué par Pharmascience pour étayer la contestation de la validité fondée sur l’antériorité.

[127]       Le brevet 725 divulgue une invention qui se rapporte généralement au domaine de la formulation des médicaments, et plus précisément, mais non exclusivement, aux mélanges solides ordonnés de substances pharmaceutiques porteuses particulaires et de plus petites particules comprenant au moins un principe actif pharmaceutique, pouvant être produits par un procédé de mélange à sec, dans lequel les plus petites particules adhèrent ou se lient à la surface de plus grosses particules porteuses. L’invention concerne également des préparations pharmaceutiques produites à partir de mélanges ordonnés et une méthode de production desdites préparations.

[128]       La substance porteuse divulguée dans le brevet 725 peut être n’importe quelle substance pharmaceutique acceptable, très hydrosoluble, mesurant entre 50 et 1000 microns, ou préférablement entre 100 à 500 microns. Elle peut prendre la forme de particules qui comprennent ou incorporent un désagrégeant. D’après le brevet, le désagrégeant peut être mêlé aux particules porteuses de différentes manières : par exemple, ils peuvent être granulés ensemble dans un liquide qui ne dissoudra pas le désagrégeant. Par ailleurs, le pourcentage pondéral de la substance porteuse et du désagrégeant devrait être de 25 % et d’au plus 10 %, respectivement, dans le mélange ordonné.

[129]       Les exemples de principes actifs utilisables d’après la divulgation du brevet 725 comprennent les benzodiazépines, le tartrate d’ergotamine, le dinitrate d’isosorbide et la griséofulvine. Ces substances mesurent au maximum 25 microns et, de préférence, ne dépassent pas 10 microns.

[130]       Pharmascience soutient que le brevet 725 divulgue :

  1. des formulations d’un mélange ordonné comprenant des principes actifs plus petits (ne dépassant 10 microns) qui adhèrent à de plus grandes particules porteuses solubles (100 à 400 microns);
  2. une dissolution rapide (moins de deux minutes) correspondant à un comprimé à dissolution orale;
  3. des formulations permettant une libération et une absorption rapides;
  4. des formulations orales, incluant des exemples de PA administrés par voie sublinguale, tels que le dinitrate d’isosorbide pour le traitement de l’angine;
  5. un exemple de formulation contenant un mélange ordonné du PA oxazépam (visé par la revendication 1 du brevet 988);
  6. un exemple de formulation qui contient aussi Ac-Di-Sol – agent présenté par le brevet 988 comme un composé bio/mucoadhésif.

[131]       De plus, Pharmascience fait valoir que la personne versée dans l’art pouvait fabriquer un comprimé sublingual en suivant les enseignements du brevet 725 et en réduisant simplement la taille des comprimés citée dans les exemples afin de les rendre acceptables aux fins de libération sublinguale. Les pourcentages d’excipient sont comparables dans les brevets 725 et 988 et compris dans les limites généralement recommandées en cette matière.

[132]       Les demanderesses soutiennent que le brevet 725 ne divulgue pas et ne permet pas de réaliser la revendication 1 ni aucune des revendications dépendantes. D’après elles, ni l’administration sublinguale ni la bio/mucoadhésion, deux éléments essentiels de la revendication 1, ne sont enseignées ni rendues possibles :

  1. quoique les formulations qu’il enseigne incluent Ac-Di-Sol, le brevet 725 ne divulgue pas et ne permet pas de réaliser les formulations bio/mucoadhésives – Ac‑Di-Sol n’est divulgué qu’à titre d’agent désagrégeant;
  2. Ac-Di-Sol n’est pas divulgué à titre d’agent sublingual favorisant la bio/mucoadhésion; en fait, l’administration sublinguale n’est pas divulguée;
  3. quoique la classe des « benzodiazépines » soit mentionnée dans le brevet 725, et que le lorazépam ‒ qui en fait partie ‒ ait été administré par voie sublinguale en 1998, les experts de Pharmascience ont convenu ou concédé lors du contre-interrogatoire que le lorazépam avait été choisi avec le bénéfice du recul et que son administration sublinguale était réservée à une indication précise.

[133]       Enfin, les demanderesses font remarquer que M. Davé n’a pas retenu le brevet 725 lorsqu’il a choisi parmi les documents de l’annexe B les antériorités susceptibles d’expliquer la teneur du brevet 988.

[134]       Après avoir examiné la preuve présentée par les experts, et examiné et interprété le brevet 725 (le seul document invoqué comme antériorité), je conviens avec les demanderesses que ce brevet ne divulguait pas à la personne versée dans l’art le moyen de réaliser, à la date pertinente, une formulation administrée par voie sublinguale et constituée d’un mélange ordonné dans lequel Ac-Di-Sol agit comme bio/mucoadhésif, ou incluant tout autre bio/mucoadhésif; par conséquent, ni la revendication 1 ni aucune des autres revendications dépendantes du brevet 988 ne sont anticipées par le brevet 725.

[135]       L’usage du procédé de mélange à sec pour obtenir des mélanges ordonnés essentiellement dépourvus d’eau, en se servant d’Ac-Di-Sol comme agent pharmaceutique désagrégeant, ou « explosif », est contraire à l’intuition d’utiliser le même agent comme bioadhésif, qui est un élément essentiel des revendications du brevet 988.

[136]       Cependant, en interprétant le brevet 725 de cette manière, les demanderesses se heurtent au problème de la non-contrefaçon par le produit de Pharmascience, que nous aborderons plus loin.

IX.             Évidence

[137]       L’évidence est établie à l’aide d’une analyse en quatre volets : (i) identifier la personne versée dans l’art et déterminer ses connaissances générales courantes; (ii) définir l’idée originale de la revendication en cause ou l’interpréter; (iii) recenser les différences entre l’état de la technique et l’idée originale; (iv) déterminer si, abstraction faite de toute connaissance de l’invention revendiquée, ces différences auraient été évidentes pour la personne versée dans l’art ou si elles dénotent quelque inventivité (Sanofi, au paragraphe 67).

[138]       L’évidence est un critère difficile à remplir. Il faut démontrer que la personne versée dans l’art serait parvenue directement et sans aucune difficulté à l’invention, et il est important de garder à l’esprit qu’une analyse rétrospective est toujours infaillible (Uponor AB c Heatlink Group, 2016 CF 320, aux paragraphes 227 et 228 [Uponor]; Sanofi-Aventis Canada Inc. c Apotex Inc., 2009 CF 676, au paragraphe 267, conf. par 2011 CAF 300; Zero Spill Systems (Int'l) Inc. c 614248 Alberta Ltd. (Lea-Der Coatings), 2015 CAF 115, aux paragraphes 81 à 83 et 84 à 94; Bridgeview Mfg c 931409 Alberta Ltd, 2010 CAF 188, au paragraphe 51 [Bridgeview]).

[139]       La simplicité n’exclut pas l’invention (Janssen-Ortho Inc. c Novopharm, 2006 CF 1234, au paragraphe 113 [Janssen], conf. par 2007 CAF 217 [Janssen CAF]). Du moment qu’il est établi qu’un technicien versé dans l’art n’aurait pas pu lui-même concevoir ce qui a été conçu, il importe peu de savoir après coup si cela était facile ou ardu (Diversified Products Corp. c Tye-Sil Corp (1991), 35 CPR (3d) 350, à la page 370 (CAF); Merck & Co. Inc. c Apotex Inc., 2005 CF 755).

[140]       J’ai conclu, et les parties en ont convenu d’une manière générale, que l’idée originale de la revendication 1 du brevet 988 est une combinaison en trois volets (i) d’un mélange ordonné de microparticules de PA et de particules porteuses hydrosolubles, (ii) auquel est intégré un agent bio/mucoadhésif en vue d’(iii) une administration sublinguale. Une idée originale analogue est reconnue dans l’AA :

L’« idée originale » apparente est une combinaison d’un mélange ordonné de particules micronisées d’un principe actif incluant l’oxazépam et le zolpidem logées sur des particules porteuses hydrosolubles, et d’un agent bio/mucoadhésif en vue de la fabrication d’un comprimé sublingual.

[141]       Les demanderesses font valoir que la combinaison des trois aspects de l’idée originale – (i) un mélange ordonné et (ii) un agent favorisant la bio/mucoadhésion dans (iii) une formulation sublinguale – était contre-intuitive.

[142]       Les demanderesses soutiennent en outre que le fait que les experts de Pharmascience aient besoin de tant d’antériorités pour bricoler une contestation fondée sur l’évidence témoigne au fond de l’ingéniosité de l’invention revendiquée. Tous ces documents, à l’exception de quelques-uns, ont d’ailleurs été fournis par les avocats et renvoyaient la Cour à la décision Uponor, précitée, au paragraphe 203 : [traduction« [o]n s’attend à ce que les experts effectuent leurs propres recherches dans les antériorités et qu’ils ne s’appuient pas simplement sur les documents fournis par les avocats ». Les demanderesses font valoir que sans le bénéfice du recul, la personne versée dans l’art en 1998 n’aurait pas compilé la liste d’antériorités sur laquelle repose l’allégation d’évidence contenue dans l’AA.

[143]       Enfin, les demanderesses avancent que l’AA et les déposants de Pharmascience ne mentionnent qu’une poignée de médicaments sublinguaux parmi des catégories de médicaments encore plus restreintes, et que les usages dominants en 1998 invitaient à se détourner de l’idée originale du brevet 988. La majorité des médicaments cités étaient d’ailleurs administrés par des voies conventionnelles. M. Sinko, qui a pratiqué pendant des années comme pharmacien, a déclaré que la nitroglycérine était l’un des rares médicaments sublinguaux qu’il ait jamais dispensés. Pour sa part, M. Smart ne connaissait aucun médicament moderne offert sur le marché qui fasse appel à la technologie des mélanges ordonnés. Par conséquent, le recours à de tels mélanges pour créer des formulations à administrer par voie sublinguale était inconnu en 1998.

[144]       Pharmascience fait valoir que l’idée originale du brevet 988 était connue :

  1. il était établi que les formulations sublinguales de mélanges ordonnés contenant un principe actif plus petit logé sur de plus grandes particules porteuses solubles permettaient une libération rapide, et des médicaments mis au point à l’aide de cette méthode de formulation étaient connus depuis de nombreuses années – par exemple, les comprimés de nitroglycérine;
  2. les mélanges ordonnés étaient connus, et il était notoire que leur dissolution et leur libération étaient rapides (le brevet 725);
  3. les mélanges ordonnés composés de molécules porteuses hydrosolubles étaient connus (le brevet 725);
  4. il était établi que les substances bio/mucoadhésives assuraient la bio/mucoadhésion et pouvaient être employées pour tenter de limiter la déglutition.

[145]       À ce titre, Pharmascience fait valoir qu’il n’existe aucune différence entre l’idée originale et l’art antérieur. Par ailleurs, il aurait été routinier pour la personne versée dans l’art de réduire la taille du produit visé par le brevet 725, et elle serait ainsi parvenue à la solution enseignée par l’invention 988.

[146]       Durant le contre-interrogatoire, MM. Allen et Sinko ont reconnu que les inventeurs du brevet 988 n’avaient pas inventé le zolpidem ou son utilisation dans le traitement de l’insomnie, les mélanges ordonnés, les microparticules de médicament adhérant à la surface de particules porteuses, les substances bioadhésives ou les formulations sublinguales.

[147]       Les experts des demanderesses ont également reconnu que si la personne versée dans l’art avait été priée de fabriquer un comprimé sublingual adhérant à la muqueuse, elle aurait été en mesure de le faire à l’époque pertinente. Enfin, il n’est pas contesté qu’il n’y avait rien d’original à utiliser des excipients courants, dans des quantités standard, à des fins connues.

[148]       L’avocate de Pharmascience a soutenu que la combinaison particulière de la formulation revendiquée faisait appel à des expériences de routine et qu’il était évident que la formulation fonctionnerait, compte tenu du nombre limité d’options qui menaient à la réalisation de l’invention à l’époque pertinente – les exemples cités dans le brevet 988 attestent eux-mêmes que des expériences de routine ont eu lieu.

[149]       La véritable question que doit trancher la Cour est de savoir si la formulation 988 revendiquée, fondée sur l’utilisation combinée d’un bio/mucoadhésif et d’autres particules constituantes en vue d’une administration sublinguale, aurait été évidente même si elle n’a pas été expressément divulguée dans un seul document, compte tenu du brevet 725, des connaissances générales courantes et d’autres articles concernant l’utilisation de bio/mucoadhésifs.

[150]       Il est important de garder à l’esprit que l’évidence signifie que même s’il est possible que l’invention revendiquée n’ait pas été connue, elle reste non brevetable parce qu’il est vraisemblable que la personne versée dans l’art y serait parvenue (décision Janssen, précitée). Il faut également prendre en considération deux des huit facteurs de l’analyse relative à l’évidence examinés par la Cour d’appel fédérale lorsqu’elle a confirmé la décision Janssen (Janssen CAF, au paragraphe 25) :

  1. le climat qui régnait dans le domaine en question à l’époque de l’invention présumée;
  2. la motivation qui incitait alors à résoudre un problème notoire.

[151]       Les demanderesses ont invoqué la déposition de l’expert de Pharmascience, M. Smart, qui a reconnu en contre-interrogatoire avoir écrit dans son article de synthèse de 2004 intitulé « Recent Developments in the Use of Bioadhesive Systems for Delivery of Drugs to the Oral Cavity » [Développements récents dans l’utilisation de systèmes bioadhésifs en vue de la libération de médicaments dans la cavité buccale], que l’invention 988 représentait [traduction« une approche inhabituelle » et était [traduction« très différente de toutes les formulations qu[’il] avai[t] lues. [Il a] donc estimé qu’elle valait la peine d’être signalée […] elle ne ressemblait à rien de ce qu[’il] avai[t] examiné ».

[152]       Les demanderesses ont souligné que de nombreux documents relatifs à l’art antérieur produits par Pharmascience invitaient à se détourner de l’administration sublinguale. Par ailleurs, le recours aux agents bio/mucoadhésifs concernait principalement les formulations à libération retardée dans lesquelles l’intégralité de la forme pharmaceutique adhérait à la muqueuse et se désintégrait lentement. Dès lors, il est évident que la question de savoir si l’on pouvait fabriquer une forme pharmaceutique sublinguale à dissolution rapide avec un agent bio/mucoadhésif ne se posait pas dans le domaine, et que les connaissances générales courantes auraient probablement amené la personne versée dans l’art à se détourner de l’invention.

[153]       Par conséquent, la combinaison d’un mélange ordonné et d’un agent favorisant la bio/mucoadhésion dans une forme pharmaceutique sublinguale était contre-intuitive.

[154]       Compte tenu de l’ensemble de la preuve présentée, je conclus, selon la prépondérance des probabilités, que la composition pharmaceutique de la revendication 1 n’est pas évidente et cette allégation n’est pas justifiée. L’analyse rétrospective de la revendication 1 de la formulation 988 avancée par Pharmascience n’est pas convaincante.

X.                Portée excessive des revendications

[155]       Une revendication a une portée excessive si elle vise davantage que l’invention réalisée ou divulguée (Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning c Canada (Commissioner of Patents), 1965 CarswellNat 34, au par. 34 (C. de l’É.); Leithiser c Pengo Hydra-Pull of Canada, Ltd, [1974] 2 CF 954, aux paragraphes 21 et 23 à 27 (CAF); Pfizer Canada Inc. c Pharmascience Inc., 2013 CF 120, aux paragraphes 84, 85 et 91 à 93).

[156]       Pour déterminer la portée de la propriété exclusive et du privilège revendiqué, il faut se reporter à l’ensemble du mémoire descriptif (Consolboard Inc. c MacMillan Bloedel (Sask) Ltd, [1981] 1 RCS 504, à la page 520). De plus, les revendications doivent être interprétées de manière téléologique, en cherchant à savoir ce que les inventeurs avaient en tête (Biovail Pharmaceuticals c Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), 2005 CF 9, aux paragraphes 57 à 59).

[157]       Les demanderesses affirment que la personne versée dans l’art qui a pris connaissance du mémoire descriptif du brevet 988 lirait les revendications avec un esprit désireux de comprendre, de telle sorte que même si la revendication 1 et les revendications dépendantes ne comportent pas les restrictions suivant lesquelles les formulations 988

  1. comportent un agent bio/mucoadhésif positionné sur la surface de particules porteuses (absente de la revendication 1),
  2. sont essentiellement dépourvues d’eau,

il n’y a malgré tout pas lieu de conclure que ces revendications ont une portée excessive.

[158]       Cela étant, il est admis qu’il est important que les formulations soient exemptes d’eau afin que la composition ait des propriétés bio/mucoadhésives et une capacité de gonflement maximales, et que [traduction« pour que la composition pharmaceutique fonctionne adéquatement à l’ajout d’un agent favorisant la bio/mucoadhésion, celui-ci doit être placé à la surface des particules porteuses ». Ces deux restrictions sont évoquées dans la divulgation du brevet 988.

[159]       Aux lignes 22 à 25 de la page 10, le brevet 988 enseigne ce qui suit :

[traduction] Les mélanges ordonnés préparés conformément à la présente invention peuvent être incorporés dans différents types de préparations pharmaceutiques destinées à une administration sublinguale. Sans égard à la forme de la préparation, il est important qu’elle soit essentiellement dépourvue d’eau, étant donné que sa capacité à favoriser la bio/mucoadhésion résulte de son hydratation pratiquement instantanée au contact de l’eau ou de la salive.

[160]       De plus, aux lignes 9 à 12 de la page 8, le brevet 988 prévoit :

[traduction] Pour que la composition pharmaceutique de l’invention fonctionne adéquatement à l’ajout d’un agent favorisant la bio/mucoadhésion, celui-ci doit être placé à la surface des particules porteuses […] Dans une réalisation privilégiée de l’invention, un agent favorisant la bio/mucoadhésion composé de particules fines serait mélangé avec les grosses molécules porteuses pendant une durée suffisante pour produire un mélange ordonné, et la fonction des particules plus fines serait d’agir comme des particules primaires distinctes qui adhèrent à la surface des particules porteuses.

[161]       La véritable question que la Cour doit trancher est donc de savoir si l’omission de l’une des restrictions – [traduction« essentiellement dépourvue d’eau » ou « l’agent bio/mucoadhésif doit être placé à la surface des produits porteurs » – rend la ou les revendications trop générales et invalides.

[162]       Les demanderesses affirment que les revendications n’ont pas une portée excessive : les deux restrictions censées faire défaut sont des éléments directeurs propres au brevet 988, et la personne versée dans l’art prendrait connaissance de ces caractéristiques en lisant chacune des revendications avec un esprit désireux de comprendre.

[163]       Pharmascience soutient que parce qu’aucune revendication ne mentionne de restriction explicite concernant l’eau, les revendications ‒ contrairement au mémoire descriptif ‒ viseraient aussi des formulations et excipients contenant de l’eau. On invoque toutefois l’aveu de M. Sinko selon lequel la composition de la revendication 1 du brevet 988 doit essentiellement être dépourvue d’eau et fait remarquer que :

  1. la divulgation du brevet précise que cette caractéristique est importante;
  2. tous les exemples sont réalisés sans eau;
  3. aucun exemple ne concerne des comprimés fabriqués [caviardé].

[164]       Les demanderesses font valoir que certains éléments indicateurs dans le mémoire descriptif du brevet permettent à la personne versée dans l’art, ayant un esprit désireux de comprendre, de saisir qu’il faut exclure l’eau du procédé de fabrication de la formulation 988.

[165]       Quant à l’omission concernant l’emplacement de l’agent favorisant la bio/mucoadhésion, comme cette restriction ne se trouve pas dans la revendication 1, Pharmascience fait valoir que celle-ci a une portée excessive.

[166]       Les revendications 2 à 22 évoquent cependant cette restriction, de sorte que toutes ces revendications, qui dépendent de la revendication 2 ou de quelque revendication suivante, ne sont pas contestables sur ce point – seules la revendication 1 et les revendications qui en dépendent pourraient être frappées d’invalidité pour ce motif.

[167]       Les demanderesses font valoir que, de même qu’une interprétation téléologique des revendications implique l’exclusion de l’eau, pareille interprétation amènerait aussi la personne versée dans l’art à comprendre que l’excipient bio/mucoadhésif doit être placé à l’extérieur des particules.

[168]       Je conviens que la personne versée dans l’art désireuse de comprendre qui lit la revendication 1 à la lumière de l’ensemble du mémoire descriptif saurait que la formulation doit être essentiellement dépourvue d’eau pour fonctionner. Cependant, comme la restriction concernant l’adhésion de l’agent bio/mucoadhésif à la surface des particules porteuses figure dans les revendications 2 et suivantes, la présomption contre la redondance empêche de la déduire implicitement de la revendication 1 (voir les Règles sur les brevets, DORS/96-423, à l’article 87; Bridgeview, au paragraphe 27; Eli Lilly, aux paragraphes 90 et 122). Comme cette restriction est une caractéristique essentielle de l’invention et qu’elle est nécessaire à son fonctionnement, la portée de la revendication 1 est plus large que celle de l’invention réalisée ou divulguée.

XI.             Utilité

[169]       Il est établi en droit que l’utilité doit être évaluée une revendication à la fois : Astrazeneca Canada Inc. c Apotex Inc., 2015 CF 158, au paragraphe 4 [Astrazeneca 2015].

[170]       La question importante à trancher est de savoir si l’utilité de l’invention peut être démontrée ou valablement prédite sur la base des renseignements et de l’expertise disponibles à la date de dépôt (Apotex Inc. c Wellcome Foundation Ltd, 2002 CSC 77, au paragraphe 56; Teva Canada Ltd c Pfizer Canada Inc., 2012 CSC 60, au paragraphe 39 [Teva]). Autrement dit, la personne versée dans l’art pourrait-elle faire fonctionner l’invention en appliquant « des connaissances de base ou [en procédant] à des essais courants »? (décision Astrazeneca 2015, précitée, au paragraphe 281).

[171]       De plus, l’inventeur ne sera lié par une promesse que si le brevet promet explicitement et sans aucune ambiguïté un résultat précis (Sanofi-Aventis c Apotex Inc., 2013 CAF 186, aux paragraphes 48 à 49; Astrazeneca 2015, au paragraphe 4).

[172]       Après interprétation, la question est de savoir si l’utilité a été démontrée ou valablement prédite à la date canadienne de dépôt, soit le 24 septembre 1999 (Teva, au paragraphe 39).

[173]       Pharmascience affirme que, comme la bio/mucoadhésion fait partie de l’invention 988, elle relève de l’utilité, et comme le seul exemple dans le brevet censé démontrer la bio/mucoadhésion (c.-à-d. l’exemple 4) échoue apparemment à cet égard, le brevet est invalide pour cause d’inutilité.

[174]       Pharmascience allègue que l’exemple 4 ne démontre pas les propriétés bio/mucoadhésives des formulations revendiquées en ce qu’il :

  1. ne suit pas la méthode exposée dans l’article de revue auquel il renvoie – c’est-à-dire que dans l’article Sala, le nombre de particules a été compté pour déterminer combien d’entre elles avaient adhéré;
  2. ne se base pas sur les conditions de la cavité buccale et se sert du mauvais tissu – tissu intestinal plutôt que de la muqueuse buccale (une critique formulée par les experts des demanderesses lorsqu’ils ont examiné les antériorités);
  3. n’effectue pas d’essai témoin avec des comprimés identiques avec et sans agent bio/mucoadhésif – la formulation du comprimé « comparateur » est différente de celle du comprimé cité en exemple;
  4. ne permet pas à la personne versée dans l’art de déterminer s’il existe une différence réelle entre les comprimés puisque leur nombre exact n’est pas fourni – p. ex., > 95 % de fentanyl supprimé (essai non effectué avec le zolpidem), et qu’il n’inclut pas d’analyse statistique ni de données sur l’écart-type;
  5. n’exclut pas d’autres explications pour les chiffres fournis – p. ex., il est possible que le médicament et les excipients se lient les uns aux autres, ou que la couche de gel de l’agent bio/mucoadhésif réduise l’écoulement d’eau vers le principe actif (même s’il ne colle pas à l’échantillon de tissu).

[175]       De plus, pour établir l’utilité, M. Smart attendait des preuves scientifiques : preuves que les formulations étaient supérieures à celles qui existaient déjà, ce qui inclut des données comparatives et des analyses statistiques (soit le type de données nécessaires pour obtenir une approbation réglementaire, mais dépassant le seuil requis pour montrer l’utilité dans les brevets).

[176]       Les demanderesses avancent que même si la bio/mucoadhésion est décrite comme l’un des moyens par lesquels s’accomplit la promesse de libération, d’absorption et finalement de soulagement rapides du trouble aigu de l’insomnie, le brevet ne prescrit pas de concentration ou de durée de bio/mucoadhésion particulière ni de prévention totale de la déglutition. Seule une bio/mucoadhésion suffisante est requise pour obtenir la libération et l’absorption rapides promises.

[177]       Je conviens avec les demanderesses que la promesse est démontrée et valablement prédite.

[178]       La personne versée dans l’art comprendrait que la promesse a été démontrée par les renseignements présentés aux exemples 3 et 4. L’exemple 3 fournit des données sur l’absorption rapide, et démontre que l’invention entraînera des concentrations sanguines maximales du PA en cinq minutes. L’exemple 4 présente des données concernant la propension des formulations à faire adhérer le PA au site d’absorption et à l’y maintenir, par comparaison avec les comprimés conventionnels. Les formulations enseignées à l’exemple 4 étaient associées à une rétention sur le tissu supérieure de plus de 45 % à celle de la formulation témoin.

[179]       De plus, M. Fassihi a convenu en contre-interrogatoire que l’exemple 4 faisait état d’une suppression du médicament inférieure d’au moins 46 %. M. Smart a reconnu qu’il était possible de recourir à de nombreux systèmes d’essai, et que même si les expériences sur les forces de séparation conviennent pour évaluer les polymères et lui paraissent préférables, un certain degré d’artificialité est inhérent à tous ces essais. L’article Sala, sur lequel repose l’exemple 4, décrit une méthode de mise à l’essai des formulations et explique que [traduction« des méthodes déjà publiées sont plus indiquées pour évaluer les substances polymériques ». Par conséquent, il est évident qu’il existe plusieurs méthodes d’évaluation de la bio/mucoadhésion.

[180]       Par ailleurs, je conviens avec les demanderesses que si l’utilité n’est pas réellement démontrée, les exemples 3 et 4, pris conjointement avec les connaissances générales courantes, prédisent valablement l’utilité requise de l’invention 988.

[181]       Enfin, MM. Smart et Fassihi ont déclaré que les revendications manquaient d’utilité, car la liste des ingrédients bio/mucoadhésifs du mémoire descriptif comprend la cellulose microcristalline, qui n’est pas bio/mucoadhésive. Les demanderesses font valoir que les revendications renvoient à des [traduction« agents favorisant la bio/mucoadhésion », et se limitent aux composés qui remplissent effectivement cette fonction. Bien que la mention de la cellulose microcristalline soit une erreur de description, la personne versée dans l’art désireuse de comprendre saurait, à l’aide d’une interprétation téléologique et des connaissances générales courantes de l’époque pertinente, qu’il fallait écarter cet ingrédient.

[182]       Par conséquent, je conclus que la contestation fondée sur l’inutilité n’est pas justifiée.

XII.          Contrefaçon

[183]       Comme je l’ai déjà indiqué, il incombe aux demanderesses de prouver la contrefaçon du brevet 988.

[184]       Il est établi en droit que « le titulaire d’un brevet dispose d’un recours contre tout contrefacteur éventuel qui, sans s’approprier littéralement l’invention, s’approprie néanmoins l’essentiel de celle-ci » (Free World Trust, précité, au paragraphe 28). Cela étant, il est tout aussi établi que la Cour doit se garder d’interpréter les revendications du brevet si largement qu’elle en vient à conférer au breveté le bénéfice d’inventions qui n’ont pas en fait été réalisées. Dans l’arrêt Free World Trust, au paragraphe 30, le juge Binnie énumère six propositions à prendre en compte pour s’assurer que l’interprétation des revendications aboutit à un résultat équitable et prévisible lorsqu’il s’agit de déterminer s’il y a eu contrefaçon :

  1. La Loi sur les brevets favorise le respect de la teneur des revendications.
  2. Le respect de la teneur des revendications favorise à son tour tant l’équité que la prévisibilité.
  3. La teneur d’une revendication doit toutefois être interprétée de façon éclairée et en fonction de l’objet.
  4. Ainsi interprétée, la teneur des revendications définit le monopole. On ne peut s’en remettre à des notions imprécises comme « l’esprit de l’invention » pour en accroître l’étendue.
  5. Suivant une interprétation téléologique, il ressort de la teneur des revendications que certains éléments de l’invention sont essentiels, alors que d’autres ne le sont pas. Les éléments essentiels et les éléments non essentiels sont déterminés :

a.       en fonction des connaissances usuelles d’un travailleur versé dans l’art dont relève l’invention;

b.      à la date à laquelle le brevet est publié;

c.       selon qu’il était ou non manifeste, pour un lecteur averti, au moment où le brevet a été publié, que l’emploi d’une variante d’un composant donné ne modifierait pas le fonctionnement de l’invention, ou

d.      conformément à l’intention de l’inventeur, expresse ou inférée des revendications, qu’un composant en particulier soit essentiel, peu importe son effet en pratique;

e.       mais indépendamment de toute preuve extrinsèque de l’intention de l’inventeur.

  1. Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis.

[185]       La Cour a donc pour tâche d’interpréter téléologiquement les revendications du brevet de manière à définir la portée du monopole du titulaire du brevet, et à déterminer ensuite si le prétendu produit contrefait tombe sous le coup de ces revendications (Mobil Oil Corp c Hercules Canada Inc. (1995), 63 CPR (3d) 473, à la page 489; Free World Trust, aux paragraphes 48 et 49).

[186]       Les demanderesses font valoir que les revendications 1 à 10 et 13 à 22 du brevet 988 sont contrefaites par le produit de Pharmascience et estiment que les comprimés PMS‑Zolpidem sont :

  1. une composition pharmaceutique destinée à traiter l’insomnie par l’administration d’un médicament sublingual;
  2. contenant le PA zolpidem [caviardé];
  3. [caviardé];
  4. [caviardé];
    1. [caviardé];
    2. [caviardé].

[187]       Pharmascience fait valoir que la formulation des comprimés PMS-Zolpidem ne contient ni mélange ordonné ni bio/mucoadhésif et qu’elle ne contrefait donc pas le brevet 988.

[188]       Les demanderesses reconnaissent que la formulation des comprimés PMS-Zolpidem de Pharmascience fabriqués par [caviardé], ce qui est différent des méthodes usuelles de fabrication des mélanges ordonnés.

[189]       Durant l’audience, j’ai questionné les parties sur le degré d’ordre nécessaire dans le mélange pour respecter la restriction indiquée dans les revendications en question. La preuve d’expert était peu concluante et, au mieux, vague sur ce point.

[190]       [Caviardé] manquait de spécificité, de mesures de contrôle et de données de référence suffisantes pour être probant ou fiable.

[191]       L’incapacité des experts des demanderesses d’interpréter raisonnablement l’expression « mélange ordonné » n’a pas non plus aidé.

[192]       Cependant, la preuve confirme que [caviardé], encore moins un mélange présentant un degré d’ordre très élevé, c’est-à-dire qu’aucune preuve convaincante n’a été produite pour établir que [caviardé] le moindre degré d’ordre.

[193]       Je conviens avec Pharmascience qu’aucun article ni brevet invoqué dans l’AA ou dans les affidavits d’expert des demanderesses ne rapporte un mélange ordonné résultant [caviardé].

[194]       De plus, comme j’y ai fait allusion plus tôt quand j’ai conclu qu’il n’y avait pas d’antériorité au regard du brevet 725, je conclus également que la formulation des comprimés PMS‑Zolpidem [caviardé]. Rien n’indique que [caviardé] dans la formulation des comprimés PMS-Zolpidem entraîne des effets autres que ceux décrits dans le Handbook of Pharmaceutical Excipients et les articles de revues invoqués par les experts – [caviardé].

[195]       Par conséquent, l’allégation de non-contrefaçon formulée par Pharmascience est justifiée.

XIII.       Le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette

[196]       Comme j’ai conclu que l’allégation de contrefaçon des demanderesses n’était pas justifiée, il n’est pas nécessaire que j’examine le moyen de défense fondé sur l’arrêt Gillette.

XIV.       Conclusion

[197]       En conclusion, les affidavits de MM. Fassihi et Davé ne sont pas radiés, et la preuve contenue à l’annexe A n’est pas entachée d’irrégularité. Les allégations de Pharmascience d’antériorité, d’évidence et d’inutilité ne sont pas justifiées. Celle qui a trait à la portée excessive est justifiée à l’égard de la revendication 1, mais ne l’est pas autrement. L’allégation de non-contrefaçon de Pharmascience est justifiée.

[198]       Par conséquent, la demande est rejetée.

XV.          Dépens

[199]       Les dépens suivront l’issue de la cause et devront être taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B. Pharmascience a également droit au paiement de ses débours raisonnables et des taxes applicables. Si elles ne parviennent pas à s’entendre sur les dépens, les parties peuvent soumettre à la Cour des observations dans un délai de deux semaines suivant la date du présent jugement.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que

1.                  La demande relative au brevet canadien 2 629 988 est rejetée;

2.                  Les affidavits de MM. Fassihi et Davé ne sont pas radiés;

3.                  La preuve contenue à l’annexe A n’est pas entachée d’irrégularité;

4.                  Les allégations de Pharmascience d’antériorité, d’évidence et d’inutilité ne sont pas justifiées;

5.                  L’allégation de Pharmascience suivant laquelle la revendication 1 a une portée excessive est justifiée;

6.                  L’allégation de Pharmascience suivant laquelle les revendications 2 à 22 ont une portée excessive n’est pas justifiée;

7.                  L’allégation de non-contrefaçon de Pharmascience est justifiée;

8.                  Pharmascience a droit à ses dépens liés à la demande, taxés selon le milieu de la fourchette prévue à la colonne IV du tarif B. Si elles ne parviennent pas à s’entendre sur le montant des dépens, les parties soumettront des observations écrites concises à ce sujet, ne dépassant pas 5 pages, au plus tard 14 jours après la date du présent jugement;

9.                  L’ordonnance conservatoire de la protonotaire Martha Milczynski, datée du 31 mars 2015, est maintenue. Si le ministre de la Santé lui délivre un AC à l’égard des comprimés PMS-Zolpidem, Pharmascience avisera la Cour dans les 48 heures de la délivrance de l’AC en question afin de faciliter la modification de la version publique du jugement et des motifs par l’élimination des caviardages relatifs au contenu des comprimés PMS-Zolpidem.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo, LL.B.

 


Annexe A – Preuve guet-apens

Tableau 1 : Preuve concernant des documents non décrits dans l’AA

Document guet-apens

Affidavit Fassihi

Affidavit Davé

Affidavit Smart

Hersey, 1974 (AA no6)

134-36

44-45

108

Ampolsuk, 1974 (AA no7)

-

46

-

Ishida, 1981 (AA no27)

181

-

117

Ishida, 1982 (AA no32)

181

-

117

US 163 (AAno28)

186-87

-

-

US 314 (AA no29)

169-71, 203

-

-

US 198 (AA no37)

169-71, 203

-

-

Egermann, 1983 (AAno35)

150-51

-

-

EP 944 (AA no38)

95(b)

-

-

Smart, 1984 (AA no43)

184-85

-

120

US 365 (AA no71)

190-93

-

63, 127

US 386 (AA no74)

-

-

128-29

US 616 (AA no75)

-

-

130

Sala, 1989 (AA no82)

74 (lignes 6-11)

-

-

US 142 (AA no 87)

-

-

133

US 093 (AA no91)

-

-

135-37

US 092 (AA no92)

-

-

135-37

CA 277 (AA no94)

-

-

135-37

CA 471 (AA no101)

-

-

141

US 910 (AA no103)

-

-

143-45

Lehr, 1992 (AA no105)

-

-

143-45

Westerberg, 1993 (AA no121)

-

69-75

-

Bolhuis, 1997 (AA no156)

-

69-75

-

US 498 (AA no135)

-

-

149-50

US 086 (AA no136)

-

-

149-50

Mort, 1995 (AA no140)

-

-

152

US 861 (AA no150)

-

-

155

WO 067 (AA no159)

-

-

159

AU 373 (AA no176)

-

-

163-65

WO 213 (AA no180)

-

-

163-65

US 541 (AA no181)

-

-

163-65


Tableau 2 : Propositions contestées

Description dans l’AA

Affidavit Davé

Affidavit Smart

Bryan, 1979 (AA no 17)

134. Cette publication décrit la préparation de mélanges ordonnés du médicament salicylate de sodium sous forme micronisée, et de substances porteuses composées de granules d’amidon-lactose dont la fraction granulométrique est comprise entre 400 et 700 μm.

135. Cet article est un autre exemple de divulgation de mélanges ordonnés d’un médicament micronisé placé sur une substance porteuse soluble de moins de 750 microns.

Cet article a examiné l’effet de la concentration du médicament sur les mélanges ordonnés. Les auteurs ont conclu que le salicylate de sodium à 1 % produisait un mélange satisfaisant, mais que les profils de mélange de concentrations de 5 % à 10 % du médicament révélaient des coefficients de variation élevés. Ces quantités dépassaient la concentration de saturation. Dans le mélange à 10 %, le salicylate de sodium excédentaire était présent sous forme d’agrégats.

52. Les auteurs concluent que le choix de la concentration du médicament est un facteur important pour assurer l’homogénéité des mélanges ordonnés de médicaments et la compression directe des excipients à des intervalles de répartition granulométrique donnés

112. La personne versée dans l’art apprendrait dans cet article que les mélanges aléatoires de poudres peuvent se séparer, ce qui est vrai des mélanges ordonnés, mais dans une moindre mesure. Cependant, si la poudre fine est ajoutée en trop grande quantité à un mélange ordonné pour saturer les sites de liaison de surface de la molécule porteuse, cet effet peut être perdu.

EP 243 (AA no 54)

293. Cette demande de brevet vise une composition analgésique sous forme parentérale ou sublinguale comprenant une dose active de buprénorphine et une certaine quantité de naloxone (p. 5).

294. Des compositions sous forme de comprimés sublinguaux sont présentées comme contenant des excipients ou des mélanges d’excipients solubles, des agents de granulation et de désintégration tels que l’amidon, des agents liants comme la povidone ou l’hydroxypropylméthyl cellulose, et des agents lubrifiants tels que le stéarate de magnésium (p. 8).

295. Les comprimés sublinguaux de l’exemple 4 de la demande de brevet sont présentés comme ayant été produits par le triage de toutes les molécules (principe actif, mannitol, amidon de maïs et povidone), à l’exception du stéarate de magnésium, à travers un tamis de 750 μm, et leur mélange suivi d’une granulation aqueuse. Les granules obtenues sont criblées dans un tamis de 750 μm, mélangées avec du stéarate de magnésium (précriblé dans un tamis de 500 μm) et transformées en comprimés (p. 10).

296. Cette demande de brevet divulgue des comprimés sublinguaux qui contiennent du HPMC, un agent bioadhésif, et un excipient soluble, le mannitol.

[Blank/En blanc]

124. Cette demande de brevet enseignerait à la personne versée dans l’art que des concentrations sanguines adéquates de médicament peuvent être rapidement obtenues par l’administration sublinguale d’une formulation à dissolution rapide comprenant des excipients hydrosolubles […]

Miyazaki, 1994 (AA no 128)

473. Cette publication décrit une recherche concernant l’utilisation de l’alginate de sodium et du chitosane comme excipients bioadhésifs en vue de la préparation de formes pharmaceutiques adhérant à la muqueuse buccale. Les auteurs notent que l’une des propriétés de l’alginate est de permettre une bioadhésion importante à la membrane muqueuse. Des comprimés contenant le médicament kétoprofène et différents ratios d’alginate de sodium et de chitosane (4:1, 1:1 et 1:4) ont été préparés en comprimant le mélange de poudre sèche. Les propriétés bioadhésives des comprimés ont été examinées in vitro en mesurant la force d’adhésion à la membrane péritonéale de rats; il a été établi que les propriétés bioadhésives augmentaient avec la teneur en alginate de sodium, ce qui atteste les puissantes propriétés bioadhésives de ce composé. L’effet du contenu en alginate de sodium sur la vitesse de libération du médicament à partir des comprimés a été déterminé en mesurant la dissolution d’après l’essai de dissolution décrit dans la pharmacopée japonaise (XII).

474 Les données de dissolution rapportées montrent que la vitesse augmentait avec la teneur en alginate de sodium. Les auteurs ont conclu que [traduction« le polymère hydrophile d’alginate de sodium, présent dans tout le comprimé, hydrate, gonfle et dissout rapidement le médicament, ce qui permet sa libération rapide ».

475. Les propriétés in vivo des comprimés ont été examinées en en insérant un sous la langue de lapins et en mesurant les concentrations plasmatiques de kétoprofène. Il a été signalé que la forme pharmaceutique adhérait étroitement à la muqueuse et qu’elle avait gonflé graduellement jusqu’à l’état gélifié. Les profils de concentration plasmatique révélaient une absorption rapide et une SSC augmentant avec la teneur des comprimés en alginate de sodium.

476. Cet article divulgue l’utilisation de l’alginate de sodium, un agent bio/mucoadhésif qui adhère à la muqueuse et entraîne le gonflement et la dissolution du médicament, ce qui permet sa libération rapide.

[Blank/En blanc]

148 […] Le chitosane est une polyglucosamine chargée positivement et l’alginate possède une charge négative, si bien que ces deux composés interagissent et forment des complexes, ce qui réduit leurs propriétés bioadhésives […]


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-200-15

INTITULÉ :

MEDA AB ET AL c LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET AUTRE

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LES 7 ET 8 novembre 2016

MOTIFS PUBLICS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LE JUGE MANSON

DATE DES MOTIFS :

LE 9 DÉCEMBRE 2016

COMPARUTIONS :

Andrew Skodyn

Melanie Baird

Jamie Holtom

pour les demanderesses

Carol Hitchman

Rosamaria Longo

pour la défenderesse,

PHARMASCIENCE INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LENCZNER SLAGHT ROYCE SMITH GIFFIN LLP

Toronto (Ontario)

pour les demanderesseS

GARDINER ROBERTS LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA défenderesse,

pharmascience inc.

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE défendeur,

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

LENCZNER SLAGHT ROYCE SMITH GIFFIN LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA défenderesse/TITULAIRE DU BREVET,

OREXO AB

 

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